Pendant la Révolution, la théorie neuve des « baïonnettes intelligentes » avait été opposée (Sieyès), pour la seule garde nationale, à la classique « obéissance passive » ; la question était venue en discussion à l’Assemblée en décembre 1850. Le 28 octobre 1851, une circulaire de Saint-Arnaud, tout récent ministre de la guerre, vint donner une surprenante extension à la doctrine militaire : « Plus que jamais, dans les temps où nous sommes, le véritable esprit militaire peut assurer le salut de la société.

 Mais cette confiance que l’armée inspire, elle le doit à sa discipline ; et, nous le savons tous, point de discipline dans une armée où le dogme de l’obéissance passive ferait place au droit d’examen. […]

 Sous les armes, le règlement militaire est l’unique loi.

 La responsabilité, qui fait sa force, ne se partage pas ; elle s’arrête au chef de qui l’ordre émane ; elle couvre à tous les degrés l’obéissance et l’exécution. »

C’était « couvrir » d’avance l’armée entière, du soldat au général de division. C’était aussi ignorer le code pénal dont plusieurs articles n’exonéraient nullement de leur responsabilité les auteurs de crimes ou délits commis dans l’obéissance à un ordre manifestement illégal, et dont plusieurs autres punissaient sévèrement la désobéissance des militaires à l’autorité civile légale (préfectorale par exemple).

C’était enfin, dans la crise en cours, annoncer clairement que l’armée, au mépris de la Constitution, s’affranchissait de son devoir d’assurer la sécurité de l’Assemblée. Cette dernière y répondit par la « proposition des questeurs ».

L’armée du 2 décembre était préparée au coup d’Etat. Elle l’était par ce « dogme », dont la circulaire d’octobre n’est que l’avant- dernière formulation avant exécution : Magnan la répète de vive voix aux 21 officiers généraux de l’armée de Paris réunis aux Tuileries à la mi-novembre ; elle l’était aussi par toutes de sortes de dispositions concrètes (gestion des commandements, encasernement scrupuleux, mise en première ligne des unités « sûres », fournitures généreuses, etc.) ; elle l’était également, surtout peut-être, par le rôle répressif qu’on lui faisait tenir depuis le printemps 1848 et qu’elle avait si bien rempli aux journées de Juin. Elle l’était enfin par les habitudes d’extrême brutalité, et d’indifférence à toute « loi de la guerre », prises depuis vingt ans en Algérie. Cassagnac : « L’armée avait confiance dans son général [Saint-Arnaud], qu’elle voyait le front ceint des lauriers si récents de la Kabylie ; elle ne demandait qu’à se mesurer avec les anarchistes, ces Kabyles parisiens. Elle avait confiance aussi dans son général en chef [Magnan], brillant soldat de l’Empire, qui avait déjà comprimé à Lyon [en 1834] les tentatives insensées des ennemis de l’ordre et de la société.»

Tout ceci est concentré dans le célèbre A l’obéissance passive des Châtiments (II, 7) : « O soldats de l’an II ! ô guerres ! épopées !... ».

On oublie à tort que le Second Empire, bien plus que le Premier, ne fut guère autre chose qu’une dictature militaire – comparable, toutes choses égales d’ailleurs, à celle du général Pinochet au Chili.