[f° 1, cote gâtine: 89/unique pièce; papier blanc d'emploi très tardif dans le manuscrit.]
[f° 2, papier bleu, celui de la quasi totalité du manuscrit; on ne répétera plus cette indication.]
[f° 3; au coin supérieur gauche à l'encre rouge: "Préface". Voir en "avant-texte" plusieurs projets préfaciels.]
De l’Angleterre tout est grand, même ce qui n’est pas bon, même l’oligarchie. Le patriciat anglais, c’est le patriciat, dans le sens absolu du mot. ["Le patriciat..." corrige "La seigneurie [variante abandonnée: "L'aristocratie"] anglaise, c'est par excellence la seigneurie [variante abandonnée: "l'aristocratie"]."] Pas de féodalité plus illustre, plus terrible et plus vivace. Disons-le, cette féodalité [corrige "elle"] a été utile à ses heures. C’est en Angleterre que ce [corrige "le"] phénomène, la [ajouté] Seigneurie, veut être ["illus" barré en correction cursive] étudié, de même que c’est en France qu’il faut étudier ce [corrige "le"] phénomène, la [ajouté] Royauté.
Le vrai titre de ce livre serait l'Aristocratie. Un autre livre, ["Un..." corrige "Le livre"] qui suivra, pourra être intitulé la Monarchie. Et ces deux livres, s’il est donné à l’auteur d’achever ce travail, en précèderont et en amèneront un troisième qui sera intitulé : Quatrevingt-treize.
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Hauteville house
[f° 4. Au coin inférieur droite: "Voir à la nomenclature des biens et châteaux des pairs s'il n'y aurait pas lieu de mettre à chacun ses nom et prénom, avec fidélité historique absolue et dates, etc." Et, au dessous, à l'encre rouge: "oui".
A la copie, sur papier bleu donc tardif, VH annote: "Une page blanche avec ce titre. / Ces deux chapitres commencent le livre, et précèdent la Ière partie."]
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[Hugo met ici en oeuvre le dispositif imaginé pour Les Travailleurs de la mer dont il renonça à publier en tête du récit le « chap. prél. », futur Archipel de la Manche. Se fondant sur la seule lecture, discutable, des titres des parties, l'IN estime que ces deux chapitres « n'ont été écrits qu'après le livre entier ». C'est infirmé par la note du carnet (13 465, f° 75) du 14 juillet 1867, veille du départ pour Bruxelles : "Je laisse entre les mains de Julie [...] le manuscrit de mon roman commencé l'H.q.R. (2 ch. pr. - 1ère partie (3 livres) [...]." Que peuvent être ces "2 ch. pr." sinon nos deux chapitres préliminaires? C'est aussi sans vraisemblance. Plusieurs folios des deux chapitres portent ces traits habituels d'interruption quotidienne, que Hugo cesse de placer au début d'avril 1868, plusieurs mois avant la fin de la rédaction (23 août 1868). D'autre part, dès la rédaction initiale de la première apparition d'Ursus en action (I, 3, 5), le texte montre un personnage supposé connu du lecteur et le manuscrit n'offre aucun endroit où l'on puisse imaginer l'insertion de sa présentation.
Ce n'est pas le cas du texte consacré aux comprachicos. Après le récit du départ de la Matutina et de l'abandon de l'enfant, les premières rédactions posaient la question: « qu'était-ce que cette espèce de bande en fuite, abandonnant cet enfant? Ces fugitifs faisaient-il partie de l'affiliation redoutée des comprachicos [...]? » Dans le livre publié cette question est posée au chapitre I, 1, 4, et elle lance un second développement sur les comprachicos; or le texte qui y répond en première rédaction a finalement été déplacé vers le chapitre préliminaire. Il est donc plus que probable que l'exposé général sur les comprachicos venait primitivement dans le cours du récit, juste après le départ énigmatique de la Matutina et l'abandon de l'enfant.
On est ainsi conduit à penser que le portrait d'Ursus a d'emblée été écrit comme "préliminaire" et que le développement sur les comprachicos, initialement consécutif à l'abandon de l'enfant, a rejoint ce premier chapitre préliminaire un peu plus tard, mais avant le départ pour Bruxelles en juillet 1867.]
[f° 5, A]
[Au coin supérieur droit: "Commencé à Bruxelles, 4, place des Barricades, le 21 juillet 1866, jour de ma fête." — date identique au Carnet 13 465, f° 28. Or la même indication est écrite au même endroit en tête du texte des f° 78-85 du ms 24 747 par lequel a sans doute commencé la rédaction du roman. Il aurait alors porté le numéro "I", modifié en "II" une fois prise la décision de placer en tête le portrait d'Ursus et c'est à ce moment-là que cette mention aurait été barrée et recopiée ici. Ultérieurement encore l'évocation des Comprachicos, d'abord beaucoup plus brève et placée dans le cours du récit, aurait pris la place de celle de la baie de Portland (voir ci-après au f° 21).
Au coin supérieur gauche, à l'encre rouge: "Faire toutes les divisions marquées par chiffres en belle page et séparer par un blanc de dix lignes les divisions marquées par astérisque *" A la copie, VH annote: "Pour l'imprimeur. / Faire tomber les chiffres romains en belle page. Mettre un blanc de cinq [corrige "dix"] lignes pour les astérisques * Ne mettre d'alinéas que là où il y en a."]
Ursus et Homo étaient liés d’une amitié étroite. Ursus était un homme, Homo était un loup. Leurs humeurs s’étaient convenues. C’était l’homme qui avait baptisé le loup. Probablement il s’était aussi choisi lui-même son nom ; ayant trouvé Ursus bon pour lui, il avait trouvé Homo bon pour la bête. ["Probablement..."': addition] L’association de cet homme et de ce loup profitait aux foires, aux fêtes de paroisse [corrige "enfants"(?)], aux coins de rues où les passants s’attroupent, et au besoin [corrige "désir"] qu’éprouve partout le peuple [correction abandonnée: "la foule"] d’écouter des sornettes et d’acheter de l’orviétan. Ce loup, docile et gracieusement subalterne était agréable à la foule. Voir des apprivoisements est une chose qui plaît. Notre suprême plaisir est de regarder défiler toutes les variétés de la domestication. ["Ce loup docile...": addition postérieure à la précédente et à la suivante; elle corrige et complète, au ms et à la copie, une première addition, enregistrée par la copiste: "Voir des apprivoisements est une chose qui plaît. C'est ce qui fait qu'il y a tant de gens sur le passage des cortèges officiels."] C’est ce qui fait qu’il y a tant de gens sur le passage des cortéges royaux [corrige "officiels"].
Ursus et Homo [corrige "Ils"] allaient de carrefour en carrefour, des places publiques de Cantorbery [corrige "Londres", de même à la copie] aux places publiques de Glasgow [corrige "d'Edimbourg", de même à la copie], de pays en pays, de comté en comté, ["de comté...": addition] de ville en ville. Un marché épuisé, ils passaient à l’autre. ["Un marché...": addition] Ursus habitait une cahute roulante qu’Homo, suffisamment civilisé, ["suffisamment..." corrige "apprivoisé" déjà corrigé par "stylé"] traînait le jour et gardait la nuit. Dans les routes [corrige "chemins"] difficiles, dans les montées, quand il y avait trop d’ornière et trop de boue, l’homme se bouclait la bricole au cou et tirait fraternellement, côte à côte avec le loup. Ils avaient ainsi vieilli ensemble. Ils campaient à l’aventure ["à l'aventure": ajouté] dans une friche, dans une clairière, dans la patte d’oie d’un entrecroisement de routes, à l’entrée des hameaux, aux portes des bourgs, dans les halles, dans les mails publics, sur la lisière [corrige "le bord"] des parcs [corrige "boulingrins", de même à la copie], sur les parvis d’églises. ["Ils campaient...": addition de second niveau à l'addition qui suit] Quand la carriole [corrige +] s’arrêtait dans quelque champ de foire, quand les commères accouraient béantes, ["quand les commères...": addition; elle se substitue à une autre non lue] ["et" barré] quand les curieux [corrige "cockneys" que donnent la copie et les épreuves] faisaient cercle, Ursus pérorait, Homo approuvait. Homo, une sébile dans sa gueule, faisait poliment la quête dans l’assistance. ["Homo, une sébile...": addition] Ils gagnaient leur vie. Le loup était lettré, l’homme aussi. Le loup avait été dressé par l’homme, ou s’était dressé tout seul, à diverses [corrige "des"] gentillesses de loup qui contribuaient à la recette. ["Quand la carriole...": addition de premier niveau] — Surtout ne dégénère pas en homme, lui disait son ami. ["— Surtout...": addition de second niveau]
* [à l'encre rouge. Au ms, mais pas à la copie, Hugo a oublié de porter la marque d'alinéa]
Le loup ne mordait jamais, l’homme quelquefois. Du moins, mordre était la [corrige "sa"] prétention d’Ursus ["d'Ursus" ajouté]. Ursus était un misanthrope, et pour souligner sa misanthropie, il s’était fait bateleur [corrige "saltimbanque"; variante rayée: "charlatan"]. Pour vivre aussi [probablement oublié et ajouté], car l’estomac impose ses conditions ["l'estomac...": première rédaction: "il faut aussi manger", puis "l'estomac existe"; variante rayée + + +; mêmes corrections à la copie]. De plus ce bateleur misanthrope ["ce bateleur..." est ajouté et répare l'oubli du sujet de la phrase], soit pour se compliquer, soit pour se compléter, était médecin. [la fin du folio est entièrement barrée. Elle comportait une addition, reprise et augmentée plus loin: "Ursus médecin [corrige "Médecin il"] guérissait, parceque ou quoique. Il pratiquait les aromates. ["Il pratiquait...": addition] Il était versé dans les simples. Il traitait la phthisie par la plante Ros solis ; il usait à propos des feuilles du tithymale qui, arrachées par le bas, sont purgatif [corrige "purgent"], et arrachées par le haut, sont vomitif [corrige "font vomir"] ; [barré et déplacé: "il tirait grand parti de l'herbe mandragore qui, comme chacun sait, est homme et femme."] [Ursus médecin guérissait...": addition de premier niveau] il vous ôtait un mal de gorge au moyen de l’excroissance végétale dite oreille de juif ; il savait quel est le jonc qui guérit [corrige + et une variante abandonnée] le bœuf, et quelle est la menthe qui guérit [corrige +] le cheval ; il tirait grand parti de l’herbe mandragore qui, comme on sait, est homme et femme. Il avait des recettes à lui. ["Il vous ôtait...": addition de deuxième niveau] Il guérissait les brûlures avec de la laine de salamandre, de laquelle Néron, au dire de Pline, avait une serviette." ["Il guérissait...": addition de troisième niveau] La rédaction initiale se poursuivait par: "Il avait une cornue et un matras ; il faisait de la transmutation ; il vendait des panacées. [addition rayée d'une ligne] On contait de lui qu’il avait jadis été un peu enfermé à Bedlam ; on lui avait fait". Cette rédaction initiale se poursuit par le texte rayé du haut du folio 9: "l’honneur de le prendre pour un fou; mais on l’avait relâché, s’apercevant qu’il n’était qu’un poëte. Cette histoire n'était probablement pas vraie..."] [f° 6, B; mise au net. Début de l'intercalation des folios 6-8.] Médecin c’est peu, Ursus était ventriloque. On le voyait [corrige "l'entendait"] parler sans que sa bouche remuât. Il copiait, à s’y méprendre, l’accent et la prononciation du premier venu ; il imitait les voix à croire entendre les personnes. À lui tout seul, il faisait le souffle et le murmure d’une foule, ce qui lui donnait droit [corrige "le droit"] au titre d’engastrimythe. Il le prenait. Il reproduisait [en sc. sur "imitait" que donne la copie] toutes sortes de cris d’oiseaux, la grive, le grasset, l’alouette pépi, qu’on nomme aussi la béguinette, le merle à plastron blanc, tous voyageurs comme lui , de façon que, par instants, il vous faisait entendre, à son gré, ou une place publique couverte de rumeurs humaines, ou une prairie pleine de voix bestiales [corrige "d'oiseaux", que donne la copie] ; tantôt orageux comme une multitude, tantôt ["gai comme l'aube" barré] puéril et serein comme l’aube. [Il reproduisait...": addition de second niveau; addition à la copie] Au [copie: "Du"] reste, ces talents-là, quoique rares, existent. Au siècle dernier, un nommé Touzel qui imitait les cohues mêlées d’hommes et d’animaux, et qui copiait tous les cris de bêtes, était attaché à la personne de Buffon en qualité de ménagerie. ["Du reste...": addition de troisième niveau, à l'encre rouge; de même à la copie] — Ursus [corrige, à l'encre rouge, "Il", de même à la copie] était sagace, invraisemblable [addition] et curieux et enclin aux explications singulières, que nous appelons fables. Il avait l’air d’y croire. [Il avait...": addition, manquante à la copie] Cette effronterie faisait partie de sa malice. ["Cette effronterie...": addition de deuxième niveau] ["Médecin, c'est peu...": addition de premier niveau, augmentée d'additions secondaires; au moment de la rédaction initiale, la ventriloquie de II, 6, 2 n'était sans doutte pas prévue.] Il regardait dans la main des quidams [en sc. sur "personnes"(?)], ouvrait des livres au hasard et concluait, prédisait les sorts, enseignait qu’il est dangereux de rencontrer une jument noire et plus dangereux encore de s’entendre, au moment où l’on part pour un voyage, appeler par quelqu’un qui ne sait pas où vous allez, et il s’intitulait « marchand de superstition ». Il disait : « Il y a entre l’archevêque de Cantorbery et moi une [en sc. sur "cette"] différence ; ["que" puis "c'est que" barré] moi, j’avoue. » Si bien que l’archevêque, justement indigné, le fit un jour ["un jour": ajouté] venir ; mais Ursus, adroit, désarma sa Grâce en lui récitant un sermon de lui Ursus sur le saint jour de Christmas [corrige "Pâques", de même à la copie] que l’archevêque, charmé, apprit par cœur, débita en chaire ["en chaire": ajouté] et publia, comme de lui archevêque. ["Si bien...": addition] Moyennant quoi, il pardonna. ["Moyennant...": addition de second niveau]
* [ajouté à l'encre rouge, de
même que l'alinéa, idem à la copie]
Ursus, médecin, [corrige "Médecin, il"; le texte qui suit est repris de celui, ajouté et barré, du folio précédent et déplace le texte de la dernière ligne du f° 5 et les premières du folio 9] guérissait, parceque ou quoique. Il pratiquait les aromates. Il était versé dans les simples. Il tirait parti de la profonde puissance qui est dans un tas de plantes dédaignées, la coudre moissine, la bourdaine blanche, le hardeau, la mancienne, la bourg-épine, la viorne, le nerprun. Il traitait la phthisie par la Ros solis ; il usait à propos des feuilles du tithymale qui, arrachées par le bas, sont un [ajouté] purgatif [correction abandonnée: "purgatives"; de même à la copie], et, arrachées par le haut, sont un [ajouté] vomitif [correction abandonnée: "vomitives"; de même à la copie] ; il vous ôtait un mal de gorge au moyen de l’excroissance végétale dite oreille de juif ; il savait quel est le jonc qui guérit le bœuf, et quelle est la menthe qui guérit le cheval ; il était au fait des beautés et des bontés ["beautés..." corrige + +] de l’herbe mandragore qui, personne ne l’ignore, est homme et femme. Il avait des recettes. Il guérissait les brûlures avec de la laine de salamandre, de laquelle Néron, au dire de Pline, avait une serviette. Ursus possédait une cornue et un matras ; il faisait de la transmutation ; il vendait des panacées. On contait de lui qu’il avait été jadis un peu enfermé à Bedlam ; on lui avait fait l’honneur de le prendre pour un insensé [corrige "fou", de même à la copie], mais on l’avait relâché, s’apercevant qu’il n’était qu’un poëte. Cette histoire n’était probablement pas vraie ; nous avons tous de ces légendes que nous subissons.
