Patrice Boivin : L'écriture des tables - Le «Livre des tables» : matériaux disponibles pour une édition critique, entre convictions et incertitudes

Communication au Groupe Hugo du 20 juin 2009
Ce texte peut être téléchargé, dans la mise en page de son auteur, au format pdf
 
NDLR. Cette communication doit être lue, et corrigée, à la lumière de l'étude ultérieure de Jean-Claude Fizaine: « Un manuscrit inédit de Xavier Durrieu: les séances de Table chez Leguével ».


 

Mon projet consiste à établir une Édition critique du Livre des Tables, élaboré à Jersey entre septembre 1853 et octobre 1855. Pour cela, je m’appuie sur deux manuscrits originaux conservés à la B.N.F., rue de Richelieu, dont l’un d’entre eux est inédit, et sur des procès-verbaux, conservés à la Maison de Victor Hugo, originaux également, dont certains, là aussi, n’ont jamais été étudiés. Ces deux types de matériaux, supports indispensables, posent d’emblée plusieurs problèmes. Avant de définir ceux-ci, il convient de situer le contexte précis de l’élaboration de ces cahiers en nous replaçant dans les premiers jours de septembre 1853. Une période qui, pour Hugo, va décider à la fois de nouvelles orientations littéraires comme d’un nouveau système de pensée, philosophique, métaphysique et religieux.

 

INTRODUCTION

Entre le 11 septembre 1853 et le 8 octobre 1855, Victor Hugo, alors en exil à Jersey, se livre quasi quotidiennement à des séances spirites. Lors de celles-ci, il dialogue avec les esprits les plus illustres, Dante, Caïn, Shakespeare, Molière, Jésus, Platon, Eschyle, Galilée… et les formes les plus abstraites comme l’Ombre du Sépulcre, la Critique, le Drame ou la Mort. Au total, plus d’une centaine d’esprits viendront, par leurs révélations, conforter Hugo dans les intuitions poétiques, philosophiques, religieuses et métaphysiques qui sont les siennes. Ces entretiens sont scrupuleusement notés par les participants qui assistent aux séances des tables. Madame Victor Hugo, Adèle Hugo, Auguste Vacquerie et Victor Hugo en particulier, prennent note, à tour de rôle ou en même temps, sur leurs cahiers personnels ou sur des feuillets libres qui constitueront autant de procès-verbaux, du déroulement des séances et du contenu de celles-ci. La richesse des révélations de la Table, la somptuosité de leur forme et la profondeur insoupçonnable de leur contenu ne devaient pas tomber dans l’oubli mais servir à éclairer le siècle et à nourrir la production hugolienne. Le contenu des révélations s’avérera, en effet, une source directe d’influence des cinquième et sixième livres des Contemplations surtout,  mais aussi de certaines pièces de vers de l’Année terrible, de la Fin de Satan, des Quatre Vents de l’Esprit, de La Légende des siècles, de Dieu ou encore de Toute la lyre.

      Il va alors être question d’élaborer le Livre des Tables et de poser la question de sa publication éventuelle. De poser la question et non de se poser la question. Les révélations faites au cours des séances spirites appartiennent en effet à la Table elle-même. Son droit de propriété intellectuelle est évident et c’est à elle de décider si ses interventions, ses visites et les révélations qu’elle fait doivent être publiées.

 

GENÈSE D’UN TEXTE

En septembre 1853, cela fait désormais treize mois que Victor Hugo est exilé à Jersey. Le 5 août 1852, Hugo débarquait en effet dans l’île anglo-normande en compagnie de Charles Hugo où les accueillaient Madame Hugo, Adèle et Auguste Vacquerie, arrivés eux, le 31 juillet. François-Victor restait à Paris, au désespoir de Hugo, et malgré ses commandements, toujours accroché aux bras de sa maîtresse, Anaïs Liévenne.

Installée jusque-là à l’hôtel de La Pomme d’or, la famille Hugo loge à partir du 16 août à Marine-Terrace. Juliette Drouet avait suivi Hugo dès le 6 août. Résidant d’abord à l’Auberge du commerce à Saint-Hélier, puis à Nelson Hall le 11 août, elle prit le 6 février 1853 un appartement meublé avec vue sur mer et sur la fenêtre de la chambre de Victor Hugo.

À partir du mardi 6 septembre 1853, les jours et les nuits de Hugo vont vite prendre un tour nouveau. Delphine de Girardin débarque en effet au petit matin au port de Saint-Hélier.

À peine arrivée à Marine-Terrace, Delphine de Girardin commenta les séances de tables tournantes auxquelles elle s’était déjà livrée. Hugo fut immédiatement intéressé. Les Châtiments étaient achevés et il n’était pas encore plongé dans la composition de grands poèmes.

« À vrai dire, note Jean Gaudon[1], il est difficile de déterminer si les Tables ont pour effet de combler un vide ou de le créer, si la fréquentation des esprits diminue la propension de Hugo au vertige, ou si, au contraire, elle l’aiguise. »

Delphine de Girardin va très vite initier Hugo et les siens à cette « science nouvelle » venue des États-Unis.

Hugo n’ignorait pas que le spiritisme venait d’agiter le continent nord-américain, notamment à travers l’expérience des sœurs Fox qui affirmaient correspondre avec les esprits par un code de claquement de doigts.

 La pratique du spiritisme au XIXe siècle constitue presque le prolongement des salons littéraires mais ce sont désormais les « esprits » qui parlent au cours des séances des tables tournantes. La formule, usuelle à l’époque, est toutefois impropre. Les tables ne tournent pas. Elles se meuvent, s’agitent, se soulèvent, frappent le sol, répondent et parlent mais ne tournent pas vraiment sur elles-mêmes.

Dès le 6 septembre, Delphine de Girardin essaya de faire bouger une table de la salle à manger de Marine-Terrace. Auguste Vacquerie, dans Les Miettes de l’histoire, décrit de manière très précise le déroulement de cette première tentative. Celle-ci est rapportée de manière similaire dans un ensemble de notes inédites de la main de Paul Meurice[2] :

 

Était-ce sa mort prochaine qui l’avait tournée vers la vie extra-terrestre ? Elle était très préoccupée des tables parlantes. Son premier mot fut si j’y croyais. Elle y croyait fermement, quant à elle, et passait ses soirées à évoquer les morts. Sa préoccupation se reflétait, à son insu, jusque dans son travail : le sujet de la Joie fait peur, n’est-ce pas un mort qui revient ? Elle voulait absolument qu’on crût avec elle, et, le jour même de son arrivée, on eut de la peine à lui faire attendre la fin du dîner, elle se leva dès le dessert et entraîna un des convives dans le parlour[3] où ils tournèrent une table, qui resta muette.[4]

 

Madame de Girardin rejeta la faute sur la table dont la forme carrée contrariait le fluide. Dès le lendemain, elle se rendit dans un magasin de jouets pour enfants de Saint-Hélier, une sorte de bazar où l’on pouvait tout trouver et en rapporta une table ronde à trois pieds.

Le soir venu, l’expérience fut renouvelée en appliquant le protocole d’usage. Il fallait former une chaîne de doigts, hommes et femmes alternés, poser une seule question précise à la fois et attendre la réponse sous  la forme de coups frappés. On utilisait alors un code pour décrypter la réponse. Un coup pour un oui, deux coups pour un non, et un nombre de  coups correspondant à la place des lettres dans l’alphabet : un coup pour A, deux coups pour B, huit coups pour H, etc. On pouvait aussi se servir d’une tige que l’on déplaçait sur un alphabet, l’esprit s’arrêtant sur la bonne lettre et frappant un coup. Mais cette formule ne fut pas utilisée à Jersey, les esprits l’ayant rejetée expressément.

La table resta cependant muette. Les soirs suivants, les séances demeurèrent également infructueuses :

 

Ces insuccès répétés ne l’ébranlèrent  pas ; elle resta calme, confiante, souriante, indulgente à l’incrédulité ; l’avant-veille de son départ, elle nous pria de lui accorder pour son adieu une dernière tentative.[5]

 

L’avant-veille de son départ donc, le dimanche soir, 11 septembre 1853,[6] après le dîner, soit dix ans et sept jours exactement après la mort de Léopoldine, dix convives sont présents à Marine-Terrace : Delphine de Girardin, Madame Hugo, Victor Hugo, Charles Hugo, François-Victor Hugo, Adèle Hugo, Le Général Le Flô et son épouse, le comte Henri de Tréveneuc, ami du général, et Auguste Vacquerie. Ce sera ce dernier qui tiendra souvent, en même temps que Hugo, les procès-verbaux minutieux des séances.  

C’est encore Auguste Vacquerie qui décrira ensuite scrupuleusement, mais a posteriori, cette nuit du 11 septembre, confirmée par les notes de Hugo, d’Adèle et de Paul Meurice :

 

Je n’avais pas assisté aux tentatives précédentes : je ne croyais pas au phénomène, et je ne voulais pas y croire. Je ne suis pas de ceux qui font mauvais visage aux nouveautés, mais celle-là prenait mal son temps et détournait Paris de pensées que je trouvais plus urgentes.[7]

 

Auguste Vacquerie tout comme Hugo juge qu’il s’agit là d’une activité politiquement dangereuse. Le gouvernement de Badinguet avait trop intérêt à encourager les diversions, cette religion aux pratiques accaparantes pouvait facilement devenir un « opium des âmes faibles ».[8]

Vacquerie reste tout d’abord simple témoin, vingt minutes s’écoulent sans que rien ne se passe. Puis le bois de la table craque légèrement. Ce craquement se répète et « une des griffes du pied se  souleva ».  Vacquerie est persuadé que le craquement « pouvait être l’effet d’une pression involontaire des mains fatiguées » sur le plateau de la table et décide de passer au rôle d’acteur, il se met à la table avec Madame de Girardin. Le mode de traduction des inflexions de la table lui échappe et les réponses à ses questions le renforcent dans sa perplexité. « Bien des impossibles étaient croyables avant celui-là ; mais j’étais déterminé à douter jusqu’à l’injure. » Quelques instants plus tard cependant, la table tressaille et l’esprit rationnel d’Auguste Vacquerie va s’ouvrir à de nouvelles expériences, toutes plus bouleversantes les unes que les autres :

 

Madame de Girardin dit : – Y a-t-il quelqu’un ? S’il y a quelqu’un et qu’il veuille nous parler, qu’il frappe un coup. La griffe retomba avec un bruit sec. – Il y a quelqu’un ! s’écria Madame de Girardin ; faites vos questions.  On fit des questions, et la table répondit. 

