Séance du 24 mars 2012

Présents:


Informations

Arnaud Laster signale la conférence de Maria Walencka-Garbalinska, professeur de littérature française à l’université de Stockholm, conférence intitulée Jules Lefèvre-Deumier et l’Europe romantique. Hugo lui avait prêté une attention particulière à l’occasion de son poème « Le Parricide » publié dans La Muse française. Par la suite, Lefèvre s’étant rallié au Second Empire, il perdit l’estime de la part de Victor Hugo. La conférence a lieu à 15h30 à Mériel le 24 mars. Maria Walencka-Garbalinska a consacré sa thèse à Jules Lefèvre-Deumier (1797-1857) et elle a publié une anthologie de ses poèmes. La conférence est proposée par l’association des amis de l’abbaye de Notre-Dame du Val.

 

Pierre Georgel signale le 4 avril chez Christie’s, une vente des héritiers de Hugo avec des centaines de pièces : dessins, meubles (dont l’armoire aux manuscrits, mais laquelle ? … l’armoire en laque, l’armoire de la chambre de Victor ?), livres, lettres et des œuvres de la famille de Hugo, de Georges Hugo et de Jean Hugo. Le catalogue de la vente est consultable sur le site de Christie’s – et sur le nôtre. Arnaud Laster signale aussi la vente d’objets de Léon Richer dont des lettres de Victor Hugo et les textes d’Actes et Paroles, en l’état lorsque Victor Hugo les envoyait à Léon Richer, exposés et en ligne sur le catalogue de la vente. Bernard Leuilliot évoque la triste atmosphère de vide-grenier de cette vente, due à la nécessité de vider la maison de Lunel. Quelques dessins de tâches à des prix faramineux. Son sentiment est mitigé.

Pierre Georgel ajoute que la vente des dessins et des manuscrits pose le problème des fonds. Cette question sera soulevée lors de la conférence du mardi 27/03 à 18h15 à l’INHA. Un grand nombre de pièces du testament de Hugo se sont évaporées, retrouvées chez tel descendant de Victor Hugo et sur le marché. Pour les dessins on peut parfois reconstituer le circuit. Lors de l’inventaire après décès des pièces n’ont pas été présentées, sont restées là où elles se sont trouvées. Entre l’inventaire et la remise définitive, un grand nombre de pièces a été redistribué. Paul Meurice a constitué le fonds de dessins de la Maison Victor Hugo à partir de ce qui était destiné à la B.N.F. Le testament était formel : ils étaient destinés à la B.N.F - et n’y sont pas allés. Lors de l’exposition de 1971 à la Maison Victor Hugo, l’inventaire du fonds de Jean Hugo a été fait et plusieurs dessins avec la côte du notaire ont été signalés et rendus à la B.N.F..

 

Arnaud Laster rappelle pour le 27 mars la conférence de Pierre Georgel à l’INHA et à la filmothèque du quartier latin la projection de l’Homme qui rit de Paul Leni, (1928) suivi d’un débat avec la participation de Myriam Roman et Mireille Gamel.

 

 Claude Millet signale que le 12 avril Ludmila Charles-Wurtz va parler de l’émotion dans l’œuvre de Hugo à l’Université de Versailles St Quentin en Yvelines à l’Auditorium de la bibliothèque universitaire, 47 Boulevard Vauban, 78047 Guyancourt à 11h30 : « L'imaginaire de l'émotion dans l'œuvre de Victor Hugo » à l’occasion du colloque international : L’Emotion. De l’espace privé à l’espace public XIXe-XXIe siècles auquel « Littérature & Civilisation du XIXe siècle » - CERILAC participe.

 

Guy Rosa salue enfin le travail de Jean-Marc Hovasse pour la brochure hors-série publiée par Monde : Victor Hugo – L’élu du peuple 150 ans après Les Misérables, l’hommage des politiques. A côté d’autres textes, plus substantiels, les candidats à la présidentielle y disent leur culte œcuménique, et cependant divers, du poète. Le choix de textes avec la description de l’Elysée –« L’Elysée fut dans Paris le coin inquiétant et noir. »–  a beaucoup plu à Bernard Leuilliot. Quelques mots sont dits à propos du 210ème anniversaire de la naissance du poète fêté à Besançon à l’occasion du 150ème anniversaire de la publication des  Misérables : l’ouverture au public de la maison natale, les interventions de Jean-Marc Hovasse, la présence de France-Inter...


