[f° 77, à l’encre rouge ; au crayon « 77 » ; les deux sont barrés à l’encre bleue et remplacés par « 78 »]
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L’Art et la Science
[f° 79, première page d’une double feuille; au crayon, au coin gauche, « 1 » presque entièrempent effacé. blanc au haut de la page, ensuite occupé par la réfection du début du chapitre. Les trois premières lignes sont écrites sur une feuille du mêrme papier bleu que le reste du manuscrit. Ce qui suit est écrit sur de plus petits morceaux de papier blanc, collés sur la feuille bleue.]
Force gens, de nos jours, volontiers agents de change [corrige « avocats »( ?)] et souvent notaires, [« , volontiers… » est placé entre barres verticales] disent et répètent ceci [barré à la copie] : la poésie s’en va. [Réfection de deux incipit entre lesquels le choix n’est pas fait avant qu'ils soient rayés ensemble: 1. « Panurge est chef d’école. J’ai bien peur que ce ne soit lui qui ait dit de nos jours cette bêtise, à voir la quantité [f° 80, papier blanc] de gens qui la répètent : – La Poésie s’en va.– »
2. « La niaiserie étant une pente facile, on a coutume de nos jours de dire + et de répéter cette ineptie : la poésie s’en va. »] C’est à peu près comme si l’on disait : il n’y a plus de roses, le printemps a rendu l’âme [« a rendu l’âme » corrige « est mort », de même à la copie] , le soleil a perdu l’habitude de se lever, parcourez tous les prés de la terre, vous n’y trouverez pas un papillon, il n’y a plus de clair de lune et le rossignol ne chante plus, le lion ne rugit plus, l’aigle ne plane plus, les Alpes et les Pyrénées s’en sont allées, il n’y a plus de belles jeunes filles et de beaux jeunes hommes, personne ne songe plus aux tombes, la mère n’aime plus son enfant, le ciel est éteint, [f° 81, papier blanc] le cœur humain est mort. –
S’il était permis de mêler le contingent à l’éternel, ce serait plutôt le contraire qui serait vrai. Jamais les facultés de l’âme humaine, fouillée et enrichie par le creusement mystérieux des révolutions, n’ont été plus profondes et plus hautes.
Et attendez un peu de temps, laissez se réaliser [corrige « venir »] cette imminence du salut social, l’enseignement gratuit et obligatoire, que faut-il? un quart de siècle, et représentez-vous l’incalculable [corrige, à l’encre rouge, « immense » ; de même à la copie] somme de développement [f° 82, papier bleu ; y sont collés deux bandes de papier banc contenant le texte, écrit sans marge] [f° 83, papier blanc] intellectuel que contient ce seul [« ce seul » en sc. sur +] mot : tout le monde sait lire! La multiplication des lecteurs, c’est la multiplication des pains. Le jour où Christ [corrige « le Nazaréen »( ?)] a créé ce symbole, il a entrevu l’imprimerie. Son miracle, c’est ce prodige. Voici un livre. J’en nourrirai cinq mille âmes, cent mille âmes, un million d’âmes, toute l’humanité. Dans Christ faisant éclore les pains, il y a Gutenberg faisant éclore les livres. Un semeur annonce l’autre.
Qu’est-ce que le genre humain depuis l’origine des siècles? c’est un liseur. Il a longtemps [corrige « d’abord »] épelé, il épèle encore; bientôt il lira.
Cet enfant de six mille ans a été d’abord à l’école. Où? dans la nature. Au commencement, [« Au commencement, » : addition] n’ayant pas d’autre [f° 84, papier blanc ; numéroté à gauche « 2 »] livre, [« livre, » : addition, sans doute en raison d’un défaut de raccord entre les deux morceaux de papier] il a épelé l’univers. Il a eu l’enseignement primaire des nuées, du firmament, des météores, des fleurs, des bêtes, des forêts, des saisons, des phénomènes. Le pêcheur d’Ionie étudie la vague, le pâtre de Chaldée épèle l’étoile. Puis sont venus les premiers livres. Sublime progrès. Le livre est plus vaste [en sc. sur « grand »] encore que ce spectacle, car à la chose, il ajoute l’idée. Si quelque chose est plus grand que Dieu vu dans le soleil, c’est Dieu vu dans Homère.
L’univers sans le livre, c’est la science qui s’ébauche; l’univers avec le livre, c’est l’idéal qui apparaît. Aussi, modification immédiate dans le phénomène humain. Où il n’y avait que la force, la puissance se révèle. L’idéal appliqué aux faits réels, c’est la civilisation. La poésie écrite et chantée commence son œuvre, déduction magnifique [corrige à l'encre rouge « sublime » ; de même à la copie] et efficace de la poésie vue. Chose frappante à énoncer, la science rêvait, la poésie agit. Avec un bruit de lyre, le penseur chasse la [f° 85, demi-feuille de papier bleu ; au coin gauche, au crayon, « 2 » ; y est collée une bande de papier blanc, numérotée 86] férocité. [virgule corrigée en point] [trois lignes barrées : « dictus ob hoc lenire tigres, et bâtit des villes, ce que Hermès n’avait pas même essayé, la poésie le » ( ?) La citation est reprise aux f° 291 et 295.]
Nous reviendrons plus tard sur cette puissance du livre, n’y insistons pas en ce moment ; [« Nous reviendrons… » : correction à l’encre rouge ; première rédaction : « N’insistons pas sur cette puissance du livre, » ; de même à la copie] elle éclate. Or, beaucoup d’écrivants, peu de lisants; tel était le monde jusqu’à ce jour. [« Or » barré] Ceci va changer. L’enseignement obligatoire, c’est pour la lumière une recrue d’âmes. Désormais tous les progrès se feront dans l’humanité par le grossissement de la légion lettrée [en sc. sur « lisante » ; de même à la copie] . Le diamètre du bien [« moral » barré en correction cursive] idéal et moral correspond toujours à l’ouverture des intelligences. Tant vaut le cerveau, tant vaut le cœur.
Le livre est l’outil de cette transformation. Une alimentation de lumière, voilà ce qu’il faut à l’humanité. La lecture, c’est la nourriture. [« De là l’analogie de tout à l’heure entre Christ et Gutemberg. » barré ; de même à la copie.] De là l’importance de l’école, partout adéquate à la civilisation. Le genre humain va enfin ouvrir le livre tout grand. L’immense [en sc. sur « La grande » ; de même à la copie] Bible humaine, [f° 87, bande de papier blanc, collée à la précédente et portant à gauche, « 3 »] composée de tous les prophètes, de tous les poëtes, de tous les philosophes, va [faux départ : « flamboyer et » barré] resplendir et flamboyer sous le foyer de cette énorme lentille lumineuse, l’enseignement obligatoire.
L’humanité lisant, c’est l’humanité sachant.
Quelle niaiserie donc que celle-ci : la poésie s’en va! on pourrait crier : elle arrive! Qui dit poésie dit philosophie et lumière. Or le règne du livre commence. L’école est sa pourvoyeuse [corrige « servante » ( ?)] . [« L’école… » : correction d’une ligne barrée] Augmentez le lecteur, vous augmentez le livre. Non, certes, en valeur intrinsèque, il est ce qu’il était, mais en puissance efficace, il agit où il n’agissait pas. [f° 88, papier bleu, au coin gauche, au crayon, « 3 » ; sur cette feuille sont collées deux bandes de papier blanc, portant le texte] [f° 89 , papier blanc ; le bord supérieur porte trace d’une découpe qui laisse apparaître la partie basse des lettres de la ligne supérieure] Les [minuscule non pertinente] âmes lui deviennent sujettes pour le bien. Il n’était que beau; il est utile.
