Franck Laurent : La tyrannie de l'impersonnel

Communication au Groupe Hugo du 18 juin 2016

Ce texte peut être téléchargé, dans la mise en page de son auteur, au format pdf.


 

Personnalité et impersonnalité du tyran

N’est pas tyran qui veut… C’est du moins ce que nous apprend une certaine tradition d’analyse du phénomène tyrannique, celle qui met l’accent sur la dimension à la fois personnelle et irrégulière de l’accession au pouvoir, comme de l’exercice du pouvoir. Selon Littré encore, le tyran est d’abord celui qui s’est emparé d’un pouvoir auquel rien ne le destinait – sinon, outre des circonstances historiques exceptionnelles, sa propre personnalité, elle-même exceptionnelle. Dès sa naissance, le dix-neuvième siècle eut sous les yeux un exemple qui semblait confirmer ce trait de définition, et Napoléon justifiait amplement cette assertion générale de Benjamin Constant :

 

Le monarque est en quelque sorte un être abstrait. On voit en lui non pas un individu, mais une race entière de rois, une tradition de plusieurs siècles. [Au contraire] L’usurpation […] est nécessairement empreinte de l’individualité de l’usurpateur[1].

 

Hugo, longtemps fasciné par la figure du Grand Homme de pouvoir – ou du Grand Homme au pouvoir – a d’abord repris à son compte cette analyse, mais pour en inverser la valeur. La grandeur de Napoléon, telle qu’avant l’exil il la figure, tient souvent à cette personnalisation extrême du pouvoir politique, à cette capacité de l’usurpateur à imprimer sa marque propre, personnelle, dans tous les domaines de la machine politique :

 

Entre deux guerres, il creusait des canaux, il perçait des routes, il dotait des théâtres, il enrichissait des académies, il provoquait des découvertes, il fondait des monuments grandioses, ou bien il rédigeait des codes dans un salon des Tuileries, et il querellait ses conseillers d’État jusqu’à ce qu’il eût réussi à substituer, dans quelque texte de loi, aux routines de la procédure, la raison suprême et naïve du génie[2].

 

Soit. Mais au faîte du pouvoir, du génie au tyran il n’y a qu’un pas. Et Hugo le sait, même dans ce discours de réception à l’Académie. Un pas, ou plutôt deux : un vers le haut, un vers le bas.

Vers le haut, c’est ce qu’on pourrait nommer l’hybris archaïque : le rêve démoniaque de l’homme devenu dieu. Au début de l’exil, Hugo en donne une figure archétypique avec le Nemrod de La Fin de Satan :

 

Nemrod, foulant aux pieds la tiare et l’éphod,

Avait atteint, béni du scribe et de l’augure,

Le sommet sombre où l’homme en dieu se transfigure[3]

 

Mais dès avant l’exil, Hugo apercevait cette hybris dans la geste napoléonienne. Par exemple quand, dans « Napoléon II », il évoque l’Aigle présentant l’Aiglon :

 

Et Lui ! l’orgueil gonflait sa puissante narine ;

Ses deux bras, jusqu’alors croisés sur sa poitrine,

S’étaient enfin ouverts !

Et l’enfant, soutenu dans sa main paternelle,

Inondé des éclairs de sa fauve prunelle,

Rayonnait au travers !

 

Quand il eut bien fait voir l’héritier de ses trônes

Aux vieilles nations comme aux vieilles couronnes,

Éperdu, l’œil fixé sur quiconque était roi,

Comme un aigle arrivé sur une haute cime,

Il cria tout joyeux avec un air sublime :

–     L’avenir ! l’avenir ! l’avenir est à moi !

 

Mais le poète répond, coupant court à cette auto-déification qui semble acceptée par tous :

 

Non, l’avenir n’est à personne !

Sire ! L’avenir est à Dieu[4] !

 

Plus généralement, comme j’ai tâché de le montrer ailleurs[5], Hugo prône alors un culte napoléonien qui distingue au présent le souvenir du tyran et celui du génie. La symbolique mémorielle du Grand Homme doit associer fidélité admirative et rupture politique – ce dont seules sont capables les jeunes générations : « Car nous t’avons pour Dieu sans t’avoir eu pour maître[6] ».

L’autre pas du génie au tyran se fait vers le bas, vers le peuple, ou plutôt contre lui, se substituant à sa marche. Le génie devient tyran au moment, peut-être inéluctable, où son ambition d’incarner le collectif vire à la dépossession, à une forme de vampirisme politique. On pourrait dire qu’il revient à Musset d’avoir formulé le plus clairement cette conséquence de l’hyperpersonnalisation du pouvoir. Il s’agit bien sûr, à nouveau, de Napoléon : « Un seul homme était en vie alors en Europe ; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l’air qu’il avait respiré[7] ». Mais Hugo ne dit peut-être pas autre chose dans Cromwell (1828) : comme le remarque Anne Ubersfeld, « le génie ne saurait à lui seul mettre sa marque au monde ; il ne peut être le premier des hommes libres lorsqu’il n’y a pas ou qu’il n’y a plus d’hommes libres[8] ». Explicitement, quoi que comme à regret, Hugo admet dans la conclusion du Rhin (1842) qu’une idée, même providentielle (il s’agit ici de l’unité européenne), peut être perçue comme tyrannique quand elle est portée par la seule volonté d’un homme de pouvoir, fût-il grand :

 

Peut-être faut-il que l’œuvre de Charlemagne et de Napoléon se refasse sans Napoléon et sans Charlemagne. Ces grands hommes ont peut-être l’inconvénient de trop personnifier l’idée […]. Il peut en résulter des méprises, et les peuples en viennent à s’imaginer qu’ils servent un homme et non une cause, l’ambition d’un seul et non la civilisation de tous. Alors ils se détachent[9].

