Bertrand Abraham : La représentation du livre dans les romans de Hugo

Communication au Groupe Hugo du 21 novembre 1992
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Une des formes de la réflexivité textuelle est liée à la présence dans le roman du livre, et du livresque en tant que tel: non plus par le truchement de citations, d'allusions et des diverses modalités d'intertextualité (au sens restreint du terme), mais par l'intervention dans la fiction de l'objet livre, de l'activité de lecture, du personnage lisant, et de la bibliothèque. Qu' elle consiste en un détail furtif donné au détour d'une description, ou qu'elle prenne au contraire la forme d'un vaste développement, la manifestation de ce type de "livresque" est toujours signifiante: elle constitue un miroir du texte, qui renvoie l'écriture à l'écriture (quand par exemple un personnage - lui-même production livresque- consulte un livre), ou oppose l' écriture au "réel" (le livre consulté doté d'un coefficient élevé d'irréalité, d'imaginaire vient en quelque sorte garantir par contraste la vraisemblance au la vérité du récit dans lequel il intervient). Elle est aussi un répertoire des formes textuelles que l'auteur confronte, combine, associe à son propre travail de production.

Le livre, médiation entre auteur et lecteur, objet en fonction duquel production et réception prennent leur sens, incarne la forme finie et définitive donnée au texte pourvu d'une valeur symbolique et économique qui le fait entrer dans le circuit de la littérature. Il n'est donc pas étonnant de le voir investi d'une forte charge d'auto-représentation, et marqué par l'ambivalence: il est toujours une projection-anticipation par rapport au texte; manière pour l'écrivain de fantasmer ce dernier comme achevé, accompli, -et la présence des bibliothèques, des livres et des lecteurs à l'intérieur d'un roman pourrait se lire dans son rapport avec l'attachement en quelque sorte généalogique qu'entretient le scripteur avec ce qu'il produit-, mais il est aussi ce par quoi advient la rupture entre le texte et son auteur, le livre ouvrant le texte a l'interprétation, a la circulation. L'inscription du livre dans l'ensemble qu'est la bibliothèque1 si elle peut se comparer au rapport établi entre les textes dans tout processus d'intertextualisation, s'en différencie fondamentalement: le livre y est toujours ouverture au texte de l'autre –manifestée par les catalogues d'œuvres, les relations de proximité sur un même rayonnage, les classements opérés par les lecteurs, les lectures attribuées à un personnage de roman etc…,-2, mais il est aussi comme objet constitué, résistance à cette ouverture. En le circonscrivant dans un volume, le livre soustrait matériellement le texte à la pluralité des langages dont il est fait mais qu'il doit constituer comme son dehors pour exister. Le livre apparaît donc comme un entre-deux contradictoire: objet autosuffisant il tend à devenir l'équivalent du liber mundi dont il recueille les traces - au monde comme livre se substitue assez facilement l'image du livre comme monde-, en même temps ce caractère monumental, compact, cette fonction d'archive sont mis en question dans les opérations de lecture et d'interprétation hors desquelles il n'a pas de réalité. En dehors de ses capacités à réfléchir l'énoncé, et à entretenir des relations spécifiques avec le contenu de tel ou tel récit dont il sert à exhiber et/ou à occulter le caractère de fabrication langagière, il semble bien que le livre en représentation dans les romans de Hugo, et dont la mise en scène est relativement indépendante de la production d'images figurales du scripteur et de l'auteur3, soit effectivement marqué par cette double nature qui peut s'appréhender à partir de l'opposition entre ce qui, au sens littéral du terme fait "volume", et ce qui ne cesse d'être, dans l'opération de circulation du sens, dispersé, disséminé.

 

 

Monumentalité du livre

 

Les représentations du livre dans le roman hugolien peuvent être analysées et mises en perspective à partir de la plus développée et de la plus remarquable d'entre elles, contenue dans les deux chapitres "Abbas Beati Martini" et "Ceci tuera cela" composant le livre cinquième du roman. Notre-Dame de Paris. L'insertion tardive de ce passage dans l'œuvre (seulement à partir de la huitième édition), que Hugo "explique"4 dans une note écrite en 1832 et qui peut renvoyer par ailleurs aux péripéties ayant marqué les rapports de l'auteur avec son éditeur ainsi qu'à l'interruption survenue en 1830 pour "cause de révolution" 5 est liée en fait de manière décisive au fonctionnement du texte devenue littéralement livre dans le livre, cette digression (revendiquée comme telle dans la note de 1832) 6se présente comme l'articulation d'un commentaire pis en charge par le narrateur, à un énoncé prédictif (le "Ceci tuera cela") que seule son attribution à Claude Frollo rattache au corps de la fiction, et par lequel le personnage, joignant le geste à la parole dans ce qui constitue à proprement parler un acte de discours, met à distance deux des référents majeurs du récit, le livre et la cathédrale, pour les opposer, et signifier la menace que contient pour l'architecture l'avènement de l'imprimerie:

 

"L'archidiacre considéra quelque temps en silence le gigantesque édifice, puis étendant avec un soupir sa main droite vers le livre imprimé qui était ouvert sur la table et sa main gauche vers Notre-Dame et promenant un triste regard du livre à l’église: -Hélas, dit-il! ceci tuera cela.(…)

Nos lectrices nous pardonneront de nous arrêter un moment pour chercher quelle était la pensée qui se dérobait sous ces paroles énigmatiques de l'archidiacre: ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice." 7

 

L'opposition est établie sur le fond d'une identité qu'exprime la métaphore réversible du monument comme livre et du livre comme monument. Les spécifications de la cathédrale comme "texte" 8 fait de "lettres de marbre de l'alphabet", de "pages de granit"9 ou de "pages de grimoire écrites en pierre par l'évêque Guillaume de Paris"10, dans Notre-Dame de Paris, l'assimilation qui fait dans le Dernier Jour d'un Condamné des murs de la prison un "livre étrange qui se développe page à page (…) sur chaque pierre du cachot"11 ou la comparaison faite par Ursus dans l'Homme qui Rit entre les parois de sa cahute couvertes d'inscription et un "bréviaire"ou un "mémento"12 sont les exemples dispersés d'un système d'équivalence généralisé formulé comme théorie grammaticale, linguistique et historique de la monumentalité, dans le chapitre intitulé "Ceci tuera cela". A la complexification qui, dans l'ordre de la langue, articule le passage de la lettre au mot, du mot à la phrase puis de la phrase au texte correspond le développement des premiers édifices aux cathédrales gothiques, apogée pour Hugo du monumental:

 

"(…) jusqu'au quinzième siècle et l’ère chrétienne inclusivement, l'architecture est le grand livre de l'humanité, l'expression principale de l'homme à ses divers états de développement, soit comme force, soit comme intelligence " (…) "L’architecture commença comme toute écriture. Elle fut d'abord alphabet" (...). Plus tard on fit des mots (…)  Enfin on fit des livres. (…)"13.

 

Mais l'architecture est aussi lieu de l'enregistrement de la transformation politique liée selon Hugo à l'époque des Croisades et au passage du roman au gothique:

 

"Toute civilisation commence par la théocratie et finit par la démocratie. Cette loi de liberté succédant à l'unité est écrite dans l'architecture."14

 

Enfin, elle apparaît comme la forme d'écriture subsumant toutes les autres et amalgamant sur le monument comme surface d'inscription l'ensemble des pratiques artistiques:

 

"Tous les autres arts obéissaient et se mettaient en discipline sous l’architecture"

(...) il n'est pas apparu dans le monde une pensée qui ne se soit faite édifice, (…) toute idée populaire comme toute loi religieuse a eu ses monuments (…) le genre humain n'a rien pensé d' important qu’il ne l'ait écrit en pierre".15

 

C'est cette "stéréophonie" de l'architectural combinant dans un même espace écriture, peinture, sculpture et dont l'imprimé risque de signer la perte, que les représentations du livre-monument hugolien, substitué et opposé au monument-livre s'efforcent de conserver, ce qui reflète les rapports de solidarité qu'entretiennent chez Hugo lui-même les pratiques du dessin et de l'écriture. De là la présence dans le roman de livres enluminés, de volumes que l'élaboration de leur reliure apparente aux productions du sculpteur, ou de textes que la fiction connecte ou associe a des gravures. 16

Pourtant, à travers ces deux formes pont en concurrence non seulement deux modes de conservation de l'archive, de la mémoire, -la seconde apparaissant, avec l'imprimerie, supérieure à la première-, mais aussi deux modes de spatialisation:

 

"Sous la forme imprimerie, la pensée est plus impérissable que jamais; elle est volatile, insaisissable, indestructible Elle se mêle a l'air. Du temps de l'architecture, elle se faisait une montagne et s’emparait puissamment d un siècle et d'un lieu. Maintenant, elle se fait troupe d'oiseaux, s'éparpille aux quatre vents, et occupe à la fois tous les points de l’air et de l'espace." 17

 

La monumentalité a ainsi partie liée à la terre, à l'enracinement; elle est territorialisation de l'écriture dans un bloc compact qui procède par empilement vertical; l'écriture imprimée suppose au contraire déterritorialisation: elle est associée dans l'imaginaire hugolien à l'aérien et procède par système de réticulation simultané, composé de multiples lignes de fuite inscrites dans un espace pensé comme horizontal et infini.

Cependant, la monumentalité de l'architectural et l'ubiquité disséminatrice de l'imprimé ne peuvent être dissociées dans la pensée hugolienne: produites comme nous l'avons montré , à partir de la même matrice métaphorique qui rend en même temps leur opposition possible, elles sont en fait, toujours solidaires à travers leur identité au moment même où l'auteur se propose d'affirmer leur différence irréductible:

 

"Le genre humain a deux livres, deux registres, deux testaments, la maçonnerie et l'imprimerie, la Bible de pierre et la Bible de papier. Sans doute quand on contemple ces deux Bibles si largement ouvertes dans les siècles, il est permis de regretter la majesté visible de l'écriture de granit, ces gigantesques  alphabets formulés en colonnades, en pilonnes, en obélisques, ces espèces de montagnes humaines qui couvrent le monde et le passé depuis la pyramide jusqu'au clocher, de Chéops à Strasbourg. Il faut relire le passe sur ces pages de marbre. Il faut admirer et refeuilleter sans cesse le livre écrit par l'architecture, mais il ne faut pas nier la grandeur de l'édifice qu'élève à son tour l'imprimerie".18

 

Le texte opère ici une permutation métaphorique par laquelle le registre dominant (celui du livre qui permet de penser à la fois le monument et la chose imprimée) laisse la place au registre dominé puisque c'est comme monument/édifice que le livre est à son tour représente. Cette métaphorisation prolifère même à la fin du chapitre:

 

"Depuis la cathédrale de Shakespeare jusqu'à la mosquée de Byron, mille clochetons s'encombrent pêle-mêle sur cette métropole de la pensée universelle. (…) A gauche de l'entrée on a scellé le vieux bas-relief en marbre blanc d'Homère, à droite la Bible polyglotte dresse ses sept têtes L'Hydre du romancero se hérisse plus loin, et quelques autres formes hybrides, les Védas et les Nibelungen. (…) La presse, cette machine géante, qui pompe sans relâche toute la sève intellectuelle de la société vomit incessamment de nouveaux matériaux pour son œuvre. Le genre humain tout entier est sur l'échafaudage. Chaque esprit est maçon. C'est la seconde tour de Babel du genre humain." 19

 

Le "Ceci tuera cela" commande le remplacement d'un système de signes par un autre, mais tout se passe comme si l'imaginaire textologique hugolien cherchait à combiner et a condenser dans la seule forme livresque les caractéristiques opposées du monument et du texte imprimé. C'est dire que l'ensemble des figurations du livre dans toute la production romanesque hugolienne illustre, mais répète également le geste inaugural du "Ceci tuera cela", non plus sous sa forme première de destruction du monument par le livre mais sous une forme dérivée ou se montre sans cesse l'ambivalence à la fois conjurée et reconduite, dans la destruction toujours à effectuer du livre-comme-monument par le livre- comme-instrument-de-dissémination-du-sens.

 

Formes et fonctions du livre-monument

Le livre-monument abonde en effet dans les romans hugoliens; il est rarement mis en scène comme livre inséré dans une bibliothèque, mais figure comme ouvrage singulier, précieux, se suffisant à lui-même, sa nature d'objet textuel destiné à être lu tendant à être absorbée par sa valeur purement ostentatoire: sa monumentalité est soulignée par la richesse de son aspect extérieur, et il fait en général corps avec le support architectural qui lui permet de s'inscrire dans l'espace. Ainsi dans Han d'Islande,

 

"Elle avait fait venir à grand  à grands frais le dernier roman de la fameuse Scudéry. On l’avait, par son ordre, revêtu d'une riche reliure à fermoirs de vermeil ciselé, et placé entre les flacons d'essence et les boîtes de mouches, sur l'élégante toilette à pieds dorés, ornée de mosaïques de bois, dont elle avait meublé le boudoir futur de son cher enfant Frédéric".20

 

dans Notre-Dame de Paris,

 

"(le lecteur)... pourra remarquer à l'angle de la façade un gros  bréviaire public à riches enluminures, garanti de la pluie par un petit auvent, et des voleurs par un grillage qui permet toutefois de le feuilleter".21

 

dans l'Homme qui Rit,

 

"Au chevet du lit était fixé un pupitre en argent à tasseaux tournants et à flambeaux fixes sur lequel on pouvait voir un livre ouvert portant au haut des pages ce titre en grosses lettres rouges: Alcoranus Mahumedis".22

 

dans les Travailleurs de la Mer,

 

"Le livre, ouvert, était sur la table.

