Séance du 24 septembre 2011

Présents: Josette Acher, Patrice Boivin, Françoise Chenet, Pierre Georgel, Delphine Gleizes, Jean-Marc Hovasse, Loïc Le Dauphin, Katherine Lunn-Rockliffe, Claude Millet, Claire Montanari, Guy Rosa, Denis Sellem, David Stidler et Vincent Wallez


Informations

Avenir de la bibliothèque Jacques Seebacher 

 

         Claude Millet annonce qu’il lui a été impossible de pourvoir au remplacement de Géraldine Chazot sur le poste de poste de « technicien de bibliothèque » affecté à la bibliothèque Jacques Seebacher ; comme elle entreprenait les démarches pour le faire, elle a appris que ce poste, indispensable au fonctionnement de la Bibliothèque et aux autres tâches incombant à la composante (gestion de Textuel et des livres reçus par Romantisme, secrétariat pour le revue Ecrire l’histoire, gestion comptable, etc.) était supprimé.  Conformément à une politique générale dans les Universités, adoptée également par la nôtre, la Présidence a l’intention de procéder à l’intégration de notre bibliothèque dans le Service commun de la documentation. Elle se propose en conséquence de  procéder,  pour notre bibliothèque, à un recrutement dans le cadre de ce Service commun, éventuellement assorti de vacations pour les autres activités de la composante. La nature de ces postes et l’avenir de la Bibliothèque Jacques Seebacher sont en cours de négociation. Claude Millet remercie les membres du Groupe Hugo qui se sont associés à la lettre ouverte qu’elle a adressée à ce sujet au Président du Conseil scientifique.

         Guy Rosa intervient pour indiquer les risques que cette politique d’intégration fait courir : perdant son autorité sur son personnel et donc son autonomie, notre bibliothèque perdra aussi, sauf miracles de bonne volonté et d’intelligence, l’originalité de son fonctionnement qui en fait un centre de recherche plus qu’une bibliothèque au sens où l’entendent les personnels des services de documentation. Il a lui-même l’expérience de ces risques : le « fonds 19° » était d’abord associé à la Bibliothèque Universitaire Lettres de Paris 7, et c’est à la suite de nombreux conflits générés par cette hybridation, que nous avaient été donnés, il y a de cela 15 ans, un local et un personnel propres.

 

Publications

 

Claude Millet présente le beau recueil d’articles d’Anne Ubersfeld, Galions engloutis, réunis par Pierre Frantz, Isabelle Moindrot et Florence Naugrette aux Presses universitaires de Rennes. Le Groupe Hugo a contribué à cette publication.

 

Elle fait circuler le livre de Théophile Gautier, Histoire du romantisme, qui évoque souvent Hugo, et qui vient d’être réédité chez Folio, précédé d’une préface d’Adrien Goetz, avec une excellente annotation due à Itaï Kovàcs. L’Histoire du romantisme est suivi de Quarante portraits.

 

Pour le cent-cinquantenaire des Misérables, un volume collectif inaugurera la collection « Victor Hugo » des Classiques Garnier. Les textes issus des communications de Pierre Georgel, Chantal Brière et de Marie Perrin au Groupe Hugo pour l’année 2011-2012 y seront publiés. Pierre Laforgue, qui vient d’être nommé professeur à Bordeaux III, s’y associera également par les communications présentées à la journée d’étude qu’il organisera à Bordeaux. Il codirigera l’ouvrage avec Claude Millet.

 

Jean-Marc Hovasse évoque sa visite  au musée Wellington à Waterloo où étaient présentés, pour le cent-cinquantenaire de l’achèvement des Misérables, des épreuves et des manuscrits du roman. Guy Rosa rappelle que les épreuves, reliée et offertes à Juliette, sont conservées à Bièvres. Elles ont surtout une valeur sentimentale puisque Hugo a reporté dans les listes envoyées à Lacroix (voir B. Leuilliot, Victor Hugo publie Les Misérables, Klincksieck, 1970) les corrections effectuées sur les épreuves.

