Séance du 19 mars 2016

Présents: Franck Laurent, Tristan Leroy, Marlène Agius, Arnaud Laster, Sylvie Vielledent, Guy Rosa, Jean-Marc Hovasse, Vincent Wallez, David Charles, Marie-Clémence Régnier, Guillaume Peynet, Françoise Chenet, Claude Millet, Caroline Julliot, Jordi Brahamcha-Marin.


Informations

Livres

Claude Millet fait circuler le livre de Florence Naugrette sur Le théâtre de Victor Hugo (paru chez Ides et Calendes), qui contient une partie historique et une partie sur des questions de dramaturgie. C’est un ouvrage remarquable.

Elle signale également que Michelle Riot-Sarcey vient de publier La liberté en procès : une histoire souterraine du XIXe siècle en France (éd. La Découverte), qui évoque la construction du peuple au XIXe siècle. L’auteure évoque Hugo et Claude Millet l’a invitée à venir nous en parler à la séance de septembre. Devoir de vacances pour les membres du groupe Hugo : lire La liberté en procès !

Guy Rosa demande des informations sur le Hugo de Michel Butor (éd. Buchet Chastel). Arnaud Laster explique qu’il s’agit d’une anthologie de poèmes et de textes en prose, présentée et commentée. C’est un travail très intéressant, qui dérive de la lecture de Hugo par Butor au temps des Répertoires.

 

Spectacles

Claude Millet annonce que Jean Bellorini monte pour la sixième année consécutive Tempête sous un crâne, adapté des Misérables, au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis. Il paraît que c’est un très beau travail. On pourrait inviter le metteur en scène, en juin, octobre ou novembre prochain. Sylvie Vielledent invitera l’un de ses étudiants, qui a travaillé sur Bellorini.

Guy Rosa annonce que Les Misérables d’Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg sera repris à Paris en 2017, en français mais dans l’adaptation anglaise.

Toujours dans les comédies musicales, Arnaud Laster signale également la reprise de Notre-Dame de Paris.

Arnaud Laster signale la Marie Tudor, de très bonne qualité, au théâtre du Nord-Ouest. Il a lui-même officié en tant que conseiller dans l’équipe du spectacle. C’est un travail très consciencieux, accompli par des acteurs qui donnent de l’humanité à chaque personnage. Le théâtre du Nord-Ouest est un théâtre d’art et d’essai, qui fonctionne sur la base du bénévolat, ce qui fait que Marie Tudor est un spectacle avec très peu de moyens – mais avec beaucoup de cœur. Il dure 2h30, et mérite d’être vu.

La représentation du 20 mars, à 17h, sera suivie d’un débat.

 

Conférences

Guy Rosa signale qu’il y aura, le 2 avril, une série de quatre conférences données à Guernesey par Gérard Pouchain, Jean-Marc Hovasse, Florence Naugrette et Gérard Audinet, sur la vie de Hugo pendant l’exil. Cela dans le cadre du « Victor Hugo in Guernesey Festival ».


Communication de Caroline JulliotMarion de Lorme: Richelieu est-il un grand homme? (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet remercie Caroline Julliot pour sa belle communication, qui soulève la question compliquée du caractère impersonnel de la tyrannie que nous retrouverons en Juin avec Franck Laurent.

 

Le théologico-politique

Claude Millet remarque que Richelieu est une figure de la sécularisation du pouvoir, et que pourtant l’exposé de Caroline Julliot le recharge continuellement d’une dimension théologico-politique.

Caroline Julliot explique que c’est parce qu’il s’agit d’un état historique intermédiaire. L’État utilise encore le statut de cardinal de Richelieu, et la référence à Dieu, pour asseoir son pouvoir. Celui-ci a encore une forme de sacralité. Mais ce n’est plus la situation de Torquemada, où le religieux dicte au politique ses modalités d’exercice du pouvoir. À l’époque de Richelieu, le religieux est absorbé dans le politique. L’étape suivante sera celle de l’État sans sacralité, de la sécularisation totale.