Qui oserait nier ceci? Le cercle des lecteurs s’élargissant, le cercle des livres lus s’accroîtra. Or, le besoin de lire étant une traînée de poudre [« le besoin… » corrige, à l’encre rouge, « la lecture étant une faim» ; de même à la copie] , une fois allumé il [corrige à l'encre rouge « allumée, elle » ; de même à la copie] ne s’arrêtera plus, et, ceci combiné avec la simplification du travail matériel par les machines et l’augmentation du loisir de l’homme, le corps moins fatigué laissant l’intelligence plus libre, [f° 90, bande de papier blanc ; elle porte, écrit transversalement de la main de Hugo : « M. Hachette / Affaire Vapereau ». Cette « affaire » n’est pas documentée ; une lettre à Hetzel du 18 novembre 1862 y fait une allusion obscure.] de vastes appétits [corrige, à l’encre rouge, « besoins » ; de même à la copie] de pensée s’éveilleront dans tous les cerveaux; l’insatiable soif de connaître et de méditer deviendra de plus en plus la préoccupation humaine; les lieux bas seront désertés pour les lieux hauts, ascension naturelle de l’intelligence grandissante ; de toutes parts [« ; de toutes parts » : addition] on lira l’Iliade, [« à la + » : addition abandonnée] on lira Job, on lira la Divine Comédie, on lira l’Orestie et Hamlet, on aura appétit d’idéal, parce que la délicatesse des esprits augmente en proportion de leur force, et un jour viendra où, en pleine civilisation et en pleine lumière, ces sommets [corrige « + »] [« aujourd’hui », barré] presque déserts pendant des siècles [« pendant des siècles » : addition] et hantés seulement par l’élite, Homère, Eschyle, Dante, Shakspeare, seront couverts d’âmes venant chercher leur nourriture sur les cimes. [« les lieux bas seront désertés… » toute cette fin du paragraphe a été oubliée par la copiste et ajoutée en marge par VH, avec un texte différent en plusieurs endroits : « les lieux bas seront désertés pour les lieux hauts, ascension naturelle de toute intelligence grandissante ; on quittera Faublas et on lira l’Orestie ; [« le poétique deviendra » barré] là on goutera au grand et une fois qu’on y aura goûté, on ne s’en rassasiera plus, on dévorera le beau, parce que la délicatesse des esprits augmente en proportion de leur force, et un jour viendra où, [« en pleine civilisation et en pleine + » barré] le plein de la civilisation se faisant, ces sommets presque déserts pendant des siècles, et hantés seulement par l’élite, Lucrèce, Dante, Shakespeare, seront couverts d’âmes venant chercher leur nourriture sur les cîmes. »]
[f° 91, première page d’une double feuille de papier bleu ; au coin gauche, au crayon, 4 » ]
II
[ajouté postérieurement sur la feuille bleue où est collée une bande d’abonnement dont Hugo a employé le verso et où on lit : « Du 16 Oct. 62 LA PRESSE au 16 Janv. » ; elle est numérotée 92. Le texte commence sans retrait d’alinéa.]
[f° 92] Il ne saurait y avoir deux lois : l’unité de loi résulte de l’unité d’essence; nature et art sont les deux versants d’un même fait. Et, en principe, sauf la restriction que nous indiquerons tout à l’heure, [« Et, en principe… » : addition ; elle remplace « Et »] la loi de l’un est la loi de l’autre. L’angle de réflexion [f° 93 : numéro porté sur la deuxième partie de la bande] égale l’angle d’incidence. Tout étant équité dans l’ordre moral et équilibre dans l’ordre matériel, tout est équation dans l’ordre intellectuel. Le binôme, cette merveille ajustable à [corrige « qui explique»] tout, n’est pas moins inclus dans la poésie que dans l’algèbre. La nature plus l’humanité, élevées [« s » ajouté] à la seconde puissance, donnent [« nt » ajouté] l’art. Voilà le binôme intellectuel. Maintenant remplacez cet A + B par le chiffre spécial propre [barré à la copie] à chaque grand artiste et à chaque grand poëte, et vous aurez dans sa physionomie multiple et dans son total rigoureux chacune des créations [corrige « œuvres »] de l’esprit humain. La variété des chefs d’œuvre résultant de l’unité de loi, quoi de [« plus saisissant et de » barré] plus beau? La poésie [corrige « L’art »] , comme la science, a une racine abstraite; la science sort de là chef d’œuvre de métal, de bois, de feu et [f° 94, papier bleu ] d’air, machine, navire, aéroscaphe, locomotive; la poésie sort de là chef-d’œuvre de chair et d’os, Iliade, Cantique des Cantiques, Romancero, Divine Comédie, Macbeth. Rien n’éveille et ne prolonge le saisissement du songeur comme ces exfoliations mystérieuses de l’abstraction en réalités dans la double région, l’une exacte, l’autre [« la pensée humaine » barré] infinie, de la pensée humaine. Région double, et une pourtant; l’infini est une exactitude. Le profond mot Nombre est à la base de la pensée de l’homme; il est, pour notre intelligence, élément; il signifie harmonie aussi bien que mathématique. [faux départ : « Toutes les explosions de la passion, toutes les violences du cœur, toutes les irradiations de l’imagination » : la phrase est abandonnée inachevée et le texte initial repartait sur « La palpitation tumultueuse… »] Le nombre se révèle à l’art par le rhythme, qui est le battement du cœur de l’infini. Dans le rhythme, loi de l’ordre, on sent Dieu. Un vers est nombreux comme une foule; ses pieds marchent du pas cadencé d’une légion. Sans le nombre, pas de science; sans le nombre, pas de poésie. La strophe, l’épopée, le drame, [« Le nombre se révèle… » : addition] la [correction cursive de « les »] palpitation tumultueuse de l’homme [corrige « du cœur »] , l’explosion de l’amour [corrige « de la passion »] , l’irradiation de l’imagination, toute cette nuée avec ses éclairs, la passion [corrige « poésie »(?)] , le mystérieux mot Nombre régit tout cela, ainsi [corrige « en même temps »] que la géométrie et l’arithmétique ; en même temps que les sections coniques et le calcul différentiel et intégral, Ajax [corrige « Patrocle »( ?)], Hector, Hécube, les sept chefs devant Thèbes [« les sept… » corrige « Prométhée enchaîné »] , Œdipe, [addition] Ugolin, Messaline, [addition] Lear et Priam, Roméo, Desdemona, Richard III, Pantagruel, le Cid, [« Richard III… » corrige et complète « Achille, »] Alceste, lui appartiennent; il part de Deux et Deux font Quatre, et il monte jusqu’au lieu des foudres.
Pourtant, entre l’art et la science, signalons une différence radicale. La science est perfectible; l’art, non.
Pourquoi?
