Séance du 21 mai 2011

Présents: Josette Acher, Stéphane Arthur, Chantal Brière, Pierre Burger, Jacques Cassier, Bénédicte Duthion, Rachid El Alaloui, Pierre Georgel, Jean-Marc Hovasse, Caroline Julliot, Anne Kieffer, Arnaud Laster, Bernard Leuillot, Madeleine Liszewski, Claire Montanari, Christine Moulin, Yoshihiko Nakano, Florence Naugrette, Yvette Parent, Marie Perrin, Guy Rosa, Denis Sellem, Jeanne Stranart, Sylvie Vielledent, Pascaline Wadi, Vincent Wallez.


Informations

Claude Millet signale la parution du  n°300 (2010/4) de la Revue des Sciences Humaines intitulé Littérature et architecture,  qui comprend deux articles de membres du Groupe Hugo : Chantal Brière (« Doubles-fonds et bas-fonds dans les romans hugoliens ») et  Agnès Spiquel  (« La Tourgue de Victor Hugo »).

 

À l’occasion du cent-cinquantenaire des Misérables l’an prochain, Claude Millet propose l’édition d’un volume collectif sur Les Misérables. Sont déjà annoncées des communications de Pierre Georgel (« le Musée imaginaire des Misérables ») et de Chantal Brière (« La rue dans Les Misérables »).

 

Claude Millet signale par ailleurs que la Bibliothèque Jacques Seebacher est à nouveau ouverte les lundi, mardi (10-13h ; 14-18h) et le mercredi matin. Elle restera ouverte les trois premières semaines de juillet puis rouvrira le 1er septembre.

 

Yvon le Scanff recommande la mise en scène de Mille Francs de récompense à l’Odéon. Jean-Marc Hovasse, qui l’avait vue à Toulouse, confirme que c’est un spectacle admirable. Arnaud Laster émet une petite réserve, malgré la qualité exceptionnelle de la représentation : le personnage de Cyprienne est traité comme un personnage de mélodrame conventionnel, alors que c’est en fait un personnage de femme forte. Il renvoie sur ce point à l’excellente analyse de Danièle Gasiglia-Laster dans le volume Femmes (n°2, série « Victor Hugo », Minard). Il a d’ailleurs eu l’occasion d’en discuter avec le metteur en scène, qui a convenu qu’il était passé à côté de cet aspect. Claude Millet estime qu’à sa décharge ce type de personnage féminin semble très exotique avec nos sensibilités actuelles. Bernard Leuilliot pense que c’est le problème des jeunes filles dans l’œuvre de Hugo en général, qui ont toujours un côté mièvre de victimes. Cyprienne est pour lui un mixte d’Éponine et de Cosette. Ce qui lui semble remarquable dans cette mise en scène, c’est qu’elle articule plusieurs niveaux d’interprétation et de sens ; c’est peut-être pour cela que le metteur en scène a été amené à accentuer l’aspect mélodramatique.

 

Guy Rosa signale la publication imminente d’une adaptation en manga des Misérables (éditions Soleil).

Il ajoute que lui et Florence Naugrette ont préparé et publié sur le site du Groupe Hugo le volume Hugo et la langue, abandonné par son éditeur originel, Belin. Il est en train de faire la même chose pour Lire les Misérables.

 

Il a vu annoncer le début du tournage de L’Homme qui rit, réalisé par Jean-Pierre Améris, avec Gérard Depardieu et Emmanuel Seigner. Il en a lu le scénario. Exercice intéressant, entre autres parce qu’il révèle des réalités du texte auxquelles on ne songe qu’en les voyant se heurter aux nécessités du cinéma. Ainsi, la narration romanesque n’est-elle pas obligée d’actualiser constamment la grimace de Gwynplaine : elle est, le plus souvent, passée sous silence; tandis qu’à l’écran on la voit forcément dès que le personnage apparaît. Une solution serait de le montrer de dos ou de trois-quart. Peut-être n’est-ce pas toujours possible, mais la solution adoptée ici –lui mettre un foulard sur le visage, façon cow-boy, n’est guère convaincante.

Le pire écueil n’est pourtant pas là mais dans la chasteté généralisée des personnages. L’Homme qui rit est un roman du corps : noyé, pendu, torturé, défiguré –et chaste, mais nullement désexué. Les auteurs du scénario ont sans doute cru qu’il fallait du sexe et du « baiser électrique ». De là des scènes croquignolettes, en particulier une vraie scène de vaudeville entre Gwynplaine et Josiane, mais aussi Dea et Ursus invités à Corleone-lodge  et tombant sur un spectacle qui ne leur était pas destiné.