Claude Millet souligne que s’il s’agit bien d’un arrière-plan heuristique utile, cependant la pièce de Hugo ne fait pas apparaître cette logique historique. Hugo montre des nœuds, difficiles à défaire, bien plus qu’il ne propose un récit cohérent de cette histoire des rapports entre pouvoir et sacralité.

Franck Laurent confirme qu’il y a bien une sacralisation de l’État royal dans la pièce, et que Richelieu est un opérateur de cette sacralisation. Marion De Lorme est l’une des nombreuses œuvres de Hugo où il figure cette absorption de la sacralité par l’État.

Caroline Julliot ajoute que la raison d’État, de toute façon, est une forme de sacralité. Sur le bureau de Richelieu, paraît-il, trônaient Le Prince de Machiavel, et un bréviaire… Il n’y a pas d’opposition entre le pouvoir et la sacralité. Contrairement à ce qui est théorisé par Machiavel, chez Richelieu, le pouvoir est bien soumis à une logique d’un ordre supérieur, et sacré.

 

La litière de Richelieu

Claude Millet revient sur la litière dans laquelle se trouve Richelieu, à la dernière scène de la pièce. Il faut, d’après les didascalies de Hugo, vingt-quatre hommes pour la porter : c’est une image forte de la domination !

Guy Rosa y voit aussi un signe de la maladie, bientôt, fatale, de Richelieu. La litière, funeste et mortifère, n’est aussi rien d'autre qu'un lit médicalisé…

Pour Claude Millet, cela pose la question de la corporéité. Car Richelieu est sans corps, et en même temps la litière donne une présence massive à sa corporéité (en versant même dans le grotesque, précise Guy Rosa…). En tout cas, l’image de la litière recharge à la fois en humanité et en corporéité un imaginaire du pouvoir occulte. La fin de la pièce mobilise des images extrêmement fortes et difficiles à débrouiller.

Franck Laurent trouve tout de même le sens assez clair : on a un roi, qui est un personnage, qui n’a pas le pouvoir, et un État, représenté de manière impersonnelle, qui dit la loi. Cette lecture évidente fonctionne bien. On a d’ailleurs la même chose dans Marie Tudor, avec le même élément narratif : la reine ne peut pas faire grâce, car elle irait contre la loi.

Quant à la litière, elle vaut à la fois comme rappel du caractère moribond de Richelieu, et comme évocation de la litière de l’empereur romain.

Françoise Chenet remarque que le pouvoir arrive, dans cette litière, à l’horizontale… L’État a perdu sa verticalité, il est couché, et mal en point.

Franck Laurent ajoute que l’image d’un lieu fermé et invisible (ici, la litière) où se trouve le pouvoir sera assez féconde dans la suite de la carrière de Hugo. Dans « Rêverie d’un passant à propos d’un roi » (Les Feuilles d’automne), Hugo évoque ainsi les carrosses royaux, à l’occasion de la réception du roi de Naples (à l’issue de laquelle Charles X décidera de dissoudre la chambre).

Plus clairement encore, la fin de Quatrevingt-Treize est susceptible d’un rapprochement terme à terme. Marion crie grâce à genoux, et le pouvoir souverain répond : « Pas de grâce ». À la fin de Quatrevingt-Treize, on est au pied de l’échafaud ; les soldats crient grâce, quelques uns tombent à genoux. « Une voix » (plutôt que « Cimourdain », comme si on ne le voyait pas), crie : « Force à la loi !», et affirme, comme Richelieu, la souveraineté de la loi.

Arnaud Laster est sceptique sur ce second parallèle, car Cimourdain se suicide immédiatement… On n’imagine pas Torquemada ou Richelieu se suicider.

Guy Rosa remarque cependant que Richelieu est presque mort dans sa litière : c’est la mort qui prononce la mort…

Mais le suicide de Cimourdain, pour Arnaud Laster, a tout de même un tout autre sens.