* [ajouté à l'encre rouge avec la marque d'alinéa]
La réalité est qu’Ursus était savantasse, homme de goût, et vieux poëte latin. Il était docte sous les deux espèces ; il hippocratisait et il pindarisait. Il eût concouru en phébus avec Rapin et Vida. Il eût composé d’une façon non moins triomphante que le Père Bouhours des tragédies jésuites. Il résultait de sa familiarité avec les vénérables rhythmes et mètres des anciens [corrige "de l'antiquité"] qu’il avait des images à lui, et toute une famille de métaphores classiques. Il disait d’une mère précédée de ses deux filles : c’est un dactyle, d’un père suivi de ses deux fils : c’est un anapeste, et d’un petit enfant marchant entre son grand père et sa grand mère : c’est un amphimacre. Tant de science ne pouvait aboutir qu’à la famine. L’école de Salerne dit : « Mangez peu et souvent ». Ursus mangeait peu et rarement ; obéissant ainsi à une moitié du précepte et désobéissant à l’autre ; mais c’était la faute du public, qui n’affluait pas toujours et n’achetait pas fréquemment. ["L'école de Salerne..." réfection de la première rédaction: "Il mangeait peu et rarement." et de l'addition: "C'était la faute du public qui n'affluait pas toujours et payait modérément. [correction 1: "++"; correction 2: "et n'achetait pas souvent."] [f° 7, C. Le folio, d'une écriture différente du précédent, dont la rédaction initiale commence, sans alinéa ni blanc, par "Ursus, au besoin" et qui s'achève largement avant la fin de la page, est une intercalation, sans doute postérieure à celle du folio suivant dont il reprend les premières lignes. La copie, où le folio "Ursus au besoin fabriquait des comédies..." est intercalé, confirme le caractère tardif de son ajout, contemporain de la confection de la copie.] Ursus disait : « — L’expectoration d’une sentence soulage. Le loup est consolé par le hurlement, le mouton par la laine, la forêt par la fauvette, la femme par l’amour, et le philosophe par l’épiphonème. » ["Ursus disait...": déplacement du début du folio suivant] [marque d'alinéa à faire; de même à la copie où elle est rayée en rouge] Ursus, au besoin, fabriquait [corrige: "faisait"] des comédies qu’il jouait à peu près ; cela aide à vendre les drogues. Il avait, entre autres œuvres [ajouté], composé une bergerade héroïque en l’honneur du chevalier Hugh Middleton qui en 1608 apporta à Londres une rivière. [faux départ: "Ce chevalier, à la tête d'une armée de six cents hommes armés de pelles et de pioches, prit"] Cette rivière était tranquille dans le comté de Hartford, à soixante milles de Londres ; le chevalier Middleton [ajouté] vint et la prit ; il amena une brigade ["vint...": corrige "à la tête d'une armée"] de six cents hommes armés de pelles et de pioches, ["arriva, et p" barré] se mit à remuer la terre, la creusant ici, l’élevant là, parfois vingt pieds [copie: un mot ("de", "plus"?) barré] haut, parfois trente pieds profond, fit des aqueducs de bois en l’air, et ça et là huit cents ponts, de pierre, de brique, de madriers, ["le tout à ses frais," barré et déplacé plus loin] et un beau matin, ["en 16++," barré] la rivière entra dans Londres, qui manquait d’eau. Ursus transforma tous ces détails vulgaires en une belle bucolique entre le fleuve Tamise et la rivière Serpentine ; le fleuve [faux départ: "offrait son lit"] invitait la rivière à venir chez lui, et lui offrait son lit, et lui disait : « — Je suis trop vieux pour plaire aux femmes, mais je suis assez riche pour les payer. » — Tour ingénieux et galant pour exprimer [corrige "dire"] que sir Hugh ["sir Hugh" ajouté] Middleton avait fait tous les travaux à ses frais. [bas du folio blanc]
[f° 8, D; mise au net; folio intercalé. Le texte initial, barré, est déplacé au folio précédent, auquel celui-ci est donc antérieur.]
[barré: "Ursus disait : « — L’expectoration d’une sentence soulage. Le loup est consolé par le hurlement, le mouton par la laine, la forêt par la fauvette, la femme par l’amour, et le philosophe par l’épiphonème. —»]
* [ajouté à l'encre rouge. Au ms, mais pas à la copie, Hugo a oublié de porter la marque d'alinéa.]
Ursus était remarquable dans le soliloque. D’une complexion farouche et bavarde [corrige "Etant bavard et farouche"], ayant le désir de ne voir personne et le besoin de parler à quelqu’un, il se tirait d’affaire en se parlant à lui-même. Quiconque a vécu solitaire sait à quel point le monologue est dans la nature. La parole intérieure démange. [phrase ajoutée] Haranguer le vide [variante sans choix préférée à la copie: "l’espace"] est un exutoire. Parler tout haut et tout seul, cela fait l’effet d’un dialogue avec le dieu qu’on a en soi. C’était, on ne l’ignore point, l’habitude [corrige "la manière"] de Socrate. Il se pérorait. Luther aussi. [faux départ: "+ + faculté d'être son propre auditoire"] Ursus tenait de ces grands hommes. Il avait cette faculté [faux départ: "d'être son propre auditoire"] hermaphrodite d’être son propre auditoire. Il s’interrogeait et se répondait ; il se glorifiait et s’insultait. On l’entendait de la rue monologuer dans sa cahute. Les passants, qui ont leur manière à eux d’apprécier les gens d’esprit [corrige "les sages", de même à la copie], disaient : c’est un idiot [corrige "fou", de même à la copie]. Il s’injuriait [corrige "s'insultait", correction non faite sur la copie] parfois, nous venons de le dire; [copie: virgule] mais il y avait aussi des heures où il se rendait justice. Un jour [copie: virgule] dans une de ces allocutions qu’il s’adressait à lui-même, on l’entendit s'écrier : « — J’ai étudié le végétal dans tous ses mystères, dans la tige, dans le bourgeon, [trait inversant l'ordre des deux termes: ils ont d'emblée l'ordre définitif à la copie] dans la sepale, dans la pétale, dans l’étamine, dans la carpelle, dans l’ovule, dans la thèque, dans la sporange, et dans l’apothécion. J’ai approfondi la chromatie, l’osmosie, et la chymosie, c’est à dire la formation de la couleur, de l’odeur et de la saveur. » — Il y avait sans doute, dans ce certificat qu’Ursus délivrait à Ursus, quelque fatuité, mais que ceux qui n’ont point approfondi la chromatie, l’osmosie et la chymosie, lui jettent la première pierre. ["Il s'injuriait...": addition; de même à la copie]
* [ajouté à l'encre rouge, de même à la copie. Marque d'alinéa, à l'encre noire, au manuscrit seulement.]
Heureusement [faux départ: + +] Ursus [corrige "il", de même à la copie] n’était jamais allé dans les Pays-Bas [corrige "en Hollande"]. On l’y eût certainement voulu peser pour savoir s’il avait le poids normal au delà ou en deçà duquel un homme est sorcier. Ce poids en Hollande était sagement fixé par la loi. Rien n’était plus simple et plus ingénieux. C’était une vérification. [phrase ajoutée] On vous mettait dans un plateau, et l’évidence éclatait si vous rompiez l’équilibre. Trop lourd, vous étiez pendu [en sc. sur "brûlé"] ; trop léger, vous étiez brûlé. [faux départ: "La balance à peser"] On peut voir encore aujourd’hui [addition abandonnée: "au dix-neuvième siècle,"] à Oudewater, la balance à peser les sorciers, mais ["la religion a tant dégénéré qu'": barré et déplacé] elle sert maintenant à peser les fromages, tant la religion a dégénéré ! [", tant la religion": correction et déplacement; mêmes corrections à la copie] Ursus eût eu certainement maille à partir avec [corrige "affaire à"] cette balance. Dans ses voyages, il s’abstint de la Hollande, et fit bien. Du reste, nous croyons qu’il ne sortait point de la Grande-Bretagne. ["Quoi qu'il en fût": ajouté pour indiquer le raccord au folio suivant]
* [ajouté à l'encre rouge, de même à la copie. Marque d'alinéa, à l'encre noire au manuscrit et à l'encre rouge à la copie.]
[f° 9, E. Les premières lignes, barrées, de ce folio, montrent qu'il prenait la suite du folio 5.]
["l’honneur de le prendre pour un fou; mais on l’avait relâché, s’apercevant qu’il n’était qu’un poëte. Cette histoire n'était probablement pas vraie, nous avons tous de ces légendes que nous subissons." barré] Quoi qu’il en fût, étant très pauvre et très âpre [corrige "fier"; copie: "fier"], et ayant fait dans un bois la connaissance d’Homo, le goût de la vie errante lui était venu [corrige "lui avait pris"]. Il avait pris ce loup en commandite, et il s’en était allé avec lui par les chemins, vivant à l’air libre de la grande vie du hasard. [début d'un système d'additions allant jusqu'à "Sa cahute était"] Il avait beaucoup d’industrie et d’arrière-pensée [corrige "de malices"] et un grand art en toute chose pour guérir, opérer, tirer les gens de maladie, et accomplir des particularités surprenantes ; il était considéré comme bon saltimbanque et bon médecin ; il passait aussi, on le comprend, [incise ajoutée] pour sorcier [variante sans choix: "magicien" qui, à la copie corrige, "sorcier"] ; un peu, pas trop ; car [",on vient de le dire,": addition barrée au ms, texte barré à la copie] il était malsain à cette époque d’être cru ami du diable. À vrai dire, [corrige "En réalité"] Ursus, par passion de pharmacie et amour des plantes, s’exposait, vu qu’il [corrige "car il", de même à la copie] allait souvent cueillir des herbes dans les fourrés bourrus où sont les salades de Lucifer, et où l’on risque, comme l’a constaté le conseiller De l’Ancre, de rencontrer dans la brouée du soir un homme qui sort de terre, « borgne de l’œil droit, sans manteau, l’épée au côté, pieds nus et deschaux ». Ursus du reste, quoique d’allure et de tempérament bizarre, était trop galant homme pour attirer ou chasser la grêle, faire paraître des faces, tuer un homme du tourment de trop danser, suggérer des songes clairs ou tristes et pleins d’effroi, et faire naître des coqs à quatre ailes ; il n’avait pas [corrige "point"] de ces méchancetés-là. Il était incapable de certaines abominations. Comme, par exemple, ["de certaines abominations..." addition] de parler allemand, hébreu ou grec sans l’avoir appris, ce qui est le signe d’une scélératesse exécrable [corrige "abominable"], ou d’une maladie naturelle procédant de quelque humeur mélancolique. Si Ursus parlait latin, c’est qu’il le savait. [faux départ: "Il ne parlait pas"] Il ne se serait point permis de parler syriaque, attendu qu’il ne le savait pas ; en outre, il est ["attendu ..." corrige "lors même qu'il l'aurait su car il est"; même correction à la copie] avéré que le syriaque est la langue des sabbats. ["Ursus du reste...": addition de second niveau] En médecine, il préférait correctement Galien ["correctement..." corrige "+ Hippocrate"] à Cardan, Cardan, tout savant homme qu’il est, n’étant qu’un ver de terre au respect de Galien [corrige "Hippocrate"]. ["En médecine...": addition de troisième niveau]
* [ajouté à l'encre rouge, de même à la copie. Marque d'alinéa manquante au manuscrit, portée à l'encre noire à la copie.]
En somme [corrige "Quoi qu'il en fût", de même à la copie], Ursus n’était point un personnage inquiété par la police. [fin des additions commençant à "Il avait beaucoup d'industrie". Cette dernière phrase conclut l'addition de premier niveau.] Sa cahute était assez longue et assez large pour qu’il pût s’y coucher sur un coffre où étaient ses hardes, peu somptueuses. Il était propriétaire d’une lanterne, de plusieurs perruques, ["d'une lanterne...": correction en deux temps de ++] et de quelques ustensiles accrochés à des clous, parmi lesquels des instruments de musique ["Il était propriétaire...": addition de premier niveau où "parmi lesquels des instruments..." se substitue à "La cahute était à lui, et au loup."]. Il possédait en outre une peau d’ours dont il se couvrait les jours de grande performance ; il appelait cela se mettre en costume. Il disait : J’ai deux peaux ; voici la vraie. Et il montrait la peau d’ours. La cahute à roues était à lui et au loup. ["Il possédait en outre...": addition à l'addition précédente] Outre sa cahute, sa cornue et son loup, il avait une flûte et une viole de gambe, et il en jouait agréablement. Il fabriquait lui-même ses élixirs. ["Il fabiquait..." se substitue à une ligne et demi non lue] ["Outre...": addition à l'addition précédente: troisième niveau] Il tirait de ses talents de quoi souper quelquefois. [première rédaction: "Il tirait de ses élixirs [+ + + : addition abandonnée] juste assez de liards pour manger à peu près [corrigé en: "souper quelquefois"]."] Il y avait au plafond [corrige "toit"] de sa cahute un trou par où passait le tuyau d’un poële de fonte contigu à son coffre, assez pour roussir le bois [", assez pour...": addition; manque à la copie]. Ce poêle avait deux compartiments ; Ursus dans l’un faisait cuire de l’alchimie ["Ursus dans l'un...": correction cursive de "dans l'un Ursus faisait de l'alchimie"], et dans l’autre des pommes de terre. La nuit, le loup dormait sous la cahute, amicalement enchaîné. Homo avait le poil noir, et Ursus le poil gris ; Ursus avait cinquante ans, à moins qu’il n’en eût soixante. Son acceptation de la destinée humaine était telle, qu’il mangeait, on vient de le voir, des pommes de terre, immondice dont on nourrissait alors les pourceaux et les forçats. Il mangeait cela, indigné et résigné. Il n’était pas grand, il était long. Il était ployé et mélancolique. La taille courbée du vieillard, c’est le tassement de la vie. La nature l’avait fait pour être triste. Il lui était difficile de sourire et il lui avait toujours été impossible de pleurer. ["Homo avait le poil noir...": une série de corrections et d'additions enchevêtrées conduit au texte définitif. Texte initial : "Ursus avait passé cinquante ans. Il n'était pas grand, il était long. Il était ployé et mélancolique. La nature l'avait fait pour être triste. Il lui était difficile de sourire et impossible de pleurer." Texte donné à la copie: "Homo avait le poil noir, et Ursus le poil gris; Ursus avait cinquante ans, à moins qu'il n'en eût soixante. Il n'était pas grand. Il était long. Il était ployé et mélancolique. La nature l'avait fait pour être triste. Il lui était difficile de sourire et impossible de pleurer." Les dernières modifications sont faites à la fois au ms et à la copie: ajout de "Son acceptation... les pourceaux et les forçats.", de "Il mangeait cela... résigné." et de "La taille courbée du vieillard, c'est le rassement de la vie."] Il lui manquait cette consolation, les larmes, et ce palliatif, la joie [corrige "le rire"]. Un vieux homme [corrige "vieillard"] est une ruine pensante ; Ursus était cette ruine-là. Une loquacité de charlatan, une maigreur de prophète, une irascibilité de mine chargée, tel était Ursus. Dans sa jeunesse il avait été philosophe chez un lord.
Cela se passait il y a cent quatrevingts [corrige "soixante"] ans, du temps que les hommes étaient ["des loups" barré en correction cursive] un peu plus des loups qu’ils ne sont aujourd’hui.
Pas beaucoup plus.
[f° 10, F]
Homo n’était pas le premier loup venu. À son appétit de nèfles et de pommes, on l’eût pris pour un loup de prairie, à son pelage foncé, on l’eût pris pour un lycaon, et à son hurlement atténué en [corrige "mitigé d' "] aboiement, on l’eût pris pour un culpeu ; mais on n’a point encore assez observé la pupille du culpeu pour être sûr que ce n’est point un renard, et Homo était un vrai loup. Sa longueur était de cinq pieds, ce qui est une belle longueur de loup, même en Lithuanie ; il était très-fort ; il avait le regard oblique, ce qui n’était pas sa faute ; ["il avait le regard..." remplace "il était le supérieur des chiens et l'égal des ânes;"] il avait la langue douce, et il en léchait parfois Ursus ; il avait une étroite ["Sa longueur..." addition correctrice de "Il était plus fort qu'aucun chien, il avait une longue"] brosse de poils courts sur l’épine dorsale, et il était maigre d’une bonne maigreur de forêt [corrige "loup"]. Avant [". Avant" corrige ", et avant"] de connaître Ursus et d’avoir une carriole à traîner, il faisait allègrement ses quarante lieues dans une nuit. Ursus, le rencontrant dans un hallier, près d’un ruisseau d’eau vive, ["près d'un ...": addition] l’avait pris en estime en le voyant pêcher des écrevisses avec sagesse et prudence, et avait salué en lui un honnête et authentique loup Koupara, du genre dit chien crabier.
Ursus préférait Homo, comme bête de somme, à un âne. Faire tirer sa cahute à un âne lui eût répugné ; il faisait trop cas de l’âne pour cela. En outre il avait remarqué que l’âne, songeur à quatre pattes peu compris des hommes, a parfois un dressement d’oreilles inquiétant quand les philosophes disent des sottises. Dans la vie, entre notre pensée et nous, un âne est un tiers . C’est gênant. [Phrase placée, au ms., entre barres verticales (marque d'hésitation) qui sont barrées à la copie.] Comme ami, Ursus préférait Homo à un chien, ["comme ami,": déplacé en tête de phrase] estimant [corrige "sentant"(?)] que le loup vient de plus loin vers l’amitié.
C’est pourquoi Homo suffisait à Ursus. Homo était pour Ursus plus qu’un compagnon, c’était un analogue. [phrase ajoutée] Ursus [corrige "Il"] lui tapait ses flancs creux [corrige "maigres"] en disant : J’ai trouvé mon tome second.
Il disait encore : « Quand je serai mort, qui voudra me connaître n’aura qu’à étudier Homo. Je le laisserai après moi pour copie conforme. » ["Ursus préférait...: les trois paragraphes sont ajoutés]
La loi anglaise, peu tendre aux bêtes des bois, eût pu ["lui" barré] chercher querelle à ce loup ["à ce loup": ajouté] et le chicaner sur sa hardiesse d’aller familièrement dans les villes ; mais Homo profitait de l’immunité accordée par un statut d’Edouard IV aux « domestiques ». — « Pourra tout domestique suivant son maître aller et venir librement. » [le guillemet fermant manque au ms.] — En outre, ["un relâchement" barré en correction cursive] un certain relâchement à l’endroit des loups était résulté de la mode des ["résulté..." corrige "venu de l'habitude qu'avaient ["prise par": correction abandonnée] les"] femmes de la cour, sous les derniers Stuarts, d’avoir, en guise de chiens, de petits loups-corsacs, dits Adives, gros comme des chats, qu’elles faisaient venir d’Asie à grands frais.
[changement d'écriture: paragraphe probablement ajouté] Ursus avait communiqué à Homo une partie de ses talents, se tenir debout, délayer sa colère en mauvaise humeur, bougonner au lieu de hurler, [cinq ou six mot barrés] etc. ; et de son côté le loup avait enseigné à l’homme ce qu’il savait, se passer de toit, se passer de pain, se passer de feu, préférer la faim dans un bois à l’esclavage dans un palais.