Claude Millet se demande si un metteur en scène actuel peut être sensible à la perversité de la chasteté.

Guy Rosa reprend : même recul devant la difficulté pour Chaos vaincu » réduit à une représentation de la « bio » de Gwynplaine et Déa. Mais, plus grave, l’incompréhension populaire devant Chaos vaincu est transposée en hostilité : des paysans rencontrant Gwynplaine sans son foulard, s’épouvantent puis s’arment de fourches et l’on conclut par la bêtise ou la sauvagerie des basses classes.

C’est dommage car, par ailleurs, beaucoup de scènes sont fidèlement transcrites et beaucoup de diallogues à peu près textuellement reproduits –preuve supplémentaire que Hugo écrivait pour le cinéma.

 

Arnaud Laster rappelle que Raul Ruiz avait voulu filmer une adaptation des Travailleurs de la Mer, mais n’a jamais pu réunir le budget ; changeant son fusil d’épaule, il s’était lancé dans le tournage du Temps Retrouvé. Il signale la magnifique adaptation de L’Homme qui rit  par Paul Leni, film muet de 1928. Deux fins avaient été tournées, mais l’on n’en connaît que le dénouement heureux, malheureusement le plus infidèle au roman. Une très belle musique du compositeur canadien Tibeaudot a été écrite exprès pour l’accompagner au moment de sa restauration en 2000.

Par ailleurs, il dépose à la Bibliothèque Seebacher les Actes du colloque japonais Comment naît un œuvre littéraire (éditions Champion), qui contient un article de Naoki Inagaki, de l’Université de Kyoto : « Victor Hugo possible auteur des tables tournantes », qui relance un débat déjà ancien.

 

Gérard Pouchain, retenu par l’organisation d’une action culturelle en Normandie, regrette de ne pas pouvoir entendre la communication consacrée à l’édition de la correspondance de Juliette Drouet, mais envoie ses meilleurs souvenirs aux trois doctorantes qui se consacrent à cette entreprise, avec lesquelles il a eu l’occasion de tisser des liens.


Communication de Bénédicte Duthion, Anne Kieffer et Jeanne Stranart, sous la direction de Florence NaugretteL’Édition complète de la correspondance de Juliette Drouet à Hugo (voir texte joint)


Discussion

Intérêt de l’édition de la correspondance de Julliette

Claude Millet : Nous sommes tous ici très impressionnés par l’ampleur du projet, par toute la logistique qu’il requiert. À terme, nous aurons un document exceptionnel sur l’écriture de soi, l’écriture féminine de soi, et un témoignage passionnant sur la vie du temps, car Juliette est une femme qui a un regard d’une extrême acuité sur les choses.

Pierre Georgel : Je voudrais marquer d’une pierre blanche ce retour de la philologie dans nos travaux. On peut voir dans votre communication à quel point ces recherches peuvent être fécondes et riches de sens.

Guy Rosa : Avec une inquiétude tout même : quand on considère la masse à traiter, on se demande si l’entreprise de transcrire toutes ces lettres n’est pas un peu déraisonnable, un peu folle, comme l’était d’ailleurs celle de Juliette de les écrire… D’expérience personnelle de transcripteur, c’est à la fois attachant et odieux, irritant et touchant.

Surtout, nos moyens d’analyse littéraire sont inopérants sur ce texte qui échappe entièrement à l’analyse académique. Rhétorique, poétique, thématique… trouvent ici leurs limites et patinent, sans doute parce que ces textes ne sont pas une œuvre littéraire. Peut-être faudrait-il un talent d’écrivain pour en rendre compte. C’est un texte, pas un livre.

Bernard Leuilliot : C’est un corpus qui n’a aucun équivalent, et donc de fait c’est un corpus qui mérite l’attention.

 

 

Conservation de ces milliers de lettres

Claude Millet : La question que je voulais vous poser conserve l’archivage. Y a-t-il dans ses lettres des remarques sur le devenir de la correspondance pour la postérité ?

Florence Naugrette : Juliette évoque à plusieurs reprises la certitude que sa correspondance sera lue dans l’avenir, par quelqu’un d’autre que Hugo. Est-ce de l’humour ou est-ce sérieux ? On ne peut le dire. Mais il semble qu’elle ait eu l’intuition de l’intérêt futur des chercheurs envers ses lettres. En revanche, elle ne parle pas des questions concrètes de conservation.

