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Séance du 25 septembre 2010

Présents : Josette Acher, Julie Anselmini, Stéphane Arthur, Jacques Cassier, David Charles, Françoise Chenet, Pierre Georgel, Hiroko Kazumori, Arnaud Laster, Yvon Le Scanff, Bernard Leuilliot, Claude Millet, Claire Montanari, Yoshihiko Nakano, Florence Naugrette, Yvette Parent, Jean-Pierre Reynaud, Guy Rosa, Denis Sellem, Vincent Vallez, Vanina Vaudey.


Informations

Claude Millet informe tout d’abord du départ de Ségolène Liger, notre bibliothécaire, et salue son efficace dévouement au long de ses huit années de bons et loyaux services. Le recrutement de la personne qui lui succédera a été retardé par des difficultés administratives; elles sont en voie d'être levées et la buibliothèque devrait rouvrir très prochainement.

 

Elle évoque ensuite le programme pour l’année à venir. Le samedi 23 octobre, Hiroko Kazumori proposera un état d’avancement de sa thèse, consacrée à Ruines et destruction chez Hugo. Le samedi 27 novembre, François Rancillac, directeur du théâtre de l’Aquarium, va venir parler de sa mise en scène du Roi s’amuse, déjà présentée cet été au festival de Grignan, dont la première représentation aura lieu le 10 novembre. Arnaud Laster précise avoir vu une répétition de travail concernant le rôle de Triboulet joué par Denis Lavant.

 

Pierre Georgel évoque la nomination en tant que directeur de la Maison Victor Hugo de Gérard Audinet, auparavant conservateur au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Bernard Leuilliot annonce avoir fait don à la Maison Victor Hugo de la correspondance entre Charles Hugo et Paul Meurice (période de Guernesey), soit environ cent cinquante lettres. 

 

Claude Millet fait aussi part d’un message reçu d’Armand Erchadi (professeur agrégé, chargé de cours d'agrégation à l'ENS et doctorant à Paris IV ), au sujet de l’expression « Ouvrez une école, fermez les prisons », citée sous diverses formes par toutes sortes de gens. Cette expression est attribuée à Hugo par ses partisans et par ses adversaires, mais il ne l’emploie jamais directement. La formule est attribuée dès 1865 au ministre de l’Instruction publique Victor Duruy. Claude Millet relève que très souvent on attribue à Hugo des énoncés qui circulent dans l'espace des opinions de l'époque. Le poète, dit la préface des Rayons et les Ombres  est "la somme des idées de son temps". Guy Rosa rappelle l’excellent mémoire fait par A. Erchadi sur l’érotique (au sens large) hugolienne. Il suggère qu’il soit sollicité d’exposer au Groupe Hugo son travail actuel qui concerne « la pensée éducative » de Hugo. Claude Millet retient l’idée et, depuis, Armand Erchadi a accepté de venir présenter ses recherches lors de la séance du 18 décembre.

 

Arnaud Laster annonce que début septembre s’est tenue une manifestation sur « Le jardin des génies », organisée par la société Tolstoï à Iasnaïa Poliana, associant l’Italie à Dante, l’Espagne à Cervantes, l’Angleterre à Shakespeare, l’Allemagne à Goethe, la France à Hugo, la Russie à Tolstoï et l’Irlande à Joyce. C’était la première réunion d’une manifestation qui se voudrait annuelle et qui se tiendrait dans chacun des sept pays. Arnaud Laster y voit comme une sorte de revanche contre ceux qui ont jusqu’à présent refusé d’appeler les instituts culturels français à l’étranger Hugo : il n’y avait pas de doute pour les autres délégations que Hugo était de droit à côté de Dante et de Cervantès…

 

Guy Rosa signale la reprise d’une adaptation intéressante des Misérables par deux comédiens, du 6 au 16 octobre à La Cartoucherie, ainsi qu’une mise en scène de Mille francs de récompense, en province (à l’Odéon au printemps, précise Florence Naugrette). Arnaud Laster annonce un dialogue d’un personnage avec le buste de Hugo : Huguette Hugo.

 

 Il indique aussi que You Tube offre très commodément (il suffit de taper le nom de Hugo) une collection abondante de chansons et de vidéos parfois remarquables. Ainsi, telle vidéo, animation à partir d’illustrations du XIXe siècle de Notre-Dame de Paris, mises en rythme et soutenues par une musique bien choisie, rend à ces images apparemment vieillottes – et, indirectement, au texte – une violence que nos habitudes de lecture ne savent plus y voir.