 

En 1852 dans Napoléon le petit Hugo affirme beaucoup plus fermement que « le tyran est cet homme qui, sorti de la tradition comme Nicolas de Russie, ou de la ruse comme Louis Bonaparte, s’empare à son profit et dispose à son gré de la force collective d’un peuple[10] ». Intervient ici une inflexion majeure : issu de la tradition ou de la ruse, le tyran n’a plus rien du Grand Homme, et le vampire devient parasite. A l’hybris d’une personnalité d’exception se substituent les abus de pouvoir d’un égoïsme banal. La tyrannie de Napoléon le petit diffère de celle de Napoléon le Grand non seulement dans ses formes, mais surtout dans ses motivations individuelles et la personnalité qu’elles configurent :

 

Le premier Bonaparte voulait réédifier l’empire d’Occident, faire l’Europe vassale, dominer le continent de sa puissance et l’éblouir de sa grandeur, prendre un fauteuil et donner aux rois des tabourets, faire dire à l’histoire : Nemrod, Cyrus, Alexandre, Annibal, César, Charlemagne, Napoléon ; être un maître du monde. Il l’a été. C’est pour cela qu’il a fait le 18 brumaire. Celui-ci veut avoir des chevaux et des filles, être appelé monseigneur et bien vivre. C’est pour cela qu’il a fait le 2 décembre.[11]

 

Au-delà des stratégies pamphlétaires, ce rabattement dans la médiocrité de la personnalité tyrannique constitue l’un des principaux arguments de Hugo pour voir en Louis Bonaparte une ruse de l’histoire, et lui permettre d’affirmer « le progrès inclus dans le coup d’état » :

 

Napoléon-le-Petit se superpose à Napoléon-le-Grand. [...] On n’aperçoit plus [...] Napoléon qu’à travers sa caricature [...] grâce à Louis Bonaparte, l’empire ne fascine plus. L’avenir est devenu possible.[12

 

La fin des Grands Hommes de pouvoir, le retrait hors de la sphère du pouvoir politique des personnalités géniales, semble du reste apparaître à Hugo, au moins à partir du Second Empire, comme un trait général et positif de l’évolution de la civilisation[13]. Analyse qui accompagne sa conversion au républicanisme, dont la détestation du « pouvoir personnel » constitua longtemps en France un élément majeur de définition.

La tyrannie ne serait-elle plus qu’une survivance, condamnée à disparaître avec les Grands Hommes de pouvoir, les usurpateurs géniaux ? Pas du tout ! Ainsi, dans un texte du début des années 1860, Hugo dénonce violemment la bonhommie satisfaite de tous ceux qui ne croient plus au tyran :

 

Il existe des sceptiques agréables que le mot tyran fait sourire.

[…] Le tyran, c’est le mastodonte, cela barbotait, avant le déluge, dans la première boue qui a été la terre. […] Dans tous les cas, s’il y a eu des tyrans, il n’y en a plus.

[…] Tout ce passé est du présent. Dans quel paradis croyez-vous donc être ?[14]

 

La contradiction n’est qu’apparente. Car la tyrannie qu’évoque alors Hugo, et qui, dans ce texte et ailleurs, entre dans un rapport systématiquement synonymique avec le despotisme, n’est plus cette hybris politique des personnalités d’exception que nous avons évoquée jusqu’à présent. Elle se caractérise au contraire par diverses formes de dépersonnalisation.

Dans cette configuration, le tyran n’est pas l’usurpateur de génie. C’est plutôt celui qui assume l’usage de la violence extrême, le puissant sanguinaire, « Ces rois dont les chevaux ont du sang jusqu’au ventre » – comme l’écrivait déjà le poète des Feuilles d’automne (1831)[15]. Or ces hommes du sang, loin d’être des personnalités d’exception, sont à peine des personnes. Dans la dernière section de William Shakespeare (1864), intitulée « L’Histoire réelle », tyrannie et tyran relèvent d’une animalisation qui pousse jusqu’à la réification :

 

Les tyrans ne sont pas les hommes, ce sont les choses. […]

Même les tyrans de chair sont des choses. Caligula est bien plus un fait qu’un homme. Il résulte plus qu’il n’existe. […]

[…] Un tigre est un aveuglement affamé et armé. Est-ce un être ? À peine. La griffe de l’animal n’en sait pas plus long que l’épine du végétal. Le fait fatal engendre l’organisme inconscient. En tant que personnalité, et en dehors de l’assassinat pour vivre, le tigre n’est pas. Mourawieff[16] se trompe s’il croit qu’il est quelqu’un.[17]

 

Cette dépersonnalisation, loin de l’excuser, définit le tyran, et en fait toute l’actualité :

 

disculper l’ours ou Nicolas[18], chercher les circonstances atténuantes du tigre, constater avec indulgence son crâne plat, discuter la quantité de chair restée à l’os rongé et de liberté laissée à un peuple, appeler épée le coutelas, substituer césarisme à despotisme, cela est faisable, cela peut sembler curieux et nouveau, ce pickle peut plaire aux palais blasés ; mais après ? Le fait tyrannie surnage, le mot tyran flamboie.[19]

 

Pour autant, cette animalisation du tyran, cette figure de roi-tigre, n’est peut-être pas chez Hugo la figure la plus inquiétante de la tyrannie. Plus grave peut-être, plus insidieuse, et peut-être plus vivace encore, susceptible d’une dissémination historique indéfinie, est celle qui se fonde sur l’impersonnalité, masquée ou assumée, de l’État – et de sa diffusion dans le corps social, jusqu’à l’âme de tous et de chacun.