Claude Millet : Quand même, la question a dû se poser, ne serait-ce que dans ses déménagements. Comment transportait-elle les lettres ? De retour de Guernesey, on devait en être à quinze mille lettres…

Jeanne Stranart : Ce sont des lettres courtes, sur un papier très fin. Leur volume ne devait pas être si important.

Arnaud Laster : Pour la majorité, la BNF les a achetées à la famille de Juliette.

Pierre Georgel : La tradition de l’époque, c’est de rendre les lettres au scripteur à la mort du destinataire. En tout cas, la question de l’archivage a d’une certaine façon été réglée par Hugo lui-même, puisqu’il a conservé les lettres de Juliette, alors que, contrairement à la légende, il ne gardait pas tout. Au contraire, il faisait régulièrement des tris dans son courrier.

Jeanne Stranart : On peut même considérer qu’il les avait classées, puisque la plupart des lettres du début ne sont pas datées, mais qu’on arrive à suivre une chronologie.

Pierre Georgel : On peut supposer en effet qu’il les a rangées en allant dans un tiroir.  

 

Comment définir la correspondance de Juliette ?

Guy Rosa : C’est un texte hétérogène, qui pourtant et très vite, pratiquement tout de suite, obéit non seulement à une unité de ton et style, mais à un schéma standard. Sans doute s’agit-il, dans les débuts, de lettres d’amour, puis s’y glisse, mais sans rompre le « plan », un fourre-tout de comptes, de listes de courses, de pense-bêtes…

Pierre Georgel : Elle a aussi écrit des bribes de journal, à Bruxelles ou Jersey.

Jean-Marc Hovasse : C’est Hugo qui lui a demandé d’écrire un Journal. Et Juliette arrête au bout de quelques semaines car elle le dit, elle a détesté cet exercice.

Florence Naugrette : Cela prouve que ce n’est pas la même chose, mais aussi que les lettres lui tiennent lieu de journal.

Pierre Georgel : Hugo lui commande son Journal au moment où il commence lui-même le Journal de ce que j’apprends chaque jour, où il a pour projet de consigner tout sauf l’intime. C’est peut-être cela que Juliette n’a pas aimé cette pratique ; ce qui l’intéresse, c’est justement l’expression de ses sentiments. 

Guy Rosa : Comme vous le dites, ce n’est pas un journal, mais c’est quotidien, et cela semble très important pour elle que ce soit quotidien. Il faudrait avoir recours à d’autres pratiques quotidiennes pour en rendre compte, la toilette, le ménage, la prière. 

Pierre Burger : Juliette emploie-t-elle le mot « journal » ?

Bénédicte Duthion : Parfois. Par exemple, en 1852.

Florence Naugrette : Philippe Lejeune, dans Le Moi des demoiselles, rappelle l’origine religieuse des journaux intimes : ils sont faits pour être lus, par le confesseur, le directeur de conscience ou la directrice du pensionnat. On peut rapprocher cette pratique de la confession.

Claude Millet : On peut aussi la rapprocher par moments du journal domestique.

Guy Rosa : C’est très difficile d’analyser ces lettres avec les outils littéraires, car c’est une pratique à la fois littéraire et non littéraire. La lettre d’amour, déjà, est un phénomène très spécifique : ce n’est pas vraiment une lettre, c’est un outil de communication extrêmement étrange. Elle est écrite de façon compulsive, autant pour celui qui écrit que pour son destinataire. Voir les Fragments d’un discours amoureux de R. Barthes. De plus, ici, au fil du temps, la lettre d’amour se charge d’autres fonctions : liste de courses, bulletin météo (Juliette est très sensible au temps qu'il fait), compte rendu des journaux ou de la correspondance destinée à Hugo et que Juliette dépouille. Pour ma part, je me demande s’il ne faudrait pas renoncer aux mots « lettre » et « correspondance » pour décrire la chose.

Bernard Leuilliot : Ce n’étaient pas des lettres dans le sens où elles n’étaient jamais envoyées, mais déposées sur un meuble pour que Hugo en prenne connaissance. Un message qui joue à la lettre, sans en être une, en quelque sorte. 

Jean-Marc Hovasse : restitus est peut-être le mot le plus adapté. C’est son terme.

Arnaud Laster : restitus, c’est une manière de rendre à Hugo les lettres pour son amour.