 

Bernard Leuilliot évoque son souvenir d’une célébration du bicentenaire de la naissance de Hugo, en 2002 : un maire d’un village alsacien, aussi directeur d’école, avait exposé des dessins d’enfants illustrant « Demain, dès l’aube » ; certains le montraient v^tu d’une djellaba. Il rappelle qu’il existe une version égyptienne des Misérables. Arnaud Laster attire l’attention sur les citations fausses, avec le grand sujet de Hugo musulman sur internet : pour preuve supposée est donné un poème de La Légende des siècles expurgé des vers où Mahomet demande des femmes nues.

 

[NDGR] On vient d'annoncer, ce 13 octobre, la mort de Gérard Berliner. Il connaissait bien Hugo, avait mis en musique plusieurs poèmes, et son dernier spectacle, "Mon alter Hugo", qui eut un long succès, mêlait le récit de la vie du poète à celui de la sienne. Le bi-centenaire de 2002 lui avait donné l'occasion de rendre public et de faire partager son goût ancien de Hugo. Pour se mettre à jour, il avait alors suivi quelques unes de nos séances et, participant à nos déjeuners, il voulait bien parfois chanter pour nous a capella, à mi-voix, du Hugo. C'était assez beau et Gérard Berliner était un homme attachant.


Communication de Jean-Pierre Reynaud : Bible et roman chez Hugo: une passion orageuse (voir texte joint)


Claude Millet remercie Jean-Pierre Reynaud de sa passionnante communication.

Discussion

BERNARD LEUILLIOT : Quelques remarques, sans ordre et qui ne sont pas des critiques.

J’ai l’impression que ce sont les romans de Victor Hugo qui ont inspiré les auteurs de la Bible. L’idée que Hugo est le plus grand poète biblique a été répandue par les gens les plus opposés à Hugo, comme l’Action française.

A propos de la prétendue incompatibilité entre Bible et roman, il faut rappeler les quatre tomes de Joseph et ses frères de Thomas Mann.

Et puis aussi il faut remarquer que lorsque Meschonnic parle de style biblique, c’est à l’exclusion du Nouveau Testament ; idem du point de vue idéologique : il considère que la Bible est trahie par le Nouveau Testament et par le christianisme inventé par saint Paul.

Enfin, l’idée que le drame se joue sur deux scènes (les hommes et les dieux) définit couramment l’épopée : La Fin de Satan est àn ce titre une épopée parfaite, peut-être la seule épopée de Hugo.

Une dernière remarque :  il n’y a pas de rédemption chez Hugo.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Je n’ai jamais dit que Hugo croyait en la grâce ou en la rédemption.

BERNARD LEUILLIOT : Ce n’est pas une objection, mais un prolongement.  Dans le même esprit, je voudrais rappeler que les critiques de Hugo contre la Bible sont une des formes de son anglophobie.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Il y a autre chose : le sentiment que la Bible enlève à l’homme sa liberté.

BERNARD LEUILLIOT : Sur Claudius Grillet, les fiches sont utiles. Il faut passer par un inventaire précis de références  explicites.  

JEAN-PIERRE REYNAUD : Je ne faisais pas une thèse, d’autant que Grillet et Meschonnic font des références fausses.

BERNARD LEUILLIOT : Il existe un témoignage selon lequel Hugo s’est trouvé dans un temple protestant, en Belgique ou en Hollande, dans lequel sur le lutrin il n’y avait pas la Bible, mais Les Misérables.

Autre chose. Il n’y a pas, chez Hugo, de fin de l’histoire. Et puis, le fatalisme est un mot qu’il faudrait dater. Une espèce de vulgarisation de l’hégélianisme se produit au début du XIXe siècle : Michelet voudrait être un historien anti-fataliste. Grâce et liberté, c’est un point de rupture absolu entre Hugo et Michelet.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Michelet a raison : Hugo falsifie les textes.

BERNARD LEUILLIOT : On est en présence aussi du fonctionnement de la rhétorique hugolienne avec les noms propres. Dans William Shakespeare, les noms propres ont une valeur qui finit par s’émanciper de leur signification historique.

Le problème est également de savoir quelle est la connaissance exacte de la Bible par Hugo. Vers 45, je crois, il traduit des passages de la Bible. Est-ce que Hugo la lisait seulement dans de Sacy ?

JEAN-PIERRE REYNAUD : En exil, Hugo avait Sacy et Martin.

JACQUES CASSIER : Hugo avait quatre versions différentes de la Bible. Les manuscrits de Dieu, de La Fin de Satan montrent que des versets sont traduits de la Bible (de Sacy ou de Martin, en français).

JEAN-PIERRE REYNAUD : « Les dieux de fiente » chez David Martin deviennent ainsi « les rois de fiente » chez Hugo.

