2° partie
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Les Esprits et les Masses
[f° 269 ; au coin gauche, au crayon, « 1 » . Contrairement à l’ordinaire, il s’agit d’une feuille unique et non d’une double feuille : soit la seconde feuille a été supprimée, soit, plus probablement, celle-ci a été intercalée.]
I [sans doute ajouté dans le petit blanc du haut de la page]
Depuis quatrevingts ans, des choses mémorables [« Depuis… » corrige « De grandes choses, on le voit [addition abandonnée : « depuis quatrevingts ans »] , »] ont été faites. Une démolition prodigieuse couvre le pavé. [« Une démolition… » : addition]
[«Eh bien, » barré ; de même à la copie] Ce qui est fait est peu [« de chose » barré] à côté de ce qui reste à faire.
Détruire est la besogne; édifier [corrige « construire »] est l’œuvre. Le progrès démolit de la main gauche, c’est de la main droite qu’il bâtit.
La main gauche du progrès se nomme la force ; la main droite se nomme l’esprit.
Il y a à cette heure beaucoup de bonne destruction de faite; toute la vieille civilisation encombrante est, grâce à nos pères, déblayée [corrige « complètement sur le pavé »] . C’est bien, c’est fini, c’est jeté bas, c’est à terre. Maintenant, debout tous, à l’œuvre, au travail, à la fatigue, au devoir, intelligences! il s’agit de construire.
Ici trois questions :
Construire quoi?
Construire où?
Construire comment?
Nous répondons :
Construire le peuple.
Le construire dans le progrès.
Le construire par la lumière.
[grand blanc jusqu’au bas de la page]
[f° 270, première page d’une double feuille. L’absence de numérotation au crayon et le fait que la double feuille suivante porte le numéro 2 suggèrent que celle-ci a été ajoutée, très tardivement, après la numérotation au crayon.]
II [ajouté dans le petit blanc au haut de la page]
Travailler au peuple; ceci est la grande urgence. [paragraphe ajouté]
L’âme humaine, chose importante à dire dans la minute où nous sommes, a plus besoin encore d’idéal que de réel.
C’est par le réel qu’on vit; c’est par l’idéal qu’on existe. Or, veut-on se rendre compte de la différence? les animaux [corrige « bêtes »] vivent, l’homme existe.
Exister, c’est comprendre. Exister, c’est sourire du présent, [« c’est sourire… » : addition] c’est regarder l’avenir par dessus la muraille. Exister, c’est avoir en soi une balance, et y peser le bien et le mal. Exister, c’est avoir la justice, la vérité, la raison, le dévouement, la probité, la sincérité [« la sincérité » corrige « la vérité »] , le bon sens, le droit et le devoir chevillés au cœur. Exister, c’est savoir ce qu’on vaut, ce qu’on peut, ce qu’on doit. [« Exister, c’est savoir… » : addition] Existence [en sc. cursive sur « Exister »] , c’est conscience. Caton ne se levait pas devant Ptolémée. [phrase notée au f° 246 du ms 24776] Caton existait.
La littérature sécrète de la civilisation, [« La littérature… » : addition] la poésie sécrète de l’idéal. C’est pourquoi la littérature est un besoin des sociétés. [« C’est pourquoi… » : addition] C’est pourquoi la poésie est une avidité [« une avidité » corrige « la première soif »] de l’âme.
C’est pourquoi les poëtes sont les premiers éducateurs du peuple.
C’est pourquoi il faut, en France, [« en France, » : addition] traduire [ « Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide, Pindare, Théocrite », barré. La liste s’arrête en cours de ligne et « Shakespeare » a été écrit non pas à la suite mais à la ligne inférieure. Le blanc était peut-être destiné à accueillir d’autres noms avant que la ligne soit barrée.] Shakespeare.
C’est pourquoi il faut, en Angleterre, traduire Molière. [paragraphe ajouté de la même écriture que, plus haut, « en France »]
C’est pourquoi il faut les [corrige « le »] commenter.
C’est pourquoi il faut avoir un vaste domaine public littéraire. [addition à l’encre rouge ; de même à la copie]
C’est pourquoi il faut traduire, commenter, publier, imprimer, réimprimer, clicher, stéréotyper, distribuer, crier, expliquer, réciter, [addition] répandre, donner à tous, donner à bon marché, donner au prix de revient, [« donner au prix… » : addition à l’encre rouge ; de même à la copie] donner pour rien, tous les poëtes, tous les philosophes, tous les penseurs, tous les producteurs de grandeur d’âme.
[f° 271 ; ce folio, d’une graphie différence du précédent et du suivant, a sans doute été rédigé indépendamment d’eux.] La poésie dégage de l’héroïsme. M. Royer-Collard, cet ami original [corrige le faux départ : « de la règle »] et ironique de la routine, était, à tout prendre, un [« fin et » barré] sagace et noble [« et noble » : addition] esprit. Quelqu’un qui nous est connu l’entendait un jour dire [« Quelqu’un… » corrige « Je l’entendais dire un jour »] : Spartacus est un poëte.
