Séance du 5 avril 2025
Présents: Jordi Brahamcha-Marin, Jacques Cassier, Ismaël Elkari, Jean-Marc Hovasse, Victor Kolta, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Lisa Mekhaldi, Alexander Michalovic, Olivier Ritz, Myriam Roman, Guy Rosa, Nicole Savy.
Excusés : Gérard Audinet, Samantha Caretti, Françoise Chenet, Florence Naugrette, Christine Ponsignon, Guy Trigalot.
Informations
Deux spectacles sont évoqués, mais non commentés, faute de combattants : Mille francs de récompense, mise en scène de Camille de la Guillonnièreau théâtre Montansier à Versailles (du 26 au 28 mars) et Le Roman d’une vie, d’après Les Misérables, mise en scène de Marjorie Nakache au Studio Théâtre de Stains (du 6 mars au 3 avril).
Arnaud Laster évoque son Festival Victor Hugo & Égaux. Il célèbre cette année Guy de Maupassant et Victor Hugo. Séance d’ouverture le 10 avril 2025 à l’Hôtel de Ville, « La sexualité vue par Hugo et Maupassant dans leurs œuvres » (14h-18h). La suite ici : https://victor-hugo.org/festival-victor-hugo-et-egaux-2025-hugo-et-guy-de-maupassant/
Jean-Marc Hovasse présente Jordi Brahamcha-Marin et fait de nouveau circuler le beau livre issu de sa thèse, La Réception critique de la poésie de Victor Hugo en France, 1914-1944, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2025.
Jordi Brahamcha-Marin présente (brièvement) l’ANR e-BdF, dir. Elsa Courant, sur lequel il travaille au CNRS (CELLF), ainsi que son appel à participation pour le colloque de clôture, « Écrire, lire, classer. Formes, usages et imaginaires de la bibliographie (XIXe-XXIe siècles) » : https://www.fabula.org/actualites/126821/ecrire-lire-classer-formes-usages-et-imaginaires-de-la-bibliographie-xixe-xxie-siecles.html
Victor Kolta relaie aussi l’appel à communication de Camille Page « Victor Hugo en images (revue Textimage. Un auteur en images) : https://www.fabula.org/actualites/126194/victor-hugo-en-images-revue-textimage-un-auteur-en-images.html
Communication de Jordi Brahamcha-Marin : Romantisme, classicisme, modernité : comment inscrire Hugo dans l’histoire de la poésie française (1914-1944) ? (voir texte joint)
Discussion
Jean-Marc Hovasse remercie l’orateur : les hugoliens sont rassurés de constater que les travaux d’érudition dans lesquels il est plongé ne l’ont pas éloigné d’eux.
Alexander Michalovic : en qualité de professeur, on est souvent confronté à l’aporie de la définition du romantisme, parfois de manière figée. L’hugophobie relative de Valéry est peut-être à nuancer : dans « Le Cimetière marin », on retrouve Hugo. Et Valéry était lié à Anna de Noailles, qui elle défendait ardemment Victor Hugo, et revendiquait sa paternité, particulièrement pour le choix d’écrire en vers.