 

Elle répondit tout d’abord à quelques questions « puériles » selon le mot de Delphine de Girardin puis Auguste Vacquerie quitte celle-ci et le Général Le Flô le remplace aux côtés de Charles. On interroge alors la table sur son identité.

 

- Fille.

Le Général Le Flô ne pensait pas à sa fille, Auguste Vacquerie ajoute aussitôt : « A qui est-ce que je pense ? »

- Morte.

Tout le monde pense à la fille que Victor Hugo, qui n’est pas encore intervenu, a perdue.

Madame de Girardin demande :

- Qui es-tu ?

- Ame soror.

 

Plusieurs personnes avaient le triste point commun d’avoir perdu une fille : Le Général le Flô et sa femme, Delphine de Girardin, la famille Hugo. La Table avait-elle dit soror en latin pour dire qu’elle était sœur d’un homme ?

 

- De qui es-tu la sœur ? demande le Général Le Flô.

- Doute.

- Ton pays ?

-  France.

- Ta ville ?

Pas de réponse.

« Nous sentons tous la présence de la morte, note Vacquerie, tout le monde pleure. »

Victor Hugo intervient alors pour la première fois et demande :

- Es-tu heureuse ?

- Oui.

- Où es-tu ?

- Lumière.

- Que faut-il pour aller à toi ?

- Aimer.

À partir de ce moment, les neuf participants sont de plus en plus émus. La Table, comme se sentant comprise, n’hésite plus et répond immédiatement. Madame de Girardin demande : « Qui t’envoie ? »

- Bon Dieu.

Madame de Girardin invite la Table à parler d’elle-même :

- As-tu quelque chose à nous dire ?

- Oui.

- Quoi ?

- Souffrez pour l’autre monde.

- Vois-tu la souffrance de ceux qui t’aiment ? demande, bouleversé, Victor Hugo.

- Oui.

- Souffriront-ils longtemps ? interroge Madame de Girardin.

- Non.

- Rentreront-ils bientôt en France ?

La Table ne répond pas.

Victor Hugo intervient à nouveau et conduit jusqu’à la fin les questions :  

- Es-tu contente quand ils mêlent ton nom à la prière ?

- Oui.

- Es-tu toujours auprès d’eux ? Veilles-tu sur eux ?

- Oui.

- Dépend-il d’eux de te faire revenir ?

- Non.

- Mais reviendras-tu ?

- Oui.

- Bientôt ?

- Oui.[9]

 

Le procès-verbal porte en note finale : « Clos à une heure du matin. » Il convient cependant de préciser que ce procès-verbal fut établi a posteriori. Aucune prise de notes n’eut lieu lors de cette séance. Celle-ci fut relatée plus tard par Auguste Vacquerie et Adèle Hugo, respectivement dans Les Miettes de l’histoire et le Journal de l’exil.

Hugo confiera plus tard à Vacquerie son premier sentiment :

 

Il y a un esprit dans la table, cela est hors de doute. Maintenant, est-ce un esprit indépendant de l’homme, ou est-ce la somme d’esprit des présents qui s’introduit dans le bois ? Est-ce un tiers, ou encore nous-mêmes multipliés par l’émotion ? Qu’importe. Le résultat est immense. Morale, littérature, création, tout abonde en phrases dont une ferait la gloire d’un génie. Les tables sont-elles tout simplement la serre chaude de l’inspiration, un moyen de dégager plus vite et mieux la production du cerveau ? Mais si c’est nous-mêmes plus forts et plus hauts qui nous parlons, comment expliquer les contradictions que les tables donnent parfois à nos croyances ?[10]

 

Qu’importe en effet. Les procès-verbaux des séances spirites ont donné naissance à des œuvres inédites. Littéraires avant tout. Et c’est peut-être tout ce qui nous préoccupe vraiment.

À compter de ce jour et pendant plus de deux années, Victor Hugo, et les  siens, vont se jeter, corps et âme, dans cette quête du grand tout que poursuit Hugo depuis si longtemps.

Claude Roy, dans une préface à La Légende des siècles,[11] note que Hugo a été consacré par Dieu comme le fondateur d’une nouvelle église. Le parcours du poète est en effet marqué par « l’élection par le malheur », c'est-à-dire le deuil et l’exil, et par « l’annonciation par la visitation », c'est-à-dire les tables parlantes.

 Quasi quotidiennement, la table de Marine-Terrace livrera ses secrets, dévoilera des mystères, unira Hugo à La Mort, Jésus, Caïn, Dante, Shakespeare…

Ainsi, l’expérience des séances spirites auxquelles va se livrer Hugo à Jersey, va permettre de le rapprocher chaque jour davantage de cet océan d’en haut, de l’immatérialité du ciel, de l’au-delà et de Dieu. L’exil de Hugo va ainsi devenir métaphysique avant tout.

 

L'ENIGME DES QUATRE CAHIERS

La question de savoir si les interventions de la Table devaient être révélées se posera, nous l’avons vu, dès le début des premiers entretiens.

La réponse sera claire. Le 14 septembre 1853, le Drame dit non. Le 11 décembre 1853, l’Ombre du Sépulcre interdit la publication des procès-verbaux et le 4 janvier 1855, Victor Hugo écrit à Madame de Girardin :

 

Les tables nous commandent le silence et le secret. Vous ne trouverez donc dans Les Contemplations rien qui vienne des tables, à deux détails près, très importants, pour lesquels j’ai demandé permission (je souligne). 

 

Victor Hugo est, lui aussi, convaincu qu’on ne peut pas publier un livre qui serait pourtant « une des Bibles de l’avenir ». Une révélation prématurée aurait ruiné sa ligne politique et aurait été accueillie par « un immense éclat de rire ». Les tables relevaient de l’irrationnel et le risque de discrédit politique s’avérait bien sûr considérable.

Le déroulement et le contenu des séances des tables nous sont toutefois devenus accessibles, plus tard, grâce à diverses sources.

Toutes les séances des tables vont faire, en effet, à partir du lundi 12 septembre 1853 jusqu’au 8 octobre 1855, l’objet de procès-verbaux circonstanciés et détaillés, établis au cours même de leur déroulement. Seule la première séance positive, qui eut lieu le dimanche 11 septembre 1853, fit l’objet d’un procès-verbal établi a posteriori par Auguste Vacquerie et ensuite par Paul Meurice. Ces procès-verbaux peuvent, pour une même séance, émaner d’une seule personne, l’écrivant officiel, indiqué comme tel sur le procès-verbal, ou de plusieurs écrivants différents, les participants aux séances des tables étant libres de noter ou non le déroulement et le contenu de celles-ci. On connaît ainsi des procès-verbaux de la main de Madame Hugo, d’Adèle Hugo, d’Auguste Vacquerie et de Victor Hugo notamment. Il existe même des procès-verbaux de la main de Paul Meurice et des copies établies par Juliette Drouet à qui Hugo donnait les premiers procès-verbaux des séances à recopier.

Ces procès-verbaux donnaient lieu ensuite à une mise au propre, la plupart mais pas tous, sur des cahiers spécifiques. Auguste Vacquerie possédait les siens et Hugo aussi. Pour ce qui est de Hugo, les cahiers se présentent a priori sous la forme de quatre volumes manuscrits reliés. Soustraits de manière mystérieuse et par on ne sait qui, à la mort de Hugo, au legs général fait à la Bibliothèque nationale de France. Sans doute par l’un de ses exécuteurs testamentaires, Paul Meurice, avec la bienveillance d’Auguste Vacquerie.

Le premier à avoir levé le voile sur cette troublante période spirite de Jersey sera Auguste Vacquerie. Dès 1863, il livrera quelques extraits de ces séances, expurgés des informations les plus personnelles, dans Les Miettes de l’histoire, trois ans à Jersey. Viendront ensuite le Journal de l’exil d’Adèle Hugo qui couvre les années 1852-1855, les Propos de Table de Victor Hugo de Richard Lesclide, secrétaire et ami fidèle de Victor Hugo, très souvent présent à Jersey, en 1885, les Propos de Table de Victor Hugo en exil d’Octave Uzanne, en 1892. Si le Journal de l’exil nous éclaire très peu sur le déroulement des séances spirites, les deux versions des Propos de Table restent tout aussi lacunaires et ne se basent sur aucun document officiel ou authentique.

Il fallut attendre 1897 pour que Paul Meurice commette quelques indiscrétions quant aux séances des Tables, dans La Tribune de Lausanne parue le 19 février, et qu’il fasse allusion aux quatre Cahiers rouges dont il serait dépositaire. Ceux-ci, ainsi nommés en raison de la dénomination même de cahier attribuée par Hugo et en raison de leur supposée dominante rouge, contiendraient l’intégralité du contenu des séances spirites. La presse se met alors à évoquer avec étonnement les séances de spiritisme de Jersey. Paul Meurice laisse entendre qu’il envisage une publication. En attendant, il en communique de très brefs extraits qui suscitent une grande curiosité en même temps qu’une certaine incrédulité. La parution annoncée par Paul Meurice ne viendra jamais. À sa mort, les quatre cahiers reviennent, pendant dix-sept ans, à Gustave Simon.[12] Celui-ci en fait la première publication partielle en 1923, soixante-dix ans après les premières séances, sous le titre Chez Victor Hugo, Les Tables tournantes de Jersey.

