Stéphane Arthur : La représentation du 16° siècle dans le théâtre romantique

Communication au Groupe Hugo du 28 avril 2007
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Dans une lettre adressée en juillet 1843 à Nerval, alors au Caire, et publiée par La Presse le 25 juillet 1843, Gautier déclare : « Si l’on voulait il serait facile d’assigner à chaque célébrité d’aujourd’hui non seulement le pays, mais le siècle où aurait dû se passer son existence véritable : […] Hugo est espagnol-flamand  du temps de Charles-Quint »[i]. Dans son article rendant compte le 5 juillet 1835 dans le n°7 du Monde dramatique de la création d’Angelo de Hugo[ii], Gautier présente déjà Victor Hugo comme un personnage digne du seizième siècle :  

 

« Ce fier génie s’est trompé en naissant aujourd’hui. Il aurait dû venir au seizième siècle, un peu avant l’apparition du Cid. Ce n’est pas qu’il eût été plus grand, mais il eût été plus heureux. En ce temps, il n’aurait vu ni le Panthéon, ni la Bourse ; il eût été peintre, sculpteur, architecte, ingénieur et poète comme le Vinci, comme Benvenuto[iii], comme Buonarotti[iv], comme tous les autres, car c’est un génie essentiellement plastique, amoureux et curieux de la forme, ainsi que tout véritable jeune ».[v]

 

Hantés par ce que Henri Peyre nomme un véritable « tourment de l’ailleurs et du passé » (dans Qu’est-ce que le romantisme ?), pourquoi les romantiques, et Hugo en premier lieu, ont-ils été attirés par le siècle de Léonard de Vinci, de Benvenuto Cellini et de Michel-Ange, et l’ont-ils choisi si souvent comme cadre de leurs œuvres, théâtrales en particulier ? Quelle est la part du seizième siècle dans la production dramatique romantique ? Que représente le seizième siècle pour Hugo et les autres romantiques, et de quelle manière le représentent-ils dans leurs pièces ? Ces deux dernières questions guideront mon propos.

 

 

I   Un siècle souvent représenté dans le théâtre romantique

 

Le concept de romantisme concerne à l’origine la littérature louant le temps des chevaliers, époque où l’on parlait le roman. Or le lien intime entre la notion de romantisme et celle de Moyen Age a quelque peu occulté le goût des romantiques pour le seizième siècle. Dans le domaine théâtral, le drame dont la chute est traditionnellement considérée comme marquant la fin du drame romantique, Les Burgraves de Hugo en 1843, met en scène le Moyen Age, et cela a contribué à maintenir cette illusion.

Or le seizième siècle a particulièrement inspiré les dramaturges romantiques. Les trois premiers grands succès romantiques ont pour cadre le seizième siècle : Henri III et sa cour de Dumas (1829), Le More de Venise, adaptation d’Othello par Vigny (1829) et Hernani de Hugo (1830). On pourrait même remonter à 1820, et à l’adaptation de la Marie Stuart de Schiller par Lebrun.

Après les premières batailles, Hugo et Dumas optent pour des stratégies différentes. Dumas fait dans Antony l’éloge du drame contemporain. L’auteur d’Antony n’en a pas moins écrit, fût-ce en collaboration, six drames mettant en scène le seizième siècle : outre Henri III et sa Cour (1829), Catherine Howard (1834), Le bourgeois de Gand (écrit en collaboration avec Hippolyte Romand, 1838), L’alchimiste (écrit en collaboration avec Gérard de Nerval, 1839), Lorenzino (1842) et, plus tardif, en collaboration avec Paul Meurice, un Benvenuto Cellini (1852). Dumas compose aussi (en collaboration avec Auguste Maquet) des adaptations théâtrales des deux premiers volets de sa trilogie sur les guerres de Religion : La Reine Margot (roman publié en 1844-1845, drame représenté en 1847) et La Dame de Monsoreau (roman publié en 1845-1846, drame représenté en 1860). En revanche, il n’a pas adapté à la scène Les Quarante-Cinq (roman publié en 1847). Peut-être est-ce dû à la difficulté matérielle de faire apparaître sur scène autant de personnages ?

La part du seizième siècle dans le théâtre hugolien représenté est encore plus impressionnante, avec six œuvres sur neuf, soit les deux tiers : Amy Robsart (1828), Hernani (1830), Le roi s’amuse (1832), Lucrèce Borgia (1833), Marie Tudor (1833), Angelo, tyran de Padoue (1835). En outre, la pièce considérée comme le chef-d’œuvre du drame romantique, Lorenzaccio, de Musset, publiée en 1834, a pour cadre Florence en 1536. L’année précédente, en 1833, Musset a publié André del Sarto, drame sur un XVIe siècle décadent. De nombreux autres auteurs, romantiques ou pas, ont par ailleurs choisi le seizième siècle comme période à mettre en scène dans leurs œuvres dramatiques, dans les années 1826-1842. 

Remarquons que si dans les années 1826-1830 les auteurs de scènes historiques comme Vitet, ou d’Outrepont, mettent en scène un seizième siècle national (la plupart du temps : la période des guerres de Religion), les auteurs de drames romantiques ont plutôt eu tendance, à partir de 1833, après l’interdiction du Roi s’amuse l’année précédente, à représenter un seizième siècle européen : espagnol, italien, anglais… Dans Racine et Shakspeare, Stendhal préconise pourtant de mettre en scène des sujets nationaux, empruntés en particulier au XVIe siècle. Lorsqu’il réclame l’évocation de périodes de l’histoire nationale négligées au théâtre, Stendhal fait ainsi référence à la fin du Moyen Age et au début du XVIe siècle : « Les règnes de Charles VI, de Charles VII, du noble François Ier, doivent être féconds pour nous en tragédies nationales d’un intérêt profond et durable »[vi]. Lorsqu’il donne des exemples précis de sujets à exploiter dans des tragédies nationales, tous concernent les guerres de religion du XVIe siècle : «l’Assassinat de Montereau, les Etats de Blois, la Mort de Henri III »[vii]. Stendhal a commencé à composer un Henri III destiné à être représenté, mais seule l’ébauche du troisième acte nous est parvenue[viii]. Elle permet d’établir dans quelle mesure Stendhal compose par rapport aux scènes historiques de Vitet, héritage qui lui sert de point de départ historique, telle une matière historique brute à retravailler pour donner au drame le sens politique voulu par Stendhal.

Une absence peut retenir notre attention : si les auteurs du XVIIIe siècle ont mis en scène le XVIe siècle américain dans leurs œuvres théâtrales (songeons à Voltaire ou Piron[ix]), et si le fameux mélodramaturge Pixérécourt a connu un bref succès au début du dix-neuvième siècle avec son Christophe Colomb[x], les romantiques français n’ont pas exploré cette voie. Une explication possible tient sans doute à ce que Hugo et Dumas, pour citer les deux auteurs romantiques dont les œuvres dominent la scène, composent un théâtre hanté par la nostalgie. Fils de généraux d’Empire, ils cherchent à renouer les fils de la tradition nationale rompus par la Révolution française et ont l’imaginaire imprégné par les exploits de l’armée napoléonienne, dont le cadre est européen[xi] et non pas américain.

La question qui reste en suspens, maintenant que nous avons vu l’importance de la part prise par la représentation du seizième siècle dans la production dramatique romantique, est la suivante : pourquoi les romantiques ont-ils autant représenté le seizième siècle ?

 

 

II Hugo et le seizième siècle

Les affinités entre le seizième siècle et le siècle de Hugo : ce sont deux périodes de crise

Un passage de La Confession d’un enfant du siècle de Musset aide à comprendre pourquoi les romantiques se sont reconnu de profondes affinités avec le XVIe siècle :

 

« Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux Continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas que l’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris ».[xii]

 

Le présent est nourri de l’incertitude liée au fait que la disparition du monde de l’Ancien Régime mis à bas par la Révolution française de 1789 laisse attendre l’émergence d’un nouveau monde, en gestation. Temps de « semence », temps de « débris », l’époque romantique s’apparente au seizième siècle, et en particulier à la Renaissance, période comportant des débris du Moyen Age et des germes d’un monde nouveau. Le poète apparaît de ce fait comme un nouveau Christophe Colomb[xiii], en quête d’inconnu dans son aventure créatrice. Le XVIe siècle est une période de grandes découvertes : de même, le théâtre romantique s’annonce comme celui des grandes innovations.  

Temps de mutations, de renouveau, clament les auteurs lorsqu’ils mettent en évidence ce qui rapproche le XVIe siècle et leur propre siècle : « Aux époques de rénovation sociale comme la nôtre, au seizième siècle comme au dix-neuvième, quand un souffle nouveau vient remuer et mêler toutes les choses » proclame Hippolyte Romand dans la préface du Bourgeois de Gand.

Dans sa préface des Feuilles d’automne (datée du 24 novembre 1831), Hugo rapproche lui aussi XVIe siècle et XIXe siècle, car ce sont deux périodes de crise et d’espoir :

 

« Ce n’est pas une raison, parce qu’aujourd’hui d’autres vieilleries croulent à leur tour autour de nous, et remarquons en passant que Luther est dans les vieilleries et que Michel-Ange n’y est pas, ce n’est pas une raison parce qu’à leur tour aussi d’autres nouveautés surgissent dans ces décombres, pour que l’art, cette chose éternelle, ne continue pas de verdoyer et de florir entre la ruine d’une société qui n’est plus et l’ébauche d’une société qui n’est pas encore. »

 

Dans cette même préface, nous voyons que l’expression « seizième siècle », présente chez les romantiques mais pas chez les hommes du seizième siècle, a un sens pour Hugo, d’un point de vue historique mais aussi artistique. Il s’agit de l’époque où se manifeste une véritable insurrection de l’esprit, et où s’épanouit une nouvelle esthétique : 

 

« Voyez le seizième siècle. C’est une immense époque pour la société humaine, mais c’est une immense époque pour l’art. C’est le passage de l’unité religieuse et politique à la liberté de conscience et de cité, de l’orthodoxie au schisme, de la discipline à l’examen, de la grande synthèse sacerdotale qui a fait le moyen-âge à l’analyse philosophique qui va le dissoudre ; c’est tout cela ; et c’est aussi le tournant magnifique et éblouissant de perspectives sans nombre, de l’art gothique à l’art classique. »

 

Hugo présente le seizième siècle comme un temps d’énergie (marqué par une quête de liberté), comme un temps de violence et de création :

 

« Ce n’est partout, sur le sol de la vieille Europe, que guerres religieuses, guerres civiles, guerres pour un dogme, guerres pour un sacrement, guerres pour une idée, de peuple à peuple, de roi à roi, d’homme à homme, que cliquetis d’épées toujours tirées et de docteurs toujours irrités, que commotions politiques, que chutes et écroulements des choses anciennes, que bruyant et sonore avènement des nouveautés ; en un même temps, ce n’est dans l’art que chefs-d’œuvre. On convoque la diète de Worms, mais on peint la chapelle Sixtine. Il y a Luther, mais il y a Michel-Ange. »

 

Aussi les drames romantiques mettent-ils en scène un seizième siècle qui les fascine car il leur apparaît comme le temps d’avant l’absolutisme politique (« tous les fossiles des siècles de l’absolutisme », Musset), mais aussi le temps d’avant l’absolutisme culturel qu’imposent les règles iques d’après les romantiques. C’est un temps de vie, de violence.