Jordi Brahamcha-Marin : Sur Hugo et Valéry, la critique est équitablement partagée : il y a autant de critiques qui le pensent hugophile que de critiques qui le pensent hugophobe (ce qu’il est, au fond). Il existe certes des différences sensibles entre les textes destinés à être publiés (comme le fameux mais tortueux « Hugo créateur par la forme », repris dans Variété) et les textes des Cahiers. Valéry refuse l’inspiration, il fait l’apologie du travail poétique ; il est gêné au fond, après Baudelaire et bien d’autres, par la prolixité de Victor Hugo. Mais il partage bien avec Anna de Noailles le choix du vers, malgré son enterrement mis en scène par son maître Mallarmé à la mort de Victor Hugo (« Il était le vers personnellement »). La question de la versification, de la métrique, est de manière générale une porte d’entrée technique un peu facile pour les critiques qui ne disent rien de bien intéressant sur cette question (contrairement aux poètes). Quant à définir le romantisme, c’est un éternel problème. Pour les élèves et les étudiants, j’étais arrivé à ceci, qui vaut ce que ça vaut : « le romantisme fait passer l’originalité au premier plan. »
À propos de la réception de Victor Hugo, Nicole Savy évoque une discussion avec Anne Ubersfeld, qui souhaitait écrire un livre sur Aragon et Hugo (tout Aragon, pas uniquement celui des textes bien connus sur Hugo). Puis elle se demande si le recours à l’interdisciplinarité ne serait pas utile pour aider à définir le romantisme. Pour les historiens de l’art, par exemple, il est clair que le romantisme se termine autour de 1830 – en 1848 pour les plus tardifs (la sculpture un peu plus tard que la peinture sans doute). Le romantisme pour eux n’a rien de sentimental, ce n’est pas la primauté de l’amour et de la nature des histoires littéraires, il est d’abord historique et militaire, c’est « La Liberté guidant le peuple » et « Le Radeau de la Méduse »…
Myriam Roman : Est-ce qu’on ne pourrait pas dire que, dans l’histoire de l’art, le romantisme en peinture est associé à une peinture narrative, un peu comme dans les poèmes de Vigny ? On pourrait rapprocher les grandes dimensions des tableaux de Géricault à celles de ses poèmes, tous deux racontant des histoires. En tout cas cette réflexion sur les chronologies des différents arts, qui ne coïncident pas forcément, est intéressante.
Nicole Savy : Géricault a peint « Le Radeau de la Méduse » bien sûr, mais aussi des têtes de fous. Sa peinture est aussi humaniste, pas uniquement héroïque, militaire ou narrative.
Jordi Brahamcha-Marin : Il est très possible, en effet, que l’histoire de l’art joue un rôle important dans les imaginaires chronologiques du romantisme. Il faudrait voir, dans les célébrations officielles du romantisme (ses centenaires célébrés en 1927 et surtout en 1930, Cromwell et Hernani), ce qui était montré dans les expositions. Quant à Aragon, il est assurément l’un des plus grands hugophiles de son siècle, sinon le plus grand, mais il s’intéresse plutôt à la création réaliste. Il va aller chercher l’inventivité lexicale par exemple au nom du réalisme.
Le cours Victor Hugo en Sorbonne
Jacques Cassier : La création de la chaire Victor Hugo a été un moment important. Paul Berret en a été éliminé par une cabale, c’était pourtant le meilleur des prétendants.
Jordi Brahamcha-Marin : J’ai en effet trouvé mention de cette cabale, mais uniquement par lui-même, dans son discours de réception à l’Académie delphinale, une dizaine d’années après les faits. En réalité, si cabale il y a eu, c’était contre le principe même d’un cours Victor Hugo en Sorbonne, et elle venait clairement de l’extrême-droite. Les titulaires en ont finalement été successivement André Le Breton et Georges Ascoli. Paul Berret était pour sûr un excellent critique, mais beaucoup moins novateur que ceux de la génération suivante.
Victor Kolta : Dans les archives de la Maison où nous sommes se trouvent des comptes rendus des réunions et délibérations de la Société Victor Hugo, plus ou moins à l’origine de ce cours en Sorbonne. Il pourrait être intéressant de les consulter, je ne les ai découverts que récemment.
Olivier Ritz : Victor Hugo se représentait lui-même à l’avant-garde littéraire et politique. Le Hugo politique est-il aussi présent dans la tradition scolaire de cette époque-là ?
Jordi Brahamcha-Marin : Oui, bien sûr, même si j’ai davantage parlé dans mon exposé du Hugo poète de l’enfance et de la nature. Mais les manuels scolaires célèbrent sans conteste un Hugo républicain : Les Châtiments y sont très présents.
Alexandre Michalovic : Aujourd’hui encore, ou de nouveau, Hugo est majoritairement présent dans la catégorie « littérature d’idées » – celui de « Melancholia », des discours, du Dernier Jour d’un condamné et bien sûr des Misérables.