A côté, sur une crédence, s'étalait  un autre livre, le registre de la paroisse, ouvert également (...)"23

 

et dans Quatrevingt-treize,

 

"Il y avait dans cette bibliothèque des livres  quelconques. Un est resté célèbre. C'était un vieil in-quarto, portant pour titre en grosses lettres Saint-Barthélemy, et pour sous-titre Evangile selon saint Barthélemy, précédé d'une dissertation de Pantoenus, philosophe chrétien sur la question de savoir si cet évangile doit être réputé apocryphe et si saint Barthélemy est le même que Nathanael. Ce livre, considéré comme exemplaire unique, était sur un pupitre au milieu de la bibliothèque. Au dernier siècle on le venait voir par curiosité."24

 

La monumentalité va de pair avec la singularité (paradoxale pour l'imprimé) les mentions du caractère unique d'un livre ou sa désignation comme un "individu" sont nombreuses chez Hugo: a l’évangile de Saint-Barthélemy dans Quatrevingt-treize, on peut ajouter les livres du père Mabeuf dans les Misérables:

 

"Il y avait encore ses livres les plus précieux, parmi lesquels plusieurs d'une haute rareté, entre autres les Quadrains historiques de la Bible, édition de 1560, la Concordance des Bibles de Pierre de Besse, Les Marguerites de la Marguerite de Jean de la Haye avec dédicace à la reine de Navarre, le livre de la Charge et dignité de l'ambassadeur par le sieur de Villiers-Hotman, un Florilegium rabbinicum de 1644, un Tibulle de l567 avec cette splendide inscription: "Venetiis, in oedibus Manutianis; enfin, un Diogène Laërce, imprimé à Lyon en 1644, et ou se trouvaient les fameuses variantes du manuscrit 411, treizième siècle, du Vatican, et celles des deux manuscrits de Venise, 393 et 394, si fructueusement consultés par Henri Estienne, et tous les passages en dialecte dorique qui ne se trouvent que dans le célèbre manuscrit du douzième siècle de la bibliothèque de Naples.(..). Sa prunelle prenait quelque vivacité lorsqu'elle  se fixait sur ses livres, et il souriait lorsqu'il considérait le Diogène Laërce, qui était un exemplaire unique".25,

 

l'ouvrage à partir duquel s'articule le "Ceci tuera cela" dans Notre-Dame de Paris: "GLOSSA IN EPISTOLAS D. PAULI. Norimbergoe, Antonius Koburger. 1474, désigné auparavant comme le "seul produit de la presse que renfermât" "la cellule de Claude Frollo26, celui par lequel s'explique la passion de Gringoire pour l'imprimerie:

 

"(...) il radotait d'imprimerie depuis qu qu'il avait vu le Didascalon de Hugues de Saint-Victor imprimé avec les célèbres caractères de Vindelin de Spire".27

 

ou le livre dont l'existence en un seul exemplaire implique l'occultation, dans les Misérables :

 

"Il y avait dans le couvent un Iivre qui n'a jamais été imprimé qu'à exemplaire unique, et qu’il est défendu de lire. C'est la règle de Saint-Benoit. Arcane où nul œil profane ne doit pénétrer. "28,

 

ce qui souligne, à contrario, l'importance de l'exposition et du regard pour ce qui est des autres livres-monuments.

 

Le caractère monumental du livre peut être évoqué sur un mode critique, ludique et/ou ironique: ainsi, dans les Travailleurs de la Mer, intervient là où l'on attendrait une Bible,un livre à fonction sociale et utilitaire:

 

"Au fond de la salle, près de la porte de la chambre de mess Lethierry, un petit retranchement de planches qui avait été la chaire huguenote, était devenu, grâce à un grillage de chatière, l’"office" du bateau à vapeur, c'est-à-dire le bureau de la Durande, tenu par mess Lethierry en personne. Sur le vieux pupitre de chêne, un registre aux pages cotées Doit et Avoir, remplaçait la Bible."29,

 

tandis que, dans les Misérables la description du bouge Jondrette, où vivent les Thénardier renverse les signes de magnificence du livre en leur contraire, sans que pour autant l'aspect monumental de l'objet soit menacé:

 

"Sur un coin de la table au apercevait un vieux volume rougeâtre dépareillé, et le format, qui était l'ancien in-12 des cabinets de lecture, révélait un roman. Sur la couverture s’étalait ce titre imprimé en grosses majuscules: DIEU, LE ROI, L’HONNEUR ET LES DAMES, PAR DUCRAY-DIMINIL. 1814." 30

 

A travers cet exemple, il est possible de mettre en évidence le rôle actif que jouent les mentions paratextuelles -que Hugo multiplie- dans la production de l'effet de monumentalité. Les précisions concernant en particulier la date et le lieu de fabrication d'un livre, ses caractéristiques typographiques, son format31, contribuent fortement à apparenter l'imprimé à l'édifice architectural en l’ancrant dans le temps et l'espace. Cependant, le paratexte est également ce par quoi s'effectue le passage d'une vision purement monumentale du livre à la prise en compte de sa nature de support et véhicule d'un texte. Une comparaison des indications paratextuelles liées aux ouvrages mis en exposition dans le roman hugolien permet également de dégager des caractéristiques communes qui engagent une conception singulière des rapports entre textualité et monumentalité .

En effet, le livre-monument se présente le plus souvent comme une somme. Il hérite de tout ce qui caractérisait le monument-livre; il se présente lui-même, parce qu'il condense toutes les écritures, comme l'équivalent du livre du monde dont il, n'est pourtant qu'un élément. Outre les livres des grandes religions (Coran, Bible -est souligné dans Notre-Dame de Paris le rôle de la conjonction Gutenberg-Luther -32), Hugo place en position de livre monumental des ouvrages dont la caractéristique principale est d'articuler du texte à du texte, de superposer des commentaires à des commentaires, et de fonctionner sur le mode du palimpseste. Parmi les exemples cités plus haut, on trouve des gloses,-représentées entre autres par le livre imprimé de Claude Frollo, divers ouvrages appartenant à la "bibliothèque" du père Mabeuf, l'invention hugolienne du volume Saint-Barthélemy qui réunit dam le même espace un texte et l'ensemble des commentaires faits sur ce texte-, on peut aussi répertorier des agencements textuels unissant au texte proprement dit ses variantes et les manuscrits ayant présidé à son élaboration -ainsi le Diogène Laërce du père Mabeuf s'apparente à un monument au second degré, une méta-architecture réunissant dam un seul volume ce qui s'offre par ailleurs comme dispersion et dissémination dans l'espace: manuscrits du Vatican, de Naples...-. Par une sorte de surenchère très symptomatique, Hugo combine d'ailleurs, à travers la plupart des représentations livresques qu'il convoque, la monumentalité "intrinsèque" de livres religieux (qui se désignent toujours plus au moins comme le "Livre des livres" -sens étymologique du mot "bible"-) à celle induite par une métatextualité qui connecte, dans le même livre, un texte avec ses différentes versions, ou avec les commentaires faits sur lui: à côté de la Bible on trouvera ainsi mention des "Concordances de la Bible". L'exemple parodique et dérisoire que constitue dans les Misérables le roman de Ducray-Diminil figurant dans le bric-à-brac des Thénardier entre lui-même dans cette problématique de la somme: derrière les référents auxquels renvoie son titre -modifié d'ailleurs par Hugo pour produire cet effet 33- et à travers leur classement hiérarchique ("DIEU, LE ROI, L'HONNEUR ET LES DAMES...") se devine quelque prétention à la description exhaustive, à visée totalisante, d'un univers social. C'est dire que les objets-livres qui parsèment la fiction romanesque ne sont bien souvent rien d'autre que des concrétions du propre travail intertextuel de Hugo qui acquièrent, en trouvant leur place dans les développements descriptifs une sorte de statut réaliste, une charge référentielle. Pourtant, le long poème de l'Ane reprendra en un autre sens toute cette question de la monumentalité, analysée comme symbole de la vanité et de la prétention de la pensée humaine et lui opposera le livre de petit format

 

"(…) Mais gare au diable Légion!appelé

Gare à ce gamin sombre appelé petit livre!

Le format portatif est un monstre; il délivre,

Il proteste, il combat, c'est hideux, c'est criant,

Comme avec  son épingle il crochète en riant

La serrure de fer d’une bible bastille!

(...) Ainsi que l'ichneumon détruit le crocodile

Le doute in-dix-huit bat le dogme in-folio;

Malheur à l'Alcoran qu’attaque un fabliau!

Un missel sur qui plane an coupler est malade;

Je plains l'infortiat qu'une puce escalade (...)" 34

 

A travers ces formes fréquemment sollicitées par Hugo que sont la glose, le livre pourvu de ses commentaires, le livre religieux, la somme, se manifeste un ensemble de préoccupation s de nature textologique qui portent sur la filiation (rapport texte/auteur), l'identité, le statut du scripteur, l'authenticité. Interrogation déjà repérable dans les travaux de certains personnages scripteurs et qui permet d'apparenter par exemple les travaux d'écriture de l'évêque dans les Misérables:

 

"(…) Il examine les œuvres théologiques de Hugo, évêque de Ptolémaïs, arrière grand-oncle de celui qui écrit ce livre, et il établit qu'il  faut attribuer à cet évêque les divers opuscules publiés, au siècle dernier, sous le pseudonyme de Barleycourt". 35

 

à la dissertation incluse dans le Saint-Barthélemy de Quatrevingt-treize:

 

"sur la question de savoir si cet évangile doit être réputé apocryphe et si Saint-Barthélemy est le même que Nathanael". 36

 

On saisit dans ce questionnement un nouvel avatar de l'ambivalence du livre que sa monumentalité d'objet place dans un rapport de pure extériorité à son auteur. L'interrogation. sur l'origine, et sur les rapports du texte au sujet scripteur ou lecteur, tend, -nous le verrons-, lorsqu'elle s'inscrit dans le mouvement d'affirmation de la monumentalité, à poser le principe d'un lien univoque d'autorité entre l’écrivain et son œuvre. Au contraire, est évoquée, dans la perspective d'une mise en cause de la monumentalité, l'idée d'un éparpillement possible du sujet.

 

La capacité du livre à enregistrer, à totaliser, à transférer dans la matière de l'écriture l’être du monde est également le propre de ses formes inférieures que sont le registre, le mémento, le code, qui prolifèrent dans le texte hugolien. Les lois, et au-delà, toutes les formes d'organisation sociale, politique, sont appréhendées à travers la forme livresque: relèvent entre autres de ce type d'archivage "le livre héraldique des deux royaumes et les statuts de l'ordre de Dannebrog" mis en scène lors de la condamnation d'Ordener37, le registre "Doit et Avoir" dans les Travailleurs de la Mer, 38, celui qu'Ursus dans l'Homme qui Rit, tient sur les panneaux de sa cahute, ainsi que les diverses formes d'enregistrement institutionnel que mentionne son discours:

 

"Lis le mémento qui est dans la cahute que j'ai mise à la retraite, lis ce bréviaire de ma sagesse, et tu verras ce que c'est que le lord. Un lord, c'est celui qui a tout et qui est tout " 39

"Qui est-ce qui a feuilleté le Doomsday-Book? C’est la preuve que les lords possèdent l’Angleterre, c’est le registre des biens dressé sous Guillaume-le-Conquérant"40

 

La séance du Parlement à laquelle assiste pour la première fois Gwynplaine, établi dans ses droits de lord met en scène, elle aussi, une forme monumentale du livre en tant que représentation écrite du fonctionnement social:

 

"Le clerc du parlement, debout, ouvrit un large in-folio exhaussé sur un pupitre doré, qui était le Livre de la Pairie."41,

 

et c'est de même dans un livre, le "red-book que lui avait remis le librarian de la chambre des lords" que Gwynplaine fait ses adieux à la chambre et rédige une manière de testament42. L'inscription textuelle sous forme d'archive monumentale du "faire" social, politique, humain détient sa puissance aussi bien d'être interdite de lecture (ainsi en est-il de la règle de Saint-Benoît évoquée dans les Misérables et mentionnée plus haut) que d'être offerte au regard, alors même qu'on pourrait la penser cachée:

 

"On a intérêt à échapper au gendarme et à l'histoire, on en serait bien fâché, on tient à être, connu et reconnu. (...) Il eût volontiers, lui aussi, laissé derrière lui ses archives de Simancas avec tous ses attentats numérotés, datés, classés, étiquetés et mis en ordre, chacun dans son compartiment, Comme les poisons dans l'officine d'un pharmacien".43

 

Renvoie également à cette monumentalité de l'archive l'activité livresque un peu particulière de Barkhilphedro, fondée sur le caractère "imperdable" de toute écriture et mettant en scène une rationalisation de l'Océan en trois instances textuelles (Lagon, Flotson et Jetson), qui sont comme trois registres placés sous l'autorité de l'amirauté, et par lesquels est réinscrit dans le circuit social tout ce qui tend à l'excéder, à lui échapper44. C'est par ce moyen que fait retour sous la forme du livre-manuscrit-gourde-Hardquanonne l'identité perdue de Gwynplaine. La multiplication des formes d'archivage qui mettent en jeu diverses modalités du livresque ou de l'infra-livresque et qui sont notamment attachées à l'évocation par le texte du fonctionnement des diverses institutions (parmi lesquelles la plus souvent mise en scène est la machine judiciaire) 45apparaît aisément au lecteur, et le projet scriptural de Hugo est d'ailleurs pensé ça et là en référence à cette forme monumentale et totalisante du livre; ainsi dans l'Homme qui Rit:

 

"Qu'ébauchons nous dans ces quelques pages préliminaires? un chapitre du plus terrible des livres, du livre qu'on pourrait intituler l'Exploitation des malheureux par les heureux."46

 

Avant d'aborder comment, dans le roman hugolien se défait et se déconstruit la monumentalité du livre, nous tenterons ci-dessous de proposer une analyse systématisant les fonctions que cette monumentalité remplit dans le texte, et faisant ressortir son aspect réflexif:

-faire figurer le livre monumental comme élément compositionnel du décor dans la fiction, c'est pour Hugo la manière la plus économique de mettre en scène sa propre écriture comme dépassement et débordement d'un texte qui est pourtant l'image constituée de l'achevé, du plein, de l'exhaustif, recueil de la multiplicité des inscriptions, de la totalité des codes. Le texte hugolien en train de s'écrire s'anticipe donc comme monument, dans le mouvement d'intégration donc de dépassement des monuments qu'il convoque. La nature fréquemment métatextuelle des objets-livres exposés vient confirmer cette hypothèse: la représentation fantasmatique de la bibliothèque hugolienne consiste en la matérialisation architecturale sous la forme d'un empilement vertical des rapports qui s'établissent dans la linéarité du discours entre les livres et entre les textes; elle suppose donc une représentation de l'intertextualité qui privilégie la dimension paradigmatique de l'écriture au détriment de sa dimension syntagmatique: de là le recours aux images de "l'escalier de volumes" -pour figurer le rapport entre le texte de Shakespeare et ses sources ou ses intertextes 47-, et de la tour de Babel 48 qui chez Hugo n'est pas un stéréotype, mais réfère à une énergétique de l'écriture, de là également la rareté dans l'œuvre romanesque des représentations concrètes et matérielles de bibliothèques comme agencements de localisation des livres. Elles ne sont le plus souvent présentes que pour s'effacer au profit du seul livre ou pour laisser la place à d'autres modes de figuration spatiale: dans les Misérables, la bibliothèque de l'évêque n'est évoquée qu'à travers sa définition linguistique minimale de "grande armoire vitrée pleine de livres"49, insérée dans la description générale de la chambre; on peut l'opposer à la "table chargée" (…)"de gros volumes", au "gros livre ouvert sur les genoux", aux livres "empilés sur un tabouret",50; la bibliothèque du sénateur apparaît au détour d'une phrase: "j’ai dans ma bibliothèque tous mes philosophes dorés sur tranche" 51 dans laquelle la valeur ostentatoire des livres est seule notable, exploitée sur le mode ironique; les livres de Coufeyrac 52 composent "la bibliothèque voulue par les règlements". Quant à la bibliothèque du père Mabeuf, "armoire vitrée (...) le seul meuble qu'il eût conservé en dehors de l'indispensable" 53, elle est en quelque sorte "rattrapée" en tant qu'élément final d'une description inaugurée par un énoncé de sens contraire: "Il avait vendu ses derniers meubles", qui ouvre l'énumération de livres précieux qui apparaissent alors comme d'autant moins "localisés" que leur possession est toujours menacée par les contraintes économiques qui pèsent sur le personnage. Et c'est d'ailleurs, là encore, à propos d'un livre unique qui l'éclipse (le "Diogène Laërce") qu'elle entre en scène. Les romans de Mlle de Scudéry sont à peu près la seule lecture de Frédéric dans Han d'Islande; dans Quatrevingt-treize enfin, cette phrase, "Il y avait dans cette bibliothèque quelconques", a pour effet, dans le chapitre pourtant intitulé "La Bibliothèque" 54 de discréditer tout son contenu pour n'attirer l'attention que sur un seul livre exposé sur un pupitre.