[au bas de la feuille, d’une autre écriture et au crayon, cette préparation de la rédaction : « Pourtant entre l’art et la science une différence radicale. La science est perfectible l’art non. – Pourquoi ? »]
[f° 95 blanc; f° 96: au coin supérieur gauche, au crayon: « 5 double » de la main de Hugo]
III [addition probable]
[Deux premières lignes barrées : « La poésie ne peut décroître. Pourquoi ? [correction barrée : « Et la raison, la voici »] » Même début que le folio 110.]
Parmi les choses humaines, et en tant que chose humaine, l’art est dans une exception singulière.
La beauté de toute chose ici-bas, c’est de pouvoir se perfectionner. Tout est doué de cette propriété : croître, s’augmenter, se fortifier, gagner, avancer, [addition] valoir mieux aujourd’hui qu’hier; c’est à la fois la gloire et la vie. La beauté de l’art, c’est de n’être pas susceptible de perfectionnement.
Insistons sur ces idées essentielles, déjà effleurées dans quelques-unes des pages qui précèdent [« effleurées… » : corrige « indiquées plus haut »] . [« Insistons… » : addition. Hugo ajoute d’abord « Insistons sur ces idées essentielles », puis ajoute « , déjà indiquées plus haut. » et enfin corrige par « effleurées dans quelques unes des pages qui précèdent. »]
Un chef d’œuvre existe une fois pour toutes. Le premier poëte qui arrive arrive au sommet. Vous monterez après lui, aussi haut, pas plus haut. Ah! tu t’appelles Dante, soit; mais celui-ci s’appelle Homère.
Le progrès, but sans cesse déplacé, étape toujours renouvelée, a des changements d’horizon. L’idéal, point.
Or, le progrès est le moteur de la science; l’idéal est le générateur de l’art.
C’est ce qui explique pourquoi le perfectionnement est propre à la science, et n’est point propre à l’art.
Un savant fait oublier un savant; un poëte ne fait pas oublier un poëte.
L’art marche à sa manière; il se déplace comme la science; mais ses créations successives [réécrit en marge] , contenant de l’immuable, demeurent, tandis que les admirables [addition] à peu près de la science, n’étant et ne pouvant être que des combinaisons du contingent, s’effacent les uns par les autres. [paragraphe repris d’une addition du f° 282] [f° 98, à l’encre rouge, barré au crayon et ajout de 97 ; première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 5 intérieur »]
Le relatif est dans la science; le définitif [corrige « l’immanent »] est dans l’art. Le chef d’œuvre d’aujourd’hui sera le chef d’œuvre de demain. Shakespeare change-t-il quelque chose à Sophocle [corrige à l’encre rouge « Eschyle » ; de même à la copie] ? Molière ôte-t-il quelque chose à Plaute? même quand il lui prend Amphitryon, il ne le lui ôte pas. Figaro abolit-il Sancho Pança? Cordelia supprime-t-elle Antigone? Non. Les poëtes ne s’entr’escaladent pas. L’un n’est pas le marchepied de l’autre. On s’élève [corrige « monte »] seul, sans autre point d’appui que soi. On n’a pas son pareil sous les pieds. [« L’un n’est pas … » : addition] Les nouveaux venus respectent les vieux. On se succède, on ne se remplace point. Le beau ne chasse pas le beau. Ni les loups, ni les chefs-d’œuvre, ne se mangent entre eux.
St Simon dit : (je cite ceci de mémoire) « –Tout l’hiver on parla avec admiration [« on… » corrige « on ne parla que »] du livre de M. de Cambray, quand tout à coup parut le livre de M. de Meaux qui le dévora. » Si le livre de Fénelon eût été de St Simon, le livre de Bossuet ne l’eût pas dévoré.
Shakespeare n’est pas au dessus de Dante, Rabelais n’est pas au dessus d’Aristophane, Calderon [en sc. sur +] n’est pas au-dessus d’Euripide [en sc. à l'encre rouge sur « Sophocle »; de même à la copie] , la Divine Comédie n’est pas au-dessus de la Genèse [« Calderon… » complète et corrige « la Divine Comédie n’est pas au dessus de l’Apocalypse »] , le Romancero n’est pas au dessus de l’Odyssée, Sirius n’est pas au dessus d’Arcturus. Sublimité, c’est égalité. [Ce paragraphe est repris du f° 282.]
L’esprit humain, c’est l’infini possible. Les chefs-d’œuvre, ces mondes, y éclosent sans cesse [« sans cesse » : addition] et y durent à jamais. Aucune poussée de l’un contre l’autre; aucun recul; les occlusions, quand il y en a, ne sont qu’apparentes, et cessent vite. L’espacement de l’illimité admet toutes les créations.
L’art, en tant qu’art et pris en lui-même, ne va ni en avant, ni en arrière. Les transformations de la poésie ne sont que les ondulations du beau, utiles au mouvement [f° 99, à l’encre rouge, barré au crayon et corrigé 98] humain. Le mouvement humain ; autre côté de la question, que nous ne négligeons, certes, point, et [« , que nous ne négligeons… » : addition] que nous examinerons attentivement [addition] plus tard. L’art n’est point susceptible de progrès intrinsèque. De Phidias à Rembrandt, il y a marche, et non progrès. Les fresques de la chapelle sixtine ne font absolument rien aux métopes du Parthénon. Rétrogradez tant que vous voudrez, du palais de Versailles au Schloss [« de Versailles au Schloss » : addition] de Heidelberg, du Schloss de Heidelberg [« , du schloss de Heidelberg » : addition] à Notre-Dame de Paris, de Notre-Dame à l’Alhambra, de l’Alhambra à Sainte-Sophie, de Sainte-Sophie au Colysée, du Colysée aux Propylées, des Propylées aux Pyramides, vous pouvez reculer dans les siècles, vous ne reculez pas dans l’art. Les pyramides et l’Iliade restent au premier plan.
Les chefs-d’œuvre ont un niveau, le même pour tous, l’absolu. [Ces deux paragraphes sot repris du f° 282]
Une fois l’absolu atteint, tout est dit. Cela ne se dépasse plus. L’œil n’a qu’une quantité d’éblouissement possible.
De là vient la certitude des poëtes. Ils s’appuient sur l’avenir avec une confiance hautaine. Exegi monumentum, dit Horace. Et à cette occasion, il insulte l’airain. [« Et à cette… » : addition de troisième niveau; elle manque à la copie.] Plaudite, cives, dit Plaute. [« Exegi… » : addition de deuxième niveau, à l’encre rouge; de même à la copie] Corneille, à soixante-cinq ans, se fait aimer de la toute jeune marquise de Contades en lui promettant la postérité.
Dans cette race nouvelle,
Où j’aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu’autant que je l’aurai dit.
[« De là vient… » : addition de premier niveau (sauf additions intercalées). Une seconde addition a été ajoutée puis barrée : « Voltaire, septuagénaire, est provoqué à l’amour par une femme éprise de l’avenir. Il se défend.
Si vous voulez que j’aime encore,
Rendez-moi l’âge des amours.
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.