Paraîtront ensuite des textes extraits d’un dossier appartenant à une fille de Paul Meurice, Madame Albert Clemenceau. Le problème vient cependant du fait que tous ces textes ne sont pas des originaux mais des copies ou des doubles.[13] On ne trouve pas trace des recueils originaux. Les quatre Cahiers rouges détenus par Paul Meurice puis par Gustave Simon ont tout simplement disparu. Jean Gaudon, dans sa présentation des « Procès-verbaux des séances des tables parlantes de Jersey »,[14] affirme qu’ils font l’objet d’une « réapparition discrète et rapide, lors d’une exposition à  La Maison de Victor Hugo, en 1933. Ils appartenaient alors selon le catalogue, « aux héritiers Hugo». Depuis, c’est de nouveau le noir. » Selon Jean Gaudon, les cahiers, « au moins trois, quatre peut-être, mais ce n’est pas sûr », précise-t-il aujourd’hui, s’évaporent à nouveau. En 1969, Jean Gaudon ne parlait pas de quatre cahiers rédigés à Jersey mais de « trois ».[15]

Le problème est qu’il n’existe aucune trace, dans les lieux mêmes et à travers les documents de La Maison de Victor Hugo de la place des Vosges, d’une exposition ayant eu lieu en 1933. Pas plus d’ailleurs qu’en 1932 ou en 1934. Il ne reste aucun élément tangible de cette exposition qui se serait déroulée, dans les années 1930, à La Maison de Victor Hugo, concernant ces éventuels cahiers. Plus curieux encore, il n’existe pas de catalogue concernant les expositions ayant eu lieu à cette période à La Maison de Victor Hugo. La seule trace que possède celle-ci concerne simplement une brève exposition, en 1932, et la présence, non pas des quatre cahiers, mais de cinq feuillets du 13 novembre 1853, constituant le procès-verbal d’une seule séance, sous le titre curieux : «  Victor Hugo en exil, juin-octobre 1855. »

La bibliothèque de La Maison de Victor Hugo renferme cependant les procès-verbaux des séances spirites de 1853 à 1855. Ceux- ci émanent des mains de Victor Hugo, de Madame Hugo, d’Auguste Vacquerie et aussi d’Adèle Hugo. Tous ne sont pas des originaux mais des copies ou des doubles. Nombre d’entre eux ne sont d’ailleurs pas répertoriés dans le travail de l’édition Massin qui se fera plus tard. Jean Gaudon est pourtant formel. « Il s’agissait d’un petit catalogue imprimé qui se rapporte à une exposition de 1933. » Sheila Gaudon, qui a participé aux recherches menées par Jean Gaudon dans le cadre de l’édition Massin des Œuvres complètes de Victor Hugo, avance l’hypothèse « qu’étant donné son format et l’absence de rangement du fonds du musée pendant de longues années, il ait simplement disparu. » Ajoutons que ces catalogues, soumis comme toute production littéraire au dépôt légal à la B.N.F., y ont échappé. Seul le catalogue de l’année 1930 figure au dépôt légal de la B.N.F.

On ne peut cependant douter des affirmations de Jean et Sheila Gaudon et force est d’admettre que les cahiers disparaissent à nouveau en 1933.

L’un d’entre eux, supposé jusqu’à aujourd’hui, et sans doute à tort, être le troisième cahier, réapparaît mystérieusement en 1962. Proposé à la vente à l’hôtel Drouot, le 11 avril 1962, par un propriétaire anonyme, affirmant « qu’il avait trouvé cela dans le grenier de son grand-père »[16], il sera aussitôt préempté par la Bibliothèque nationale et inscrit sur son catalogue sous la côte N.A.F. 14066. En 1968, à partir de ce cahier, d’autres supposées copies de séances retrouvées à la Maison de Victor Hugo et de l’ouvrage de Gustave Simon, Jean et Sheila Gaudon établissent l’édition la plus complète de ce qu’ils nomment Les procès-verbaux des séances des tables parlantes de Jersey.[17] Le mot même de tables « parlantes » est nouveau. Autrefois on les supposait simplement « tournantes ». Il a été appliqué aux séances spirites par Jean Gaudon lors de la première édition qu’il fit de ces séances des tables, s’appuyant alors uniquement sur l’ouvrage de Gustave Simon et celui de Maurice Levaillant.[18]

En 1972, un autre cahier apparaît. Dans le secret le plus absolu, il est proposé à la vente à la Bibliothèque nationale qui en fait immédiatement l’acquisition et le catalogue sous la référence N.A.F. 16434.

Les deux autres manuscrits supposés existants n’ont pas encore réapparu.

Jean Maurel, en 1996, dans une édition de L’École des Lettres,[19] suivie d’une postface, reprend mot pour mot le titre de l’ouvrage de Gustave Simon : « Chez Victor Hugo, les Tables tournantes de Jersey » et s’appuie uniquement sur « le choix de procès-verbaux publiés par Gustave Simon en 1923 chez Louis Conrad, éditeur ».[20] Jean Maurel passe sous silence le Cahier rouge acquis par la B.N.F. en 1962, encore plus les procès-verbaux disponibles et le deuxième cahier découvert en 1972.

Le manuscrit apparu en 1972 s’avère donc essentiel quant à la compréhension du phénomène qui s’est déroulé, entre septembre 1853 et octobre 1855, à Jersey et éclaire d’un autre aspect le supposé troisième cahier, considéré avant lui comme le Livre des Tables. Certains auteurs en ont fait le nouveau « Livre des Tables » en indiquant, jusqu’à aujourd’hui encore, a priori sans l’avoir attentivement consulté, qu’ « il compte une dizaine de séances inédites » alors qu’il en comporte plus du double ! Ce manuscrit de Victor Hugo, qui n’a pas encore fait l’objet d’une étude ou d’une édition, rend donc, de fait, caduques, erronées ou incomplètes les études antérieures.

 

 S’AGIT-IL DU TROISIÈME CAHIER ?

Ce cahier éclaire d’un jour nouveau le déroulement des séances spirites de Jersey et permet partiellement de répondre aux questions qui se posent quant au seul Cahier rouge jusque-là disponible.

 D’autant plus qu’à l’intérieur de ce nouveau cahier apparu en 1972, figurent deux photocopies collées aux pages 45 et 46. Ces deux photocopies constituent un document étonnant. Il s’agit d’un article de presse intitulé : « Les tables parlantes de Jersey ». Ce qui indique déjà que l’auteur de cet article a lu et retenu le qualificatif attribué par Jean Gaudon. La mention « chronique » figure au-dessus de l’article. Celui-ci est signé Bernard Jourdan. Nos recherches montrent qu’il s’agit d’un article publié le 3 juin 1971 dans L’Education. Or que dit cet article ? Il faut le citer précisément car ses indications, à la première personne, s’avèrent des plus intéressantes, en particulier parce qu’elles s’inscrivent parfois en faux quant à l’observation du  manuscrit NAF 16434 :

 

J’ai eu la chance de retrouver la trace de l’un de ces livres [les quatre cahiers dits Livres des Tables exposés en 1933, lors d’une exposition à La Maison de Victor Hugo], puis le livre lui-même.

Son authenticité ne saurait être mise en doute. Tout laisse à penser que Meurice l’eut entre les mains et que Gustave Simon l’a consulté. Peut-être même ce livre a-t-il figuré à l’exposition de 1933. S’il porte en effet de façon fort nette le chiffre 3 sur la couverture et le même chiffre 3 à l’intérieur de cette couverture, il porte aussi une étiquette où une écriture assez récente indique « 4 volumes Victor Hugo ». Et il y eut quatre volumes à l’exposition de 1933. Dans  l’état actuel de mes recherches, il n’existe, à ma connaissance, aucun lien de parenté, d’amitié ou de voisinage, entre la famille détentrice du livre et la famille de Meurice ou celle de Gustave Simon. Mais la question demeure posée.

Ce livre a été découvert au cours d’un déménagement, au milieu d’une centaine d’ouvrages de droit et de jurisprudence, quand la famille a quitté Paris. Il semble bien que pendant les années 1940-1945, cette cave – comme tant d’autres – a été visitée.

En  tous cas, les détenteurs actuels de ce volume m’ont assuré qu’ils n’étaient pas les vendeurs de 1962.

Le « livre » se présente comme un volume (format 17 x 22 cm) de 270 pages non numérotées, papier bleu clair, dos et coins (fatigués) de cuir marron, couverture bleue jaspée, défraîchie par une longue manipulation. 81 pages sont écrites par des « écrivants » divers : Victor Hugo le plus souvent, mais également Auguste Vacquerie, Allix, Paul Meurice et un hôte de passage, Clément Dulac. 

 

Ce qui signifierait que le ou les propriétaires de ce manuscrit ont lu et récupéré cet article, l’ont collé (!) dans le cahier original de Victor Hugo puis l’ont mis en vente l’année suivante.

La Bibliothèque nationale en a fait l’acquisition le 29 août 1972 directement auprès d’un particulier. Celui-ci a tenu à conserver l’anonymat et les conditions de transaction ont fait l’objet d’un protocole demeuré confidentiel. Ce cahier fait maintenant partie des  Nouvelles acquisitions françaises des manuscrits occidentaux de la rue de Richelieu, sous la côte N.A.F. 16434.

Cependant la désignation de ce manuscrit dans le catalogue de la Bibliothèque nationale est sensiblement différente de celle proposée par l’auteur de cet article. Bien entendu, cette description est en tous points conformes à notre observation :

 

Procès-verbaux des séances spirites tenues chez Victor Hugo. 