 

Impersonnalité de la tyrannie

L’État

Pour appréhender cette tyrannie de l’impersonnel qui hante l’imaginaire politique de Victor Hugo, il faut d’abord se résoudre à abandonner les principaux traits de la définition classique de la tyrannie, sur laquelle nous nous sommes appuyés pour commencer : le pouvoir irrégulier d’un individu d’exception. Il faut d’abord évoquer les représentations hugoliennes de la monarchie, en particulier de la monarchie classique, absolue et de droit divin. En particulier dans son théâtre d’avant l’exil, Hugo en donne une figure caractérisée par la tension entre un pôle personnel incarné par le roi (ou la reine), et un pôle impersonnel, certes référé au monarque mais opéré par un ensemble d’institutions, de rituels, de croyances et d’individus plus ou moins obscurs (ministres, magistrats, policiers…), ensemble que fait vivre, concrètement, non pas le roi individuel mais l’État royal agissant en son nom. Cette tension n’a peut-être jamais été mieux énoncée que dans la double tirade de Ruy Blas à Don César, dans la troisième scène du premier acte – double tirade qui semble illustrer jusqu’à la fulgurance les analyses d’Ernst Kantorowicz sur « les deux corps du roi » :

 

[…] Sous un dais orné du globe impérial,

Il est, dans Aranjuez ou dans l’Escurial,

Dans ce palais, parfois, mon frère, il est un homme

Qu’à peine on voit d’en bas, qu’avec frayeur on nomme ;

Pour qui, comme pour Dieu, nous sommes égaux tous ;

Qu’on regarde en tremblant et qu’on sert à genoux ;

Devant qui se couvrir est un honneur insigne ;

Qui peut faire tomber nos deux têtes d’un signe ;

Dont chaque fantaisie est un événement ;

Qui vit, seul et superbe, enfermé gravement

Dans une majesté redoutable et profonde ;

Et dont on sent le poids dans la moitié du monde

[…]

Cet homme-là ! le roi !

 

Tel est le corps « glorieux » de Charles II d’Espagne, corps tout entier tendu, érigé, par l’attirail symbolique de l’État monarchique. Et puis, seulement quelques vers plus loin, voici son corps « misérable », sa personnalité individuelle :

 

                       […] ce roi qui passe tout son temps

À chasser ! Imbécile ! – un sot ! vieux à trente ans !

Moins qu’un homme ! à régner comme à vivre inhabile.[20]

 

Or, ce qui vaut ici pour une monarchie absolue et catholique, semble valoir également, quoique sur un mode apparemment moins tendu, pour une monarchie tempérée, protestante, déjà parlementaire, comme cette monarchie anglaise postérieure à la Glorious Revolution de 1688 et qui fut longtemps le modèle des libéraux français. Ainsi, la reine Anne de L’Homme qui rit (1869) est une personnalité banale, voire médiocre, ni géniale ni stupide, ni belle ni laide, ni vraiment bonne ni tout à fait méchante : « La première femme venue, c’était la reine Anne. Elle était gaie, bienveillante, auguste, à peu près. Aucune de ses qualités n’atteignait à la vertu, aucune de ses imperfections n’atteignait au mal[21] ». Quant à son pouvoir, il semble bien limité, pour ne pas dire bénin : « La Queen Ann […] était populaire. Que faisait-elle pour cela ? rien. Rien, c’est là tout ce qu’on demande au roi d’Angleterre[22] ».

Personnalité banale, et personnalisation du pouvoir proche de zéro. Soit. N’importe :

 

Sous ce règne, pourtant relativement débonnaire, la presse pour la flotte se fit avec une extrême violence ; sombre preuve que l’anglais est plutôt sujet que citoyen. […]

Les lois contre l’Irlande, émanées de la reine Anne, furent atroces.[23]

 

Dans l’intrigue romanesque, ce pouvoir proche de l’impersonnalité permet et légitime, non pas tant peut-être le pouvoir aristocratique de la Chambre des lords, que celui, autrement plus efficace en son anonymat, des actions de police qui font en quelques heures un désert du bowling-green, ce campement forain de banlieue où battait, autour d’Ursus, Gwynplaine et Déa, et de leur drame Chaos vaincu, le cœur populaire et spirituel de Londres. Pouvoir de police incarné, si l’on ose dire, par la figure du wapontake, cet individu totalement impersonnel, intégralement défini (dans son corps même, son apparence et sa gestuelle) par sa fonction, et qui, au nom de la reine, sait transformer en automate tout individu sur l’épaule duquel il posera son bâton de justice :

 

Un jour, […] en regardant par la lucarne du mur qui avait vue sur le dehors, Ursus devint pâle.

-Gwynplaine ?

-Quoi ?

[…]

-Vois-tu ce passant ?

-Cet homme en noir ?

-Oui.

-Qui a une espèce de masse au poing.

-Oui.

-Eh bien ?

-Eh bien, Gwynplaine, cet homme est le wapentake.

[…]

-Qu’est-ce qu’il a à la main ?

-C’est l’iron-weapon.

-Qu’est-ce que l’iron-weapon ?

-C’est une chose en fer.

-Qu’est-ce qu’il fait de ça ?

-D’abord il jure dessus. Et c’est pour cela qu’on l’appelle le wapentake.

-Ensuite ?

-Ensuite il vous touche avec.

[…]

-Qu’est-ce que cela veut dire ?

-Cela veut dire : suivez-moi.

-Et il faut le suivre ?

-Oui.

-Où ?

-Est-ce que je sais, moi ?

-Mais il vous dit où il vous mène ?

-Non.

-Mais on peut bien le lui demander ?

-Non.

-Comment ?

-Il ne vous dit rien, et vous ne lui dites rien.

-Mais…

-Il vous touche de l’iron-weapon, tout est dit. Vous devez marcher.

-Mais où ?

-Derrière lui.