 

Guy Rosa fait circuler deux ouvrages. L’un, de Corinne Legoy, s’intitule L’enthousiasme désenchanté, éloge du pouvoir sous la Restauration et permet sans doute en particulier de mesurer le fond sur lequel se détachent les poèmes de Hugo. Il est préfacé par Alain Corbin, ce qui est gage de qualité.

 

L’autre est la publication, due à Edouard Graham, du fac-similé de l’édition des Contemplations offert par Hugo à Auguste Vacquerie que ce dernier, selon un usage d’époque, avait « truffé » d’épreuves photographiques. Elles ne sont ni choisies ni disposées au hasard et prennent sens au sein du recueil. L’ouvrage vient de sortir chez Droz.

 

Jean-Marc Hovasse évoque la publication du livre amusant de Florian Hugo, descendant du poète et cuisinier à New-York, Les Contemplations gourmandes. Il s’agit d’un livre de recettes liées à Victor Hugo. C’est un peu plus que le dernier en date  de ces objets populaires qui se réclamaient de l’effigie de l’écrivain de son vivant même.

 

Colloque 

 

         Claude Millet annonce qu’elle prépare avec Stéphanie Boulard, qui enseigne à Atlanta, un colloque en 2014 aux États-Unis, qui sera suivi en 2016 par un colloque en France, à l’université de Paris Diderot.


Communication de Karine Lunn-RockliffeLe Progrès dans la poésie de Hugo (voir texte joint)


Discussion

Progrès, Révolution, civilisation

CLAUDE MILLET : Je vous remercie pour ce très bon travail, riche en suggestions. Vous avez beaucoup de finesse et une façon intuitive d’aborder les textes. Je ne suis cependant pas tout à fait d’accord avec la conclusion que vous proposez. J’ai été frappée, en lisant les citations que vous analysez, par le fait que la métaphorisation dans le texte poétique de Hugo travaille à personnifier le progrès, substance énergétique, et à figurer l’ambivalence du processus historique. Je me suis dit qu’au fond l’écriture métaphorique du progrès prend ainsi en charge les mêmes procédés que ceux que Hugo emploie quand il parle de la Révolution. Vous arriveriez sans doute aux mêmes constellations sémantiques en travaillant sur ce thème. Il me semble que Hugo n’esquive pas l’ambivalence de la Révolution, mais que son travail métaphorique permet de l’intégrer. Il faudrait travailler sur les mots « Révolution » et « civilisation » tout autant que sur celui de « progrès ». À bien des égards, le mot « civilisation » est un nom donné au progrès, en particulier lorsqu’il touche à la rationalisation scientifique. Si on regardait la façon dont Hugo personnifie la civilisation, alors les ambivalences que vous évoquez n’apparaîtraient pas. Franck Laurent et Marie Perrin, s’ils étaient là, pourraient parler de la notion de « Révolution-civilisation » que Hugo cherche à cerner dans ses textes en prose. Il serait donc fructueux de faire jouer le mot « progrès » avec d’autres termes qui peuvent se substituer à lui pour désigner le même processus.

KATHERINE LUNN-ROCKLIFFE : Je me suis surtout intéressée à la façon dont le poète passe du mal au bien. Les exemples où l’on voit le processus de transformation ont retenu mon attention. Il y a parfois juxtaposition, parfois métamorphose.

CLAUDE MILLET : Oui. C’est intéressant. Cette ambivalence pourrait être résolue par la fable. Mais dans l’écriture poétique, il y aurait la possibilité de résoudre – ou pas – par l’image la question de l’ambivalence du processus historique. Vous maintenez le fait que parfois il y a résolution et parfois pas. Il en est de même pour la Révolution : parfois elle est absorbée, mais ce n’est pas toujours le cas.

 

Métaphore et personnification 

FRANÇOISE CHENET : J’ai beaucoup aimé ce que vous avez dit sur le dynamisme poétique et sur la métaphore. Mais j’ai été un peu troublée parfois car j’ai eu l’impression que vous n’établissiez pas de différence entre la métaphore et la personnification, qui, proche de l’allégorie, risque sans cesse de figer le processus dynamique. La métaphore constitue en elle-même le processus révolutionnaire par excellence. Elle transforme le texte de l’intérieur.