Manuscrit en partie de la main de Victor Hugo. 

Procès-verbaux des séances de Jersey du 21 janvier 1855 au 8 octobre 1855.

Papier 134 feuillets (47-134 blancs) 220x170 mm cahier carton (achat 1972). 

 

Ce cahier n’a donc pas réellement 270 pages mais bien 134 feuillets. La différence est minime mais tous les feuillets sont bien numérotés au recto. Les pages 47 à 134 sont blanches. Il n’y a pas « 81 pages écrites par des écrivants divers » mais 77 au total, la très grande majorité, 55 exactement, de la main de Hugo.                            

Il s’agit d’un petit volume à la reliure bradel fauve. La couverture havane est en veau  et les coins de celle-ci en veau fauve et non pas fait d’une « couverture bleue jaspée ». Les pages sont blanches et non d’un bleu clair. Cette couleur aurait-elle passé avec le temps ? Rien n’est moins sûr.

Au dos figure effectivement une étiquette d’écolier, aux bords bleus indiquant : « N° 45/ 4 Volumes Victor Hugo ». Sur la couverture, on peut lire le chiffre 3 en grand, comme écrit au crayon. A l’intérieur de cette couverture, on ne remarque aucune inscription, pas de chiffre 3 comme l’indique l’auteur de l’article.              

Pourquoi de telles différences ?

Ce cahier couvre pourtant bien la période du 21 janvier 1855 au 8 octobre 1855.

Ainsi se posent d’emblée plusieurs questions essentielles.

L’auteur de cet article a-t-il eu réellement ce cahier entre les mains, l’examinant à loisir avec toute la curiosité et l’exaltation que doit procurer la réapparition inattendue et capitale d’un manuscrit original de Victor Hugo ? Ou lui a-t-on simplement révélé l’existence de ce cahier sans qu’il puisse l’observer personnellement ? Se pourrait-il qu’il existe un autre cahier numéro 3 ? Un recueil de procès-verbaux ou un manuscrit rédigé a posteriori à partir de ceux-ci ? Y a-t-il eu un quatrième cahier faisant suite à celui-ci numéroté 3 ? Auquel cas, il couvrirait la période postérieure au 8 octobre 1855. Mais nous savons que les séances spirites se sont arrêtées en octobre 1855, après une crise de démence supposée de Jules Allix. Sans oublier que Victor Hugo, expulsé de Jersey à la date du 2 novembre 1855, préfère devancer cette mesure coercitive en s’embarquant le 31 octobre 1855, à 7 h 15 du matin, pour Guernesey où il n’y aura plus de séances spirites.  

Le fameux cahier appelé Cahier rouge, vendu à Drouot, en 1962, de manière anonyme et acheté par la B.N.F., serait-il effectivement un des supposés quatre cahiers ?

Ce qui sous-entend alors que nous serions en présence de deux  des quatre cahiers rédigés à Jersey.

Le N.A.F. 14066 du mercredi 1 février 1854 au 30 mai 1854 serait le numéro 2.

Le numéro 1 couvrirait la période du 11 septembre 1853 au mardi 31 janvier 1854, période très riche en séances spirites, et serait donc disparu.

Si le N.A.F. 16434 est le numéro 3, en tenant compte de l’inscription figurant sur la page de couverture, relatif à la période du 21 janvier 1855 au 8 octobre 1855, quel cahier couvrirait alors la période du 31 mai 1854 au 20 janvier 1855 ?

En partant du principe que le NAF 16434 est bien un des quatre cahiers et qu’il n’y a pas d’autre cahier faisant suite à celui-ci puisque tout le clan Hugo quitte Jersey le 31 octobre 1855 pour se rendre à Guernesey et qu’ensuite il n’y eut plus de séances spirites, si l’on en croit les affirmations de Hugo lui-même et comme tendraient également à le prouver les Agendas de Guernesey tenus par Victor Hugo, le numéro 4, du 21 janvier 1855 au 8 octobre 1855 (N.A.F. 16434) serait donc indiqué à tort numéro 3 sur la couverture, l’ajout serait d’une autre main que celle de Hugo et postérieur à cette période.

Le numéro 3, supposé existant et disparu, couvrirait la période du 31 mai 1854 au 20 janvier 1855.

Le numéro 2 serait le NAF 14066 du 1 février 1854 au 30 mai 1854. Il ne porte pas de numéro sur la couverture. Une note de Hugo, sur un morceau de papier, conservé à la Maison de Victor Hugo, corrobore cette chronologie. 

Le numéro 1 s’attacherait par conséquent à la période du 11 septembre 1853 au 1er  janvier 1854.

Mais pourquoi le cahier supposé numéro 2, du 1 février 1854 au 30 mai 1854, s’arrête- t-il à la page 124 alors que ce cahier est numéroté jusqu’à la page 131 et qu’il reste 13 pages lignées et numérotées ? 

Tout se complique encore un peu plus à la lecture des informations données par Gustave Simon lors de la parution des procès-verbaux de Jersey, en 1923.

 

LA SINGULARITÉ DES TABLES TOURNANTES DE JERSEY

Gustave Simon publie le recueil Chez Victor Hugo, les tables tournantes de Jersey, en 1923.[21] Celui-ci regroupe une sélection « des manifestations les plus variées »[22] des séances qui eurent lieu du 11 septembre 1853 au 2 juillet 1855 afin d’en dégager des « conclusions signifiantes ». Cette présentation des procès-verbaux des tables se veut faite « avec une entière impartialité, sans esprit de caste ou d’école et sans trahir les intentions des hôtes de Jersey » que Gustave Simon affirme avoir « en effet beaucoup connus », et qu’il était « fixé sur leurs désirs », sans préciser d’ailleurs la nature de ces désirs. Dans la préface de cet ouvrage, il indique avoir en possession les procès-verbaux des séances spirites depuis dix-sept ans, c'est-à-dire depuis 1906. Gustave Simon est persuadé à cette époque que le spiritisme est « peut-être un des plus puissants auxiliaires de la religion » et que « la science, dans les années à venir, permettra d’expliquer » les phénomènes qui se produisirent, de 1853 à 1855, à Jersey. Gustave Simon reste absolument persuadé de la réalité de ces phénomènes et ne doute pas un instant qu’il s’agit bien d’esprits qui dictèrent, par l’intermédiaire de la Table de Marine-Terrace, les propos et les vers contenus dans les procès-verbaux de Jersey. « Je ne vois pas, dit-il, parmi les assistants, un seul d’entre eux susceptible d’improviser sans ratures, sans hésitations, les vers dictés par l’Ombre du Sépulcre ». En guise d’épilogue à son ouvrage, Gustave Simon rédige le texte suivant :

 

Nous n’avons pas pu, dans le cadre forcément limité d’un volume, donner les comptes rendus de toutes les séances. Nous avons voulu présenter les manifestations les plus variées afin de satisfaire les curiosités, justifier les observations de nos notes préliminaires, et nous permettre de tirer les conclusions suivantes :

La parfaite bonne foi des participants.

La production de phénomènes incontestables.

La démonstration que Victor Hugo n’a emprunté aux tables aucun de ses vers.

Les réponses d’esprits supérieurs.

La manifestation d’êtres qui nous touchent de près.

La révélation de faits individuels qui ont pu être contrôlés.

La confirmation des affirmations de Flammarion que « le temps n’existant pas, ce qui reste après la mort, l’âme, l’esprit, l’entité psychique, quelle que soit la dénomination qu’on lui donne et quelle que soit sa nature, cesse d’appartenir à ce que nous appelons le temps pendant la vie. 

(Des réponses ont confirmé cette assertion.)

La justification de notre neutralité en présence de faits que notre ignorance ne peut expliquer.

Nous avons voulu apporter des documents dont nous n’avions pas le droit de priver les chercheurs et les savants. Ils pourront peut-être  y puiser des éléments qui les aideront dans leurs études et leurs travaux ou qui les stimuleront à poursuivre leurs expériences. 

 

La sélection des séances spirites opérée par Gustave Simon découlait donc d’un choix précis qu’il nous faudra examiner ensuite avec le plus grand intérêt.

Gustave Simon tenait sans doute à préserver l’intention première de Victor Hugo en ne publiant les comptes rendus des procès-verbaux qu’après la publication des poèmes nés, je cite, « de la propre révélation » de Hugo. Il rejoignait en cela les intentions mêmes de leur auteur. Le public, préparé par l’œuvre de Hugo, aurait été davantage susceptible de comprendre que le Livre des Tables représentait « certainement une des Bibles de l’avenir » pour reprendre les termes de Hugo. Il est probable aussi, que non content de suivre les conseils de La Mort, prodigués les 29 septembre et 22 octobre 1854, encourageant Hugo à « échelonner dans [son] testament, [ses] œuvres posthumes de dix ans en dix ans, de cinq ans en cinq ans […] d’emplir [sa] tombe de résurrections [afin] que les générations [regardent] avec admiration ce prodigieux tombeau marcher pendant un siècle dans la vie humaine », il est probable également que Hugo craignait l’opinion du parti républicain, qu’il savait devenue très irréligieuse et souvent totalement athée. Peut-être est-ce pour sa foi dans les métempsycoses qu’il redoutait les critiques et le rejet. 

Cependant, point capital, les dates des manuscrits sur lesquels s’appuierait Gustave Simon ne correspondent pas avec les dates que l’on retrouve sur les deux manuscrits originaux en notre possession : le N.A.F. 14066 et le N.A.F. 16434.