Communication de Chantal BrièreParcourir les rues des Misérables (voir texte joint)


Discussion

Référentialité de la rue hugolienne ?

 Claude Millet : Tu nous proposes une étude synthétique de ce dont on a habituellement une vision parcellaire et fragmentaire. Tu fais comprendre ainsi que Hugo est plus proche de Sue que de Balzac. Comme dans Les Mystères de Paris, les personnages passent leur temps dans les rues. En revanche, il n’y a pas de personnification des rues comme dans Ferragus.

Chantal Brière : Les descriptions sont très conventionnelles : le pavé, les maisons... Hugo écarte l’architecture dans Les Misérables.

Claude Millet : On comprend à t’écouter que la rue hugolienne est  un espace qui affecte l’œil, non les autres organes de perception. En particulier, n’apparaissent pas dans le roman les bruits de la rue.

Guy Rosa : La physiologie des rues apparaît assez peu dans le texte.

Claude Millet : Et la rue n’est pas un monde sonore, ni olfactif. Pas de cris du peuple, pas de cris des métiers, de bruits du travail, ou du transport.

Chantal Brière : L’absence des métiers est effectivement une idée à creuser.

Pierre Georgel : Plus globalement, il n’y a pas de pittoresque.

Guy Rosa : Il y a un pittoresque à rebours, à l’envers.

Chantal Brière : Il y a beaucoup de noir et blanc, des silhouettes.

Claude Millet : Les Misérables sont un beau film en noir et blanc...

Bernard Leuilliot : A propos du boulevard de l’Hôpital et de la référentialité, je pense à la correspondance d’Hugo à Théophile Guérin. La moitié d’une de ses lettres est place des Vosges, l’autre à la Bibliothèque nationale. Théophile Guérin est  honteux de ne pas avoir trouvé une  rue dont Hugo lui avait demandé de vérifier l’existence, alors que Hugo est en fait ravi de voir confirmé le fait qu’elle n’existe pas. Il me vient un souvenir d’oral à l’examen des IPS. Nous avions donné la description de la masure Gorbeau. Le candidat voulait montrer – comme c’est souvent le cas – que Victor Hugo est un grand écrivain réaliste. Mais on ne voit rien de l’extérieur de cette masure, même si est décrit l’intérieur. Le roman s’attache en revanche aux détails du Paris des sections révolutionnaires. Il y aurait des correspondances à établir avec précision entre les localisations et les sections révolutionnaires : la section de l’homme armé, etc. Toute une série de références qui vont dans le sens du « roman de l’histoire ».

Guy Rosa : L’adresse, encore aujourd’hui mais bien davantage au 19° siècle, fait partie de l’identité des personnes, au même titre que le nom et  l’état. C’est d’ailleurs ce qui explique que beaucoup de noms de famille soient des noms de lieux, effet de l’ancienne réalité féodale selon laquelle l’individu n’existe pas autrement que dans une communauté territorialisée. Cette caractérisation indirecte des personnages par la rue où ils habitent (et réciproquement) pourrait être explorée. Par exemple, qu’un individu puisse avoir trois adresses : c’est un bandit : « Cette haute vertu avait trois domiciles dans Paris pour échapper à la police. » Et quatre adresses : rue de l’Ouest, rue de l’Homme-Armé, rue de Babylone et rue Plumet, avec les valeurs, plus ou moins évidentes d’ailleurs, attachées à chacune.

Claude Millet : C’est la même chose pour les vêtements : les misérables ont particularité de changer d’apparence vestimentaire comme il change d’adresse. La rue fonctionne comme identifiant de ceux qui ont une place dans la société. A l’inverse, la mobilité de certains personnages les désigne comme misérables.

Guy Rosa : Gavroche donne l’éléphant comme adresse. Bombarda est vraiment un restaurant des Champs-Elysées, ce n’est pas de la fiction. Il y a une bizarrerie de la référentialité hugolienne. La rue de Réaumur et la rue des Marais sont des rues qui n’existent pas aux environs du couvent, aux alentours de la gare de Lyon. Le couvent dans le quartier du Mazas  n’existe pas, etc.

Claude Millet : Le fonctionnement de la référentialité est instable, hétérogène. A ses moments elle fonctionne comme un détail dans un roman historique avec un statut référentiel précis, à d’autres comme un détail mnémonique (comme dans L’Éducation sentimentale, tel que l’analyse Michel Butor), et à certains moments, la référentialité est un piège, elle ne fonctionne pas. Le roman cumule ces trois fonctionnements.