[début d'une cascade d'additions] Ce redoutable et consolant Ezéchiel, le révélateur tragique du progrès, a toutes sortes de passages singuliers [corrige « étranges » qui corrige en sc. +] , d’un sens profond : — « La voix me dit : [faux départ : « prends »] remplis la paume de ta main de charbons de feu, et répands-les sur la ville. » Et ailleurs : –« L’esprit étant entré en eux, partout où allait l’esprit, ils allaient. » Et ailleurs : – « Une main fut envoyée vers moi. Elle tenait un rouleau, qui était un livre. La voix me dit : mange ce rouleau. J’ouvris [« la bouche » rayé en correction cursive] les lèvres, et je mangeai le livre. Et [« livre. Et » corrige « livre, et »] il fut doux dans ma bouche comme du miel. » Manger le livre, [« se nourrir du miel de la pensée, » barré] c’est, dans une image étrange et frappante, toute la formule de la perfectibilité ; [Hugo a oublié de rétablir la virgule] [« toute la formule… » corrige « la loi du progrès, »] qui [barré puis souligné pour être rétabli] , en haut, est [barré puis rétabli] science, et [barré puis rétabli], en bas, enseignement. [Première rédaction : « toute la loi du progrès, qui, en haut, est science, et, en bas, enseignement. » Seconde rédaction : « toute la formule de la perfectibilité ; en haut, science, en bas, enseignement. » Troisième rédaction, une fois le point-virgule annulé : « toute la formule de la perfectibilité, qui, en haut, est science, et, en bas, enseignement. »] [« Ce redoutable… » : addition de second niveau : postérieure à la suivante ; copie : addition autographe]
Nous venons de dire : la littérature sécrète de la civilisation. En doutez-vous? Ouvrez la première statistique venue.
En voici une qui nous tombe sous la main : bagne de Toulon. 1862. Trois mille dix condamnés. Sur ces trois mille dix forçats quarante savent un peu plus que lire et écrire, deux cent quatrevingt sept savent lire et écrire, neuf cent quatre lisent mal et écrivent mal, dix-sept cent soixante-dix-neuf ne savent ni lire ni écrire. Dans cette foule misérable, toutes les professions machinales sont représentées par des nombres décroissant à mesure qu’on monte vers les professions éclairées, et vous arrivez à ce résultat final : orfèvres et bijoutiers au bagne : quatre; ecclésiastiques : trois; notaires : deux; comédiens : un; artistes musiciens : un; hommes de lettres : [corrige virgule] pas un. [« Nous venons de dire… » : addition de premier niveau]
[faux départ : « C’est à ce profond travail de »] La transformation de la foule en peuple ; profond travail. C’est à ce travail que se sont dévoués, dans ces quarante dernières années, les hommes qu’on appelle socialistes. L’auteur de ce livre, si peu de chose qu’il soit, est un des plus anciens; le Dernier jour d’un Condamné date de 1828 et Claude Gueux de 1834. S’il réclame parmi ces philosophes sa place, c’est que c’est une place de persécution. Une certaine haine du socialisme, très aveugle, mais très générale, a sévi depuis quinze ou seize ans, et sévit et se déchaîne [« et se déchaîne » : addition] encore dans les classes (il y a donc toujours des classes !) [« les classes… » corrige « ce qu’on a eu coutume de nommer les classes »] influentes. Qu’on ne l’oublie pas, le socialisme, le vrai, [«, le vrai, » : addition] a pour but l’élévation des masses à la dignité civique, et a pour préoccupation principale [« a pour préoccupation… » corrige « fait passer avant tout »] , par conséquent, l’élaboration [corrige « amélioration »] morale et intellectuelle. La première faim, c’est l’ignorance; le socialisme veut donc, avant tout, instruire. [« La première faim… » : addition] Cela n’empêche pas le socialisme d’être calomnié et les socialistes d’être dénoncés. [« Il n’ » barré en correction cursive] Pour beaucoup de trembleurs furieux qui ont la parole en ce moment, ces réformateurs sont les ennemis publics. Ils sont coupables de tout [« le mal » barré en correction cursive] ce qui arrive de mal. [« Ils sont coupables...»: addition] — O romains, disait Tertullien, nous sommes des hommes justes, bienveillants, pensifs [en sc. sur « dévoués »(?)], lettrés, honnêtes. Nous nous assemblons pour prier, et nous vous aimons parce que vous êtes nos frères. [« Nous n’avons pas une pensée + hostile dans le cœur ; » barré ] Nous sommes doux et paisibles comme les petits enfants, et nous voulons la concorde parmi les hommes. Cependant, [faux départ : « si le Tibre débo »] ô romains, si le Tibre déborde ou si le Nil ne déborde pas, vous criez : Les chrétiens aux lions [en sc. sur « bêtes »] !
[f° 272 blanc ; f° 273, première page d’une feuille double ;au coin gauche, au crayon, « 2 ». L’écriture est différente de celle du f° précédent.]
III [ajouté]
L’idée démocratique, pont nouveau de la civilisation, subit en ce moment l’épreuve redoutable [corrige « terrible »] de la surcharge. Certes, toute autre idée romprait sous les poids qu’on lui fait porter. La démocratie [corrige « Elle »] prouve sa solidité par les absurdités qu’on entasse sur elle sans l’ébranler. Il faut qu’elle résiste à tout ce qu’il plaît aux gens de mettre dessus. En ce moment on essaye de lui faire porter le despotisme.
Le peuple n’a que faire de la liberté, c’était le mot d’ordre d’ [« c’était le mot… » corrige « disait »] une certaine école innocente et dupe [« innocente… » : addition] dont le chef est mort il y a quelques années. Ce pauvre honnête rêveur croyait de bonne foi qu’on peut rester dans le progrès en sortant de la liberté. Nous l’avons entendu émettre, [« émettre » chevauche la virgule, placée d’abord après « dire », rayé] probablement sans le vouloir, cet aphorisme : [« Nous l’avons entendu… » : la phrase résulte d’une série de rédactions successives : 1. « Il disait [barré en correction cursive « : La liberté est bonne »] ce mot probablement sans le + : » 2. « Il disait ce mot innocemment et probablement sans le vouloir [en sc. sur +] : » 3. « Nous l’avons entendu dire, probablement sans le vouloir, ce mot : »] La liberté est bonne pour les riches. Ces maximes [corrige « mots »] -là ont l’inconvénient de ne pas nuire à l’établissement des empires.
