Le coup d’Etat proprement dit –le reste est la répression de la résistance– consiste effectivement dans les trois opérations de cette nuit : d’une part l’arrestation préventive des personnes les plus capables d’animer la résistance : leaders de l’Assemblée, les militaires en particulier, et chefs des associations, sociétés secrètes et clubs ; d’autre part le bouclage du Palais-Bourbon de manière à empêcher l’Assemblée de s’y réunir ; enfin l’affichage des décrets et proclamations instaurant un nouvel ordre juridique, sinon légal. Cela demandait le contrôle de l’Imprimerie nationale –équivalent maintenant de la prise des stations de radio et de télévision– mais aussi l’interdiction des journaux et la fermeture des imprimeries. Oubliant le tocsin de Juillet 1830, on avait négligé d’occuper les clochers ; on y pourvut un peu plus tard.

Ici, le détail des événements provient à coup sûr des journaux et des publications de propagande qui parurent très rapidement après le coup d’Etat. Leurs auteurs, ayant leurs entrées dans l’administration, l’armée et la police (l’exemplaire du livre de P. Mayer dont nous nous sommes servis porte une dédicace, humble, admirative et reconnaissante, à M. Carlier), disposaient d’informations auxquelles aucun des résistants n’avait accès (les noms et les missions des commissaires de police et des officiers par exemple). Leur emploi massif par Hugo, sans les citer et dans une perspective inverse, contribue à donner à son texte sa physionomie propre. Le témoin et l’acteur militant se mue ainsi, sans crier gare, en narrateur omniscient. Or, le regard de ce Dieu narratif se porte sur les objets mêmes qui ont retenu l’attention des diables à la manœuvre, puis des diablotins plumitifs chantres de leurs exploits. Ce n’est donc pas tant la multiplicité des modes d’énonciation, dont Hugo a conscience, que leur contradiction concrète, axiologique et politique, qui enraye l’écriture d’Histoire d’un crime. Il suffira à Hugo de commuter ce point de vue surplombant depuis celui de l’observateur vers celui du « prophète » pour effacer cette contradiction et concevoir Napoléon le Petit.