En même temps qu'il s'inscrit comme référent prenant sa place parmi les éléments qui composent tel ou tel ensemble descriptif dans la fiction, le livre monumental s'impose au lecteur comme une balise, un hypersigne de littéralité. La référence au visuel, les effets de grossissement optique qui accompagnent sa mise en scène peuvent s'entendre comme s'appliquant au texte: le livre qui appelle le regard, demande à être vu n'est rien d'autre que le roman lui-même, qui invite le lecteur à dépasser l'illusion de réel, et désigne par une sorte de clin d'œil la matérialité de son écriture. L'ambivalence et l'ambiguïté de la monumentalité en font à la fois le déni de la textualité et la condition de son affirmation. à partir des indices relevant du paratexte (mention de titre, d'auteur, de lieu et d'année d'impression), analysés plus haut comme vecteurs de la monumentalité, s'opère un glissement de type métonymique par lequel le référent massif qu'est le livre-objet, inséré dans l'énoncé et placé sur le devant de la scène mimétique vaut comme image de l'énonciation et renvoie à la dimension littérale du texte. Les mécanismes de focalisation destinés à conférer une valeur qu'on pourrait dire " hypperréaliste" aux livres-monuments apparaissent alors comme de purs effets de langue (ainsi en est-il -pour ce qui concerne plusieurs exemples cités plus haut 55- de la. mise en majuscule des indications paratextuelles, monumentalisation expressive du signifiant qui peut alors être lue comme productive)56. Bien plus, les référents de la fiction avec lequel le livre-exposé-comme-objet entre en relation, subissent l'effet de ce déplacement du référentiel vers le littéral: l'univers romanesque, au lieu de composer un monde lisse et unifié obéissant aux principes de la mimésis et dans lequel le signe s'efface devant le référent qu'il est censé viser, peut être lu comme un ensemble hétérogène dans lequel les signes n'ont pas tous la même consistance, occupent entre les deux pôles de la littéralité et de la référentialité des positions variées, sont affectés en quelque sorte d'une "vitesse de sédimentation" référentielle plus ou moins grande selon le partage qui s'opère en eux entre fonction réflexive et fonction narrative, sans cesser cependant de se déterminer réciproquement. La conversion du référentiel au littéral est facilitée par la présence d'éléments qui relaient l'effet lié à l'insertion du livre-monument.

Ce mécanisme est parfaitement illustré par la manière dont, dans Notre-Dame de Paris fonctionne le bréviaire public, ou par le rôle dévolu dans les Misérables, au roman de Ducray-Diminil, mis en valeur dans la description du bouge Jondrette.

Le premier cas nous offre l'illustration d'une stratégie textuelle de surdétermination dans laquelle le livre-monument joue un rôle clé, et qui vise à construire comme lieu décisif de dénouement d'une partie de l'intrigue un élément de ce que, dans une optique référentielle, on appellerait le "décor" de la fiction: le bréviaire public est monumental d'être intégré à un ensemble architectural qui en fait la face visible, le dehors d'un lieu de réclusion dont un des murs porte l'inscription "Tu, Ora"(redoublement du bréviaire par l’énoncé de sa fonction, qui prend valeur d'injonction-mot d'ordre pour le passant, tout en constituant le programme auquel se soumet l'activité de l'occupant de la cellule), inscription aussitôt dédoublée en sa version "dégradée" par le jeu de mot populaire "Trou aux Rats"qui prétend designer adéquatement sur le plan métaphorique la réalité du lieu. Se constitue donc par connexion d'éléments contigus un agencement machinique qu'on pourrait figurer par la formule suivante: bréviaire-livre monumental / lucarne / cellule / inscription: "Tu, Ora" / passant / jeu de mots populaire: "Trou Aux Rats" / recluse. Les éléments constitutifs de cet agencement sont à la fois dans un rapport de redondance les uns par rapport aux autres (le dehors de la cellule répète le dedans) et dans une relation d'opposition (le dedans comme clôture et fermeture nie le dehors); ils se recouvrent mutuellement et en même temps chacun d'eux est orienté vers un protagoniste différent de l'action: ainsi l'intériorité de la cellule renvoie-t-elle à la Sachette, puis avec elle à Esmeralda dans l'épisode crucial de la filiation retrouvée, tandis que la contiguïté bréviaire/cellule rend possible par le truchement de la lucarne à barreaux la communication des orants extérieurs avec la recluse, le jeu de mots permettant d'articuler à l’ensemble le peuple comme actant. Cette "surcharge" qui affecte la topographie dans la fiction explique et permet le rendement élevé sur le plan diégétique de la cellule, mais en même temps l'"irréalise". Les éléments linguistiques incrustes dans le décor ou rapportés à lui (bréviaire/inscription/jeu de mots) -et auxquels commentaires mobilisant notamment la mathésis historique fournissent une épaisseur référentielle (insistance du narrateur, par exemple, sur la présence dans d'autres lieux de cellules du même type)- s'émancipent, de par leur multiplication, des contraintes auxquelles les soumet la représentation "réaliste" et font du "Trou aux Rats" un lieu textuel, condensation linguistique des signifiants qui s'inscrivent sur ses faces, élément pivotal de la grammaire du roman. La cellule accolée à un livre, devient, comme la cathédrale, livre à son tour, selon la logique de l'inversion programmée des pôles métaphoriques "livre" et "monument", au-delà, elle se définit comme agrégat de signifiants dont chacun trouve sa fonction dans les développements de l'intrigue. Ce dont le texte offre l'aveu, travesti sous l'allégation d'un savoir historique: "C’est qu’alors tout édifice était une pensée".57

L'insertion du roman de Ducray-Diminil dans le bouge Jondrette fonctionne de façon analogue: abstraction faite de sa valeur intratextuelle (transfert sur un personnage "négatif" des lectures utilïsées par le jeune Hugo comme matériau intertextuel pour l'écriture de Han d'Islande)58, elle est à lire en inversant l'emboîtement des représentations le livre de Ducray-Diminil dans le décor de la fiction, c'est le décor de la fiction désigné comme élément textuel sortant du répertoire littéraire mélodramatique-populiste à laquelle Hugo emprunte, et qu’il met en même temps à distance en le représentant sous la forme d’un objet-livre. *****Le texte réfléchit son intertexte en se réfléchissant lui même. Dans l'Homme qui Rit, un texte attribué à Conquest et utilise par ailleurs comme intertexte par le narrateur est, selon un procédé du même type, également représenté sous la forme d'un objet-livre appartenant à Ursus, converti par ce dernier en oreiller pour Déa, puis consulté pour expliquer le rire de Gwynplaine.59

Comme pour ce qui est du bréviaire monumental de Notre-Dame de Paris, le roman inséré comme objet dans le taudis des Thénardier est l'une des pièces d'un agencement machinique qui condense et résume à la fois l'être idéologique des personnages et leur existence: le bouge se trouve en effet totalement investi par des signes articulés les uns aux autres d'autant plus fortement que l'espace qui les comprend est restreint. Aux ustensiles de l'écriture liés à l'activité épistolaire de Thénardier quadrifrons 60 s'ajoutent les signes de l'épopée napoléonienne et de la geste héroïque de Thenardier sauvant Pontmercy à Waterloo, sous la forme d'une "gravure coloriée" et de l'enseigne-chassis de l'auberge de Montfermeil. Le retournement de celle-ci contre le mur prend valeur de symbole et figure l'envers caché et crapuleux de la légende du personnage. Là encore, la surdétermination du décor de la fiction et le montage optique qui préside à sa mise en scène (il se découvre a Marius à travers un trou de la cloison) amène à le percevoir comme construction textuelle promise à un rôle syntaxique majeur dans l'économie générale du récit. Le monument-livre qu'est la baraque d'Ursus du fait que s'y anticipe le dévoilement de l'identité aristocratique de Gwinplaine obéit à la même logique et apparaît comme la représentation condensée dans le texte d'un de ses éléments essentiels. Le livre entraîne donc dans son sillage l'ensemble du décor dans lequel il figure et en fait saisir la nature d'artefact textuel.

 

 

La monumentalité en question.

 

A la représentation de la monumentalité du livre vient se combiner et s'opposer la mise en scène de sa "consommation" inscrite dans le roman par trois modes de figuration essentiels:

-le livre peut l'aire l'objet d'une lecture.

-il peut entrer dans un circuit d'échanges.

-il peut enfin être détruit, démembré, dispersé.

Lecture, mise en circulation, destruction ne sont pas exclusives l'une de l'autre, elles entretiennent des rapports de présupposition réciproque et d'équivalence. Par leur intermédiaire, le livre est pris en compte en tant que texte et est pourvu d'un rôle dans la diégèse et la structure narrative du roman, c'est pourquoi les effets réflexifs qui leur sont liés concernent aussi bien l'énonciation que le code et/ou l’énoncé.

 

Mises en scène de la lecture

La fonction la plus immédiate de la lecture est son utilisation comme médiation dans l'accomplissement par un personnage d'un travail, d'une tâche, d'un objectif. Elle est alors utilisée comme moyen d’accès a des mathésis permettant la transformation de ce qui dans la diégèse se donne comme le "réel" du personnage: son expérience de la vie. C'est par la lecture que Claude Frollo dans Notre-Dame de Paris entend parvenir au secret de l'alchimie. L'acte de lire est même pour lui la figure de l'accomplissement a réaliser lorsqu'il avoue: "Je ne lis pas, j'épèle"61; de même la lecture est-elle pour Marius, dans les Misérables, l'instrument susceptible de lui faire retrouver la figure d'un père qu'il n' a pas connu et dont les lettres ne lui parviennent pas62. La fiction a donc recours à des situations-types qui mettent un personnage en situation d'avoir à consulter des livres: ainsi l’auteur naturalise-t-il l'insertion dans son texte de sa propre documentation, de ses propres lectures personnelles. C'est par les recherches livresques de Marius relatives à Waterloo et dont l'une des mises en scène montre un livre ouvert dans sa chambre, relatant un épisode de la bataille que le fond historique napoléonien des Misérables, développe essentiellement dans la longue digression du premier livre de la seconde partie devient actif dans le roman: dans cette lecture sont en jeu la filiation, la découverte d' une origine, et l'accomplissement d'une promesse. Cette exposition du livre ouvert sur un de ses passages condense par ailleurs l'ensemble des développements ultérieurs de la fiction: utilisé par Eponine pour montrer qu'elle sait lire, elle induit le dévoilement partiel de l'identité de celui que Marius recherche sous le nom de Thénardier, puis la rédaction du "mot pour voir" démontrant les capacités à écrire de la jeune fille et dont le texte: "Les cognes sont là", sera d'une importance capitale par la suite.63 Tout se passe donc comme si un pan entier du récit s'organisait à partir d'un acte de lecture, l'action du roman étant ramenée en quelque sorte a son point de départ textuel, à son origine textologique. S'opère alors par le truchement de ce type de scène la conversion du personnage en une figure auctoriale: Marius devenant le fils de son père par la lecture, c'est Hugo qui, à travers le travail qu'il accomplit sur le texte des autres, devient l'auteur de son roman.

 

Un autre type de représentations de l'acte de lecture l'oppose à l'ensemble de l'"agir fictionnel": c'est ce qui advient lorsque le personnage-lecteur apparaît comme absorbé par son livre, placé dans une attitude de désinvestissement par rapport a tout autre événement. La représentation de ce retrait dédouble la fiction, y introduit l'hétérogénéité, et commande un jeu a partir duquel sont redistribuées les oppositions entre vrai et faux, possible et impossible, vraisemblable et invraisemblable, réel et irréel. Ainsi dans les Misérables, la puissance de l'acte de lecture évoqué en ces termes,

 

"Il lisait les bulletins de la grande armée, ces strophes héroïques écrites sur le champ de bataille; il y voyait par intervalles le nom de son père, (...) tout le grand empire lui apparaissait, Il sentait comme une marée qui se gonflait en lui et qui montait; il lui semblait par moments que son père passait près de lui comme un souffle (…), il croyait entendre les tambours, le canon, les trompettes (…); tout à coup, sans savoir lui-même ce qui était en lui et à quoi il obéissait, il se dressa, étendit ses deux bras hors de la fenêtre, regarda fixement l'ombre, le silence, l'infini ténébreux, l'immensité éternelle, et cria: "Vive l'Empereur".64

 

amène le contenu du livre lu, à prendre corps et réalité pour Marius, qui, d'abord en proie à une sorte d'hallucination, accomplit un passage à l'acte, signal de la transformation de l’imaginaire en réel: la sortie du texte hors de lui-même pour se faire réalité s'accompagne symptomatiquement de l'inscription du corps du lecteur en dehors du cadre de la fenêtre et commande la profération d'un cri tandis que le narrateur au contraire, par le biais d'une une métaphore qui assimile le référent de la scène narrée dans le livre à "des strophes héroïques écrites sur le champ de bataille", ramène cette incarnation de la lecture à sa matérialité textuelle, tout en substituant à la textualité du livre la représentation d'une textualité de l'univers. Le roman expose, expérimente et déconstruit en quelque sorte ainsi la production de ses propres effets de réel.

