Retour

Séance du 10 février 2007

Présents : Josette Acher, Françoise Chenet-Faugeras, Marguerite Delavalse, Hagar Desanti, Guillaume Drouet, Dominique Dupart, Bénédicte Duthion, Jean-Marc Hovasse, Caroline Julliot, Franck Laurent, Loïc Le Dauphin, Bernard Leuilliot, Stéphane Mahuet, Claude Millet, Claire Montanari, Marie Perrin, Laurence Revol, Sylviane Robardey-Eppstein, Myriam Roman, Yvette Parent, Guy Rosa, Denis Sellem, Sylvie Vielledent, Mélanie Voisin, Vincent Wallez, Choï Young.


Informations

Parutions :

Claude Millet fait circuler deux articles de Guillaume Drouet. Le premier, paru dans le numéro 140 de la revue Poétique en octobre 2004, est intitulé « Le Bâton de Jean Valjean ». L’autre, paru dans le numéro 143 de la revue Littérature en septembre 2006, porte le titre surprenant de « Cosette Retournepeau ».

 

Guy Rosa évoque l’ouvrage qui vient d’être publié chez Gallimard par Olivier Decroix et Marie De Gandt, Le Romantisme. Il l’estime « intelligent et bien fait ».

 

Nicole Savy a indiqué à Claude Millet la parution d’une étude sur Desnos et Hugo qui a peut-être échappé à l’attention des « hugoliens » dans l’année très chargée du bicentenaire 2002: Cahiers Robert Desnos n°7, dir. Fabien Musitelli, éditions des Cendres.

 

L’exposition sur Juliette Drouet à la Maison Victor Hugo est reconduite jusqu’au 18 mars 2007. Le programme des manifestations organisées par la Maison Victor Hugo à l’occasion du Printemps des poètes est en ligne.

 

Lieux d’études :

Claude Millet annonce que la bibliothèque du XIXème siècle a été provisoirement installée dans une salle du site des Grands Moulins. Elle se trouve au 6ème étage, salle 685C.

La prochaine réunion du Groupe Hugo aura lieu le 17 mars dans le Bâtiment Condorcet du nouveau site de Paris 7 (voir plan) salle 50A, de 9h45 à 13h. La salle se situe au rez-de-chaussée, à gauche quand on entre. Les séances suivantes se tiendront ensuite vraisemblablement à la Halle aux farines, puis aux Grands Moulins.

 


Communication de Françoise Chenet : La Quiquengrogne: histoire d'un titre (voir texte joint)


Discussion

BERNARD LEUILLOT : Où peut-on trouver les lettres de Hugo et de Chevalet que vous avez évoquées ? 

FRANCOISE CHENET : Elles sont citées par Chevalet dans la préface de son roman Quiquengrogne. Hugo n’a pas désavoué cette correspondance. Il semble donc qu’elle soit authentique.

BERNARD LEUILLOT : On peut en effet difficilement en douter. Avez-vous lu le roman de Chevalet ? De quoi parle-t-il ?

FRANCOISE CHENET : Je l’ai parcouru rapidement. Il s’agit d’un mélodrame. L’histoire se situe à l’époque d’Anne de Bretagne, épouse de Charles VIII, puis de Louis XII. Pour répudier sa femme, Jeanne de France, le roi proclame que son mariage n’a pas été consommé, ce qui est faux, puisque sa femme est enceinte. Elle cache néanmoins sa grossesse, et seule la nourrice connaît son secret. Le fils qu’elle met au monde devient ensuite corsaire. S’ensuit une banale histoire d’amour. Le jeune homme tombe amoureux d’une jeune fille qu’aime aussi le fils du gouverneur. La fin se révèle tragique.

BERNARD LEUILLOT : Tout cela est assez rocambolesque : vous me faites presque regretter de vous avoir posé la question ! Mais revenons à Hugo. Je ne suis pas sûr que son projet pour Quiquengrogne ait été très approfondi, au point qu’il se serait inspiré de la tour de Quiquengrogne pour décrire la Tourgue dans Quatre-vingt-treize. Lorsque Hugo écrit Quatre-vingt-treize, il y a longtemps qu’il a délaissé le projet de Quiquengrogne. Il n’y a en tout cas pas de preuve qui nous permette d’affirmer que l’un a profondément inspiré l’autre.

YVETTE PARENT : Le lien entre les deux tours est cependant possible. Les carnets des années 1830 sont remplis de dessins de tours.

CLAUDE MILLET : Oui, mais il s’agit d’une figure générique chez Hugo.

