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Séance du 24 janvier 2009

Présents :Patrice Boivin, Brigitte Buffard-Moret, Françoise Chenet, Jean-Marc Hovasse, Caroline Julliot, Hiroko Kazumori, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Bernard Leuillot, Claude Millet, Claire Montanari, Yvette Parent, Guy Rosa, Delphine Van de Sype, Vincent Wallez, Jean-Claude Yon et Choï Young.


Informations

Colloques 

 Dominique Dupart a transmis à Claude Millet un appel à communication lancé par l’Institut Émilie du Châtelet intitulé : « L’Engagement des hommes pour l’égalité des sexes ». Une intervention sur Hugo et les droits de la femme serait la bienvenue. Arnaud Laster rappelle qu’un article de Danièle Casiglia-Laster sur les rêveries extravagantes qu’on avait prêtées à Hugo à propos des femmes a paru dans les Cahiers Tourgueniev.

 

Claude Millet participera à un colloque intitulé « Histoire et Fiction », qui aura lieu du 27 au 30 janvier à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Elle évoquera Hugo et Michelet lors de l’après-midi consacrée aux « Acteurs, acteurs et héros », le mercredi 28 janvier de 9h30 à 12h, salle des Actes.

 

Théâtre 

 Vincent Wallez évoque la très bonne presse qu’a reçue le spectacle pour lequel il a été assistant metteur en scène, L’Avare. La pièce a été intégrée dans le festival Victor Hugo et égaux, qui, cette année, mettra en parallèle Hugo et Molière. Elle sera jouée jusqu’au premier février au Théâtre des Quartiers d’Ivry, puis sera à l’affiche à Nogent-sur-Marne.

 

Guy Rosa signale que Christophe Honoré montera Angelo, tyran de Padoue au festival d’Avignon.

 

L’Intervention sera donnée au mois d’avril à la MJC Paris-Mercoeur. Arnaud Laster, qui a assisté à une lecture de la pièce par les acteurs, en souligne la grande qualité, gage  de la réussite du futur spectacle.

 

Statut administratif de l'équipe XIX°  :

Claude Millet rappelle que toutes les équipes de l’U.F.R. LAC (Lettres, Art et Cinéma) de l’université de Paris VII se sont fédérées en une seule équipe, appelée CERILAC. L’équipe est divisée en plusieurs composantes, dont l'une est "Littérature et civilisation du XIXe siècle" comprenant elle-même différentes composantes dont le Groupe Hugo.

Guy Rosa complète : cette fusion des équipes, qui nuit gravement à leur « visibilité », résulte d’une contrainte exercée par les services du ministère : c’était cela ou plus de crédits. Le mouvement en cours contre la politique du ministère en matière de recherche, d’enseignement et de gestion des universités laisse bon espoir de voir les différentes équipes retrouver leurs spécialités, c'est-à-dire leurs compétences, réelles.

Claude Millet renchérit. Elle sort presque d’une « coordination » réunie à la Sorbonne dont le nombre, la représentativité et l’énergie confirment que les actions déjà en cours –en particulier à Paris 7– vont s’étendre très vite.

  

Publications :

Guy Rosa fait circuler, avec des éloges approuvés par Claude Millet, le « foliothèque » sur la Légende des Siècles (Première Série) que vient de publier Pierre Laforgue.

 

Il signale aussi la publication de l’excellent article de Claude Millet, « Commençons par l’immense pitié », dans le dernier numéro de la revue Romantisme, consacré à La morale, sous la direction de Jean Lacoste.


Communication de Loïc Le Dauphin  : Inez de Castro, approche succincte  (voir texte joint)


Discussion

Tragédie et mélodrame

CLAUDE MILLET : Merci pour ce bel exposé, très clair dans l’ensemble. On apprend beaucoup sur cette pièce peu explorée habituellement.