CLAUDE MILLET : Qu’entendez-vous lorsque vous dites que la personnification est du côté de la fixation ?

DELPHINE GLEIZES : Le fait de donner des contours à une chose la fige ou la rend lisible de manière à ce que l’on puisse l’appréhender. La flamme, elle, n’a pas de contour ; sans forme, elle n’est pas figée.

CLAUDE MILLET : Sans doute alors vaudrait-il mieux parler de formalisation que de fixation ou de figement. Le mot « fixation » me gêne un peu. La personnification permet au progrès de devenir sujet historique.

GUY ROSA : Mais si le progrès devient sujet, alors les hommes ne le sont plus.

CLAUDE MILLET : C’est ce que Katherine voulait dire en parlant d’extériorité et d’intériorité.

KATHERINE LUNN-ROCKLIFFE : Le progrès vient parfois de l’extérieur. Parfois, au contraire, c’est l’homme qui en est l’agent. On peut faire alliance en poésie.

CLAUDE MILLET : Vous avez dit que l’affirmation du progrès est souvent en conflit avec le constat du désastre historique. Il y a ainsi un conflit entre le réel et l’idéal. Ce qui est curieux, c’est qu’il y a, à travers l’écriture métaphorique, un moyen pour Hugo de donner une réalité à ce qui n’en a pas. Un personnage se construit : le progrès. Il agit dans une réalité qui le dément.

KATHERINE LUNN-ROCKLIFFE : Oui. Le poète souligne presque que c’est une fiction.

GUY ROSA : Nous avons peut-être tort, cependant, de fabriquer une personnification à propos du progrès. Finalement, cette personnification est très peu présente dans le texte de Hugo. Le mot apparaît rarement dans les exemples que vous nous avez donnés – ou il apparaît au pluriel. Dans le quatrième passage que vous citez (Dieu, « L’Océan d’en haut », VII),

Chaque fois que l’homme, humble et que le doute abreuve,

Saisit un fait nouveau dans l’ombre, il a goûté

De Dieu, de la lumière et de l’éternité.

C’est bien. C’est vers le jour une marche gagnée.

rien n’indique que Hugo évoque le progrès.

KATHERINE LUNN-ROCKLIFFE : C’est vrai. Mais cette citation se situe avant le long passage que j’appelle « hymne au progrès ».

GUY ROSA : Alors il faut les distinguer plus nettement ou comprendre qu’un vrai problème est là. Idéaliser, en effet, le progrès, en faire un personnage, une instance, à côté du beau, du vrai, de la liberté, etc., cela correspond à une pensée à la fois idéaliste et essentialiste. Or les idéaux ne peuvent que récuser le progrès : ils sont au-dessus, stables, fixes. On ne peut que s’en approcher ou les toucher par moments, mais dès qu’on les atteint on est hors progrès. C’est le cas pour l’œuvre des génies, selon William Shakespeare. Dans l’Histoire, la Révolution est, elle aussi, hors progrès, d’une certaine manière. Une des contradictions de la notion de progrès vient de là : elle s’abolit elle-même lorsqu’elle s’essentialise.

PIERRE GEORGEL : Mais la métaphore poétique permet de rétablir de l’existence dans l’essence et du devenir dans l’être.

 

Religion et désastre 

GUY ROSA : Si vous permettez, une remarque d’interprétation. Pour cet extrait de Dieu :

À grands coups de science, à grands coups de cognée,

Les vivants ont raison, dans leur obscurité,

D’ébaucher la statue immense Vérité.

vous laissez entendre que la « cognée » a une dimension péjorative ; c’est un anachronisme écologiste ! La cognée qui abat la forêt, c’est très bien ! ce fut la grande œuvre civilisatrice des moines cisterciens.

CLAUDE MILLET : Le mot permet en effet de positiver le coup.