 

Le seizième siècle, temps d’avant l’absolutisme politique         

Les drames hugoliens représentent le XVIe siècle comme une période révélatrice de la fragilité de tout pouvoir monarchique. A la scène II de l’acte IV d’Hernani, la leçon est livrée par Don Carlos lui-même, au moment où le roi d’Espagne s’apprête à devenir empereur du Saint Empire Romain Germanique. Les rois sont victimes d’une illusion, les incitant à se considérer comme tout-puissants, sublimes. Or leur situation est d’autant plus précaire qu’ils sont situés en haut de l’édifice social, et peuvent vaciller et être renversés par un mouvement populaire :

 

« Base de nations portant sur leurs épaules

La pyramide énorme appuyée aux deux pôles,

Flots vivants, qui toujours l’étreignant  de leurs plis,

La balancent, branlante à leur vaste roulis,

Font tout changer de place et, sur ces hautes zones,

Comme des escabeaux font chanceler les trônes,

Si bien que tous les rois, cessant leurs vains débats,

Lèvent les yeux au ciel… Roi, regardez en bas ! » (version imprimée)

 

La comparaison volontairement grotesque de la version imprimée – ces vers étant absents de la version jouée - avec des escabeaux est à rapprocher d’une didascalie de Marie Tudor, au tout début du second acte : « La couronne royale sur un escabeau ». Toute l’ambiguïté du pouvoir est là, comme dans la présence dans le dernier acte de deux escaliers : « l’escalier qui monte » suggère la distance séparant le souverain de ses sujets, l’escalier « qui descend » suggère la chute possible. Aussi la position de la reine, « couchée sur son lit de repos » au début du second acte, donne-t-elle l’image spécieuse d’un pouvoir stable, alors que la couronne peut vaciller. Simon Renard le fait bien comprendre à Marie Tudor : le soulèvement populaire contre Fabiani peut très vite devenir une révolte en faveur d’Elizabeth, la rivale de Marie.

De fait, les souverains des drames hugoliens sur le XVIe siècle sont des souverains menacés : dans Hernani, Don Carlos/Charles Quint déjoue un complot ; dans Le roi s’amuse, Triboulet veut tuer le roi ; dans Lucrèce Borgia, la souveraine est tuée par Gennaro, son fils ; dans Marie Tudor la reine est contrainte de sacrifier son favori pour apaiser la colère du peuple ; dans Angelo, tyran de Padoue l’inquisition d’Etat épie le souverain et entretient sans cesse la menace de sa disparition.

En revanche, dans Ruy Blas, l’honneur intime du roi est menacé, mais pas son pouvoir. De même, dans Marion de Lorme, quoique Richelieu soit présenté comme le véritable roi, le pouvoir politique est fort : l’absolutisme est en voie d’édification. Pour Victor Hugo, le seizième siècle représente avant tout le temps d’avant l’absolutisme, comme le confirme la préface de Ruy Blas (1838), drame ayant pour cadre la fin du dix-septième siècle :

 

« Si l’auteur de ce livre a particulièrement insisté sur la signification historique de Ruy Blas, c’est que dans sa pensée, par le sens historique, et, il est vrai, par le sens historique uniquement, Ruy Blas se rattache à Hernani. Le grand fait de la noblesse se montre, dans Hernani comme dans Ruy Blas, à côté du grand fait de la royauté. Seulement dans Hernani, comme la royauté absolue n’est pas faite, la noblesse lutte encore contre le roi, ici avec l’orgueil, là avec l’épée ; à demi féodale, à demi rebelle. En 1519, le seigneur vit loin de la cour dans la montagne, en bandit comme Hernani, ou en patriarche comme Ruy Gomez. Deux cents ans plus tard, la question est retournée. Les vassaux sont devenus des courtisans. Et si le seigneur sent encore d’aventure le besoin de cacher son nom, ce n’est pas pour échapper au roi, c’est pour échapper à ses créanciers. Il ne se fait pas bandit, il se fait bohémien. – On sent que la royauté absolue a passé pendant de longues années sur ces nobles têtes, courbant l’une, brisant l’autre. » 

 

Concernant la France, dans la représentation qu’en fait Hugo, le seizième siècle se prolonge jusqu’à la fin du règne de Henri IV. Dans Marion de Lorme, pour obtenir la grâce de son neveu qui s’est battu en duel malgré l’interdiction royale, le vieux marquis de Nangis rappelle au faible Louis XIII qu’il a été compagnon de son père, Henri IV :

 

« Votre père Henri, de mémoire royale,

N’eût pas ainsi livré sa noblesse loyale ;

Il ne la frappait point sans y fort regarder ;

Et bien gardé par elle, il la savait garder.

Il savait qu’on peut faire avec des gens d’épées

Quelque chose de mieux que des têtes coupées ;

Qu’ils sont bons à la guerre. Il ne l’ignorait point,

Lui dont plus d’une balle a troué le pourpoint.

Ce temps était le bon. J’en fus, et je l’honore.

Un peu de seigneurie y palpitait encore. »  (vers 1292-1301)

 

Cette perte de pouvoir et de prestige de la noblesse, désormais sous la coupe d’un pouvoir royal qui veut s’imposer de manière absolue, est traduite à l’acte III scène X par l’obéissance des gardes du marquis de Nangis à Laffemas, « lieutenant-criminel du seigneur cardinal » (vers 1062), malgré l’ordre contraire du marquis : le vieux droit féodal de justice basse et haute que prétend encore avoir le marquis dans son château apparaît caduc, en tout cas bien dérisoire, et il ne peut empêcher l’arrestation de son neveu Saverny. Le temps des seigneurs est passé, avec son corollaire : « le temps des épées est passé » selon la formule dans le drame de Musset d’André del Sarto, le héros éponyme, qui déplore dans le contexte de la fin du seizième siècle florentin la fin du temps de l’aventure, de l’honneur, de l’exploit.

 

Le seizième siècle, temps d’avant l’absolutisme culturel que sont les règles classiques selon les romantiques

La liberté de ton et de manières des personnages du XVIe siècle – contrastant avec les bienséances iques – est souvent relevée par les romantiques. Musset a ainsi composé le plan d’un drame intitulé Le comte d’Essex, dans lequel à la scène II du premier acte le héros éponyme arrive « tout botté et tout crotté » à la cour et « se jette aux pieds d’Elisabeth », la reine d’Angleterre[xiv]. Or dans l’avis au lecteur des Contes d’Espagne et d’Italie (1830), Musset évoque déjà l’anecdote, en souhaitant s’identifier au comte d’Essex : « Me permettra-t-on d’imiter le comte d’Essex, qui arriva dans le conseil de la Reine, crotté et éperonné ? »[xv]. En revanche, dans Ruy Blas, qui met en scène l’Espagne de la fin du dix-septième siècle, la présence de l’étiquette à la cour étouffe la reine : cela peut nous amener à considérer que le siècle précédent, c’est-à-dire le seizième siècle, est pour Hugo est un siècle où règne une certaine liberté, perdue au dix-septième siècle.

Aussi représenter cette période d’avant les règles iques qu’est le seizième siècle suppose de s’affranchir de ces règles, anachroniques pour faire revivre le siècle de François Ier et de Henri IV. Dans la préface de Cromwell, Hugo note, après Stendhal que le langage ique n’est pas idoine pour exprimer la réalité du seizième siècle : des expressions comme la poule au pot et ventre-saint-gris [xvi] sont des éléments indissociables du roi Henri IV, et leur absence de la tragédie de Legouvé La mort de Henri IV (1806) fait de cette représentation ique un travestissement de l’histoire. La question de la langue employée s’avère fondamentale : l’archaïsme « encharibotté » auquel Hugo a recours dans  Le roi s’amuse (acte I, scène II) a choqué, comme contraire aux bienséances.

Plus largement, les romantiques estiment que les événements du XVIe siècle sont souvent complexes, et qu’il faut évoquer sur scène, dans la même pièce, différents lieux et un temps assez long, souvent de l’ordre de plusieurs semaines ou mois, pour rendre compte de cette complexité. Ainsi Stendhal, dans Racine et Shakspeare, affirme :

 

« Pour Henri III, il faut absolument, d’un côté : Paris, la duchesse de Montpensier, le cloître des Jacobins ; de l’autre : Saint-Cloud, l’irrésolution, la faiblesse, les voluptés, et tout à coup la mort, qui vient tout terminer. 

La tragédie racinienne ne peut jamais prendre que les trente-six dernières heures d’une action ; donc jamais de développements de passions. Quelle conjuration a le temps de s’ourdir, quel mouvement populaire peut se développer en trente-six heures ? »[xvii]

 

Voilà les unités de lieu et de temps qui volent en éclat. Hugo peut ainsi faire se déplacer ses personnages en des lieux incongrus : si dans le drame d’Arvers La mort de François Ier (1831), qui n’a pas été représenté, le mari cocufié par le roi se présente dans un lieu de mauvaise vie afin de contracter le poison qu’il va transmettre à sa femme pour qu’elle contamine malgré elle le roi son amant, Hugo mène François Ier chez Saltabadil. L’audace est plus importante dans le drame représenté (celui de Hugo) que dans le drame destiné à être lu (celui d’Arvers) car le spectateur du drame Le roi s’amuse voit le roi et non pas un bourgeois dans un lieu populaire, donc qui ne lui est pas destiné. Parfois, ce n’est pas le lieu, mais le destinataire qui est incongru, comme le bourreau à qui la reine veut parler dans Marie Tudor (deuxième journée, scène V).

La répartition des rôles, des emplois est brouillée : les personnages ne sont pas à leur place. Ainsi, dans Hernani, dans la scène d’exposition, Don Carlos s’introduit de nuit dans la chambre d’une jeune femme et a recours à la violence, matérialisée par la présence scénique d’un accessoire symbolique : le poignard. Or c’est l’arme des bandits, l’épée étant l’arme des nobles. De même, à deux reprises Don Carlos tente d’enlever la belle Doña Sol, avant de réaliser cet acte contraire à toute bienséance lorsque Don Ruy Gomez refuse de lui livrer Hernani : le roi se comporte comme un bandit, avant de devenir empereur, et de se faire clément. Dans Marie Tudor, Gilbert, l’homme du peuple, se montre généreux, alors que la reine refuse de manifester semblable noblesse : « Je ne suis pas généreuse, moi ! » (deuxième journée, scène IV).

