Sylvie Vielledent & Nicolas Lormeau : La mise en scène d'Hernani à la Comédie Française - 2013

Communication au Groupe Hugo du 26 janvier 2013
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Sylvie Vielledent

 

Nicolas Lormeau est acteur et metteur en scène, il fait partie de la troupe de la Comédie-Française depuis 1996. Il a en outre une activité d’enseignant : il a été professeur au cours Florent, intervient en milieu scolaire et encadre le stage « L’intervention artistique en milieu scolaire » au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique ; il est aussi chargé d’un atelier de dramaturgie pratique à l’Institut d’Études théâtrales de l’Université Paris-3. Il s’est intéressé à plusieurs reprises à la production romantique. En 1990, il a mis en scène Ruy Blas au théâtre de Sartrouville et, en 1995, « Hugo, un procès », d’après les préfaces de Victor Hugo aux samedis du Vieux-Colombier. En 2010, il adapte La Confession d’un enfant du siècle, de Musset. Enfin, les 29 et 30 juin 2012, il crée Hernani à Montpellier à l’occasion du « Printemps des comédiens », au bassin du Domaine d’O, en plein air : ce spectacle est repris au Théâtre du Vieux-Colombier, du 30 janvier au 18 février 2013.

Hernani. Le spectacle conçu par Nicolas Lormeau dure environ deux heures, moyennant plusieurs coupures : ainsi, le monologue de don Carlos est réduit à neuf minutes. Ce que l’on entend en tout premier lieu est un extrait de la préface de Ruy Blas (« Trois espèces de spectateurs composent ce qu’on est convenu d’appeler le public […] »). Dans la brochure, les répliques sont  présentées sous forme de prose, rejets et enjambements ne sont plus perçus comme tels, le naturel prime. Pourtant, à l’épreuve de la scène, le texte de la pièce ne paraît en rien trivial, la musicalité des répliques est évidente. Les didascalies considérablement allégées sont dites dans le noir au début de chaque acte par une voix off, enregistrée très près du micro.

Le spectateur retire de la représentation une impression générale d’énergie bouillonnante. L’interprétation est prise en charge par six acteurs appartenant à la troupe de la Comédie-Française. Le quatuor d’acteurs principaux est composé de Félicien Juttner (Hernani), Jennifer Decker (doña Sol), Bruno Raffaeli (Ruy Gomez), Jérôme Pouly (le roi). Françoise Gillard joue plusieurs rôles - doña Josefa, le laquais, un conspirateur – de même qu’Elliot Jenicot, tour à tour don Ricardo, un montagnard, un conspirateur. Les figurants sont massivement supprimés, suivant plusieurs indications éparses du texte, telles que « Vos amis sont au pouvoir des miens. […] Vidons entre nous deux notre querelle ici » (acte II, scène 3). L’acteur choisi pour interpréter don Ruy Gomez, grand et fort, produit un contraste saisissant avec Félicien Juttner, frêle voire émacié. Le projet de Nicolas Lormeau est né en grande partie de la rencontre avec ce dernier, qui incarne de manière très crédible un personnage de révolté, et avec le comique Jérôme Pouly : ici à contre emploi, celui-ci est d’abord un roi qui s’amuse, puis il se transforme au fil de la pièce. Jennifer Decker incarne avec autant de grâce que d’énergie le personnage de doña Sol.

 

 

Le dispositif scénique

 Nicolas Lormeau a fait le choix d’un dispositif bi-frontal. Au Vieux-Colombier, l’espace sera entièrement vide et nu au milieu des spectateurs, les comédiens jouant à même le sol, que recouvrira un tapis. Cette vacuité choisie ne peut manquer de dérouter le lecteur averti : ainsi, le roi ne se blottit pas dans l’armoire à l’acte I, il sort. Pendant la scène des portraits, Hernani n’est pas davantage caché derrière le portrait du duc ; Doña Sol est également hors-scène, elle fait son entrée en se récriant : « Roi don Carlos, vous êtes / Un mauvais roi ! » (vers 1206-07) ; Ruy Gomez, qui avait quitté le plateau, est appelé à revenir par le revirement du roi : « Mon cousin je t’estime […] » (vers 1217).

