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Séance du 28 avril 2007

Présents : Claude Millet, Jean-Claude Fizaine, Jean-Marc Hovasse, Franck Laurent, Caroline Julliot, Hiroko Kazumori, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Claire Montanari, Yvette Parent, Marie Perrin, Vincent Wallez, Choï Young, Yingxuan Zhang, Mireille Gamel, Françoise Chenet, Sylvain Ledda, Stephane Arthur, Olivier Decroix.


La prochaine séance aura lieu le 12 mai 2007 dans le bâtiment de la Halle aux farines, escalier E, 1er étage, salle E 165.

Informations

Manifestation :

Claude Millet signale la tenue d'une exposition à la maison Victor Hugo, Place des Vosges. Intitulée "Collections de la Maison de Victor Hugo, dix ans d'acquisitions (1996-2006) ", cette exposition temporaire qui vaut le déplacement se tiendra du 25/04/07 au 5/08/07.

 

Claude Millet rappelle également qu'elle organise le 4 mai une journée d'étude consacrée aux usages idéologiques de l'anti-romantisme.

 

Arnaud Laster annonce que Les Amis de Victor Hugo organisent une table ronde sur les dramaturgies de Musset et Hugo le 11 mai (18h, Censier, salle 210). Florence Naugrette et Sylvain Ledda devraient y participer.

 

Publication :

Jean-Marc Hovasse présente les actes d'un colloque sur Alexandre Dumas et Victor Hugo (contributions en espagnol et en français): Alexandre Dumas y Victor Hugo, Viage de los textos y textos del viaje, El Fil d'Ariadna Literatura, Lleida, 2006.

 

Claude Millet a lu la belle préface à Napoléon le Petit de Jean-Marc Hovasse, ainsi que les notes de Guy Rosa, et en souligne la qualité (Actes Sud).

 


Communication de Stépane Arthur : La représentation du seizième siècle dans le théâtre de la période romantique: Hugo et les autres (voir texte joint)


Discussion

Sur l'importance du contexte historique :

FRANCK LAURENT : Il est très intéressant de faire ainsi apparaître une tradition importante de représentation de François Ier autour de 1830. Je voudrais parler pour ma part non pas de François Ier mais de l'interdiction du Roi s'amuse. Le contexte de 1832 a été rappelé brièvement, et c'est là que se joue l'enjeu de cette interdiction qui fait résonner tous les ordres à la fois. Le régime sort d'un moment où il ne sait pas s'il va tout simplement pouvoir durer. L'opposition est à la fois républicaine et monarchiste (la duchesse de Berry). L'alternative entre le mouvement et la résistance n'est pas réglée. Et quand Hugo fait représenter son drame, le ministère Périer vient d'être constitué, et son programme est simple : reprise en main de l'espace public. Cela marche en partie. Mais ces trublions de Parisiens continuent ! Et que faire d'une Première à la Comédie française, avec la présence d'ambassadeurs, et des chevelus qui chantent la Marseillaise ? Cela n'est tout simplement pas acceptable, et il faut le montrer.
Il y aussi la volonté de dire aux artistes : même si vous vous appelez Victor Hugo, vous n'êtes pas à l'abri.
Tout cela est très politique : ce ne sont pas seulement des bourgeois choqués dans leur goût esthétique : tout résonne ensemble. D'un point de vue idéologique, quelle est l'ambition de la Monarchie de Juillet ? L'éclectisme national. La Monarchie de Juillet doit apparaître comme le seul représentant possible de l'unité nationale pour pouvoir durer, et cela passe par la création d'une légende : il faut donc trouver des bons rois, récupérer quelques bons rois. Et François Ier, c'est l'idéal! Tout le monde est a priori d'accord (pour les légitimistes, il est un chevalier, pour les orléanistes, un civilisateur, pour un Thiers, le symbole de la patrie avec l'édit de Villers-Cotterêts…). Et voilà que quelqu'un massacre cette figure.
Il faut noter qu'il n'y a pas de grands hommes historiques politiques français dans le théâtre de Hugo, mais des étrangers dont le rôle historique majeur est en plus dirigé contre la monarchie française (cf. Charles-Quint ou Barberousse). Hugo ne joue pas le jeu.