 

Aussi l’esthétique théâtrale romantique, fondée sur l’abandon des unités de temps et de lieu, sur le mélange des genres, et sur le recours à une langue variée s’autorisant bien des audaces, semble parfaitement convenir à la représentation de personnages et d’événements du seizième siècle.

 

Hugo et le théâtre du seizième siècle : l’ambition d’être le Shakespeare du dix-neuvième siècle

Hugo a été amené à s’identifier à deux écrivains du seizième siècle : Ronsard et surtout, en matière théâtrale, Shakespeare.

L’accusation de ronsardisme a été lancée très tôt contre les romantiques, et, comme l’a montré Claude Faisant dans sa thèse Mort et résurrection de la Pléiade[xviii], Hugo a assumé ce ronsardisme à partir de la fin de l’année 1826. L’injure a été adoptée comme étendard. En 1829, dans Henri III et sa cour, Dumas fait ainsi dire le fameux poème « Mignonne, allons voir si la rose… » (acte III, scène II).

Quant à la référence à Shakespeare, étudiée par Catherine Balaudé-Treilhou dans sa thèse Shakespeare romantique. La réception de Shakespeare en France de Guizot à Scribe (1821-1851)[xix], c’est un topos de la littérature et de la critique romantiques. En août 1831, dans sa préface à Marion de Lorme, Hugo suggère son ambition d’être le Shakespeare du dix-neuvième siècle : « Pourquoi maintenant ne viendrait-il pas un poète qui serait à Shakespeare ce que Napoléon est à Charlemagne ? ». Avec Shakespeare une certaine modernité théâtrale apparaît : « Shakespeare marque la fin du moyen âge » estime-t-il dans l’ouvrage qu’il lui consacre en 1864[xx]. Or pour Hugo, Shakespeare représente le théâtre du seizième siècle dans ce qu’il a de plus profond, car c’est un théâtre qui n’est pas étriqué dans un corset ique et qui de ce fait peut rendre toute l’intensité de son temps. Comme tous les romantiques, Hugo a célébré Shakespeare : « Le drame de Shakespeare exprime l’homme à un moment donné. L’homme passe, ce drame reste, ayant pour fond éternel la vie, le cœur, le monde, et pour surface le seizième siècle »[xxi].

Cette importance de l’influence de Shakespeare dans l’élaboration de la dramaturgie hugolienne est mise en scène avec humour dans Amy Robsart, première œuvre représentée de Hugo (1828). Le nain Flibbertigibbet est celui qui passe partout, une sorte de génie libre, de même que l’esprit de Shakespeare passe par tout le théâtre de Hugo des années 1828-1835. Or Hugo a trouvé le nom Flibbertigibet dans Le roi Lear (démon présent dans la version de l’in-quarto de 1608). Flibbertigibet est un personnage de comédien ambulant jouant dans les diableries de Shakespeare (acte I, scène VI), alors que Shakespeare n’a qu’une dizaine d’années au moment où l’action est censée se dérouler. Les nombreuses références  anachroniques au théâtre de Shakespeare traduisent la volonté de Hugo de revendiquer l’influence du modèle shakespearien qui incarne l’esthétique prônée dans la préface de  Cromwell : le drame comme miroir total de la vie, le drame mêlant comédie et tragédie, grotesque et sublime.     

 

 

III Représenter le seizième siècle : l’exemple de François premier

 

Étudier la représentation du seizième siècle dans le drame romantique nous a amené à considérer plus largement les représentations du seizième siècle dans le théâtre à l’époque romantique. Aussi nous sommes-nous intéressé en particulier à la figure de François premier, qu’évoquent de nombreuses œuvres dramatiques à cette époque.

 

Le héros, le galant, le mécène

Deux ans avant Le roi s’amuse, la légende dorée de François Ier est célébrée sur scène.

Représenté pour la première fois sur le théâtre de l’Académie royale de musique le 15 mars 1830, François Ier à Chambord de Moline de Saint-Yon et Fougeroux offre une représentation sans originalité du personnage éponyme, en reprenant les topoï associés traditionnellement à l’éloge de ce roi : héros, galant, mécène.

L’œuvre se passe à Chambord, en 1516. Il s’agit d’un choix artistique mais aussi idéologique : cela permet d’auréoler la jeunesse du roi du prestige de sa gloire guerrière avec la victoire de Marignan (1515, dès la première année de son règne)[xxii] et de son rôle de prince de la Renaissance avec le personnage de Léonard de Vinci (effectivement venu en France en 1516). Toutefois, en 1516, le roi n’aurait pas vu grand-chose à Chambord, les travaux véritables commençant en 1526[xxiii]. Le chronotope fixe l’image d’un roi jeune, conquérant, brillant. 

Or le héros est poète (« Femme varie, /Fol qui s’y fie » dit Carina à la scène VI de l’acte I en citant des vers attribués au roi) et séducteur, et ses aventures galantes sont évoquées comme de nouveaux triomphes. Ces aventures constituent un nouveau motif d’éloge du roi, car le séducteur se présente avant tout comme un chevalier épris de valeurs courtoises et guidé par le sens de l’honneur :

 

«Respecter le malheur,

Tout aux dames, tout à l’honneur,

Voilà ma loi suprême :

Je l’appris de Bayard lui-même.  »  (acte I, scène III)

 

La référence à Bayard – personnage traditionnellement valorisé sur scène - revendiquée par François Ier en donne l’image d’un roi noble, y compris dans ses conquêtes amoureuses.

L’intrigue valorise peu François Ier, mais est inoffensive, car elle n’est pas politique. Ayant porté secours sous une fausse identité (celle de Nemours) en Italie à une belle dame nommée Carina, François Ier retrouve celle-ci à Chambord alors que sa sœur, Marguerite, la destine au sénéchal. Carina compte sur l’appui opportun du faux Nemours pour échapper à ce mariage, car son cœur n’est pas libre. François Ier se croit l’heureux élu, mais a la désagréable surprise, après lui avoir découvert sa véritable identité, d’apprendre que Carina est amoureuse de Léonard de Vinci qui, pour sa part, la croit infidèle au profit du roi. Lorsque François Ier et Léonard se rendent compte que Carina aime ce dernier et non le roi, François Ier est tenté de laisser libre cours à son courroux, puis se reprend et fait preuve de magnanimité : « Allons ! de l’aventure il faut rire moi-même » (acte II, scène IX).

Le roi ressort valorisé de cette pièce, car son nom est associé à l’héroïsme guerrier, à la galanterie, à la protection des artistes et à une période de fête[xxiv] et d’insouciance. Si le roi s’estime « joué » et reconnaît devant Carina avoir été volage, il échappe au ridicule, et le dénouement le restaure pleinement dans sa grandeur.

Aussi cette pièce peut apparaître comme une simple mise en voix des nombreuses productions des beaux-arts ayant pour sujet un François Ier protecteur des arts et des lettres[xxv].

Semblable œuvre est inoffensive pour le pouvoir en place. Il faut dire que l’opéra aurait été composé pour la fête de Charles X[xxvi] : c’est une pièce d’éloge de la figure du roi. L’ensemble est bien convenu. Cela explique les réactions négatives de la critique. Le Constitutionnel en date du 21 mars 1830 déplore ainsi : « La pièce est nulle ». Le même article évoque « des sifflets qui ont accueilli le dénoûment ». La musique de Prosper de Ginestet ne compense pas la faiblesse de l’intrigue, loin de là : « elle est aussi distinguée que le poème : des airs sans motifs, ou des idées sans fraîcheur, quelque savoir-faire et voilà tout ». En revanche, l’auteur de l’article loue les progrès faits en France dans le domaine des décorations. Cela permet de mettre en scène avec éclat la brillante cour de François Ier[xxvii].

C’est contre cette tradition d’éloge de François Ier que réagit Roederer en 1825, préparant la mise en scène de la légende noire de François Ier, dont Le roi s’amuse est imprégné.

 

L’offensive de Roederer contre la représentation traditionnelle de François Ier : « François Ier fut un détestable roi »[xxviii]

Pierre-Louis Roederer est à la fois personnage historique ayant joué un rôle auprès de Napoléon Bonaparte, historien et auteur dramatique, même si ses œuvres théâtrales sont destinées en premier lieu à la lecture. Hormis quelques représentations confidentielles à Bois-Roussel[xxix], en Normandie, ces œuvres n’ont pas été représentées, du fait de la volonté de l’auteur, qui craint une diction inappropriée des comédiens[xxx].

Or Roederer souhaite revaloriser le règne de Louis XII et mettre fin à la tradition d’éloge de François Ier en tant que grand roi[xxxi]. Cela se traduit en 1825 par une double publication : celle d’un Mémoire pour servir à l’histoire véritable de François Ier et d’une comédie en un acte en prose, destinée à la lecture et intitulée Le Diamant de Charles-Quint. Cette comédie met en scène une anecdote politique et galante qui ridiculise François Ier, dupé par sa maîtresse, la duchesse d’Etampes, et son grand rival politique, Charles Quint.

Le Diamant de Charles-Quint met en effet en scène une intrigue politique de Charles Quint, en réponse à la propre intrigue de François Ier. Ce jeu de dupes est résolu de manière paradoxale par l’intervention de la maîtresse du roi, la duchesse d’Etampes, en faveur de l’empereur. En effet, la pièce se déroule en 1540, dans le château de Fontainebleau, au moment où François Ier est l’hôte de Charles Quint, amené à traverser les terres de son ancien prisonnier après Pavie (1525). Charles Quint souhaite se rendre au plus tôt à Gand, où a éclaté une révolte qui menace toutes ses possessions flamandes. François Ier a donné sa parole à l’empereur qu’il pourrait quitter librement la France, mais il veut profiter de l’occasion pour obtenir de Charles Quint une cession anticipée du Milanais. Il a de ce fait écrit une lettre ordonnant l’arrestation de l’empereur à Arras, mais, irrésolu, il a confié cette lettre à la duchesse d’Etampes pour que celle-ci décide à sa place si cette lettre doit être envoyée ou non. Mais une alliance est conclue par émissaires interposés entre la maîtresse de François Ier et son rival : aussi la duchesse d’Etampes remettra à Charles Quint, lors du repas offert par François Ier à l’empereur, la lettre ordonnant de l’arrêter, et l’empereur donnera à la duchesse son diamant, en le faisant tomber, sous prétexte que tout ce que les souverains de la maison d’Autriche font tomber échoit à ceux qui le ramassent. C’est ce stratagème qui est réalisé avec succès lors de la suite de la pièce.