YVETTE PARENT : La tour représente effectivement la féodalité dans ce qu’elle a de plus répressive. Il suffit de songer à la Bastille dans Notre-Dame de Paris.

JOSETTE ACHER : Vous avez évoqué l’étymologie du nom des Bourbons, qui viendrait de boue ou de bourbier. Il me semble qu’il y a le même sens dans l’origine du nom de Paris, je ne sais plus exactement comment.

FRANCOISE CHENET : Lutèce vient du latin « lutum » qui veut dire « boue ».


Communication de Guillaume Drouet : "Tré-passer dans Les Misérables : un approche ethno-critique des relations entre morts et vivants (voir texte joint)


Discussion

Sur la datation des figures populaires mises en scène dans Les Misérables :

DOMINIQUE DUPART : Votre exposé était très intéressant. Il m’a fait songer aux ouvrages que j’ai lus sur les enfants sauvages. Je pense en particulier au livre de Lucienne Strivay, paru au printemps dernier. Elle suit une méthode anthropo-historique et montre que la représentation de l’enfant sauvage change en fonction des époques mais perdure néanmoins. Il m’a semblé que la figure de l’enfant sauvage telle que vous l’avez décrite était plus proche de l’enfant sauvage de l’Ancien Régime que de celui du XIXe siècle. L’idée de l’enfant qui naît et qui est proche des morts est plutôt représentative de l’Ancien Régime. On peut se demander si Les Misérables ne créent pas plutôt une nouvelle forme d’enfant sauvage.

GUILLAUME DROUET : Votre question est double. Vous posez d’abord le problème de la datation historique de ces figures. Je ne pense pas que l’enfant sauvage tel que je l’ai décrit soit propre à l’Ancien Régime. Les références que j’ai citées sur les contes de tradition orale datent toutes du XIXe siècle. Amélie Bosquet, par exemple, publie son ouvrage en 1845. On est encore dans un « long Moyen-Âge ». La culture paysanne perdure en France jusqu’aux années 1950. Il s’agit d’une tradition de longue durée. Il y a néanmoins des figures propres au XIXe siècle : le changelin est une figure attestée depuis le Moyen Age mais qui trouve des représentations particulières au XIXe siècle.Vous vous interrogez en outre sur la part de création de Hugo. Il ne faudrait pas penser que ce dernier est uniquement dans la mimesis quand il s’inspire des traditions et des superstitions. Le fait qu’il utilise une masse de traditions crée quelque chose de particulier à son œuvre. Le personnage de Cosette est singulier, dans la mesure où il est à la croisée de toutes les traditions.

FRANCK LAURENT : Votre communication m’a beaucoup intéressé. J’ai travaillé il y a quelques années sur Les Feuilles d’automne. Un des motifs les plus récurrents du recueil porte sur la crise de la relation entre les vivants et les morts, et non sur la représentation de l’interrogation sur la mort. Hugo met l’accent sur le mauvais rapport aux morts dont certains font preuve. C’est une question qui parcourt l’œuvre poétique. La structure lyrique mime la relation de parole entre les vivants et les morts.

Vous avez souligné le rôle du parrain permettant de façon paradoxale de réhabiliter le vagabond, ennemi par excellence des communautés paysannes. Vous avez à ce sujet cité un conte qui met en scène un enfant partant d’un mauvais pied dans la vie, mais qui croise un envoyé du diable agent de son salut, et qui, en retour, intercède en sa faveur. Cette structure romanesque est très courante dans le roman populaire du XIXe siècle. On peut ainsi songer à Oliver Twist ou aux Contrebandiers de Moonfleet. Il y a ici une forme d’invariance du schéma narratif.

YVETTE PARENT : On pourrait aussi songer à Sans Famille d’Hector Malot.

BERNARD LEUILLOT : Tout ceci est à relier à l’ouvrage de Marthe Robert, Origine du roman, roman des origines.

 

Sur les sources de Hugo :

FRANCOISE CHENET : Le matériel utilisé par les romanciers vient des antiquaires qui constituent au XIXe siècle des sociétés savantes pour étudier les traditions et les superstitions. Je pense que Hugo connaissait leurs travaux. Il s’intéresse en tout cas à cette matière, qui comporte une dimension anthropologique certaine. George Sand, quant à elle, cite l’ouvrage d’Amélie Bosquet, dont vous avez parlé dans votre communication. Charles Nodier fait aussi des recherches dans ce sens. On peut penser en outre aux travaux d’Achille Jubinal. Hugo pouvait, par la communication orale, avoir connaissance de leurs études. Il faudrait citer aussi La France pittoresque d’Abel Hugo. Victor a largement pillé son frère. Il a du moins les mêmes sources car il consulte la bibliographie fournie par le livre d’Abel. GUILLAUME DROUET : C’est très juste. J’ai beaucoup travaillé sur cet ouvrage, qui constitue un point de contact entre culture littéraire et culture folklorique. Hugo retravaille et réinterprète ensuite ses sources.

