Séance du 14 mars 2015

Présents: Mmes Claude Millet, Junxian Liu, Marguerite Mouton ; MM. Pierre
Georgel, Vincent Wallez, David Stidler, Guy Rosa, Jean-Marc Hovasse, Arnaud
Laster, Denis Sellem, Franck Laurent.


Informations

Arnaud Laster a vu un Ruy Blas futuriste qui fonctionne très bien. Salluste a des écrans de vidéosurveillance : cela démontre d'une manière frappante que Hugo est transposable, pour peu que les valeurs des personnages soient conservées. La pièce était bien jouée, malgré des voix et des niveaux sonores inégaux (Mise en scène de Guillaume Carrier, Compagnie 200%, 04 et 05 avril 2015 à la salle des Fêtes de Maule, 24 et 25 avril 2015 salle George Brassens, à Mesnil Le Roi).

 

Claude Millet fait circuler un journal japonais qu'on lui a remis (Ovni, n° 766, 15 juin 2014), ainsi qu'une lettre signée Victor Hugo qu'elle a reçue récemment, mais dont on peut franchement douter de l'authenticité… Par ailleurs, elle rappelle que le colloque organisé par Delphine Gleizes (« Représenter Victor Hugo ») a lieu à Lyon la semaine suivante.

 

Vincent Wallez mentionne une adaptation des Misérables dans un théâtre d'objets : deux comédiennes manipulent des figurines ou des maquettes, et se chargent des voix. Le spectacle dure 1h10 et traite avec finesse la dimension  politique ainsi que les antagonismes. Myriel était un crucifix, Gavroche un santon… Le plateau était aimanté et certains effets de mise en scène étaient presque magiques. Il faut souligner la réussite esthétique d'un spectacle aux charmes enfantins. Cette compagnie avait auparavant adapté Madame Bovary et ils ont l'ambition de monter Rabelais. Cette volonté de mettre à la portée du jeune âge des œuvres complexes est admirable, et les adaptations ne sont jamais niaises (Les Misérables, Cie Karyatides, théâtre Jean Arp, direction Farid Bentaïeb, du 10 au 14 mars 2015).

 

Arnaud Laster précise qu'une adaptation cinématographique des Misérables se donne en ce moment, dans une version ciné-concert avec un accompagnement au piano. C'est un événement unique, avenue des Gobelins.

Vincent Wallez confirme la grande beauté de ce film, et souligne qu'il avait été tourné sur les lieux du roman, qui n'avaient pas tant changé à cette époque, ce qui constitue un témoignage très important sur l'aspect de ce Paris.

 

Claude Millet présente l'oratrice du jour, Marguerite Mouton, qui a récemment soutenu sa thèse consacrée à l'épique dans l'œuvre de Victor Hugo et Tolkien.

 

Franck Laurent précise qu'il a relu Modiano et son discours à Stockholm, où il cite beaucoup d'écrivains, mais il ne mentionne pas Hugo. Il lit alors deux pages de Dora Bruder qui donnent un bel écho aux Misérables.


Communication de Marguerite MoutonLa vision épique dans Notre-Dame de Paris et La Légende des siècles de Victor Hugo (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet. Je vous remercie pour cette très belle et très riche communication. Pour lancer le débat, je vais commencer par exprimer un doute, une petite critique et une question. Mon doute porte sur la première partie théorique. Tout d’abord, l’efficacité du recours au discours mallarméen me laisse perplexe. En outre, Hegel s’est peut-être imposé comme LA référence sur l’épique chez les théoriciens du xxe siècle, mais le XIXe siècle français est d’abord l’héritier du débat sur le merveilleux épique, qui  « traîne » depuis le XVIIIe siècle.

Guy Rosa. Néanmoins, à l’appui des échos hégéliens chez Hugo, nous pouvons citer la Préface de Cromwell et William Shakespeare.

Franck Laurent. Il est vrai qu’il est difficile d’évaluer les choses précisément. Mais Victor Cousin donne son grand cours en 1828, et il eut un retentissement considérable. Or, c’est une vulgarisation de l’esthétique hégélienne. Je ne remets pas en cause ce que dit Claude, mais comme toujours, nous avons du mal à dire ce que ces grands auteurs ont lu. Sur cette question, nous avons néanmoins le repère du cours de Cousin.

Claude Millet. Certes, mais je voulais dire que ce spectre est plus difficile à saisir que la présentation de l’oratrice ne le laissait supposer. Merveilleux épique, noblesse épique et épopée nationale sont au centre du xviiie. Je ne crois pas à la mise en récit de l’essoufflement de l’épique qui nous a été présentée. Le motif de l’’essoufflement épique est en partie une construction de l’histoire littéraire, cette histoire des vainqueurs. J’ai également d’autres petites critiques : si l’on reprend votre citation 7, vous avez oublié de recopier le vers suivant, qui aurait modifié votre  interprétation. Quant à la question de savoir si tout devient visible, on peut plutôt se demander si Hugo ne cherche pas à rendre visible l’invisible. Je ne suis pas sûr que l’on puisse faire entrer Hugo dans le modèle d’Auerbach que vous convoquez.