Non, non, non ! [Non… » : addition] Rien hors de la liberté!
[alinéa ajouté] La servitude, c’est [« , c’est » corrige « n’est autre chose que »] l’âme aveuglée. Se figure-t-on un aveugle de bonne volonté? Cette chose terrible existe. Il y a des esclaves acceptant. Un sourire dans une chaîne, quoi de plus hideux! Qui n’est pas libre n’est pas homme. [« La servitude c’est… » corrige et complète : « Le dernier abaissement possible, c’est l’esclave acceptant. La servitude n’est autre chose que l’âme aveugle. »] Qui n’est pas libre ne voit pas, ne sait pas, ne discerne pas, ne grandit pas, [« ne grandit pas, » : addition] ne comprend pas, ne veut pas, ne croit pas, n’aime pas, n’a pas de femme, n’a pas d’enfants, a une femelle et des petits, [« n’a pas de femme… » : addition ; de même à la copie] n’est pas. [faux départ : « La liberté est une prunelle. »] Ab luce principium. La liberté est une prunelle. La liberté est l’organe visuel du progrès.
Parce que la liberté a des inconvénients et même des périls, vouloir faire de la civilisation sans elle équivaut à [« équivaut à » corrige « , c’est vouloir » ; même correction à la copie] faire de la culture [f° 274] sans le soleil. C’est là aussi un astre critiquable. Un jour, dans le trop bel été de 1829, un critique aujourd’hui oublié, à tort, car il n’était pas sans quelque [en sc. sur +] talent, [« aujourd’hui…. » corrige et complète «oublié aujourd’hui »] M. P. [en marge : « M.P. (M. Planche) »] , ayant trop chaud, tailla sa plume en disant : je vais éreinter le soleil. [« C’est là aussi… » : addition ; son début reprend la rédaction initiale : « Le soleil aussi est critiquable. » Mêmes additions et mêmes corrections à la copie, à l’exclusion de la mention du nom de M. Planche.]
Certaines théories sociales, très distinctes du socialisme tel que nous le comprenons et le voulons [en sc. sur +] , [« très distinctes… » corrige « telles que celle que nous venons d’indiquer, »] se sont fourvoyées. Ecartons tout ce qui ressemble au couvent, à la caserne, à l’encellulement, à l’alignement. Le Paraguay, moins les jésuites, est tout de même le Paraguay. Donner une nouvelle façon au mal, ce n’est point une bonne besogne. Recommencer la vieille servitude est inepte [corrige « bête »] . Que les peuples d’Europe [« d’Europe » ajouté] prennent [« Que les peuples… » corrige « Prenons »] garde à un despotisme refait à neuf dont ils auraient [corrige « nous aurions »] un peu fourni les matériaux. La chose, cimentée d’une philosophie spéciale, pourrait bien durer. Nous venons de signaler les [« Nous venons… » corrige « Il existe des »] théoriciens, quelques-uns d’ailleurs [« quelques-uns… » : addition] droits et sincères, qui, à force de craindre la dispersion des activités et des énergies, et ce qu’ils nomment « l’anarchie », en sont venus à une acceptation presque chinoise de la concentration sociale absolue. Ils font de leur résignation une doctrine. Que l’homme [corrige « le peuple »] boive et mange, tout est là. Un bonheur bête est la solution. D’abord, ce bonheur, [faux départ : « je le nom »] [« sera le malheur. » barré en correction cursive] d’autres le nommeraient d’un autre mot.
[alinéa ajouté ; de même à la copie] Nous rêvons pour les nations autre chose qu’une félicité uniquement composée d’obéissance. Le bâton résume cette félicité pour le fellah turc, le knout pour le mougick russe, et le chat-à-neuf-queues pour le soldat anglais. Ces socialistes à côté du socialisme [« Ces socialistes… » corrige « Ces démocrates(?) »] dérivent de Joseph de Maistre et d’Ancillon, sans s’en douter peut-être, car l’ingénuité de ces théoriciens ralliés [ « à l’autorité » barré en correction cursive] au fait accompli a, ou croit avoir [« des intentions [en sc. sur + pour les premières lettres] démocratiques » barré en correction cursive, réécrit] des intentions démocratiques, et parle énergiquement des « principes de 89. » Que ces philosophes involontaires d’un despotisme possible y songent [corrige « prennent garde »] , [« Nous venons de signaler… » : addition] [« Il ne faut pas », barré en correction cursive] endoctriner [La phrase initiale commençait par « Endoctriner » ; après l’addition qui précède, Hugo a oublié de corriger la majuscule] les masses [correction cursive de « peuples »] contre la liberté, entasser dans les intelligences l’appétit [corrige « le matérialisme »] et le fatalisme, [faux départ : « et s’exposer »] une situation étant donnée, la saturer de matérialisme, et s’exposer à la construction qui en sortirait, ce serait comprendre le progrès à la façon de ce brave homme qui acclamait un nouveau gibet et qui s’écriait :– A la bonne heure! nous n’avions eu jusqu’ici qu’une vieille potence en bois, aujourd’hui le siècle marche, et nous voilà avec un bon gibet de pierre qui pourra servir à nos enfants et à nos petits-enfants!