De la sorte, les notions de jardin, de cour ne veulent plus rien dire. Ce qui compte, c’est l’éloignement ou la proximité d’un acteur par rapport à un autre. A la fin de l’acte II, doña Sol demeure seule au milieu de la scène, immobile ; quand débute l’acte suivant, elle n’a pas bougé. Le duo doña Sol/don Ruy prend alors place dans un espace de jeu réduit. Se rapprochant d’elle au vers 722, « Ecoute […] », don Ruy adopte le ton de la confidence. Au moment où le faux pélerin révèle son identité, les quatre personnages sont disposés en carré, si proches et, dans le même temps, si éloignés ! Sur « Tant mieux, si dans le nombre il s’en trouve un qui veut ! » (vers 867), Hernani entraîne le laquais. Toujours à l’acte III, Hernani questionnant : « Moi, sais-tu ce que peut cette main généreuse / T’offrir de magnifique ? » (vers 942-43), doña Sol lui tend la main, puis traverse le plateau en diagonale, se dirigeant vers lui les bras ouverts. Hernani lui disant  « adieu ! mon jour s’achève. / Je m’en vais […] » (vers 961-62), elle se retrouve à nouveau seule, au milieu. A partir de « Monts d’Aragon ! […] » (vers 969), elle commence par lui tourner le dos, puis ils se font à nouveau face mais chacun à une extrémité du plateau, elle en pleurs, lui statique. Le vers 1024 « Vous êtes mon lion superbe et généreux ! » est proféré dans cette distance. Lorsque Ruy Gomez fait irruption, les amants restent étroitement enlacés, et c’est seulement en prenant la parole (vers 1059) qu’Hernani se détache d’elle, qui l’étreint. Lors des répétitions, ce jeu de scène a fait l’objet d’un travail extrêmement précis, au centimètre près.

 

 

Scénographie

 La bande-son fait imaginer le monde extérieur. La musique de Bertrand Maillot, provenant d’enceintes surélevées, évoque la foule, suggère le mouvement. Nicolas Lormeau n’a pas donné de consigne rigoureuse au compositeur, percussionniste ayant reçu une formation classique, puis de jazz, il l’a laissé libre d’ajouter tel morceau à sa guise. Les acteurs évoluent dans un bain de lumière très large, les projecteurs les éclairent crûment. Les costumes de Renato Bianchi sont ceux du XIXe siècle, de la période post-napoléonienne, non du XVIe. A l’acte III, Ruy Gomez paraît un notable de 1830, ceint d’une écharpe rouge à franges dorées, portant une décoration au revers de son habit. À l’acte IV, les conspirateurs sont vêtus de longues robes et dissimulés par des cagoules ; le duc porte le cor en bandoulière.

Les objets, en nombre restreint, sont pourvus d’une charge symbolique : le cor, la fiole de poison, les épées sont autant d’instruments de mort, que les acteurs eussent voulu trouver en permanence sur le plateau, disposés sur une table — proposition que n’a pas finalement pas retenue le metteur en scène. Le tombeau en faux marbre portant l’inscription « KAROLUS MAGNUS » est un objet très lourd, trônant au milieu du plateau dès le début de l’acte IV. Une fois recouverte par une couette volumineuse, en tissu satiné, cette tombe sera le lit sur lequel mourront les jeunes mariés au dénouement. L’image finale, de deux gisants sur le lit nuptial, n’est pas entachée de souffrance. Nicolas Lormeau avait initialement pensé faire revenir le roi à ce moment ultime de l’action, pour lui offrir en spectacle ces morts.   

 