Ce qui est tout d’abord surprenant dans cet ouvrage, c’est que Gustave Simon n’indique jamais combien de cahiers sont effectivement en sa possession. Le choix de la publication de certains extraits de ceux-ci correspond à la période du 11 septembre 1853 jusqu’au 2 juillet 1855. Nous savons pourtant, grâce au manuscrit référencé à la Bibliothèque nationale sous la côte N.A.F. 16434, que les séances spirites se poursuivent jusqu’au 7 octobre 1855. À aucun moment, Gustave Simon n’évoque la crise de folie furieuse qui aurait frappé Jules Allix au cours d’une séance du mois d’octobre 1855, permettant de mettre un terme définitif aux séances spirites. Evénement pourtant décisif. En cela, il rejoint l’absence de notes concernant cet épisode dans le manuscrit original. En ce qui concerne l’année 1853 publiée par Gustave Simon, elle s’étend du 11 septembre au 29 décembre. L’année 1854 commence le 2 janvier et se poursuit jusqu’au 19 décembre. La dernière année, 1855, débute au 11 février et s’achève donc au 2 juillet alors que le cahier de 1855 commence le 21 janvier 1855, à dix heures dix minutes du soir.

Les deux manuscrits originaux en notre possession, apparus, rappelons-le, l’un en 1962 (N.A.F. 14066), le second en 1972 (N.A.F. 16434) couvrent respectivement l’année 1854, du 1 février au 30 mai et l’année 1855, du 21 janvier au 8 octobre.

Pourquoi de telles différences ? Pourquoi Gustave Simon occulte-t-il tant de séances, tant de jours et de mois, notamment en ce qui concerne la fin des séances et la période du début du mois de juillet au 8 octobre 1855 ? N’oublions pas que Gustave Simon affirme être en possession des procès-verbaux depuis dix-sept ans ! 

Plus curieux encore. L’auteur note, dans la partie IV de sa préface intitulée : De l’influence des tables sur Victor Hugo ou de Victor Hugo sur les tables, que « les réponses d’un même esprit remplissent parfois plusieurs séances, et commencées chez Victor Hugo, lui présent ou absent, se poursuivent et se terminent, non plus chez Victor Hugo, mais chez un étranger, chez un proscrit », dans une « nouvelle demeure ». Effectivement, sa publication indique que du 29 septembre au 8 décembre 1853, « ce qui suit n’a plus été dit par les tables chez Victor Hugo, mais chez Edmond Leguevel, proscrit ». La copie de cette période, longue de trois mois, se fait d’un seul tenant. Les participants sont Charles Hugo et Vickery qui tiennent la table, Mme et M. Leguevel, Durrieu, dont nous connaissons certains procès-verbaux très abrégés, et Théophile Guérin. On notera par ailleurs, lors de la séance du 29 septembre 1853, la visite singulière d’un habitant de la planète Jupiter. La séance du 11 décembre se déroulera également chez Leguevel.

La tenue de ces séances au domicile des Leguevel est d’autant plus surprenante que Victor Hugo n’y participe pas, alors que son intérêt pour celles-ci était manifeste depuis la visite de l’esprit de Léopoldine le 11 septembre 1853. Il faut ajouter que toutes les séances, sans exception, transcrites dans les manuscrits de 1854 et 1855 se déroulent immuablement chez Victor Hugo, à la table de Marine-Terrace.

La répartition des séances retranscrites par Gustave Simon pose aussi de singulières questions. 91 pages sont consacrées à l’année 1853, 229 à l’année 1854 et 33 seulement pour l’année 1855. Pourquoi, encore une fois, de telles différences ? Si l’année 1854 est en effet extrêmement riche en séances et fertile quant au contenu de celles-ci, l’année 1855 se voit négligée et, surtout, s’arrête curieusement au 2 juillet. Il semble impensable que Gustave Simon, en possession depuis dix-sept ans de l’ensemble des quatre cahiers, n’ait pas évoqué quelques séances de juillet, après le 2, où Hugo était l’écrivant et surtout la fin de celles-ci, au mois d’octobre.

Gustave Simon précisait, lors de la publication de son ouvrage, que 125 pages de textes avaient été empruntées au troisième cahier, du 1 février 1854 au 7 juin 1854, 100 pages au quatrième, du 11 juin 1854 au 5 juillet 1855, le premier cahier n’étant représenté que par 51 pages et le deuxième par 78 pages, ces deux derniers sont cités sans indication de date mais nous supposons logiquement qu’ils devraient couvrir les périodes du 11 septembre 1853 (soir de la première séance révélatrice) au 31 janvier 1854.

Or, nous savons que le Cahier rouge (N.A.F. 14066) dit troisième cahier par Gustave Simon, part effectivement du 1 février 1854 mais s’arrête au 30 mai et non au 7 juin 1854. Il ne manque aucune page à ce cahier, toutes sont numérotées lors de l’impression, pourquoi une telle erreur ?   

D’autre part, le cahier acheté par la Bibliothèque nationale en 1972 (N.A.F. 16434) s’étend du 21 janvier 1855 au 8 octobre 1855. Ce qui ne correspond nullement à l’indication donnée par Gustave Simon en ce qui concerne le supposé quatrième cahier qui porterait, selon lui, sur la période du 11 juin au 5 juillet 1855. 

Puisqu’aujourd’hui nous sommes en possession de deux cahiers authentiques rédigés à Jersey, dont l’un couvre la période du 1er février au 30 mai 1854, l’autre la période du 21 janvier au 8 octobre 1855, éléments matériels indiscutables, il faut bien convenir que, dans la meilleure des hypothèses, Gustave Simon s’est trompé. En effet, l’édition de Gustave Simon comprend onze séances pour l’année 1855, du 11 février au 2 juillet : deux en février, quatre en mars, deux en avril, deux en mai, une en juillet. Ce qui témoignerait d’une diminution manifeste de l’assiduité aux séances spirites. Pourtant vingt séances eurent lieu entre le 21 janvier 1855, date inaugurale de ce cahier, et le 8 octobre 1855, fin des séances spirites de Jersey. La présence de Jésus-Christ, dont l’intervention en cette année 1855 est déterminante quant à la religion hugolienne qui s’ébauche, ne fut pas perçue par Gustave Simon de la même importance que celle du lion d’Androclès.

Son ouvrage et ses affirmations ont alors induit en erreur, successivement, Paul Berret, Denis Seurat, Maurice Levaillant, Pierre Albouy et Jean Gaudon qui, jusqu’en 1962, n’avaient d’autres matériaux disponibles que le livre de Gustave Simon.

Malgré sa volonté affichée de « neutralité » et le privilège de disposer des quatre cahiers depuis dix-sept ans, Gustave Simon arrête,  au « jeudi 2 juillet 1855 », sa publication des Tables tournantes de Jersey, chez Victor Hugo. Celle-ci s’achève sur la question de Jules Allix concernant la mort de madame de Girardin et le refus d’Isaïe d’y répondre. Gustave Simon achève ainsi l’ouvrage qui a constitué, jusqu’en 1969, la seule référence en la matière, par une nouvelle erreur. Le manuscrit de Hugo indique bien « jeudi 4 juillet 1855 » et devrait constituer la référence incontestable. Pourtant le 4 juillet n’était pas un jeudi mais un mercredi, jeudi étant le cinq. Simple erreur de transcription ? Le Journal d’Adèle Hugo ne fait aucune mention de cette période, c’est le vide du 29 juin au 10 juillet et le Journal d’Adèle, pour cette période de juillet, a été reconstitué à partir des manuscrits de Victor Hugo.[23]

Ici donc, au 4 juillet 1855, s’arrête la première édition extrêmement sélective des « Procès-verbaux des tables tournantes de Jersey chez Victor Hugo » publiée par Gustave Simon en 1923. À aucun moment, Gustave Simon n’a indiqué combien de cahiers il avait en sa possession depuis « dix-sept ans ». A-t-il disposé des cahiers rédigés, pour une bonne part, par Hugo ? Rien n’est moins sûr. À aucun moment, dans sa présentation (chapitre I) ou dans sa conclusion au chapitre LXVI, Gustave Simon n’utilise le terme de cahiers. Il emploie uniquement l’expression « procès-verbaux » ou « comptes rendus » pour évoquer des « documents » […] restés plus de trente ans dans les tiroirs de Victor Hugo vivant ». Une seule fois, Gustave Simon utilise le terme de « manuscrit » sans en préciser la teneur, la forme et le nombre. Il est toutefois indiscutable que Gustave Simon a eu en mains et sous les yeux les procès-verbaux retranscrits dans les deux cahiers rédigés par Hugo. En dehors de certaines coupes, omissions ou séances supprimées, les propos tenus au cours des séances spirites rapportés par Gustave Simon sont conformes au contenu des deux cahiers en notre possession. Il n’est cependant pas du tout évident, selon les propos de Gustave Simon, qu’il y ait eu quatre cahiers rédigés à Jersey. Le furent-ils ensuite ? Combien y en eut-il ? Gustave Simon a tout fait, en tout cas, pour justifier le fait que « Victor Hugo n’a emprunté aux tables aucun de ses vers ».[24]

Toutes ces constatations ouvrent des possibilités nouvelles quant à l’histoire et la chronologie de ces deux manuscrits portant sur l’année 1854 et 1855.

D’autant plus que La Maison de Victor Hugo, à Paris, conserve des documents étonnants dont beaucoup ne sont pas répertoriés dans l’édition Massin qui constitue, jusqu’à aujourd’hui, la seule édition de référence quant aux séances des Tables et à l’étude des procès-verbaux de Jersey.

 

LES PROCÈS-VERBAUX

Pour comprendre l’histoire de ces Cahiers que nous éditons, nous disposons donc de deux sources originales différentes. D’une part, les Cahiers proprement dit, qui apparaissent respectivement sous les côtes N.A.F. 14066 et N.A.F. 16434, et les procès-verbaux des séances spirites, établis directement lors de la tenue de ces séances, par les différents participants de celles-ci. La totalité de ces procès-verbaux, dont beaucoup ne sont pas répertoriés dans l’édition Massin, sont conservés à La Maison de Victor Hugo place des Vosges. Les documents originaux sont de la main d’Auguste Vacquerie et de Victor Hugo. Un certain nombre de doubles ou de copies existent également, de la main d’Adèle Hugo, fille, de Madame Hugo, de Paul Meurice et de Juliette Drouet. Certaines copies émanent de Madame Daubray, secrétaire de Paul Meurice, ami et exécuteur testamentaire de Hugo. Ces documents livrent des informations nouvelles et d’importance quant aux deux Cahiers manquants sur les quatre supposés rédigés par Victor Hugo à Jersey.