[f° 11, G] La cahute ["d'Ursus" barré], sorte de cabane-voiture qui suivait l’itinéraire le plus varié, sans sortir pourtant d’Angleterre et d’Écosse, ["sans sortir...": addition; sous une première forme: "sans sortir d'Angleterre pourtant,"; même correction à la copie] avait quatre roues, plus un brancard pour le loup, et un palonnier pour l’homme. Ce palonnier était l’en-cas des mauvais chemins. Elle était solide bien que bâtie en planches légères comme un colombage. Elle avait à l’avant une porte vitrée avec un petit balcon servant aux harangues, tribune mitigée de chaire, et à l’arrière une porte pleine trouée d’un vasistas ["à l'avant..." corrige "une tribune(?) à l'avant et à l'arrière une porte avec vasistas"]. L’abattement d’un marche-pied de trois degrés tournant sur charnière et dressé derrière la porte à vasistas ["à vasistas": addition] donnait entrée dans la cahute, bien [ajouté] fermée la nuit [ajouté] de verroux et de serrures. Il avait beaucoup plu et beaucoup neigé dessus. [phrase ajoutée] Elle avait été peinte, mais on ne savait plus trop de quelle couleur, les changements de saison étant pour les carrioles comme les changements de règne pour les courtisans, À l’avant, au dehors, sur une espèce de frontispice en volige, on avait pu jadis déchiffrer ["avait pu..." corrige "déchiffrait" qui corrige "lisait"] cette inscription, en caractères [corrige "lettres"] noirs [corrige "noires"; correction abandonnée: "blancs"] sur fond blanc, lesquels s’étaient peu à peu mêlés et confondus ["lesquels..." corrige et reprend ["fond et lettres": barré en correction cursive] fond et caractères maintenant [en sc. sur +] mêlés et ["effacés + +" barré en correction cursive] confondus"].
« — L’or perd annuellement par le frottement un quatorzecentième de son volume ; c’est ce qu’on nomme le frai ; d’où il suit que, sur quatorze cents millions d’or circulant par toute la terre, il se perd tous les ans un million. Ce million d’or [ajouté] s’en va en poussière, s’envole, flotte, est atôme, devient respirable, charge, dose, leste et ["charge..." corrige "leste, dose et"] appesantit les consciences, et s’amalgame avec ["s'amalgame avec" corrige cursivement "entre dans"] l’âme des riches qu’il rend superbes et avec l’âme des pauvres qu’il rend farouches. —»
Cette inscription, effacée et biffée [effacée..." corrige "aux trois quarts effacée"] par la pluie et par la bonté de la providence, était heureusement illisible [corrige "peu lisible"], car il est probable qu’à la fois énigmatique et transparente, cette philosophie de l’or respiré n’eût pas été du goût des shériffs, prévôts, marshalls, et autres porte-perruques de la loi. La législation anglaise ne badinait pas dans ce temps-là. On était aisément félon. Les magistrats se montraient féroces par tradition, et la cruauté était de routine. Les juges d’inquisition pullulaient. Jeffreys avait fait des petits. ["qu'à la fois...": deux additions successives en marge, d'abord "qu'à la fois... aisément félon." puis "Les magistrats... fait des petits." reprennent et corrigent, au terme de plusieurs corrections, le texte initial : "que cette philosophie du million respiré eût attiré l'attention des shériffs et des prévôts sur cet homme et sur ce loup." Etat intermédiaire: "que, encore qu'assez énigmatique pour des gens de loi, cette philosophie de l'or respiré n'eût pas été du goût des shériffs, prévôts, et autres porte-perruques de la loi. La loi anglaise ne badinait pas dans ce temps-là."]
Dans l’intérieur de la cahute il y avait deux autres inscriptions. [La phrase est d'abord: "Dans l'intérieur de la cahute autre inscription." Puis: "Dans l'intérieur de la cahute il y avait une autre inscription." La seconde correction, qui passe d'une inscription à deux, est aussi faite à la copie, signe, entre d'autres, que les folios 15-18 ont été intercalés au cours de la copie.] Au-dessus du coffre, sur la paroi de planches lavée à l’eau de chaux, on lisait ceci, écrit [f° 12, H] à l’encre et à la main :
« SEULES CHOSES QU’IL IMPORTE DE SAVOIR :
« Le baron pair d’Angleterre porte un tortil à six perles.
« La couronne commence au vicomte.
« Le vicomte porte une couronne de perles sans nombre ; le comte une couronne de perles sur pointes entremêlées de feuilles de fraisier plus basses ; le marquis, perles et feuilles d’égale hauteur ; le duc, fleurons sans perles ; le duc royal, un cercle de croix et de fleurs-de-lys ; le prince de Galles, une couronne pareille à celle du roi, mais non fermée.
« Le duc est très haut et très puissant prince ; le marquis et le comte, très noble et puissant seigneur ; le vicomte, noble et puissant seigneur ; le baron, véritablement seigneur.
« Le duc est Grâce ; les autres pairs sont seigneurie.
« Les pairs sont inviolables. ["Le duc est très haut...": addition]
« Les lords sont chambre et cour, consilium et curia, législature et justice.
« Most honourable » est plus que « right honourable ».
« [faux départ: "Le lord ne prête jam"]
Les lords pairs sont qualifiés « lords de droit » les lords non pairs
sont « lords de courtoisie ». Il n’y a de lords que ceux qui sont pairs.
[corrige "Il n'y a de lords que ceux qui sont
pairs. Les autres lords sont «de courtoisie»."]
« Le lord ne prête jamais serment, ni au roi, ni en justice. Sa parole suffit. [Noté en 15 812, f° 3bis] Il dit : sur mon honneur. ["Il dit...": addition]
« Les communes, qui sont le peuple, [", qui sont...": addition] mandées à la barre des lords, s’y présentent humblement, tête nue, devant les pairs couverts.
« Les communes envoient aux lords les bills [corrige "le bill adopté"] par quarante membres qui présentent le bill avec trois révérences profondes.
« Les lords envoient aux communes les bills par un simple clerc.
« En cas de conflit, les deux chambres confèrent dans la chambre peinte, les pairs assis et couverts, les communes [corrige "députés"] debout et nu-tête.
["« Les lords sont inviolables." : addition barrée pour déplacement]
« D’après une loi d’Edouard VI, les lords ont le privilége d’homicide
simple. Un lord qui tue un homme simplement n’est pas poursuivi. ["les lords ont..." corrige "les pairs ne peuvent
être poursuivis pour homicide simple."]
« Les barons ont le même rang [corrige "siège"] que les évêques.
« Pour être baron pair, il faut relever du roi par [la lecture "per" de HQ n'est pas impossible] baroniam integram, par baronie entière.
« La baronie entière se compose de treize fiefs nobles et un quart, chaque fief noble étant de vingt livres sterling, ce qui monte à quatre cents marcs. ["quatre cents marcs." est ajoutés d'une autre écriture dans le blanc ménagé]
« Le chef de baronie, caput baroniæ, est un château héréditairement régi comme l’Angleterre elle-même ; c’est-à-dire ne pouvant être dévolu aux filles qu’à défaut d’enfants mâles, et en ce cas allant à la fille aînée, [f° 13, I] cœteris filiabus aliunde satisfactis(1). [(1) Ce qui revient à dire : on pourvoit les autres filles comme on peut. (Note d’Ursus. En marge du mur.)]
« Les barons ont la qualité de lord, du saxon laford, (du grand latin Dominus) [parenthèses -ou barres d'hésitation- barrées à la copie] et du bas latin lordus.
« Les fils aînés et puînés des vicomtes et barons sont les premiers écuyers du royaume.
« Les fils aînés des pairs ont le pas sur les chevaliers de la Jarretière ; les fils puînés, point [corrige + + +].
« Le fils aîné d’un vicomte marche après tous les barons et avant tous les baronnets. ["Les fils aînés et puinés...": ces trois derniers paragraphes sont en addition.]
« Toute fille de lord est lady. Les autres filles anglaises sont miss.
« Tous les juges sont inférieurs aux pairs. Le sergent a un capuchon de peau d’agneau ; le juge a un capuchon de menu vair, de minuto vario, quantité de petites fourrures blanches de toutes sortes, hors l’hermine. L’hermine est réservée aux pairs et au roi.
« On ne peut accorder de supplicavit contre un lord.
« Un lord ne peut être contraint par corps. Hors le cas de Tour de Londres.
« Un lord appelé chez le roi a droit de tuer un daim ou deux ["ou deux": addition] dans le parc royal.
« Le lord tient dans son château cour de baron.
« Il est indigne d’un lord d’aller dans les rues avec un manteau suivi de deux laquais. Il ne peut se montrer qu’avec un grand train de gentilshommes domestiques.
« Les pairs se rendent au parlement en carrosses à la file ; les communes, point. Quelques pairs vont à Westminster [corrige "y vont"] en chaises ["à quatre roues": barré en correction cursive] renversées à quatre roues. La forme de ces chaises [corrige "carosses"] et de ces carrosses [corrige "chaises"] armoriés et couronnés n’est permise qu’aux lords et fait partie de leur dignité. [Paragraphe substitué à "Aucun lord ne se couvre devant le roi, excepté Henry Ratcliffe, comte de Surrey." De même à la copie qui enregistre d'emblée les corrections faites sur le ms..]
« Un lord ne peut être condamné à l’amende que par les lords et jamais à plus de cinq schellings, excepté le duc, qui peut être condamné à dix.
« Un lord peut avoir chez lui six étrangers. Tout autre anglais n’en peut avoir que quatre.
« Un lord peut avoir huit tonneaux de vin sans payer de droits.
« Le lord est seul exempt de se présenter devant le shériff de circuit.
[paragraphe ajouté]
« Le lord ne peut être taxé pour la milice.
« Quand il plaît à un lord, il lève un régiment et le donne au roi ; ainsi font leurs grâces le duc d’Athol, le duc de Hamilton, et le duc de Northumberland.
« Le lord ne ["justiciable"(?) barré en correction cursive] relève que des lords. ["Le lord..." remplace "En matière pénale, le lord ne relève que des lords."]
« Dans les procès d’intérêt civil, [corrige "En matière civile,"] il peut demander son renvoi de la cause, s’il n’y a pas au moins un chevalier parmi les juges.
« Le lord nomme ses chapelains.
« Un baron nomme trois chapelains ; un vicomte, quatre ; un comte et un marquis, cinq ; un duc, six.
« Le lord ne peut être mis à la question, [f° 14, J] même pour haute-trahison.
« Le lord ne peut être marqué à la main.
« Le lord est clerc, même ne sachant pas lire. Il sait de droit.
« Un duc se fait accompagner par un dais partout où le roi n’est pas ; un vicomte a un dais dans sa maison ; un baron a un couvercle d’essai et se le fait tenir sous la coupe pendant qu’il boit ; une baronne a le droit de se faire porter la queue par un homme en présence d’une vicomtesse.
« Quatre-vingt-six lords, ou fils aînés de lords, président aux quatre-vingt-six tables, de cinq cents couverts chacune, qui sont servies tous les jours [variante sans choix: "chaque jour", choisie à la copie] à sa majesté dans son palais aux frais du pays environnant la résidence royale ["du pays..." corrige "du peuple, sans compter sept cent mille livres sterling de liste civile"].
[" « Les cent soixante-douze pairs régnant sous Jacques II possèdaient [variante sans choix: "possèdent"] entr'eux, en bloc, un revenu de douze cent soixante douze mille livres sterling par an, qui étaient [variante sans choix: "est"] la onzième partie du revenu de l’Angleterre. " barré et déplacé au folio 18.]
« Un roturier qui frappe un lord a le poing coupé.
« Le lord est à peu près roi.
« Le roi est à peu près Dieu.
« La terre est une lordship.
« On dit [variante sans choix "Les anglais disent" préférée à la copie] à Dieu mylord.
[blanc au bas du folio]
[f° 15, K. La correction, plus haut, de "une autre inscription" en "deux autres", le blanc à la fin du f° précédent, et la modification de la numérotation des folios de la copie indiquent l'intercalation de ce folio et des suivants jusqu'au f° 18.] Vis-à-vis cette inscription, on en lisait une deuxième, écrite de la même façon [en sc. sur "manière"], et que voici :
["Choses dont est faite la grandeur, gloire, puissance et prospérité publique de l'Angleterre" centré et doublement souligné pour petites capitales; barré, peut-être en correction cursive]
« SATISFACTIONS QUI DOIVENT SUFFIRE À CEUX QUI N’ONT RIEN
« Henri Auverquerque, comte de Grantham, qui
siége à la chambre des lords entre le comte de Jersey et le comte de
Greenwich, ["qui siège...": addition]
a cent mille livres sterling de rente. C’est à Sa Seigneurie
qu’appartient le palais Grantham-Terrace, bâti tout en marbre, et
célèbre par ce qu’on appelle le labyrinthe des corridors, qui est une
curiosité où il y a le corridor incarnat en marbre de Sarancolin, le
corridor brun en lumachelle d’Astracan, le corridor blanc en marbre de
Lani, le corridor noir en marbre d’Alabanda, le corridor gris en marbre
de Staremma, le corridor jaune en marbre de Hesse, le corridor vert en
marbre du Tyrol, le corridor rouge, mi-parti griotte de Bohême et
lumachelle de Cordoue, le corridor bleu en turquin de Gênes, le corridor
violet en granit de Catalogne, le corridor deuil, veiné blanc et noir,
en schiste de Murviedro, le corridor rose en cipolin des Alpes, le
corridor perle en lumachelle de Nonette, et le corridor de toutes
couleurs, dit corridor courtisan, en brèche arlequine. ["Henri...":
addition; de même à la copie. Au ms ce texte remplace deux
paragraphes: "George, comte de Wannington, a dans le comté de Chester,
Dunham Massie, baronnie dont la façade est flanquée de deux hautes
tourelles, et dont le parc [en sc. sur +] contient, comme l'île de
Crète, un labyrinthe.
Lord Barnard a +, dans le pays de Kent, et des jardins infinis à la française, où il se promène en carrosse à six chevaux précédé de deux piqueurs, comme il convient à un pair d'Angleterre." A la copie, le nouveau texte est écrit sur un papier collé qui masque l'ancien, barré avant ce collage.]
« Richard Lowther, ["Richard..." corrige "Le"; de même à la copie] vicomte Lonsdale, a Lowther, dans le Westmoreland, qui est d’un abord fastueux et dont le perron semble inviter les rois à entrer.
« Richard, comte de Scarborough, vicomte et baron Lumley, vicomte de Waterford en Irlande, lord-lieutenant et vice-amiral du comté de Northumberland, et de Durham, ville et comté, [vicomte de Waterford...": addition; de même à la copie] a la double châtellenie de Stansted, l’antique et la moderne, où l’on admire une superbe grille en demi-cercle entourant un ["grand" barré; corrigé "large" également barré] bassin avec jet d’eau incomparable [ajouté]. ["Il a de plus son château de Lumley." Cette phrase, ajoutée à la copie, ne figure pas dans le ms.]
« Robert Darcy, comte de Holderness, a son domaine de Holderness, avec tours de baron, et des jardins infinis à la française où il se promène en carrosse à six chevaux précédé de deux piqueurs, comme il convient à un pair d’Angleterre. ["Robert d'Arcy..." addition, de même à la copie; elle récupère partiellement le texte barré plus haut.]
« Charles Beauclerk, duc de Saint-Albans, comte de Burford, baron Heddington [corrige "Hettingdon"], ["comte de Burford...": addition; de même à la copie où "Heddington" figure d'emblée, signe que l'ajout a été fait d'abord au ms] grand fauconnier d’Angleterre, a une maison [corrige "un palais"] à Windsor, royale à côté de celle du roi.
« Charles Bodville, ["Charles...": addition; de même à la copie] lord Robartes, baron Truro, vicomte Bodmyn, a Wimple en Cambridge, qui fait trois palais avec trois frontons, un arqué et deux triangulaires. L’arrivée [corrige +] est à quadruple rang d’arbres.
« Le très-noble et très-puissant lord Philippe [addition; de même à la copie] Herbert, vicomte de Caërdif, comte de Montgomeri, comte de Pembroke, ["comte de Pembroke,": addition; de même à la copie] seigneur pair et rosse de Candall, Marmion, Saint Quentin et Churland, gardien de l’étanerie dans les comtés de Cornouailles et de Devon, visiteur héréditaire du collége de Jésus, a le merveilleux jardin de Willton où il y a deux bassins à gerbe plus beaux que le Versailles du Roi Très Chrétien Louis quatorzième.
« Charles Seymour, duc de Somerset, a Somerset-House sur la Tamise, qui égale la villa Pamfili de Rome. On remarque sur la grande cheminée deux vases de porcelaine de la dynastie des Yuen, lesquels valent un demi-million de France. [phrase ajoutée; de même à la copie]
« En Yorkshire, Arthur, lord Ingram, vicomte Irwin, [f° 16, L; folio intercalé, voir au précédent] a Temple-Newsham où l’on entre par un arc de triomphe, et dont les larges [en sc. sur "vastes"] toits plats ressemblent aux terrasses morisques.
« Robert, lord Ferrers de Charteley [corrigé à la copie en "Chartley"], Bourchier et Lovaine, a, dans le Leicestershire, Staunton-Harold dont le parc en plan géométral a la forme d’un temple avec fronton ; ["appliqué à sa + ," - le point-virgule qui précède a sans doute été ajouté en même temps que ces mots étaient barrés] et, devant la pièce d’eau, la grande église à [ + barré en correction cursive] clocher carré est à Sa Seigneurie.
« Dans le comté de Northampton, Charles Spencer [corrige "Robert"; de même à la copie], comte de Sunderland, un du conseil privé de Sa Majesté, ["un du....": addition; de même à la copie] possède Althrop où l’on entre par une grille à quatre piliers surmontés de groupes de marbre.
« Laurence Hyde, ["Laurence +" corrige "Le"; de même à la copie] comte de Rochester, a, en Surrey, New-Parke [corrige "New-Place"; de même à la copie], magnifique par son acrotère sculpté, son gazon circulaire entouré d’arbres, et ses forêts à l’extrémité desquelles il y a une petite montagne artistement arrondie et surmontée d’un grand chêne qu’on voit de loin.