-Mais où ?

-Où bon lui semble, Gwynplaine.

-Et si l’on résiste ?

-On est pendu.[24]

 

La société

Pour Hugo, l’impact de toute tyrannie politique sur le corps social est d’abord de l’ordre de la déliaison[25]). Les Châtiments (1853) en fournissent un bon exemple. Le principal effet de la tyrannie de Louis Bonaparte, et la principale condition de sa réussite (provisoire), c’est de contraindre le peuple au sommeil, d’empêcher l’émergence de cette force, de cette voix, suffisamment personnelle pour être susceptible de dire « nous », et d’agir en authentique sujet collectif. D’où la récurrence, dans ce recueil, des poèmes adressés « Au peuple », et en appelant à sa résurrection (ou peut-être, pour mieux dire, à sa surrection) : « Lazare ! Lazare ! Lazare ! Lève-toi ![26] »

Mais cette déliaison ne transforme pas la société en juxtaposition d’individus autonomes. L’alternative dramatisée par la tyrannie n’est pas celle, trop sommaire, et, pourrait-on dire, mal réglée, du collectif et de l’individuel. Elle est celle du personnel et de l’impersonnel. Les soutiens de Napoléon III ne sont pas des individus satisfaits de mener leur vie, grande ou petite, sous le parapluie d’un pouvoir éventuellement tyrannique, qui leur permettrait de déployer toutes leurs capacités personnelles dans le libre jeu de la concurrence généralisée. Les soutiens, massifs, de la tyrannie de Napoléon III ne sont pas des individus, ce sont des groupes unis par l’égoïsme collectif de leurs habitudes, de leurs hiérarchies, et surtout de leurs intérêts communs – lesquels, loin de l’exalter, brident et annihilent leur personnalité individuelle, comme ils leur interdisent de « transférer » cette personnalité vers celle, authentiquement collective et donc indéterminée, du peuple. L’évocation des votants aux plébiscites organisés en décembre 1851 et en décembre 1852 afin de légitimer la tyrannie bonapartiste, est à cet égard particulièrement éclairante :

 

Ils ont voté ! Troupeau que la peur mène paître

Entre le sacristain et le garde-champêtre,

[…]

Braves gens qui croyez en vos foins, et mettez

De la religion dans vos propriétés ;

Ames que l’argent touche et que l’or fait dévotes ;

Maires narquois, traînant vos paysans aux votes ;

Marguilliers au regard vitreux ; curés camus

[…]

Marchands dont la balance incorrecte trébuche ;

Vieux bonshommes crochus, hiboux hommes d’état,

Qui déclarez, devant la fraude et l’attentat,

La tribune fatale et la presse funeste ;

[…]

Contemplateurs béats des gibets de l’Autriche ;

Gens de bourse effarés qui trichez et qu’on triche ;

Invalides, lions transformés en toutous ;

Niais pour qui cet homme est un sauveur ; vous tous

Qui vous ébahissez, bestiaux de Panurge,

Aux miracles que fait Cartouche thaumaturge ;

Noircisseurs de papier timbré, planteurs de choux,

Est-ce que vous croyez que la France c’est vous,

Que vous êtes le peuple, et que jamais vous n’eûtes

Le droit de nous donner un maître, ô tas de brutes ![27]

 

On n’évoquera pas ici les considérations, assez précises, que Hugo avec la plupart des républicains développe alors sur les conditions de validité de l’expression populaire, et sur cet avatar du droit naturel qui vise à mettre la République, comme on disait alors, au-dessus du suffrage[28]. Mais on remarquera que cette avalanche de pluriels, aboutissant à la métaphore injurieuse du « tas », figure non la réunion informe et occasionnelle d’individus séparés, mais l’amoncellement non-personnel de groupes assez clairement définis en catégories socioprofessionnelles, liées par des intérêts communs. « Ce » qui a voté lors de ces plébiscites, « ce » qui a approuvé la tyrannie médiocre de Louis Bonaparte, « ce » ne sont pas des personnes singulières et autonomes, des individus, mais au contraire des « x » dont l’identité virtuelle est conférée par leur appartenance à des ensembles, eux-mêmes trop étroitement déterminés pour savoir hausser la voix au niveau, à la fois universel et personnel, du peuple.   

Toujours dans Châtiments, le « bon bourgeois dans sa maison » ne dit pas autre chose. Son jugement personnel n’est pas en cause, et il n’éprouve aucune estime pour M. Bonaparte. Mais ce n’est pas son jugement personnel qui guide ses actes, ce sont ce qu’il faut bien nommer ses intérêts de classe :

 

– Ce livre est fort choquant. De quel droit celui-ci

Est-il généreux, ferme et fier, quand je suis lâche ?

En attaquant monsieur Bonaparte, on me fâche.

Je pense comme lui que c’est un gueux ; pourquoi

Le dit-il ? Soit ; d’accord, Bonaparte est sans foi

Ni loi ; c’est un parjure, un brigand, un faussaire ;

[…]

C’est le pire gredin qui soit sur cette terre ;

Mais puisque j’ai voté pour lui, l’on doit se taire.

Ecrire contre lui, c’est me blâmer au fond ;

C’est me dire : voilà comment les braves font ;

[…]

Que voulez-vous ? la bourse allait mal ; on craignait

La république rouge, et même un peu la rose ;

Il fallait bien finir par faire quelque chose ;

On trouve ce coquin, on le fait empereur ;

C’est tout simple. – On voulait éviter la terreur.