Le roi

Le jeu de l’acteur, Jérôme Pouly, tente de restituer la métamorphose du roi, apparu au cours des deux premiers actes comme un séducteur impénitent. Dès la scène 3, tandis qu’il s’attache à dissiper la jalousie de Ruy Gomez, le roi lorgne sa nièce, de sorte que la réplique « Belle raison ! » (vers 288) prend une tournure galante. Lors de la tentative d’enlèvement, à l’acte II, le roi prend à bras-le-corps doña Sol, et la soulève en clamant : « Hé bien ! que vous m’aimiez ou non, cela n’importe ! » (vers 521). La violence du désir est efficacement suggérée par ce jeu de scène. Pourtant, le geste hautain par lequel, avant de quitter la scène à l’acte II, il ôte le manteau donné par Hernani pour protéger sa fuite ne manque pas de panache, et préfigure sa transformation à l’acte IV. Le long monologue de la scène 2 est dit avec énergie, rage concentrée. Le ton souligne efficacement les exclamations « […] être empereur ! Ô rage, / Ne pas l’être ! » (vers 1477-78) avant de s’adoucir, de devenir rêveur : « Qu’il fut heureux celui qui dort dans ce tombeau ! » L’interjection « Ô ciel ! » (vers 1509) et la gestuelle sont en parfaite adéquation : don Carlos se découvre, garde son chapeau à la main. Redevenu véhément : « Charlemagne ! c’est toi ! » (vers 1556), il se couvre de nouveau, se rapproche de la tombe. Sur « Entrons ! » (v. 1590), il fait coulisser le couvercle avant d’être saisi de peur. C’est en entendant ses « assassins » qu’il se décide à entrer dans le tombeau, dont il referme le couvercle. La dernière scène de l’acte IV est une effusion lyrique, soutenue par la musique : Carlos est transmué en Charles Quint.

 

L’amour

Le lyrisme puissant des duos amoureux est accentué par la sobriété de la mise en scène et servi par l’interprétation de Félicien Juttner et Jennifer Decker. A la scène 2, pendant qu’Hernani parle, doña Sol le fixe avec amour. Loin d’être effarouchée par la formulation, jugée choquante par les contemporains de Hugo, du vers 130, « moi, je suis un bandit ! », elle rit. A l’acte III, scène 4, gestes et regards traduisent l’intensité du sentiment amoureux. Lorsque son jeune amant, fou de jalousie, ironise : « Je vous fais compliment ! » (vers 889), brandissant le coffret à bijoux, Doña Sol reste immobile. A partir de « Mais peut-être après tout c’est perle fausse » (vers 898), il sort les joyaux, indice de l’appartenance à un autre homme, les lui tend, et sur la mention de l’« anneau d’or » (vers 907), il ferme le coffret d’un coup de pied. Doña Sol lui rétorquant « C’est le poignard qu’avec l’aide de ma patronne / Je pris au roi Carlos, lorsqu’il m’offrit un trône, / Et que je refusai pour vous qui m’outragez ! » (vers 909-11), Hernani reste sidéré, avant de tomber à ses genoux, parlant avec fièvre ; elle le regarde avec extase. A la scène 5 du même acte, la protestation d’Hernani (vers 1090), « elle est pure ! » trouve un exact équivalent dans le geste protecteur de la jeune femme, qui lui saisit la main en s’accusant : « moi seule ai tout fait ». A l’acte V, scène 3, Hernani disant « vous êtes mon bien ! » (vers 1933) pose doña Sol sur la volumineuse couette, s’allonge à ses côtés. Désormais, ils ne quitteront plus ce lit qui délimite un espace à eux, excluant Ruy Gomez : assis, adossés l’un à l’autre, lorsque le caprice de doña Sol désireuse « […] qu’une voix des nuits, tendre et délicieuse, / S’élevant tout à coup, chantât »  (vers 1963-64) diffère l’étreinte, debout lorsqu’elle défie Don Ruy, resurgi le cor à la main : « Il vaudrait mieux pour vous aller aux tigres même […] » (scène 6, vers 2059), ou lorsqu’elle boit le poison. En prononçant le vers « Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit ? » (vers 2126), elle s’écroule sur le dos, ils sont de nouveau côte à côte, unis dans la mort. Le mot de la fin : « Oh ! je suis damné !... », est dit par Ruy Gomez debout, se découvrant au pied du lit, sans se donner la mort.

 

Le grotesque

Le traitement du grotesque procède de choix personnels parfois déconcertants : ainsi, l’actrice jouant la duègne, doña Josefa, dans la scène d’exposition, est jeune et jolie. Elle est dans un rapport de séduction avec le roi, qu’elle gifle lorsqu’il la raille : « […] le balai qui te sert de monture ». Il en résulte une confusion possible pour le spectateur, d’abord tenté de croire qu’elle est l’héroïne. Au début de l’acte III, c’est le personnage du laquais qui prend en charge le grotesque, le mélange des genres, à un moment de grande intensité dramatique. Imbu du protocole, il exécute mécaniquement des courbettes. Son entrée contrastant avec la confidence poignante du vieillard constitue une détente comique. L’arrivée du roi annoncée par la musique affole le laquais, d’abord pétrifié quand Ruy Gomez lui enjoint : « Ouvrez au roi », puis ridiculisé par son attachement à l’étiquette, dépité d’être doublé par le roi, qui ne lui laisse pas le temps de l’introduire dans les formes. Après ce moment bouffon, il représentera le peuple. Enfin, à l’acte V, la scène du bal est quelque peu escamotée : Elliot Jenicot et Françoise Gillard donnent certes à voir un couple futile quittant le plateau enlacé, inconscient de la tragédie à venir, mais les répliques relatives au vieux duc « clou[ant] sa bière », au « spectre » échappé de l’enfer, ont complètement disparu, et pour cause. Le grotesque n’effleure pas Ruy Gomez, personnage peut-être plus univoque que dans la pièce.

