[f° 98-102. Papier et disposition du manuscrit. L'évanouisserment de Gwynplaine met fin à son entretien avec Barkilphedro (II, 5, 1). Il s'en réveille, dans le texte publié, en II, 5, 3, à Corleone Lodge et, ici aux folios 98-99 comme aux folios 100-102, versions antérieures du même chapitre, dans la voiture qui l'y conduit. Mais certains détails sont utilisés ailleurs.]

 

[f° 98. 150/67]

Quand Gwynplaine reprit connaissance ["et rouvrit les yeux" barré et déplacé] , sa première impression [corrige "sensation"] fut une sorte d'assourdissement. Il sentait sous lui comme un tremblement [corrige "roulement"]. Il ouvrit les yeux. Il était dans une voiture qui cheminait rapidement sur du pavé ["sur du pavé" ajouté, après hésitation]. Il entendait une vibration, c'étaient les vitres, un roulement, c'étaient les roues, et un frappement alternatif et cadencé, c'étaient les chevaux. L'intérieur de la voiture était tendu en velours pourpre, et le plafond qu'il voyait au-dessus de sa tête était magnifiquement blasonné en haut relief de passementerie dans des enroulements d'or et de perles ["dans des enroulements..." ajouté]. ["Si Gwynplaine eût été" barré] Un [d'abord minuscule] connaisseur en ces choses [", il" barré] eût distingué, au-dessous de deux écussons géminés, ["dans des enroulements d'or et de perles," barré et déplacé] un tortil de baron et une couronne de marquis. ["et le plafond...": ces lignes son encadrées et barrées de deux traits obliques; les deux écussons, le tortil de baron et la couronne de marquis se retrouvent au plafond de Corleone Lodge en II, 5, 3, f° 406] ["Gwynplaine, encore mal réveillé, regardait vaguement." barré et déplacé]

Il était seul dans la voiture. Sur le devant, dans un compartiment dont le séparait une glace levée [corrige "en ce moment baissée [corrigé "à demi baissée"]"], il apercevait deux têtes dont il ne voyait que les nuques, les perruques [", les perruques" ajouté] et les chapeaux. L'un de ces chapeaux était noir et simple ; l'autre était si richement rehaussé d'or que le feutre disparaissait sous les galons. Cette [+ barré, sans doute en correction cursive] voiture était une voiture [corrige "un carrosse"] de voyage, et les deux hommes dont Gwynplaine voyait les dos occupaient ce qu'on appelait alors la loge du carrosse, et ce qu'on appellerait aujourd'hui le cabriolet.

On entendait un bruit de grelots et le claquement d'un fouet. La voiture était attelée de quatre [ajouté] chevaux de poste.

En ce temps-là un cavalier [corrige "on"] courait la poste ["à raison de [corrigé en "moyennant"] trois sous par cheval et" le tout barré] [f° 99. 150/68] moyennant trois sous ["moyennant..." ajouté] par mille et quatre sous au postillon après chaque poste. ["C'était réputé fort grand luxe. Par ce qu'on appelait «le carrosse de diligence» on voyageait à raison d'un shelling tous les cinq milles." barré et déplacé] Une voiture attelée payait par cheval autant de shellings que le cavaliser payait de sous. Par ce qu'on nommait [corrige "appelait"] «le carrosse de diligence» on voyageait à raison d'un shelling tous les cinq milles. Un attelage de poste à un carrosse était réputé luxe de prince. [tarifs employés en II, 4, 6, f° 361, intercalé]

La seule route pavée de l'Angleterre était la route de Londres à Windsor.

Le carrosse, emporté par le galop de ses quatre chevaux, roulait [corrige "voyageait"] à grand bruit. ["emporté par le galop..." corrige + + + +]

La nuit commençait à tomber. [corrige "Il faisait encore grand jour."]

["Gwynplaine, hagard, regardait vaguement.

Il y a des déroutes d'idées comme il y a des déroutes d'armées. Le ralliement ne se fait pas tout de suite. Gwynplaine referma les yeux." Ces deux paragraphes sont encadrés, barrés de trois traits obliques et déplacés.]

Des deux côtés des vîtres, on apercevait de la campagne. De temps en temps des arbres passaient, puis des clochers lointains. On entendait des bêlements de troupeaux.

Gwynplaine, hagard, regardait vaguement.

Il ne comprenait pas. [paragraphe en addition]

Il y a des déroutes d'idées comme il y a des déroutes d'armées. Le ralliement ne se fait pas tout de suite. [L'image est reprise, presque textuellement, en II, 5, 4, f° 408] Gwynplaine referma les yeux.


[f° 100. 150/62. Papier et disposition du manuscrit. Mise au net. On ne saurait dire si cette autre version du même voyage de Corleone Lodge à Londres est antérieure ou ultérieure à celle des folios 98-99.]