« Philippe Stanhope, comte de Chesterfield, possède [corrige "a"] Bredby, en Derbyshire, qui a un pavillon d’horloge superbe, des fauconneries, des garennes et de très belles eaux longues, carrées et ovales, dont une en forme de miroir, avec deux jaillissements qui vont très haut.
« Lord Cornwallis, baron de Eye, a Brome Hall qui est un palais du quatorzième siècle.
« Le très noble [corrige "Le comte d'Essex,"] Algernon Capel, vicomte Malden, comte d’Essex, a Cashiobury en Hertfordshire, château qui a la forme d’un grand H et où il y a des chasses fort giboyeuses.
« Charles, lord Ossulstone [correction cursive de "Ossu+"], a Dawly en Middlesex où l’on arrive par des jardins italiens.
« James Cecill, ["James... " corrige "Le"; de même à la copie] comte de Salisbury, à sept lieues de Londres, a Hatfield House, avec ses quatre pavillons seigneuriaux, son beffroi au centre et sa cour d’honneur dallée de blanc et de noir comme celle de ["celle de" ajouté] Saint-Germain. ["blanc et de noir..." corrige "+."] Ce palais, qui a deux cent soixante douze pieds en front, a été bâti par le bisaïeul du comte régnant, lequel bisaïeul était grand trésorier d'Angleterre sous Jacques premier. ["par le bisaïeul...": Hugo améliore le texte en le reportant sur la copie: "sous Jacques Ier par le grand trésorier d’Angleterre, qui est le bisaïeul du comte régnant."] On y voit le lit d’une comtesse de Salisbury, d’un prix inestimable, [",d'un prix...": addition; elle est d'emblée intégrée au texte autographe de la copie] entièrement fait d’un bois du Brésil qui est une panacée contre la morsure des serpents, et qu’on appelle milhombres, ce qui veut dire mille hommes.. Sur ce lit est écrit [corrige "on lit"; de même à la copie] en lettres d’or : Honni soit qui mal y pense. [Ce palais, qui...": addition postérieure à la suivante; addition également à la copie]
« Edward Rich, comte de Warwick et Holland, a Warwick-Castle, où l’on brûle des chênes entiers dans les cheminées. [Ce paragraphe se substitue au texte suivant, qui semble inachevé et qui est repris et complété plus loin: "Le duc de Devonshire qui est Cavendish et qui porte pour devise Cavendo tutus ["qui est...": addition] , grand maître de la maison de sa majesté et chevalier du très noble ordre de la Jarretière, a Chatsworth"]
« Dans la paroisse de Seven-Oaks, Charles Sackville, baron Buckhurst, vicomte Cranfeild, comte de Dorset et Middlesex, ["Charles Sackville..." complète "le comte de Dorset"; de même à la copie] a Knowle, qui est grand comme une ville, et qui se compose de ["se compose de" corrige "a"; de même à la copie] trois palais [en sc sur "corps + +"] parallèles l’un derrière l’autre ["l'un derrière...": addition] comme des lignes d’infanterie, avec dix pignons à escalier sur la façade principale, et une porte sous donjon à quatre tours.
« Thomas Thynne, vicomte ["Thomas..." corrige "Lord"; de même à la copie] Weymouth, baron Varminster, possède [corrige "a"] Long-Leate, qui a presque autant de cheminées, de lanternes, de gloriettes, de poivrières, de pavillons et de tourelles que Chambord en France, lequel est au roi.
[f° 17, M] « Henry Howard, ["Henry ..." corrige "Le"; de même à la copie] comte de Suffolk, a, à douze lieues de Londres, le palais d’Audlyene en Middlesex, qui le cède à peine en grandeur et majesté à l’Escurial du roi d’Espagne ["le cède à peine..." corrige "a trois cents pieds de front"; de même à la copie].
« En Bedfordshire, Wrest-House-and-Park, qui est tout un pays enclos de fossés et de murailles, avec bois [corrige "forêts"], rivières et collines, est à Henri, marquis [corrige "comte"; de même à la copie] de Kent.
« Hampton-Court, en Hereford, avec son puissant donjon crénelé, et son jardin barré d’une pièce d’eau qui le sépare de la forêt, est à Thomas, lord Coningsby.
« Grimsthorp, en Lincolnshire, avec sa longue façade coupée de hautes tourelles en pal, ses parcs, ses étangs [en sc. sur +], ses faisanderies, ses bergeries, ses boulingrins, ses quinconces, ses mails, ses futaies, ses parterres brodés, quadrillés et losangés de fleurs, qui ressemblent à de grands tapis, ses prairies de course, et la majesté du cercle où les carrosses tournent avant d’entrer au château, appartient à Robert, comte Lindsay, lord héréditaire de la forêt de Walham.
« Up Parke, en Sussex, château carré avec ["ses" barré] deux pavillons symétriques à beffroi des deux côtés de la cour d’honneur, est au très honorable Ford, lord Grey, vicomte Glendale et comte de Tankarville.
« Newnham Padox, en Warwickshire, qui a deux ["vastes" barré, corrigé en +, barré également] viviers quadrangulaires [corrige "carrés"], et un ["haut" barré] pignon avec vitrail à quatre pans, est au comte de Denbigh, qui est comte de Rheinfelden en Allemagne.
« Wythame, dans le comté de Berk, avec son jardin français où il y a quatre tonnelles taillées, et sa grande tour crénelée accostée de deux hautes nefs de guerre, est à lord Montague, comte d’Abingdon, qui a aussi [corrige "en outre"] Rycott, dont il est baron, et dont la porte principale porte la devise : Virtus ariete fortior.
« William Cavendish, duc de Devonshire, a six châteaux, dont Chatsworth qui ["a deux" barré en correction cursive] est à deux étages du plus bel ordre grec, et en outre [corrige "de plus"] sa Grâce a son hôtel de Londres où il y a un lion qui tourne ["la queue" barré en correction cursive] le dos au palais du roi.
« Le vicomte Kinalmeaky, qui est comte de Cork en Irlande, a Burlington-house en Picadily, avec de vastes jardins qui vont jusqu’aux champs hors de Londres ; il a aussi Chiswick où il y a neuf corps de logis magnifiques ; il a aussi Londesburgh qui est un hôtel [corrige "palais"] neuf à côté d’un ["château" barré en correction cursive] vieux palais.
« Le duc de Beaufort a ["Chels+" barré en correction cursive] Chelsea qui contient deux châteaux gothiques et un château florentin ; il a aussi ["Badg" barré en correction cursive] Badmington en Glocester, qui est une résidence d’où rayonnent une foule d’avenues comme d’une étoile. Très noble et puissant prince Henri, duc de Beaufort, est en même temps marquis et comte de Worcester, baron Raglan, baron Power, et baron Herbert de Chepstow. [Cette phrase est en addition au ms et à la copie.]
[f° 18, N. Trait d'interruption.] « John Holles, duc de Newcastle et marquis de Clare, a Bolsover dont le donjon carré est majestueux [corrige "la tour carrée est majestueuse"], plus Haughton en Nottingham où il y a au centre d’un bassin une pyramide ronde imitant la tour de Babel.
« William, lord Craven, baron Graven de Hampsteard, ["baron..." addition; de même à la copie] a, en Warwickshire, une résidence, ["une résidence": addition] Comb Abbey, où l’on voit le plus beau jet d’eau ["d'A" barré en correction cursive] de l’Angleterre; et en Berkshire, deux baronies, Hampstead Marshall dont la façade offre cinq lanternes gothiques engagées, et Asdowne Park qui est un château au point d’intersection d’une croix de routes dans une forêt.
« Lord Linnœus [addition] Clancharlie, baron Clancharlie et Hunkerville, marquis de Corleone en Sicile, a sa pairie assise sur le château de Clancharlie, bâti en 914 par Édouard le Vieux contre les danois, plus Hunkerville-house à Londres, qui est un palais, plus, à Windsor, Corleone-lodge, qui en est un autre, ["plus, à Windsor...": addition; de même à la copie] et huit châtellenies, une à Bruxton sur le Trent, avec un droit sur les carrières d’albâtre, puis Gumdraith, Homble, Moricambe, Trenwardraith, Hell-Kerters où il y a un puits merveilleux, Pillinmore et ses marais à tourbe, Reculver près [en sc. sur +] de l’ancienne ville Vagniacæ, Vinecaunton, sur la montagne Moil-enlli ; plus dix-neuf bourgs et villages avec baillis, et tout le pays de Pens-neth-chase, ce qui ensemble rapporte à Sa Seigneurie quarante [corrige "vingt"; de même à la copie] mille livres sterling de rente.
[" «Et cœtera ": entre barres verticales, barré; de même à la copie]
« Les cent soixante douze pairs régnant sous Jacques II possèdent entre
eux en bloc, un revenu de douze cent soixante-douze mille livres
sterling par an, qui est la onzième partie du revenu de l’Angleterre. »
[guillemets déplacés après rature de "Cette
prospérité des lords va, grâce à Dieu, toujours croissant."]
[Trait d'interruption.]
En marge du dernier nom, lord Linnœus Clancharlie, on lisait cette note de la main d’Ursus :
— Rebelle ; en exil ; biens, châteaux et domaines sous le séquestre. C’est bien fait. —
[blanc au bas de la page]
[f° 19, O]
Ursus admirait Homo. On admire près de soi. C’est une loi. [paragraphe ajouté]
Être toujours sourdement furieux, c’était la situation intérieure [en sc. sur "extérieure"] d’Ursus, et gronder était sa situation extérieure. [une ligne ajoutée puis barrée] Ursus [corrige "Il"] était le mécontent de la création. Il était dans la nature celui qui fait de l’opposition. Il prenait l’univers en mauvaise part. [phrase ajoutée] Il ne donnait de satisfecit à qui que ce soit, ni à quoi que ce soit. Faire le miel n’absolvait pas l’abeille de piquer ; une rose épanouie [corrige "fleur"] n’absolvait pas le soleil de la fièvre jaune et du vomito negro ["de la fièvre..." corrige "d'être trop chaud"]. Il est probable que dans l’intimité Ursus [corrige "il"] faisait beaucoup de critiques à Dieu. Il disait : — [faux départ: "le di"] Évidemment, le diable est à ressort, et le tort de Dieu, c’est d’avoir lâché la détente. — ["Il disait...": addition; de même à la copie] Il n’approuvait guères que les princes, et il avait sa manière à lui de les applaudir. Un jour que Jacques II donna en don à la Vierge d’une chapelle catholique d'Irlande une lampe d’or massif, Ursus, qui passait par là, avec Homo, plus indifférent, ["avec Homo..": addition] éclata en admiration devant tout le peuple, et s’écria : « Il est certain que la sainte Vierge a bien plus besoin d’une lampe d’or que les petits [ajouté] enfants que voilà pieds nus n’ont besoin de souliers. »
["Il est probable que" barré] De telles preuves de sa « loyauté » et l’évidence de son respect pour les puissances établies ne contribuèrent probablement [ajouté] pas peu à faire tolérer par les magistrats ["désarmés" barré] son existence vagabonde [corrige "errante"] et sa mésalliance avec un loup. Il laissait quelquefois le soir ["le soir" ajouté] , par faiblesse amicale, Homo se détirer un peu les membres et errer en liberté autour de la cahute ; le loup était incapable d’un abus de confiance, et se comportait « en société », c’est-à-dire parmi les hommes, ["«en société..." addition] avec la discrétion d’un caniche ; pourtant, si l’on eût eu affaire à ["affaire à": en sc. sur +] des alcades de mauvaise humeur, cela pouvait avoir des inconvénients ; aussi Ursus maintenait-il, le plus possible [corrige "souvent"], l’honnête loup enchaîné. Au point de vue politique, ["Il laissait...": addition de second niveau; addition autographe à la copie -elle enregistre le texte corrigé] son écriteau sur l’or ["sur l'or" corrige "de façade"], devenu indéchiffrable et d’ailleurs peu intelligible, n’était autre chose qu’un barbouillage de façade ["autre chose..." corrige "guère qu'une restriction mentale"] et ne le dénonçait pas [en sc. sur "point"]. ["Son écriteau...": addition de premier niveau"] Même après Jacques II, et sous le règne « respectable » de Guillaume et Marie ["Même..." corrige "Le fait [correction: "La réalité"] est que, même sous Guillaume et Marie"] , les petites villes des comtés d’Angleterre pouvaient voir rôder paisiblement [corrige "librement"] sa carriole ["d'un bout + + + de la Grande-Bretagne à l'autre" barré en correction cursive]. Il voyageait librement [corrige "sans être inquiété"], d’un bout de la Grande-Bretagne à l’autre, débitant ["ses harangues," barré mais Hugo a oublié de barrer "ses"] ses philtres et ses fioles, faisant ["ses mômeries" barré en correction cursive], de moitié avec son loup, ses mômeries de médecin de carrefour, et il passait avec aisance à travers les mailles du filet de police tendu à cette époque ["tendu...": corrige, sans doute en correction cursive, "tendu pour"] par toute l’Angleterre pour éplucher les bandes nomades, et particulièrement pour arrêter au passage les « comprachicos ».
[f° 20, P] Du reste, c’était juste. Ursus n’était d’aucune bande. Ursus vivait avec Ursus ; tête à tête de lui-même avec lui-même dans lequel un loup fourrait ["gentiment": addition barrée] son museau. L’ambition d’Ursus eût été d’être caraïbe [corrige "sauvage"] ; ne le pouvant, il était celui qui est seul ["celui..." corrige "solitaire +"]. Le solitaire est un diminutif du sauvage, accepté par la civilisation. On est d’autant plus seul qu’on est errant. De là son déplacement perpétuel. Rester quelque part lui semblait de l’apprivoisement. [La phrase remplace en correction cursive "Il passait sa vie à passer" qui est barré, puis repris] Il passait sa vie à passer son chemin. La vue des villes redoublait en lui le goût des broussailles, des halliers, des épines, et des trous dans les rochers. Son chez lui était la forêt. Il ne se sentait pas très dépaysé dans le murmure [corrige "brouhaha"] des places publiques assez pareil au brouhaha [corrige "bruit] des arbres. La foule satisfait [correction cursive de "satisfaisait"] dans une certaine mesure le goût qu’on a du désert. Ce qui lui déplaisait dans cette cahute, c’est qu’elle avait ["un toit," barré] une porte et des fenêtres et qu’elle ressemblait à une maison. Il eût atteint son idéal s’il eût pu mettre une caverne sur quatre [corrige "des"; de même à la copie] roues, et voyager dans un antre [", et voyager...": addition].
[faux départ: "Nous l'avons"] Il ne souriait pas, nous l’avons dit, mais il riait . Parfois; fréquemment [corrige "Parfois, souvent"] même . D’un rire amer. Il y a du consentement dans le sourire, tandis que le rire est souvent un refus. ["Il ne souriait...": addition; de même à la copie]
Sa grande affaire était de haïr le genre humain. Il était implacable dans cette haine. Ayant tiré à clair ["tiré..." corrige "reconnu" qui corrige "constaté"] ceci que la vie humaine est une chose affreuse, ayant remarqué [corrige "constaté"] la superposition des fléaux, les rois sur le peuple, la guerre sur les rois, la peste sur la guerre, la famine sur la peste, la bêtise sur le tout, ayant constaté une certaine quantité de châtiment dans le seul fait d’exister, ayant reconnu que la mort est une délivrance, quand on lui amenait un malade, il le guérissait. Il avait des cordiaux et des breuvages [corrige "élixirs"] pour prolonger la vie des vieillards. Il remettait les culs-de-jatte sur leurs pieds, et leur jetait ce sarcasme : « Te voilà sur tes pattes. Puisses-tu marcher longtemps dans la vallée de larmes ! » Quand il voyait un pauvre mourant de faim, il lui donnait tous les liards qu’il avait sur lui en grommelant : — Vis, misérable ! mange ! dure longtemps ! ce n’est pas moi qui abrégerai ton bagne. — Après quoi, il se frottait les mains, et disait : — Je fais aux hommes tout le mal que je peux.
Les passants pouvaient, par le trou de la lucarne de l’arrière, lire [en sc. sur "voir"] au plafond de la cahute
cette enseigne [en sc. sur "inscription"],
["charbonnée" barré en correction cursive]
écrite à l’intérieur mais visible du dehors, et charbonnée en grosses
lettres : URSUS, PHILOSOPHE. [Le
paragraphe remplace "A l'arrière de la cahute, au haut de [corrigé
"sur"] la porte, au dessous du vasistas, on lisait en grosses lettres:
URSUS, PHILOSOPHE."]
[f° 21, Q.; mise au net. Dans le coin supérieur droit, quatre courtes lignes fortement barrées.]
[Ce folio n'a pas d'emblée occupé la position initiale que lui donne le texte définitif.
Sa première phrase est ajoutée et reprend le début du f° 64 du ms 24 747, commencement d'un ensemble intitulé «Note préalable relative aux comprachicos». Dans ce texte, la correction ("à cette heure" remplaçant "aujourd'hui") est intégrée d'emblée. Mais ce qui suit, analyse socio-historique beaucoup plus développée -et psycho-philosophique aux folios 66, 68-70 -, n'a pas été retenu. Il est probable que Hugo, pour ne pas commencer par une dissertation trop éloignée de l'action, a renoncé à placer cette "note préalable" en tête du livre et préféré réutiliser, en le déplaçant, un développement initialement destiné à venir après le récit du départ de la Matutina et de l'abandon de l'enfant. Conclusion à laquelle obligent les deux paragraphes initiaux: "Qu'était-ce que cette espèce de bande en fuite qui abandonnait cet enfant? / Ces fugitifs ... étaient-ils des comprachicos?"
Cependant, deux autres folios du ms., les f° 28 et 48, entrent en concurrence avec celui-ci puisqu'ils ont à peu près le même début. Le folio 48 (qui a sa première version en 24 747, f° 73v) peut être écarté de l'hypothèse: c'est une réfection tardive assurant la transition entre les actuels folios 29 et 49 demandée par le déplacement de la présentation des comprachicos en tête du livre.