[grand blanc au bas de la page]
[f° 275, première page d’une feuille double ; au coin gauche, au crayon, « 3 »]
IV [ajouté dans le blanc au haut de la page]
Etre un estomac repu, un boyau satisfait, un ventre heureux, c’est quelque chose sans doute, car c’est la bête. Pourtant on peut mettre son ambition plus haut.
Certes, un bon salaire, [« Certes… » corrige « Salaire en bas, salaire en haut. »] c’est bon. [« On aime à » barré en correction cursive] Avoir cette terre ferme sous son pied, [point corrigé en virgule en fonction de la suppression qui précède et de l’ajout qui suit] de forts gages, [« de forts gages, » : addition ; de même à la copie] est une chose qui plaît. Le sage aime à ne manquer de rien. Assurer sa situation est d’un homme intelligent. [« Assurer… » : addition] Un fauteuil renté de dix mille sesterces est une place gracieuse et [« gracieuse et » : addition] commode [« pour s’asseoir » barré] , les gros émoluments [corrige « gages » ; de même à la copie] font les teints frais et les bonnes santés, on vit vieux dans les douces sinécures bien appointées, la haute finance abondante en profits est un lieu [« comm » barré en correction cursive] agréable à habiter, être bien en cour, cela assoit une famille et fait une fortune; [ + barré] quant à moi, je préfère à toutes ces solidités le vieux vaisseau faisant eau où s’embarque en souriant l’évêque Quodvultdeus. [ébauche de ce paragraphe au f° 246 du ms 24776]
Il y a quelque chose au delà de s’assouvir. Le but humain n’est pas le but animal.
Un rehaussement moral est nécessaire. [faux départ : « Il y a dans »] La vie des peuples, comme la vie des individus, a ses minutes d’abaissement; ces minutes passent, certes, mais il ne faut point que la trace en reste. L’homme, à cette heure, [« La vie des peuples… » : addition ; elle se substitue à « Dans le moment où nous parlons » barré en correction cursive et remplacé par « L’homme aujourd’hui »] tend à tomber dans l’intestin; il faut replacer l’homme dans le cœur, il faut replacer l’homme dans le cerveau. Le cerveau, [« les +, » barrés] voilà le souverain qu’il faut restaurer. La question sociale veut, aujourd’hui plus que jamais, être [« , aujourd’hui… » corrige « être aujourd’hui »] tournée du côté de la dignité humaine.
[« C’est à cela que sert la grande littérature. » barré]
Montrer à l’homme le but humain, améliorer l’intelligence d’abord, l’animal ensuite, dédaigner la chair tant qu’on [f° 276] méprisera la pensée, et donner sur sa propre chair l’exemple, tel est le devoir actuel, immédiat, urgent, des écrivains.
C’est ce que, de tout temps, ont fait les génies.
Pénétrer de lumière la civilisation, vous demandez [corrige « on demande »] à quoi les poëtes sont utiles [variante sans choix : « bons », barrée à la copie] , à cela, tout simplement. [grand blanc au bas de la page]
[f° 277 , première page d’une double feuille; au coin gauche, au crayon, « 4 » ]
V [ajouté]
Jusqu’à ce jour il y a eu une littérature de lettrés. En France surtout, nous l’avons dit, [« nous… » : addition] la littérature tendait à faire caste. Être poëte, cela revenait un peu à être mandarin. Tous les mots n’avaient pas droit à la langue. Le dictionnaire accordait ou n’accordait pas [« accordait ou… » corrige « refusait »] l’enregistrement. Le dictionnaire avait sa volonté à lui. [« Le dictionnaire avait… » : addition] Figurez-vous la botanique déclarant [correction abandonnée : « affirmant »(?)] à un végétal qu’il n’existe pas, et [en marge, soit comme aide mémoire, soit pour une correction abandonnée : « ou l’entomologie déclarant un insecte incorrect », barré] la nature offrant timidement un insecte à l’entomologie qui le refuse comme incorrect. Figurez-vous l’astronomie chicanant les astres. [« Figurez-vous… » : addition] Nous nous rappelons avoir entendu dire en pleine académie, à un académicien mort aujourd’hui [« à un académicien… » corrige « il y a de cela vingt trois ans »] , qu’on n’avait parlé Français en France qu’au dix-septième siècle, et cela pendant douze [corrige « cinq »] années; nous ne savons plus lesquelles. [ébauche au carnet 25739, f° 8v°] Sortons, il en est temps, [« , il en est… » : addition à l’encre rouge ; de même à la copie] de cet ordre d’idées. La démocratie l’exige. [« La démocratie… » : addition à l’encre rouge ; de même à la copie] L’élargissement actuel veut autre chose. Sortons du collège, du conclave, du compartiment, [« de l’+ » : addition abandonnée] du petit goût, du petit art, de la petite chapelle. La poésie n’est pas une coterie. [début d'une cascade d'additions] Il y a à cette heure, effort pour galvaniser les choses mortes. Luttons contre cette tendance. [« Il y a, à cette heure… » : addition de troisième niveau, extension de la suivante.] Insistons sur ces vérités qui sont des urgences. Les chefs-d’œuvre recommandés par le manuel au baccalauréat, les compliments en vers et en prose, les tragédies plafonnant au dessus de la tête d’un roi quelconque, l’inspiration en habit de cérémonie, les perruques-soleils faisant loi en poésie, les Arts Poétiques qui [faux départ : « dédaign »] oublient Lafontaine et pour qui Molière est un peut-être, les Planat châtrant les Corneille, les langues bégueules, la pensée entre quatre murs, bornée par Quintilien, Longin, Boileau et Laharpe, tout cela, quoique l’enseignement officiel et public en soit saturé et rempli, tout cela est du passé. [« Insistons sur ces vérités… » : addition de second niveau, extension de la suivante] Telle époque, dite grand siècle et, à coup sûr, beau siècle, [« et, à coup… » : addition] n’est autre chose au fond [« au fond » : addition] qu’un monologue littéraire. [« Trêve aux soliloques. » barré] Comprend-on cette chose étrange, une littérature qui est un a parte! Il semble qu’on lise sur le fronton d’un certain art : On n’entre pas. Quant à nous, nous ne nous figurons la poésie que les portes toutes grandes ouvertes. [« Telle époque, dite… » : addition de premier niveau] L’heure a sonné [corrige « Le moment est venu »] d’arborer le Tout pour Tous. Ce qu’il faut à la civilisation, grande fille désormais, c’est [«Ce qu’il faut… » corrige et complète « Il faut aujourd’hui »] une littérature de peuple. [formule notée au f° 277 du ms 24776, fragment d’une bande d’abonnement au journal La Presse dont on ne lit que la seconde partie de la date : « au 16 février ». Confirmation de nos datations.]