 

Un exemple encore plus remarquable mobilisant des mécanismes voisins est fourni par l'anecdote relative aux lectures de la mère Plutarque, à nouveau dans les Misérables65: à l’intérieur du roman est mis en scène un acte de lecture à haute voix, qui donne lieu, par l’intermédiaire d'un jeu de mots que la fiction met sur le compte d’un malentendu, à une fausse interprétation de la part de l'auditeur involontaire de la lecture. Ce double décrochage aboutit en fait à connecter les uns aux autres des imaginaires relevant de genres littéraires hétérogènes: une phrase constituée comme extrait d'un roman populaire, "…La belle bouda, et le dragon...", et que l'attention flottante prêtée au père Mabeuf réécrit sous la forme "Bouddha et le dragon", en vient à fonctionner comme énoncé emprunté à une légende orientale. Le récit donne à voir de manière emblématique une pratique de la lecture qui programme a partir d’un signifiant la dérive d'un livre a un autre et pourrait -pourquoi pas- être appliquée au texte même de Hugo; mais surtout, il figure le roman comme espace incorporant des matériaux que les traditions littéraires séparaient. Ce faisant, il signale le travail de transformation auquel est soumise la hiérarchisation des codes, des formes, des registres.

 

A la représentation de la lecture est également connectée selon des modalités diverses, qui vont de la simple relation de co-présence dans le discours à l'articulation métaphorique, la "thématique" du jardinage, du travail de la terre (ou de la mer). La caractérisation de Spiagudry, dans Han d'Islande 66 d'Ursus dans l'Homme qui Rit 67 exploite cette association, de même que celle de Jean Valjean dans les Misérables: la mention du goût qu'a ce dernier pour la lecture y est immédiatement suivie d'un développement sur sa pratique des plantes et du travail de la terre.68 En outre, les notations relatives au père Mabeuf, auteur dans les Misérables d'une "Flore des environs de Cauteretz":

 

"Il ne comprenait pas que les hommes s’occupassent à se haïr à propos de billevesées comme la charte, la démocratie, la légitimité, la monarchie, la république, etc., lorsqu'il y avait toutes sortes de mousses, d'herbes et d’arbustes qu'ils pouvaient regarder, et des tas d’in-folio et même d'in-trente-deux qu'ils pouvaient feuilleter. Il se gardait fort d'être inutile; avoir des livres ne l’empêchait pas de lire, être botaniste ne l'empêchait pas d’être jardinier". 69

 

constituent la répétition-variation d'un commentaire du narrateur se rapportant à l'évêque:

 

"Tantôt il bêchait dans son jardin, tantôt il lisait et il et écrivait. Il n'avait qu’un mot pour ces deux sortes de travail; il appelait cela jardiner. "L’esprit est un jardin", disait-il." 70

 

auquel fait écho dans les Travailleurs de la Mer cet énoncé a propos de Lethierry:

 

"Toute sa vie et partout, il avait gardé ses mœurs de pêcheur normand.

Cela ne l’empêchait point d’ouvrir un bouquin dans l'occasion, de se plaire à un livre." 71

 

Si la fiction "naturalise" la lecture et semble limiter sa portée réflexive en l'intégrant, comme un élément parmi d'autres, à des représentations productrices d'un effet de réel (ainsi en est-il du travail de la terre"), elle autorise en même temps une réversibilité des relations sémantiques qu'elle construit: la syllepse qui permet à l'auteur, dans l'extrait des Misérables consacré à Mabeuf, d'enchaîner selon une continuité sans heurt les feuilles des plantes aux feuilles du texte imprimé et de dire le monde en disant le livre, fait tout aussi bien basculer le jardinage du côté de la textualité. Si jardiner est une métaphore pour lire, lire est l'autre façon d'entendre "jardiner" et il faut prendre à la lettre le déficit verbal de l'évêque qui n’a qu'un mot dans sa langue pour dire ces deux choses-là. On voit ici comment à la figuration directe du texte appelée par la lecture se connecte une figuration indirecte qui la complète, l’enrichit et la spécifie: l'image du jardinage comme lecture ou de la lecture comme jardinage introduit avec l'idée du travail celle de la trace, de la dispersion, de l’ensemencement.

Mais c'est aussi la monumentalité qui se trouve défaite par le couplage de ces représentations: à travers la figure du père Mabeuf sont conciliées en effet différentes modalités d'existence du livre que le texte distingue cependant en soulignant leur nature tendanciellement contradictoire. "Avoir des livres" s'oppose à "lire des livres" comme "être botaniste" à "être jardinier". une représentation qui procède par empilement (d’objets possédés, de connaissances acquises), qui suppose le classement, et se signale par sa compacité statique est substitué le dynamisme d'une activité qui fait naître la plante comme ce qui dépasse et subvertit les classifications du botaniste, ou qui ouvre le livre à autre chose qu'à sa réalité d'objet: à son devenir de texte, et au devenir, à travers le texte, du sujet lecteur.

 

L’acte de lecture entre dans d'autres types de jeux: ainsi, le roman vise-t-il parfois par une sorte de coup de force sémiotique, à faire revenir le "réel" que le personnage met à distance en se réfugiant dans la lecture, comme référent, voire comme "texte" du livre lu. Un exemple simple est fourni par les lectures faites par Cosette à Jean Valjean: non seulement les récits de voyages fonctionnent comme transposition textuelle et redoublement du vagabondage caractérisant l'ancien forçat, mais encore, "le réel" que ces lectures sont par ailleurs censées ponctuellement faire oublier est transmuté ici en un imaginaire de type livresque:

 

"Cosette (…) passait presque toutes les journées près de Jean Valjean, et lui lisait les livres qu'il voulait. En général, des livres de voyage. Jean Valjean renaissait; son bonheur revivait avec des rayons ineffables; le Luxembourg, le jeune rôdeur inconnu, le refroidissement de Cosette, toutes ces nuées de son âmes s'effaçaient. Il en venait à se dire: J'ai imaginé tout cela. Je suis un vieux fou" 72

 

Le texte offre plusieurs variantes de cette situation-type. Les plus remarquables consistent dans l'élision de l'acte de lecture dans des représentations qui en figurent le dispositif: le personnage, préoccupé, ne peut concentrer son attention sur une lecture faite à voix haute et dont il est le destinataire; il a un livre mais est dans l'impossibilité de le lire, ou bien encore il feint de lire pour donner le change à son entourage et paraître indifférent à une scène qui mobilise en réalité toute son attention et qu'il s'agit de capter sans se faire remarquer. Dans Han d'Islande, Schumacker est placé dans un de ces rapports de présence-absence à la lecture:

 

"Eh bien! lisez ma fille, dit Schumacker; et il retomba dans sa rêverie.

Alors le sombre captif (...) écouta la douce voix de sa fille sans entendre sa lecture (…) Ethel lui lut l'histoire de la bergère (...)" 73

 

De même Gillenormand dans les Misérables:

 

"Il était seul dans sa chambre (…) un livre à la main mais ne lisant pas."74,

 

ainsi que Marius:

 

"Un des derniers jours de la seconde semaine, Marius était comme à son ordinaire assis sur son banc, tenant à la main un livre ouvert dont depuis deux heures il n'avait pas tourné une page."75,

 

qui, dans le chapitre suivant, met cette même attitude au service d'une stratégie dans laquelle le livre est utilisé comme écran pour observer Cosette:

 

"Quelquefois, pendant des demi-heures entières, il se tenait immobile à l’ombre d'un Léonidas ou d'un Spartacus quelconque tenant à la main un livre au-dessus duquel ses yeux, doucement levés, allaient chercher la belle fille, (...)" 76

 

On retrouve dans le même type de situation le père Mabeuf:

 

"Tout en lisant, et par dessus le livre qu'il tenait à la main, le père Mabeuf considérait ses plantes" 77

 

Le point commun à toutes les scènes dans lesquelles la lecture est plus ou moins mise en défaut réside dans l'inscription d'un évènement (dans l'épisode de Han d'Islande, arrivée de Frédéric; dans les Misérables apparition de Marius chez son grand-père et de Cosette dans le parc, surgissement d'Eponine dans le jardin de Mabeuf) dont la manifestation abrupte commande le déclenchement d'une sorte de saut optique par lequel s'opère la connexion entre la surface du livre et la situation qui s'impose avec la force du "réel".

C'est à partir de l'espace du livre fonctionnant comme fond, bordure, cadre qu'est appréhendée et découpée la scène, ce qu'indiquent assez par exemple les précisions mentionnées dans la description du jeu de Marius: aller "chercher la belle fille (…) au dessus du livre". Manière subtile de ramener à la littérarité la production des effets de réel, ce qui est fait de manière explicite dans le cas du père Mabeuf, puisque est soulignée la relation entre titre et contenu du livre d'une part ("Sur les diables de Vauvert et les gobelins de la Bièvre"), et lieu ou il est "lu " d'autre part ("son jardin a avait été un des terrains anciennement hanté par les gobelins") avant qu'Eponine ne soit assimilée à son tour aux personnages du livre: "Serait-ce un gobelin?" se demande le père Mabeuf.78 Dans le Dernier Jour d'un Condamné, un procédé à peu près analogue permet au narrateur d'opposer l'aumônier de la prison, fonctionnaire pour qui les prisonniers sont un "lieu commun" venant s'inscrire sur un cahier de visites, à un personnage de "vieux curé", pris "au hasard dans la première paroisse venue; lisant son livre et ne s'attendant à rien"79. C'est bien là entre deux modes d'articulation d'un texte à un évènement que joue l'opposition: la soudaineté de l'arrachement au bréviaire, loin d'impliquer la négation de celui-ci, ne commande au contraire la bienveillance du prêtre pour les condamnés qu'en les constituant comme signifiants pour le livre, remplissant les vides de la lecture et l'attente du rien. La fin du passage le confirme, qui évoque la possibilité d'un échange pacifié s'inscrivant dans la logique textuelle du livre représenté: "il prendra mon âme et je prendrai son Dieu".

 

La systématisation des procédés analysés plus haut réside dans le transfert au contenu des livres mis en scène des éléments essentiels de la construction romanesque: le livre lu devient le programme que le roman se donne, soit pour le reproduire, soit pour le contester et l'inverser. Dans ces deux cas est exhibé le caractère livresque des modes de composition et rendu explicite leurs soubassements intertextuels. Dans l'Homme qui Rit par exemple, le livre lu par l'un des lords durant la séance de la chambre et pourvu du titre suivant:

"Pratique curieuse des oracles des sibylles" 80

constitue la désignation métaphorique adaptée, et ce faisant, l'annonce de l'intervention de Gwinplaine qui va suivre. Dans Han d'Islande, la mobilisation des écrits de Mlle de Scudéry, dont l'écriture est à peu près contemporaine de l'époque à laquelle Hugo situe l'action de son roman, n'est pas un simple ingrédient dans le rendu d'une "couleur locale" chère aux émules de Walter Scott. Elle entre, de manière ludique d'ailleurs, dans cette perspective, mais est exploitée dans un autre sens. La lecture de cette littérature précieuse, opérée à plusieurs reprises par Frédéric d'Ahlefeld -que son portrait contribue à constituer en personnage des livres qu'il lit- sert de motif contrapuntique à l'écriture hugolienne. Dans un roman barbare et "frénétique" est enchassée la lecture d'un roman qui en est, en un sens, l'exact contre-pied. La représentation des œuvres de Mlle de Scudéry donne l'occasion de porter à ses limites le travail d'intertextualisation lorsque Frédéric se propose de réécrire dans la forme d'un roman parodiant le style du livre qu'il lit, -ce dernier devenant alors un programme possible pour le texte qui le contient- ce que lui et les autres personnages "vivent", et notamment ce qui constitue l'élément le plus dramatique dans la chaîne des évènements jusque là survenus: les crimes de Han. Le texte offre alors l'image inversée des rapports entre texte et intertexte: à l'intérieur de Han d'Islande comme réécriture ponctuelle de Mlle de Scudéry s'opère la réécriture par Mlle de Scudéry du roman Han d'Islande:

 

"Il me semble (…) que les aventures de Han pourraient fournir un roman délicieux, dans le genre des sublimes écrits de la demoiselle Scudéry, l’Artamène ou la Clélie, dont je n'ai encore lu que six volumes, mais qui n'en est pas moins un chef-d’œuvre à mes yeux. Il faudrait par exemple, adoucir notre climat, orner nos traditions, modifier nos noms barbares (…). Ce ne serait pas une chose aisée que de faire une peinture agréable des brigandages de Han. On pourrait en adoucir l'horreur par quelque amour ingénieusement imaginé." 81

 

On saisit là l'ambivalence de la mise en scène de la lecture: en produisant elle-même l'aveu du décalage résultant de la réécriture à laquelle elle entend soumettre les évènements, elle confère par contraste à ceux-ci une charge réaliste. Mais en même temps elle fait de Han d'Islande le démarquage textuel du roman précieux et le produit de l'inversion systématique d'un texte déjà constitué, ce que vient confirmer plus loin la mise à mort de Frédéric par Han 82 qui souligne la distance du livre à son prétendu modèle. Participe de la même logique le procédé réitératif qui consiste à faire converger toutes les lignes de l'intrigue par le moyen de leur réflexion dans diverses formes écrites83 (requêtes, suppliques émanant des différents personnages). Celles-ci viennent s'assembler sous les yeux du gouverneur, qui occupe ainsi dans l'économie textuelle la fonction d'un archi-lecteur. La lecture du roman à l'intérieur de lui-même qui découle de cet artifice est surdéterminée cette fois-ci par la mention d'un nommé Foxtipp, bibliothécaire de son état, personnage qui, à la différence de tous les autres, n'a pas d'autre forme d'existence dans l'intrigue que celle qui est liée à la lecture de son nom sur les papiers centralisés chez le gouverneur.