 

La question de la souveraineté

Guy Rosa n’est pas d’accord avec l’interprétation générale de Marion de Lorme qu’il a entendue. La pièce, dit-il, représente une souveraineté toujours aliénée : Louis XIII n’est pas souverain à cause de Richelieu, Richelieu n’est pas souverain à cause du père Joseph… Qui est vraiment souverain, c’est-à-dire sujet? Personne. Il y a des individus qui entreprennent de devenir sujets (Marion, les duellistes), et des gens ou des choses qui entreprennent de les en empêcher, et y parviennent. Mais ces opposants ne sont pas eux-mêmes des sujets. Richelieu est couché dans sa litière, et puis il y a le père Joseph, la loi, l’état… Les personnages de Marion de Lorme font face à la même impossibilité d’être sujets, et, s'ils sont rois, souverains, que Cromwell, Marie Tudor, Ruy Blas et la Reine -mais aussi le roi Charles II.

Claude Millet concède que Hugo complique sa représentation de la tyrannie par un va-et-vient constant entre le personnel et l’impersonnel, la subjectivité et la désubjectivation de la politique. Il n’empêche qu’au bout du compte quelque chose a bien lieu : l’impossibilité de la souveraineté finit par s’achever. Le refus de la grâce est un acte souverain !

Guy Rosa objecte qu’il s’agit d’un acte entièrement négatif, d’une passivité, même si elle se donne une allure affirmative, qui de surcroit résulte d’une souveraineté usurpée et d’une loi antérieure injuste par elle-même…

Certes, répond Claude Millet, mais c’est un acte qui tue !

Franck Laurent remarque que le caractère non subjectif de la souveraineté est précisément ce qui définit la souveraineté moderne. L’histoire politique, c’est l’histoire de l’abstraction du pouvoir sous les formes de la loi et de l’État.

C’est précisément, répond Guy Rosa, ce que Hugo n’apprécie pas.

Franck Laurent en convient. Mais le fait que les personnages ne soient pas souverains n’implique pas qu’il n’y ait pas de souveraineté. Il y a la souveraineté… de la loi, comme pouvoir sans extérieur.

 

La question de l’État - ou de l'état

Et puis, poursuit Guy Rosa, Hugo ne s’intéresse pas à l’état, et Marion n’est pas une pièce sur l’État. Un signe de la réticence de Hugo envers la notion et la réalité de l’état se trouve dans le fait que, dans tous les manuscrits que Rosa connaît, Hugo écrit le mot avec une minuscule initiale. Bien plus, Hugo corrige systématiquement la majuscule quand les typographes en ont pris l’initiative, alors qu’il en met une, parfois, pour l’Église catholique et la laisse quand les typographes l'ont mise. Franck Laurent remarque que Hugo, de manière générale, met très rarement la majuscule aux termes abstraits ; Guy Rosa répond que la liberté est un terme abstrait mais pas l’état et que Hugo ne revient à la minuscule aux épreuves que pour lui.

Mais alors, objecte Caroline Julliot, comment comprendre la référence au Léviathan ?

Guy Rosa pense qu’il s’agit plutôt de la société, de la force des choses, que de l’État à proprement parler. Hugo est un penseur du dépérissement de l’État – ce qui fait bien de lui, répond Franck Laurent, un penseur de l’État, fût-ce de l’État qui dépérit.

Claude Millet note que cela le rapproche du discours des libéraux,  favorables au moins d’État possible (discours également présent chez les saint-simoniens, les proudhoniens…).

Arnaud Laster signale qu’il y a sept occurrences du mot état dans Marion de Lorme.

 

La question de la sacralité

Enfin, Guy Rosa n’est pas convaincu par l’idée de sacralité appliquée à la pièce. C’est une idée étrangère à Hugo –« Crois-tu donc que les rois à moi me sont sacrés ? ». Même l’idée d’un « sacre » du poète romantique n’est pas tout à fait exacte pour Hugo. Bénichou analyse le « sacre du poète » comme un transfert vers lui de la position sacerdotale… C’est sans doute vrai pour certains auteurs, mais inexact pour Hugo. Quand il qualifie le poète de sacerdos magnus, c’est par métaphore. Le rôle du poète, pour Hugo, n’a rien de sacré, au sens où il le séparerait des autres hommes ; le poète exerce une fonction, pas un sacerdoce conféré par je ne sais quel sacrement. Et s’il faut à tout prix employer des termes religieux, il est plus près du prophète –à travers qui Dieu parle, mais de manière sauvage et non institutionnelle–, que du prêtre consacré par une Eglise. Imagine-t-on Frollo ou Ebenezer en image du poète?