1830 a ouvert un débat, littéraire à la surface, social et humain au fond. Le moment est venu de conclure. Nous concluons à une littérature ayant ce but : le Peuple.
Le Peuple, c’est-à-dire l’Homme. [paragraphe ajouté ou changement de plume]
L’auteur de ces pages écrivait, il y a trente et un [corrige « vingt-cinq »] ans, dans la préface de Lucrèce Borgia, un mot souvent répété depuis : Le poëte a charge d’âmes. [ébauche au f° 430 du ms 24776] [faux départ : « Si cela valait la peine »] Il ajouterait ici, si cela valait la peine d’être dit, que, la part faite à l’erreur possible, ce mot, sorti de sa conscience, a été la règle de sa vie. [« L’auteur… » : addition d’une autre écriture que ce qui précède]
[blanc au bas de la page avant cette addition]
[f° 277 verso] [L’emploi du verso suggère pour ce chapitre un rédaction tardive, prouvée par la copie –voir ci-après ; mais il est intercalé avant la numérotation des chapitres. Un long filet le place au dessus du texte du chapitre suivant. Le texte de la copie est autographe; il est postérieur à la rédaction initiale (partie droite de la page) et à certaines corrections du manuscrit mais Hugo y a procédé directement à des corrections et additions ensuite reportées au manuscrit.]
VI [peut-être ajouté]
Machiavel jetait sur le peuple un regard étrange. Combler la mesure, faire déborder le vase, [« faire éclater la chaudière, » barré ; de même au texte autographe de la copie qui est antérieur à celui du manuscrit] exagérer l’horreur du fait du prince, accroître l’écrasement pour révolter l’opprimé, faire rejaillir l’idolâtrie en exécration, [« accroître… » : addition de premier niveau ; elle corrige et complète quelques mots barrés ; addition également à la copie] pousser les masses à bout, telle semble être sa politique. Son oui signifie non. Il charge le despote de despotisme pour le faire éclater. Le tyran devient dans ses mains un hideux projectile qui se brisera. Machiavel [texte autographe de la copie : « Le tyran… » : addition ; elle corrige « Il » en « Machiavel {conspire} »] conspire. Pour qui? contre qui? Devinez. Son apothéose des rois est bonne à faire des régicides. Il met sur la tête de son prince un diadème de crimes, une tiare de vices, une auréole de turpitude, [« un diadème...» addition à la copie se substituant à quelques mots barrés] et vous invite à adorer son monstre, de l’air dont on attend un vengeur. Il glorifie le mal en louchant vers l’ombre. C’est dans l’ombre qu’est Harmodius. Machiavel, ce metteur en scène des attentats princiers, ce domestique des Médicis et des Borgia, avait dans [« C'est dans l'ombre...» substitué, dans le texte autographe de la copie, à une ligne barrée] sa jeunesse été mis à la torture pour avoir admiré Brutus et Cassius. Il avait comploté [corrige, à la copie, « conspiré »] peut-être avec les Soderini la délivrance de Florence. S’en souvient-il? Continue-t-il? [« pousser les masses à bout… » : corrige et complète un texte initial beaucoup plus bref : « + + + Conspire-il ? Devinez. Ce contemporain des Médicis et des Borgia, mis à la torture dans sa jeunesse pour avoir admiré Brutus et Cassius glorifiait le mal en louchant vers l’ombre. »] Un conseil de lui est suivi, comme l’éclair, d’un grondement ténébreux dans la nuée, prolongement inquiétant [« prolongement… » : addition] . Qu’a-t-il voulu dire? A qui en veut-il? Le conseil est-il pour ou contre celui à qui il le donne? Un jour, [un mot barré, peut-être « dans »] à Florence, dans le jardin de Cosmo Ruccelaï, étant présents [« étant présents » : addition; de même au texte autographe de la copie] le duc de Mantoue et Jean de Médicis [« étant là » barré] qui commanda plus tard les Bandes Noires de Toscane [« qui commanda.. » : addition] , Varchi, l’ennemi de Machiavel, l’entendit qui disait aux deux princes : — Ne laissez lire aucun livre au peuple, pas même le mien. Il est curieux de rapprocher de ce mot l’avis donné par Voltaire à Louis XV dans une lettre au duc de Choiseul [en sc. sur +] [« à Louis XV… » : variante sans choix préférée à la