FRANCOISE CHENET : J’ai trouvé la source d’un des chapitres des Misérables, intitulé « Où on lira deux vers qui sont peut-être du diable ». Hugo a vraisemblablement utilisé un conte qu’il a connu par l’intermédiaire des folkloristes.  

 

Hugo, l’enfance et la mort :

GUY ROSA : Certaines études fondées sur l’ethnologie procèdent par associations d’idées, par analogies, ce qui pose problème. Ce que j’apprécie dans votre étude, c’est qu’elle n’apporte rien au sens du texte… mais au contraire qu’elle le rejoint, le double en quelque sorte. Les phénomènes que vous observez sont lisibles sans que l’on fasse appel aux croyances que vous dites; cela en garantit la justesse. Vos travaux n'ont évidemment pas que ce bénéfice négatif: vous contribuez à rendre compte du retentissement du texte en retrouvant ses résonnances imaginaires dans un arrière-fond anthropologique très ancien et très profond.

Je voudrais ajouter quelques remarques pour aller dans le sens de votre communication. Vous avez dressé, au début de votre étude, la liste des personnages commençant par mourir avant de vivre, mais vous avez omis d’évoquer les religieuses du Petit-Picpus, explicitement mortes-vivantes.

A propos de la mort de Fantine: "Sa tombe ressembla à son lit" dit le texte, fameux et connu de tous. On peut retourner la phrase : son lit ressemblait à une tombe.

Marius. Hugo, avant d’adopter ce prénom, nomme le personnage Thomas, l'apôtre incrédule, celui qui refuse de croire au passage de la mort à la vie.

Les enfants. Vous les dites liés au monde des morts. Quantité de textes de Hugo mettent en oeuvre une représentation de l'enfant comme existant, auprès de Dieu, avant sa naissance et gardant encore quelque temps après sa venue sur terre quelque chose de cette existence antérieure quasi divine. Dans les représentations actuelles on nait et on meurt : rien avant et rien après. Hugo croit très sincèrement à une existence continue, éternelle peut-être, dont la vie sur terre n'est qu'une phase. La fameuse "métempsycose" n'est qu'une image de cela, grossière d'ailleurs et que Hugo abandonne immédiatement après semblé l'adopter.

FRANCK LAURENT : C’est en particulier le cas dans Quatrevingt-Treize.

CLAUDE MILLET : Ce thème est aussi très présent dans L’Art d’être grand-père.

FRANCK LAURENT : Le plus souvent, d’ailleurs, la proximité de l’enfant avec l’au-delà n’est pas un danger, mais une chance : elle lui donne sa valeur incomparable. Hugo craint la séparation radicale des vivants et des morts plutôt que leur indistinction. L’enfant lui permet de conjurer cette angoisse.

GUY ROSA : On pourrait dire que Hugo bénéficie de la faiblesse de son éducation religieuse. Il est accessible à d’autres cultures que celle de la tradition catholique. Ce que dit Dominique Dupart est très vrai. Hugo en lui-même s’est substitué comme source anthropologique à toutes ces croyances.

GUILLAUME DROUET : Un écrivain est aussi un homme de culture dans une culture. Il a ses propres préoccupations ethnologiques. J’ai évoqué la notion d’acculturation : on se trouve dans un phénomène d’interpénétration des cultures.

DOMINIQUE DUPART : Il me semble que la figure de l’enfant sauvage n’apparaît pas seulement dans la culture traditionnelle. Sous la monarchie de Juillet, le problème des enfants trouvés est très prégnant.

GUILLAUME DROUET : C’est juste. On comprend alors que le folklore, comme la littérature, se fonde sur des préoccupations réelles.

DOMINIQUE DUPART : Oui, mais la question des enfants trouvés pose, sous la monarchie de juillet, un souci administratif nouveau.

FRANCK LAURENT : La logique administrative dominante est assez univoque, elle ne pense pas les effets d’ambivalence, de retournement des valeurs. Le corpus des contes, en revanche, constitue une culture qui accueille l’ambivalence, et en ce sens est plus proche de la façon dont écrit Hugo.

GUILLAUME DROUET : Il est vrai que les élites cherchent constamment à chasser l’ambivalence.