SYLVAIN LEDDA : c'est le problème de Louis XI : il est souvent vu comme un tyran mais qui fait l'unification de la France.

FRANCK LAURENT : et Hugo répond avec Notre-Dame de Paris, il reprend le scénario en passe de devenir officiel pour l'invalider par le récit.

 

Libéralisme et souveraineté

YVETTE PARENT : Tout le XIXe siècle politique a été axé sur la réflexion entre le libéralisme et le problème de la souveraineté. Or le libéralisme fait problème dans la mesure où il signe un retour à l'individu, et on retombe sur la notion de propriété. Mais Hugo n'a jamais été vraiment libéral, il est surtout intéressé par le problème de la souveraineté.Cela explique qu'il dévalorise les rois français car le libéralisme amène à créer des héros. Mais que mettre à la place des rois ?

SYLVAIN LEDDA : Nous avons besoin de la chose République et du mot monarchie, dit Hugo.

 

Mise en perspective du XVIe siècle :

CLAUDE MILLET : Il faudrait davantage creuser la dimension généalogique du XVIe siècle. n'apparaît pas suffisamment dans votre exposé. Vitez disait, à propos de ses mises en scène successive d'Electre que dans chaque contexte, la pièce offrait au public un théorème pour comprendre son présent. Les fables du XVIe siècle offrent de manière sans doute comparable des " théorèmes " aux spectateurs de l'époque romantique. C'est une époque privilégiée pour penser le présent avec la distance nécessaire au théâtre. Il faut aller voir précisément comment chacune des pièces de Hugo permet de réfléchir l'actualité.
Le XVIe siècle n'est pas un siècle de liberté avant le verrouillage classique et absolutiste. C'est un temps de tyrannie - songez à Marie Tudor et à Lucrèce Borgia. Mais c'est aussi, pour tous les romantiques, une époque d'énergie : voyez le Stendhal des Chroniques italiennes et le Mérimée de 1572 Chronique du règne de Charles IX.

ARNAUD LASTER : l'entreprise de désacralisation des rois, Hugo l'a poursuivie d'une autre façon dans La Révolution, poème où il désacralise Henri IV.


Communication de Claire Montanari: La composition des Feuilles d'automne (voir texte)


Discussion

Processus de transformation des images et banalisation de la poésie :

CLAUDE MILLET : Votre travail montre combien l'analyse génétique, bien faite, éclaire le texte. Elle rend manifeste le fait que le mot d'énergie créatrice n'est pas une expression galvaudée pour Hugo. Je ferai néanmoins deux remarques :

Première remarque : je ne suis pas sûre que les transformations d'images analysées aillent du plus concret au plus métaphysique mais du plus concret, qui est métaphysique, au plus abstrait. Les premiers états exhibent davantage le travail analogique que les suivants, qui tendent à lisser le rapport du comparant et du comparé, à atténuer leur tension. Le travail de Hugo va dans le sens de la cohérence et de l'abstraction. Il faudrait comparer avec les manuscrits de l'exil.

Deuxième remarque, qui reprend des analyses de Franck Laurent dans sa Préface des Orientales. La familiarité ne va pas forcément dans le sens d'un rapprochement de la parole poétique avec la parole du peuple mais plutôt dans le sens d'une banalisation de la poésie : du côté du commun et du banal, " des vers comme tout le monde en fait ou en rêve ", plutôt que du populaire.

CLAIRE MONTARINI : Je suis partie d'une ébauche de " Rêverie à propos d'un roi ", " nous sommes entre les rois et les peuples ", qui disparaît complètement du poème.
CLAUDE MILLET : Mais on ne peut définir la poétique du recueil à partir de ce poème très particulier, peu exemplaire du projet global des Feuilles d'automne.