copie : « au duc de Choiseul, conseil au ministre, insinuation au roi »;] : — « Laissez les badauds lire [les badauds… » corrige « lire au peuple » ; de même à la copie] nos sornettes. Il n’y a point de danger à la lecture [« à la lecture » : addition] , monseigneur. Qu’est-ce qu’un grand roi comme le roi de France peut craindre? [« Qu’est-ce… » : addition] Le peuple n’est que racaille, et les livres ne sont que niaiserie. » — Ne laissez rien lire, laissez tout lire; ces deux conseils contraires coïncident plus qu’on ne croit. Voltaire, griffes cachées, faisait le gros dos aux pieds du roi. Voltaire et Machiavel sont deux redoutables révolutionnaires indirects, dissemblables en toute chose, et pourtant identiques au fond par leur profonde haine du maître déguisée en adulation [corrige « flatterie »] . L’un est le malin, l’autre est le sinistre. Les princes du seizième siècle avaient pour théoricien de leurs infamies [corrige « crimes »] et pour courtisan énigmatique, [cette virgule inopportune ne figure pas au texte autographe de la copie] Machiavel, [« être dont l’enthousiasme avait » barré en correction cursive] enthousiaste à fond obscur. Être flatté par un sphinx, chose terrible! Mieux vaut encore [addition] être flatté, comme Louis XV, [inversion de l’ordre initial : « , comme Louis XV, être flatté »] par un chat. [Les trois paragraphes qui suivent, d’une écriture différente, ont été ajoutés ; ils sont également en addition au texte autographe de la copie.]
Conclusion de ceci : Faites lire au peuple Machiavel, et faites-lui lire Voltaire.
Machiavel lui inspirera l’horreur, et Voltaire le mépris, du crime couronné.
Mais les cœurs doivent se tourner surtout [copie, ici antérieure au manuscrit : « les cœurs… » corrige « les âmes + + + » ; ] vers les grands poëtes limpides, qu’ils soient doux comme Virgile ou âcres [copie : corrige « âpres »] comme Juvénal.
[La copie (f° 835) porte, encadré et barré d’une croix parce que Hugo l'a recopié au haut du f° 834, le texte qui prenait la suite du f° 833 :
« Le peuple, c’est-à-dire l’homme.
L’auteur de ces pages écrivait il y a trente et un ans, dans la préface de Lucrèce Borgia, un mot souvent répété depuis : Le poëte a charge d’âmes. Il ajouterait ici, si cela valait la peine d’être dit, que la part faite à l’erreur possible, ce mot, sorti de sa conscience, a été la règle de sa vie. »
C’est là la preuve que le chapitre VI est une intercalation très tardive, faite au cours de la copie ou après.]
VII [ajouté après le tracé du filet qui place le chapitre précédent avant celui-ci]
Le progrès de l’homme par l’avancement des esprits; point de salut hors de là. Enseignez ! [addition ; en sc. sur « Eclairer »] Apprenez! [addition à l’encre rouge ajoutée à la précédente ; addition également à la copie] Toutes les révolutions de l’avenir sont incluses, amorties, dans ce mot : Instruction Gratuite et Obligatoire.
Mangez le livre. [addition à l’encre rouge, barrée à la copie]
[« Sans développer ici ce que nous avons indiqué ailleurs, disons que » barré] C’est par l’explication [« publique » barré] des œuvres [« des œuvres… » corrige « des poëtes »] du premier ordre [« , des livres de chant laïques, » barré] que ce large enseignement intellectuel doit se couronner. En haut les génies.
Partout où il y a agglomération d’hommes, il doit y avoir [« pour la foule » barré] , dans un lieu spécial, un explicateur [correction cursive de « une explication »] public des grands penseurs.
Qui dit grand penseur dit penseur bienfaisant.
La présence perpétuelle du beau dans leurs œuvres maintient les poëtes au sommet de l’enseignement. [« La présence… » : addition ; elle remplace deux paragraphes barrés ; chacun, d’un peu moins d’une ligne, offre un texte apparemment incomplet ; pour le second : « Mettez le peuple + »]
Nul ne peut prévoir la quantité de lumière qui se dégagera de la mise en communication du peuple avec les génies. Cette combinaison du cœur [corrige « de l’âme »] du peuple avec le cœur [corrige « l’âme »] du poëte sera la pile de Volta de la civilisation.