Entre les folios 21 et 28, l'antériorité du second est suggérée par sa rédaction, où l'on voit que "cette espèce de" est une addition, intégrée d'emblé au folio 21. Hugo aurait donc écrit d'abord le folio 28 et suiv., puis les f° 21 et suiv.
Il faut donc penser que l'un ou l'autre de ces deux textes venait initialement à la position actuellement occupée par le f° 48 (et qu'il n'y avait qu'un chapitre préliminaire, celui consacré à Ursus et Homo). Lequel? Ils sont également nécessaires et le texte des f° 28, 29, 49 annonce l'autre :"L'industrie étrange des comprachicos, que nous aurons probablement l'occasion d'expliquer plus tard,...". Les placer l'un à la suite de l'autre dans le corps du récit l'aurait interrompu trop longuement et l'on ne voit pas quel endroit aurait donné à Hugo "l'occasion d'expliquer plus tard" l'industrie des comprachicos. Peut-être est-ce cette difficulté qui se trouve résolue par le déplacement des deux développements vers une position initiale antérieure au début du récit proprement dit.
Tout ceci, mais plus encore le nombre et l'importance des intercalations et additions au ms ainsi que des textes entièrement rédigés et mis de côté, mais employés çà et là, du reliquat (f° 45v, 63, 64-65, 66 et 68-70, 73v, 74-75, 76), montrent que la présentation des comprachicos a posé à Hugo non seulement un problème de construction du récit (où la placer et quelle étendue lui donner?) mais aussi d'usage de la forme romanesque entre narration réaliste, symbole et discours. Problème inhérent au roman hugolien, dont est symptômatique cette mention sur un feuillet non retenu évoquant la baie de Portland où se déroule tout le début de l'action: "à réserver pour l'Archipel de la Manche".]
Qui connait à cette heure le mot comprachicos, et qui en sait le sens ? [ajouté]
[Début du folio dans sa rédaction initiale: "Qu'était-ce que cette espèce de bande en fuite qui abandonnait cet enfant?
Ces fugitifs + + étaient-ils des comprachicos?" barré]
Les comprachicos, ou comprapequeños, [", ou..." addition] étaient une hideuse et étrange ["hideuse..." corrige "sorte d' "] affiliation nomade, fameuse au dix-septième siècle, oubliée au dix-huitième, ignorée aujourd’hui. [une ligne et demi barrée; on lit, à la fin: "Comprachicos, et qui en sait beaucoup."] Les comprachicos sont, comme « la poudre de succession », un ancien détail social caractéristique. Ils font partie de la vieille laideur humaine. Pour le grand regard de l’histoire, qui voit les ensembles, les comprachicos se rattachent à l’immense fait Esclavage. Joseph vendu par ses frères est un chapitre de leur légende. Les comprachicos ont laissé trace dans les législations pénales d’Espagne et d’Angleterre. On trouve ça et là dans la confusion obscure des lois anglaises la pression de ce fait monstrueux, comme on trouve l’empreinte du pied d’un sauvage dans une forêt.
[changement d'écriture] Comprachicos, de même que comprapequeños, ["de même..." addition] est un mot espagnol composé qui signifie « les achète-petits ».
Les comprachicos faisaient le commerce des enfants.
Ils en achetaient et ils en vendaient.
Ils n’en dérobaient [en sc. sur "volaient"] point. Le vol des enfants est une autre industrie.
Et que faisaient-ils de ces enfants ?
Des monstres.
Pourquoi des monstres ?
Pour rire.
Le peuple a besoin de rire ; les rois aussi. Il faut aux carrefours le baladin ; il faut aux Louvres le bouffon. ["Il faut...": première rédaction: "De là le baladin de place publique, de là le bouffon de cour."] L’un s’appelle Turlupin [première rédaction: "Bobêche" rayé; variantes sans choix: "Polichinelle" et "Turlupin", préféré à la copie], l’autre Triboulet.
Les efforts de l’homme pour se procurer de la joie sont parfois dignes de l’attention du philosophe. [paragraphe ajouté]
Qu’ébauchons-nous dans ces quelques pages préliminaires ? un chapitre du plus terrible des livres, du livre qu’on pourrait intituler : l’Exploitation des malheureux par les heureux. [paragraphe en addition de second niveau; de même à la copie]
Un enfant destiné à être un joujou pour les hommes, cela a existé. (Cela existe encore aujourd’hui). [alinéa; une ligne barrée et déplacée: "Il y avait des éleveurs."] Aux époques naïves et féroces, cela constitue une industrie spéciale. Le dix-septième siècle, dit grand siècle, fut une de ces époques. C’est un siècle très byzantin ; il eut la naïveté corrompue et la férocité délicate [corrige +; variante sans choix: "spirituelle", barrée à la copie], variété curieuse de civilisation. Un tigre faisant la petite bouche. Madame de Sévigné minaude à propos du [corrige "sur le"] bûcher et de la roue. Ce siècle ["Un tigre..." addition de second niveau qui entraîne la correction de "Il" en "Ce siècle"] exploita beaucoup les enfants, [ou point-virgule] les historiens, flatteurs de ce siècle, ont caché la plaie, mais ils ont laissé voir [corrige "montré"] le remède, Vincent de Paul. [marque d'alinéa ajoutée]
Pour que l’homme hochet réussisse, il faut le prendre de bonne heure. Le nain doit être commencé petit. On jouait de l’enfance. ["Aux époques naïves...": addition] Mais un enfant droit, ce n’est pas bien amusant. Un bossu, ["par exemple," barré] c’est plus gai.
De là un art. Il y avait des éleveurs. [phrase déplacée ici en ajout] On prenait un homme [f° 22, R; mise au net] et l’on faisait un avorton [corrige "pygmé" qui corrige "nain"] ; on prenait un visage et l’on faisait un mufle [corrige "masque"]. On tassait la croissance ; on pétrissait la physionomie. ["On tassait...": addition] Cette ["fabrication" barré en correcton cursive] production artificielle de cas tératologiques avait ses règles. C’était toute une science. Qu’on s’imagine une orthopédie en sens inverse. Là où Dieu a mis le regard, cet art mettait le strabisme. [début d'une série d'additions] Là où Dieu a mis l’harmonie [corrige "la santé"], on mettait la difformité. Là où Dieu a mis la perfection ["la perfection" corrige "le + +"], on rétablissait l’ébauche. Et, aux yeux des connaisseurs, c’était l’ébauche qui était parfaite [corrige "le chef d'oeuvre"]. Il y avait également des reprises en sous-œuvre ["reprises..." corrige "modes"] pour les animaux ; on inventait les chevaux pies ; Turenne montait un cheval pie. De nos jours, ne peint-on pas les chiens en bleu et en vert ? ["De nos...": addition de second niveau] La nature est notre canevas. L’homme a toujours voulu ajouter quelque chose à Dieu. L’homme retouche la création, parfois en bien, parfois en mal. Le bouffon de cour n’était pas autre chose qu’un essai de ramener l’homme au singe. Progrès en arrière. Chef-d’œuvre à reculons. ["Chef d'oeuvre...": addition] En même temps, on tâchait de faire le singe homme. [faux départ: "Les plus hautes dames d'Angleterre"] Barbe, duchesse de Cleveland et comtesse de Southampton, avait pour page un sapajou. Chez [addition correctrice] Françoise Sutton, baronne Dudley, huitième pairesse du banc des barons, le thé était servi ["le thé était servi" corrige "faisait servir le thé"] par un babouin vêtu de brocart d’or ["babouin..." corrige "+ [corrigé +] en livrée"] que lady Dudley ["que lady..." corrige "qu'elle"] appelait « mon nègre ». Catherine Sidley, comtesse de Dorchester, [" se faisait + + + par un + +. Ce singes montés en grade faisaient contrepoids aux hommes brutalisés et bestialisés. Certains vivisecteurs de ces temps-là réussissaient très bien à effacer du front d'un homme l'effigie divine." Ce texte barré achève l'addition de premier niveau. Il est l'objet d'une réfection dans les lignes qui suivent, addition de deuxième niveau] allait prendre séance au parlement dans un carrosse armorié derrière lequel se tenaient debout, museaux au vent, trois papions en grande livrée. Une duchesse de Medina-Cœli, dont le cardinal Polus vit le lever, se faisait mettre ses bas par un orang-outang. Ces singes montés en grade faisaient contre-poids aux hommes brutalisés et bestialisés. Cette [corrige "La"] promiscuité ["de l'homme" barré en correction cursive], voulue par les grands, de l’homme et de la bête, était particulièrement soulignée par le nain et le chien. Le nain ne quittait jamais le chien, toujours plus grand que lui. Le chien était le bini du nain. C’était ["presque la juxtap" barré en correction cursive] comme deux colliers accouplés. Cette juxtaposition est constatée par une foule de monuments domestiques ["est constatée..." écrit en sc. sur un texte non lu], notamment par le portrait de Jeffrey Hudson, nain d'Henriette de France [copie autographe: "de Henriette"], fille de Henri IV, femme de Charles Ier.
Dégrader l’homme mène à le déformer. On complétait la suppression d’état par la défiguration. ["Cette promiscuité...": addition de troisième niveau; addition autographe à la copie] Certains vivisecteurs de ces temps-là réussissaient très-bien à effacer de la face humaine l’effigie divine. [fin de l'addition de deuxième niveau] Le docteur Conquest, membre du collège d’Amen Street et visiteur juré des boutiques de chimistes de Londres, a écrit un livre en latin sur cette chirurgie à rebours dont il donne les procédés. À en croire Justus de Carrick-Fergus, l’inventeur de cette chirurgie est un moine nommé Aven-more, mot irlandais qui signifie ["la" barré] Grande-Rivière. [" A en croire...": addition; de même à la copie]
Le nain de l’électeur palatin, Perkeo, dont la poupée — ou le spectre — sort d’une boîte à surprises dans la cave de Heidelberg, était un remarquable [encadré de barres verticales d'hésitation, barrées à la copie] spécimen de cette science, très variée dans ses applications. ["cette science... " corrige "cet art."; de même à la copie]
Cela faisait des êtres dont la loi d’existence était monstrueusement simple : permission de souffrir, ordre d’amuser. ["Cela faisait...": addition; de même à la copie]
Cette fabrication de monstres se pratiquait sur une grande échelle et comprenait divers genres.
Il en fallait au sultan ; il en fallait au pape. À l’un pour garder ses femmes ; à l’autre pour faire ses prières. C’était [faux départ: "une variante"] un genre à part ne pouvant se reproduire lui-même. Ces à-peu-près humains [corrigé pour pluriel] étaient utiles à la volupté et à la religion. Le sérail [variante sans choix: "harem" barrée à la copie] et la chapelle Sixtine consommaient la même espèce de monstres, ici féroces, là suaves.
On savait produire [corrige "faire"] dans ces temps-là des choses qu’on ne produit [corrige "fait"] plus maintenant [corrige "aujourd'hui"], on avait des talents qui nous manquent, et ce n’est pas sans raison que les bons esprits crient à la décadence. On ne sait plus sculpter en pleine chair humaine ; cela tient à ce que l’art ["On ne sait plus..." addition; elle corrige "L'art" en "l'art"] des supplices [", par exemple," barré] se perd ; ["on l'a simplifié au point qu'il va bientôt peut-être disparaître tout à fait, et nous sommes privés des progrès que le bourreau faisait faire à la chirurgie." barré et repris dans l'addition suivante] ["On savait produire...": addition] on était virtuose en ce genre, on ne l’est plus ; on a simplifié cet art au point qu’il va bientôt peut-être disparaître tout à fait. ["Tout" barré et majuscule mise à "en"] En coupant les membres à des hommes vivants, en leur ouvrant le ventre, en leur arrachant les viscères, on [+ + barré en correction cursive] prenait sur le fait les [corrige "des"] phénomènes, on avait des trouvailles ; il faut y renoncer, et nous sommes privés des progrès que le bourreau faisait faire à la chirurgie. ["on était virtuose..." correction-addition à l'addition de premier niveau] [A la copie, tout le paragraphe est en addition, de la main de la copiste, sur un morceau de papier collé au folio suivant.]
Cette vivisection d’autrefois [corrige " Cette chirurgie"; de même à la copie] ne se bornait pas à confectionner pour la place publique des phénomènes, pour les palais des bouffons, espèces d’augmentatifs du courtisan, et pour les sultans et papes des eunuques. Elle abondait en variantes. Un de ses triomphes, c’était de faire un coq pour le roi d’Angleterre.
Il était d’usage que, dans le palais du roi d’Angleterre, il y eût une sorte d’homme nocturne, chantant comme le coq. Ce veilleur, debout pendant qu’on dormait, rôdait dans le palais, et poussait d’heure en heure ce cri de basse-cour, répété autant de fois qu’il le fallait pour suppléer à une cloche. Cet homme, promu coq, avait subi pour cela ["dans" barré en correction cursive] en son enfance une opération dans le pharynx, laquelle fait partie de l’art décrit par le docteur Conquest. Sous Charles II, une salivation inhérente à l’opération ayant dégoûté la duchesse de Portsmouth ["la duchesse..." corrige, en correction cursive, "Louise de Queroual [corrigé en "Kéroual"], duchesse de Portsmouth". Louise Renée de Penancoët de Keroual (1649-1734) fut effectivement duchesse de Portsmouth et aussi la maîtresse de Charles II.] [f° 23, S; mise au net] on conserva la fonction, afin de [corrige "pour"] ne point amoindrir l’éclat de la couronne [corrige "cour"], mais on fit pousser le cri du coq par un homme non mutilé. On choisissait d’ordinaire pour cet emploi honorable un ancien officier. Sous Jacques II, ce fonctionnaire se nommait William Sampson Coq, et recevait annuellement pour son chant neuf livres deux schellings six sous(1). [(1) Voir le docteur Chamberlayne. État présent de l’Angleterre. 1688, 1re partie, chap. 13. p. 179.]
Il y a cent ans [mot oublié et ajouté] à peine, à Pétersbourg [corrige "en Russie"], les mémoires de Catherine II le racontent, quand le czar ou la czarine étaient mécontents d’un prince russe, on faisait accroupir le prince dans la grande antichambre [corrige "salle"] du palais, et il restait dans cette posture un nombre de jours déterminé, miaulant, par ordre, comme un chat, ou gloussant comme une poule qui couve, et becquetant à terre sa nourriture [", et becquetant..." encadré de barres verticales d'hésitation, barrées à la copie].
Ces modes sont ["un peu" barré] passées, moins qu’on ne croit pourtant. Aujourd’hui, [addition] les courtisans gloussant pour plaire modifient un peu l’intonation ["modifient..." corrige "déguisent un peu leur voix"]. Plus d’un ramasse à terre, nous ne disons pas dans la boue ["nous ne..." variante sans choix: "nous disons simplement à terre", barrée à la copie], ce qu’il mange. [phrase encadrée de barres verticales d'hésitation, barrées à la copie]
Il est très heureux que les rois ne puissent pas se tromper. De cette façon leurs contradictions [+: variante barrée] n’embarrassent jamais. [faux départ: "On aura toujours"] En approuvant sans cesse, on est sûr d’avoir toujours raison, ce qui est agréable. Louis XIV n’eût aimé avoir à Versailles ni un officier faisant le coq, ni un prince faisant le dindon. Ce qui rehaussait la dignité royale et impériale en Angleterre et en Russie eût semblé à Louis le Grand incompatible avec la couronne de St Louis. On sait son mécontentement quand Madame Henriette une nuit s’oublia jusqu’à voir en songe une [corrige "voir en rêve une" qui corrige "rêver d'une"] poule, grave inconvenance en effet dans une personne de la cour. Quand on est de la grande, on ne doit point rêver de la basse. Bossuet, on s’en souvient, partagea le scandale de Louis XIV.
Le commerce des enfants au dix-septième siècle se complétait, nous venons de l’expliquer [corrige "on vient de le dire"], par une industrie. Les comprachicos faisaient ce commerce et pratiquaient [variante sans choix "exerçaient" préférée à la copie] cette industrie. Ils achetaient des enfants, travaillaient un peu cette matière première, et la revendaient ensuite.
Les vendeurs étaient de toute sorte, depuis le père misérable se débarrassant de sa famille jusqu’au maître utilisant son haras d’esclaves. Vendre des hommes n’avait rien que de simple. De nos jours on s’est battu pour maintenir ce droit. On se rappelle, il y a de cela moins d’un siècle, l’électeur de Hesse vendant ses sujets au roi d’Angleterre qui avait besoin d’hommes à faire tuer en Amérique. On allait chez l’électeur de Hesse comme chez le boucher, acheter de la viande. L’électeur de Hesse tenait de la chair à canon. Ce prince accrochait ses sujets dans sa boutique. Marchandez, c’est à vendre. En Angleterre, sous Jeffryes, après la tragique aventure de Monmouth, il y eut force ["gentilshommes" barré en correction cursive] seigneurs et gentilshommes décapités et écartelés ; ces suppliciés laissèrent des épouses et des filles, [f° 24, T] veuves et orphelines que Jacques II donna à la reine sa femme. La reine vendit ces ladies à Guillaume Penn. Il est probable que le roi avait une remise et tant pour cent. Ce qui étonne, ce n’est pas que Jacques II ait vendu ces femmes, c’est que Guillaume Penn les ait achetées.
L’emplette de Penn s’excuse, ou s’explique, par ceci que Penn ayant un désert à ensemencer d’hommes, avait besoin de femmes. Les femmes faisaient partie de son outillage.