Roederer a trouvé cette anecdote dans un manuscrit de la bibliothèque du comte Daru[xxxii] : François Ier, ou les choses les plus mémorables arrivées de son règne. Roederer cite un long extrait de ce manuscrit[xxxiii]. Remarquons toutefois que l’anecdote figure dans la Biographie universelle de Michaud, à l’article « François Ier ».

L’image que Roederer donne de François Ier est celle d’un roi faible, soumis à la volonté de sa maîtresse : « Mes dernières et mes premières intentions sont toujours de ne pas m’écarter des vôtres », déclare le roi à la duchesse d’Etampes (scène V). De ce fait, la politique royale est le jouet du caprice de la maîtresse du souverain : « Eh bien, qu’avez-vous décidé ? avez-vous expédié mon ordre à Arras, ou le jetons-nous au feu ? » (scène IV). Là apparaît le principal grief que Roederer fait à François Ier dans son Mémoire : celui d’abandonner ses décisions de souverain au gré des caprices de ses maîtresses. En outre, François Ier, que Mézerai présente comme « religieux à tenir sa parole, ouvert & plein de franchise »[xxxiv], apparaît comme peu soucieux de respecter sa parole. Dans son Mémoire, Roederer récuse la réputation de courtoisie de François Ier, à l’occasion précisément de l’épisode qui a servi de cadre au Diamant de Charles-Quint : « Etait-il d’une haute courtoisie à l’égard de Charles-Quint qui était venu avec confiance à sa cour après le traité de Madrid, lorsqu’il lui dit : Cette belle dame (la duchesse d’Etampes) me conseille de ne pas vous laisser partir de Paris que vous n’ayez révoqué le traité de Madrid ; était-ce courtoisie de faire naître dans l’esprit de Charles-Quint l’appréhension d’être retenu prisonnier à Paris ? »[xxxv].

Comme Charles Quint, François Ier n’hésite pas à recourir à la ruse, au mensonge à des fins politiques[xxxvi]. Or le calcul, la dissimulation en politique ne sont pas pratiqués avec art par François Ier, mais par Charles Quint : le titre de la pièce n’évoque pas seulement la bague de l’empereur, mais aussi les ressources de son esprit, et le trésor d’ingéniosité qu’il déploie pour tromper François Ier, avec la complicité de sa maîtresse qui plus est.

 

Arvers, ou le prélude au Roi s’amuse

La troisième œuvre que nous retenons n’a pas été représentée non plus, mais il s’agit désormais d’un drame, romantique qui plus est, en trois actes et en alexandrins : La mort de François premier de Félix Arvers, pièce écrite en 1831 et publiée en 1833 dans Mes heures perdues. La date de composition est importante : Le roi s’amuse, de Hugo, est postérieur à ce drame. Le thème de la mort des rois est alors en vogue chez les romantiques : Musset compose un fragment poétique, « Les Derniers moments de François premier », publié en 1831, après avoir composé un « Charles-Quint à Saint-Just » (1829), publié de manière posthume  .

Le drame d’Arvers conte une anecdote connue des historiens (Mézeray, Voltaire…) : l’avocat Ferron, jaloux de François Ier, contracte une maladie vénérienne qu’il transmet à sa femme, adultère, pour qu’elle contamine le roi. Le cadre temporel est donc dilaté par rapport à la comédie de Roederer, puisque la pièce s’étend sur huit années, et l’unité de lieu n’est pas respectée. Quant au respect des bienséances… songeons au lieu de mauvaise vie où se déroule le second acte. En outre, Arvers ne s’intéresse pas à François Ier en tant que souverain, malgré des références à certaines décisions politiques comme la persécution des protestants. C’est l’individu qui retient son attention.

Cette œuvre se présente parfois comme une mise en alexandrins d’éléments de la Biographie universelle de Michaud. Nous ne sommes pas dans la mise en œuvre de la couleur locale, mais dans un jeu de références à des topoï dont la pièce est saturée : François Ier héros, poète, séducteur… Tout ceci n’est qu’un vernis historique, comme le montre la désinvolture avec laquelle Arvers renvoie au Mémoire du cardinal Du Bellay pour le voyage d’Italie[xxxvii]. Toutefois, l’originalité d’Arvers par rapport à Roederer et à nombre de ses prédécesseurs réside dans la peinture d’un roi sur le déclin, odieux envers Ferron lorsqu’il l’humilie après avoir été surpris par lui en compagnie de la belle Féronnière. Le jouisseur égoïste est puni par son rival malheureux. C’est le personnage victime qui est amené à endosser le rôle du traître de mélodrame pour obtenir réparation du tort subi : la victime se fait bourreau, bourreau des coupables et de soi-même. Par ce biais l’homme du peuple châtie le souverain.

Ainsi la mort peu édifiante de François Ier contraste avec la fin édifiante et spectaculaire de Charles-Quint dans une autre pièce non représentée : Charles-Quint à Saint-Just de Gain-Montaignac (publiée en 1820).

 

Le roi s’amuse : le monstre sur scène

Dans Hernani, François Ier est encore présenté comme « un victorieux »[xxxviii] par Don Ruy Gomez au jeune Don Carlos, avant l’élection à la tête du Saint Empire Romain Germanique. Cette présentation valorisante de François Ier a pour but de dramatiser l’opposition des deux rivaux politiques et de suggérer l’ampleur de la tâche à assumer par le futur empereur. Cela confère ainsi à la pièce une perspective historique.

En revanche, François Ier n’est plus un rival politique prestigieux et redouté dans Le roi s’amuse, mais un être dépravé, qui s’ennuie[xxxix] et ne manifeste aucune préoccupation politique. Le vainqueur de Marignan perd son prestige de héros car la victoire qui ouvre son règne est associée, non plus au courage et à la gloire, mais à l’idée de destruction. Chez Saltabadil, au quatrième acte, le roi déplore la vétusté du mobilier : « Tes meubles étaient donc à Marignan, mon cher, / Qu’ils sont tous éclopés ? » (acte quatre, scène IV, vers 1305-1306). Le contexte grotesque et la tonalité burlesque des propos du roi minent en profondeur toute possibilité de représentation épique. La brusquerie de François Ier écarte l’image traditionnelle du roi chevalier, lorsqu’il réclame :

 

LE ROI

Deux choses sur-le-champ.

SALTABADIL

                                          Quoi ?

LE ROI

                                             Ta sœur, et mon verre. 

 

Les manières du roi sont rudes. Il faut dire qu’il se présente travesti « en simple officier » : de ce qui concerne l’armée et la guerre, seul est retenu ce qui est grotesque.

Ce costume convient cependant parfaitement au roi, car son goût de la boisson n’est pas feint[xl]. Triboulet le lui fait remarquer lors de la seconde scène du premier acte : « Je crois bien, sire, vous êtes ivre ! » (vers 102). L’affirmation insolente du bouffon est perçue par le spectateur comme un simple constat, car il a vu le roi se faire servir de la boisson : « Le roi s’approche du buffet au fond et se fait verser à boire. ». Maguelonne lui reproche aussi un état discréditant ses grands discours amoureux : « Allons, vous êtes ivre ! » (acte IV, scène IV, vers 1238). Ce roi ivre, qui oublie la dignité de sa fonction, est un jouisseur sans scrupules, qui met sur le même les divers plaisirs corporels : « Voici la sagesse, ma chère. / - Aimons, et jouissons, et faisons bonne chère » (acte IV, scène IV, vers 1221-1222). Le grotesque étant associé au corps et au monstrueux, nous pouvons dire que François Ier est l’exemple même du personnage grotesque. Le titre officiel de roi « très chrétien » est contredit par les faits : « Tu vas au cabaret plus souvent qu’au sermon », lui assène Maguelonne (vers 1224). Le tutoiement de la part de la femme du peuple s’impose du fait du déguisement du roi, mais aussi en raison de la conduite du souverain, qui n’a rien de majestueuse. Le roi déroge chez Saltabadil, en hantant ce lieu populaire, ce qui a beaucoup choqué.

Dans ce contexte, comment Hugo a-t-il pu concilier l’activité de poète de François Ier et sa conduite de débauché ? Les deux occurrences du fameux distique gravé par le roi sur une croisée du château de Chambord éclairent ce point. Tout d’abord, le roi chante ses vers dans le cabaret de Saltabadil : le lieu détourne les vers de toute portée poétique au profit d’une représentation libertine du roi (acte IV, scène II) Ce n’est pas simplement un roi volage qui s’exprime, mais un débauché. La version retenue lors de la représentation de 1832 atténue le caractère grivois de la situation :

 

« J’ai ma sœur, une jeune et belle créature,

Qui chez nous aux passants dit la bonne aventure ;

Votre homme la viendrait consulter une nuit. »

 

Or la version publiée est beaucoup plus explicite :

 

« J’ai ma sœur Maguelonne, une fort belle fille

Qui danse dans la rue et qu’on trouve gentille.

Elle attire chez nous le galant une nuit… »  (acte II, scène première)

 

François Ier chante aussi, à deux reprises, son fameux distique au cinquième acte, alors que Blanche a été assassinée à sa place, et que Triboulet croit tenir le roi mort en son sac. L’insouciance du roi est monstrueuse pour le spectateur et le lecteur, car le distique dénonce le caractère volage des femmes, alors que Blanche, dont il ne se soucie pas, vient de se sacrifier pour le sauver. En outre, un incident lors de la représentation de 1832 (le 22 novembre) a contribué à donner du roi une image de débauché :

 

« Un incident acheva la ruine du cinquième acte. François Ier devait sortir en chantant de chez Saltabadil par une petite porte près de l’endroit où Triboulet croyait le tenir mort dans le sac ; cette sortie, ce chant devaient tirer Triboulet de son illusion. On ne sait comment la petite porte se trouvait être fermée en dehors ; impossible à Perrier de l’ouvrir, par conséquent de passer près de lui et de lui chanter aux oreilles. Il prit le seul possible, il s’en alla par le fond du théâtre tout en fredonnant son air. Au lieu du roi qui s’en allait bruyamment, portant haut sa tête, il semblait que ce fût quelque ivrogne attardé qui passait au loin. » (Victor Hugo rapporté par Adèle Hugo)[xli]  

 

Cet exemple montre, si besoin était, que le texte de théâtre n’est qu’un élément, majeur certes, d’une création théâtrale, comme l’affirme Anne Ubersfeld dans Lire le théâtre I : « Toute réflexion sur le texte théâtral ne peut manquer de rencontrer la problématique de la représentation »[xlii]. De personnage insensible, quasi démoniaque, le personnage se trouve ravalé au rang de personnage dépravé… L’incident ruine l’effet voulu, malgré les efforts de Perrier, et le tumulte est à son comble dans la salle.