Ce magnifique enseignement, le peuple le comprendra-t-il? [« Ce magnifique… » corrige « Le peuple comprendra-t-il ? »] Certes. Nous ne connaissons rien de trop haut pour le peuple. C’est une grande âme. Êtes-vous jamais allé [faux départ : « à un spectacle gratis »] un jour de fête à un spectacle gratis? Que dites-vous de cet auditoire? En connaissez-vous un qui soit plus spontané [ajout abandonné : « , plus enthousiaste »] et plus intelligent? Connaissez-vous, même dans la forêt, une vibration plus profonde? [« Connaissez-vous, même… » : addition] La cour de Versailles admire comme un régiment fait l’exercice; le peuple, lui, se rue dans le beau éperdûment. Il s’entasse, se presse, s’amalgame, se combine, [« se combine, » : addition à l’encre rouge; addition à la copie] se pétrit, dans le théâtre; pâte vivante que le poëte va modeler. [« Il s’entasse… » : addition de premier niveau] Le pouce puissant de Molière s’y imprimera tout à l’heure; l’ongle de Corneille griffera ce monceau informe [« monceau informe » corrige « bloc »] . [« Le pouce… » : addition de second niveau, extension de la précédente] D’où cela vient-il? d’où cela sort-il? De la Courtille, des Porcherons, de la Cunette, c’est pieds-nus, c’est bras nus, c’est en haillons. Silence. Ceci est le bloc humain. [« D’où cela… » : addition de troisième niveau, extension des deux précédentes]
[alinéa ajouté à l’encre rouge ; même addition à la copie] La salle est comble, la vaste multitude regarde, écoute, aime, toutes [addition ajoutée à la suivante] les consciences [en sc. sur « intelligences »] émues [addition à l'addition] jettent dehors leur feu intérieur [en sc. sur « secret »(?)] , [« toutes les consciences… » : addition] tous les yeux éclairent, la grosse bête à mille têtes est là, la mob de Burke, la plebs de Tite-live, la fex urbis de Cicéron, elle caresse le Beau [« le Beau » en sc. sur « l’idéal »] , elle lui sourit avec [f° 279, démi-feuille ; au coin gauche, au crayon, « 5 » ] la grâce d’une femme, elle est très finement littéraire; [« elle est… » : addition] rien n’égale les délicatesses de ce monstre. La cohue [corrige « Elle »] tremble, rougit, palpite; ses pudeurs sont inouïes; la foule est une vierge. Aucune pruderie pourtant, cette bête n’est pas bête. Pas une sympathie ne lui manque; elle a en elle tout le clavier, depuis la passion jusqu’à l’ironie, depuis le sarcasme jusqu’au sanglot. Sa pitié est plus que de la pitié; c’est de la miséricorde. On y sent Dieu. [« La cohue… » : addition] Tout à coup [corrige « Puis tout à coup »] le sublime passe, et la sombre électricité de l’abîme soulève subitement tout ce tas de cœurs et d’entrailles, la transfiguration de l’enthousiasme opère, et maintenant, l’ennemi est-il aux portes, la patrie est-elle en danger? [corrige virgule ; une minuscule serait préférable] jetez un cri à cette population, elle est capable des Thermopyles. Qui a fait cette métamorphose? la poésie.
[alinéa ajouté à l’encre rouge ; copie : alinéa ajouté] Les multitudes, et c’est là leur beauté, sont profondément pénétrables à l’idéal. L’approche du grand art leur plaît, elles en frissonnent. Pas un détail ne leur échappe. La foule est une étendue liquide et vivante offerte au frémissement. Une masse est une sensitive. Le contact du beau hérisse extatiquement la surface des multitudes, signe du fond touché. [« Le contact… » : addition de premier niveau] Remuement de feuilles [« dans la forêt » barré] , une haleine mystérieuse [barré pour la correction « ardente » abandonnée, et rétabli] passe, [« ainsi »(?) barré] la foule tressaille sous l’insufflation sacrée [corrige « mystérieuse »] des profondeurs. [« Remuement… » : addition de second niveau, extension de la précédente]
Et là même où l’homme du peuple n’est pas en foule, il est encore bon auditeur des grandes choses. Il a la naïveté honnête, il a la curiosité saine. L’ignorance est un appétit [corrige « une soif », contre les mauvaises plaisanteries !] . Le voisinage de la nature le rend propre à l’émotion sainte du vrai. Il a, du côté de la [« de la » correction cursive en sc. cursive de « des poëtes »] poésie, des ouvertures secrètes dont il ne se doute pas lui-même. Tous les enseignements [en sc. sur « éclairages »] [abandon d’une énumération esquissée en interligne –« tous les enseignements, toutes les sollicitudes » et en marge : « tous les enseignements, toutes les édifications, toutes les élucidations, »] sont dus au peuple. Plus le flambeau est divin, plus il est fait pour cette âme simple. Nous voudrions voir dans les villages une chaire expliquant Homère aux paysans. [Les fragments des f° 278 et 279 du ms 24776 institutionnalisent l’idée.]
[blanc au bas de la page]
[f° 280, première page d’une double feuille, au coin gauche, au crayon, « 6 »]
VIII [ajout probable]
[« Oui, » ajouté, mis entre barres verticales, rayé] Trop de matière est le mal de cette époque. De là un certain appesantissement.
Il s’agit de remettre de l’idéal dans l’âme humaine. Où prendrez-vous de l’idéal? ou [accent oublié] il y en a. Les poëtes, les philosophes, les penseurs sont les urnes. L’idéal est dans [« Homère » barré] [addition : + en sc sur « Homère, » le tout barré] Eschyle [addition cursive] , dans Isaïe [en sc. cursive sur « Eschyle »] , dans Juvénal, dans Alighieri, dans Shakespeare. [« Jetez Homère, » barré] Jetez Eschyle, jetez Isaïe, jetez Juvénal, jetez Dante, jetez Shakespeare dans la profonde âme du genre humain.