BERNARD LEUILLOT : Je me suis instruit en écoutant votre exposé. Ma première remarque portera sur ce que Guy a dit à propos du fait que les personnages commencent par mourir avant d’entrer dans la vie. C’est effectivement le cas au couvent, puisque la seule façon d’y entrer est d’en sortir dans un cercueil.

Vous avez parlé de l’absence de solution de continuité entre la mort et la naissance. Cela m’a fait penser à ceux que l’on appelle les « revenants », les enfants naissants après la mort d’un premier-né. Léopoldine est une « revenante », puisqu’elle naît après la mort de Léopold, premier-né du couple de Victor et d’Adèle. On n’a, au passage, jamais retrouvé la sépulture de l’enfant. Le premier-né de Charles, Georges, meurt et est suivi d’un « revenant », appelé, lui aussi, Georges. Le Victor Hugo raconté insiste sur le fait que Hugo n’était pas viable lorsqu’il est né. Il était « grand comme un petit couteau ». La mortalité infantile, à l’époque, était très importante. L’image de l’enfant revenant d’un monde inconnu lié au monde des morts disparaît lorsque la mortalité infantile baisse.

 

Nouvelles lectures ethnologiques :

STEPHANE ARTHUR : Votre communication, très intéressante, permet de refaire une lecture stimulante de Notre-Dame de Paris, dans lequel le rôle du soulier est important, puisqu’il permet la reconnaissance. Esmeralda vit dans le monde des enfers ; Quasimodo est bossu, boiteux et borgne. Tous deux sont prédestinés à la réunion finale.

CAROLINE JULLIOT : Votre interprétation pourrait s’appliquer aussi à Torquemada, mais avec une structure inversée. Dona Rosa et Dom Sanche sont élevés en dehors du monde. Torquemada se situe hors du monde des vivants. Il dit : « Nous sommes deux, Satan et moi ». Dom Sanche délivre Torquemada du cachot où il était enfermé. C’est le filleul qui fait renaître le parrain à la vie, puis le parrain qui fait passer le couple à la vie éternelle en les brûlant.

GUY ROSA : Il faut néanmoins faire attention à ne pas lire le texte en fonction de critères qu’il refuserait.

JOSETTE ACHER : J’ai assisté, dans les années 70, à un séminaire de Lévi-Strauss sur l’identité. J’avais, à cette occasion, appris que l’on qualifiait souvent d’alouette l’enfant trouvé, abandonné dans le sillon. J’avais alors immédiatement pensé à Cosette. Peut-être Hugo s’est-il référé à cette tradition.

YVETTE PARENT : Je voudrais apporter une touche d’ironie. Il me semble que Hugo est diabolique dans la mesure où il subvertit les schémas traditionnels. Vous vous demandiez le lien qu’il pouvait y avoir ente la structure ancienne des enfants morts et le dix-neuvième siècle moderne. Je pense à Quasimodo dans Notre-Dame de Paris. Petit, il est exposé à Notre-Dame puis recueilli. Les femmes qui le voient s’exclament : « c’est le diable ». Hugo s’amuse de cette culture populaire composée de paganisme, d’animisme et de christianisme. Le parrain de l’enfant est Frollo, le personnage le plus sombre du roman. Son filleul le tue. On se trouve ici à l’opposé du schéma libérateur. L’Eglise ne joue pas le rôle de séparateur entre la vie et la mort. Elle est une sorte de facteur morbide qui cause la mort du parrain et de son pupille. Les schémas folkloriques sont donc tenus à distance.

GUILLAUME DROUET : Ils sont certes tenus à distance, mais avec beaucoup d’ambivalence. Il y a à la fois distance et engagement. Je pense à cette phrase dans Les Travailleurs de la mer : «Les crédules ont tort, sans doute, mais à coup sûr les positifs n'ont pas raison."
Il est possible que, dans Les Misérables, Hugo prenne moins de distance à l’égard du folklore que dans Notre-Dame de Paris. Parler de « folklore » me semble d’ailleurs presque péjoratif. Il convient de voir ce qu’il y a de légitime dans ce fond d’irrationnel.

GUY ROSA : Vous avez parlé de Cosette, qualifiée d’ « enfant-garou » par une femme qui la voit traverser le village, la nuit tombante. Cette qualification est un ajout de l’exil. Cosette était déjà « enfant-garou » avant que le texte le dise explicitement, mais Hugo a pris soin de le souligner. On peut supposer qu’il s’agit là d’une forme de critique à l’égard de la femme qui nomme ainsi Cosette. Plutôt que de l’appeler ainsi, elle aurait pu, comme Jean Valjean, l’aider, la soutenir. GUILLAUME DROUET : Hugo a à la fois un regard condescendant et attiré. Il fait preuve d’ethnocentrisme, de même que nous, qui voyons les superstitions de façon négative. Il faut se départir de notre ethnocentrisme.