BERNARD LEUILLIOT : Ce sont peut-être des expressions de seconde main, on sait que Hugo cite souvent de seconde main.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Merci de ces élargissements.

YVETTE PARENT : Il est difficile de distinguer chez Hugo le culturel et une pensée qui est peut-être plus autonome. Au début, j’ai trouvé que votre exposé était manichéen, or Hugo est tout sauf manichéen, comme vous l’avez très bien montré à la fin.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Je suis d’accord avec vous.

YVETTE PARENT : Il y a le problème de la science au XIXe siècle et de la cosmologie. Il y a le problème de la transcendance, transformé par toutes les découvertes scientifiques au XIXe siècle. J’ai l’impression qu’il y a chez Hugo quelque chose qui le rapprocherait de certains scientifiques qui "arrivent" à Dieu par la science.   

JEAN-PIERRE REYNAUD : Est-ce que cela ne rejoint pas ce que j’ai appelé l’ambiguïté sémiotique ?

YVETTE PARENT : Mais ce point d’interrogation n’est pas seulement dans la Bible.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Bien sûr. C’est Dieu qui dit à Job : « Est-ce que vous êtes capable de sonder comme cela ? ».

BERNARD LEUILLIOT : Le Dieu de Hugo est inséparable de sa croyance à l’immortalité et il y a deux interprétations de l’évanouissement des cieux, celle de Seebacher et celle de Gaudon.

 JEAN-PIERRE REYNAUD : Je ne crois plus à ce qu’a dit Seebacher. Toute l’histoire de Jean Valjean, c’est l’histoire d’un dépouillement. La morale, c’est que l’homme est fait pour renoncer, renoncer à son moi. Et à la fin de Quatrevingt-Treize le livre disparaît dans les cieux.

GUY ROSA : Citant et commentant ce que Hugo dit du livre biblique de Job dans William Shakespeare, tu as toujours parlé de « la Bible ». Or Hugo ne dit plus alors « la Bible » mais bien « Job» et ce qu’il y a de spectaculaire dans William Shakespeare, pour ce qui nous occupe, c’est cela : la Bible est cassée, il y a des auteurs, mais il n’y a plus de Bible. Est-ce vrai pour d’autres textes que William Shakespeare ? cela vaudrait la peine d’y aller voir.

JEAN-PIERRE REYNAUD : C’est possible. Il cite, je crois, cinq auteurs bibliques sur les quatorze esprits génies du livre "Les Génies" de William Shakespeare.

CLAUDE MILLET : Ce que dit Guy Rosa est important : Hugo va jusqu’au bout de sa mécréance en matière de révélation ou plutôt la retourne en la déplaçant sur la génialité ; les « livres saints » ne sont plus saints d’abord et accessoirement pleins de poésie ; s’ils sont saints et s’ils contiennent une révélation, c’est parce que ce sont de vrais et grands poèmes signés.

GUY ROSA : Voir ce qui est dit, dans William Shakespeare, des textes collectifs, les épopées indiennes comme le  Mahâbhârata par exemple, envers lesquels il est plus que réticent.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Mais il n’a jamais dit que la Bible est une compilation comme les poèmes indiens.

BERNARD LEUILLIOT : Le problème des « génies mères » de l’humanité (expression de Chateaubriand), c’est un problème de poétique, il y a des styles. William Shakespeare est un art poétique.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Je rappelle que Job y  invente le drame.

CLAUDE MILLET : Tout cela vient d’un socle commun à la génération de Hugo. Il faut rappeler, dans le sillage de ce qu’écrit Paul Bénichou dans Le sacre de l’écrivain, l'importance de la poésie biblique, conçue comme poésie primitive : songeons par exemple au Saül des Méditations poétiques de Lamartine. Il y a quelque chose comme une langue poétique dans la Bible, langue que Hugo retrouve dans la poésie orientale, avec en particulier  ses métaphores dont les comparants appartiennent à la matérialité concrète. On est du côté de l’invention d’un langage, d’une poétique de cette matérialité concrète.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Une poésie de l’image qu’il jette à la tête des classiques.

CLAUDE MILLET :  Oui, comme la poésie antéislamique que décrit la longue note à "Nourmahal la Rousse" dans Les Orientales.

BERNARD LEUILLIOT : Cela fait perdre de vue ce que la Bible peut représenter pour un théologien. Un critique anglo-saxon a voulu montrer que toutes les formes littéraires se trouvent dans la Bible. La Bible est ce réservoir poétique pour Hugo, et autre chose.

 

 Stéphane Arthur


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