Ces nombreux procès-verbaux sont constitués d’éléments fort divers et surprenants. On trouve des feuillets libres, des fragments de papier de toutes tailles, une partition de musique, une enveloppe adressée à Hugo, une table des matières de la main de Vacquerie concernant l’un de ses cahiers disparu, une page de journal ainsi que de petits cahiers plus conséquents de près de quarante pages qui posent tout de suite la question de leur origine. A qui appartenaient-ils ? À Vacquerie ? À Hugo ?

Nous trouvons également des procès-verbaux inédits dans quelque édition que ce soit, de la main de Victor Hugo, relatant la visite de Léopoldine et de Claire Pradier, le 22 septembre 1853. 

Il existe aussi un ensemble d’une douzaine de fragments de la main de Paul Meurice qui relatent notamment l’ensemble du déroulement de la séance du 11 septembre 1853, qui témoignent également d’un certain nombre d’anecdotes ou de questions particulières posées lors de nombreuses séances jusqu’à l’ultime séance du 8 octobre 1855. Soit un ensemble d’une importance considérable qui n’a pas encore été utilisé, même dans le deuxième volume de la remarquable biographie établie par Jean-Marc Hovasse ![25] 

On découvre encore un ensemble de 22 pages déchirées d’un cahier. Certaines pages sont de la main de Vacquerie et d’autres de la main de Hugo.

La question se pose donc de savoir si ces pages appartenaient à un cahier d’Auguste Vacquerie ou alors si elles proviennent d’un cahier de Hugo, transcrit souvent comme ceux que nous avons en notre possession, à la fois de la main de Vacquerie et de la main de Hugo. Ce qui ouvre des possibilités nouvelles quant au mystère des deux cahiers manquants.

Quant aux procès-verbaux concernant l’année 1855, ceux-ci sont extrêmement rares. Seul un ensemble de 2 feuillets très petits, de 8 cm sur 10 cm, de la main de Vacquerie, correspondant aux séances du 11 février 1855 et du 18 février 1855, existe à la Maison de Victor Hugo (Paris).  Le procès-verbal commence seulement au paragraphe : « Les druides sont la première religion de l’homme… » (p. 2 verso du cahier) jusqu’ à la phrase : « le forgeron du carcan feront une serrure. » (p. 5 du cahier).

Le feuillet 1 fait aussi apparaître une séance ultérieure du jeudi 8 mars 1855 tandis que le feuillet 2 comprend les séances des jeudis 15 et 22 mars 1855.

Les deux feuillets doubles de Vacquerie correspondent donc à cinq séances concernant la nouvelle religion prônée par le Christ, mélange de christianisme et de druidisme. À noter que les 8, 15 et 22 mars, Vacquerie n’était pas présent. Sur le cahier, l’écrivant est Victor Hugo. L’édition de G. Simon commence seulement à cette date.

 

LE CAHIER DE 1855

Alors qu’apporte ce cahier de 1855 qui peut rendre caduques ou erronées les éditions fragmentaires antérieures ?

Tout d’abord, des séances nouvelles apparaissent, absentes aussi bien dans l’ouvrage de Gustave Simon que, bien entendu, dans l’édition Massin de 1969 qui ne pouvait logiquement en bénéficier. Ce cahier s’ouvre à la date du 21 janvier 1855 où la transcription de la séance se fait de la main de Victor Hugo alors que Gustave Simon faisait débuter l’année 1855 au dimanche 11 février. De même, la longue séance du jeudi 1er mars, elle aussi transcrite de la main de Hugo, n’apparaît pas dans l’ouvrage de Gustave Simon. Pour cette année 1855, Gustave Simon publie les extraits de onze séances alors que vingt eurent lieu du 21 janvier au 8 octobre.

Ensuite, le cahier de 1855 introduit un personnage nouveau et essentiel. La présence de celui-ci avait été évoquée par Jean Gaudon, à la date du 15 septembre 1853, en s’appuyant sur un procès-verbal de la main d’Auguste Vacquerie. Il n’existe aucun élément accréditant cette affirmation. La seule intervention de Jésus, très brève, eut lieu le 27 février 1854, séance oubliée par Gustave Simon. Lors de la venue de ce personnage, seuls quelques mots avaient été prononcés. Mais lorsque Jésus-Christ, je n’ose dire en personne, vient à la Table de Marine-Terrace, en ce dimanche soir 11 février 1855, à 21 h 30, c’est une nouvelle religion qui s’annonce. Le Christ vient condamner définitivement le druidisme et le christianisme et transmettre le relais à un nouveau prophète, en charge de conduire l’humanité. 

La première question posée émane d’Auguste Vacquerie et la Table répond aussitôt de manière flamboyante. À Hugo ensuite de comprendre les propos de Jésus-Christ et de réaliser le programme indiqué. Le fait fondamental de tout le système politique, social, religieux, métaphysique, psychologique de Hugo, c’est qu’à partir de l’année 1855 s’élabore une nouvelle religion dont il se considère comme le fondateur. Cette religion apporte à la connaissance du monde deux nouveautés : l’idée qu’il y a des âmes individuelles et conscientes dans toute chose, jusqu’aux plantes et aux pierres, et la conception d’un pardon universel qui ne laisse aucune faute sans possibilité de rachat, non plus possible mais inévitable et certain. Jésus-Christ vient détailler cette nouvelle religion, pour la première fois, en ce dimanche 11 février 1855. Selon le Christ, l’humanité doit être gouvernée successivement par trois grandes religions : le druidisme, le christianisme et « la vraie religion ». Deux de ces religions appartiennent au passé, la troisième sera celle de l’avenir. Le druidisme avait sacrifié l’homme au surnaturel, religion cruelle envers l’humanité, pour enseigner à l’humanité ce qu’est l’éternité : « Les druides sont la première religion de l’homme et la première explosion de l’âme dans le corps […] ils assassinent l’homme à coups de Dieu ». Le christianisme « monte un degré sur la terre et en descend un dans le Ciel ». Le christianisme, selon Jésus donc, est encore une religion barbare parce qu’elle attribue à Dieu la cruauté de se venger des hommes par l’éternité du châtiment dans les supplices de l’enfer. « Le christianisme, c’est le corps heureux ici-bas et torturé là-haut ; c’est l’âme heureuse ici-bas et suppliciée là-haut. […] Le christianisme se compose de deux choses : l’amour et la haine. Il fait l’homme meilleur et Dieu pire. » La troisième religion, dont Hugo devient le prophète, « aime les haïs, elle sauve les perdus […] elle dit à l’homme monstrueux : lève-toi jusqu’à la mort qui s’élève jusqu’à Dieu […] elle dit aux animaux : animaux, levez-vous jusqu’à la mort qui se lève jusqu’à l’homme […] elle dit aux plantes : plantes, levez-vous jusqu’à la mort qui se lève jusqu’à l’animal […] elle dit aux pierres : pierres, levez-vous jusqu’à la mort qui se lève jusqu’à la plante. […] L’infini n’est l’infini que parce qu’il a la clémence […] l’Evangile du passé a dit : les damnés, l’Evangile futur dira : les pardonnés ». 

Ainsi, le pardon universel devient la vraie religion. Elle corrige l’erreur terrible du christianisme : l’enfer. Le second point est révolutionnaire également, tous les êtres, jusqu’à la plante et la pierre, ont une âme.

« La révolution du tombeau, les tables la feront. Elles affirmeront le droit du mort, le droit de la poussière du sépulcre, le droit du ver du sépulcre, le droit de la pierre du sépulcre, le droit de l’herbe du sépulcre ; […] les tables seront le quatre-vingt-neuf des archanges […] elles prouveront la fraternité des hommes avec les bêtes ; l’égalité des bêtes avec les plantes ; l’égalité des plantes avec les pierres ; la solidarité des pierres avec les étoiles. […] L’enfer n’est pas. […] Ô hommes, tout aime. Ô bêtes, tout aime. Ô plantes, tout aime. Ô pierres, tout aime. »

Voilà donc définie la troisième religion, la vraie. Voilà donc le prophète désigné sans erreur possible par Jésus-Christ lui-même. Jésus-Christ, fondateur de la deuxième religion, vient de parler et de transmettre le relais à Hugo. Sa mission est terminée et Jésus remet le pouvoir aux mains du nouveau prophète en charge de conduire l’humanité vers le « quatre-vingt-neuf des archanges ».

En dehors de cet apport capital, le manuscrit de 1855 permet aussi, entre autres, de lever le voile sur un événement plus proche de la fable que de la réalité. La fin des séances spirites aurait été décidée sur l’ordre souverain de Victor Hugo après un incident dramatique : une crise de folie particulièrement violente de Jules Allix. Ce dernier cahier, sur les quatre certainement rédigés, nous autorise à laisser de côté la tradition et la légende pour apporter des réponses plus vraisemblables.

Le 8 octobre 1855, veille du départ de la famille Meurice, constitue la dernière évocation des Tables, consignée sur les procès-verbaux et ce cahier. La tradition veut qu’il n’y ait plus eu de séances spirites par la volonté de Hugo, consécutive à la crise de folie furieuse qui aurait affecté Jules Allix. Cette crise est rapportée par trois lettres de Madame Hugo à sa sœur Julie Foucher, le 14 octobre, le 28 octobre et le 24 février 1856, par un courrier d’Auguste Vacquerie à Paul Meurice, le 27 octobre, et par une lettre de Juliette Drouet à Victor Hugo, le 22 octobre.