Bernard Leuilliot : la référentialité dans le cas de la masure Gorbeau induit un système de la référentialité. Il n’y a pas de contre-référentialité s’il n’y en a pas une quelque part. Victor Hugo a révolutionné la métrique du vers français mais cela ne peut se faire que dans un système métrique. De même, il continue de fonctionner sur le mode de la référentialité.

Claude Millet : Et à partir de ce mode, Hugo s’amuse parfois à faire semblant, à produire des pseudo-référents.

Bernard Leuilliot : Victor Hugo est un grand ludique.

 

La rue, données statistiques et sociologiques : le gamin des rues et la prostituée

Arnaud Laster : au sujet du pronostic sombre de Chantal Brière sur l’avenir des deux frères de Gavroche, on avait eu cette réflexion à l’occasion de l’Histoire de Gavroche créée à Besançon. Le fait que le frère aîné prenne le relais de Gavroche lorsqu’il dit à son petit frère « colle-toi ça dans le fusil » dans la scène au jardin du Luxembourg, n’indique-t-il pas que Gavroche va se réincarner dans le frère ?

Claude Millet : Mais la mort de Gavroche est d’une tristesse irréparable.

Bernard Leuilliot : Et les deux frères sont plutôt programmés pour avoir un destin comparable à celui de Berthe, la fille d’Emma Bovary, qui finit dans les filatures de Normandie.

Arnaud Laster : La transmission dans le cas de Gavroche est problématique. En revanche, les flambeaux de Myriel passent de Valjean à Marius.

Bernard Leuilliot : Mais Marius est-il capable de faire des enfants ?

Arnaud Laster : Marius deviendra Hugo. [Glurp ! NDLR]

Chantal Brière : Il y a dans Les Misérables une attention très grande au phénomène des enfants abandonnés.

Bernard Leuilliot : Et il y a le problème d’Éponine. Chaque chapitre a le nom d’un personnage sauf « L’idylle rue Plumet et l’épopée rue Saint-Denis » qui aurait dû s’appeler Éponine. Hugo est fasciné par Éponine,  mais censure. Quel est le statut de cette Éponine, son devenir ?

Arnaud Laster : Hugo s’inscrit à l’encontre de la théorie de Balzac sur la prostituée.

Guy Rosa : Il faut peut-être la rappeler : pour Balzac, qui reflète l’opinion commune, les prostituées sont érotomanes (voir Splendeurs et Misères des courtisanes).

Claude Millet : Concernant l’attribution de causes physiologiques à la prostitution, il faut plutôt souligner l’absence de discours de Hugo plutôt qu’une opposition explicite. Dans l’étude sociologique du gamin de Paris, Hugo donne beaucoup de détails. En revanche, le roman fait silence sur la question de savoir si les  filles sont encartées ou non, si elles sont soumises ou non aux règles d’hygiène, de même qu’il n’évoque pas les inspections, les rafles, les séjours à l’hôpital... La réalité de la prostitution (même irrégulière) n’est pas du tout traitée comme l’est celle du gamin de Paris.

 

Système structurel de la rue hugolienne (« ressource de ceux qui souffrent ») 

Pierre Georgel : la rue comme espace par excellence de la socialité me rappelle une page mémorable : le rêve  que fait Jean Valjean d’une rue désertée, comme allégorie de l’abandon, de l’exclusion.

Guy Rosa : Il faudrait interroger l’opposition entre rues et routes, et les rapprochements entre les confins du village et la banlieue.

Chantal Brière : Cosette est dans l’espace du conte, de la forêt …

Guy Rosa : Si l’on essaie d’avoir une vue systématique, outre la question de l’opposition ville / Campagne, rue / route, il faudrait peut-être interroger le rapport entre l’extérieur et l’intérieur des maisons. L’adresse de Gillenormand, rue des Filles-du-Calvaire, surprend, du moins son nom, d’ailleurs effacé, à la présentation du personnage par d’autres : « Rue Boucherat, rue de Normandie et rue de Saitonge, il existe encore quelques anciens habitants sui ont garde le souvenir d’un bonhomme appelé M. Gillenormand. » Rue Plumet, le jardin contraste avec la demeure, elle-même double. Les intérieurs confirment-ils les extérieurs ou non ?

