Le résultat des élections -présidentielle de décembre 1848 et législative de mai 1849- avait été largement surdéterminé par les événements de mai et surtout de juin 1848 qui avaient semblé ouvrir une ère de désordres plus ou moins sanglants, comme durant la Première République. Le retour au calme dissipa ces craintes ; puis, peu à peu, l’affaiblissement des franges extrémistes de la gauche, qui permet sa réunification dans un programme réformiste et de défense républicaine, mais aussi les excès de la droite (restriction des libertés –celle de la presse en particulier–, arrogance du « parti prêtre » reprenant le pouvoir et faisant révoquer nombre d’instituteurs après la loi Falloux, soutien inconditionnel à la souveraineté rétrograde du pape) font revenir l’électorat bourgeois et populaire vers son adhésion initiale à la République. Les élections partielles du printemps 1850 le prouvent qui, quoique arithmétiquement gagnées par la droite, enregistrent son important recul, à Paris bien sûr, mais aussi en province et jusque dans les campagnes. Les conservateurs s’en effrayèrent. Par diverses mesures –comme la preuve fiscale exigée d’une résidence stable durant trois années consécutives, qui mettait hors jeu beaucoup de travailleurs, saisonniers ou non–, la loi du 31 mai 1850 réduisait du tiers le corps électoral (10 à 7 millions). Hugo s’illustra à l’Assemblée (Actes et Paroles, I, 6 ; p. 240 et suiv.) en combattant cette amputation inconstitutionnelle du suffrage universel. Elle ne discréditait pas seulement la droite, mais l’Assemblée elle-même et, au-delà, la République.

Sur le moment, les républicains s’en tinrent aux formes légales de l’opposition à cette loi mais « ne dissimulèrent pas que si le suffrage universel n’était pas rétabli avant les élections générales de mai 1852, ils se considéreraient comme autorisés à revendiquer le droit écrit dans la Constitution, les armes à la main s’il le fallait. » (Ténot) Cela laissait attendre une crise, peut-être violente, en 1852. Cette crainte, attisée par la droite (Romieu s’y emploie dans son Spectre rouge de 1852), faisait dès lors apparaître comme un moindre mal, aux yeux des conservateurs de toutes sortes, une initiative du prince-président, dont le mandat s’achevait également en mai 1852, pour rester au pouvoir.

La loi du 31 mai, mise en discussion à l’initiative du gouvernement et du président, était-elle un piège tendu à l’Assemblée? Peut-être pas, mais, son impopularité constatée, Louis-Napoléon Bonaparte fit en sorte, par ses divers canaux d’action sur l’opinion, de ne pas y sembler compromis. Mieux, à la rentrée parlementaire de 1851, son message à l’Assemblée propose de l’abroger. La gauche l’approuve, passant sur son opposition au prince-président et sur sa méfiance envers le prétendant. La droite, pas unanime, le reçoit comme une provocation et y répond par la « proposition des questeurs ». L’abrogation est repoussée de justesse le 13 novembre (348/355) laissant au coup d’Etat l’avantage du rétablissement apparent du suffrage universel.

La proposition des questeurs fut rejetée le 17 novembre : en une semaine l’Assemblée s’était privée de ses deux seules armes contre le prince-président. Non par aveuglement. A tout prendre, la droite préférait les risques –les chances pour sa composante bonapartiste– d’un coup d’Etat à ceux d’un succès des républicains et socialistes aux élections, législative puis présidentielle, de 1852 ; la gauche à ceux d’une dénaturation légale de la République, ou d’une restauration.