J’ai deux réserves malgré tout sur votre communication. Il me semble d’abord qu’il faut prendre la mesure de cette pièce et ne pas forcer sa réévaluation. On peut appeler au réinvestissement de la pièce, mais il faut éviter de la tirer vers ce qu’elle n’est pas. Vous avez parlé de « démesure du creux » pour la qualifier ; n’hésitez pas à évoquer parfois la platitude de certains passages, très éloignés de la prose « en relief » de Marie Tudor  ou de Lucrèce Borgia. Il y a par ailleurs un article très intéressant d’Olivier Bara sur le langage du mélodrame dans Hugo et la langue. On ne trouve pas tout à fait la même chose chez Hugo, mais il se fonde néanmoins sur l’esthétique de ce genre et joue avec le spectaculaire.

Je me demande, par ailleurs, si le recours au paradigme de la tragédie est nécessaire ici. Il suffit d’observer les mélodrames historiques pour voir apparaître des histoires de pouvoir ou des histoires tristes ; il ne s’agit pas pour autant de tragédies dans la mesure où la fatalité n’est pas mise en scène. Il me semble qu’il faut faire la distinction. Rétroactivement, on a tendance à considérer que le drame suit directement la tragédie… mais, à l’époque, le drame côtoyait la tragédie historique et le mélodrame. Je ne sens pas vraiment la tragédie dans Inez de Castro ; il s’agit plutôt d’un mélodrame. Ce qui éloigne la pièce du mélodrame traditionnel, c’est sans doute la question des valeurs morales, évanescentes et floues chez Hugo.

 

BERNARD LEUILLOT : Tout dépend de ce que l’on entend par le mot « tragédie ». Entre la tragédie classique et le mélodrame, il y a Voltaire. Pour Hugo, d’ailleurs, la tragédie, c’est Voltaire : Irtamène est, pour moi, une tragédie voltairienne. On peut se poser la question de la subversion de la tragédie par le mélodrame et l’inverse. Le mélodrame, en mettant en cause la tragédie voltairienne, met aussi en cause une représentation historique du monde. Hugo a beaucoup lu L’Essai sur les mœurs de Voltaire, qui met en place une réflexion sur l’Histoire globale, contre l’Histoire providentielle défendue par Bossuet. Il faudrait approfondir ce qui se passe dans la subversion du modèle tragique à la Voltaire. Qu’est-ce que le mélodrame met en cause dans la représentation providentialiste de l’Histoire ? Hugo réfléchit à la situation contradictoire de ce qu’est devenue la représentation de l’Histoire après la Révolution et l’Empire. L’Essai sur les mœurs de Voltaire est passionnant pour un lecteur de Hugo. On y trouve des thèmes essentiels dans la Légende des Siècles. Hugo avait en mémoire ses lectures d’adolescent lorsqu’il a composé son recueil. Elles ne l’ont jamais quitté et sont éclatées en morceaux dans la Légende des Siècles. Il me semble qu’il faut penser la tragédie comme celle de Voltaire et non celle de Racine. Ce sont des illustrations de cas de figures historiques ou de mœurs.

 

ARNAUD LASTER : Hugo fait des tentatives dans tous les genres théâtraux : il s’essaie à la tragédie, à l’opéra comique, au mélodrame, …

 

LOIC LE DAUPHIN : Quand il s’attache au mélodrame, il ne suit pas le Traité du mélodrame écrit par Abel. Ce dernier insistait sur l’importance de la dissimulation dans le mélodrame. Victor, au contraire, veut montrer les choses. La question du « comment » est essentielle chez lui. Le traité d’Abel ironise parfois sur la Révolution. Victor s’inscrit en faux par rapport à cela. Il reprend certains éléments mis en évidence par Abel, mais il n’a pas la volonté d’appliquer à la lettre ce qui est dit dans le traité.

 

ARNAUD LASTER : Ses pièces peuvent se lire comme une sorte de critique du mélodrame traditionnel.

 

LOIC LE DAUPHIN : Jusqu’en 1820, on peut dire que le mélodrame est larmoyant. Ses codes sont ensuite très souvent subvertis. Il me semble donc que le rapport d’Inez de Castro à la tragédie n’est pas si loin que cela.

 

CLAUDE MILLET : Oui, mais je pense qu’on pourrait dire la même chose des pièces de Pixerécourt, par exemple, et pièce triste ne veut pas forcément dire tragédie.