*

Nicolas Lormeau

 

Je suis un peu intimidé devant autant de spécialistes. Je vais dire beaucoup de bêtises, ce qui n’a pas d’importance (rires). J’essaie de lire, de comprendre, mais aussi de fabriquer un spectacle, et par conséquent de faire des choix qui peuvent répondre à des instincts : s’ils ne sont pas des contresens complets, il faut alors se lancer.

 

Le projet remonte à plus de trois ans. En 2009, le collectif flammand tg Stan (qui s’était déprogrammé après la déprogrammation de Peter Handke par Bozonnet) ont répondu à l’invitation de Muriel Bozonnet pour monter un spectacle. Mais ils ne voulaient pas des ors de la Comédie-Française. Ils ont eu des demandes particulières pour organiser l’espace scénique au Vieux Colombier, et c’est le début de l’aventure d’Hernani. C’est à partir de là qu’a germé l’idée de mon spectacle. Ce fut d'abord l'idée d'un espace bi-frontal.

Dans cet espace bi-frontal, j’avais envie de mettre Phèdre, de mettre du Racine, avec des personnages presque statiques qui se parlent. Ou alors…Hugo. On le critique, parfois à raison, parfois à tort. On lui reproche d’en faire trop. Il y a tellement de mots, de mots éblouissants, que rajouter quelque chose sur ces mots devient compliqué. Je me suis mis à relire cet auteur. Hernani m’est apparu comme une pièce à quatre personnages. Son héros est celui qui « ne voit pas les choses exactement comme ça » : en réalité, Hernani passe sa vie à laisser passer sa chance. Il pourrait tuer Carlos, mais ne le fait pas, car « ce n’était pas exactement comme ça qu’il voyait les choses ».

Très vite, cet espace vide et cette histoire à quatre se sont imposés (personne ne peut contester le fait que c’est bien d’un quatuor qu’il s’agit). Il a fallu réfléchir davantage pour adapter la pièce avec un nombre minimum d’acteurs. Il a aussi fallu réfléchir à quelques coupes. Personnellement, je ne fais pas tomber des mots de Victor Hugo à la légère. J’ai pensé qu’il y avait des passages très datés historiquement, et qui relevaient plutôt du contexte de 1830. C’est ce que je me suis permis d’ôter. Je me retrouve avec un spectacle qu’on peut jouer en continuité, et qui dure 2H10, rendant, je le crois, l’impression très forte qu’on a durant la lecture.

J’ai écrit une lettre à Muriel Mayette, et je lui ai dit qu’il fallait jouer  Hernani. J’ai choisi les acteurs qui me semblaient pouvoir jouer les différents rôles. Muriel Mayette a eu peur qu’on accuse la Comédie-Française de ne pas avoir les moyens de monter correctement Hernani. C’était une peur légitime. J’ai bien insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une adaptation mais d’un parti pris dramaturgique. J’ai pris l’exemple de Cyrano pour montrer qu’on pouvait réduire le personnel dramatique. Mon ambition était de proposer une dramaturgie moderne. Je monte vraiment Hernani. Ce ne sont pas des extraits, même s’il y a quelques coupes.

 

Cette mise en scène, c’est un rêve qui se réalise, et j’ai l’impression que Victor Hugo est d’accord avec ce choix. Il y a du vide, et des mots. Nous ne sommes pas dans un théâtre vide, mais dans le vide. L’espace du Vieux Colombier n’est d’ailleurs pas idéal : il aurait été préférable d’avoir un peu plus de place. Le quatrième mur a sauté (rires), et le premier aussi, puisqu’il y a des spectateurs de l’autre côté.