Ces ladies furent une bonne affaire pour sa gracieuse majesté la reine. Les jeunes se vendirent cher. On songe avec le malaise d’un sentiment de scandale compliqué, que Penn eut probablement de vieilles duchesses à très bon marché. ["Ces ladies...": addition ajoutée à la suivante]
Les comprachicos se nommaient aussi « les cheylas », mot de la langue thug ["de la langue thug": variante sans choix: "indou" qui est ajouté et préféré à la copie] qui signifie dénicheurs d’enfants. ["Les comprachicos...": addition]
Longtemps les comprachicos ne se cachèrent qu’à demi. Il y a [faux départ: "une pénomb"] parfois dans l’ordre social une pénombre complaisante aux industries scélérates ; elles s’y conservent. Nous avons vu de nos jours en Espagne une affiliation de ce genre, dirigée par le trabucaire Ramon Selles, durer de 1834 à 1866, et tenir trente ans sous la terreur trois provinces, Valence, Alicante, et Murcie.
Sous les Stuarts, les comprachicos n’étaient point mal en cour. Au besoin, la raison d’état se servait d’eux. Ils furent pour Jacques II presque un instrumentum regni. C’était l’époque où l’on tronquait les familles encombrantes [corrige "gênantes"] et réfractaires, où l’on coupait court aux filiations, où l’on supprimait brusquement les héritiers. Parfois on frustrait une branche au profit de l’autre. [phrase ajoutée] Les comprachicos avaient un talent, défigurer, qui les recommandait à la politique. Défigurer vaut mieux que tuer. Il y avait bien le masque de fer, mais c’est un gros moyen. On ne peut peupler l’Europe de masques de fer, tandis que les bateleurs difformes courent les rues sans invraisemblance ; et puis le masque de fer est arrachable, le masque de chair ne l’est pas. Vous masquer à jamais avec votre propre visage, rien n’est plus ingénieux. Les comprachicos travaillaient l’homme comme les chinois travaillent l’arbre. Ils avaient des secrets, nous l’avons dit [", nous l'avons...": addition] ; ils avaient des trucs. Art perdu. Un certain rabougrissement bizarre sortait de leurs mains. C’était ridicule et profond. Ils touchaient à un petit [f° 25, U] être avec tant d’esprit que le père ne l’eût pas reconnu. Et que méconnaîtrait l'oeil même de son père, dit Racine avec une faute de français. ["Et que...": addition; elle ne figure pas à la copie. VH a réécrit au haut de la page la fin de la phrase "être avec tant d'esprit...reconnu" de manière à insérer cette addition.] Quelquefois ils laissaient la colonne dorsale ["la colonne..." corrige "la face" inscrit par erreur et anticipation de la suite] droite, mais ils refaisaient la face. Ils démarquaient un enfant comme on démarque un mouchoir.
Les produits destinés aux bateleurs avaient les articulations disloquées d’une façon savante. On les eût dit désossés. Cela faisait des gymnastes.
Non seulement les comprachicos [corrige "ils"] ôtaient à l’enfant son visage, mais ils lui ôtaient sa mémoire. Du moins ils lui en ôtaient ce qu’ils pouvaient. L’enfant n’avait point conscience de la mutilation ["point..." corrige "pas souvenir de l'opération"] qu’il avait subie. Cette épouvantable [corrige "infâme"] chirurgie laissait trace sur sa face, non dans son esprit. Il pouvait se souvenir [corrige "se rappeler"] tout au plus qu’un jour il avait été [addition d'un mot, barré] saisi par des hommes, puis qu’il s’était endormi, et qu’ensuite on l’avait guéri. Guéri de quoi ? il l’ignorait. ["on l'avait guéri..." corrige "il avait été malade."] Des brûlures par le soufre et des incisions par le fer, il ne se rappelait rien. Les comprachicos, pendant l’opération, assoupissaient le petit patient au moyen d’une poudre stupéfiante qui passait pour magique et qui supprimait la douleur. Cette poudre a été de tout temps connue en Chine, et y est encore employée à l’heure qu’il est. La Chine a eu avant nous toutes nos inventions, l’imprimerie, l’artillerie, l’aérostation, le chloroforme. Seulement la découverte qui en Europe prend tout de suite vie et croissance, et devient prodige et merveille, ["et devient...": addition] reste embryon en Chine et s’y conserve morte. La Chine est un bocal de fœtus. ["Non seulement...": addition]
Puisque nous sommes en Chine, restons-y un moment encore, pour un détail. En Chine, de tout temps, on a eu la recherche d’art et d’industrie ["eu la recherche..." corrige "pratiqué l'opération"] que voici : c’est le moulage de l’homme vivant. On prend un enfant de deux ou ["deux ou": addition] trois ans, on le met dans un vase de porcelaine plus ou moins bizarre, sans couvercle et sans fond, pour que la tête et les pieds passent. [faux départ: "La nuit on couche le vase"] Le jour on tient le vase debout, la nuit on le couche pour que l’enfant puisse dormir. L’enfant grossit [corrige "croît"] ainsi sans grandir, ["sans grandir,": addition] emplissant lentement [addition; elle manque au texte de la lettre] de sa chair comprimée ["les bossages du" barré en correction cursive] et de ses os tordus les bossages du vase. Cette croissance en bouteille ["Cette..." corrige "Cela"] dure plusieurs années. À un moment donné, elle est irrémédiable. [phrase ajoutée] Quand on juge que cela a pris, et que le monstre est fait, on casse le vase, l’enfant en sort, et l’on a un homme [corrige "nain"] ayant la forme d’un pot.
C’est commode ; on peut d’avance se commander son [corrige
"un"] nain de la forme qu’on veut. ["Puisque
nous sommes...": addition à l'encre rouge. Cette addition ne figure pas à la copie; elle a
été communiquée à l'éditeur dans une lettre du 10 janvier 1869 (ms 24 747, f° 340), où elle est
écrite de la même encre rouge.
Au-dessus de l'addition, Hugo a collé une coupure de presse (f° 26), dont il ajoute la référence: "Indépendance belge, 13 7bre 1866": "Jamais les crimes n'ont été plus fréquents dans la capitale, et les attentats contre les personnes ont pris le caractère le plus effrayant. Pékin est, en ce moment, exploité par une bande de malfaiteurs qui enlèvent les enfants et les jeunes femmes. Les Chinois racontent que les bandits, pour opérer plus facilement ces rapts, se servent d'une poudre stupéfiante à l'aide de laquelle ils endorment leurs victimes. Ils les transportent ensuite hors des murs de Pékin dans des repaires inconnus et les mettent à mort s'ils ne peuvent obtenir des familles de fortes rançons."].
Jacques II toléra les comprachicos. Par une bonne raison, c’est qu’il s’en servait. Cela du moins lui arriva plus d’une fois. On ne dédaigne pas toujours ce qu’on méprise. Cette industrie d’en bas, expédient excellent [corrige "utile"] parfois pour l’industrie d’en haut qu’on nomme la politique, était volontairement laissée misérable, mais point persécutée. Aucune surveillance, mais une certaine attention. Cela peut être utile. La loi fermait un œil, le roi ouvrait l’autre.
Quelquefois le roi allait jusqu’à avouer sa complicité. Ce sont là les audaces du terrorisme monarchique. Le défiguré était fleurdelysé ; on lui ôtait la marque de Dieu, on lui mettait la marque du roi. Jacob Astley, chevalier et baronnet, seigneur de Melton Constable dans le comté de Norfolk, eut dans sa famille un enfant vendu, sur le front duquel le commissaire vendeur avait imprimé au fer chaud une fleur de lys. Dans de certains cas, si l’on tenait à constater [", pour des raisons quelconques," ajouté à la copie] l’origine royale de la situation nouvelle faite à l’enfant, on employait ce moyen. L’Angleterre nous a toujours fait l’honneur d’utiliser, pour ses usages personnels, ["nous a..." corrige "a toujours beaucoup utilisé"; le texte autographe de la copie intègre d'emblée la correction.] la fleur de lys. ["Quelquefois le roi...": addition, de même à la copie]
Les comprachicos, avec la nuance qui sépare une industrie d’un fanatisme, étaient analogues aux thugs [variante sans choix "étrangleurs"; à la copie "Etrangleurs" est ajouté, et "thugs" rayé, par Hugo] de l’Inde ["dont le nom se prononçait parfois à + +": addition barrée] ; ils vivaient entre eux, en bandes; un peu baladins, mais par prétexte. La circulation leur était ainsi plus facile. Ils campaient ça et là, mais ["sans aucune ressemblance": barré en correction cursive] graves, religieux et n’ayant avec les autres nomades aucune ressemblance, incapables de vol. Le peuple les a longtemps ["Le peuple..." corrige "Ils ont longtemps été"] confondus à tort avec les morisques d’Espagne et les morisques de Chine. Les morisques d’Espagne étaient ["des" barré] faux-monnayeurs, les morisques de Chine étaient ["des" barré] filous. Rien de pareil chez les comprachicos. C’étaient d’honnêtes gens. Qu’on en pense ce qu’on voudra, ils étaient parfois sincèrement scrupuleux. Ils poussaient une porte, entraient, marchandaient un enfant, payaient, et l’emportaient. Cela se faisait correctement.
Ils étaient de tous les pays. Sous ce nom, comprachicos, fraternisaient des anglais, des français, des castillans, des allemands, des italiens. [changement d'écriture, comme si le folio s'arrêtait là en première rédaction et avait été ensuite repris.] Une même pensée, une même superstition, l’exploitation en commun d’un même métier, font de ces fusions. Dans cette fraternité de bandits ["de bandits" est encadré de barres verticales, barrées à la copie] des levantins représentaient l’orient, des ponantais représentaient l’occident. Force basques y dialoguaient [corrige "jaspinaient"] avec force irlandais ; le basque et l’irlandais se comprennent; ils parlent le vieux jargon punique ; ajoutez à cela les relations intimes [corrige "profondes"] de l’Irlande catholique avec la catholique Espagne. Relations telles qu’elles ont fini par faire pendre à Londres presque un roi d’Irlande, le lord gallois de Brany, ce qui a produit le comté de Letrim.
Les comprachicos étaient plutôt une association [variante sans choix, barrée à la copie: "coalition"] qu’une peuplade, plutôt un résidu qu’une association [variante sans choix, barrée à la copie: "coalition"]. C’était toute la gueuserie de l’univers ayant pour industrie un crime. C’était une sorte de peuple arlequin composé de tous les haillons. Affilier un homme, c’était coudre une loque. ["Une même pensée...": le changement d'écriture et d'interligne indiquent un ajout.]
[f° 26: coupure de presse; f° 27, V, en sc. sur "U" ce qui n'est peut-être pas significatif, Hugo ayant procédé très tard à la numérotation] Errer [corrige "Rôder"] , était la loi d’existence des comprachicos. Apparaître, puis disparaître. Qui n’est que toléré ne prend pas racine. Même dans les royaumes [corrige "états"] où leur industrie était pourvoyeuse des cours, et ["même" barré], au besoin, auxiliaire du pouvoir royal, ils étaient parfois tout à coup rudoyés. Les rois utilisaient leur art et mettaient les artistes aux galères ["utilisaient...": deux corrections non lues depuis la première rédaction: "achetaient leurs produits et les mettaient aux galères"]. Ces inconséquences [corrige "contradictions"] ["font" barré en correction cursive] sont dans le va et vient du caprice royal. Car tel est notre plaisir. [phrase ajoutée]
Pierre qui roule et industrie qui rôde n’amassent pas de mousse. Les comprachicos étaient pauvres [corrige "misérables"]. Ils auraient pu dire ce que disait cette sorcière maigre et [ces deux mots en addition] en guenilles voyant s’allumer la torche du bûcher : « Le jeu n’en [corrige "ne"] vaut pas la chandelle. » Peut-être, probablement même, leurs chefs, restés inconnus, ["leurs chefs...": addition; de même à la copie] les entrepreneurs en grand du commerce des enfants ["du commerce...": addition] étaient riches. Ce point, après deux siècles, serait malaisé à éclaircir.
C’était, nous l’avons dit, une affiliation. Elle avait ses lois, son
serment, ses formules. Elle avait presque sa cabale. [Cette phrase se substitue à "Elle avait ses
secrets, qu'il fallait savoir garder."] Qui
voudrait en savoir long aujourd’hui sur les comprachicos n’aurait qu’à
aller en Biscaye et en Galice. Comme il y avait beaucoup de basques
parmi eux, c’est dans ces montagnes-là qu’est leur légende. On parle
encore à l’heure qu’il est des comprachicos à Oyarzun, à Urbistondo, à
Leso, à Astigarraga. Aguarda te, niño. Que voy a llamar ["Que voy..." corrige "Que +"]
al comprachicos !* [* Prends garde. Je vais appeler ["Je vais..." corrige "Voilà"]
le comprachicos.] est dans ce pays-là ["dans..."
corrige "encore"] le cri d’intimidation des mères aux enfants.
["Aguarda...": addition]
Les comprachicos, comme les tchiganes et les gypsies, se donnaient [corrige "avaient"] des rendez-vous ; de temps en temps, les ["mystérieux" barré] chefs échangeaient [corrige "avaient"] des colloques. Ils avaient au dix-septième siècle quatre ["Ils avaient..." corrige "Il y avait cinq"] principaux points de rencontre. Un en Espagne : le défilé de Pancorbo ; un en Allemagne : la clairière dite la Mauvaise Femme, près Diekirsch [barré et réécrit, sans doute pour l'orthographe ou la lisibilité], où il y a deux bas-reliefs énigmatiques représentant une femme qui a une tête et un homme qui n’en a pas ; un en France : le tertre où était [corrige "est"] la colossale statue Massue-la-Promesse, dans l’ancien [corrige "le"] bois sacré Borvo Tomona, près de Bourbonne-les-Bains ; un en Angleterre : derrière le mur du jardin de William Chaloner, écuyer de Gisbrough en Cleveland da ns York, entre la tour carrée et le grand [ajouté] pignon percé d’une porte ogive. [point corrige virgule; le texte, barré, se poursuivait:
" un en Irlande: l'île mystérieuse Raghles dans le lac + + + + + +
+ lieu de rencontre fut + + + la visite que
firent dans l'île Raghles Thomas Boyle, comte de Cork, et Richard
Loftas, chancelier d'Irlande. On trouve les noms des six chefs
inconnus des comprachicos inscrits sur la pierre dans les six cercles
étranges qui sont dans"
Aucun folio du manuscrit ni des recueils de copeaux 24 747 et 15812 n'est susceptible de prendre la suite de celui-ci. Mais l'île Raghles est mentionnée, comme lieu de l'affiliation des chefs des comprachicos, dans la rédaction abandonnée des folios 74-75, et 76 du manuscrit 24 747.]
[f° 28, X; blanc au haut de la page. ]
["Qu'était-ce que cette espèce de ["espèce de": addition] bande en fuite, abandonnant cet enfant?
Ces fugitifs faisaient-il partie de l'affiliation redoutée des comprachicos, si fameuse au dix-septième siècle? " Même départ au f° 21 et au f° 48, ainsi qu'au f° 73 du ms 24 747 qui est la rédaction antérieure du f° 48. Voir au f° 21 la discussion de la chronologie de la rédaction.]
Les lois contre les vagabonds ont toujours [corrrige "+ longtemps"] été très rigoureuses [en sc. sur "sévères"] en Angleterre. L’Angleterre, dans sa législation gothique, semblait s’inspirer de ce principe : Homo errans ferâ errante pejor. Un de ses statuts spéciaux qualifie l’homme sans asile « plus dangereux que l’aspic, le dragon, le lynx et le basilic » (atrocior aspide, dracone, lynce et basilico) ["qualifie..." corrige: "dit des gens sans asile « ils sont basilics, dragons, aspics et lynx (basilices, + + + et lynceos)"] . L’Angleterre a longtemps eu [" longtemps eu" corrige: "en ces temps-là ["jouissait" barré en correction cursive] avait"] le même souci des gypsies, dont elle voulait se débarrasser, que des loups, dont elle s’était nettoyée.
En cela l’anglais diffère de l’irlandais qui prie les saints pour la santé du loup, et l’appelle « mon parrain ». [paragraphe ajouté]
La loi anglaise [addition] pourtant, de même qu’elle tolérait [variante barrée: "exceptait de la destruction" [corrigé "condamnation"]], on vient de le voir, [", on vient...": addition] le loup apprivoisé et domestiqué, devenu en quelque sorte [le mot manque, la copiste le restitue] un chien, tolérait le vagabond à état, devenu un sujet. On n’inquiétait ni le saltimbanque, ni le barbier ambulant ["barbier..." en sc. sur "bateleur"], ni le physicien, ni le colporteur, ni le savant en plein vent, attendu qu’ils ont un métier pour vivre. Hors de là, et à ces exceptions près, l’espèce d’homme libre qu’il y a dans l’homme errant faisait peur à la loi. Un passant était un ennemi public possible ["ennemi..." corrige: "suspect"]. Cette chose moderne, flâner, était ignorée ; on ne connaissait que cette chose antique, rôder. ["+ mauvaise" barré en correction cursive] La « mauvaise mine », ce je ne sais quoi que tout le monde comprend et que personne ne peut définir, suffisait pour que la société [corrige "loi"] prît un homme au collet. Où demeures-tu ? Que fais-tu ? Et s’il ne pouvait répondre, de dures pénalités l’attendaient. Le fer et le feu étaient dans le code. La loi pratiquait la cautérisation du vagabondage.
De là, sur tout le territoire anglais, une vraie « loi des suspects » appliquée aux rôdeurs, volontiers malfaiteurs, disons-le, et particulièrement aux gypsies, dont l’expulsion a été à tort comparée à l’expulsion des juifs et des maures d’Espagne, et des protestants de France ["et des protestants...": addition]. Quant à nous, nous ne confondons point une battue avec une persécution. [Ce paragraphe remplace la rédaction initiale: "De là, sur tout le territoire anglais, la battue des gypsies."]