François Ier est également évoqué en tant que poète par le personnage de Simon Renard dans Marie Tudor (troisième journée, scène II) : « C’est fort singulier, comme vous dites ; mais que voulez-vous ? la reine est folle, elle ne sait ce qu’elle veut. On ne peut compter sur rien, c’est une femme. Je vous demande un peu ce qu’elle vient faire ici ! Tenez, le cœur de la femme est une énigme dont le roi François Ier  a écrit le mot sur les vitraux de Chambord :

 

Souvent femme varie,

Bien fol est qui s’y fie. 

 

Pour valoriser le galant, il est de coutume de rappeler son activité de poète. Dans La mort de François Ier de Félix Arvers, le roi manifeste avec enthousiasme son goût pour la poésie. Dans Le roi s’amuse, le personnage de François Ier chante son goût de la poésie à la scène II du premier acte, mais est aussitôt tourné en dérision par son fou :

 

TRIBOULET

Je ne lis pas de  vers de vous. – Des vers de roi

Sont toujours très mauvais.

[…] Roi qui rime déroge.

 

La suite du dialogue confère un caractère grotesque aux velléités de poésie du roi[xliii] : Hugo fait preuve d’originalité, car il discrédite le roi par cela même qui devrait le valoriser. Le roi poète est un roi qui s’amuse, au lieu de se préoccuper de son peuple. C’est un souverain éloigné des considérations de Don Carlos, dans Hernani, au moment où il va devenir empereur (acte IV, scène II)[xliv]. L’un est un souverain conscient de ses responsabilités, l’autre un jouisseur sans scrupules.

 

Certains ont vu dans un passage de la pièce une allusion désobligeante envers la famille royale, dans cette adresse de Triboulet aux courtisans : « Vos mères aux laquais se sont prostituées ! » (acte III, scène III, vers 1016) [xlv]. Toutefois, comme Hugo le fait lui-même remarquer, il s’agit là d’une surinterprétation de la pièce, car il refuse toute allusion, ainsi qu’il le précise dans la préface de Marion de Lorme. La pièce a donc été taxée d’immoralité, ce dont Hugo se défend dans une préface pleine de superbe. Hugo se défend même d’avoir outrepassé la réalité historique : «  Mais depuis quand n’est-il plus permis à un roi de courtiser sur la scène une servante d’auberge ? Cela n’est même nouveau ni dans l’histoire ni au théâtre. Il y a mieux. L’histoire nous permettait de vous montrer François Ier ivre dans les bouges de la rue du Pélican ». Il suffisait en effet à tout spectateur d’ouvrir la Biographie universelle de Michaud pour imaginer les turpitudes de François Ier à travers les formules empreintes d’euphémismes : François Ier « avait toujours aimé les plaisirs furtifs, et les avait recherchés quelquefois aux dépens de la dignité de son rang. ». 

Il faut dire que le contexte politique et social a nui à la pièce et a joué dans le sens de son interdiction. Lorsque Hugo écrit Le roi s’amuse, Paris est en proie à des révoltes populaires[xlvi]. Or ce drame met en scène la révolte d’un homme du peuple, puisque c’est bien ainsi que Triboulet se présente avec insistance, contre le roi, l’autorité royale étant vécue comme arbitraire et oppressante. Dans un geste qui annonce le geste spectaculaire du héros éponyme dans Ango de Pyat et Luchet lorsqu’il terrasse François Ier défaillant lors de leur duel, Triboulet croit terrasser le roi dans son sac, au dernier acte, alors qu’en fait il foule le corps de sa fille, Blanche. Le jour même de la première, un attentat avait été commis contre le roi, Louis-Philippe : on avait tiré sur lui un coup de pistolet du Pont-Neuf. Aussi les spectateurs ont-ils assisté à la représentation de la pièce avec des préoccupations toutes politiques[xlvii], et de profondes inquiétudes pour ceux appartenant aux milieux soutenant le régime. Cette dramatisation politique a en outre été accrue par les amis de Victor Hugo qui, malgré eux, ont contribué à créer un climat hostile à la pièce en accroissant les inquiétudes des partisans de Louis-Philippe, en chantant « depuis leur arrivée, jusqu’au lever du rideau, la Marseillaise, le Chant du départ, et le Ça ira »[xlviii]. Dans ce contexte, où le romantisme se revendique en tant que révolution littéraire, le régime et ses partisans craignent que la révolution ne se fasse politique et que la farouche volonté du bouffon de tuer son roi n’incite d’autres opposants à attenter à la vie de Louis-Philippe. Aussi certains ont-ils dénoncé dans le drame de Hugo un éloge du régicide.

Si cette accusation est erronée, il n’en demeure pas moins qu’un passage de la pièce s’avère particulièrement audacieux, au sujet des relations entre le roi et le bouffon, et des places assignées à chacun. A la scène III de l’acte III, lorsque sa fille lui apprend que François Ier vient de la déshonorer, Triboulet se fait terrible, et prend la place du roi : « s’asseyant sur le fauteuil du roi et relevant sa fille ». Il adopte à l’égard des courtisans présents, qui sont tous de grands seigneurs, l’attitude et le ton autoritaire du roi, les congédiant :

 

 [Triboulet] se retourne, et, apercevant M. de Cossé, qui est resté, il se lève à demi en lui montrant la porte.

[...] M’avez-vous entendu, monseigneur ?

M. DE COSSE, tout en se  retirant comme subjugué par l’ascendant du bouffon.

Ces fous, cela se croit tout permis, en honneur ! 

Il sort.

 

Monsieur de Cossé est frappé par le ton de Triboulet, qui n’est plus celui d’un bouffon, mais d’un souverain : aussi s’efface-t-il. 

Triboulet est d’ailleurs le véritable personnage principal de l’œuvre. Hugo en prévient Bocage lorsque celui-ci lui demande de le faire engager au Français et de lui donner le rôle de François Ier : « je crains que vous ne vous mépreniez sur le rôle que vous désirez. François Ier est au second plan. Le rôle important est Triboulet [xlix]».

 

La seule dévalorisation du personnage de François Ier ne suffit sans doute pas à elle seule à expliquer la censure de la pièce. Les causes ne sont pas simplement politiques. En effet, la lecture  de La Dame de Laval, drame en trois actes de Maillan et Legoyt représenté sur le théâtre de l’Ambigu-Comique en novembre 1835, donc après le rétablissement de la censure, montre que la critique du roi est possible dans une large mesure. Dans cette pièce, François Ier endosse son éternel costume de séducteur, le mari jaloux, le comte de Chateaubriand,  ne supporte pas l’infidélité de sa femme et la tue pour la châtier. En revanche, le roi, intouchable, est exempt de châtiment, si ce n’est une cinglante flagellation par les mots dénonçant l’injustice d’un pouvoir absolu dont on abuse. Même si le drame n’est pas représenté sur la scène du Théâtre-Français, mais sur une scène secondaire, le dénouement peut laisser perplexe, tant le malheureux mari trompé se montre insolent :

 

TOUS LES PERSONNAGES, LE PAGE, EDITH

(Tout le monde s’arrête et recule frappé d’horreur à la vue du cadavre.)

LE ROI

Morte ! frappée par vous !.. Oh ! seigneur Comte, craignez la justice du Roi ; elle sera terrible !

LE COMTE

Y a-t-il une justice contre le Roi qui flétrit l’honneur d’un chevalier ?.. Je l’ai tuée de cette main qui sauva le Roi de France ; je l’ai tuée, parce que vos lèvres lui avaient imprimé au front une sentence de mort… Et maintenant, mes gentilshommes, allez dire à vos filles et à vos femmes ce que vous avez vu ! 

 

Dans ce théâtre de l’effroi, le roi est un monstre, mais détient la puissance politique. C’est un ingrat, sans honneur, n’hésitant pas à trahir celui qui l’a loyalement assisté à Marignan : le comte de Chateaubriand rappelle au début de la pièce qu’il s’est blessé à Marignan en défendant le roi. François Ier apparaît comme le type même du roi vil, par opposition au bon roi, Louis XII, son oncle, vertueux père du peuple[l].

 

Si la seule portée politique du Roi s’amuse ne suffit pas à elle seule à en expliquer et la censure, et le rejet par le public, où chercher les causes ? Un article du Constitutionnel résume bien les enjeux, dix ans après.

Il était en effet question de reprendre Le roi s’amuse en 1842[li]. Aussi Le Constitutionnel publie-t-il le 27 juin 1842 un article de deux pages consacré au Roi s’amuse. C’est un réquisitoire sans appel, même si « W. », auteur de l’article, reconnaît que la censure imposée en 1832 constitue une grande injustice : « on comprit qu’il y avait à sauver quelque chose de plus important que le goût, c’était la liberté ».

Le reproche majeur formulé à l’encontre de la pièce à sa création concerne « l’immoralité de sa conduite et de son langage ». L’article reconnaît que Hugo a répondu à l’accusation d’immoralité, mais « W. » dénonce « l’immoralité de la forme », qui apparaît donc comme plus sacrilège encore que le propos. Comme l’a montré Anne Ubersfeld dans Le Roi et le Bouffon (page 153 de l’édition de 2001), « C’est toute une conception de l’art qui est condamnée. Ce que l’on refuse, c’est un ensemble de provocations qui mettent en cause les différents codes littéraires du temps sous le triple aspect de la moralité, des habitudes littéraires, des bienséances historiques. ». 

 

Humiliation du roi : Ango, ou l’homme du peuple terrassant le roi

Les audaces de Victor Hugo dans Le roi s’amuse vont être dépassées par Pyat et Luchet, dont le drame Ango est représenté pour la première fois sur le théâtre de l’Ambigu-Comique le 29 juin 1835 : Ango représente François Ier sous les traits les pires que l’on puisse imaginer. Le portrait dressé du roi est exclusivement à charge.