Claude Millet : restitus, ce serait bien un jeu de mots à la Juliette : un mot-valise, entre « restitution » et « détritus »…

 

Fonction des lettres

Guy Rosa : Habituellement la lettre d’amour répare l’absence, or, là il n’y a pas vraiment d’absence. Les « lettres » rentrent dans une communication globale avec Hugo, où les conversations priment, ce qui les rend parfois très obscures, puisque une grande partie des éléments nous manquent. En 1836, souvent, les lettres servent à corriger ou réparer les effets d’une dispute, qu’on reconstitue d’après elles alors qu’elles en modifient sûrement la réalité.

Hugo lit-il ce que Juliette lui écrit ? Rien n’est mois sûr, au contraire. Bien souvent, et dès le début, il en laisse une partie de côté. Juliette le lui reproche souvent d’ailleurs. La lettre est donc écrite, en partie, pour réparer les défauts de la communication orale. Mais, en fait, elle les aggrave : c’est une communication à sens unique – en cela aussi insensée qu’une leçon d’agrégation. Hugo, lui, écrit très peu à Juliette, et très mal. Mais peut-être était-il tout simplement impossible de lui répondre. Il y a de quoi être sidéré par cette avalanche et ce soliloque. Cela dit, ces requêtes écrites ne sont pas sans efficacité (et Hugo était moins dur avec Juliette que certains n’ont dit). En 1836, les plaintes que Hugo ne vienne jamais ou trop brièvement finissent par aboutir et, dans la lettre suivante, elle l’en remercie. Ce n’est pas toujours acte gratuit et soliloque. Mais, après l’exil, leur pertinence tend vers zéro. Hugo ne les lit plus, d’autant moins qu’elles font doublon avec les rapports des servantes –autre canal de communication.

Arnaud Laster : je suis très sceptique à l’idée que Hugo ne lisait pas les lettres de Juliette. S’il ne lui écrit pas beaucoup, ce n’est pas forcément par manque de sentiments. Nerval, par exemple, n’avait pas presque pas de lettres de Hugo ; pourquoi en aurait-il eu, a-t-il affirmé, puisqu’ils se voyaient tous les jours ? C’est peut-être la même chose pour Juliette.

Jeanne Stranart : Peut-être, mais en 1836, ils passent 19 jours sans se voir. Elle s’en plaint beaucoup, mais Hugo ne lui écrit pas pour autant.

Arnaud Laster : Hugo a dû beaucoup lui écrire au début ; mais Juliette a brûlé les lettres des deux premières années – les plus belles lettres d’amour que Hugo ait jamais écrites, selon son propre avis.

Yvette Parent : Quelque chose frappe à la lecture des lettres de Juliette : c’est son narcissisme. Il n’y a pas cet élan, cette nécessité que crée l’absence. Elle répète à Hugo qu’elle l’aime, mais n’est occupée d’elle-même, incapable d’autre chose que de se mettre en scène. Elle est une comédienne frustrée. Les lettres ne sont-elles pas un moyen de se créer un théâtre dont elle occupe le centre, pour elle-même et l’homme qu’elle aime ?

 

Style de Juliette ?

Pierre Georgel : Juliette affiche un côté enfantin et populaire dans son style. C’est un postulat identitaire, mais je pense qu’il y a aussi récupération humoristique de pratiques du temps. Je voudrais mettre en évidence une consonance, sûrement réfléchie, entre les pratiques graphiques de Juliette et celles d’une certaine typographie romantique, une utilisation à demi ironique de la presse populaire caricaturale, d’une typographie échappant aux codes savants. D’un côté le livre classique Didot ; de l’autre, la presse populaire à sensation. Juliette reprend les codes de la presse populaire, sciemment je crois.

Bernard Leuilliot : Le problème principal que posent ces lettres, c’est de voir quelqu’un qui, de toute évidence, entretient avec le langage un rapport d’écrivain, mais qui jamais n’essaie d’écrire. Pourquoi ce talent ne débouche-t-il jamais sur rien ? Vous avez rappelé qu’elle avait appelé Hugo « le commandant » ; n’a-t-il pas été pour elle comme le Commandeur dans Don Juan ? Une figure écrasante, qui ne lui a pas permis d’exister littérairement.

Guy Rosa : L’intérêt d’une édition exhaustive, c’est que l’anthologie, sous laquelle on connaissait une petite partie de la correspondance, – incontestablement la « meilleure » littérairement–, banalise beaucoup cet objet étrange qu’est l’ensemble des lettres. Leur côté répétitif, surtout, à la fois émouvant et insupportable.