Chantal Brière : Ils les confirment plutôt

Guy Rosa : La conformité entre les intérieurs et les extérieurs, ce pourrait être un exemple de trait structurel.

 

Esthétique de la rue hugolienne : comparaisons

Claude Millet : dans la première partie du travail tu as souligné que Paris est une ville palimpseste. Ce n’est pas propre à Hugo. C’est le cas partout au XIXe, c’est le propre de la ville du XIXe siècle. Un biais pour le prendre serait de partir de la différence avec Baudelaire (avec le texte de Baudelaire, non avec l’énorme discours critique sur Baudelaire, qui tend à écraser l’œuvre baudelairien sous Benjamin). Peut-être – il faudrait vérifier – la description de Paris dans Les Misérables ne dramatise-t-elle jamais l’opposition de l’ancien et du moderne, et encore moins n’y lit une manifestation du progrès. Il me semble qu’il n’y a jamais d’effraction du moderne dans la ville. Le bec de gaz par exemple n’est pas constitué en événement de l’histoire de la ville.

Guy Rosa : Ce n’est pas vrai pour l’arrivée des « marmites noires du bitume », aux alentours du jardin des Plantes, « un matin, matin mémorable, de juillet 1845 ».

Chantal Brière : Pourtant le Paris des Misérables se transforme.

Claude Millet : Mais la transformation de Paris engagé par Rambuteau, énorme, et qui appartient bien au temps de la fiction, n’est pas dramatisée. Ce qui est dit en revanche, c’est la disparition du Paris de 1832 en 1862. Peut-on parler de feuilletage ? d’évolution linéaire ? de ruptures ?

Bernard Leuilliot : Entre les deux campagnes de rédaction, apparaît la Londres moderne de Dickens. On pourrait comparer la ville dans Les Misérables et chez Dickens. Hugo a découvert Londres avec horreur. Cela a un effet sur la manière dont il représente la ville.

Claude Millet : Oui, aller voir du côté de Dickens est une bonne idée. Nerval dans Les Nuits d’octobre  associe la représentation réaliste, et la représentation réaliste de la ville, à Dickens.

 

Poétique de la rue hugolienne : analyse interne

David Charles : L’image du palimpseste, c’est dans Notre-Dame de Paris ? ou dans Les Misérables ?

Chantal Brière : Dans Les Misérables.

Jean-Marc Hovasse : Oui, dans «  Paris à vol d’oiseau ».

Chantal Brière : Plus précisément, on trouve l’idée, mais pas le mot dans Les Misérables : « … la mémoire du peuple flotte sur ces épaves du passé »...

Pierre Georgel : Pour la représentation de Paris et de la ville, il faudrait étudier Histoire d’un crime. Cela devrait être fait...

Guy Rosa : ...cela devrait être fait.

Pierre Georgel : La topographie d’Histoire d’un crime est très spécifique.

Guy Rosa : D’une manière générale, la topographie hugolienne des monuments et des quartiers, n’est pas celle qui retient l’attention des contemporains ; Hugo s’intéresse à des endroits inintéressants : les abords du Jardin des Plantes, par exemple, mais pas le Jardin des Plantes, l’éléphant de la Bastille, disparu, mais pas sa colonne, le Val de Grâce mais pas le Panthéon. Pas de Louvre ni de Tuileries, mais la prison de la Force et la barrière du Maine, etc.

Claude Millet : contrairement à Truffaut qui met la Tour Eiffel dans tous ses films, et contrairement au Paris-guide...

Pierre Georgel : ... et au contraire d’un  dessin du beau Paris, où Montmartre est représenté avec un terrain vague au premier plan, dans un souvenir envoyé à Léonie où l’on ne voit que les silhouettes des monuments célèbres de Paris. Il y a chez Hugo toute une réflexion sur la construction  d’une image touristique de Paris.

 

Les rues des domiciles hugoliens et le Paris actuel : tectonique des plaques...

Claude Millet : Quels sont les noms de rue de ses domiciles ? il y a la rue La Rochefoucauld, la rue Blanche, la rue de la Tour d’Auvergne... Sont-elles présentes dans Les Misérables ?

Arnaud Laster : Quels sont ses domiciles ?  les Champs –Elysées, Notre-Dame-des-Champs, la rue du Dragon...

Guy Rosa : ... le Ve, le XIIIe, le VIe, la partie Saint-Sulpice, Luxembourg...

Claude Millet : ...le Paris de l’enfance...

 Pascaline Wadi