Le spectre de monsieur Romieu, la jacquerie ;

On s’est réfugié dans cette escroquerie.[29]

 

Le balancement du « je » et du « on » est ici particulièrement significatif, soit que le « on » s’efforce hypocritement d’impersonnaliser les prises de position courageuses contre la tyrannie, afin de maintenir la fiction de l’autonomie personnelle du « bon bourgeois », soit, beaucoup plus directement et avec une bien plus grande cohérence, qu’il désigne le lieu, collectif et personnellement vide, des intérêts qui ont suscité l’adhésion publique à Bonaparte, voire la mise en place de la solution Bonaparte. La politique du « bon bourgeois » est donc dictée par ses intérêts de classe, au rebours de sa conscience personnelle (ou de ce qui lui en reste) – nullement par une hypothétique conscience de classe, locution relevant pour Hugo de l’oxymore.

Ainsi, l’ethos propre à la tyrannie n’est pas vraiment, comme pour Montesquieu parlant du despotisme, la crainte : c’est d’abord l’égoïsme. Mais l’égoïsme selon Hugo n’est pas l’exaltation du moi, c’est la « rouille du moi[30] ». C’est-à-dire sa destruction, plus ou moins lente. L’égoïsme s’approprie à l’impersonnel tyrannique parce qu’il est lui-même un principe de dépersonnalisation.

 

L’individu dépersonnalisé

Pourtant, il semble possible d’imaginer (c’est même assez commun) que l’intégrité personnelle de l’individu n’est pas forcément mise en danger par le pouvoir politique, fût-il tyrannique – du moins en-dehors de ses formes extrêmes. Une certaine conception de la séparation absolue des ordres, de la « sphère privée » et de la « sphère publique », peut conduire à postuler une certaine intangibilité de la vie personnelle, en quelque sorte protégée par son hétérogénéité fondamentale au pouvoir politique, voire, tout bonnement, au politique. On peut même imaginer une saine division du travail entre les deux sphères. Dans L’Homme qui rit, Hugo voit à l’œuvre une conception de ce genre dans l’acceptation presque enthousiaste par la société anglaise de la restauration royaliste de Charles II, en 1660 :

 

Être de bons sujets était désormais l’ambition unique. On était revenu des folies de la politique ; on bafouait la révolution, on raillait la république, et ces temps singuliers où l’on avait toujours de grands mots à la bouche, Droit, Liberté, Progrès ; on riait de ces emphases[31]. Le retour au bon sens était admirable ; l’Angleterre avait rêvé. Quel bonheur d’être hors de ces égarements ! Y a-t-il rien de plus insensé ? Où en serait-on si le premier venu avait des droits ? Se figure-t-on tout le monde gouvernant ? S’imagine-t-on la cité menée par les citoyens ? Les citoyens sont un attelage, et l’attelage n’est pas le cocher. Mettre aux voix, c’est jeter aux vents. Voulez-vous faire flotter les états comme les nuées ? Le désordre ne construit pas l’ordre. Si le Chaos est l’architecte, l’édifice sera Babel. Et puis quelle tyrannie que cette prétendue liberté ! Je veux m’amuser, moi, et non gouverner. Voter m’ennuie ; je veux danser. Quelle providence qu’un prince se charge de tout ! Certes ce roi est généreux de se donner pour nous cette peine ! Et puis, il est élevé là-dedans, il sait ce que c’est. C’est son affaire. La paix, la guerre, la législation, les finances, est-ce que cela regarde les peuples ?[32]

 

Cette forme dégradée, hédoniste en apparence, de la « liberté des modernes » chère à Benjamin Constant, Hugo républicain la dénonce en quelque sorte par les deux bouts. Côté « public », il y voit la principale condition subjective-collective de la tyrannie. Côté « privé », il dénonce l’illusion d’un épanouissement de la personne pensée comme proportionnel à sa désertion des fonctions politiques, alors qu’au contraire il faut y voir la source d’une dépersonnalisation pouvant aller jusqu’à l’extrême fatigue de vivre. Le texte écrit en marge de William Shakespeare, intitulé par les éditeurs « Le Tyran », et qu’on a déjà eu l’occasion de citer, offre un bon exemple, dans son déroulement même, de cette pensée hugolienne de la tyrannie qui aboutit paradoxalement au vidage de toute personnalité. Au commencement, il s’agit pour Hugo, on l’a vu déjà, de réaffirmer l’existence au présent du tyran. Il prend d’abord pour repère les grands moi monstrueux : « Le fait tyrannie surnage, le mot tyran flamboie. Macbeth et Henri VIII et Richard III sont vivants, vous dis-je ![33] »

Mais, très vite, d’autres figures de la tyrannie sont évoquées, dont le site personnel est beaucoup moins flamboyant, et qui relève plutôt de la banalité de situations sociopolitiques auxquelles il est le plus souvent impossible d’assigner un nom propre, individuel. Les petits planteurs américains propriétaires d’esclaves (« ces républicains sont des citoyens à cachots et à sérails, dont chacun trouve moyen d’être dans cent toises carrées czar et sultan[34] ») ; ou ces actions de police qui font à Varsovie molester par la cavalerie russe le cortège funèbre de la veuve d’un opposant en exil[35]. Puis sont évoqués les fastes classiques des tyrans de droit divin, dont la quasi-déification ne relève pas de l’hybris d’une personnalité d’exception mais de l’application à leur « personne » de l’artefact tyrannique de l’État royal. Apparaissent ensuite des formes plus impersonnelles encore, et peut-être plus modernes, de la tyrannie : celles de la misère, clairement désignée ici comme conséquence de l’exploitation industrielle :

 

Les plus grands peuples sont rongés par ce chancre, la misère. Partout la détresse fille du parasitisme. Rien n’égale la nudité italienne si ce n’est le haillon anglais. Sous son noir ciel d’hiver, l’indigence mouillée de l’Irlande fait horreur.  En Angleterre, la navrante chanson de l’aiguille. En France, les greniers de Rouen et les caves de Lille. Roubaix, Lyon, Leeds, Manchester, Birmingham, Newcastle-on-Tyne où le houilleur mange du charbon pour tromper la faim, toutes ces turbines de richesses sont des foyers de misère.[36]