Horace avait subi la même tentation. Solve senescentem. »]
Dans le poëte et dans l’artiste il y a de l’infini. C’est cet ingrédient, l’infini, qui donne à cette sorte de génie la grandeur irréductible. [Deux lignes et demie barrées : « L’infini dans les + + qu’on nous passe l’expression, est + + pour l’immortalité. »]
Cette quantité d’infini, qui est dans l’art, est extérieure au progrès. Elle peut avoir, et elle a, envers le [corrige « vis-à-vis du »] progrès, des devoirs, mais elle ne dépend pas de lui. Elle ne dépend d’aucun des perfectionnements de l’avenir, d’aucune transformation de langue, d’aucune mort ou d’aucune naissance d’idiôme. Elle a en elle l’incommensurable et l’innombrable; elle ne peut être domptée par aucune concurrence; elle est aussi pure, aussi complète, aussi sidérale, aussi divine, [« aussi divine, » : addition] en pleine barbarie qu’en pleine civilisation. Elle est le Beau, divers selon les génies, mais toujours égal à lui-même. Suprême.
Telle est la loi, peu connue, de l’art.
[f° 97, à l’encre rouge, barré au crayon et corrigé 99]
IV
[ajouté au dessus de l’addition qui forme tout le début du chapitre. Le texte initial – « La science fait des découvertes, l’art fait des œuvres… »- commence sans blanc au haut de la page. Numéro de chapitre également ajouté à la copie.]
La science est autre.
Le relatif, qui la gouverne, s’y imprime, et cette série d’empreintes du relatif, de plus en plus ressemblantes au réel, constitue la [« connaissance humaine » barré en correction cursive] certitude mobile de l’homme.
En science, des choses ont été chefs-d’œuvre et ne le sont plus. La machine de Marly a été chef d’œuvre.
La science cherche le mouvement perpétuel. Elle l’a trouvé. C’est elle-même.
La science est continuellement mouvante dans son bienfait.
Tout remue en elle, tout change, tout fait peau neuve. Tout nie tout, tout détruit tout, tout crée tout. Tout remplace tout. Ce qu’on acceptait hier est remis à la meule aujourd’hui. La colossale machine Science ne se repose jamais. Elle n’est jamais satisfaite. Elle est insatiable du Mieux que l’absolu ignore. La vaccine fait question. Le paratonnerre fait question. Jenner a peut-être erré. Franklin s’est peut-être trompé. Cherchons encore [addition]. Cette agitation est superbe. La science est inquiète autour de l’homme. Elle a ses raisons. La science fait dans le progrès le rôle d’utilité. Vénérons cette servante magnifique. [« La science est autre… » : addition]
La science fait des découvertes ; l’art fait des œuvres. La science est un acquêt de l’homme. La science est une échelle ; un savant monte sur l’autre. La poésie est un coup d’aîle [« un coup d’aîle » : corrige « une aîle »] .
Veut-on des exemples ? ils abondent. En voici un, le premier venu qui s’offre à notre mémoire [variante sans choix : « esprit », préférée à la copie] :
Jacob Metzu, scientifiquement Métius, trouve le télescope, par hasard, comme Newton l’attraction et Christophe Colomb l’Amérique. Ouvrons une parenthèse : il n’y a point de hasard [« de hasard » : addition ou correction : le mot avait été oublié] dans la création de l’Orestie ou [« de la divine comédie » barré en correction cursive] du Paradis perdu. Un chef-d’œuvre est voulu. [phrase en addition, à l’encre rouge ; de même à la copie] Après Metzu, vient Galilée qui perfectionne la trouvaille de Metzu, puis Képler qui améliore le perfectionnement de Galilée, puis Descartes qui, tout en se fourvoyant un peu à prendre un verre concave pour oculaire au lieu d’un verre convexe, féconde l’amélioration de Képler, puis le capucin Reita qui rectifie le renversement des objets, puis Huyghens qui fait ce grand pas de placer les deux verres convexes au foyer de l’objectif, et, en moins de cinquante [corrige « quarante » ; même correction aux épreuves] ans, de 1610 à 1659, pendant le court intervalle qui sépare le Nuncius Sydereus de Galilée de l’Oculus Eliæ et Enoch du Père Reita, voilà l’inventeur, Metzu, effacé. Cela est ainsi d’un bout à l’autre de la science.
Végèce était comte de Constantinople, ce qui n’empêche pas sa tactique d’être oubliée. Oubliée comme la stratégie de Polybe, oubliée comme la stratégie de Folard. La Tête de Porc de la Phalange et l’Ordre Aigu [« l’Ordre Aigu » : addition] de la Légion ont un moment reparu, il y a deux cents ans, dans le Coin de Gustave-Adolphe; mais à cette heure, où il n’y a plus ni piquiers comme au quatrième siècle ni lansquenets comme au dix-septième, la [f° 100 ; première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 6 »] pesante attaque triangulaire, qui était autrefois [corrige « jadis »] le fond de toute la tactique, est remplacée par une volée de zouaves chargeant à la bayonnette. Un jour, plus tôt qu’on ne croit peut-être, la charge à la bayonnette sera elle-même remplacée par la paix, européenne d’abord, universelle ensuite, et voilà toute une science, la science militaire, qui [« disparaîtra » barré en correction cursive] s’évanouira. Pour cette science-là, son perfectionnement, c’est sa disparition.
[alinéa ajouté à l’encre rouge ; de même à la copie] La science va sans cesse [« sans cesse » en sc. sur « elle-même »] se raturant elle-même [addition]. Ratures fécondes. [La science va… » : addition] Qui sait maintenant [corrige « aujourd’hui »] ce que c’est que l’Homœomérie d’Anaximène, laquelle est peut-être d’Anaxagore? La cosmographie s’est assez notablement amendée [« s’est assez… » corrige « a eu de l’augmentation », lui-même correction de « a marché »] depuis l’époque où ce même Anaxagore affirmait à Périclès que le soleil est presque aussi grand que le Péloponèse. On a découvert bien des planètes et bien des satellites de planètes depuis les Quatre Astres de Médicis. L’entomologie a eu de l’avancement [corrige « augmentation »] depuis le temps où l’on affirmait que le scarabée était un peu dieu et cousin du soleil, premièrement, [addition] à cause des trente doigts de ses pattes qui correspondent aux trente jours du mois solaire, deuxièmement, parce que le scarabée est sans femelle, comme le soleil; et où st Clément d’Alexandrie [« deuxièmement… » corrige et complète « et où St Clément dans les Tromates »] enchérissant sur Plutarque, faisait remarquer que le scarabée, comme le soleil, passe six mois sur terre et six mois sous terre. Voulez-vous vérifier ? voyez les Stromates, paragraphe IV. [« L’entomologie a eu… » : addition] La scholastique elle-même, toute chimérique qu’elle est, abandonne le Pré Spirituel de Moschus, raille l’Echelle Sainte de Jean Climaque, et rougit du siècle [corrige « temps »] où saint Bernard, attisant le bûcher que voulaient éteindre les vicomtes de Campanie, [« , attisant… » : addition] appelait Arnaud de Bresse « homme à tête de colombe et à queue de scorpion. » Les Qualités Cardinales ne font plus loi en anthropologie. Les Steyardes du grand Arnaud sont caduques. [Un petit morceau de papier collé au verso du folio et numéroté 103 porte l’explication de ce titre : « attaques contre le docteur Martin Steyaert, de