Il y a dans la pièce des incohérences. Dona Sol est à Aix La Chapelle à l’acte IV. Ce que j’aime chez Hugo, c’est qu’il ne pense pas à ces détails. Elle est à Saragosse et il la ramène. Où est-elle avant ? Comment est-elle venue ici ? Dans une première version, j’avais imaginé qu’elle avait été enlevée par Charles Quint. Elle était sur la scène, mais on sentait que c’était une sorte de verrue. Finalement, j’ai décidé de faire comme Victor Hugo. Personne ne s’est jamais révolté en me disant que ce n’était pas rationnel.

Quant au problème de la langue, je dois dire que je suis fasciné par les vers de Victor Hugo. La structure classique est toujours respectée (sauf quelques diérèses tirées par les cheveux). Et cet alexandrin, même si on veut le dire comme du Racine – ce qui n’est pas très intéressant, de mon point de vue – va quand même disparaître dans l’oreille du spectateur. Hugo est assez doué pour faire entendre ou ne pas faire entendre l’alexandrin, à son gré. J’ai une image en tête : quelqu’un qui enlève l’œil du pied pour le remettre sur le visage dans un tableau de Picasso fait la même chose que celui qui fait entendre « à l’escalier/Dérobé ». C’est une correction qui n’a pas lieu d’être. Il y a dans la pièce des vers d’un classicisme parfait : Hugo fait ce qu’il veut, et nous le laisse savoir.

La brochure que j’ai donnée aux acteurs comporte le texte sans la disposition en vers. Parfois, je suis embêté et je dois utiliser un artifice. J’ai dû récrire quelques mots pour que le texte ne soit pas contradictoire avec notre mise en scène (par exemple, nous n’avons pas de flambeau sur scène). C’est ce qui peut entraîner une polémique. Mais dans la réalité, personne ne vient me dire que je ne respecte pas le vers. Je me suis parfois un peu battu avec Bruno Raphaeli quand il voulait faire entendre un rejet, et que je ne le souhaitais pas. Je me demande ce que Daniel Mesguich va en penser. Je pense que la démarche opposée à la mienne est représentée par des mises en scène comme celle de Brigitte Jaques-Wajeman (faire entendre la versification). Daniel Mesguich précise quant à lui que si Hugo avait voulu faire disparaître le vers, il aurait écrit en prose. Certes, mais j’ai la prétention de penser que ma démarche est plus fidèle. Par ailleurs, ce n’est pas la musique qui disparaît. Le rythme, inconsciemment, reste là. Il y a un prodige hugolien : écrire des vers qui n’en sont pas. Et c’est ce que je veux porter sur la scène. Bien entendu, ce n’est que mon point de vue. Je regrette de n’avoir pas vu la mise en scène de Vitez, à l’époque. On m’avait raconté que l’actrice justifiait le renvoi de « Dérobé » par un ressort psychologique. Mais il y aurait beaucoup de ressorts psychologiques à trouver…

 

Pour ce qui est des décors : ils sont réalistes. Il y a une chambre. Il y a un balcon. J’ai choisi d’éteindre et de rallumer, et de ne mettre aucun décor. Durant les premières répétitions, les acteurs étaient perplexes. Pour moi, c’était un décor réaliste : il y a un lit. Mais il est là où les gens l’imaginent, ce n’est pas la peine de de mimer quelque chose. J’ai simplement choisi de conserver les accessoires qui servent à tuer ou à se tuer : poison, couteau, dague… Au Vieux-Colombier, la liste des accessoires donne l’impression d’une descente de la PJ.

Ou, sans rire, « Tout est-il donc si peu que ce soit là qu’on vienne » : la tombe est ce qui nous est commun. Donc j’ai demandé qu’on mette une tombe, ce qui a donné lieu à un incident amusant : on m’a fourni un cube peint en marbre. Cela fonctionne très bien. Pour l’acte V, je voulais mettre un lit nuptial qui donne envie de s’y coucher. Donc je suis allé chez les tapissiers de la Comédie-Française pour demander une énorme couette qui puisse recouvrir un tombeau. Avec les dimensions que j’ai fournies, elle aurait dû peser 60 kilos. Nous avons choisi un format plus raisonnable, mais elle reste volumineuse.

Voilà la scénographie du spectacle. Il n’y a qu’un objet, mais il est massif.