Les comprachicos, insistons-y [en sc. sur "répétons-le" corrige "disons-le"], n’avaient rien de commun avec les gypsies. Les gypsies étaient une nation ; les comprachicos étaient un composé de toutes les nations ; un résidu, nous l’avons dit ; cuvette horrible d’eaux immondes. Les comprachicos n’avaient point, comme les gypsies, un idiome à eux ; leur jargon était une promiscuité d’idiomes ; toutes les langues mêlées [f° 29, Y en sc. sur X] étaient leur langue ; ["; un résidu...": réfection de ". Ils [variante barrée: Les comprachicos"] n'avaient point, comme les gypsies, une langue [variante barrée: un idiôme"] à eux; leur jargon [en sc. sur "idiôme"] était [f° 29] une promiscuité de tous les idiômes;"] ils parlaient ["comme les hommes de Babel [plusieurs corrections abandonnées] " barré] un tohu-bohu. Ils avaient fini par être, ainsi que [corrige "comme"] les gypsies, un peuple serpentant parmi les peuples ; mais leur lien commun était l’affiliation, non la race. À toutes les époques de l’histoire, on peut constater, dans cette vaste masse liquide qui est l’humanité, de ces ruisseaux d’hommes vénéneux coulant à part, avec quelque empoisonnement autour d’eux. Les gypsies étaient une famille ; les comprachicos étaient une franc-maçonnerie ; maçonnerie ayant, non un but auguste, mais une industrie hideuse. [faux départ: "Les gyp"] Dernière différence, la religion. Les gypsies étaient païens, les comprachicos étaient chrétiens ; et même bons chrétiens ; comme il sied à une affiliation qui, bien que mélangée de tous les peuples, avait pris naissance en Espagne, lieu dévôt.
[début d'une série d'additions imbriquées et en cascade] Ils étaient plus que chrétiens, ils étaient catholiques ; ils étaient plus que catholiques, ils étaient romains ; et si ombrageux dans leur foi et si purs, qu’ils refusèrent de s’associer avec les nomades hongrois du comitat de Pesth, commandés et conduits par ["commandés..." corrige "lesquels ont pour + chef"] un vieillard ayant pour sceptre ["ayant..." corrige "tenant"(?)] un bâton à pomme d’argent [faux départ: "surmonté"] que surmonte l’aigle d’Autriche à deux têtes [", unique + + + hongrois"]. Il est vrai que ces hongrois étaient [corrige "sont"] ["abominablement" rayé en correction cursive] schismatiques au point de célébrer l’Assomption le 27 août, ce qui est abominable. [Ce paragraphe est une addition, de deuxième niveau, à l'addition qui suit]
En Angleterre, [ajouté] tant que régnèrent les Stuarts, l’affiliation des comprachicos ["l'affiliation..." corrige "cette affiliation" déjà corrigé par l'ajout de "+ +"] fut, nous en avons laissé entrevoir les motifs, à peu près protégée. Jacques II, [faux départ: "qui per"] homme fervent [corrige "religieux"], qui persécutait les juifs et traquait les gypsies, fut bon prince pour les comprachicos. On a vu pourquoi. Les comprachicos étaient acheteurs de la denrée humaine dont le roi était marchand. Ils excellaient dans les disparitions. Le bien de l’état veut de temps en temps des disparitions. Un héritier gênant, en bas âge, qu’ils prenaient ["Un héritier..." corrige "Un héritier gênant d'une grande fortune bonne à confisquer qu'ils prenaient en bas âge"] et qu’ils maniaient, perdait sa forme. Ceci facilitait les confiscations. Les transferts de seigneuries aux favoris en étaient simplifiés [variante barrée: "se simplifiaient"]. Les comprachicos [corrige "Ils"] étaient de plus très discrets et très taciturnes, s’engageaient au silence, et tenaient parole, ce qui est nécessaire pour les choses d’état. Il n’y avait presque pas d’exemple qu’ils eussent trahi les secrets du roi. C’était, il est vrai, leur intérêt. Et si le roi eût perdu confiance, ils eussent été fort en danger. Ils étaient donc de ressource au point de vue de la politique. ["Les comprachicos étaient de plus ...": addition de second niveau insérée dans l'addition en cours. Addition également à la copie, de la main de la copiste.] En outre, [faux départ: "les compra"] ces artistes fournissaient des chanteurs au Saint-Père. Les comprachicos étaient utiles au miserere d’Allegri. Ils étaient particulièrement dévôts à Marie. Tout ceci plaisait au papisme des Stuarts. Jacques II ne pouvait être hostile à des hommes religieux qui poussaient la dévotion à la Vierge jusqu’à fabriquer des eunuques. En 1688 il y eut un changement de dynastie en Angleterre. Orange supplanta Stuart. Guillaume II remplaça Jacques III.
Jacques II alla mourir en exil où il se fit des miracles sur son tombeau, et où ses reliques guérirent l’évêque d’Autun de la fistule, digne récompense des vertus chrétiennes de ce prince. ["Jacques II alla ...": addition de second niveau insérée dans l'addition en cours]
Guillaume, n’ayant point les mêmes idées ni les mêmes pratiques que Jacques, fut sévère aux comprachicos. Il mit beaucoup de bonne volonté à l’écrasement de cette vermine. [fin de l'addition de premier niveau commençant à "En Angleterre, tant que règnèrent..."] [Cette série d'additions se substitue au texte initial qu'elle reprend: "Aussi Jacques II, homme religieux, qui persécutait les juifs et traquait les gypsies, fut bon prince pour les comprachicos. Il avait ses motifs, la communauté de ["communauté de": addition] religion d'abord, et d'autres raisons encore, qu'on pourra entrevoir dans le cours de ce récit. Il ["fut indulgent" barré en correction cursive] eut pour cette affiliation une indulgence assez ressemblante [variante sans choix: "ressemblant presque"] à la protection. Guillaume III, n'ayant point les mêmes pratiques [corrige "idées"] ["que Jacques II" barré], fut sévère."]
Un statut des premiers temps de Guillaume et Marie ["et Marie" remplace "III"] frappa rudement l’affiliation des acheteurs d’enfants ["l'affiliation..." corrige "cette industrie étrange, peu haïe de Jacques II"]. Ce fut un coup de massue sur ["l'affiliation des" barré en correction cursive] les comprachicos, désormais pulvérisés. Aux termes de ce statut, les hommes de cette affiliation [variante sans choix: "gueuserie" barrée à la copie] ["les hommes de cette..." variante sans choix: "comprachicos" barrée à la copie], pris et dûment convaincus, devaient être marqués sur l’épaule ["sur l'épaule" corrige "à la main gauche"] d’un fer chaud imprimant un R, qui signifie Rogue, c’est-à-dire Gueux [en sc. sur +] ; sur la main gauche d’un T, signifiant Thief, c’est-à-dire Voleur, et sur la main droite d’un M, signifiant Man Slay, c’est-à-dire Meurtrier. Les chefs, « présumés riches, quoique d’aspect mendiant », seraient punis du ["pilori appelé en latin" barré en correction cursive] collistrigium, qui est le pilori, et marqués au front d’un P. ["et marqués...": addition, une ponctuation vague l'achève, tiret ou virgule] plus leurs biens confisqués et les arbres de leurs bois déracinés. Ceux qui ne dénonceraient point les comprachicos seraient « châtiés de confiscation et de prison perpétuelle » comme pour le crime de misprision. Quant aux femmes trouvées parmi ces hommes, elles subiraient le cucking stool, qui est un trébuchet dont l'appellation [corrige "qui est un trébuchet, appellation"] composée du mot français coquine et du mot allemand stuhl, signifie [corrige "et signifiant"] chaise de p.... La ["chaise de P.... La" première rédaction: "chaise de P.... Cette punition, la"] loi anglaise [f° 30, Z en sc. sur Y. Ce folio intercalé reprend le début du f° 49. En première rédaction, le folio 49 actuel prenait la suite du folio 29, comme le prouvent la continuité entre la première rédaction de la fin du f° 29 et les premières lignes barrées du f° 49. C'est là la confirmation du déplacement vers le chapitre préliminaire de textes initialement placés après le départ de la Matutina et répondant à la question des folios 21 et 28: "Qu'était-ce que cette espèce de bande en fuite abandonnant cet enfant?"] étant douée d’une longévité bizarre, ["étant douée..." corrige "étant censée ne tomber jamais en désuétude,", même correction à la copie, de la main de la copiste] cette punition existe encore dans la législation d’Angleterre pour « les femmes querelleuses ». On suspend le Cucking Stool au dessus ["dessus" oublié et ajouté] d’une rivière ou d’un étang, on asseoit la femme dedans, et on laisse tomber la chaise dans l’eau, puis on la retire, et l'on recommence trois fois ce plongeon de la femme, « pour rafraîchir sa colère », dit le commentateur Chamberlayne [ajouté].
[f° 31, papier blanc analogue à celui de la copie]
____
["Première partie
___
L'enfant
___
La gourde d'osier
___
(Première partie. L'Homme) ?"
Ces quatre lignes sont barrées.
Le manuscrit de la copie (24 748, f° 29) contient une feuille du même papier que le manuscrit du livre, et qui a tout l'air d'en provenir. Elle porte, de la main de Hugo:
"Première partie
___
L'ENFANT
___
La gourde d'osier
___"
Ces deux dernières lignes sont rayées et remplacées, au-dessous, par:
"la Mer et la Nuit"]
[f° 32, papier blanc]
_____
____
[f° 33, A2 à l'encre noire. Ce folio, qui reprend et développe les premières lignes du suivant, est intercalé. C'est une mise au net. Il a une rédaction antérieure au f° 134v de 24 747.]
L'évocation de la baie de Portland a donné lieu a plusieurs longs développements abandonnés mais dont on retrouve ici de nombreux éléments. Il sont réunis aux f° 78-85 et 91-92 du ms 24 747.
Dans cet ensemble, les f° 78 et 89 semblent contenir le début de la rédaction du roman et ce qui devait en être l'ouverture, avant la mise en place des chapitres préliminaires. Le folio 78 porte, inscrite, au coin gauche, la même mention "Commencé à Bruxelles, place des Barricades" (la suite illisible) qui est ici au f° 5. Il a un numéro de chapitre: II, mais qui peut résulter de l'ajout d'une barre à un I. Le folio 89 ne comporte pas de mention explicite d'un début de rédaction, mais il est daté "1866 14 juillet (magna dies)", date antérieure à celle du 21 juillet 1866 inscrite au f° 5 du manuscrit. La rédaction a donc deux commencements possibles, tous deux fortement autobiographiques: l'un par le portrait d'Ursus, l'autre par la description de la baie de Portland.]
Une bise opiniâtre du nord souffla sans discontinuer sur le continent européen, et, plus rudement encore, sur l’Angleterre, pendant tout le mois de décembre 1689 et tout le mois de janvier 1690. De là le froid calamiteux qui a fait noter cet hiver comme « mémorable aux pauvres » sur les marges de la vieille Bible ["sur les marges..." corrige "dans les vieux registres"] de la chapelle presbytérienne des Non Jurors de Londres. Grâce à la solidité utile de l’antique parchemin monarchique employé aux registres officiels, de longues listes d’indigents trouvés morts de famine et de nudité sont encore lisibles aujourd’hui dans beaucoup de répertoires locaux, particulièrement dans les pouillés de la Clink Liberty Court du bourg de Southwark, de la Pie powder Court, ce qui veut dire Cour des pieds poudreux, et de la White chapel Court, tenue au village de Stapney par le bailly du seigneur. La Tamise [faux départ: "fut g"] prit, ce qui n’arrive pas une fois par siècle, la glace s’y formant difficilement à cause de la secousse de la mer. Les chariots roulèrent sur la rivière gelée ; il y eut sur la Tamise foire avec tentes, et combats d’ours et de taureaux ; on y rôtit un bœuf entier sur la glace. Cette épaisseur de glace dura deux mois. ["La Tamise...": addition; addition à la copie de la main de la copiste] La pénible [corrige "Cette dure", de même à la copie] année 1690 dépassa en rigueur même les hivers célèbres du commencement du dix-septième siècle, si minutieusement observés par le docteur Gédéon Delaun, lequel a été honoré par la ville de Londres d’un buste avec piédouche en qualité d’apothicaire du roi Jacques Ier.
Un soir, vers la fin d’une des plus glaciales journées de ce mois de janvier 1690, il se passait dans une des nombreuses anses inhospitalières du golfe de Portland quelque chose d’inusité qui faisait crier et tournoyer à l’entrée de cette anse les mouettes et ["les mouettes et": addition; de même à la copie] les oies de mer, n’osant rentrer.
Dans cette crique, la plus périlleuse de toutes les anses du golfe quand règnent de certains vents, et par conséquent la [f° 34, B2. Trait d'interruption. Les premières lignes, barrées, du folio, développées dans le folio précédent, indiquent que ce dernier a été intercalé. Le trait d'interruption quotidienne du travail va dans le même sens: il a été écrit dans la première phase de la rédaction.
Les rédactions initiales "une des criques de ce golfe de Portand" (corrigé en "du golfe de Portland") et "Nous avons indiqué tout à l'heure le mauvais service que font ces petits ports" indiquent que le récit qui commence ici devait, originellement, être précédé par une évocation de ce golfe de Portand que plusieurs folio abandonnés décrivent longuement.]
["Un soir d'hiver, il y a de cela un peu plus [corrigé "moins"] plus de deux cents ans, dans une des criques du [corrige "de ce"] golfe de Portland, la plus périlleuse de toutes, et par conséquent la" barré] plus solitaire, commode, à cause de son danger même, aux navires qui se cachent, un petit bâtiment, accostant presque la falaise, grâce à l’eau profonde, était amarré à une pointe de roche. ["C'était la fin d'une journée de janvier 1690." barré] On a tort de dire la nuit tombe ; on devrait dire la nuit monte ; car c’est de terre que vient l’obscurité. Il faisait déjà nuit au bas de la falaise ; il faisait encore jour en haut. Qui se fût approché du bâtiment amarré, eût reconnu une ourque biscayenne.
[début d'une addition progressivement augmentée] Le soleil, caché toute la journée par les brumes, venait de se coucher. On commençait à sentir cette angoisse profonde et noire ["cette angoisse..." corrige "un froid profond et noir"] qu’on pourrait nommer l’anxiété [corrige "le froid"] du soleil absent. [Ce paragraphe est en addition.]
Le vent [", ce soir là," barré] ne venant pas de la mer, l’eau de la crique était calme. ["Le vent...": addition de deuxième niveau prolongeant la précédente]
C’était, en hiver surtout, une exception heureuse. Ces criques de Portland sont presque toujours des havres de barre. La mer dans les gros temps s’y émeut considérablement, et ["La mer...": addition de quatrième niveau insérée dans celle en cours] il [corrige "Il"] faut beaucoup d’adresse et de routine pour passer là en sûreté. ["Nous avons indiqué tout à l'heure le mauvais service que font" barré] Ces [corrige "ces"] petits ports, plutôt apparents que réels, font un mauvais service ["font un mauvais service": addition]. Il est redoutable d’y entrer et terrible d’en sortir. Ce soir-là, par extraordinaire, nul péril [corrige "danger"]. ["C'était, en hiver surtout...": addition de troisième niveau, ajoutée aux deux précédentes]
[La fin du folio est occupé par un texte abondamment corrigé avant d'être entièrement barré, et qui fait l'objet d'une réfection complète au folio suivant. On lit en première rédaction:
"L'ourque de Biscaye, ancien gabarit aujourd'hui disparu, était une coque robuste + + + + +, basque, figurait dans l'armada + + + + solidité. Elle avait le gréement double, propre aux eaux fermées et aux eaux ouvertes; son jeu de voiles compliqué"
Ce début est corrigé en "L'ourque de Biscaye est un ancien gabarit tombé en désuétude. Cette ourque, qui a rendu des services, même à la marine militaire, était une coque robuste, barque par la dimension, navire par la solidité. L'ourque, haussée il est vrai à de forts tonnages figurait dans l'armada. Les cordages étaient formés de torons de chanvre avec âme en fil de fer, ce qui les faisait très souples, mais avait des inconvénients dans les cas de tension magnétique. Elle était propre aux eaux fermées et aux eaux ouvertes; son jeu de voiles compliqué"
Addition: "Il y avait de la science et de la subtilité dans la construction de l'ourque [corrige "Il y avait dans la construction de l'ourque, beaucoup de science et de subtilité"] , mais c'était [corrige "étaient"] ["de la subtilité barbare" barré en correction cursive] de la science ignorante et de la subtilité barbare. L'ourque était [remplace une virgule] primitive comme la jonque et la pirogue, participait de la jonque par la stabilité et de la pirogue par la vitesse, et avait, comme toute les embarcations nées de l'instinct pirate et pêcheur, de remarquables [corrige +] qualités de mer. Elle était propre aux eaux fermées et aux eaux ouvertes; son jeu de voiles compliqué d'étais et"
Retour à la rédaction initiale: "d'échancrures, et l'orientation possible de son gréement, lui permettait de naviguer petitement dans les golfes clos des Asturies, qui sont presque des lacs, comme Pasages par exemple; et, largement, en pleine mer; elle pouvait faire le tour d'un lac et ["et, largement..." corrige "puis, sans ambages(??), de faire"] le tour du monde; singulières embarcations à deux fins, bonnes pour l'étang, et bonnes pour la tempête [corrige "la mer"]. L'ourque était parmi les navires, ce qu'est le hochequeue parmi les oiseaux, le plus petit et le plus hardi [variante sans choix: "un des plus petits et un des plus hardis"]. Le hochequeue, perché, fait à peine plier un roseau, et envolé, traverse l'océan." En marge, cette note dans une bulle: "Voir à propos de l'ourque dans l'armada les Lauriers de Nassau. Peut-être citer en note les principaux tonnages." [renvoie à Jan Janszoon Orlers, Les Lauriers de Nassau, 1612.] Au bas du folio: trait d'interruption.]