Louvain, par le grand Arnaud sous ce titre : Difficultés proposées à M. Steyaert. On appela ces lettres les Steyardes. »] [Le texte qui suit, jusqu’à « …sans aller à la selle. » est une addition qui occupe les f°s 101 et 102 : deux petits carrés de papier (bleu plus clair, vergé) également collés au verso du folio.] Si peu fixée que soit la météorologie, elle n’en est plus pourtant à délibérer, comme au deuxième siècle, si une pluie qui sauve une armée mourant de soif est due aux prières chrétiennes de la légion Mélitine ou à l’intervention payenne de Jupiter Pluvieux. L’astrologue Marcien Posthume était [corrige « est »] pour Jupiter, Tertullien était [corrige « est »] pour la légion Mélitine, personne n’était pour le nuage et le vent. La locomotion, [f° 102] pour aller du char antique de Laïus au rail-way, en passant par la patache, le coche, la turgotine, la diligence et la malle-poste, a fait du chemin; le temps est passé du fameux voyage de Dijon à Paris durant un mois, et nous ne pourrions plus comprendre aujourd’hui l’ébahissement de Henri IV demandant [corrige « disant »] à Joseph Scaliger : Est-il vrai, monsieur l’Escale, que vous avez été de Paris à Dijon sans aller à la selle? [fin des additions, retour au texte principal du f° 100] La micrographie est bien au delà de Leuwenhoëck qui était bien au delà de Swammerdam. Voyez le point où la spermatologie et l’ovologie sont [« et l’ovologie » addition ; singulier corrigé] arrivées aujourd’hui, et rappelez-vous Mariana reprochant à Arnaud de Villeneuve, qui trouva l’alcool et l’huile de thérébenthine, le crime bizarre d’avoir essayé la génération humaine dans une citrouille. Grand-Jean de Fouchy, le peu crédule secrétaire-perpétuel de l’académie des sciences il y a cent ans, eût hoché la tête si quelqu’un lui eût dit que du spectre solaire on passerait au spectre igné, puis au spectre stellaire, et qu’à l’aide du spectre des flammes et du spectre des étoiles, on découvrirait tout [« Grand-Jean de Fouchy… » les dernières lignes du folio, d’une graphie légèrement différente, semblent avoir été ajoutées] [f° 104] un nouveau mode de groupement des astres, et ce qu’on pourrait appeler les constellations chimiques. [« un nouveau mode… » suite de l’ajout. En première rédaction, le folio commençait par :
« Orffyreus, si admiré de S’ Gravesande [fin de la ligne laissée blanche]
le mouvement perpétuel d’Orffyreus, qui aima mieux briser sa machine que de laisser le landgrave de Hesse regarder dedans, ferait hausser les épaules aux [correction : « sourire nos »] mécaniciens. + le moindre médecin de campagne [correction : « un vétérinaire de campagne »] + + + [corrigé : « n’infligerait pas à des chevaux»] le remède que Gallien appliquait » La réfection de ce texte s’effectue en deux temps et est écrite en marge.] Orffyreus, qui aima mieux briser sa machine que d’en laisser voir le dedans au landgrave de Hesse, Orffyreus, si admiré de S’Gravesande, l’auteur du Matheseos universalis Elementa, ferait hausser les épaules à nos mécaniciens. Un vétérinaire de village n’infligerait pas à des chevaux [en sc. sur « bêtes » ( ?)] le remède que Galien appliquait [« Orffyreus, qui aima...»: réfection de la rédaction initiale] aux indigestions de Marc-Aurèle. Que pensent les éminents spécialistes d’aprésent, Desmares en tête, des savantes découvertes faites au dix-septième siècle par l’évêque de Titiopolis dans les fosses nasales? Les momies ont marché; M. Gannal les fait autrement, sinon mieux, que ne les faisaient, du vivant d’Hérodote, les [« paraschistes » barré] taricheutes, [« qui » barré ; Hugo a d’abord écrit : « les paraschistes taricheutes, qui » et s’est alors ravisé] les paraschistes et les cholchytes, les premiers lavant le corps, les seconds l’ouvrant, et les troisièmes l’embaumant. Cinq cents ans [addition correctrice d’oubli] avant Jésus-Christ, il était parfaitement scientifique, quand un roi de Mésopotamie avait une fille possédée du diable, d’envoyer pour la guérir chercher un dieu à Thèbes; on n’a plus recours à cette façon de [« g »[uérir] barré en correction cursive] soigner l’épilepsie. De même qu’on a renoncé aux rois de France pour les écrouelles.
En 371, sous Valens, fils de Gratien le Cordier, les juges mandèrent à leur barre une table accusée de sorcellerie. Cette table avait un complice nommé Hilarius [corrige « Hilarion »]. Hilarius [corrige « Hilarion »] confessa le crime. Ammien Marcellin nous a conservé son aveu [en sc. sur +] recueilli par Zosime, comte et avocat du Fisc : Construximus, magnifici judices, ad cortinæ similitudinem delphicæ [addition, comme aux épreuves] infaustam hanc mensulam quam videtis. Tandem movimus. Hilarius [corrige « Hilarion »] eut la tête tranchée. Qui l’accusait? Un savant géomètre magicien, le même qui conseilla à Valens de décapiter [en sc. sur +] tous ceux dont le nom commençait par Théod. Aujourd’hui on peut s’appeler Théodore et même [addition] faire tourner une table sans qu’un géomètre vous fasse couper la tête. [Ce paragraphe est en addition ; il l’est aussi, de la main de VH, à la copie où les corrections du manuscrits sont d’emblée intégrées.]
On étonnerait fort Solon, [« Antipater, Zénon, » barré en correction cursive] fils d’Exécestidas, Zénon le Stoïcien, Antipater, Eudoxe, [« Apollodore, Platon » barré] Lysis de Tarente, Cébès, Ménédème, [« Lysis… » : addition ; « Ménédème » a d’abord figuré en troisième position] Platon, Epicure, [« Platon,… » : addition, distincte de la précédente] Aristote et Epiménide, si l’on disait à Solon que ce n’est pas [« que ce n’est pas » corrige, en correction cursive, « qu’il n’est pas exact que »] la lune qui règle l’année, à Zénon qu’il n’est point prouvé que l’âme soit divisée en huit parties, à Antipater que le ciel n’est point formé de cinq cercles, à Eudoxe qu’il n’est pas certain qu’entre les égyptiens embaumant les morts, les romains les brûlant et les pæoniens les jetant dans les étangs, ce soient les pæoniens qui aient raison, à Lysis de Tarente [corrige « Apollodore »] qu’il n’est pas exact que la vue soit une vapeur chaude [corrige « figure conoïde»] , à Cébès, qu’il est faux que le principe des éléments soit le triangle oblong et le triangle isocèle, [« à Cébes… » extension de l’addition qui suit] à Ménédème, qu’il n’est point vrai que, pour connaître les mauvaises intentions secrètes des hommes, il suffise d’avoir sur la tête un chapeau arcadien portant les douze signes du zodiaque, [à Ménédème… » : addition] à Platon que l’eau de mer ne guérit pas toutes les maladies, [f° 105, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 7 »] à [« Aristote » barré en correction cursive] Epicure, que la matière est divisible à l’infini, à Aristote, que le cinquième élément n’a pas de mouvement orbiculaire, par la raison qu’il n’y a point de cinquième élément, à Epiménide, qu’on ne détruit pas infailliblement la peste en laissant des brebis noires et blanches aller à l’aventure et en sacrifiant aux dieux inconnus cachés dans les endroits où elles s’arrêtent.