La composition même de la pièce suggère que les auteurs font découvrir aux spectateurs les coulisses de l’histoire, celles-là mêmes auxquelles on ne prête pas attention d’ordinaire, subjugué que l’on est par le faux éclat de la mise en scène officielle, au service de la propagande royale. Or tout un jeu de mise en scène happe le spectateur vers autre chose que la scène habituelle. Ainsi le crieur est entendu avant le début de la première scène de la pièce, « avant le lever du rideau ». De même, le tableau de Léonard de Vinci représenté au troisième acte est-il hors de vue du spectateur : « Il lui fait voir la toile que ses élèves ont apportée et qui est accrochée dans la coulisse hors de vue du spectateur » (acte III, scène V). Ce débordement de la pièce sur le hors-scène suggère au spectateur, par analogie, qu’on ne lui montre pas tout dans l’Histoire officielle, et cette pièce est censée révéler ce qui est celé : la grandeur de l’homme du peuple et la faiblesse du roi. C’est pourquoi la pièce comporte, à l’issue des cinq actes, un épilogue destiné à donner à ce drame la portée d’un apologue. Léonard de Vinci a le dernier mot (avant le chœur) : « Quel est donc le grand homme ici, du roi ou du matelot ? ». Cette  question, évidemment rhétorique, nous invite à relier ce drame de Pyat et Luchet à la question du grand homme dans l’œuvre de Hugo, telle que l’analyse Franck Laurent dans le centième numéro de Romantisme en 1998 (p. 88) : « La question du grand homme paraît donc subir un complet « changement d’horizon » : de la fascination à la condamnation du grand individu historique, de la grandeur d’un seul à celle de tous, approchée sinon exprimée par celle des génies, des proscrits et des petits ». Or Pyat et Luchet substituent au grand homme loué par Brantôme (le roi, François Ier) un homme qui ne cesse de se présenter malgré sa richesse comme homme du peuple, le marin Ango, traité comme un proscrit par le roi et auquel il n’hésite pas à désobéir pour sauver l’honneur de la France face au Portugal, en préparant une expédition imposant réparation. Pour les spectateurs de 1835, il peut y avoir une résonance avec l’expédition menée en 1831 pour contraindre à réparation le gouvernement portugais, après que des ressortissants français eurent été malmenés.     

Le roi est d’autant plus discrédité qu’Ango le supplante en tant que protecteur des arts. Le décor des actes III et IV consiste en une « salle de la renaissance » qui est achevée entre les deux actes. Ainsi est donnée l’image d’une époque d’intense production artistique, mais l’originalité de la pièce consiste dans la dépossession, au détriment du roi et au profit d’Ango, de son rôle de protecteur des arts :

 

« En vérité, c’est une honte, comte de Furstemberg ; ce marchand me fait rougir et m’humilie, il m’écrase. Il a un palais beau comme Chambord et plus fort que Vincennes… Des peintres que j’avais demandés à ma cour n’y sont pas venus, parce qu’il les payait plus que moi ; des statuaires ont laissé mes royales galeries encombrées de blocs informes, parce que le marchand Ango avait la fantaisie de voir sa face et son blason sculptés en marbre. »[lii]

 

La honte est redoublée, en présence du comte de Furstemberg, ambassadeur de Charles Quint, le grand rival politique de François Ier. François Ier, en revanche, est représenté comme le persécuteur des auteurs[liii] : dès l’ouverture de la pièce, Dolet et Marot déplorent la censure dont ils sont victimes. La vision d’un François Ier prince de la Renaissance est battue en brèche : « François Ier va me condamner au feu pour un papier imprimé… et ils appellent ce roi le restaurateur des lettres ! » (Dolet, acte I, premier tableau, scène VI). L’imprimeur est condamné au bûcher sans regret par un roi uniquement préoccupé par la fête qui se prépare, et où il brûle d’impatience de voir la femme d’Ango : le mari est arrêté et emprisonné un temps par l’Inquisition pour permettre au roi de séduire sa femme. Le goût du roi pour la poésie sauve-t-il ce portait accablant ? François Ier ne veut pas que l’on mette à mort  « le poète Marot, parce que nous sommes poètes tous deux, et que… l’on pourrait m’accuser de jalousie… » (acte I, scène V). Le roi se considère comme poète, mais aucun de ses vers n’est cité dans ce drame, comme si aucun n’en valait la peine, pas même le fameux distique repris dans tant de pièces. Clément Marot raille dès l’ouverture de l’œuvre la réputation de poète de François Ier : « Pour ce qui est de ces vers-là, l’ordonnance est convenable. Je me soucie des vers de roi, comme du vin d’Argenteuil ». Toute prétention du souverain à se faire passer pour poète est rangée de ce fait au rang des affirmations d’un être infatué.

Dans la pièce, le roi est un séducteur invétéré, sans honneur et sans scrupules. L’absence d’honneur du roi se traduit par sa lâcheté face à Ango au moment, où l’homme du peuple veut croiser le fer avec le roi : François Ier s’évanouit (acte V). Ango raille l’absence de courage du roi dans le duel, seul à seul. Ango, en revanche, n’a pas peur de la mort, tout comme la femme de Furstemberg ou Marie, femme d’Ango, qui absorbent du poison contenu dans la bague offerte par François Ier.

Cette représentation d’un François Ier lâche a obtenu un succès de scandale et déclenché les foudres de la presse. Or le contexte va jouer contre cette pièce, interdite à la suite de l’attentat de Fieschi contre Louis-Philippe (28 juillet 1835) et du rétablissement de la censure (septembre).

La Monarchie de Juillet cherche à stabiliser son pouvoir, et cela se traduit, sur scène, par la volonté de réhabiliter François Ier : Casimir Delavigne, proche du régime, va œuvrer en ce sens.

 

Relever le roi : Don Juan d’Autriche, l’anti- Ango ou la réhabilitation de François Ier

François Ier n’est pas un personnage présent sur scène dans la comédie de Casimir Delavigne Don Juan d’Autriche ou la Vocation,  représentée avec succès au Théâtre-Français à partir du 17 octobre 1835. Toutefois, François Ier est un personnage qui hante la pièce, du début à la fin : or le royal absent ressort revalorisé de la représentation, et comme réhabilité après avoir été montré ridicule et odieux dans Ango, quelques mois auparavant. Proche de Louis-Philippe, Casimir Delavigne a su redorer l’image écornée du prédécesseur du souverain en place : dans sa pièce, les aspects monstrueux sont concentrés dans le caractère du roi Philippe II, alors que François Ier est le héros de Don Juan, fils caché de Charles Quint.

Les exploits au combat de François Ier inspirent des « fantaisies militaires » au jeune Don Juan : le vainqueur de Marignan est érigé en personnage épique, au même titre que les personnages de romans de chevalerie. A son sujet, Don Juan pourrait évoquer « des choses qui tiennent du roman, bien qu’elles soient de l’histoire », selon la formule qu’il emploie à la troisième scène du second acte pour désigner à Dona Florinde ce qui s’est passé chez Don Quexada, et qu’il croit à son profit.

Un dialogue entre Don Juan et le vieux Raphaël, extrait de la quatrième scène du premier acte, révèle à quel point François Ier ressort grandi de cette comédie, après avoir été mis à mal par tant d’œuvres dramatiques depuis Roederer :

 

               RAPHAEL

je ne me souviens pas que l’amour m’ait fait manquer un tour de garde, pas même après la bataille de Pavie, quand nous faisions rafle sur les Milanaises ; et cependant, je vous jure qu’à notre départ, les innocentes filles de ce pays-là ne pouvaient pas dire comme notre royal prisonnier : Tout est perdu, fors l’honneur !

        DON JUAN

Ah ! tu cites le mot d’un homme dont je raffole, moins encore pour ses qualités que pour ses défauts. Il aimait, celui-là !

        RAPHAEL

Et il se battait comme un lion, capo di Dio !

        DON JUAN

Tu te souviens de ton italien. »      

 

Ce passage illustre à merveille le processus de revalorisation de la personne de François Ier auquel procède Casimir Delavigne dans cette comédie. Alors que dans Hernani « Vous êtes mon lieu superbe et généreux », que Mlle Mars devait dire au personnage d’Hernani, s’adresse à un bandit, François Ier, dans Don Juan, mérite cette comparaison : c’est le personnage impétueux, intrépide, sans calculs, le héros que rêve de devenir Don Juan[liv]. De manière habile, les défauts du roi sont portés à son crédit : il en va de même de sa défaite de Pavie, glorieux corollaire de sa victoire de Marignan, puisqu’à la bravoure François Ier joint le sens de l’honneur. La rustrerie des troupes victorieuses de Charles Quint forme contraste avec la grandeur du vaincu : Raphaël et ses compagnons n’ont pas la galanterie du personnage de François Ier se faisant passer pour Nemours dans François Ier à Chambord et clamant son attachement aux valeurs de la chevalerie héritées de Bayard lorsque l’honneur d’une dame est menacé. Nouveau chevalier sans peur et sans reproche à l’image de son modèle, le noble roi se fait le protecteur de la belle Milanaise, comme nous l’avons vu. Dans Don Juan, ou la Vocation, Delavigne renoue avec la représentation glorieuse d’un roi chevalier, et, lorsqu’il fait citer François Ier par Raphaël, il n’hésite pas à recourir à la formulation originale : l’archaïsme de la préposition (« fors ») suggère au spectateur du Théâtre-Français l’intention de livrer l’image traditionnelle et authentique du vainqueur de Marignan, alors que ce roi vient d’être représenté de manière grotesque et tout à fait contraire à l’Histoire sur la scène du théâtre de l’Ambigu-Comique, où le spectacle s’adresse à un public moins cultivé, d’où la formulation « Tout est perdu, excepté l’honneur »[lv] dans la bouche d’Ango, l’homme du peuple.  

Reproche-t-on à François Ier d’avoir sans cesse combattu, et de s’être livré de manière excessive aux plaisirs ? Don Juan reprend à son compte cet hédonisme mâtiné de rêves épiques : « il n’y a que trois choses dans la vie : la guerre, les femmes et la chasse ». Or le souvenir de François Ier est associé à ses combats en Italie, terre de la passion : ainsi s’explique le fait que Don Juan relève l’expression italienne employée par Raphaël, le vieux serviteur.

L’attachement de Don Juan envers François Ier suscite au troisième acte (scène XIV) une joute verbale avec Frère Arsène, dont il ignore alors qu’il est Charles Quint, son père. Don Juan soutient que Charles Quint est le plus grand homme de son siècle « après François Ier ». Après un temps d’irritation, frère Arsène apaise la situation : « Je comprends qu’à vingt ans on préfère François Ier, et qu’on aime mieux Charles Quint à quarante ».

Porté par les valeurs de la chevalerie et de l’amour, François Ier est présenté comme un personnage romantique, sans conscience du danger, qu’il méprise : « Voilà justement un moyen à la François Ier », s’exclame Frère Arsène lorsque Don Juan (dans lequel il y a du Don Quichotte) se déclare prêt à combattre quiconque s’opposera à sa libération : «  tenez pour certain que je serai libre avant une heure, quand je devrais livrer bataille à tous les frères de toutes les congrégations d’Espagne »[lvi].

Un passage a une forte portée symbolique : lorsque Charles Quint remet à Don Juan l’épée de François Ier (prise, par droit de victoire), à la scène XXI de l’acte III.

Le dénouement est celui d’une comédie : tout finissant bien, Frère Arsène (alias Charles Quint) peut s’amuser de l’admiration de Don Juan pour son rival. Lorsque son fils se dit « le fils du plus grand homme que le siècle ait produit », Frère Arsène ajoute, « souriant » : « Après François Ier » (scène finale)[lvii].