Franck Laurent précise : ce n’est pas parce qu’on analyse dans la pièce la présence d’une sacralité de l’État que l’on sous-entend que Hugo serait d’accord avec elle. Au contraire, Hugo critique radicalement l’État dans Marion De Lorme, et il met en scène sa sacralité pour en montrer les apories. Mais critiquer l’État suppose d’en parler et de le penser… même si c’est pour parler de son dépérissement.

 

Hugo et Bossuet

Guy Rosa s’avoue surpris d’entendre Hugo transformé en Bossuet, que Hugo n’aime guère, dont il se moque à la première occasion (cf. Les Misérables, I, 7, 9), et qui est la tête de Turc des romantiques.

Arnaud Laster ajoute que Hugo déteste Bossuet, notamment parce que ce dernier a applaudi les dragonnades.

Caroline Julliot précise : elle ne dit pas que Hugo copie Bossuet, ni qu’il lui rend hommage, mais que son discours sur la tombe de Balzac reprend le modèle de l’oraison funèbre, et en altère la perspective catholique. Et l’oraison de Bossuet sur la mort d’Henriette d’Angleterre est bien le paradigme de l’oraison funèbre ! Les échos sont très directs, même si Hugo ne manifeste pas de déférence à l’égard de Bossuet.

Franck Laurent souligne que dans ces moments-là, à l’occasion de la mort, il y a justement de la sacralité.

Françoise Chenet se demande pourquoi faire référence à ce sermon-là plutôt qu’à un autre ? Cela lui paraît un détour inutile.

Franck Laurent répond que quand on parle d’oraison funèbre, le modèle de Bossuet arrive assez vite. Le lien ne lui paraît pas du tout absurde.

Franck Laurent relève l’appel à une communauté lancé par Hugo sur la tombe de Balzac : c’est bien dans l’esprit de l’époque. Il s’agit de transférer la communauté chrétienne, de Bossuet, vers une nouvelle communauté intellectuelle. Mais tout en conservant l’affirmation fondamentale de la vie après la mort et de l’immortalité de l’âme. Quand Hugo enterre quelqu’un, il parle toujours de Dieu.

 

Le moment Marion de Lorme

Françoise Chenet rappelle que le moment Marion de Lorme joue un rôle extraordinaire dans la conscience romantique. On retrouve la trace du personnage chez Balzac, Dumas, et même Zola. La lecture de Marion par Hugo en juillet 1829 constitue le grand moment fondateur d’une communauté intellectuelle, et dont beaucoup vont ensuite avoir la nostalgie.

Françoise Chenet suggère un parallèle avec la création de l’Académie française en 1636, qui fut également un grand moment de rassemblement des intellectuels.

Caroline Julliot signale que chez Vigny, dans Cinq-Mars, Marion de Lorme flirte avec le cardinal, tout en participant, pour la torpiller, à une conspiration contre lui. Chez Alexandre Dumas (Le Comte de Moret, réédité actuellement sous le titre Le Sphinx rouge, d’après une expression de Michelet), Marion est la grande amie de Richelieu. L’idée que Marion est une ancienne courtisane de Richelieu est ancrée dans les imaginaires de l’époque.

 

Richelieu et Mazarin

Françoise Chenet rappelle que la pièce inachevée de Hugo, Les Jumeaux, fait intervenir Mazarin, et qu’elle pose le problème de la légitimité du roi.

Arnaud Laster souligne que dans Les Jumeaux, Hugo rend hommage à Mazarin, et à son dessein européen.

Franck Laurent relève que ce qui caractérise le grand homme dans le théâtre hugolien de cette époque, c’est précisément sa capacité à dresser de grands tableaux géopolitiques. Ruy Blas, Don Carlos le font… Mais dans Les Jumeaux, Hugo va un peu loin : Mazarin en penseur de l’Europe à venir, Mazarin en grand homme, cela risque d’être difficile à tenir… C’est peut-être pour cela que la pièce est interrompue.