FRANCOISE CHENET : Il y a en tout cas chez Hugo un grand intérêt pour la tradition populaire. Je pense que le personnel proche des enfants lui permet de connaître un fond folklorique. Je voudrais revenir sur la question du parrainage non institutionnalisé, non effectué par l’Eglise. On peut penser au compagnonnage qui utilise les rites du parrainage.

GUILLAUME DROUET : Votre remarque est intéressante. L’Église recouvre souvent les croyances païennes d’un vernis chrétien. 

FRANCOISE CHENET : On assiste en effet au dix-neuvième siècle à la reprise en main d’une France encore très païenne.

Dans le Promontorium somnii, la superstition a quelque chose de positif. Hugo est contre les religions, du moins contre celles qui servent à abrutir. Il y a en revanche des superstitions « aimables » pour lesquelles il a de l’intérêt.

 

Culture populaire et objets de folklore :

CLAUDE MILLET : Les Proses philosophiques disent autre chose… J’aime beaucoup, pour ma part, votre expression, lorsque vous dites que vous cherchez à « reculturer le texte ». On s’y retrouve, même si vous éclairez les choses différemment. Vous donnez à la scène où l’on voit Cosette chercher de l’eau une perspective qui n’était pas la mienne mais qui fonctionne parfaitement. Les détails du texte se mettent à faire sens grâce à votre lecture. Votre étude peut alimenter la réflexion sur le rapport au christianisme du roman. Certains détails donnent l’impression que l’auteur est catholique, mais en réalité la frontière entre catholicisme et paganisme est très floue. Elle peut aussi éclairer le fait que le roman a fonctionné comme un roman populaire. Il est complexe, mais témoigne d’une proximité culturelle avec le peuple.

GUILLAUME DROUET : C’est vrai. Un paysan n’y voyait sans doute pas la même chose qu’un lettré parisien.

CLAUDE MILLET : Une chose cependant m’a gênée dans votre exposé : on bascule d’objets de folklore – recensés en particulier par Amélie Bosquet – à un substrat symbolique fondamental, qui n’est plus objet, mais biotope, monde culturel environnant. D’un côté, Hugo est englobé dans le monde, de l’autre, il reprend des objets folkloriques comme il reprendrait Homère. J’ai parfois eu du mal à savoir si vous parliez de culture populaire englobante ou d’un savoir constitué par le folklore. Et puis Hugo aime tellement dire les mots qui sortent du commun que je me demande par exemple pourquoi il s’est privé du plaisir du mot « changelin ».

GUILLAUME DROUET : Quand Lévi-Strauss étudie les cultures éloignées et leurs croyances, il revient à un substrat, à un invariant, qu’il estime inconscient pour ceux qui vivent les coutumes. Hugo n’est pas forcé de parler du parrainage explicitement. Les personnages ne sont pas nécessairement conscients de leurs rôles. Les ethnologues disent que les participants ne sont pas conscients du rituel auquel ils participent. Si on prend conscience du rituel, celui-ci n’a plus lieu d’être. Le texte fonctionne sur deux plans. Ce n’est pas lorsqu’il cite explicitement le folklore qu’il est le plus intéressant. Ce qui attire mon attention, c’est plutôt le dispositif rituel coutumier qui ne dit jamais son nom. Si on le disait, il ne fonctionnerait plus.

GUY ROSA : Si Valjean disait « je suis parrain », il serait en effet tiré d’affaire ! L’intérêt du roman vient justement du fait qu’il est à la fois père, mère, amant, ami…

FRANCOISE CHENET : Cette instabilité du rôle de Valjean est la condition même de l’efficacité du texte. Sa mort elle-même n’est pas datée. On sait juste qu’elle intervient à la fin de l’été.

GUILLAUME DROUET : Par recoupement, on devine qu’il meurt près de la Saint Jean. L’instabilité dont vous parlez vient du fait que l’on n’a pas affaire à un document régionalisant, mais à un texte littéraire qui joue sans cesse sur l’ambivalence et le sous-entendu. 

 Claire Montanari


Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
Bibliothèque Jacques Seebacher, Grands Moulins, Bâtiment A, 5 rue Thomas Mann, 75013 Paris. Tél : 01 57 27 63 68; mail: bibli19@univ-paris-diderot.fr. Bibliothécaire: Ségolène Liger ; responsable : Paule Petitier
Auteur et administrateur du site: Guy Rosa.