Si vous essayiez d’insinuer à Pythagore qu’il est peu probable qu’il ait été blessé au siège de Troie, lui Pythagore, par Ménélas, deux cent sept ans avant sa naissance, il vous répondrait que le [oublié et ajouté] fait est incontestable [corrige « de toute évidence »] , et que la preuve, c’est qu’il reconnaît parfaitement, pour l’avoir déjà vu, le bouclier de Ménélas suspendu sous la statue d’Apollon, à Branchide, quoique tout pourri, hors la face d’ivoire, et qu’au siège de Troie, il s’appelait Euphorbe, et qu’avant d’être Euphorbe, il était Æthalide, fils de Mercure, et qu’après avoir été Euphorbe il avait été Hermotime, puis Pyrrhus, pêcheur de Délos, puis Pythagore, que tout cela est évident et clair, aussi clair qu’il est clair qu’il a été présent le même jour et à la même minute à Métaponte et à Crotone, aussi évident qu’il est évident qu’en écrivant avec du sang sur un miroir exposé à [« exposé à » corrige « en regard de »] la lune, on voit dans la lune ce qu’on a écrit sur [en sc. sur +] le miroir; et qu’enfin, lui, [« , lui, » : addition] il est Pythagore, [virgule ajoutée à l’encre rouge] logé à Métaponte rue des Muses, l’auteur de la table de multiplication et du carré de l’hypothénuse, le plus grand des mathématiciens, le père de la science exacte, et que vous, vous êtes un imbécile. [Ce paragraphe est en addition.]
Chrysippe de Tarse, qui vivait vers la cent trentième olympiade, est une date dans la science. Ce philosophe, le même qui mourut, à la lettre, de rire en voyant un âne manger des figues dans un bassin d’argent, avait tout étudié, tout approfondi, écrit sept cent cinq volumes, dont trois cent onze de dialectique, sans en avoir dédié un seul à aucun roi, ce qui pétrifie [+ : addition abandonnée] Diogène Laërce. Il [« Il» rétabli après correction abandonnée en « Chrysippe »] condensait dans son cerveau la connaissance humaine. Ses contemporains le nommaient Lumière. Chrysippe signifiant cheval d’or, on le disait dételé du char du soleil. Il prenait pour devise : A MOI. [« Ses contemporains… » : addition en deux temps : la dernière phrase est ajoutée à l’addition initiale.] Il savait d’innombrables choses, entr’autres celles-ci : — La terre est plate. — L’univers est rond et fini. — La meilleure nourriture pour l’homme est la chair humaine. — La communauté des femmes est la base de l’ordre social [addition] . Le père doit épouser sa fille. — Il y a un mot [en sc. sur +] qui tue le serpent, un [« qui appr » barré en correction cursive] mot qui apprivoise l’ours, un mot qui arrête [« l’aigle » barré en correction cursive] court les aigles, et un mot qui chasse les bœufs des champs de fèves. [« Il y a un mot… » : corrige trois lignes, reprises plus loin : « La terre est portée par l’air comme par un char. – Le + + + + le phenix d’Arabie et les tignes vivent dans le feu. »] — En prononçant d’heure en heure les trois noms [corrige « mots »] de la trinité égyptienne Amon-Mouth-Khons, Andron d’Argos a pu traverser les sables de Libye sans boire. — On ne doit point [oublié et ajouté] fabriquer les cercueils en cyprès, le sceptre de Jupiter étant fait de ce bois. [« – On ne doit… » : addition] — [une ligne barrée, reprise plus loin : « Le soleil boit dans l’océan »] Thémistoclée, prêtresse de Delphes, a eu des enfants et est restée vierge. [« Thémistoclée… » : addition] — Les justes ayant seuls [le ms porte, par inadvertance, le singulier] l’autorité de jurer, c’est par équité qu’on donne à Jupiter le nom de Jureur. [« Les justes… » : addition à l’addition qui précède] — Le phénix d’Arabie et les tignes vivent dans le feu. — La terre est portée par l’air comme par un char. — Le soleil boit dans l’océan et la lune boit dans les rivières. — Etc. — [« Etc.– » : addition ; elle manque à la copie] C’est [f° 106] pourquoi les athéniens lui élevèrent une statue sur la place Céramique avec cette inscription : A Chrysippe qui savait tout.
Aux environs de ce temps-là, Sophocle écrivait l’Œdipe roi.
Et Aristote croyait au fait d’Andron d’Argos, et Platon croyait au principe social de la communauté des femmes [« social… » remplace « du triangle oblong et du triangle isocèle »] , et Gorgisippe croyait au fait de la terre plate, et Epicure croyait au fait de la terre portée par l’air, et Hermodamante croyait au fait des paroles magiques maîtresses du bœuf, de l’aigle, de l’ours et du serpent, et Echécrate croyait au fait de la maternité immaculée de Thémistoclée, et Pythagore croyait au fait du sceptre en bois de cyprès de Jupiter, [« et Hermodamante… » : addition] et Posidonius croyait au fait de l’océan donnant à boire au soleil et des rivières donnant à boire à la lune, et Pyrrhon [« le sceptique » barré] croyait au fait des tignes vivant dans le feu. [faux départ barré en correction cursive : « Il doutait de tout et croyait cependant à cela. »]
[alinéa ajouté] A ce détail près, Pyrrhon était sceptique. Il se vengeait de croire cela en doutant de tout le reste.
Tout ce long tâtonnement c’est la science. Cuvier se trompait hier, Lagrange avant-hier, Newton [variante sans choix : « Leibnitz », choisie à la copie] avant Lagrange, Gassendi avant Newton [variante sans choix : « Leibnitz », idem] , Cardan avant Gassendi, Corneille Agrippa avant Cardan, Averroës avant Agrippa, Plotin avant Averroës, Artémidore Daldien avant Plotin, Posidonius avant Artémidore, Démocrite avant Posidonius, Empédocle avant Démocrite, Carnéade avant Empédocle, Platon avant Carnéade, Phérécyde avant Platon, Pittacus avant Phérécyde, Thalès avant Pittacus, et avant Thalès Zoroastre, et avant Zoroastre Sanchoniaton, et avant Sanchoniation [tel, corrigé à la copie] Hermès. Hermès qui signifie science comme Orphée signifie art [« , et avant Thalès… » : addition] . Oh! l’admirable merveille que ce [barré et réécrit] monceau fourmillant de rêves engendrant le réel! O erreurs sacrées, mères lentes, aveugles et saintes de la vérité!
Quelques savants, tels que Képler, Euler, Geoffroy St Hilaire, Arago, n’ont apporté dans la science que de la lumière; ils sont rares.
Parfois la science fait obstacle à la science. Les savants sont pris de scrupules devant l’étude. Pline se scandalise d’Hipparque. Hipparque [faux départ : « essaie de »] à l’aide d’un astrolabe informe, essaie de compter les étoiles et de les nommer. Chose [en sc. sur +] mauvaise envers Dieu, dit Pline. Ausus rem Deo improbam. [Paragraphe en addition]
Compter les étoiles, c’est faire une méchanceté à Dieu. Ce réquisitoire, commencé par Pline contre Hipparque, est continué par l’inquisition contre Campanella. [Paragraphe ajouté à l’addition qui précède.]