 

La lecture se manifeste aussi comme programme à travers le prélèvement opéré par un personnage, d'un passage pris dans un livre, qui fournit la clé des situations développées ensuite. Le hasard, invoqué comme seul principe à l'œuvre dans la consultation du livre est le nom que prend dans la diégèse le choix, effectué en fait par l'auteur, d'un intertexte qui prêtre à la fiction ses arguments. Ainsi, dans le Dernier Jour d'un Condamné,:

 

"J'avais sur moi le tome second des Voyages de Spallanzani. J'ouvris au hasard, je me rapprochai d’elle, elle appuya son épaule à mon épaule, et nous nous mimes à lire chacun de notre côté, tout bas, la même page. (...)

Cependant nos têtes se touchaient, nos cheveux se mêlaient, nos haleines peu à peu se rapprochèrent, et nos bouches tout à coup." 84

 

dans Notre-Dame de Paris

 

"il se jeta avidement sur le sait Iivre, dans l'espoir d'y trouver quelque consolation ou quelque encouragement. le livre était ouvert à ce passage de Job, sur lequel son œil fixe se promena. -"Et un esprit passa devant ma face, et j'entendis un petit souffle, et le poil de ma chair se hérissa." 85

 

et dans les Travailleurs de la Mer où ce mode de lecture est théorisé, justifié "idéologiquement" par celui qui en fait usage:

 

"Mess Lethierry, ne nous séparons pas sans lire une page du saint livre. Les situations de la, vie sont éclairées par les livres; - les profanes ont les sorts virgiliens, -les croyants ont les avertissements bibliques Le premier livre venu, ouvert au hasard fait une révélation. (...) En présence des affligés, il faut consulter le saint livre sans choisir l'endroit, et lire avec candeur le passage sur lequel on tombe. Ce que l'homme ne choisit pas, Dieu le choisit. (…) Notre destinée nous est dite mystérieusement dans le texte évoqué avec confiance et respect. Ecoutons et obéissons. (...)

Le révérend Jaquemin Hérode fit jouer le ressort du fermoir, glissa son ongle à l'aventure entre deux pages, posa sa main un instant sur le livre ouvert, et se recueillit, puis, abaissant les yeux avec autorité, il se mit à lire à lire à haute voix.

Ce qu'il lut, le voici:

"Isaac se promenait dans le chemin qui mène au puits appelé le Puits de celui qui vit et qui voit.

"Rebecca ayant aperçu Isaac, dit: Qui est cet homme qui vient au devant de moi?

"Alors Isaac la fit entrer dans sa tente, et la prit pour femme, et l'amour qu'il eut pour elle fut grand. "

Ebenezer et Déruchette se regardèrent."

Un passage des Misérables, fait fonctionner ce mécanisme en boucle, et le retourne ainsi de manière ludique et ironique.

"Alix: Elle m'a dit d'ouvrir le livre au hasard et de lui faire une question qu'il y a dans le livre, et qu'elle répondrait. (...)

J'ai ouvert le livre au hasard comme elle disait, et je lui ai demandé la première demande que j'ai trouvée.

-Et qu'est-ce que c'était que cette demande?

-C’était: Qu’arriva-t-il ensuite?" 87

 

Un exemple: le fonctionnement textuel du livre dans les Travailleurs de la Mer

Le fait que les représentations du livre et de la lecture déterminent largement le fonctionnement textuel des Travailleurs de la Mer justifie leur analyse approfondie. On peut en effet concevoir à première vue ce roman comme la connexion de deux plans: celui du Livre et celui de l'inscription. Le Livre, -il s'agit de la Bible- est mis en scène à quatre reprises:

-il est l'objet d'un don qu'Ebenezer fait à Gilliatt au moment où celui-ci lui sauve la vie au rocher-chaise Gild-Holm-'Ur.88

-il donne lieu chez Lethierry à la séance de lecture "divinatoire" effectuée par le révérend Hérode 89 d'où procède le lien amoureux entre Ebenezer et de Deruchette.

-il est présent comme livre monumental sur la table de l'église où est célébré leur mariage.90

-il est enfin encadré avec d'autres objets, dans l'espace de la fenêtre depuis l'extérieur de la maison de Gilliatt, au moment où celui-ci se rend à la Chaise Gild-Holm-'Ur pour se laisser engloutir par la mer 91

Aux hommes du Livre que sont ses ministres et interprètes Hérode et Ebenezer, peuvent être opposés:

-d'une part, Lethierry que sa caractérisation comme voltairien, sa haine des prêtres et son progressisme font le représentant d'un autre livre: le registre "Doit et Avoir", emblème de la probité sociale du personnage, symptomatiquement substitué à la Bible sur le pupitre de la chaire huguenote récupérée et détournée de sa fonction.92

-d'autre part, Gilliatt, qui, questionné par Ebenezer sur son appartenance à une paroisse, 93met en évidence pour la subvertir la logique du Livre: le geste de désignation du ciel qui provoque en retour le don de la Bible en révèle aussitôt la fonction idéologique: lire dans le livre c'est bien accepter une forme de territorialisation sociale par inscription dans une communauté, et l'assignation à un ordre, à un code. C'est ce à quoi Gilliatt est précisément étranger comme le montrent les premiers chapitres du roman94. La main levée constitue le ciel comme livre de l'Univers et dénonce le rétrécissement, la mutilation, l'enfermement qu'impose à ce livre sa transposition, sa réticulation dans le livre religieux qu'est la bible.

A travers le langage romanesque est donc ici figuré l'enchevêtrement de deux régimes hétérogènes de signes:

-un système hiérarchise qui a ses prêtres, ses interprètes et ses hommes de loi. Illustré par les représentations de la Bible, il est garant de l'identité des personnages en tant que celle-ci est constituée à travers des traits qui fonctionnent comme limites et opérateurs de différenciation: "La conscience la voici" dit Hérode en montrant la Bible.95 Il régit les filiations, les appartenances, les possessions, les territorialisations: -à ce niveau, la correspondance établie entre le couple du roman Ebenezer-Déruchette et le couple du livre Isaac-Rebecca fonctionne comme inscription du vivre des personnages dans le code et les modèles du livre religieux.

-un mode de signifiance, -assigné nécessairement a l'ordre symbolique et à la coupure entre les mots et les choses qu'il dénonce comme leurre- et qui renvoie à la trace; fait revenir le langage a un en-deçà de son origine, réfute l'organisation, l'articulation: il commande une adhérence et une adhésion à l'univers, et tend à produire des lignes de déterritorialisation multiples par lesquelles les caractérisations, les déterminations, les définitions, les actions débordent les limites qui leur sont fixées. Il est représenté par l'inscription dont la signification excède le geste qui l'a tracée au début du roman et dont la composante linguistique (le nom de Gilliatt) reste absolument indissociable de la matière et du support qu'elle utilise (la neige, le chemin).

Déruchette intervient dans ces deux "sémiotiques": c'est elle qui écrit en effet dans la neige et c'est bien autour de sa possession par l'un ou l'autre des personnages (Ebenezer ou Gilliatt) que s'organise l'intrigue. La promesse faîte d'épouser celui qui sauvera la Durande opère cependant la réduction du traçage du nom à son seul effet d'inscription sociale et obéit sinon au programme biblique, du moins à celui du père adoptif Lethierry et de son livre "Doit et Avoir" en voulant faire entrer Gilliatt dans la famille à la fois comme associé et comme gendre. Sa réalisation aboutirait à l'aggravation de l'esclavage "dans le devoir"96, en redoublant la dépendance symbolique de la jeune fille au bateau-Durande dont elle porte le nom, dont elle est pour ainsi dire la sœur , et à qui elle lierait son sort dans une union à connotation incestueuse (sens de la protestation "Pour, une machine!").97 L'absence de mémoire attribuée à Déruchette vient donc redoubler la fragilité de l'inscription: la neige joue contre l'engagement représenté par la promesse. Mais si Gilliatt entre dans la logique de celle-ci, c'est à contresens: l'arrachement de la Durande aux forces de l'univers signifie surtout l'impossibilité pour lui de s'inscrire dans le système social de circulation des signes, des biens et des richesses où il réintroduit le bateau. On lit là l'effet de la non-différenciation fondamentale qui le constitue non comme sujet social, soumis à la loi du livre religieux ou comptable, mais comme ensemble de traits qui pour être subsumés sous un nom propre n'en restent pas moins liés, par une sorte de syncrétisme, à l'univers: toujours l'en-deçà et l'au-delà d'un moi, le nom qui s'efface avec la neige, qui n'est rien d'autre que cette neige. Ce que dit aussi la boutade en forme de proverbe,

 

"Je prendrai femme quand la Roque qui Chante prendra Homme"98,

 

qui, d'articuler la question du mariage à un élément extérieur, comme c'est le cas pour Déruchette et Ebenezer avec le Livre, le fait dans un tout autre sens.

Cette constante du personnage commande sa résorption finale sur le même mode que celle de l'inscription, une fois qu'est rempli son rôle de témoin, de substitut et d'usurpateur de la figure du père, permettant à Ebenezer d'écrire son nom dans le livre des mariages et d'en remplir les blancs. Ainsi s'accomplit le passage de la parole donnée sous forme de promesse, à l’Ecriture comme parole de Dieu, au moment où le révérend Hérode pointe son doigt sur le Livre, dans un geste à la fois équivalent et contraire à celui par lequel Gilliatt montrait le ciel.99

 

Mais l'hypothèse d'une confrontation entre une dialectique du Livre et une dialectique de l'inscription reste simplificatrice: les chaînes de l’intrigue, (Déruchette-inscription-Durande-Gilliatt d'une part, et Déruchette-Bible-Ebenezer- d'autre part) ne sont liées qu'en surface par un rapport de causalité qui permettrait leur mise en opposition. La liaison qui s'établit entre Gilliatt et Déruchette essentiellement par échange de signes (air de cornemuse etc...) vaut davantage comme limitation de la portée de l'inscription initiale que comme image contraire, rivale, de l'union Déruchette/Ebenezer. Celle ci, de son côté déborde et transgresse la conception théologique du livre: l'amour emprunte le langage de la religion contre la religion; tout le contenu de la Bible, et avec lui les raisons de l'assiduité de Déruchette à l'église sont ramenées à Ebenezer: "Vous parliez des archanges, c'était vous l’archange". Une phrase de Déruchette dans la même page: "Quand vous preniez le livre c'était de la lumière, quand les autres le prenaient ce n'était qu'un livre"100, mobilise la même image qu'une sentence du révérend Hérode 101 mais en est la version sacrilège; la correspondance établie entre le couple du roman et le couple du Livre, "archétype du déclenchement amoureux" devenant "ce qui intègre le livre au vivre"102.

Le terme d'"immanence", prodigué par Hugo dans ce roman, 103dit en fait la vérité de son fonctionnement: celui-ci s'entendra, comme l'intégration dans un plan continu de tous les éléments du récit, grâce au jeu des différents régimes de figurations du livre et de la textualité qu'ils supportent. Le plus puissant d'entre eux fait coïncider le long de la même ligne de fuite l'espace fictionnel et l'univers. Il s' agit là d'un principe poétique, anti-psychologique, général, à fonctionnement productif (l'univers comme texte) ou expressif (le texte comme univers). Les autres modes de figurations ne sont que les stases d'intensité variable qui résultent d'une reterritorialisation partielle de ce premier mode: connexions du roman avec les livres ou formes de textualité qu'il met en scène, mais aussi rétraction des relations entre leurs contenus respectifs, leurs référents et l'univers. La combinaison de ces figurations qui se prolongent les unes les autres détermine une multitude d'articulations transversales: c'est la raison pour laquelle sont condensées sous les mêmes représentations des fonctionnements divers, et qui paraissent contradictoires, du livre et de l'écriture (monumentalité et déconstruction de la monumentalité, conception théologique du livre et subversion de cette conception dans l'effusion amoureuse qu'elle programme). C'est pourquoi également, s'établit par exemple une relation symbolique entre ce qui dans le texte appartient au Livre et ce qui relève de l'espace de l'inscription: l'indication chronologique qui fait naître littéralement le nom de Gilliatt dans la neige le jour de la Christmas superpose au héros hugolien la figure biblique du Christ. Mais c'est ici le personnage de Gilliatt qui commande la redistribution, à l'intérieur du roman, du livre mis en scène: au Christ biblique crucifié au Golgotha se substitue la figure laïque du fils d'une mère obscure et d'un père inconnu, sauvant les autres et se sacrifiant pour eux à la chaise Gild-Holm-'Ur, et dont seul le roman qui s'écrit trace l'histoire contre les livres institués.

Le motif de la disparition et de l'effacement (présent dans les Misérables, les Travailleurs de la Mer, l'Homme qui Rit et Quatrevingt-treize) 104est l'aboutissement du principe poétique évoqué plus haut. La dispersion de l'identité est à la fois partie intégrante du développement fictionnel. (elle appartient de plein droit à l'intrigue) et complètement étrangère à ses péripéties puisque le point d'issue du roman est en quelque sorte antérieur à son point de départ, le texte ayant la forme d'une boucle. C'est ce que suggèrent les jeux figuratifs qui font coïncider la production du roman avec l'apparition-disparition de Gilliatt, même s'ils réinscrivent la circularité poétique ainsi signifiée dans les bornes nécessairement linéaires qu'impose le genre romanesque: celles d'un début (première page/traçage de l'inscription) et d'une fin (dernière page/enfoncement de Gilliatt dans la mer).105

 

Lecture, construction romanesque, anankè. les limites et leur transgression.

L'intégration dans le roman de représentations de livres et de scènes de lecture qui lui fournissent une partie de ses matériaux programmatiques doit être ressaisie pour finir dans une perspective interrogeant le rapport entre composition de la fiction et fonction référentielle. La capacité de l'œuvre à refléter les forces en action dans la réalité sociale, politique, historique que la préface des Travailleurs de la Mer désigne, sous le nom d'anankè, comme objet explicite d'investigation 106 tend en effet à être résorbée dans l'exigence d'une construction ne laissant rien au hasard, faisant du roman un ensemble organique -ce qui se manifeste entre autres, nous l'avons vu, par la mise en scène d'un "hasard" qui donnerait sens à la lecture-. Les formes d'anankè les plus directement liées à l'univers du livre et de la lecture (anankè des dogmes et anankè des lois) nous renvoient à la transcendance de l'auteur disposant comme il le veut de ses créatures, libéré de la contrainte dont il prétend illustrer l'universalité et à la maîtrise et au contrôle qu'il exerce sur son texte. L'unité postulée autour de cette notion d'anankè entre Notre-Dame de Paris, les Misérables et les Travailleurs de la Mer, apparaît de la même façon comme la résultante d'une cohésion architecturale interne relevant d'une causalité textuelle.