 

Cette tyrannie impersonnelle dégrade la conscience personnelle, par la généralisation de l’égoïsme : « Et à cela qui est l’ensemble des faits, ajouter le détail des mœurs : le chacun pour soi, les félicités peu soucieuses des souffrances[37] ». Cet égoïsme, loin d’être l’exaltation du moi, implique une amputation radicale des facultés personnelles : « jouir devenu le but ; aimer, vouloir, croire, relégués au second plan[38] ». Alors, dernier stade de la dépersonnalisation, la mélancolie suicidaire qui n’offre plus d’autre recours que celui de la liberté infinie, mais non-humaine, de la Nature (et texte consacré au tyran s’achève sur ces mots) :

 

on ne sait quelle lugubre décroissance de lumière qui ressemble à l’agonie de l’âme humaine, en bas des larmes profondes, dans la civilisation l’odeur sinistre que répand la putréfaction du cœur, l’accablement de vivre et de penser. Ô joie des oiseaux de mer que je vois là-bas dans la nuée ![39]

 

 

La nécessaire personnalisation du politique : résistance, justice, démocratie

Ainsi, il semble bien que Hugo voie dans la tyrannie, au moins dans ses actualisations modernes et contemporaines, une forme impersonnelle et dépersonnalisante du politique. Dès lors, on conçoit que l’alternative à la tyrannie comporte la réaffirmation d’une personnalisation nécessaire du politique – laquelle ne saurait évidemment relever du pouvoir personnel d’un seul. Cette personnalisation revendiquée, on peut l’apercevoir à travers trois « figures », au sein desquelles éthique et politique s’articulent étroitement.   

 

Résistance

La première de ces « figures », c’est celle de la résistance. A nouveau, Châtiments en fournit un exemple éclairant. Si l’on met à part le prologue « Nox » et l’épilogue « Lux », le livre est tendu entre deux poèmes qui tous deux affirment et exaltent la résistance inexorable au tyran. Mais pas exactement de la même manière. Le premier fait du proscrit une figure anonyme, apte certes à figurer tout résistant, au-delà, à convoquer dans la résistance au tyran les forces cosmiques et, pour ainsi dire, l’état fantomatique de l’Être, – mais inapte à dire simplement « je » :

 

France ! à l’heure où tu te prosternes,

Le pied d’un tyran sur ton front,

La voix sortira des cavernes ;

Les enchaînés tressailleront.

 

Le banni, debout sur la grève,

Contemplant l’étoile et le flot,

Comme ceux qu’on entend en rêve,

Parlera dans l’ombre tout haut ;

 

Et ses paroles, qui menacent,

Ses paroles, dont l’éclair luit,

Seront comme des mains qui passent

Tenant des glaives dans la nuit.[40

 

En revanche le dernier poème, « Ultima verba », multiplie les marques de la première personne, de plus en plus nombreuses à mesure qu’il se déploie, martelées dans les dernières strophes :

 

Oui, tant qu’il sera là, qu’on cède ou qu’on persiste,

O France ! France aimée et qu’on pleure toujours,

Je ne reverrai pas la terre douce et triste,

Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !

 

Je ne reverrai pas la rive qui nous tente,

France ! hors le devoir, hélas ! j’oublirai tout.

Parmi les éprouvés je planterai ma tente :

Je resterai proscrit, voulant rester debout.

 

J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme ;

Sans chercher à savoir et sans considérer

Si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme,

Et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer.

 

Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! si même

Il ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;

S’il en demeure dix, je serai le dixième ;

Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ![41]

 

Jean-Marie Gleize et Guy Rosa l’ont remarqué déjà[42] : cette multiplication finale des marques du « je » tâche d’affirmer, au sein-même du recueil et de son organisation, la réussite d’une posture de résistance. Réussite à la fois fallacieuse (le tyran n’est toujours pas tombé) et essentielle (il n’est pas parvenu et ne parviendra jamais à abattre toute résistance, plus précisément : à dépersonnaliser tout le corps social, à empêcher quiconque de dire « je » – c’est-à-dire, en l’occurrence, de dire « non »). Mais on pourrait aussi, et l’on ne s’en est pas privé dès la publication du recueil, se gausser d’une telle posture, y voir l’hypertrophie d’un narcissisme absurde, presque fou. En dénoncer, en somme, l’arrogance.

Sans vouloir comparer l’incomparable, il semble que certaines analyses d’Hannah Arendt dans son Rapport sur la banalité du mal peuvent aider à faire le point. Vers la fin d’Eichmann à Jérusalem, la philosophe identifie comme l’un des signes, sinon l’une des causes, du consentement collectif à l’horreur nazie, la réaction négative et comme pudibonde que provoquèrent « les rares hommes qui ont été assez « arrogants » pour ne se fier qu’à leur jugement personnel[43] ». Cette réaction collective, c’est bien, dans sa forme sinon, bien entendu, dans ses implications historiques concrètes, celle que provoque Lord Clancharlie, le vieil exilé fidèle à la république anglaise, dans l’Homme qui rit – figure transparente de l’auteur exilé, mais aussi figure décalée, ouverte, accueillante à d’autres « identifications » :

 

En songeant à lord Clancharlie, à ce qu’il aurait pu être et à ce qu’il était, sourire était de l’indulgence. Quelques-uns riaient tout haut. D’autres s’indignaient.

On comprend que les hommes sérieux fussent choqués par une telle insolence d’isolement.