[f° 107, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 8 ». Un court trait centré indique que le développement qui suit
La science est l’asymptote de la vérité. Elle approche sans cesse, et ne touche jamais. Du reste, toutes les grandeurs, elle les a. Elle a la volonté, la précision [en sc. sur « patience »] , l’enthousiasme, l’attention profonde, la pénétration, la finesse, la force, la patience d’enchaînement, le guet permanent du phénomène, l’ardeur du progrès, et jusqu’à des accès de bravoure. Témoin, Lapeyrouse; témoin Pilastre de Rosiers; témoin, John Franklin. [« Témoin, La Pérouse : addition] Témoin, Victor Jacquemont; témoin, Livingston. [« Témoin, Victor… : addition à l’addition précédente] Témoin, Mazet. [« Témoin, Mazet » : addition à l’addition précédente] Témoin, à cette heure, Nadar.
Mais elle est série. Elle procède par épreuves superposées l’une à l’autre et dont l’obscur épaississement monte lentement au niveau du vrai.
Rien de pareil dans l’art. L’art n’est pas successif. Tout l’art est ensemble.
Résumons ces quelques pages.
Hippocrate est dépassé, Archimède est dépassé, Aratus [corrige « Hipparque », comme aux épreuves mais pas à la copie] est dépassé, Avicenne est dépassé, Paracelse est dépassé, Nicolas Flamel est dépassé, Ambroise Paré est dépassé, Vésale est dépassé, Kopernic est dépassé, Galilée est dépassé, Newton est dépassé, Clairaut est dépassé, Lavoisier est dépassé, Montgolfier est dépassé, [« Montgolfier… » : addition] Laplace est dépassé. Pindare, non. Phidias, non.
Pascal savant est dépassé; Pascal écrivain ne l’est pas.
On n’enseigne plus l’astronomie de Ptolémée, la géographie de Strabon, la climatologie de Cléostrate, [« la climatologie… » : addition, comme aux épreuves, manquante à la copie] la zoologie de Pline, l’algèbre de Diophante, [« la mécanique d’Aristote, la politique de Platon, » barré pour déplacement] la médecine de Tribunus, la chirurgie de Ronsil, [f° 108] la dialectique de Sphœrus, [« la dialectique… » : addition] la myologie de Sténon, l’uranologie de Tatius, [« l’uranologie… » : addition] la sténographie de Trithème, la pisciculture de Sébastien de Médicis, [« la pisciculture… » : addition, manquante à la copie et faite aux éprreuves] l’arithmétique de Stifels, la géométrie de Tartaglia [en sc. sur « Fontana »] , [« la physique de Descartes, » barré pour déplacement] la chronologie de Scaliger, la météorologie de Stoffler, [« la chronologie… » : addition] l’anatomie de Gassendi, la pathologie de Fernel, la jurisprudence de Robert Barmne, l’agronomie de Quesnay, l’hydrographie de Bouguer, la nautique de Bourdé de Villehuet, la balistique de Gribeauval, l’hippiatrique de Garsault, [« l’hippiatrique… » : addition] l’architectonique de Desgodets, la botanique de Tournefort [corrige à l’encre rouge « Linné » ; de même à la copie] , [« la botanique… » : addition, de même à la copie] la scholastique d’Abailard, la politique de Platon, la mécanique d’Aristote, la physique de Descartes, la théologie de Stillingfleet. On enseignait hier, on enseigne aujourd’hui, on enseignera demain, on enseignera toujours le : Chante, déesse, la colère d’Achille.
La poésie vit d’une vie virtuelle. Les sciences [pluriel en correction cursive] peuvent étendre sa sphère, non augmenter sa puissance [augmenter… » : corrige « accroître sa beauté »] . Homère n’avait que quatre vents pour ses tempêtes; Virgile qui en a douze, Dante qui en a vingt-quatre, Milton qui en a trente-deux, ne les font pas plus belles. [Ce paragraphe est en addition de premier niveau.]
Et il est probable que les tempêtes d’Orphée valaient celles d’Homère, bien qu’Orphée, lui, n’eût, pour soulever les vagues, que deux vents, [« l’Aparctia » barré en correction cursive] le Phœnicias et l’Aparctias, c’est-à-dire le vent du sud et le vent du nord, souvent confondus à tort, observons-le en passant, [« souvent confondus… » corrige « qu’on a, observons-le en passant, confondus à tort »] avec l’Argestes, occident d’été, et le Libs, occident d’hiver. [Ce paragraphe est une addition de troisième niveau : insérée dans le bloc formé par la précédente et la suivante. La même addition est faite aux épreuves.]
Des religions meurent, et en mourant passent aux autres religions qui viennent derrière elles un grand artiste. Serpion fait pour la Vénus Aversative d’Athènes un vase que la Sainte-Vierge accepte de [corrige « prend à » ; même correction aux épreuves] Vénus et qui sert [« de ba » rayé en correction cursive] aujourd’hui de baptistère à la Notre-Dame de Gaëte. [Ce paragraphe est en addition de deuxième niveau : elle étend la première : « La poésie vit… pas plus belle ».]
O éternité de l’art!
Un homme, un mort, une ombre, du fond du passé, à travers les siècles, vous saisit. [Ce qui suit, jusqu’à la fin du chapitre, est d’une écriture différente et probablement ajouté.]
Je me souviens qu’étant adolescent, un jour, à Romorantin, dans une masure que nous avions, sous une treille verte pénétrée d’air et de lumière, [« sous une treille… » : addition] j’avisai sur une planche un livre, [« j’avisai… » corrige « je me mis à lire »] le seul livre qu’il y eût dans la maison, Lucrèce, de Naturâ rerum. Mes professeurs de rhétorique m’en avaient dit beaucoup de mal, ce qui me le recommandait. J’ouvris le livre. Il pouvait être environ midi dans ce moment-là. Je tombai sur ces vers puissants et sereins [« et sereins » : addition] : « — La religion n’est pas de se tourner sans [f° 109 ; au coin gauche, au crayon, « 9 »] cesse vers la pierre voilée, ni de s’approcher de tous les autels, ni de se jeter [corrige « tomber »] à terre prosterné, ni de lever les mains devant les demeures des dieux, ni d’arroser les temples de beaucoup de sang des bêtes, ni d’accumuler [variante sans choix : « entrelacer » éliminée à la copie] les vœux sur [variante sans choix : « dans » éliminée à la copie] les vœux, mais de tout regarder avec une âme tranquille.(1) [appel de note et note en ajout ; de même à la copie]
(1) Nec pietas ulla est, velatum sæpe videri
Vertier ad lapidem, atque omnes accedere ad aras,
Nec procumbere humi prostratum, et pandere palmas
Ante deûm delubra, neque aras sanguine multo
Spargere quadrupedum, nec votis nectere vota ;
Sed mage placatâ posse omnia mente tueri.»