Le dépassement de la contradiction entre l'anankè conçue comme pur effet compositionnel et l'anankè du "réel" est opéré par le principe poétique mis en évidence plus haut. Hugo inclut dans la construction du roman ce qui entend en exhiber les limites, pour les déborder: si les effets métatextuels de contrôle de la fiction liés à la mise en scène du livre ne sont que les formes transitoires et réifiées d'une figuration indirecte diffuse qui dissout le livre dans l'univers, le texte n'est rien d'autre alors qu' une Anankè qui s' énonce elle-même,

 

C'est aussi la lecture et pas seulement l'inscription qui peut d'ailleurs, dans le texte hugolien, servir de vecteur à cette opération de traversée des signes qui prélude à la figuration de la destruction, de la dissolution du livre. Déjà repérable dans les exemples analysés précédemment 107 elle devient complètement explicite quand le roman établît une relation entre livre et infini.

La pratique de la lecture attribuée, dans les Misérables, à la sœur Simplice met ainsi l’être du livre en dehors de tout ce qui le compose. Les spécifications matérielles du volume (que Hugo multipliait à propos du livre monumental) ne sont ici convoquées que pour être traversées par une ligne de fuite, un trou. Le sens du texte est pour les simples -et par extension, pour ce qui ne sauraient pas lire-, au-delà de sa matérialité:

 

"Elle ne lisait jamais qu'un livre de prières en gros caractères et en latin. Elle ne comprenait pas le latin, mais elle comprenait le livre"108

 

Ce à quoi fait écho l'injonction de Hugo à ses lecteurs à propos de la prière:

 

"Tournez votre livre à l'envers et soyez dans l'infini"109,

 

et la définition qu'il propose lui même des Misérables:

 

"Ce livre est un drame dont le premier personnage est l'infini."110

 

La monumentalité est ici totalement défaite dans un geste qui n'a pas cessé de restituer par une multitude de moyens à l'univers fictionnel la réalité de sa substance textuelle, mais qui fait en même temps de celle-ci un simple élément dans une textualité généralisée dans laquelle le roman donne l'image de son immersion ce qui paradoxalement le constitue comme roman réaliste, c'est à dire comme texte conscient de l'impossibilité qu'il y a à enfermer le réel, dans le discours.

 

La circulation du livre:

C'est essentiellement dans Les Misérables, et à propos du personnage du père Mabeuf que sont mis en scène et opposés deux modes de circulation du livre: le premier régit l'échange du livre contre le livre ou l'achat du livre avec de l'argent, celui-ci ne jouant qu'un rôle de médiation. La thésaurisation de livres est alors présentée comme une victoire sur la pauvreté:

 

"Quoique pauvre , il avait eu le talent de se faire à force de patience, de privations et de temps, une collection précieuse d'exemplaires rares en tout genre." 111

 

Le second au contraire fonctionne comme une contrainte imposée au personnage, liée à son appauvrissement, il aboutit à la consomption des livres, qui servent à obtenir de l'argent pour vivre. Le rapport d'opposition entre ces deux circuits est renforcé par les parallélismes formels entre les énoncés:

 

"il ne sortait jamais qu’avec un livre sous le bras et il revenait souvent avec deux."112

"M. Mabeuf sortait avec un livre et rentrait avec une pièce d'argent."113

 

Ces mécanismes économiques sont reflétés de manière singulière à l'autre extrémité du roman dans l'évocation de la richesse de Jean Valjean apportant la dot de Cosette, qui apparaît elle-même sous les dehors d'un livre:

 

"Il avait sous le bras un paquet assez semblable à un volume in-octavo, enveloppé dans du, papier." 114

 

Le système de circulation, livre/argent -qui transpose vraisemblablement- comme le circuit livre/argent/livre-quelque chose des représentations imaginaires qu'a l'auteur de l'aspect financier de son activité d'écrivain, et exhibe en même temps la nature romanesque et fabuleuse de la fortune amassée par Jean Valjean, est le moteur de la transformation par laquelle Mabeuf, personnage marginal, intervient dans l'historique et le politique qui dominent dans cette partie du texte, et rejoint la barricade. La relation initiale d'exclusion entre l'activité de bouquiniste du personnage et la politique, établie d'ailleurs à partir de leur équivalence métaphorique:

 

"M. Mabeuf avait pour opinion politique d'aimer passionnément les plantes, et surtout les livres. Il possédait comme tout le monde sa terminaison en -iste. (…), mais il n' était ni royaliste, ni bonapartiste, ni chartiste, ni orléaniste, ni anarchiste; il était bouquiniste.",115

 

est donc mise en cause, ceci à partir d'un premier énoncé emblématique qui évoque le déménagement vers le quartier "d’Austerlitz, nom tapageur qui lui était, pour tout dire, assez désagréable".116

Cependant, dans l'inscription de l'ancien collectionneur de bouquins en ce point focal du texte qu'est la barricade, est reconduit et répété son rapport au livre: c'est en effet après avoir cherché "machinalement un livre pour le mettre sous son bras"117 que Mabeuf va se retrouver parmi les insurgés. Et surtout, l'attitude d'"égarement", l'aspect "hagard" 118 qui lui sont attribués par le narrateur ne sont que l'exacerbation des affects qui accompagnaient ses lectures. Le passage à l'acte qui le transforme en héros involontaire, traduit donc sa capacité à prolonger les effets des lectures dont il est maintenant privé. L'apparition de sa silhouette sur le seuil, comme réponse à la question: "Personne ne se présente?"119, prend une valeur réflexive, qui éclaire certains procédés compositionnels: transfuge des livres dont on l'a privé, il vient occuper dans le roman une place vacante, s'enchâsser comme signe dans un trou ménagé par la fiction, tout en continuant à y fonctionner comme lecteur rêveur, distrait. La mise en scène de la circulation des livres à travers les représentations du père Mabeuf peut être ressaisie selon deux perspectives opposées mais qui se superposent et s'impliquent l' une l' autre:

-l'univers livresque est intégré à la mimésis référentielle à partir du moment ou un personnage qui appréhende tout évènement comme sorti-d'un-livre, est inséré dans un passage où dominent les effets de réel et où la fiction est fortement articulée à l’historique. Le franchissement du seuil, par lequel Mabeuf pénètre au cœur du roman, sans impliquer la réduction de l'écart entre le personnage et ce qui l'environne, permet la distribution de cet écart à l'intérieur de l'espace désormais homogène déterminé par la dimension référentielle de la fiction. Il s'ensuit que les caractérisations épiques introduites par le narrateur et qui disent cette démesure ("spectre", "fantôme", assimilation finale de Mabeuf mort, à un drapeau-symbole, par une sorte de jeu métonymique…),120 sont naturalisées, apparaissent comme adaptées et nanties d'un fort coefficient de réalisme. Par l'intermédiaire du père Mabeuf, fonctionnant lui-même comme figure du livre, signe livresque circulant dans le roman, s'élabore ici un nouveau mode de relation entre genres littéraires. Le roman au lieu de dire directement l'épique, ce qui risquerait de le constituer comme inflationniste, le produit en deux temps: il attribue d'abord de manière objective à un personnage un comportement livresque; il place ensuite ce personnage dans une situation à forte charge référentielle, et présente l’expression épique du rapport entre personnage et situation comme un constat.

-inversement, l'introduction d'un personnage comme Mabeuf peut être perçue comme moyen de reverser du côté du livresque l'ensemble des éléments dotés dans le texte d'une densité référentielle élevée. La prise en considération de tout événement comme imaginaire textuel fait du bouquiniste celui qui, dans Les Misérables, ramène l'Histoire à un texte. Opérant une sorte de traversée des signes, Mabeuf sort des livres pour y retourner, une fois établie l'équivalence de sa dépouille avec le drapeau -signifiant dont il était chargé et qui se charge de le signifier-. Le sens de ce texte qu'est l'histoire n'est pas arrêté une fois pour toutes, ni déterminé par les actants: le prolongement donné en imagination 121 par Mabeuf aux lectures, est la pré-figuration de la relance, qu'opèrent les insurgés, du sens de sa mort en un symbole. L'héroïsme et les effets textuels qui l'accompagnent (utilisation de l'épique notée plus haut) témoignent de la même façon du perpétuel remodelage du sens dans l'Histoire, déjà signifié par la circulation des livres que Mabeuf n'a pas pu arrêter. La mort de Mabeuf sur la barricade ne signifie donc pas un arrêt; par elle s'opère emblématiquement la reprise de tout l'imaginaire prêté au personnage à partir d'intertextes, dans le livre que devient Les Misérables. Le franchissement du seuil qu'opère le père Mabeuf, et qui le constitue comme réponse à une question, c'est la figuration du roman comme espace ouvert à la reformulation et à la transformation des livres qu'il met en circulation à l'intérieur de lui-même.

 

Destruction du livre et dissémination.

On trouve dans Han d'Islande une première mise en scène de lacération, sorte de prélude au célèbre chapitre intitulé "le Massacre de la Saint-Barthélemy" dans Quatrevingt-treize:

 

(…) "Schumacker, se penchant vers son bureau, continua de déchirer d'un air distrait quelques feuillets des Vies des Hommes Illustres de Plutarque, dont le volume déjà lacéré en vingt endroits et surchargé de notes, était devant lui"122

 

La destruction du livre, forme de contestation radicale de la monumentalité a ici partie liée avec la lecture et l'écriture. Elle est le passage obligé par lequel un texte est assimilé, transformé pour donner naissance à un autre texte: celui que Schumacker lecteur se fabrique ou, au-delà, celui que l'écrivain élabore à partir des matériaux qu'il emprunte et rassemble. Ce qui est attribué au personnage est donc bien l'image d'un usage que fait Hugo lui-même des livres.123 Entre cependant dans le massacre une part de rêverie, dont la distraction est ici la marque; par elle l'anéantissement du livre est mis en rapport avec autre chose que l'engendrement du texte.

Le Dernier Jour d'un Condamné reprend sous une autre forme, et à propos non d'un livre achevé, mais de feuilles manuscrites que le prisonnier voudrait voir publiées, cette même thématique:

 

"A moins qu'après ma mort, le vent ne joue dans le préau avec ces morceaux de papier souillés de boue, ou qu'ils n'aillent pourrir à la pluie, collés en étoiles à la vitre cassée d'un guichetier"124

 

La destruction prend alors -une valeur négative, puisqu'elle concerne non un livre utilisé comme matériau dans l'effectuation d'un écrire, mais un texte écrit que son auteur voudrait voir publié. Là encore pourtant, la représentation d'un devenir du texte comme "étoile", d'un étoilement qui évoque la dissémination charge l'énoncé d'une ambivalence qu'il nous faudra interroger.

 

C'est l'étude de la représentation la plus développée de la mise en pièces du livre qui nous permettra de répondre aux multiples questions déjà perceptibles à partir de l'examen rapide des deux exemples cités ci-dessus.

Le "Massacre de la Saint- Barthélemy" constitue à lui seul un livre entier du roman Quatrevingt-treize, solidaire d'ailleurs d'un chapitre situé plus avant intitulé "la Bibliothèque ".125 C'est dans ce dernier qu'est mentionnée l'existence du livre monumental, qui n'est rien d'autre que la concrétion, -imaginée par Hugo sur la base d'un article de dictionnaire et d'extraits de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, -textes d'auteurs divers se rapportant de près ou de loin à la vie du saint qui prête son nom à l'ouvrage126, ce qu'avoue d'ailleurs l'utilisation du verbe "résulter" dans le passage de III, III, IVI qui complète la première description.

 

-"C'était vraiment un in-quarto magnifique et mémorable. Ce Saint- Barthélemy avait été publié à Cologne par le fameux éditeur de la Bible de 1682, Bloeuw, en latin Coesius. Il avait été fabriqué par des presses à boite et à nerfs de bœuf; il était imprimé, non sur papier de Hollande, mais sur ce beau papier arabe si admiré par Edrisi, qui est en soie et coton et toujours blanc; la reliure était de cuir doré et les fermoirs étaient d'argent; les garces étaient de ce parchemin que les parcheminiers de Paris faisaient serment d'acheter à la salle Saint-Mathurin "et point ailleurs". Ce volume était plein de gravures sur bois et précédé d'une protestation des imprimeurs, papetiers et libraires contre l'édit de 1635 qui frappait d'un impôt "les cuirs, les bières, le pied fourché, le poisson de mer et le papier"; et au verso du frontispice on lisait une dédicace adressée aux Gryphes, qui sont à Lyon ce que les Elzévirs sont à Amsterdam. De tout cela il résultait un exemplaire illustre, presque aussi rare que l'Apostol de Moscou."127

 

Le livre cumule de multiples fonctions, ce qui lui confère un fonctionnement réflexif complexe:

-A travers lui s'opère, sur le plan de l'énoncé une connexion entre le sujet du roman consacré à la période de la Terreur Révolutionnaire, et -un autre évènement de l'Histoire de France particulièrement violent. Connexion déjà opérée dans un vers des Contemplations:

 

"J'ai lu; j'ai comparé l’aube avec la nuit noire,

Et les quatrevingt-treize aux Saint-Barthélemy; (…)"128

 

L'originalité de Hugo est d’effectuer par rapport à ce "programme", un déplacement qui prolonge la métonymie déjà inscrite dans le nom retenu par l'Histoire pour désigner l'évènement, et fait passer de la date du calendrier, à l'évocation du saint, puis à l'Evangile qui lui aurait été attribué. Ce changement de référent (lisible dans l'opposition entre "massacre de la Saint- Barthélemy " et "massacre de Saint-Barthélemy" titre effectif du passage) produit une réduction dont l'effet est la mise en abyme à l'intérieur de la fiction située en 93 de l'évènement majeur des guerres de religion sous une forme symbolique et parodique: à la violence de l'affrontement historique entre catholiques et protestants est substituée la destruction d'un livre par des enfants, et l'Histoire prend la forme d'un texte. On remarquera toutefois que les enfants qui se livrent au saccage sont présentés au début du roman 129 comme descendants de huguenots sur lesquels la fatalité n'a cessé de s'abattre. Il n'est donc pas interdit de voir dans le Massacre de la Saint- Barthélemy tel que Hugo le présente l'effet d'une inversion de l'histoire: c'est la destruction symbolique d'un livre catholique par des descendants de protestants qui prend le nom d'un massacre perpétré dans l'Histoire par des catholiques sur des protestants.