Claude Millet : C’est pour cela que le spectacle de Charlotte de Turkheim sur le sujet était un beau spectacle : il était assez long pour que le spectateur prenne conscience du ressassement de son écriture. Deux heures pour un spectacle constitué de lecture de lettres, c’est très long en fait.

Josette Acher : Ce style de Juliette, le retrouve-t-on dans les lettres qu’elle écrit à d’autres destinataires ?

Florence Naugrette : Juliette a écrit à d’autres, notamment à sa famille, mais ces lettres sont absolument quelconques.

Guy Rosa : Le style importe, le contenu aussi. Ces lettres sont d’une grande pauvreté. Est-ce en raison de leur principe amoureux ou parce que Juliette, narcissique comme le dit Yvette Parent, ne voit rien qu’elle et Hugo ? Toujours est-il qu’en 1877, que j’ai transcrit, elle parle souvent des petits-enfants, mais ne dit rien d’eux. Jamais elle ne relève le moindre détail pittoresque ou touchant. Contrairement à Hugo, qui, lui, voit et entend, et, bien sûr, sait faire exister une scène en très peu de mots. L’obsession   amoureuse est-elle cause de cette distraction ? On peut aussi l’interpréter autrement : elle n’est pas écrivain. Porter un regard original sur le monde ce n’est pas donné à tout le monde.

Claude Millet : Peut-être les femmes sont-elles plus sensibles à l’appauvrissement de ce type de vie. Elle était recluse, avait abandonné sa carrière d’actrice, n’avait que Hugo. On en connaît toutes, des femmes qui, petit à petit, s’enferment dans un quotidien étriqué et finissent par n’avoir plus rien à dire – peu importe leurs dons au départ. Car, incontestablement, on le voit à certains moments : elle n’est peut-être pas écrivain, mais elle a du talent.

Pierre Georgel : En effet, que de coups d’œil sagaces sur le monde et les gens !

Jean-Marc Hovasse : On trouve aussi dans ses lettres des métaphores très surprenantes, très originales.

Claude Millet : Beaucoup d’humour aussi. 

Josette Acher : Y a-t-il eu des études cherchant à montrer une possible influence du style de Juliette sur la création de Hugo ?

Claude Millet : On en trouverait sûrement une. Comme tous les écrivains, Hugo attrape telle ou telle expression, telle ou telle image, et se l’approprie.

 

Juliette recluse et soumise ?

Arnaud Laster : L’un des intérêts de cette édition, c’est de ruiner les innombrables déclarations sur Juliette, de la part de gens qui ne l’ont jamais lue. Lorsqu’on lit ces lettres, on ne peut pas dire qu’elle est toujours en adoration devant Hugo : elle lui dit aussi des horreurs, avec une liberté de ton qu’on ne trouve de la part de personne d’autre.

Guy Rosa : La proportion est tout de même de 95% d’adoration pour 5% de dépit ou de colère. Du moins dans le texte complet ; les morceaux choisis privilégient la prise de bec.

Pierre Georgel : Il n’est pas sûr que cette édition change le regard sur Juliette, malheureusement. Les chercheurs ne sont que rarement écoutés du grand public.

Arnaud Laster : « La vérité finit toujours par être inconnue », comme dit Glapieu dans Mille Francs de récompense. Dans les catalogues de vente, on ignore souvent l’humour, et cela mène au contre-sens. Je me souviens notamment d’un catalogue qui présentait l’une des lettres comme le cri de rage de Juliette trompée et désespérée, alors que de toute évidence Juliette y taquinait Hugo.

Claude Millet : Ce n’était pas forcément de l’humour. Ou pas forcément seulement de l’humour. On ne peut pas dire que Hugo ait toujours été fidèle...et les rapports de Hugo  à Juliette Drouet me semble être une invitation à modérer toute exaltation anachronique de son « féminisme ».

 

Retour sur la séance du 26 Mars 2011.

Arnaud Laster : Je suis étonné de ce que Guy Rosa a affirmé lors de la dernière réunion. A-t-on une preuve que Victor Hugo fréquentait les maisons closes ?

Guy Rosa : Je me suis contenté de redire ce qui se trouve dans le premier volume de Jean-Marc Hovasse.

Jean-Marc Hovasse : ... [silence qui est à la fois une confirmation et un démenti]

Arnaud Laster : Il est plutôt avéré que Hugo fréquentait surtout des actrices ou des femmes du monde. Moi, je n’affirme que sur preuves.

Guy Rosa : Femmes du monde ou prostituées, les preuves sont difficiles à obtenir...

 Caroline Julliot