— Je m’arrêtai pensif [une ligne barrée, également à la copie :« et je pris ma tête [correction : « mon front »] dans mes mains »] , puis je me remis à lire. Quelques instants après, je ne voyais plus rien, je n’entendais plus rien, j’étais submergé dans ce [on lit plus volontiers « ce » que « le » qui corrige « un »] poëte; à [« poëte ; à » corrige « poëte, et le soir + »] l’heure du dîner, je fis signe de la tête que je n’avais pas faim, et le soir, quand le soleil se coucha et quand les troupeaux rentrèrent à l’étable, j’étais encore à la même place, lisant le livre immense; [faux départ : « pendant que mon père à côté de moi »] et à côté de moi, mon père en cheveux blancs, assis sur le seuil de la salle basse où son épée pendait à un clou, indulgent pour ma lecture prolongée, appelait doucement les moutons qui venaient l’un après l’autre manger une poignée de sel dans le creux de sa main.
[grand blanc jusqu’au bas de la page]
[f° 110, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 10 » ; V »]
V [ajouté]
La poésie ne peut décroître. Pourquoi? parce qu’elle ne peut croître. [même départ de développement au f° 96, ce qui suggère l’ajout de ce chapitre]
Ces mots, si souvent employés, même par les lettrés, décadence, renaissance, prouvent à quel point l’essence de l’art est ignorée. Les intelligences superficielles, [« si » barré] aisément esprits pédants, prennent pour renaissance ou décadence des effets de juxtaposition, des mirages d’optique, des événements de langues ; des flux et reflux d’idées, tout ce [variante sans choix : « le », choisie à la copie] vaste mouvement de création et de pensée d’où résulte l’art universel. Ce mouvement [« universel. Ce… » première rédaction : « universel, et qui »] est le travail même [addition] de l’infini traversant le cerveau humain.
Il n’y a de phénomènes vus que du point culminant; et, vue du point culminant, la poésie est immanente. Il n’y a ni hausse ni baisse dans l’art. Le génie humain [« comme la mer » rayé à l’encre rouge ; de même à la copie] est toujours dans son plein; toutes les pluies du ciel n’ajoutent pas une goutte d’eau à l’océan; [corrige virgule] une marée est une illusion; l’eau ne descend sur un rivage que pour monter sur l’autre. Vous prenez des oscillations pour des diminutions. Dire : il n’y aura plus de poëtes, c’est dire : il n’y aura plus de reflux.
La poésie est élément. Elle est irréductible, incorruptible et réfractaire. Comme la mer, elle dit chaque fois tout ce qu’elle a à dire; puis elle recommence avec une majesté tranquille, et avec cette variété inépuisable [corrige « infinie »] qui n’appartient qu’à l’unité. Cette [f° 111] diversité dans ce qui semble monotone est le prodige de l’immensité.
[faux départ : « L’Iliade s’éloigne, le Romancero arrive »] Flot sur flot, vague après vague ; écume derrière écume ; mouvement, puis mouvement. L’Iliade s’éloigne, le Romancero arrive; la Bible s’enfonce, le Koran surgit; après l’aquilon Pindare [en sc. sur « Eschyle »] vient l’ouragan Dante. L’éternelle poésie se répète-t-elle? Non. Elle est la même, et elle est autre. Même souffle, autre bruit.
Prenez-vous le Cid pour un plagiaire d’Achille? prenez-vous Charlemagne pour un copiste d’Agamemnon? — « Rien de nouveau sous le soleil. » — « Votre nouveau est du vieux qui revient » — etc., etc. Oh! le bizarre procédé de critique! Donc [addition] l’art n’est qu’une série de contrefaçons! Thersite a un voleur, Falstaff. Oreste a un singe, Hamlet. [analogie commentée au f° 397 du ms 24776] L’hippogriffe est le geai de Pégase. Tous ces poëtes! un tas de tire-laines. On s’entrepille [« entrepille » en sc. sur « entrevole »] , voilà tout. L’inspiration se complique de filouterie. [Cette phrase est en addition.] Cervantes détrousse Apulée, Alceste escroque Timon d’Athènes. Le bois Smynthée [corrige « de Dodone » qui corrige « des Piérides »] est la [corrige « une »] forêt de Bondy. D’où sort la main de Shakespeare? de la poche d’Eschyle [rétabli après avoir été corrigé par un autre nom] .
Non. Ni décadence, ni renaissance. Ni plagiat, ni répétition, [« ni rabâchage » : addition abandonnée] ni redite. Identité de cœur, différence d’esprit; tout est là. Chaque grand artiste, nous l’avons dit ailleurs, refrappe l’art à son image. Hamlet, c’est Oreste à l’effigie de Shakespeare. Figaro, c’est Scapin à l’effigie de Beaumarchais. Grangousier, c’est Silène à l’effigie de Rabelais. [« Hamlet… » : addition]
[alinéa ajouté] Tout recommence avec le nouveau poëte, et en même temps, rien n’est interrompu. Chaque nouveau génie est abîme. Pourtant il y a tradition. Tradition de gouffre à gouffre, c’est là, dans [« c'est là...» première rédaction corrigée en correction cursive: « c'est là le mystère. Dans »] l’art comme dans le firmament, le mystère; [f° 112, première page d’une double feuille ; au coin gauche, au crayon, « 11 »] et les génies communiquent par leurs effluves comme les astres. Qu’ont-ils de commun? Rien. Tout.
De ce puits qu’on nomme Ezéchiel à ce précipice qu’on nomme [« Juvénal la même » barré en correction cursive] Juvénal il n’y a point pour le songeur solution de continuité. Penchez-vous sur cet anathème ou penchez-vous sur cette satire, le même vertige y tournoie. L’Apocalypse se réverbère sur la [« vaste » barré] mer de glace polaire, et vous avez cette aurore boréale, les Niebelungen. L’Edda réplique aux Védas.
De là ceci, d’où nous sommes partis et où nous revenons : [« d’où nous… » : addition] l’art n’est point perfectible.
Pas d’amoindrissement possible pour la poésie ; pas d’augmentation non plus. On perd son temps quand on dit : nescio quid majus nascitur Iliade. L’art [« L’art » remplace en correction cursive « La poésie, comme la + »] n’est sujet ni à diminution ni à grossissement. L’art a ses saisons, [« son printemps et son hiver, » rayé] ses nuages, ses éclipses, ses taches même, qui sont peut-être des splendeurs, ses interpositions d’opacités survenantes dont il n’est pas responsable; mais, en somme, c’est toujours avec la même intensité qu’il fait le jour dans l’âme humaine. Il reste la même fournaise donnant la même aurore. [« Pas plus que le soleil, » barré] Homère ne se refroidit pas.
[Ecriture différente pour toute la fin du chapitre : ajout probable.]
Insistons d’ailleurs sur ceci, car l’émulation des esprits, c’est la vie du beau, ô poëtes, le premier rang est toujours libre. Ecartons tout ce qui peut déconcerter les audaces et casser les aîles; l’art est un courage. [point-virgule corrigé en point] Nier que les génies [faux départ : « futurs »] présents ou futurs [« présents ou » est placé entre barres verticales et a pour variante sans choix, à l’encre rouge : « survenants » ; correction adoptée à la copie] puissent être les pairs des génies antérieurs, [f° 113] ce serait nier la puissance continuante de Dieu [« de Dieu » : addition ; Hugo a oublié de corriger le point après « continuante »] .
[alinéa ajouté] Oui, et nous revenons souvent sur cet encouragement nécessaire ; stimulation, c’est presque création; oui, ces génies qu’on ne dépasse point, on peut les égaler.
Comment?
En étant autre.
[grand blanc jusqu’au bas de la page]