Guy Rosa : Entre-temps, il y a eu la période de l’après-guerre, c’est Lagarde et Michard qui étaient nettement moins progressistes.
Jean-Marc Hovasse : À propos de la grande trilogie romantique Lamartine, Hugo, Musset, qui réunit à l’image d’Anatole France dans Les Poèmes du souvenir « Le Lac », « Tristesse d’Olympio » et « Souvenir », je me suis étonné, en étudiant cette année « La Maison du berger », de constater à quel point Vigny avait consciemment voulu, avec ce grand poème, en proposer le troisième ou le quatrième terme. Est-ce que l’on trouve cette association à cette époque-là ?
Jordi Brahamcha-Marin : Non, dans les manuels c’est plus souvent un trio (où Vigny remplace éventuellement Musset) qu’un quatuor. Camille Le Senne, sans doute l’un des seuls qui adjoint Vigny à ce trio de poèmes sur la nature et l’amour, choisit curieusement « Moïse » !
Lisa Mekhaldi : Si l’on a eu et si l’on a toujours tant de mal à construire la figure d’un Hugo philosophe, n’est-ce pas justement parce qu’il s’agit dans l’imaginaire collectif d’un romantique, d’un poète de la démesure, aux antipodes de la raison ?
Jordi Brahamcha-Marin : Certainement. On ne compte plus les critiques contre son prétendu verbalisme, le « Hugo bête comme l’Himalaya » de Leconte de Lisle – qu’il lui arrivait même de revendiquer ironiquement, comme dans le poème des Quatre Vents de l’Esprit (I, 38) : « Oui, vous avez raison, je suis un imbécile. »
Guy Rosa : Rousseau pourrait se plaindre avec autant et même plus de raison que Victor Hugo d’être universitairement davantage du côté de la littérature que du côté de la philosophie…
Lisa Mekhaldi : Mais Baudelaire est souvent convoqué en histoire de l’art et en esthétique, si bien que son héritage philosophique semble comparativement plus important que celui de Victor Hugo.
Jean-Marc Hovasse : Depuis les livres de Renouvier, il existe quand même un Hugo philosophe dont la figure est assez régulièrement remotivée au cours du siècle (voir l’excellent article de Myriam Roman dans le Dictionnaire philosophique, euh… non, dans le Dictionnaire Victor Hugo).
Victor Kolta : Il est tout de même regrettable que ce Hugo philosophe soit toujours étudié par les critiques à partir du sixième livre des Contemplations, par exemple, des Châtiments et de la Première Série de La Légende des siècles, et jamais – à quelques exceptions près, qui confirment la règle (Renouvier, justement, et peut-être Van Tieghem) – à partir de la fameuse tétralogie philosophique des années 1880.
Guy Rosa : Cette tétralogie souffre de son statut éditorial : elle est composée de poèmes à la fois trop longs (comme poèmes) et trop courts (comme livres). D’autre part, si Hugo ne les a pas publiés au moment où il les a écrits, c’est peut-être qu’il avait ses raisons et il a couru en connaissance de cause le risque qu’ils soient considérés comme œuvres de la vieillesse.
Victor Kolta : Des raisons par forcément personnelles, mais étroitement liées au contexte, au moment, à ses éditeurs, etc.
Guy Rosa, revenant à l’orateur : Il ne faudrait pas conclure de votre exposé que Victor Hugo est un écrivain total : classique+romantique+moderne. Votre propos dit qu’il y a des discours critiques intéressés qui classent Hugo d’une manière ou d’une autre selon des critères qui leur sont propres. Ils ne parlent pas de Victor Hugo, finalement, ils parlent de tout autre chose, notamment du classement historico-esthétique qu’ils imposent.
Jordi Brahamcha-Marin : En effet, et ce n’est pas mon propos. Je donne un avis plus ferme en conclusion. J’essaie de ne pas être dupe de mes auteurs.
Guy Rosa : Vous ne l’êtes pas vous-même, c’est certain, j’adressais cet mise en garde à vos lecteurs et à vos auditeurs, donc à nous.
Victor Kolta