Caroline Julliot rappelle qu’au XIXe siècle, Richelieu est généralement préféré à Mazarin.

C’est très clair chez Dumas, souligne Franck Laurent. Et Les Jumeaux font exception. Mais justement, la pièce est inachevée…

 

Hugo et Augier

En réponse à une question d’Arnaud Laster, Caroline Julliot précise le titre de la pièce d’Émile Augier à laquelle elle faisait allusion : Diane (1852). Ce n’est pas exactement l’histoire de Marion de Lorme, mais la question de la grâce s’y trouve aussi. Mais là, tout finit bien.

Franck Laurent rappelle que Marion de Lorme est rejouée au printemps 1852. Bonaparte dit à cette occasion que Hugo a bien du talent : c’est une tentative pour le faire revenir.

Arnaud Laster rappelle un mot de Hugo : « Il y a de l’auge dans Augier ». Évidemment, c’est un fragment non publié de son vivant.

 

Richelieu et Marion : la tragédie politique et le mélodrame

Claude Millet signale que Marion de Lorme et Notre-Dame de Paris sont deux œuvres qui ressaisissent la grande histoire libérale et font l’hypothèse que Louis XI et Richelieu sont deux étapes d’un mouvement dialectique de démocratisation. Ils aident à mettre fin au monde féodal et préparent le triomphe du Tiers-État.

Caroline Julliot souligne que cette vision historique, à l’époque, correspond aussi à une lecture réactionnaire – au moins en ce qui concerne Richelieu.

Claude Millet précise que Hugo se saisit de ce scénario, mais en même temps le conteste, en introduisant à chaque fois une figue d’exclue, Marion, Esmeralda. C’est pourquoi on pourrait réinscrire la figure de Richelieu dans ce drame qui porte le nom de Marion de Lorme. Dans la pièce, la tragédie politique prend place dans un mélodrame de la bonne prostituée. Et les deux entrent en collision : quand le drame est joué au théâtre de la Porte Saint-Martin, Marie Dorval va voir Hugo pour se plaindre de la fin trop triste. Hugo change le texte, et Didier pardonne…

Arnaud Laster demande si ce changement est bien dû à une intervention de Dorval, et pas plutôt de Sainte-Beuve ou de Mérimée.

Franck Laurent répond que cela tient surtout aux codes de la Porte Saint-Martin, et cite l’exemple de la pièce Thermidor, de Victorien Sardou, à la fin du XIXe siècle : à la Comédie-française, l’héroïne est guillotinée ; deux ans plus tard, à la Porte Saint-Martin, elle est sauvée in extremis.

Claude Millet remarque donc que l’adaptation de la pièce aux codes mélodramatiques de la Porte Saint-Martin modifie le sens politique de la pièce.

Hugo, note Franck Laurent, a le sens de son public…

Mais Guy Rosa rappelle que Hugo publie les deux dénouements (celui auquel il a renoncé passe en annexe), et ne trouve pas que le sens de la pièce soit radicalement modifié d’une version à l’autre.

Pourtant, souligne Claude Millet, si Didier pardonne, alors on a une communauté du peuple qui s’esquisse. Marion et Didier, c’est le peuple. Et peut-être le Hugo de 1831 est-il politiquement plus enclin à les faire se réconcilier que le Hugo de 1829…

 

Richelieu et Corneille

Franck Laurent apprécie le parallèle proposé par Caroline Julliot entre la quasi-absence scénique de Richelieu, et l’absence totale de Corneille. Hugo, à cette époque-là, refuse d’écrire un drame ou un roman de l’artiste. Tous les autres le font: Balzac, Dumas, Musset, Vigny, mais pas Hugo. Etrangement, les artistes sont dévalorisés dans la fiction hugolienne : Marot dans Le roi s’amuse, Gringoire dans Notre-Dame, et même Milton dans Cromwell, qui est ridicule sur scène. Même dans le Théâtre en liberté il n’y a pas de personnage de grand artiste. Ils ne représentent jamais une figure salvatrice. C’est une singularité importante, qui se comprend par l’idée d’une nécessaire désincarnation : le génie déborde toute forme d’incarnation, de représentation sous forme de personnage.