 

-Cependant les connexions entre l'évènement-Quatrevingt-treize / et le massacre vont signifier aussi tout autre chose: l'épisode de la destruction du livre se situe en effet dans un moment de suspension de l'action pendant lequel chaque camp fait ses préparatifs pour attaquer l'autre, la bibliothèque devenant l'enjeu de l'affrontement, puisque les enfants, fils de blancs adaptés par les bleus y sont pris en otage. Cette bibliothèque est pourvue dans le récit d'une fonction symbolique: elle condense à elle seule l'histoire des trois principaux protagonistes du roman, puisqu'elle contient le berceau de Gauvain, a été le lieu où celui-ci a reçu les leçons de Cimourdain et a appris à lire. Contenant les archives, elle relie aussi Gauvain à son parent Lantenac130. C'est la bibliothèque qui réunira, à travers le sauvetage des petits Fléchard, Gauvain, Cimourdain et Lantenac, membres opposés de la même famille, (même si la paternité de Cimourdain par rapport à Gauvain est symbolique), mais momentanément, et pour achever la désunion entre Cimourdain et Gauvain. Il n'est donc pas indifférent que Hugo ait mis en scène trois enfants, frères et sœur, qui mènent eux, dans ce lieu, et ensemble, une guerre ludique contre un livre, guerre dont on voit qu'elle reflète, reproduit en miniature, mais aussi déplace complètement les lignes de forces repérables dans la "vraie", qui implique elle aussi d'ailleurs, avec la prise de la tour, la destruction de la bibliothèque, des livres, et du passé qui tient encore au cœur de Gauvain. L'épisode du combat avec le livre Saint-Barthélemy peut donc être lu comme l'expression symbolique de l'union utopique à réaliser entre père, fils, frères ennemis, dans une lutte du progrès contre l'obscurantisme, impossible dans les conditions historiques que Hugo évoque mais que seuls réalisent les enfants. Est énoncée en filigrane la possibilité d'une relecture-réécriture de l'Histoire qui aurait pu faire l'économie de 93, et qui fonctionne comme une reformulation condensée du roman que toute la trame du récit dément bien évidemment. Démenti signifié par la position même de l'épisode, non pas simplement placé sous le signe de Saint-Barthélemy mais aussi sous celui de Saint-Barnabé. La référence à ce saint, auquel l'inscription qui accompagne sa représentation confère une valeur guerrière131, rend lisibles, au-delà de l'illusion référentielle, les enchaînements signifiants commandant la production fictionnelle, puisqu'il précède Saint- Barthélemy dans l'ordre alphabétique comme le grenier sur la porte duquel il est sculpté précède dans la topographie du roman la bibliothèque. La fin du "massacre de Saint-Barthélemy" ramène le bruit du canon, encore intégré au jeu enfantin par le "Poum"de Georgette132, mot d'enfant qui fonctionne en réalité comme un double signe et joue le rôle d'embrayeur annonçant le surgissement du tragique à l'intérieur de la tour, et l'embrasement de la bibliothèque.

 

-Mais Hugo ne se contente pas d'une parodie interne à signification symbolique consistant en la mise en abyme d'un évènement à l'intérieur d'un autre (la guerre ludique dans la vraie guerre). Il produit à travers le Massacre de Saint-Barthélemy la parodie d'une parodie, et réécrit le Lutrin de Boileau. Le massacre du livre est donc non seulement figuration condensée et diffractée de la trame événementielle représentée dans le roman, mais aussi la résorption de cette trame dans un intertexte qui joue en quelque sorte le rôle d'un filtre, et auquel le texte hugolien impose à son tour un retournement.

On ne trouve pourtant dans Quatrevingt-treize aucune reprise littérale du Lutrin , et l'on peut se demander si l'homologie de situation (référence à un livre posé sur un pupitre autour duquel se fait une bataille) suffit à établir le lien intertextuel. J. Boudout fait référence à Boileau, dans son édition du roman de Hugo, mais en ne voyant dans le passage qu'un rappel ou tout au plus une allusion133. Une lecture attentive permet de constater qu'un certain nombre de signes intégrés à la description du livre fonctionnent doublement et renvoient sans discussion possible non au contenu littéral du texte de Boileau, mais à des éléments de son paratexte. La mention de l'imprimeur Bloeuw dit Coesius, nom trouvé à l'article Imprimerie de l'Encyclopédie 134 et intégré à la description du livre, la référence à l'année 1682, indirectement rattachée au livre de Saint-Barthélemy par le truchement d'une Bible de Cologne peuvent être lues comme traces d'un rapport d'intertextualité au Lutrin. La date de 1682 est en effet celle de la publication de la seconde partie de ce texte, 135, et Bloeuw constitue un anagramme presque complet du nom de Boileau.

Dans le Lutrin, la parodie consistait à évoquer sur un mode héroïque une querelle ridicule, le signe étant dans un rapport d'inflation permanente avec son référent. Le retournement opéré par Hugo tient à l'utilisation des enfants comme personnages. Le combat que mènent ces enfants est bien une parodie, et il peut se lire notamment ainsi par rapport aux évènements que relate le roman, mais il mobilise toutes les ressources de l'épopée sans que celles-ci soient produites comme effets inflationnistes. Ceci à cause de la disproportion entre la taille du livre et celle des enfants qui fait de la destruction une tâche littéralement héroïque. Par un mécanisme semblable à celui qui a été analysé plus haut et qui concernait la figure de Mabeuf, dans Les Misérables, le détour par le livre permet d'intégrer les signes épiques à la mimésis et de leur conférer une charge réaliste.

-le livre de Saint-Barthélemy est ambivalent. Sa monumentalité, son caractère apocryphe, sa constitution comme recueil de gloses sans objet, compilation de traités théologiques renvoyant à des querelles ridicules (cf. le texte de la dissertation sur l'authenticité de l'Evangile de Saint-Barthélemy) en font le prototype des livres que Hugo pourfend et fustige dans l’Ane.136 Hugo souligne d'ailleurs l'aspect essentiellement régressif et obscurantiste de l'ouvrage:

 

"Tailler en pièces l'histoire, la légende, la science, les miracles vrais ou faux, le latin d'église, les superstitions, les fanatismes, les mystères, déchirer toute une religion de haut en bas, c'est un travail pour trois géants, et même pour trois enfants" (...)

 

Et il est question plus loin de l'"antique livre".137

Mais en tant qu'il est illustré, historié, le livre est aussi une sorte de modèle dans l'imaginaire textologique de l'auteur, et n'est pas sans rapport avec la façon dont il contribue par ses dessins, à la réalisation de ses propres ouvrages.

Le mode de destruction du livre et la signification réflexive que lui donne le roman reflètent cette ambivalence. Hugo soumet le livre à un processus de démembrement progressif qui n'est pas seulement anéantissement, mais dématérialisation pour renaître à autre chose : les morceaux de papiers émiettés "à tous les souffles de l'air", dispersés aux "quatre vents de l'esprit" sont assimilés à des papillons, ou par l'intermédiaire du mot " essaims "138 à cette abeille qu'on avait vu plus tôt regarder "à travers les vitres les titres des livres, comme si elle eût été un esprit".139

La destruction est donc condition de la dispersion, de la dissémination, elle est l'étape paradoxale qui permet au livre imprimé d'accomplir la fin qui lui était assignée en termes analogues, dans Notre-Dame de Paris :

 

"Sous la forme imprimerie, la pensée est plus impérissable que jamais; elle est volatile, insaisissable, indestructible. Elle se mêle à l'air. Du temps de l'architecture, elle se faisait montagne et s'emparait puissamment d'un siècle et d'un lieu. Maintenant, elle se fait troupe d'oiseaux, s'éparpille aux quatre vents, et occupe à la fois tous les points de l'air et de l'espace."140

 

La destruction du livre est l'autre image de sa circulation, et la métaphore de sa lecture. Elle opère de manière radicale la partition entre tout ce qui dans le livre relève de sa matérialité, et ce qui le constitue comme réservoir de sens. Elle est ce qui permet à l'écrivain de penser idéalement le devenir de son œuvre. Modalité de disparition du texte, elle renvoie aux représentations de disparition-effacement des personnages puisqu'elle met en jeu de la même façon la figuration d'une limite et sa transgression. Avec la destruction-dispersion, comme à travers nombre de mécanismes mobilisés par Hugo dans les mises en scène du livre, le signe est connecté à l'univers et à l'espace de manière immédiate et directe et non dans un rapport d'expression passant par l'articulation signifiant-signifié-référent. Ainsi, le récit épique du massacre de Saint-Barthélemy, déterritorialise les dommages subis par le livre qu'il recode en mutilations supportées par des référents immanents au livre lui-même:

 

"(…) l'histoire pourrait dire que saint Barthélemy, après avoir été écorché en Arménie, fut écartelé en Bretagne".141

 

Une fois de plus, le livre intègre, par ce type de figuration, ce qui le déconstruit à sa construction. Ce faisant, il représente son propre dépassement, ce qui le déporte toujours par rapport à lui-même. Il neutralise l'opposition entre référentialité et littéralité, signe et chose, réel et langage d'où l'aspect toujours réversible des figurations qu'il donne du livre, puisqu'il place celui-ci dans un même plan de consistance que le réel, et le montre toujours traversé par des lignes qui le connectent à l'univers.

Le problème de la mimésis ne se pose donc plus pour Hugo dans les termes habituels de réglage à effectuer entre les signes et les référents qu'ils se donnent, on peut même dire qu'il ne se pose plus du tout. Le livre n'est pas le réel, il n'exprime pas le réel, il est dans le réel et le réel le traverse.


 


1 L'article de P. HAMON: " La Bibliothèque dans le livre", in Interférences n° 11, travaux du séminaire d'histoire et d'analyse des textes Faculté des Lettres, Université de Hte-Bretagne, Rennes, 1980, fournit des pistes essentielles pour l'analyse de l'inscription et de la figuration du livre dans le roman du XIXème siècle.

2 Les textes de J. L. BORGES, intitulés "la Bibliothèque de Babel", (1941) et "Pierre Ménard, auteur du Quichotte", (1939) ainsi que d'autres inclus dans le même recueil, -Fictions (Gallimard, 1957 pour la traduction française)- nous paraissent avoir ouvert une voie exemplaire pour l'exploration tant théorique que fantasmatique d'un tel thème.

3 Les figurations auctoriales dans le roman hugolien sont, le plus souvent, liées à la représentation d'états du texte autres que celui du livre achevé. Les représentations d'écrivains ou d'écrivants au travail mentionnent évidemment la présence de livres comme objets d'une consultation et indicateurs d'érudition (voir notamment tout ce qui concerne le travail d'écriture de l'évêque dans les Misérables, en particulier I, I, V; I, I, VI, et I, 2, II). Ces notations assez brèves et ne comportant généralement pas d'indications relatives à des ouvrages définis ne font pas, dans ce chapitre, l'objet d'une investigation détaillée. On se reportera à l'analyse portant sur les mises en scène du scripteur.

4 Notre-Dame de Paris, "Note ajoutée à la huitième édition -1832-", O.C, Romans I, p. 493-495.

5 Cf. sur ce point notamment Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, les Mémorables, Plon 1985, p.482. qui cite une lettre du 5/8/1830 adressée à Renduel

6 Notre-Dame de Paris, "Note ajoutée…", O.C., Romans I, p. 494: après mention de la perte de trois chapitres: "Il fallait ou les récrire ou s'en passer. L'auteur considéra que les deux seuls de ces chapitres qui eussent quelque importance par leur étendue, étaient des chapitres d'art et d'histoire qui n'entamaient en rien le fond du drame et du roman; que le public ne s'apercevrait pas de leur disparition, et qu'il serait seul, lui auteur, dans le secret de cette lacune. (…) Aujourd'hui, les chapitres se sont retrouvés, et il saisit la première occasion de les remettre à leur place".

7 Idem, V, 1, p.617

8 Ibidem, VII, 5, p.693.

9 Ibidem, V, 1, p. 617.

10 Ibidem, IV, 5, p. 607.

11 Le Dernier Jour d'un Condamné, XI, O.C., Romans I, p. 441

12 L'Homme qui Rit, II, II, 11, O.C., Romans III, p, 560.

13 Notre-Dame de Paris, V, 2, O.C., Romans I, p. 619.

14 Idem, V, 2, p. 620

15 Ibidem,V, 2, p. 622

16 On songe en premier lieu au volume de Saint- Barthélemy, dans Quatrevingt-treize, à quoi il faut ajouter la liste des livres du père Mabeuf dans les Misérables et le bréviaire public de Notre-Dame de Paris. Mais le moindre ouvrage chez Hugo est toujours décrit très précisément pour ce qui est de son aspect extérieur et de ses caractéristiques typographiques. On notera en particulier l'importance du fermoir mentionné entre autres à propos de la Bible du révérend Hérode dans les Travailleurs de la Mer, I, VII, 3: O.C., Romans III, p. 189, du roman de Mlle de Scudéry dans Han d'Islande, ch. XXXVI, O.C., Romans I, p. 188, et du Saint- Barthélemy, Quatrevingt-treize,                III, II, 9vi, p. 960, et III, III, 1vi, p. 981. La pratique du dessin est chez Hugo, rappelons-le, toujours en relation avec celle de l'écriture: dessins sur les manuscrits, sur les carnets, dessins se rapportant par leur sujet et leur titre aux romans, frontispices des romans. Cette liaison est une donnée dont nous tenons compte dans notre analyse de l'intertextualité.

17 Notre-Dame de Paris, V, 2, O.C., Romans I, p. 624.

18 Idem, V, 2, p. 627.

19 Ibidem, V, 2, p. 628.

20 Han d'Islande, ch. XXXVI, O.C., Romans I, p. 188.

21 Notre-Dame de Paris, VI, 2, O.C., Romans I, p. 637.

22 L'Homme qui Rit, II, VII, 3,O.C. Romans III, p. 691

23 Les Travailleurs de la Mer, III, III, 3, O.C., Romans III, p. 332.

24 Quatrevingt-treize, III, II, 9vi, O.C., Romans III, p. 960.

25 Les Misérables, IV, 9, III, O.C., Romans II, p. 824-825.

26 Notre-Dame de Paris, V, 1, O.C., Romans I, p. 617.

27 Idem, VIII, 1, p. 711.

28 Les Misérables,. II, 6, V, O.C., Romans II, p. 391.

29 Les Travailleurs de la Mer, I, III, 8, O.C., Romans III, p. 91.

30 Les Misérables, III, 8, VI, O.C., Romans II, p. 592.

31 Ces éléments paratextuels ont un fonctionnement pluriel figurant comme inscriptions sur le corps du livre et, à ce titre, équivalents exacts de tout ce qui, -comme production artistique et ornementale- vient s'incruster dans le monument, ils sont même, comme l'indique notamment la prédilection de Hugo pour le gothique, consubstantiels à la monumentalité. Cependant, la déterritorialisation qui caractérise le mode de diffusion du livre et l'oppose alors au monumental, justifie le rôle que jouent par compensation ces éléments dans l'identification du livre.