[…]

Et puis, en somme, ces entêtements, ces escarpements, sont-ce des vertus ? N’y a-t-il pas dans ces affiches excessives d’abnégation et d’honneur beaucoup d’ostentation ? C’est plutôt parade qu’autre chose. Pourquoi ces exagérations de solitude et d’exil ? […] La vraie vertu c’est d’être raisonnable. Ce qui tombe a dû tomber, ce qui réussit a dû réussir. La providence a ses motifs ; elle couronne qui le mérite. Avez-vous la prétention de vous y connaître mieux qu’elle ?[44]

 

La tyrannie ne dépersonnalise pas seulement par des voies directes, explicitement coercitives ; elle médiatise son pouvoir dépersonnalisant par une certaine forme de conformisme social, qui en constitue l’un des plus puissants relais. Aussi la résistance à la tyrannie implique-t-elle d’abord une réaffirmation dure, assumée, en somme « arrogante », de la personne.       

 

Justice

La seconde « figure » qui illustre la nécessaire personnalisation du politique, c’est celle de la justice. Et très précisément de la justice politique, du procès politique. Sur ce point aussi, Châtiments fait repère. On sait combien la métaphore judiciaire traverse et structure le recueil, dès son titre. On sait aussi combien sont nombreux (plus d’une centaine) les noms propres, désignant des individus, dont le poète satirique martèle les syllabes et stigmatise  vices et crimes. On aurait tort sans doute de ne voir dans ce ressassement de noms propres que matière sonore. Ces attaques ad hominem, peu habituelles dans la poésie satirique du XIXe siècle, sont essentielles au projet politique de Hugo. Elles dressent en quelque sorte la liste des individus qui devront comparaître en justice quand tombera la tyrannie. Car on peut bien appeler à la barre le Peuple ou la Bourgeoisie, mettre en accusation l’Église, l’Administration ou la Magistrature, condamner l’Armée (ce que, du reste, Hugo fait aussi dans Châtiments) –  ce ne sont là que métaphores. Car un procès ne juge pas des groupes anonymes, mais des personnes. Les noms propres, issus de ces groupes, qui trouent avec lancinance les vers des Châtiments, désignent ceux qui devront, personnellement, rendre des comptes à la justice. Car s’il est évident que cela ne suffit pas, il est tout aussi évident pour Hugo que la première étape dans la voie, étroite et difficile, qui mène de la tyrannie à la liberté, consiste à rétablir, sous forme de procès, la question même de la responsabilité personnelle trop aisément cachée sous les oripeaux anonymes de la raison d’Êtat, voire des crimes d’Êtat. Là encore, la convocation des analyses d’Hannah Arendt sur le procès Eichmann pourraient être très éclairantes.

 

Démocratie

La troisième « figure » qui illustre chez Hugo la nécessaire personnalisation du politique, c’est, tout bonnement, la démocratie. La question est si vaste que j’irai très vite. On l’a vu, les représentations hugoliennes de la tyrannie montrent en quelque sorte par l’absurde que la limitation, voire l’absence d’un  « pouvoir personnel » au sommet, ne saurait suffire à rendre possible l’authentique liberté de tous, « l’égaliberté » pour reprendre le terme forgé par Êtienne Balibar[45] – tout simplement parce que les tyrannies modernes s’accommodent fort bien d’un pouvoir impersonnel, et surtout parce qu’elles visent d’abord à produire, dans la collectivité qu’elles ont « sous leur garde », de l’impersonnel. Contre cette tendance du pouvoir politique, parfois avérée et dramatisée (par exemple sous le Second Empire) parfois plus diffuse et plus secrète, Hugo n’aura de cesse de rappeler que l’idéal politique de la démocratie se définit d’abord par sa capacité à permettre et susciter la personnalité de tous et de chacun. Jamais peut-être son aspiration démocratique ne se sera mieux exprimée que dans ce vers de Dieu, prononcé par « L’esprit humain » sur le « seuil du gouffre » : « – Ô nuit, j’attends que tout s’affirme et dise : moi.[46] ».


[1] De l’Usurpation, 1997, p. 186 sq.

[2] « Discours de réception à l’Académie française » (1841), Actes et Paroles, I, Politique, p. 91.

[3] La Fin de Satan, I, I, 4, Poésie IV, p. 19.

[4] « Napoléon II », Les Chants du crépuscule, V, Poésie I, p. 706.

[5] Notamment dans Victor Hugo : espace et politique, Presses Universitaires de Rennes, chap. IV ; voir aussi « “ Car nous t’avons pour dieu sans t’avoir eu pour maître ” - Napoléon dans l’œuvre de Victor Hugo avant l’exil », dans Napoléon, de l’histoire à la légende, Éditions In Forma - Maisonneuve et Larose, 2000, p. 251-277.

[6] « À la colonne », Les Chants du crépuscule, II, Poésie I, p. 697.

[7] La Confession d’un enfant du siècle, I, 2, 2003, p. 59.

[8]. Introduction à Cromwell, 1968, p. 35.

[9] Le Rhin, Conclusion, IX, Voyages, p. 405.

[10] Napoléon le petit, Conclusion, I, 2, Histoire, p. 134.

[11]. Napoléon le petit, I, 6, Histoire, p. 15.

[12]. Napoléon-le-Petit, VIII, 1, Histoire, p. 124-125. Sur cet aspect de la question, voir Millet, Le Despote oriental, 2001.

[13] Voir Franck Laurent, « La question du Grand Homme dans l’œuvre de Victor Hugo », Romantisme, n° 100, Le Grand Homme, 1998, p. 63-89.

[14] [Le tyran], Proses philosophiques…, Critique, p. 613

[15] « Amis, un dernier mot ! – et je ferme à jamais… », Les Feuilles d’automne, XL, Poésie I, p. 674.