Marguerite Mouton. Dans la puissance de dépassement, c’est la puissance qui est un principe épique.

Claude Millet. Mais le visionnaire est partout dans l’œuvre de Hugo.

Franck Laurent. C’est cette configuration qui donne sa dimension particulière à l’épique hugolien. C’est un des processus profonds de la création poétique de Hugo en général, appliqué ou non à l’épique. Dans « La Pente de la rêverie », il y a déjà la question de la pente insensible. Il y a un continuum entre le visible et l’invisible (même s’il dit parfois le contraire). Cela justifie sans doute à ses yeux ces procédures littéraires. Dans le travail de l’imagination poétique de Hugo, cette idée-là est mise en pratique, ce qui rend possible la circulation. On figure l’infigurable.

Vincent Wallez. J’ai l’impression, chez Hugo, qu’il y  a effectivement une dimension épique reliée au fantastique. Une réalité qui n’est pas reliée directement au monde réel est racontée, avec des événements qui ne pourraient pas arriver dans le monde réel. Dans les romans, même si la vision tend vers le fantastique ou l’épique, le lecteur n’est jamais complètement déconnecté de la réalité. Chez Homère, chez Tolkien, ce qui est décrit est donné comme un monde réel bien qu’il n’existe pas. Ce monde n’a rien à voir directement avec notre propre monde. Il y a là une grande différence entre l’épique et l’épique hugolien.

Claude Millet. Tu as raison : il y a des miracles dans La Légende des siècles et il n’y en a pas dans les romans.

Marguerite Mouton. Quasimodo existe-t-il dans la réalité ?

Claude Millet. Oui, je l’ai vu bien souvent à la gare de Lille.

Arnaud Laster. J’ai appris que la métaphore était une image coupée des liens de médiation. Vos exemples sont plutôt des comparaisons que des métaphores, car il y a toujours une forme de médiation.

Claude Millet. Cela dit, c’est peut-être un effet des citations proposées.

Arnaud Laster. « La Vision d’où est sorti ce livre » met les choses à distance, puisqu’il s’agit d’un rêve.

Franck Laurent. Mais parfois la métaphore s’étend tellement qu’elle acquiert une vie propre et qu’elle fait oublier le modalisateur initial.

Claude Millet. L’oratrice a eu raison de dire que Hugo permet de retrouver l’immédiateté de l’objet sans faire oublier son interprétation. Hugo recherche le rapport à l’objet, pour, à la fois, le maintenir à distance et le rapprocher.

Guy Rosa. Je trouve gênant de conclure au caractère épique de Notre-Dame de Paris et pas à celui des Misérables. C’est ennuyeux, car c’est ce dernier qui passe pour le roman épique. D’une certaine manière, vous opposez l’épique à l’épopée.

Claude Millet. Mais je trouve que vous faites une excellente description du visionnaire.

Marguerite Mouton. Je suis fasciné par cette définition : rendre tout visible.

Vincent Wallez. Est-ce vraiment épique ? Ou plutôt mythologique ? est-ce que rendre visible, ce n’est pas expliquer pour la mythologie ?

Claude Millet. Souvenons-nous de ce  que dit Guy Rosa, par exemple, pour les disparitions de personnages. Hugo est dans ce battement-là. Dans William Shakespeare, Hugo fait un peu du Auerbach : Homère est un grand soleil qui met tout en évidence. Je ne sais pas si cette histoire d’élucidation fonctionne. L’ombre, la nuit, les ténèbres ne sont pas percées – elles sont montrées comme ténèbres.

Guy Rosa. Mais c’est la réussite complète, alors ! On voit les ténèbres hugoliennes.

Franck Laurent. Je voudrais revenir sur la citation 11 de votre exemplier. J’ai cru comprendre que vous faisiez un contresens de lecture un peu étonnant sur « Tous les tumultueux points d’interrogation de la rêverie ». Ce groupe de mots porte sur la guerre civile. Par ailleurs, Les Misérables est presque un roman contemporain (d’autant plus qu’il devait paraître en 1848). Hugo, en exil, dramatise la coupure : il prétend parler d’un Paris qui n’existe plus. C’est un des éléments qui fait basculer le roman dans l’épopée : la dimension épique des Misérables serait sans doute beaucoup moins grande sans cette coupure presque ontologique. Par ailleurs, l’idée de Mallarmé reprise par Combes, à savoir que le poétique exclut le narratif, est certes la tendance lourde, mais attention à ne pas se laisser piéger : Apollinaire et Cendrars veulent faire revenir le narratif dans la poésie. Certes, les surréalistes ont occulté cette potentialité. Mais Aragon poète reprend la chose où l’avait laissée Apollinaire. Il n’y a pas d’évidence, et tous les écrivains ne sont pas satisfaits de cette situation. Et c’est très franco-français : les anglo-saxons n’évacuent pas le narratif. Les jeux ne sont pas faits, malgré ces théorisations pseudo-historiques.

Claude Millet. Il me reste à vous remercier pour votre communication, et à remercier les membres pour leur contribution à la discussion.

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