 

Par la revalorisation accordée au personnage de François Ier, Casimir Delavigne donne une portée idéologique à sa pièce, qui n’est pas une simple comédie de divertissement, ou un pur drame sans enjeu autre que soutenir l’attention du spectateur[lviii]. Une certaine lecture pourrait l’assimiler à une riposte aux républicains, dans leur tentative de jeter le discrédit sur le pouvoir royal à travers une représentation grotesque de François Ier. En effet, et François Ier et Charles Quint sortent grandis de la pièce… au détriment, certes, de Philippe II, mais qui se laisse fléchir : c’est une nécessité en vertu de la logique dramatique, afin d’obtenir un dénouement heureux, mais c’est aussi une nécessité au regard de l’idéologie défendue par Casimir Delavigne, celle d’un attachement à une royauté qui se veut modérée, malgré le rétablissement de la censure.     

 

La comédie de Delavigne illustre de manière hyperbolique un aspect paradoxal de la représentation de François Ier à la fin de la Restauration et sous la Monarchie de Juillet : ce roi est montré dans la plupart des œuvres comme un être infâme, mais a tendance à être valorisé dans les pièces où il n’apparaît pas sur scène. Dans André del Sarto, il est  le grand roi, le mécène qui commande des œuvres au personnage éponyme[lix] et se trouve ainsi associé au siècle de Raphaël[lx]. Dans Lorenzaccio, François Ier, dans sa lutte contre Charles Quint, apparaît comme un refuge pour Pierre Strozzi et les républicains[lxi].

 

Avec Hugo, François Ier devient donc un personnage de drame sur la scène de la Monarchie de Juillet, alors qu’il est auparavant un personnage de comédie et d’opéra-comique. Le genre théâtral choisi pour représenter le souverain a des incidences majeures sur cette représentation. Dans le cas d’un roi présenté comme léger, frivole, jouisseur, les genres comiques n’excluent pas une représentation du souverain qui le rendent sympathique, malgré ses défauts. Le dénouement heureux, favorisé par la clémence du roi, contribue à donner une image de grandeur du personnage, malgré les situations parfois peu à son avantage où l’a vu le spectateur auparavant. De plus, le roi rit de ses mésaventures : en cela, il se fait le familier du spectateur par la raison qu’il se constitue en double de ce même spectateur, leur source de distraction étant identique (les mésaventures du roi). Cette analyse exclut cependant la comédie (livresque) Le Diamant de Charles-Quint, car Roederer compose une pièce uniquement à charge, avec toute l’ardeur de celui qui cherche à transformer l’image livrée par les œuvres dramatiques précédentes. En ce qui concerne l’opéra-comique, l’insouciance et la frivolité de François Ier apparaissent en adéquation parfaite avec une forme lyrique associée à la légèreté. Le personnage de François Ier, tel qu’il est représenté dans les genres comiques et/ou lyriques s’intègre donc parfaitement aux thèmes communs et à la tonalité de ces genres.

En revanche le passage au drame suppose un dénouement moins heureux, et la présence de tonalités plus sombres. Le dénouement tragique de La mort de François premier et du Roi s’amuse rend monstrueuse la légèreté du roi dans les premiers actes. Hugo pousse l’incurie du roi à l’égard de ses victimes jusqu’au viol de Blanche dans le troisième acte. Aussi le drame romantique fait-il passer François Ier du statut de personnage léger, volage, insouciant à celui de personnage monstrueux, brutal, pervers. François Ier n’apparaît plus dans un « nuage d’encens »[lxii] : cette radicalisation dans la représentation d’un être mauvais, d’autant plus nuisible que son pouvoir semble absolu, peut nous apparaître à juste titre comme l’aboutissement amplifié mais logique de la désacralisation de ce souverain entamée sur scène dès le début du XIXe siècle. La désacralisation du roi mène à la légende sombre d’un individu semant le malheur, puisque le roi est responsable des dénouements malheureux. Aussi le drame romantique donne-t-il l’image la plus corrosive possible d’un être qui n’est plus humain, trop humain (dans le cas d’un roi volage, dont la conduite serait sans grande conséquence dans un contexte généralisé d’aventures galantes), mais totalement inhumain. Seule la représentation d’un François Ier réellement amoureux aurait pu en faire un personnage romantique : or cette voie n’est pas suivie sur scène par les romantiques.

Paradoxalement, moins François Ier est représenté comme un personnage assumant des responsabilités politiques, plus la représentation peut être perçue comme étant une charge politique, donnant à lire et à voir un tyran qui s’ennuie, s’amuse, fait souffrir, fait mourir (sans même s’en rendre compte, parfois) et meurt, châtié par un homme du peuple.

De La mort de François premier à Ango, en passant par Le roi s’amuse se laisse percevoir en effet le fantasme de tuer le roi. Les attentats contre Louis-Philippe en 1832 et en 1835 ont tenté de traduire en acte ce fantasme, amplifiant la portée des drames.

 

 

CONCLUSION 

Le seizième siècle a donc été représenté au théâtre sous des formes très variées. Si Dumas explore la voie du drame « extra-historique » avec Catherine Howard (1834), Hugo revendique une perspective historique dans sa représentation du seizième siècle. Cela ne signifie pas pour autant que le drame hugolien se contente d’une mise en scène du passé tel que les historiens l’ont présenté : dans une note de la préface de Cromwell, Hugo prévient qu’« il faut se garder de chercher de l’histoire pure dans le drame, fut-il historique. Il écrit des légendes et non des fastes. Il est chronique et non chronologique » (note VIII de l’édition originale). Hugo n’écrit pas de drame historique au sens strict, mais des drames qui éclairent le présent à la lumière du passé, conformément à l’idéal de drame présenté dans la préface de Marie Tudor : « ce serait le passé ressuscité au profit du présent ; ce serait l’histoire que nos pères ont faite confrontée avec l’histoire que nous faisons ». Ce faisant, il est amené à mettre en scène un seizième siècle sombre, comme « la silhouette noire de Padoue au seizième siècle » évoquée dans la didascalie initiale d’Angelo, tyran de Padoue.


[i] Théophile Gautier, Correspondance générale 1843-1845, éditée par Claudine Lacoste-Veyssière, tome II, sous la direction de Pierre Laubriet, Librairie Droz, Genève-Paris, 1986, p. 41. Nerval répond à cette lettre le 14 août 1843.

[ii] Cet article a été réimprimé dans L'Evénement du 27 mai 1850 lors de la reprise d'Angelo par Mademoiselle Rachel.

[iii] Le personnage de Benvenuto Cellini est alors à la mode. Musset le fait intervenir dans une scène supprimée de Lorenzaccio et Dumas note dans les didascalies figurant en tête de L'alchimiste : « Un riche magasin de ciseleur au seizième siècle, comme on se représente celui de Benvenuto Cellini. ». En 1852, le Benvenuto Cellini de Meurice, écrit en collaboration avec Dumas (non nommé), drame en cinq actes et huit tableaux, est représenté au théâtre de la Porte-Saint-Martin.

[iv] Michel-Ange.

[v] Article cité par Françoise Court-Pérez dans Théophile Gautier, Victor Hugo (choix de textes, introduction et notes par Françoise Court-Pérez), Honoré Champion, Paris, 2000, p. 85.

[vi] Stendhal, Racine et Shakspeare, L'harmattan, 1993, p. 2.

[vii] Stendhal, op. cit., p. 41.

[viii] Cet acte a été publié, avec introduction et commentaire, par J. F. Marshall en 1952 dans Illinois Studies in language and literature, vol. XXXVI, n°4, The University of Illinois Press, Urbana.

[ix] Voltaire a composé Alzire ou Les Américains (1736) et Piron Fernand Cortés, conquérant du Mexique (1744).

[x] Auteur de Pizarre, ou la conquête du Pérou (1802), Pixérécourt donne en effet en 1815 Christophe Colomb. Lemercier a déjà fait représenter en 1809 sa « comédie shakespearienne » Christophe Colomb.  

[xi] Sur la relation entre drame romantique et Europe, voir la thèse de Franck Laurent Le territoire et l'océan. Europe et civilisation, espace et politique dans l'ouvre de Victor Hugo des Orientales au Rhin (1829-1845) et ses articles « Victor Hugo et l'Europe : la poétique des deux infinis » (Revue des Sciences humaines, n° 231) et « Le drame hugolien : « Un monde sans nation ? » » (in Le Drame romantique. Rencontres de dramaturgie  du Havre. Actes du colloque, Editions des quatre-vents, 1999)

[xii] Musset, La Confession d'un enfant du siècle, Paris, Gallimard, «Folio classique », 1973, p. 24-25. 

[xiii] L'assimilation du poète romantique à Christophe Colomb est explicitement faite au sujet de Lamartine par Théophile Gautier dans un article du Journal officiel (8 mars 1869) : «  Ce volume fut un événement rare dans les siècles. Il contenait tout un monde nouveau, monde de poésie plus difficile à trouver peut-être qu'une Amérique ou une Atlantide. Lamartine surnageait sur des mers inconnues et il en revenait vainqueur comme Colomb : il avait découvert l'âme. » (article reproduit dans Souvenirs romantiques, recueillis par A. Boschot, Garnier, 1927, et cité  in Lamartine, Choix de poèmes lyriques, présentés et annotés par Thérèse Van der Elst, Hatier, Paris, 1957, p. 7).

[xiv] Musset, Le Comte d'Essex, in Théâtre complet, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1990, p. 773. Comme le fait remarquer Simon Jeune, les quinze changements de décors que suppose ce drame (dont cinq pour le seul cinquième acte) permettent de supposer que le plan a été conçu par Musset dans sa jeunesse.

[xv] Dans Notre-Dame-de-Paris (I, III), Hugo évoque l'  « esprit qui animait le père Du Breuil lorsqu'il écrivait dans le seizième ces paroles naïvement sublimes, dignes de tous les siècles : « Ie suis parisien de nation et parrhisian de parler, puisque parrhisia en grec signifie liberté de parler : de laquelle i'ai vsé mesme enuers messeigneurs les cardinaux, oncle et frère de monseigneur le prince de Conty : toutes fois auec respect de leur grandeur, et sans offenser personne de leur suitte, qui est beaucoup. » ». 

[xvi] « Vive-Dieu ! nous avons pour le père avec joie

Usé plus d'un pourpoint de fer, et non de soie !

Marquis, allez au fils, montrez vos cheveux gris,

Et pour tout plaidoyer dites : Ventre-Saint-Gris ! » (Marion de Lorme, acte IV, scène première)

[xvii] Stendhal, op. cit., p. 41.

[xviii] Paris, Champion, 1998.

[xix] Thèse de doctorat, Paris III-Sorbonne nouvelle, 1994.

[xx] Victor Hugo, William Shakespeare, in Ouvres complètes : Critique, Robert Laffont, Paris, 1985, p. 283.

[xxi] Victor Hugo, William Shakespeare, in Ouvres complètes : Critique, Robert Laffont, Paris, 1985, p. 384.