KATHERINE LUNN-ROCKLIFFE : Ailleurs, Hugo utilise l’expression « coup de bélier »

GUY ROSA : Dans le même ordre d'idées, pour le commentaire des vers :

Souvent, féroce au bonheur des hiboux,

Le progrès, rudoyant tous les petits bien-êtres,

Vomit tous les rayons dans tous les fenêtres,

Le bien est sans pitié.

je me demande s'il ne serait pas plus simple et plus juste de se souvenir qu'à cette époque le soleil est la grande crainte des ménagères comme maintenant des conservateurs de musées : il décolore les tissus et les tapisseries et, dans les rues orientées est-ouest, ce sont les appartements expposés au nord qui sont prisés et coûtent cher.

JOSETTE ACHER : Vous avez dit que la formule « lumineux désastre » ne désignait rien de concret. Pourquoi ?

KATHERINE LUNN-ROCKLIFFE : Je voulais dire que le terme de « désastre » n’appartenait pas à un domaine spécifique.

PIERRE GEORGEL : Emploie-t-on ce mot en astronomie ?

VINCENT WALLEZ : À l’époque de Hugo, il ne me semble pas que la notion d’univers en expansion soit pensée. L’univers est stable. Je ne pense pas qu’au niveau astronomique il parle de désastre.

CLAUDE MILLET : Dans le poème « La Comète », qui se trouve dans la Nouvelle série de La Légende des Siècles et qui est une des figures de la Révolution, il y a l’idée d’un décrochage par rapport à l’ordre fixe des étoiles.

GUY ROSA : Hugo sait que les étoiles peuvent s’éteindre et qu’on peut les voir après leur disparition.

CLAUDE MILLET : Le Grand Larousse Universel donne l’étymologie du désastre, qui réactive l’image du décrochement astral, puis en fait un équivalent des mots « calamité » et « catastrophe ».

VINCENT WALLEZ : Les comètes étaient souvent vues comme les annonciatrices des désastres.

CLAUDE MILLET : Elles sont des désastres en elles-mêmes du point de vue étymologique.

VINCENT WALLEZ : Jusqu’à Halley, on pensait que leur parcours était imprévisible.

 

L’instabilité des systèmes hugoliens

DELPHINE GLEIZES : L’ensemble des exemples que vous nous avez présentés donne l’impression que le dispositif rhétorique de Hugo n’est pas stable. Il y a des moments où ce dispositif semble se détricoter. Les textes sont travaillés par des tentatives qui ne sont pas coordonnées. Est-ce vraiment le propre de sa pensée du progrès ou est-ce un phénomène plus général ? On peut se poser la question.

CLAUDE MILLET : On est habitué, lorsqu’on travaille sur Hugo, à ces systèmes instables et contradictoires.

GUY ROSA : Personnifier le progrès –ce qui est l’invention propre du 19° siècle– permet d’unifier ses différentes formes repérées depuis longtemps –progrès des connaissances, progrès de la civilisation, progrès politique, technique, etc. , progrès des arts aussi. Le bénéfice intellectuel est considérable. Ainsi conçu, le progrès constitue lui-même ou désigne un absolu humain, une sorte de dieu immanent au devenir de l’humanité, ultime remède à la mort de Dieu. Il y a, dans la préface de Jacques Neefs à sa récente édition de Salammbô quelques pages sublimes, brèves et suggestives sur la mélancolie qu’éprouve, devant l’humanité et son histoire, une pensée débarrassée de Dieu ou de ses avatars modernes, la Science, le Progrès –on ajouterait de nos jours la Démocratie ou la Nature. Ce que Flaubert appelle « l’homme seul », c’est-à-dire une fois privé de ces consolations et de ces espérances, doit bien reconnaître que l’histoire des hommes est atroce, débordante de souffrances, de folies, de cruautés, de désastres, et que, sans se lasser, l’humanité va jusqu’au bout d’elle-même et s’accomplit dans le pire. Ce regard « mélancolique » sur la nature et le destin de l’humanité, Hugo ne le méconnaît pas ; cette inquiétude est contrebalancée chez lui par l’idée du progrès mais sans disparaître.

CLAUDE MILLET : Tu viens de faire un très beau commentaire de L’Homme qui rit.

 Claire Montanari