 

 

Musique et censure

ARNAUD LASTER : Il faut savoir gré à Loïc Le Dauphin d’avoir étudié une œuvre malheureusement très négligée. Jacques Seebacher regrettait beaucoup que la pièce d’Inez de Castro n’apparaisse pas dans l’édition Bouquins. Nous avions en 1985 attaché de l’importance aux Odes et poésies diverses, à la poésie des années 1818-1820. Nous aurions dû faire de même avec les œuvres théâtrales de la même époque. La datation de la pièce pourrait, par ailleurs, être un peu plus tardive que celle qu’on a voulu lui prêter.

Il reste sur cette pièce un point obscur, celui de la musique. Le mélodrame comporte une dimension musicale importante. Hugo, d’après les didascalies de la pièce, lui accorde une grande place…

 

LOIC LE DAUPHIN : Je n’ai rien trouvé là-dessus dans les archives.

 

CLAUDE MILLET : Si la pièce n’a pas été représentée, la musique n’a peut-être jamais été prévue.

 

ARNAUD LASTER : Reste alors l’énigme de la censure.

 

LOIC LE DAUPHIN : La pièce n’a pas été censurée. Le compte-rendu de censure demandait quelques modifications, mais il ne s’agissait pas d’une interdiction.

 

ARNAUD LASTER : C’est effectivement ce que dit Jean Gaudon. La pièce, publiée par Hugo en 1863 dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, a reçu en tout cas de sa part une forme de validation.

 

CLAUDE MILLET : Oui, mais elle est présentée sous un titre pour le moins ambigu : « les bêtises que M. Victor Hugo faisait avant sa naissance »…

 

ARNAUD LASTER : Hugo pense qu’il est venu à l’âge d’homme à 25 ans. On pourrait donc dire que son œuvre commence en 1827.

 

BERNARD LEUILLOT : Ce qui est intéressant, c’est que Hugo ne dit pas « j’ai changé », mais « j’ai grandi ». Il voit une progression continue dans son œuvre, et non une rupture radicale.

 

Pourquoi écrire une pièce de théâtre quand on est un jeune auteur ?

BERNARD LEUILLOT : Il faut se demander ce que cela signifie d’écrire du théâtre à l’époque. 

 

GUY ROSA : A cette époque, on écrit couramment de la poésie.

 

CLAUDE MILLET : Mais le théâtre offre la garantie d’une célébrité dépassant le cercle restreint des lecteurs avertis. Il permet d’avoir des revenus financiers réguliers.

 

JEAN-CLAUDE YON : Le théâtre permet aussi de développer une parole publique et politique.

 

GUY ROSA : C’est vrai. Il s’agit cependant d’un genre difficile pour un auteur inexpérimenté, comparé à la poésie. Habituellement, on ne commence pas par là.

 

CLAUDE MILLET : C’est peut-être le cas en 1836, mais pas en 1820. Beaucoup d’auteurs écrivent à plusieurs, et très vite, comme des scénaristes, en série. Gautier les appelle des « charpentiers ».

 

GUY ROSA: On désigne ainsi des professionnels, fonctionnant à la division du travail.

 

LOIC LE DAUPHIN : Les premiers écrits de Hugo sont des pièces de théâtre. Il connaît Nodier, ainsi que le Panorama dramatique. Cela le pousse certainement à s’essayer au genre théâtral. Ce qui est curieux, c’est qu’il ne semble pas avoir proposé sa pièce ailleurs qu’au Panorama dramatique.

 

BERNARD LEUILLOT : Quelles pièces jouait-on au Panorama dramatique ? Il y avait beaucoup de féeries et de vaudevilles. Quand on lit les comptes-rendus de Nerval, on s’aperçoit que nombre de pièces n’ont laissé aucune trace dans l’histoire. Il faut situer les essais dramatiques de Hugo dans cet environnement massif. Il contribue à faire du théâtre un enjeu politique.

 

CLAUDE MILLET : Le Panorama dramatique vendait des places peu chères. Hugo a choisi un théâtre populaire. Ce geste n’est pas indifférent.

 

LOIC LE DAUPHIN : C’est en outre un grand théâtre, qui peut accueillir 1500 spectateurs. Il y a souvent trois spectacles le même soir.