 

Quand Gwynplaine reprit connaissance et rouvrit les yeux, il ne vit rien. Il était dans du noir. Il était dans quelque chose de fermé. Était-il mort ? Il eût pu s'en faire la question. Un dedans de tombe n'eût pas été plus ténébreux. Pourtant si le cercueil [rétabli après correction en "sépulcre"] est silencieux, il n'était pas dans le cercueil [rétabli après correction en "sépulcre"]; il entendait un grand bruit. Il avait une sensation d'assourdissement. Et si le sépulcre [corrige "cercueil"] est immobile, il n'était pas dans le sépulcre [corrige "cercueil"]; il sentait un mouvement de translation ; il y avait sous lui comme un tremblement. Quand on est brusquement envahi et stupéfié par une irruption de surprises morales et de surprises physiques mêlées, l'effort qu'on fait pour comprendre commence par l'éclaircissement des impressions physiques. Notre côté matière veut d'abord savoir à quoi s'en tenir. Plus tard l'intelligence, qui se débat sous un encombrement, s'en tirera comme elle pourra. Peu à peu, encore mal réveillé, ["encore mal réveillé," remplace, cursivement ou immédiatement, "Gwynplaine"] à travers ce brouillard qu'une commotion profonde laisse dans l'esprit comme la poussière d'un écroulement, [Peu à peu..." est rayé, non pas, probablement, pour suppression mais parce que la phrase a été utilisée, pour une addition, en II, 5, 4, f° 408] Gwynplaine ["se rendit compte" barré en correction cursive] décomposa le bruit qu'il entendait et le mouvement qu'il sentait, et reconnut qu'il était dans une voiture. Il entendait une vibration, c'étaient les vîtres des portières ; un tournoiement, c'étaient les roues ; un frappement alternatif et cadencé, c'étaient les chevaux. Il tâta autour de lui, et toucha partout [f° 101. tampon Gatine non rempli] du velours. Était-il jour ? était-il nuit ? il ne savait. Les volets de la voiture étaient clos [corrige "fermés"]. Pas une fente où filtrât une lueur. Il essaya de baisser ou de lever un volet; impossible; il essaya d'ouvrir une portière; impossible. Tout était fermé du dehors. Est-ce qu'on l'enlevait? ["Il entendait claquer des fouets." rayé] La voiture roulait sur du pavé. Etait-il dans une rue? probablement. [faux départ: "Il n'y ["avait" oublié et ajouté] en Angleterre"; ce faux départ est immédiatement remplacé par l'addition de la phrase qui suit.] Une voiture roule autrement sur la poussière d'une route que sur le pavé d'une rue. [phrase ajoutée] Il n'y avait alors en Angleterre de route pavée que de Londres à Windsor, de même qu'en France de Paris à Fontainebleau. S'il était dans une rue, la rue était longue. [" La voiture +.

Tout à coup il y eut un amortissement des roues comme lorsqu'une voiture passe sur un pont de bois. Puis la voiture s'arrêta.

La portière s'ouvrit.

Il était nuit." barré et réécrit plus bas]

S'il était dans une ville, la ville était grande. A moins pourtant qu'il ne fût dans la campagne, et sur un grand chemin. Un grand chemin pavé ? Ce serait donc la route de Windsor ? Parfois les événements semblent en délire. Qu'était-ce que tout cela ? ["Parfois les événements...": addition] De temps en temps la voiture se ralentissait [+ + + barré sans doute en correction cursive] , il y avait un imperceptible temps d'arrêt, on entendait un bruit de chaînes, un fouet claquait, et la voiture repartait au galop. Est-ce qu'on avait changé de chevaux?

Tout à coup il y eut un amortissement [variante: "assourdissement"] du bruit des roues, comme lorsqu'une voiture passe sur un pont de bois. Puis la voiture s'arrêta.

La portière s'ouvrit. Le marchepied s'abaissa.

Il était nuit.

Une vive fraîcheur pénétra dans la voiture. On était près d'une rivière.

En même temps on était près d'un palais.

Gwynplaine sortit de la voiture.

[faux départ: "Elle était attelée de quatre chevaux avec dans"]

Cette voiture était un carrosse de voyage [f° 102. 150/66] dont le compartiment antérieur s'ouvrit en même temps que la portière. Un homme en descendit.

Le carrosse avait quatre chevaux, ["avec dans" barré en correction cursive] un cocher et deux postillons. C'était le cocher qui avait ouvert la portière. Il tenait à la main une lanterne sourde.

La lanterne sourde [corrige "Cette lanterne"] éclaira l'homme qui descendait de la loge du carrosse ["de la loge..." corrige "du compartiment de devant"]. Gwynplaine reconnut le personnage péremptoire et respectueux ["péremptoire..." corrige "à perruque de cour"] qui était sorti de derrière un pilier dans la cave pénale, ["et qui n'avait pas la même perruque que les magistrats," barré] et qui était le dernier qui lui avait parlé.

La voiture était arrêtée devant une architecture haute et superbe. [faux départ: "On voyait"] La lueur de la lanterne faisait saillir les reliefs d’une façade seigneuriale couverte ["d'écussons et" rayé] de statues et de trophées. On voyait un large portail de pierre ayant des colonnes pour chambranles et pour imposte un massif blason de six pieds de haut magnifiquement sculpté, et à côté du grand portail, un petit.