Jules Allix, sans doute dans la nuit du 10 au 11 octobre, donc bien après le 8 octobre, date de la fin des séances spirites, aurait tenté de magnétiser une montre, il « voulait que l’aiguille marquât toute seule midi ».[26] Il fut ensuite pris de visions délirantes, d’un abattement soudain et d’une crise de folie fort violente. « Il nous distribuait des coups de poing à Charles et à moi, et il brisait tout chez sa sœur […] il se croyait Dieu et moi le diable ». Ce témoignage de Vacquerie,[27] appelé à l’aide par Augustine, sœur de Jules, montre que la séance se serait déroulée au domicile des Allix. Jules Allix, grâce à l’intervention de l’ami de la famille, Philippe Asplet, connétable ou centenier de Jersey, fut aussitôt interné à l’hospice de Saint-Hélier. Il semble s’être rétabli une dizaine de jours plus tard[28] mais restera au moins quatre mois interné, bénéficiant d’autorisations de sorties ponctuelles. Madame Hugo considérait qu’il était « toujours fou » quatre mois plus tard.[29] En mai 1856, il est définitivement sorti de l’hospice de Saint-Hélier. La tentative de Jules Allix ne paraît guère étonnante. Un peu plus de trois années avant son arrivée à Jersey, Jules Allix s’était fait une publicité singulière grâce à un article publié, les 25 et 26 octobre 1850, dans La Presse, dirigée par Emile de Girardin, sous le titre : « Communication universelle et instantanée de la pensée, à quelque distance que ce soit ». Cette communication télépathique devait se faire par « l’intermédiaire de la sympathie galvano-magnétique-minérale animale et adanique ». C'est-à-dire par un couple… d’escargots qui, une fois accouplés, devaient réagir exactement de la même façon, quelle que soit la distance les séparant. Ce couple d’escargots devenait ainsi une « boussole pasilalinique-sympathique ». Jules Allix précisait qu’il fallait un casier alphabétique et vingt-quatre couples de gastéropodes pour communiquer d’un bout à l’autre du monde. Bien des années plus tard, Charles Baudelaire, dans un article du Figaro[30], le qualifiera de manière rédhibitoire « d’inventeur de la boussole escargotique ».

Lors de vacances à Londres avec sa fille, pendant l’été 1859, Madame Hugo confiera à Victor Hugo, resté à Guernesey, son regret de ne plus se livrer aux séances des Tables. Chez son amie Madame Milner Gibson, récemment initiée, on tenait encore la table. « Il faut que nous soyons bien brutes, écrivait madame Hugo le 18 juillet, pour avoir éteint cette flamme qui était venue nous éclairer. » Le 21 juillet, Hugo lui répondait : « Je pense comme toi. S’il n’y avait pas eu une panique qui nous excuse, nous serions imbéciles et coupables de l’avoir laissée se fermer. Peut-être se rouvrira-t-elle… »[31]. La panique qui excusait Hugo et les siens sous-entend sans doute l’accès de folie qui aurait frappé Jules Allix. Mais Victor Hugo se souvenait peut-être de la mort, à la fin de l’année 1854, d’un ancien prétendant de Léopoldine, devenu complètement fou, Victor Hennequin. Disciple averti de Fourier, adepte convaincu des Tables, Hennequin s’était fait l’interprète exclusif de l’âme à la terre, à laquelle il était relié, sorte de demi-dieu, par un « cordon aromal permanent »[32].  Hugo pensait sans doute aussi à son frère Eugène, son aîné de seize mois seulement, son rival en poésie et en amour, avec lequel il entretenait une relation fusionnelle intense qui, devenant pathologique chez Eugène, conduisit à sa folie. Celle-ci éclata avec une violence particulière, le 12 octobre 1822, le jour même des noces d’Adèle et de Victor. La coïncidence de date, trente trois ans jour pour jour, avec la crise de folie de Jules Allix est troublante. Interné jusqu’à sa mort, à l’âge de trente-sept ans, à Charenton, Eugène, le « frère disséminé » selon le mot d’Anne Ubersfeld, laissa sa trace dans bien des œuvres de Hugo dont notamment « la Conscience »[33]. Peut-être Hugo s’inquiétait-il aussi pour lui-même, devançant l’inversion qu’il ferait, en 1863, à propos de son grand essai sur le rêve « Promontorium somnii » (Le Promontoire du songe) de l’adage latin : « Quos vult perdere Juppiter dementat » (« Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre ») en  « Quos vult AUGERE Juppiter dementat » (« Jupiter rend fous ceux qu’il veut élever »). Depuis les expériences spirites de Jersey, Hugo savait que « La rêverie est un creusement. Abandonner la surface, soit pour monter, soit pour descendre, est toujours une aventure »[34] et que « Ces empiétements sur l’ombre ne sont pas sans danger. La rêverie a ses morts, les fous »[35]. N’avait-il pas enfin, dans un rêve étrange et révélateur, confondu son frère Eugène disparu avec son fils Charles ? C’était le 7 juin 1853, deux mois avant que Charles ne devienne le médium de Marine-Terrace[36]

Il est peut-être plus vraisemblable que ce fut, cette nuit-là, une manifestation plus sérieuse que d’habitude de l’excentricité, voire d’une certaine forme de folie, bien connue chez Jules Allix. Le 6 juin 1855, un visiteur de Marine-Terrace, M. Papon, quelque peu singulier lui aussi, un « Don Quichotte de l’idée » avait eu l’occasion d’exposer à Jules Allix l’originalité de ses pensées. Adèle Hugo dans son Journal[37] en profite pour dresser un portrait de Jules Allix qui nous éclaire sur la singularité du personnage :

 

Allix, l’inventeur des escargots, le créateur d’une machination extrêmement infernale, laquelle destinée à tuer Napoléon Bonaparte, éclata de travers comme la bombarde de Changarnier, manqua Bonaparte et ne manqua pas Allix, qui du coup rebondit en exil. Allix, celui qui a dix-sept moyens de gagner en un mois cinquante mille livres de rente et qui n’a réussi qu’à une mansarde et un habit râpé, qui à vingt-cinq ans refusa d’épouser une fille riche et une bonne étude de notaire pour courir, lui aussi, après une idée de chimère qu’il rêvera toujours. Allix était donc là, demi-fou devant le fou complet, contrecarrant à chaque mot, à chaque instant ce pauvre Tapon, fourvoyé dans l’azote, pour essayer de le mettre dans la voie droite des escargots.

Le spectacle était singulier : le chimérique Allix raillait le chimérique Tapon. Ce nuage disait à cette barque en dérive : Pourquoi n’es-tu pas en terre ferme ? Du reste, comme tous les fous, ils ont un fil qui les tient à la terre. […] Qu’est-ce que la folie ? Tapon est fou pour Allix qui n’est pas censé pour Guérin. Où commence la folie ? Où finit la raison ? La folie s’empare souvent des têtes les plus lumineuses et des cerveaux les plus rayonnants : Tasse, Pascal, etc. La folie est peut-être le vertige d’esprits montés sur un sommet.

 

Outre cette réflexion intéressante sur la folie, les observations d’Adèle ne laissent aucun doute sur la fragilité mentale de Jules Allix. Il n’est donc guère étonnant que son esprit « chimérique » l’ait conduit à vouloir magnétiser une montre. Sa crise de « folie » s’inscrivait ainsi dans la droite ligne du personnage et ne constituait peut-être qu’un incident mineur, prétexte opportun pour mettre un terme aux séances spirites.

 

CONCLUSION

La confrontation rigoureuse des procès-verbaux et de l’ensemble des documents conservés à la Maison de Victor Hugo avec les deux cahiers correspondant à une partie de l’année 1854 et de l’année 1855 permettra donc de comprendre l’histoire des manuscrits tout en pointant des incohérences, des incompréhensions voire certaines falsifications.

Les descriptions faites dans le catalogue de la Bibliothèque nationale des deux cahiers conservés par Victor Hugo, sous les côtes N.A.F. 14066 et 16434, nous semblent donc comporter des imprécisions et des contradictions. Nous avons observé qu’il existe deux sources principales qui relatent les séances spirites. Des procès-verbaux sont rédigés directement lors du déroulement de celles-ci par un « écrivant » sur des feuillets libres voire de simples morceaux de papier. Parfois, et même souvent, d’autres participants établissent leur propre procès-verbal. Il peut donc y avoir différents procès-verbaux pour une même séance. Ces procès-verbaux servent ensuite à la transcription, à la mise au net, de ces séances dans un cahier proprement dit. Le terme « manuscrit » est donc polysémique et représente à la fois les procès-verbaux et les cahiers. Il ne faut donc pas confondre ou assimiler procès-verbaux et cahiers qui constituent deux sources, deux supports, différents et indépendants.

Notre édition s’attachera à confirmer ces remarques initiales.

Les questions sont par conséquent nombreuses et d’importance quant à ces fameux quatre Cahiers rouges, supports essentiels de la nouvelle religion hugolienne et source manifeste d’une grande partie des Contemplations.

Victor Hugo aurait voulu égarer les critiques futurs, les chercheurs et ses lecteurs qu’il ne s’y serait pas mieux pris.