Guy Rosa approuve: la biographie de Shakespeare dans William Shakespeare est toute entière déceptive.

 

Réflexions sur la tyrannie

Claude Millet repère sur Richelieu l’ombre de la figure du grand vizir. La réflexion sur le tyran, au XVIIe et XVIIIe siècles, s’attache à la figure du despote oriental, qui délègue son pouvoir au grand vizir, de sorte que le tout-puissant devient impuissant. Il y a une circulation entre les deux pouvoirs. Du coup, le problème de la tyrannie, c’est qu’il n’y a personne derrière.

Caroline Julliot, dans ses recherches, n’a pas vu passer de référence à ce modèle. Mais elle souligne que c’est aussi une question qui se pose dans les constitutions démocratiques : à qui donne-t-on le pouvoir ? Théoriquement le peuple est souverain, mais on donne du pouvoir à l’exécutif, toujours soupçonné de devenir tyran.

C’est en tout cas, relève Franck Laurent, une crainte typique de la IIIe République – justement, précise Caroline Julliot, au moment où Richelieu est récupéré comme fondateur de l’histoire nationale.

 

Hugo libéral

Guy Rosa rappelle que l’idéal politique de Hugo est une société sans état se gouvernant elle-même.

C’est ce qui le rapproche, précise Claude Millet, de l’héritage libéral. Ou anarchiste, suggère Guy Rosa. Mais pour Claude Millet, « anarchiste », il ne le sera que plus tard, dans l’Art d’être grand-père.

Franck Laurent signale que sous la IInde République, Hugo admet la nécessité de ce que Bourdieu appellera la « main gauche de l’État ». Il pense par exemple que ce n’est pas aux communes de s’occuper de l’éducation, mais à l’État. La misère doit être prise en charge par la puissance publique.

Guy Rosa estime qu’on peut là parler de nation, tout aussi bien que d’état. Mais Franck Laurent maintient : Hugo dit bien État.

Claude Millet ajoute que la dernière étape dans cette reconnaissance par Hugo de la fonction sociale de l’État sera atteinte après la Commune : Hugo accepte alors, et alors seulement, l’idée de l’impôt sur le revenu.

Guy Rosa remarque que pour Hugo la seule question légitime, dès 1830 voire avant, est la question sociale, pas la question politique, qui est celle du pouvoir et de l’état.

Pour Franck Laurent, cette répudiation de la question politique est aussi une forme de déminage contre les guizotiens, qui estiment également que la question politique est réglée.

Arnaud Laster précise qu’il a cette opinion au début des années 1830, mais pas dans les années 1850-1860. Pendant l’exil, il n’admet plus la monarchie.

Claude Millet rappelle ce qu’écrit Hugo dans Littérature et philosophie mêlée : il dit clairement que la République n’est pas mûre. En 1851, la question des institutions revient au premier plan, mais elle n’y était pas sous la monarchie de Juillet.

La République, ajoute Guy Rosa, convient à Hugo parce qu’elle est la forme politique où l’état tend à se confondre avec la société. C’est ce que dit Napoléon le Petit.

Cela, précise Claude Millet, c’est la position de Charles Renouvier en 1848. Mais il n’y a aucun texte de Hugo pendant l’exil allant aussi explicitement dans ce sens.

Franck Laurent signale tout de même des discours d’inspiration comtienne, et des modèles d’organisation sociale où le Parlement serait remplacé par l’Institut. Mais c’est toujours une perspective reléguée à la fin des temps, ou au XXe siècle.

Vincent Wallez note que c’est le suffrage universel qui est censé résoudre la question politique. C’est lui qui assure la souveraineté du peuple.

Franck Laurent précise qu’il y a aussi le problème de la conflictualité sociale à résoudre. En attendant, il faut gérer le dissensus avec un gouvernement représentatif. Mais l’idéal reste celui d’un dépérissement de la politique, quand il n’y aura plus de dissensus.

 Jordi Brahamcha-Marin