32 Notre-Dame de Paris, V, 2, "Que ce soit fatal ou providentiel, Guttemberg est le précurseur de Luther.", O.C., Romans I, p. 625.

33 Les Misérables, III, 8, VI, O.C., Romans II, p. 592 et note 8 page 1021: "L'ouvrage, dont le vrai titre est l'Hermitage Saint-Jacques ou Dieu, le Roi et la Patrie, publié en 1815, appartient au fonds de lecture commun à Mme Thénardier et à Hugo enfant."

34 L’Ane, I, III, O.C., Poésie III, p. 1055-1056

35 Les Misérables, O.C., Romans II, I, 1, V, p. 18.

36 Quatrevingt-treize, III, II, 9, O.C., Romans, III, p. 960

37 Han d'Islande, ch. XLVIII, O.C., Romans, p 252.

38 Les Travailleurs de la Mer, I, III, 8, O.C., Romans III, p. 91.

39 L’Homme qui Rit, II, II, 11, O.C., Romans III, p. 560.

40 Idem, p. 560

41 Ibidem, II, VIII, 7, p. 736.

42 Ibidem, II, IX, 2, p. 764.

43 Ibidem, II, V, 2, p. 643.

44 Ibidem, II, I, 6, p. 504.

45 On renvoie aux multiples mises en scène de rites d'enregistrement procès d'Ordener dans Han d'Islande, ch. XLIII, p. 221-235, allusions aux procès verbaux dans Le Dernier Jour d'un Condamné, (notamment ch. XXII, p. 455), procès de Quasimodo et d'EsMeralda dans Notre-Dame de Paris, VI, I, p. 629, et VIII, I, II, et III, p. 711-723, rôle du passeport, I, 2, III, p. 61, procès Champmathieu 1, 7, p. 168-222, dans Lci Misérables, interrogatoire d'Ursus 11, III, 6, p. 582-587, et jugement d'Harquanonne II, IV, 8, p. 623-633, dans L'Homme qui Rit; toutes les formes d'enregistrements de pièces officielles évoquées dans Quatrevingt-treize, notamment, II, II, 3, p. 882-889, etc...

46 L'homme qui Rit, I, 2-1, O.C., Romans III, p. 365.

47 Préface de la nouvelle traduction des Œuvres de Shakespeare, O.C., Critique annexe au William Shakespeare p. 461.

48 Notre-Dame de Paris, O.C., Romans I: II, 6, p. 550, III, 1, p. 573, V, 1, p. 616, V, 2, p. 618 et 628.

49 Les Misérables, O.C., Romans II, I, 1, VI p. 20.

50 Idem, I, 1, VI, p. 20, I, 2, II, p. 82, I, 2, II, p. 58.

51 Ibidem, I, 1, VIII, p. 26.

52 Ibidem, III, 5, I, p. 538.

53 Ibidem, IV, 9, III, p. 824 et 825.

54 Quatrevingt-treize, III, II, 9, O.C., Romans III, p. 960.

55 Ce procède typographique est utilisé, concurremment à la mise en italiques, à propos du livre que Claude Frollo consulte dans le chapitre "Ceci tuera cela" Notre-Dame de Paris, V, 1, p. 617 et du roman de Ducray-Diminil mis en scène dans Les Misérables, III, 8, VI, p. 592. La mention des lettres majuscules est donnée à propos du livre de Saint-Barthélemy, sans que Hugo ait recours lui même à l'effet typographique correspondant sans son texte, Quatrevingt-treize, III, II, 9vi, p. 960.

56 Nous entendons ces deux concepts dans le sens que leur donne J. Ricardou: "quand certains aspects de la dimension littérale de la fiction se modèlent sur certains caractères de la dimension référentielle" on est dans "la région de l'expressif". Inversement, "quand certains aspects de la dimension référentielle se modèlent sur certains caractères de la dimension littérale", on est dans "la région du productif". La production des miroirs, in Poétique, n° 22, 1975, p. 211.

57 Notre-Dame de Paris, VI, 2, O.C., Romans I, p. 639.

58 Hugo mentionne lui même le nom de Ducray-Diminil dans la préface de 1833, où il prend ses distances par rapport à ce qu'il appelle un "livre de jeune homme". Han d'Islande, préface de 1833, O.C., Romans I, p. 3.

59 L'Homme qui Rit, I, III, 5 et I, III, 6, O.C., Romans III, p. 466-467, et 470.

60 Il est tout à fait significatif de constater que le "judas de la Providence" offre à Marius une visibilité totale, à l'intérieur du bouge Jondrette sur tous les objets, même les plus minimes, qui se rapportent à la lecture ou à l'écriture. Ce trou ouvert est, comme espace découpant un autre espace, une figuration indirecte du livre. L'équivalence entre le livre et les agencements optiques se "déduit" d'ailleurs de la relation qu'établit le chapitre II, 7, I des Misérables, entre la phrase définissant le couvent comme "un des appareils d'optique appliqué, par l'homme sur l'infini", et celle qui, quelques lignes avant, conçoit le livre comme "drame dont le premier personnage est l'infini" p. 403.

61 Notre-Dame de Paris, V, 1, O.C., Romans I, p. 616.

62 Les Misérables, III, 3, II, O.C., Romans II, p. 490.

63 Idem, III, 8, IV, p.586.

64 Ibidem, III, 3, VI, p.501.

65 Ibidem, 5, IV, p.546-547.

66 Han d'Islande, ch. VI, O.C., Romans I, p. 33 où Spiagudry est "assis devant une table de pierre couverte de vieux livres, de plantes desséchées et d d'ossements décharnés"

67 L'Homme qui Rit, I, -1, O.C., Romans III, p. 352

68 Les Misérables, IV, 4, 1, O.C., Romans II, p. 723.

69 Idem, 5, IV, p. 544.

70 Ibidem, I, 1, V, p. 17.

71 Les Travailleurs de la Mer, I, II, 1, O.C., Romans III, p.72. La seule autre indication relative aux lectures de ce personnage figure au début de I, III, 12, p. 95, où lui est attribuée une prédilection pour Voltaire. Lethierry est représenté plus comme un conteur que comme un lecteur: "Ce bon vieux héros de la Mer avait rapporté de ses voyages des récits surprenants", ce qui en fait un opérateur de dialogisme, Les Travailleurs de la Mer, I, III, 10, O.C., Romans III, p. 93.

72 Les Misérables, IV, 4, I, O.C., Romans II, p. 723.

73 Han d'Islande, ch. IX, O.C., Romans I, p. 50.

74 Les Misérables, IV, 8, VII, O.C., Romans II, p. 814.

75 Idem, III, 6, VI, p. 561.

76 Ibidem, III, 6, VII, p, 563.

77 Ibidem, IV, 2, III, p. 689.

78 Ibidem, IV, 2, III, p, 691.

79 Le Dernier Jour d'un Condamné, ch. XXXI, O.C., Romans I, p. 467.

80 L' Homme qui Rit, VIII, 4, O.C., Romans III, p. 725.

81 Han d'Islande, ch. IX, O.C., Romans I, p. 51-52.

82 Idem, ch. XXV, p. 148.

83 Ibidem, ch. VII, p. 38, ch. XV, p. 93, ch. XX, p. 113.

84 Le Dernier Jour d'un Condamné, ch. XXXIII, O.C., Romans I, p. 470.

85 Notre-Dame de Paris, IX, 1, O.C., Romans I, p. 755.

87 Les Misérables, II, 6, IV, O.C., Romans II, p. 388. Les Travailleurs de la Mer, I, VII, 3, O.C., Romans III, p. 190.

88 Les Travailleurs de la Mer, IV, 7, O.C., Romans III, p. 110.

89 Idem, VII, 3, p. 190

90 Ibidem, III, III, 3, p. 332.

91 Ibidem, III, III, 5, p. 340.

92 Ibidem, III, 8, p. 91.

93 Ibidem, I, IV, 7, p. 110.

94 cf. Ibidem, tout le premier livre de la première partie, "De quoi se compose une mauvaise réputation".

95 Ibidem, I, VII, 3, p. 189.

96 Les Travailleurs de la Mer, I, III, 13, O.C., Romans III, p. 98.

97 Ibidem, III, III, 2, p. 329.

98 Idem, I, I, 4, p. 56.

99 Idem, III, III, 4, p. 334.

100 Idem, III, III, 2, p. 328.

101 Idem, I, VII, 3, p. 190: "Quelle que soit cette page, il en sort infailliblement de la lumière".

102 H Meschonnic, Ecrire Hugo**, Pour la poétique IV, p. 163, Gallimard, 1977.

103 Le terme d'"immanence" apparaît en II, II, 5, p. 240: "L'ombre est un silence; ce silence dit Tout. Une résultante s'en dégage majestueusement: Dieu, Dieu, c'est la notion incompressible. (…) Cette notion, l'ombre toute entière l’affirme. Mais le trouble est sur tout le reste. Immanence formidable", et en II, IV, 2, p. 282: "Le possible est une matrice formidable. Le mystère se concrète en monstres. Des morceaux d4ombre sortent de ce bloc, l'immanence, se déchirent, se détachent, roulent (…)" On entendra ici par "immanence" un principe de non-différenciation, par lequel toutes les créatures, tous les contraires, toutes les différences sont ramenées à un Même, qui les contient, mais aussi les produit. Cette notion peut être appliquée aux rapports tels que Hugo les conçoit entre son écriture et le "réel". Cette notion complexe a fait l'objet d'une étude spécifique d'Y. Gohin: Sur l'emploi des mots "immanent" et "immanence" chez V. Hugo, Lettres Modernes 1968, Paris, 56p. On se reportera également à l'ouvrage de J. Maurel: Victor Hugo philosophe, P.U.F., 1985.

104 Dans Les Travailleurs de la Mer et L'Homme qui Rit, cette disparition s'opère par noyade, dans Quatrevingt-treize, elle se manifeste par la double mort de Cimourdain et de Gauvain, dans Les Misérables, elle est représentée de manière figurale par l'inscription en vers illisible, fonctionnant comme la mise en abyme de tout le roman. On notera que dans L'Homme qui rit, et Quatrevingt-treize, comme dans Notre-Dame de Paris, la mort est dépassée dans la fusion des squelettes ou des âmes.

105 Les Travailleurs de la Mer, I, I, 1, O.C., Romans III, p. 49 et III, III, 5, p. 343.

106 préface des Travailleurs de la Mer, O.C., Romans III, p. 45: "Un triple anankè pèse sur nous, l'anankè des dogmes, l’anankè des lois, l'anankè des choses. Dans Notre-Dame de Paris, l'auteur a dénoncé le premier, dans les Misérables, il a signalé le second, dans ce livre, il indique le troisième."

Contrairement à Hugo, et conformément à l'usage établi dans la tradition critique, nous avons considéré le mot "anankè " comme un féminin.

107 Ainsi l'équivalence entre lecture et jardinage est-elle une manière de connecter le livre à l'univers. De la même façon, les mécanismes de "saut optique" mis en évidence dans les pages qui précèdent, articulent d'une manière tout à fait originale le textuel au "réel".

108 Les Misérables, I, 7, II, O.C., Romans II, p. 170.

109 Ibidem, II, 7, VI, p. 409.

110 Idem, II, 7, I, p. 403,

111 Idem, III, 5, IV, p. 545.

112 Idem, III, 5, IV, p. 545.

113 Idem, IV, 9, III, p. 825.

114 Idem, V, 5, IV, p. 1058.

115 Idem, III, 5, IV, p. 544.

116 Idem, III, 5, IV, p. 546.

117 Idem, IV, 9, III, p. 826.

118 Idem, IV, 14, II, p. 894.

119 Idem, IV, 14, I et II, p. 893

120 Idem, IV, 14, II, p. 895.

121 Idem, cf. III, 5, IV, p. 546-547, et IV, 2, III, p. 691.

122 Han d'Islande, ch. XXIV, O.C., Romans I, p. 132.

123 cf. chapitre sur les méthodes de travail de Hugo, qui pratique l'annotation sur les livres, utilise des pages déchirées comme brouillons pour jeter une phrase qui lui vient, essayer un vers, ou porter des notes.

124 Le Dernier Jour d'un Condamné, ch. VI, O.C., Romans I, p. 438.

125 Quatrevingt-treize, III, III, 1, O.C., Romans III, p. 973-983, et III, II, 9vi, p. 960.

126 Encyclopédie, Article Imprimerie, p. 470. Fiche de Hugo qu'on trouve page 361 du manuscrit des notes prises pour Quatrevingt-treize: "Saint-Barthélemy-Apôtre. L’An 39 après Jésus-Christ. Ecorché vif l’an 71. Appelé aussi Nathanaël. A laissé un évangile qui fait partie des Apocryphes. Avait converti la Lycaonie.2ème siècle, Pantoenus. Annotateur et commentateur, Baronius.

127 Quatrevingt-treize, III, III, Iv, O.C., Romans III, p. 980.

128 Les Contemplations, livre cinquième, Ecrit en 1846, édition du Livre de Poche, p. 296.

129 Quatrevingt-treize, I, I, O.C., Romans III, p. 794.

130 Ibidem, III, II, 12, p. 966.

131 Idem, III, II, 9vii, Le Grenier: "Barnabus sanctus falcen jubet ire per herbam", "Saint Barnabé fait avancer la faux à travers l'herbe."

132 Idem, III, III, 1, p. 983.

133 Quatrevingt-treize, éditions Garnier, 1963, édition de J. Boudout, note 2 des p. 343-344.

134 Encyclopédie, Article Imprimerie, p. 470,

135 Boileau, Le Lutrin, édition Garnier-Flammarion, n° 205, 1969, introduction de J. Vercruysse, p. 18.

136 L'Ane, O.C., Poésie III, p. 1033-1112.

137 Quatrevingt-treize, III, III, 1vi, O.C., Romans III, p. 982.

138 Ibidem, III, III, 1vi, p. 982.

139 Idem, III,III, 1iii, p. 977.

140 Notre-Dame de Paris, V, 2, O.C., Romans I, p. 624.

141 Quatrevingt-treize, III, III, 1v, O.C., Romans III, p. 981.