[xxii] Le topos du roi victorieux est répété à satiété :

« Vive François

   Vainqueur de l'Italie !.

Ce monarque par ses exploits

Est la gloire de la patrie » (acte I, scène IX)

[xxiii] Le choix initial date de 1518 (voir Alain Croix et Jean Quéniart, De la Renaissance à l'aube des Lumières, tome 2 de l'Histoire culturelle de la France, Seuil, Paris, 1997, p.117).

[xxiv] « On remarque de toutes parts des préparatifs pour une fête brillante » au second acte. A la dernière scène, une foule de personnages porte des flambeaux et le « château paraît illuminé ».

[xxv] Voir à ce sujet Roland Balmy d'Avricourt, « Le siècle de François Ier vu par les peintres de l'école romantique », Bulletin des musées de France, VIII, 1934, p. 168-170 ; Janet Cox-Rearick, « Imagining the renaissance : The Nineteenth Century Cult of Francis I as patron of Art », Renaissance Quaterly, L, 1997,          p. 207-250 ; Catherine Arminjou, « François Ier : une légende pour les artistes du XIXe siècle », in De l'Italie à Chambord. François Ier et la chevauchée des princes, Paris, Samogy, 2004, p. 137-146 ; et Pierre-Gilles Girault, « L'image de François Ier des galeries royales aux Salons parisiens, 1610-1899 », in François Ier, images d'un roi, de l'histoire à la légende, P.-G. Girault, Paris, Samogy, 2006, p. 30-41.

[xxvi] D'après Le Constitutionnel (21 mars 1830).

[xxvii] « Le théâtre représente une galerie richement décorée » au premier acte. « Le théâtre représente les jardins du château, dont la façade occupe le fond de la scène » au second acte. Le bal organisé suggère l'atmosphère galante de la cour du vainqueur de Marignan.

[xxviii] Roederer, avant-propos, p. VIII.

[xxix] Roederer a fait construire un théâtre sur son domaine : il y fait représenter devant un public confidentiel des ouvres classiques, mais aussi ses propres productions dramatiques (Voir Thierry Lentz, Roederer, préface de Jean Tulard, Editions Serpenoises, 1989, p. 194. 

[xxx] « On déclame cela comme du mélo ».

[xxxi] Voir l'article de Daniele Maira, « ''L'infâme crapule avec sa détestable escorte'' : la figure de François Ier dans l'ouvre de Roederer », à paraître dans les Actes du colloque « L'Historiographie romantique » (colloque tenu les 7 et 8 décembre 2006 à Paris XII).

[xxxii] Rappelons que le titre complet de l'ouvrage en deux tomes publié en 1825 par Roederer sur Louis XII et François Ier est Louis XII et François Ier, ou Mémoires pour servir à une nouvelle histoire de leur règne ; suivis d'appendices comprenant une discussion entre M. le comte Daru et l'auteur, concernant la réunion de la Bretagne à la France.

[xxxiii] Avant-propos, p. 309-313.

[xxxiv] Aubert de La Chesnaye Desbois, Dictionnaire historique des mours, usages et coutumes des François, Paris, Vincent, 1767, tome II, p. 232 (article « FRAN†OIS »).

[xxxv] Roederer, avant-propos, p. XI-XII.

[xxxvi] Roederer choisit un exemple qui dévalorise François Ier, car il suppose l'absence de scrupule du père, le roi faisant courir le bruit que la mort de son fils, le Dauphin, a été provoquée par un empoisonnement et faisant écarteler Montecuccoli en le sachant innocent : « Pour faire accuser l'Empereur et exciter contre lui la haine publique dans un moment où il était près d'envahir la France, et où le roi, tombé dans la désaffection de ses peuples, se trouvait dans une situation désespérée. Ruse de guerre : voilà tout ! » affirme le comte de Bossu à Le Peloux (scène première).

[xxxvii] Dans une note à la fin de la première scène du troisième acte : « Voir pour les détails de ce dernier voyage du roi, les Mémoires de Dubellay, Livre X, dont ces vers ne sont qu'un assez mauvais abrégé. » (Félix Arvers, Mes heures perdues, Slatkine Reprints, Genève, 1973 [Réimpression de l'édition de Paris, Fournier jeune, 1833], p. 258).

[xxxviii] Acte I, scène III, vers 345. « La dernière campagne / A fait monter bien haut le roi François premier »  insiste Don Ruy Gomez (vers 348-349).

[xxxix] Le titre initial de la pièce est Le roi s'ennuie.

[xl] Au contraire du goût pour la boisson du soldat joué par le comte Almaviva dans Le Barbier de Séville : le seigneur profite de son apparence avinée pour tourner en dérision le nom de son hôte, Bartholo.

[xli] Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, Les Mémorables, Plon, 1985, p. 508.

[xlii] Anne Ubersfeld, op. cit., p.10.

[xliii] Si François Ier n'est pas dans Le roi s'amuse le fondateur ou zélateur des « bonnes lettres » évoqué par Amyot ou Pasquier, ce n'est pas non plus le protecteur des sciences dont parle le Dictionnaire historique d' Aubert de La Chesnaye Desbois en 1767. Alors que Marguerite de Navarre, sa sour, veut l'entourer de savants, le roi exprime à Triboulet l'absence d'intérêt qu'ils éveillent en lui : « Je m'en soucie autant qu'un poison d'une pomme » (acte I, scène IV, vers 214). La trivialité du langage a choqué, comme a pu choquer la vulgarité de la pensée exprimée.

[xliv] « Etre empereur, mon Dieu ! j'avais trop d'être roi !

       Certe, il n'est qu'un mortel de race peu commune

       Dont puisse s'élargir l'âme avec la fortune.

       Mais, moi ! qui me fera grand ? qui sera ma loi ?

     Qui me conseillera ? »

[xlv] Remarquons que la comédie-vaudeville en un acte Marguerite de Navarre et Clément Marot, de V. Lottin de Laval, représentée pour la première fois sur le Théâtre de l'Ambigu-Comique le 8 septembre 1832, comporte semblable évocation d'amours ancillaires, dans la bouche de Chicot, le bouffon : « au fait, ça s'est vu, une princesse aimer un valet ; car, après tout, un valet est un homme, disait toujours Mme d'Angoulême, la mère du roi, et la vieille dame sans doute, croyait fort au proverbe, car elle n'en prenait que de beaux et bien gaillards ?. » (scène V).

[xlvi] Les 5 et 6 juillet 1832, les funérailles du général Lamarque ont donné lieu à un soulèvement des républicains.

[xlvii] Cette interférence du contexte politique sur la réception du drame de Hugo est  évidente lorsqu'on lit la presse de l'époque. Ainsi, Le Constitutionnel ne rend compte du Roi s'amuse que dans l'article assassin du 25 novembre 1832, alors que l'édition du  mercredi 21 novembre 1832 est en partie consacrée à l'attentat contre Louis-Philippe.

[xlviii] Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, p. 506

[xlix] Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, p. 503. Lorsque Bocage veut démissionner deux jours après, Hugo lui rappelle : « Votre tort a été de ne pas me croire, je vous avais prévenu, François Ier est une figure de second plan, en outre c'est un rôle répandu sur toute la pièce, qui n'est pas concentré dans un seul acte, comme le Louis XIII de Marion » (ibid.).

[l] LA COMTESSE

Quel abîme caché sous les fleurs ! 

  LE COMTE

Celui où s'engloutit la sagesse des femmes et l'honneur des hommes. La cour d'aujourd'hui n'est plus celle d'autrefois. Les vertus austères sont descendues dans le cercueil avec notre bien-aimé Louis-Douzième.

LA COMTESSE

Et vous croyez que notre sire François Ier, son successeur. Ah ! Monseigneur, qu'osez-vous penser ?»

                                                               (acte premier, premier tableau)

  [li] Voir Anne Ubersfeld, Le Roi et le Bouffon. Etude sur le théâtre de Hugo de 1830 à 1839, José Corti, 2001, p. 183-184. 

[lii] Acte IV, scène II.

[liii] Dans Marguerite de Navarre et Clément Marot (1832) de V. Lottin de Laval, Chicot évoque la censure imposée par François Ier : « il est si bon, si généreux, notre roi. Dire qu'il se contente de faire mettre à la Bastille des gens qui se permettent de penser ! d'exiler ceux qui disent que les impôts ruinent la France, et seulement de faire pendre les coquins d'esprits forts qui osent l'écrire.. Oh ! qu'il est généreux notre roi !. » (scène II).

[liv] Aussi demande-t-il à son frère qui se fait passer pour le comte de Santa Fiore deux faveurs : se marier et devenir soldat (acte I, scène X ).

[lv] Acte II, scène IV.

[lvi] La réaction de Peblo nous plonge en plein univers rabelaisien :  « Dieu ! quel carnage de capuchons ! ».

[lvii] L' « Examen critique de Don Juan d'Autriche » par Prosper Poitevin prolonge l'éloge de François Ier, tout en le nuançant : « François Ier, qui a mérité le glorieux surnom du Père des lettres, ne fut certainement pas celui de la comédie ; car peu s'en faut qu'il ne l'ait étouffée au berceau. ».

[lviii] Comédie ou drame ? Le débat agite la presse dramatique.

[lix] Montjoie, envoyé du roi de France, vient récupérer les ouvres que François Ier a chargé André del Sarto d'acheter pour lui (acte III, scène II). Ce rôle a été supprimé dans la version scénique définitive, sans doute parce que la scène avait suscité le rire des spectateurs, se gaussant de la copie de la toile du Corrège portée sur la scène de la Comédie-Française en novembre 1848.

[lx] S'étant aperçu que dans la version initiale il avait évoqué la mort de Michel-Ange (décédé en 1564, trente-trois ans après Andrea del Sarto, mort en 1531), Musset a remplacé dans la version scénique Michel-Ange par Raphaël (mort en 1520) lorsque c'était nécessaire.

[lxi] A la scène VI de l'acte IV, Pierre tente en vain d'obtenir de Philippe Strozzi qu'il se rallie à François Ier : « Nous ne pouvons nous passer de vous ; sachez-le, les confédérés comptent sur votre nom. François Ier lui-même attend de vous un mouvement en faveur de la liberté. Il vous écrit comme au chef des républicains florentins ; voilà sa lettre. ». Philippe rejette l'offre, refusant de porter « les armes contre son pays ». 

[lxii] « Jeune prince merveilleusement éduqué par sa mère, Roi Très Chrétien doté de toutes les vertus ou imperator invincible et tout-puissant, François Ier, dans l'attente de l'héritage puis dans la première partie de son règne, aura vécu - et avec lui le lecteur de ces pages - dans un perpétuel nuage d'encens. » (Anne-Marie Lecoq, op. cit., « Epilogue », p. 490).