[16] Mouravieff, gouverneur russe de Pologne, fut l’artisan de la répression de l’insurrection polonaise de 1861-1864, qui aboutit à la politique de russification complète de la Pologne.

[17] William Shakespeare, III, III, 2, Critique, p. 442 sq.

[18] Nicolas Ier, tsar de Russie de 1825 à 1855, autocrate particulièrement réactionnaire.

[19] [Le Tyran], Proses philosophiques de 1860-1865, Critique, p. 613 sq.

[20] Ruy Blas, I, 3, Théâtre II, p. 27 sq.

[21] L’Homme qui rit, II, I, 5, 1, Roman III, p. 496.

[22] L’Homme qui rit, II, I, 5, 3, Roman III, p. 499.

[23] L’Homme qui rit, II, I, 5, 2, Roman III, p. 498.

[24] L’Homme qui rit, II, III, 5, Roman III, p. 580-581.

[25] Cf. Claude Millet, Le Mur des siècles, La représentation de l’histoire dans la Nouvelle Série de La Légende des siècles, thèse soutenue sous la direction de Guy Rosa à l’Université Paris VII en 1991, I, 3, p.463-516.

[26] Châtiments, II, 2, Poésie II, p. 45 sq.

[27] Châtiments, III, 4, Poésie II, p. 66 sq..

[28]  Voir par exemple cette déclaration, dans la lettre à Meurice et Vacquerie, publiée dans Le Rappel le 6 mars 1872, (et qui développe la position de Hugo vis-à-vis de la Commune) : « La vraie définition de la République, la voici : moi souverain de moi. C’est ce qui fait qu’elle ne dépend pas d’un vote. Elle est de droit naturel, et le droit naturel ne se met pas aux voix » (Actes et Paroles III, Politique, p. 788).

[29] « Un bon bourgeois dans sa maison », Châtiments, III, 7, Poésie II, p. 70 sq.

[30] « Les génies appartenant au peuple », Proses philosophiques de 1860-1865, Critique, p. 590.

[31] Dans « Splendeurs » Châtiments (III, 8) Hugo avait déjà stigmatisé cette critique des « grands mots », auxiliaire idéologique de la tyrannie : « Après quoi l’on ajuste au fait la théorie : / « – A bas les mots ! à bas loi, liberté, patrie ! / Plus on s’aplatira, plus on prospérera. / Jetons au feu tribune et presse et caetera. / Depuis quatre-vingt-neuf les nations sont ivres. / Des faiseurs de discours et des faiseurs de livres / Perdent tout ; le poëte est un fou dangereux ; / Le progrès ment, le ciel est vide, l’art est creux, / Le monde est mort. Le peuple ? un âne qui se cabre ! / A bas les Washington ! vivent les Attila ! – » / On a des gens d’esprit pour soutenir cela. » (Poésie II, p. 72 sq.).  

[32] L’Homme qui rit, II, I, 1, 3, Roman III, p. 476 sq.

[33] Proses philosophiques de 1860-1865, Critique, p. 614.

[34] Ibid,

[35] Ibid.

[36] Ibid., p. 618

[37] Ibid.

[38] Ibid.

[39] Ibid.

[40] Châtiments, I, 1, Poésie II, p. 19.

[41] Châtiments, VII, 14, Poésie II, p. 198.

[42] Dans leur édition du recueil, « Livre de poche classique », 1985. Voir en particulier Guy Rosa dans ses Commentaires : « En I, 1 (dont le futur a valeur littérale et vise d’abord l’énonciation du livre qui est sur le point de surgir), cette voix est invisible, quasi anonyme, en tout cas non encore assumée en première personne, tandis qu’à l’autre bout du recueil, Ultima verba fait retentir une voix, celle du Moi, cette fois radicalement personnelle parce que assurée de son universalité » (p. 432). 

[43] Eichmann à Jérusalem, 2002, p. 506. Le paragraphe entier mérite d’être cité : « Il reste cependant un problème fondamental, implicite dans tous ces procès d’après guerre et qui doit être mentionné ici parce qu’il touche à une des questions morales cruciale et de tous les temps, celle de la nature et de la fonction du jugement humain. Dans tous ces procès où les accusés avaient commis des crimes « légaux », nous avons exigé que les êtres humains soient capables de distinguer le bien du mal même lorsqu’ils n’ont que leur propre jugement pour guide et que ce jugement se trouve être en contradiction totale avec ce qu’ils doivent tenir pour l’opinion unanime de leur entourage. Et cette question est d’autant plus grave que nous savons que les rares hommes qui ont été assez « arrogants » pour ne se fier qu’à leur jugement personnel, n’étaient pas nécessairement ceux qui ont continué à obéir aux anciennes valeurs, ni ceux qui étaient guidés par une croyance religieuse. Puisque l’ensemble de la société respectable avait d’une manière ou d’une autre succombé à Hitler, les maximes morales qui déterminent le comportement social et les commandements de la religion – « Tu ne tueras point » – qui guident la conscience, avaient virtuellement disparu. Ces hommes rares qui étaient encore capables de distinguer le bien du mal, ne le faisaient véritablement qu’à partir de leurs propres jugements, et cela librement ; il n’y avait aucune règle à laquelle obéir, sous laquelle ils auraient pu subsumer les cas particuliers auxquels ils étaient confrontés. Ils devaient se prononcer à chaque cas à mesure qu’il se présentait, car il n’y avait pas de règle pour ce qui est sans précédent. »

[44] L’Homme qui rit, II, I, I, 1-2, Roman III, p. 474 sq..

[45] Voir notamment « « Droits de l’homme » et « droits du citoyen ». La dialectique moderne de l’égalité et de la liberté, dans Frontières de la démocratie, 1992, p. 124 sqq.

[46] Poésie IV, p. 588.