On ne peut que relire d’un œil amusé, toutefois interrogateur et dubitatif, les propos tenus par la Mort à Hugo, en septembre 1854 :

 

Tout grand esprit fait dans sa vie deux œuvres : son œuvre de vivant et son œuvre de fantôme. […] Lui, le génie, il tient compte de l’imbécillité. Toi, que [ton tombeau] soit vivant : qu’à de certains intervalles il se mette à parler à la  postérité. Echelonne dans ton testament tes œuvres posthumes de dix ans en dix ans, de cinq ans en cinq ans ; vois-tu d’ici la grandeur d’un tombeau qui, de temps en temps, à des heures de crise humaine, quand il passe de l’ombre sur le progrès, quand il passe des nuages sur l’idée, ouvre tout à coup ses deux lèvres de pierre et parle ? […]

 Enferme [ton œuvre] avec toi dans ton sépulcre pour qu’à des époques fixées par toi on vienne l’y chercher. […]

Jésus-Christ n’a ressuscité qu’une fois ; toi, tu peux emplir ta tombe de résurrections ; tu peux avoir une mort inouïe ; tu dirais en  mourant : Vous me réveillerez en 1920, vous me réveillerez en 1940, vous me réveillerez en 1960, vous me réveillerez en 1980, vous me réveillerez en l’an 2000. Ta mort serait un formidable rendez-vous à la lumière et une formidable menace jetée à la nuit. 

 

L’étude attentive des cahiers tenus pendant une partie de l’année 1854 et de l’année 1855, à travers l’écriture propre au poète entre 1853 et 1855, ses notes et ses ajouts, la récurrence des thèmes développés, dans la forme proprement dite des révélations spirites rapportées, la singularité de ses absences parfois, peut sans doute permettre d’éclairer d’un jour nouveau les parts respectives d’Auguste Vacquerie et de Victor Hugo dans la transcription des propos supposés tenus par la Table.

Le contenu des cahiers montre également que les interventions des esprits de Marine-Terrace, bien loin de nuire à l’activité poétique de Hugo, encouragent au contraire celle-ci. Des dizaines de pièces sortiront de la « forgerie » de Marine-Terrace pour alimenter d’abord Les Contemplations, d’autres attendront la Première série de La Légende des siècles, d’autres des recueils plus tardifs comme les Quatre Vents de l’Esprit ou les deux dernières séries de La Légende des siècles, d’autres encore viendront alimenter La Forêt mouillée, La Fin de Satan, le somptueux Solitudines Coeli deviendra Dieu, d’autres enfin resteront dans la malle aux manuscrits et verront le jour de manière posthume dans Toute la lyre, Océan ou Dernière Gerbe.

Mais Hugo à Jersey, ce n’est peut-être pas seulement une intense période de création littéraire, c’est sans doute avant tout, Hugo et les révélations de la Table. Ces deux éléments, création et révélation, demeurent cependant indissociables. Ils vont rapprocher Hugo de Dieu et donner naissance à une nouvelle religion née directement des séances spirites. Une conception hugolienne de la spiritualité qui va proposer l’idée de deux formes de la vie dans l’au-delà : les métempsycoses sur la terre et les migrations sur des planètes plus ou moins heureuses. Une théorie qui se retrouve en substance dans Ce que dit la bouche d’ombre, écrit à Marine-Terrace. 

Les cahiers rédigés à Jersey montrent aussi que si la religion hugolienne s’est élaborée avant les séances spirites, elle s’est cependant consolidée grâce aux révélations de la Table, qui ont sans doute aussi permis, opportunément, de servir les conceptions religieuses, sociales et politiques de Victor Hugo. Mais cette religion hugolienne va supplanter la religion des Tables en la dépassant. À Jersey, Hugo annonce une religion qui « englobera le christianisme, en l’élargissant, comme le christianisme avait englobé le paganisme »[38]. Le pouvoir prophétique du poète va dépasser la révélation spirite. Hugo devient le Mage de sa propre religion.


[1] Jean Gaudon, Victor Hugo, Œuvres complètes, édition Massin, Club français du livre, 1968, t. IX, p. 1167.

[2] Les notes de Paul Meurice prises au crayon sur des fragments de papier sont conservées à la Maison de Victor Hugo (6, place des Vosges, Paris).

[3] Le terme parlour (dérivé de parlor, en anglais) est celui utilisé par Paul Meurice. Il signifie salon plus particulièrement dans la langue américaine.

[4] Auguste Vacquerie, Les Miettes de l’histoire, Madame de Girardin à Jersey, Pagnerre, Paris, 1863, page 380.

[5] Ibid.

[6] Léopoldine est morte un lundi 4 septembre 1843, à 14 heures.

[7] Les Miettes de l’histoire, op. cit., p. 381.

[8] Ibid.

[9] Les Miettes de l’histoire. Op. cit. et procès-verbaux des tables, 11 septembre 1853. Dans un récit ultérieur publié dans La Tribune de Lausanne, le 19 février 1897, Paul Meurice ajoutera que Madame Hugo avait posé ce soir-là, hors compte-rendu, une question à sa fille Léopoldine dont la réponse avait été décisive pour elle. Elle comportait en effet « la révélation d’un fait qui n’[était] connu que de ma fille et de moi ». Maurice Levaillant, La crise mystique de Victor Hugo (1843-1856), Corti, 1954. Paul Meurice a lui-même relaté le déroulement de cette séance dans un document inédit, constitué de 12 feuillets, conservé à la Maison de Victor Hugo, à Paris. 

[10] Auguste Vacquerie à Paul Meurice, septembre 1853, Bibliothèque-Charpentier, 1909.

[11] Préface parue dans le Livre de poche, 1968.

[12] L’exécuteur testamentaire de Hugo, de 1905 à 1928. Le précédent était Paul Meurice jusqu’en 1905. Cécile Daubray succèdera à Gustave Simon, de 1933 à 1952.

[13] Copie : reproduction d’un texte ; double : copie d’un document.

[14] Édition Massin, op. cit., t. IX, p. 1183.

[15] « Aucune étude définitive de l’influence des Tables ne pourra être faite tant que les trois [en italique dans le texte] cahiers ne seront pas réunis. » Jean Gaudon, Victor Hugo, le temps de la contemplation, Flammarion, 1969, note 3 p. 491.

[16] L’anecdote me fut rapportée par Jean Gaudon.

[17] Victor Hugo, Œuvres complètes,  édition Massin, Club français du livre, 1968, op. cit., t. IX.

[18] La crise mystique de Victor Hugo, Corti, 1954.

[19] École des Loisirs, Paris, 1996.

[20] Jean Maurel, Chez Victor Hugo, les tables tournantes de Jersey, L’École des Lettres, 1996, p. 6. 

[21] Louis Conrad éditeur, Paris.

Toutes les citations entre guillemets sont extraites de la préface ou de la postface de l’ouvrage de Gustave Simon, Chez Victor Hugo, les tables tournantes de Jersey, paru en 1923 (Louis Conrad, Paris), réédité en 1980 dans la collection Stock Plus.

[23] Journal d’Adèle Hugo, 10 juillet 1855, t. IV, édition Frances Vernor Guille, Paris-Caen, Lettres modernes Minard, collection Bibliothèque Introuvable, 1968-2002, p. 288.

[24] Chez Victor Hugo, les tables tournantes de Jersey, op. cit.,  p. 385.

[25] La plus récente, la plus complète, la plus précise et la plus savante des biographies consacrées à Hugo. Victor Hugo, t. II, Pendant l’exil, 1851-1864, Fayard, 2008.

[26] Lettre de Madame Hugo à Julie Foucher, 14 octobre 1855, Victor Hugo, Œuvres complètes, édition publiée par Paul Meurice, Gustave Simon et Cécile Daubray, Albin Michel, Imprimerie nationale-Ollendorff, 1904-1952.

[27] Lettre à Paul Meurice, 27 octobre 1855. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice, Bibliothèque-Charpentier, 1909.

[28] Lettre de Juliette à Victor, 22 octobre 1855, Lettres à Victor Hugo, Evelyn Blewer, Fayard, 2001.

[29] Lettre de Madame Hugo à sa sœur Julie Foucher, 24 février 1856, Victor Hugo, Œuvres complètes, op. cit.

[30] Anniversaire de la naissance de Shakespeare, 14 avril 1864, Baudelaire, Œuvres complètes, t. II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, p. 621.

[31] Victor Hugo à Adèle, 21 juillet 1859, Victor Hugo, Œuvres complètes, édition publiée par Paul Meurice, Gustave Simon et Cécile Daubray, op. cit.

[32] Victor Hennequin à Émile de Girardin, 1er octobre 1853, lettre publiée dans La Presse du 4 octobre 1853 où Hugo a pu la lire.

[33] La Légende des siècles. Les Petites Épopées, I, 2.

[34] Promontorium somnii, poème de Victor Hugo dont le manuscrit est daté de décembre 1863, dans lequel il fait état d'une visite rendue en 1834 à François Arago. Ce dernier, qui habitait l'Observatoire depuis le début du siècle, venait d'être nommé "Directeur des observations" par le Bureau des longitudes qui assurait depuis sa création, en 1795, la tutelle de l'Observatoire. Dans le long poème en prose qu'il consacre à cette visite, Victor Hugo raconte être monté sur la plate-forme de l'Observatoire et y avoir observé la Lune. Deux études critiques sont consacrées à ce poème. Celle de René Journet et Guy Robert, Victor Hugo, Promontorium Somnii,  Paris, Les Belles Lettres, 1961 (Annales littéraires de l'Université de Besançon), et celle publiée sous la direction de Jean Massin, Victor Hugo, Œuvres complètes, t. XII, Paris, Le Club Français du Livre, 1969, qui s'appuie largement sur la précédente.

[35] Ibid.

[36] Journal d’Adèle Hugo, t. II, 7 juin 1853, Lettres modernes Minard, collection Bibliothèque introuvable, op. cit.

[37] Ibid., t. IV, 6 juin 1855, op. cit.

[38] Le Journal d’Adèle Hugo, t. III, 15 juin 1854, Bibliothèque introuvable, op. cit. Le paganisme est le nom donné par les chrétiens des premiers siècles au polythéisme. Par extension, il désigne l’état de tous ceux qui ne sont pas chrétiens, les païens, et ceux qui n’ont pas de religion.