 

Processus créateur :

ARNAUD LASTER : Il est bien que l'on rappelle les travaux de Journet et Robert, souvent relégués au rang d'écrits arides et techniques. Je suis agacé par cette idée qui traîne partout que Hugo écrirait comme une espèce de robinet qui s'ouvre. Journet a dit que la création hugolienne lui rappelait celle de Mallarmé. Il travaille à partir de noyaux.
CLAUDE MILLET : oui, ce sont des " polypes " proliférant.
JEAN-CLAUDE FIZAINE : Judith Wulf dans Hugo et la langue a fait uine belle contribution sur le madrépore, qui va dans ce sens.
ARNAUD LASTER : L'écriture se cherche à partir d'eux.
JEAN-CLAUDE FIZAINE : La notion de mouvement est aussi importante, il est judicieux d'avoir rappelé Meschonnic. C'est la dynamique qui compte. L'écriture prolifère à partir du milieu, comme un volcan. Ce n'est pas du collage, ce n'est pas du rafistolage, mais le centre d'une expansion.
ARNAUD LASTER : Il n'est pas sûr que ce soit l'avis de Journet. Car il remet en question la notion de mouvement.
CLAUDE MILLET : Parler de mouvement, ce n'est pas forcément assimiler la création hugolienne à du spontanéisme.
ARNAUD LASTER : L'idée du dernier vers comme amorce serait à affiner, ce n'est pas toujours le cas.
CLAUDE MILLET : Mais c'est bien ce que Claire Montanari a étudié. Peut-être serait-il judicieux de regarder Les métaphores de l'organisme pour rendre compte de cette prolifération organique de l'écriture, à partir de noyaux générateurs pour y trouver des modèles descriptifs.

 

Un " je " lyrique clivé qui s'inscrit dans l'actualité :

FRANCK LAURENT : L'analyse très précise de Claire Montanari montre bien que ce recueil est fondateur du mouvement poétique hugolien. Premièrement le commencement par la fin n'est pas valérien, mais baudelairien, à partir des écrits de Poe. C'est à verser au dossier du grand intérêt que Baudelaire apporte à ce recueil. Ainsi dans " Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains ", il commence par parler de " La Pente de la Rêverie ". Il se souviendra aussi de beaucoup de vers des Feuilles d'automne. Deuxièmement, la distinction entre les deux figures du moi m'a particulièrement intéressé. Il s'agit d'une grande invention, programmatique, de Hugo : la configuration clivée du je lyrique. Cela est suffisamment important pour qu'il l'énonce dès les premiers poèmes. Ainsi " Ce siècle avait deux ans ", passe d'un " je " empreint d'une mélancolie absolue, au " je " créateur, enthousiaste et napoléonien : " si j'ébranle la scène, etc. ". La juxtaposition est programmatique. Troisièmement : le rapport entre la Préface et le dernier poème. Je rappellerais surtout le rapport entre la Préface et le premier poème, qui s'achèvent l'un et l'autre de la même manière. Enfin, je ne suis pas d'accord avec la manière dont vous présentez la dimension politique du recueil. Ainsi de " Rêverie d'un passant à propos d'un roi ". Le poème est on ne peut plus inscrit dans l'actualité. On y voit le roi de Naples, père de la duchesse de Berry, alors qu'on est en pleine crise institutionnelle ! Et l'arrêté de dissolution de la chambre est pris le lendemain du gala ! En gros, on pourrait dire qu'il s'agit d'un poème d'actualité, de circonstance. Mais il intimise cette politique : c'est la " rêverie d'un passant ". S'y manifeste une capacité d'écoute à ce qui se passe dans la rue. Et de manière plus générale, la Préface emploie la même stratégie, (comme celle des Orientales). Ce ne serait que de la poésie. Et lorsque Hugo énumère les sujets de la poésie intime, il y a certes ceux de l'individu, mais aussi la mention des destins, ou des rois trop faibles. La politique est partout. Autre exemple : " Souvenir d'enfance ". On attendait les Feuillantines (dont l'évocation est programmée dans le dernier poème des Orientales, et c'est de Napoléon qu'il est question. Ce que le poème affirme : la distinction politique/privée n'est pas fausse, mais on ne peut les autonomiser (voir " La Pente de la Rêverie ").
CLAUDE MILLET : On est en train de tourner autour de la poésie de Hugo comme poésie de circonstance.

 Marie Perrin


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