 

BERNARD LEUILLOT : Un problème se pose, celui de la loi des privilèges, qui réduit le répertoire.

 

LOIC LE DAUPHIN : Le théâtre ne tient en effet que trois ans. Il ferme en 1823.

 

CLAUDE MILLET : Il constitue, à l’époque, un des espaces les plus inventifs du point de vue de la mise en scène. Daguerre et Cicéri commencent à adapter l’art visuel à l’espace théâtral au Panorama dramatique. C’est un lieu d’innovation scénique très important.


Communication de Françoise Chenet : Sur les titres de deux chapitres des Misérables : « Voir le plan de Paris de 1727 » (II, V, 3) et « La question de l’eau à Montfermeil » (III, III, 1) (voir texte joint)


Discussion

CLAUDE MILLET : Merci pour ta communication. Une chose m’a un peu gênée : c’est la façon dont tu mets à plat les pilotis de l’œuvre, son référent et sa signification. Lorsque tu dis que « tout est vrai » dans le roman de Hugo ou que « c’est la réalité », on risque de se demander ce que recouvre ce « tout » ou ce « c’ ». La question de l’eau montre le travail de déplacement de la réalité-pilotis au référent. C’est ce travail de déplacement qui peut être intéressant. Il est vrai qu’il y a, chez Hugo, une véritable attention au détail…

 

ARNAUD LASTER : Il est dit, par exemple, que Fantine fait halte sur la route de Montreuil.

 

FRANCOISE CHENET : Tout est en effet orienté vers Montreuil. Ce qui m’intéresse, c’est évidemment le déplacement  de la réalité au roman. Hugo détourne des sources locales pour en faire autre chose. Les errances du lecteur rejoignent celles de Jean Valjean.

 

GUY ROSA : Hugo dit explicitement que le lieu où il place le couvent du Petit-Picpus n’existe pas. Les commentateurs ont donc cru, en toute bonne foi naïve, que le plan n’existait pas non plus. Or il existe, tu l’as montré. Il y a un beau culot de la part de Hugo à faire cohabiter, pour les mêmes objets, fiction et exactitude.

 

BERNARD LEUILLOT : Les choses sont même beaucoup plus compliquées… Hugo dit qu’il voit le Mont Blanc de la cathédrale de Strasbourg parce qu’il a un plan de Strasbourg sous les yeux !

Il lui arrive de souhaiter que les lieux qu’il décrit dans son roman n’existent pas dans la réalité. Il demande ainsi à Théophile Guérin de vérifier qu’il n’y a pas de masure Gorbeau boulevard de l’Hôpital.

 

GUY ROSA :  Il lui arrive aussi de demander à Guérin l’exact inverse. Il cherche parfois à s’assurer que tel lieu est bien réel.

A propos de la masure Gorbeau, je voudrais rectifier une note que j’ai cru judicieuse, astucieuse même, et qui est fausse. J’écrivais que son numéro, le 50-52, n’était pas anodin et renvoyait au coup d’État de 1851. Le manuscrit montre que si le nom « Gorbeau » est de l’exil, l’adresse, elle, se trouve telle quelle dès avant février 1848 –et décembre 51 à plus forte raison. Cela ne veut pas dire que l’effet de sens que j’avais cru discerner n’existe pas, mais qu’il ne s’instaure qu’a posteriori. Au moment où il reprend son texte, Hugo valide son choix.

Pour revenir au couvent, il faut renvoyer à la thèse de Nicole Savy. Tout ne repose pas sur un jeu topographique. Les textes initiaux sont établis « dans la réalité absolue » à coups de témoignages donnés par Léonie. Puis le texte se complique d’éléments hétérogènes –les informations venues de Juliette qui entrent en contradiction, du moins en décalage avec les premiers. Le « dépaysement » du couvent achève le processus et conduit parfois sinon à des absurdités du moins à des impossibilités manifestes du réalisme entendu comme exactitude. Les religieuses, par exemple, appartiennent à l’ordre des « bernardines bénédictines », ce qui est impensable. Le texte dérive ainsi vers une forme d’irréalité.

 Claire Montanari


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