Versez [en sc. sur « Jetez » qui est réécrit en variante sans choix, barrée à la copie] Job, Salomon, [addition] Pindare, Ezéchiel, [addition] Sophocle, Euripide, [addition] [« Plaute, » addition abandonnée] Hérodote, [addition] [+ addition à l’addition, barrée] Théocrite, Plaute [en sc. cursive sur « Virgile »] , Lucrèce, Virgile, Térence, [addition] Horace, Catulle, Tacite, st Paul, st Augustin, Tertullien, Pétrarque, Cervantes, Agrippa d’Aubigné, Régnier, Segrais, [addition] Pascal, Milton, Descartes, Corneille, [« Pascal… » : additions en plusieurs temps] [« Molière, » barré] Lafontaine, Montesquieu, Diderot, [addition] Rousseau, [« Voltaire, » barré] Beaumarchais, [« Diderot, » en addition abandonnée] Sedaine, André [en sc. sur +] Chénier, Kant, Byron, [addition] Schiller, versez [corrige « jetez » qui est réécrit en variante sans choix, barrée à la copie] toutes ces âmes dans l’homme.
Versez tous les esprits depuis Esope jusqu’à Molière, toutes les intelligences depuis Platon jusqu’à Newton, toutes les encyclopédies depuis Aristote jusqu’à Voltaire. [paragraphe ajouté]
De la sorte, en guérissant la maladie momentanée, vous établirez [corrige « fonderez »] à jamais la santé de l’esprit humain.
Vous guérirez le siècle [variante sans choix : « la bourgeoisie », préférée à la copie] et vous fonderez [variante abandonnée : « créerez »] le peuple.
Comme nous l’indiquions tout à l’heure, après la destruction qui a délivré le monde, [« qui a délivré… » : d’abord encadré de barres verticales qui sont ensuite raturées] vous ferez la construction [barre verticale raturée] qui l’ [en sc cursive sur « le »] épanouira.
[f° 281] Quel but [« labeur » : variante abandonnée] ! faire le peuple!
Les principes combinés avec la science, toute la quantité possible d’absolu introduite par degrés dans le fait, l’utopie traitée successivement par tous les modes de réalisation, par l’économie politique, par la philosophie, par la physique, par la chimie, par la dynamique, par la logique, par l’art. [le point corrige une virgule] L’union [correction cursive de « unité »] remplaçant peu à peu l’antagonisme et l’unité remplaçant l’union, pour religion Dieu, pour prêtre le père, pour prière la vertu, [« pour prière… » : addition] pour champ la terre, pour langue le verbe, pour loi le droit, pour moteur le devoir, [« pour moteur… » : addition] pour hygiène le travail, pour économie la paix, [« pour économie… » : addition] pour canevas la vie, pour but le progrès, pour autorité la liberté, pour peuple l’homme Telle est la simplification.
Et au sommet l’idéal.
L’idéal; type immobile du progrès marchant. [f° 282, rectangle de papier blanc collé au f° précédent –voir plus bas. Cette première phrase est écrite à cheval sur les deux supports, vraisemblablement en addition.]
A qui sont les génies, si ce n’est à toi, peuple? Ils t’appartiennent. Ils sont tes fils et tes pères. Tu les engendres et ils t’enseignent. Ils font à ton chaos des percements de lumière. Enfants, ils ont bu ta sève. Ils ont tressailli dans la matrice universelle, l’humanité. Chacune de tes phases, peuple, est un avatar. [« On naît de toi, et l’on en revient(?) »: élémentr abandonné de l'addition] La profonde prise de vie, c’est en toi qu’il faut la chercher. Tu es le grand flanc. [« un avatar… » remplace « une genèse. Tu es le grand flanc. »] Les génies sortent [« Les génies… » : en sc. sur + + +] de toi, foule mystérieuse.
Donc qu’ils retournent à toi.
Peuple, l’auteur, Dieu, te les dédie.
[le folio 282 collé sur le folio 281 en masque la fin. Mais il ne masque pas trois additions écrites en marge du folio ou au verso du précédent, rattachées au texte principal par des filets enchevêtrés, et qui sont toutes trois encadrées et barrées de grands traits obliques. Ce sont, dans l’ordre indiqué par les filets :
« L’art marche à sa manière, il se déplace comme la science, mais ses créations successives, contenant de l’absolu, demeurent, tandis que [« tandis que » : addition] les à peu près de la science s’effacent les uns par les autres. » [Ce paragraphe, repris en I,3,3 au f° 96 est une extension du suivant]
« Les transformations de l’art ne l’élèvent ni ne l’abaissent. [variante sans choix : « sont des ondulations dans le beau »] Elles le complètent, et c’est tout. [« Elles le… » : addition] L’art, et c’est là sa beauté, n’est pas susceptible de progrès intrinsèque. De Phidias à Michel-Ange [variante sans choix ou addition : « du Parthénon à l’Alhambra » « de Dante à Shakespeare »] , il y a marche, et non progrès. Les chefs d’œuvre ont un niveau, le même pour tout, l’absolu. » [paragraphe repris au f° 99]
« Shakespeare n’est pas au dessus d’Eschyle, Rabelais n’est pas au dessus d’Aristophane, Cervantes n’est pas au dessus de Plaute, Juvénal n’est pas au dessus d’Isaïe, la Divine Comédie n’est pas au dessus de l’Apocalypse, le Romancero n’est pas au dessus de l’Iliade, Sirius n’est pas au dessus d’Arcturus. Sublimité, c’est égalité. » [Ce paragraphe, repris au f° 98 est une extension du précédent.]
On reconnaît les développements, parfois mot pour mot, des premières pages du chapitre 3 du livre 3, L’Art et la Science de la première partie. Celui-ci renvoie d’ailleurs à plusieurs reprises à des réflexions ultérieures sur la puissance du livre.
On peut conclure que Les Esprits et les Masses est le noyau générateur du chapitre 3 de L’Art et la Science et par là, indirectement, du rattachement à William Shakespeare des textes, très antérieurs, qui forment le début de ce livre.]