[f° 35, C2. Ce folio intercalé est une réfection du bas du folio précédent] L’ourque de Biscaye est un ancien gabarit tombé en désuétude. Cette ourque, qui a rendu des services, même à la marine militaire, était une coque robuste, barque par la dimension, navire par la solidité. Elle figurait dans l’Armada ; l’ourque de guerre atteignait, il est vrai, de forts tonnages, ainsi la capitainesse Grand Griffon, montée par Lope de Médina, [", montée...": addition] jaugeait six cent cinquante tonneaux et portait ["mille + +" barré] quarante canons ; ["et le + +." barré] mais l’ourque marchande et contrebandière était d’un très faible échantillon. Les gens de mer estimaient et considéraient ce gabarit chétif. [Cette phrase en remplace une autre, barrée, non lue] Les cordages de l’ourque étaient formés de tourons [corrige "torons"(?)] de chanvre, quelques-uns [ajouté] avec âme en fil de fer, ce qui indique une intention probable, quoique peu scientifique, d’obtenir des indications ["indique une..." substitué à "avait des inconvénients" corrigé en "+ + + périls"] dans les cas de tension magnétique ; la délicatesse de ce gréement n’excluait point [corrige "pas"] les gros câbles de fatigue, les cabrias des galères espagnoles et les cameli des trirèmes romaines. La barre était très longue, ce qui a l’avantage d’un grand bras de levier, mais l’inconvénient d’un petit arc d’effort ; deux rouets dans deux clans au bout de la barre corrigeaient ce défaut ["ce défaut" corrige "cet inconvénient"] et réparaient un peu cette perte de force. La boussole était bien logée dans un habitacle parfaitement carré, et bien balancée par ses deux cadres de cuivre placés l’un dans l’autre horizontalement sur de petits boulons comme dans les lampes de Cardan. Il y avait de la science et de la subtilité dans la construction de l’ourque, mais c’était de la science ignorante et de la subtilité barbare. L’ourque était primitive comme la prame [corrige "jonque"; de même à la copie] et la pirogue, participait de la prame [corrige "jonque"; de même à la copie] par la stabilité et de la pirogue par la vitesse, et avait, comme toutes les embarcations nées de l’instinct pirate et pêcheur, de remarquables qualités de mer. Elle était propre aux eaux fermées et aux eaux ouvertes ; son jeu de voiles, compliqué d’étais et très particulier ["et très particulier" se substitue à " et d'échancrures, et l'orientation possible de son gréement"], lui permettait [corrige le pluriel] de naviguer petitement dans les baies closes des Asturies, qui sont presque des bassins [corrige "lacs"], comme Pasages par exemple, et largement en pleine mer ; elle pouvait faire le tour d’un lac et le tour du monde ; singulières nefs [corrige "embarcations"] à deux fins, bonnes pour l’étang, et bonnes pour la tempête. L’ourque était parmi les navires ce qu’est le hochequeue parmi les oiseaux, un des plus petits et un des plus hardis ; le hochequeue, perché, fait à peine plier un roseau, et, envolé, traverse l’océan.
[f° 36, D 2; folio probablement intercalé] Les ourques de Biscaye, même les plus pauvres, étaient dorées et peintes. Ce tatouage est dans le génie de ces peuples charmants, un peu sauvages. Le sublime bariolage de leurs montagnes, quadrillées de neiges et de prairies, leur révèle le prestige âpre de l’ornement quand même. Ils sont indigents et magnifiques ; ils mettent des armoiries à leurs chaumières ; ils ont de grands ânes qu’ils chamarrent [corrige "couvrent"] de grelots et de grands bœufs qu’ils coiffent de plumes ; leurs chariots, dont on entend à deux lieues grincer les roues, sont enluminés, ciselés, et enrubannés. ["leurs chariots...": addition] Un savetier a un bas-relief sur sa porte ; c’est saint Crépin et une savate, mais c’est en pierre. ["Un savetier...": extension de l'addition précédente] Ils galonnent leur veste de cuir ; ils ne recousent pas le haillon, mais ils le brodent. Gaîté profonde et superbe. Les basques sont, comme les grecs, des fils du soleil. Tandis que le valencien se drape nu et triste dans ["se drape..." corrige "n'a que"] sa couverture de laine rousse [ajouté] trouée pour le passage de la tête, les gens de Galice et de Biscaye ont la joie des belles chemises de toile blanchie à la rosée. Leurs seuils et ["Leurs seuils..." corrige "Toutes leurs portes et toutes"] leurs fenêtres regorgent de faces [corrige "têtes"] blondes et fraîches, riant sous les guirlandes de maïs. Une sérénité [corrige "Leur disposition"(?)] joviale et fière éclate dans leurs arts naïfs, dans leurs industries, dans leurs coutumes, dans la toilette des filles, dans les chansons. La montagne, cette masure colossale, est en Biscaye toute lumineuse ; les rayons entrent et sortent par toutes ses brèches. Le farouche Jaïzquivel est plein d’idylles. ["Une sérénité...": addition; elle remplace "Les farouches monts Jaïzquivel sont des + pleins d'idylles."] La Biscaye est la grâce pyrénéenne comme la Savoie est la grâce alpestre. Les redoutables baies qui avoisinent St-Sébastien, Leso et Fontarabie, mêlent aux tourmentes, aux nuées, aux écumes par dessus les caps, aux rages de la vague et du vent, à l’horreur, au fracas, des batelières couronnées de roses. Qui a vu le pays basque veut le revoir. C’est la terre bénie. Deux récoltes par an, des villages gais et sonores, une pauvreté altière, tout le dimanche un bruit de guitares, danses, castagnettes, amours, des maisons propres et claires, les cigognes dans les clochers ["une pauvreté..." l'énumération a été corrigée à plusieurs reprises; on distingue des éléments acquis dès la première rédaction: "tous les dimanches + guitares, danses, castagnettes, les cigognes dans les clochers"].
Revenons à Portland, âpre montagne de la mer [", âpre montagne de la mer": addition; de même à la copie].
[f° 37, E2; trait d'interruption. Ce folio prenait très probablement la suite du f° 34 avant l'intercalation des folios 35 et 36. Le texte de première rédaction, qui commence à "La crique, murée...", est la mise au net du f° 87 du ms 24 747 qui, lui aussi, porte un trait d'interruption.] [Au verso du folio, à 180°, une ligne barrée: "La vague a beau être + +"]
[addition jusqu'à "lieu dit Southwell"] La presqu’île de Portland, vue [faux départ: "à vol d'oiseau"] en plan géométral, offre l’aspect [corrige "le dessin" qui corrige "la ressemblance"] d’une tête d’oiseau dont le bec est tourné vers l’océan [corrige "la mer"; de même à la copie] et l’occiput vers Weymouth ; l’ithsme est le cou.
Portland, au grand dommage de sa sauvagerie, existe aujourd’hui pour l’industrie. ["Portland..." remplace "Depuis le commencement du dix-neuvième siècle la roche de Portland est exploitée. On en fait du ciment dit romain."] Les côtes [corrige "craies"] de Portland ont été découvertes par les carriers et les plâtriers au commencement du dix neuvième [variante sans choix: "huitième". Hugo coupe la poire en deux à la copie: "vers le milieu du dix-huitième"] siècle. Depuis cette époque, avec la roche de Portland, on fait du ciment, dit romain, [", dit romain,": addition] exploitation utile qui enrichit le pays et défigure la baie. Il y a deux cents ans, ces côtes étaient ruinées comme une falaise, aujourd’hui elles sont ruinées comme une carrière ; [faux départ: "le flot"] la pioche mord petitement, et le flot grandement . De là une diminution de beauté. Au gaspillage magnifique de l’océan a succédé la coupe réglée de l’homme. Cette coupe réglée a supprimé ["Cette coupe..." corrige "Dans cette coupe réglée a disparu"] la crique où était amarrée l’ourque biscayenne. Pour ["en" barré en correction cursive] retrouver quelque vestige de ce petit mouillage démoli, il faudrait chercher sur la côte orientale de la presqu’île, vers la pointe, [", vers la pointe," ajouté] au delà de Folly Pier et de Dirdle Pier, au delà même de Wakeham, entre le lieu dit Church Hope et le lieu dit Southwell.
["La presqu'île de Portland...": addition; la rédaction initiale commence au paragraphe qui suit; on la comparera à celle, encore antérieure, du f° 87 de 24 747.]
[au crayon: "2"]
La crique, murée de tous les côtés par des escarpements plus hauts qu’elle n’était large, était [corrige "devenait"] de minute en minute plus envahie par le soir ; la [corrige "cette"] brume trouble, propre au crépuscule, s’y épaississait ; c’était comme une crue d’obscurité au fond d’un puits ; la sortie de la crique [variante abandonnée: "du petit hâvre"] sur la mer, couloir [corrige "goulet"] étroit, dessinait dans cet intérieur presque nocturne [corrige "noir"] où le flot remuait, une fissure blanchâtre. Il fallait être tout près pour apercevoir l’ourque amarrée aux rochers et comme cachée dans leur grand manteau d’ombre. ["Il fallait être..." corrige "L'ourque amarrée au rocher [corrigé au pluriel] était à peine visible."] Une planche jetée du bord à une saillie basse et plate ["et plate" ajouté] de la falaise, unique point où l’on pût prendre pied, mettait la barque en communication avec la terre, des formes noires marchaient et se croisaient ["marchaient..." corrige ", parlant à voix basse, allaient et venaient"] sur ce pont branlant [corrige "tremblant"], et dans ces ténèbres [corrige "cette ombre"] , des gens s’embarquaient.
Il faisait moins froid dans la crique [corrige "ce mouillage"] qu’en mer, grâce à l’écran [corrige "au paravent"] de roche dressé au nord ["au nord" corrige + +] de ce bassin ; diminution [corrige "adoucissement"] qui n’empêchait pas ces gens de grelotter. ["Il semblaient déguenillés." barré en raison de l'ajout qui suit] Ils se hâtaient. [Ce paragraphe est en addition.]
Les effets de crépuscule découpent les formes à l’emporte-pièce ; de certaines dentelures à leurs habits étaient visibles, et montraient que ces gens appartenaient à la classe nommée en Angleterre the ragged, c’est à dire les Déguenillés. [Ce paragraphe, addition de deuxième niveau, prolonge la précédente.]
[Les deux additions qui précèdent se substituent à "Les oiseaux de mer, tourbillonnant devant le goulet du petit hâvre, criaient, n'osant rentrer." La phrase, présente à cette place au f° 87 de 24 747, a été utilisée au folio 33, dont l'intercalation est confirmée par ce déplacement.]
On distinguait vaguement dans les reliefs de la falaise la torsion [variante abandonnée: "le[s] zig-zag[s]"] d’un sentier. Une fille qui laisse pendre et traîner son lacet sur un dossier de fauteuil [corrige "meuble"] dessine, sans s’en douter, à peu près tous les sentiers de falaises et de montagnes. Le sentier de cette crique [corrige "Ce sentier"], plein de nœuds et de coudes ["Un fille qui..." addition. Elle se substitue à un texte corrigé et entièrement barré: "Ce sentier + + arrivant des plaines ["arrivant...": en sc. sur + + +], croulant plutôt que descendant". Même addition, autographe, à la copie] , presque à pic, et meilleur pour les chèvres que pour les hommes, aboutissait à la plate-forme où était la planche. Les sentiers de falaise sont habituellement d’une déclivité peu tentante ; ils [faux départ: "ressemblent"] s’offrent moins comme une route que comme une chute ; ils croulent plutôt qu’ils ne descendent. Celui-ci, [faux départ: "parti vraisemblablement"] ramification vraisemblable de quelque chemin dans la plaine, était désagréable [variante abandonnée: +] à regarder, tant il était vertical. ["Les sentiers de falaise..." addition; elle se substitue à "C'est par ce + qu'avaient dû venir les êtres que cette barque attendait dans cette crique." qui est reporté plus bas.] On le voyait d’en bas gagner en zigzag les assises hautes [corrige "supérieures"] ["les assises..." corrige "l'entablement supérieur"] de la falaise d’où il débouchait à travers des effondrements sur le plateau supérieur par une entaille au rocher ["à travers..." corrige "par une entaille au rocher sur le plateau supérieur et dans les plaines"]. C’est par ce sentier qu’avaient dû venir les passagers [corrige "êtres"] que cette barque attendait dans cette crique.
[trait d'interruption]
Autour du mouvement d’embarquement [ajouté] qui se faisait dans la crique, mouvement visiblement [corrige "évidemment"] effaré et inquiet [remplace + [corrigé en "visiblement"] hâtif [en sc. sur+]], tout était solitaire. On n’entendait ni un pas, ni un bruit, ni un souffle. ["solitaire..." corrige "désert, la terre et l'eau [en sc. sur "la mer"].] A peine apercevait-on, de l’autre côté de la rade [corrige "du golfe" qui corrige "de la baie"], à l’entrée de la baie de Ringstead, ["à l'entrée...": addition] une flottille [corrige "un groupe"], évidemment fourvoyée [d'abord au singulier], de bateaux [corrige "d'embarcations"] à pêcher le requin. Ces bateaux polaires avaient été chassés des eaux danoises dans les eaux anglaises par les bizarreries de la mer. Les bises boréales jouent de ces tours aux pêcheurs. [phrase en addition] Ceux-ci [corrige "Ils"] venaient de se réfugier [deux mots barrés] au mouillage de Portland, signe de mauvais temps présumable [en sc. sur "probable"(?)] et de péril au large. Ils étaient occupés à jeter l’ancre. La maîtresse barque, placée en vedette selon ["l'antique" barré en correction cursive] l’ancien usage des flottilles ["de pêche." barré; de même à la copie] [f° 38, F2] norwégiennes, dessinait [corrige "découpait"] en noir tout son gréement sur la blancheur plate de la mer ["de la mer" en sc. cursive sur "du +"], et l’on voyait à l’avant la fourche de pêche portant toutes les variétés de crocs et de harpons destinés au seymnus glacialis, au squalus acanthias et au squalus spinax niger, et le [+ barré] filet [point dont la rature à été oubliée] à prendre la grande selache. A ces quelques embarcations près, toutes balayées dans le même coin, l’œil ["ne reconn" barré en correction cursive], en [en sc. sur "dans"] ce vaste horizon de Portland, ne rencontrait rien de vivant. Pas une maison, pas un navire. La côte, à cette époque, [corrige "A cette époque, la côte"] n’était pas habitée, et la rade [en sc. sur "baie"], ["pas habitée...": texte initial maintenu après rature d'une correction non lue] en cette saison, n’était pas habitable.
Quelque fût l’aspect du temps, les êtres qu’allait emmener [corrige "qui s'embarquaient dans"] l’ourque biscayenne n’en pressaient pas moins le départ. Ils faisaient au bord de la mer une sorte de groupe affairé et confus, aux allures [corrige "mouvements"] rapides. [faux départ: "Les reconnaître"(?)] Les distinguer l’un de l’autre était difficile. ["Ils faisaient..." remplace "L'équipage de l'ourque, composé d'un patron et de deux matelots, semblait être des leurs. Ce qu'étaient ces êtres [corrigé "Ce qu'ils étaient" puis "Ce qu'étaient ceux qui s'embarquaient"], il eût été difficile de le dire."] Impossible de voir s’ils étaient vieux ou jeunes. [faux départ: "La nuit + + + + + +"] Le soir indistinct les mêlait et les estompait. L’ombre [corrige "La nuit"], ce masque, était sur leur visage. C’étaient des silhouettes dans de la nuit [corrige "de l'ombre"]. Ils étaient huit [corrige "sept"], il y avait probablement parmi eux une ou deux femmes, malaisées à reconnaître sous les déchirures et les loques ["déchirures..." corrige "loques" qui corrige "guenilles"] dont tout le groupe était affublé, accoutrements [", accoutrements" est substitué à "et"; de même à la copie] qui n’étaient plus ni des vêtements de femmes, ni des vêtements d’hommes. Les haillons n’ont pas de sexe.
Une ombre plus petite, allant et venant parmi les grandes, indiquait un nain ou un enfant.
C’était un enfant.
[La fin du folio, est abondamment corrigée et augmentée avant d'être entièrement barrée et réécrite aux deux folios suivants.
Addition de quatrième niveau: "En observant de près, voici ce qu’on eût pu noter."
Addition de troisième niveau: "Tous portaient de longues capes, trouées mais drapées, et au besoin les cachant jusqu’aux yeux, bonnes contre la bise et la curiosité. Sous ces capes, ils se mouvaient agilement. Un était [ajouté et virgule barrée] coiffé d'un feutre sans trou pour la pipe, ce qui indiquait un homme probablement lettré ["probablement..." remplace "grave, avait des cheveux gris"]. Un autre, qui avait un air de chef, était vêtu [corrige "affublé"] de guenilles [corrige, en correction cursive, "de haillons"] ajustées, collantes, dorées et passementées qui, à travers les entrebaillements de sa cape, luisaient comme un ventre de poisson.
L’enfant, par dessus ses loques, était affublé, d'après le principe qu’une veste d’homme est un manteau d’enfant, d’une souquenille de matelot qui lui descendait jusqu’aux genoux."
Addition de deuxième niveau: "Sa taille laissait deviner [corrige "indiquait"] un garçon de dix à onze ans. Il était pieds nus.
L'équipage de l'ourque se composait d'un patron et de deux matelots." [phrase de la rédaction initiale déplacée]
Addition de premier niveau: "L'ourque vraisemblablement [variante sans choix: "apparemment"] venait d'Espagne, et y retournait. Elle faisait sans nul doute, d’une côte à l’autre, un service furtif. Les personnes [corrige "espèces d'ombres"] qu’elle embarquait chuchotaient entre elles. [deux lignes et demi rayées, non lues]
Le chuchotement que ces êtres échangeaient était composite. Tantôt un mot castillan, tantôt un mot allemand, tantôt un mot français ; [addition barrée de trois mots, non lus] parfois du breton, parfois du basque. C’était un patois, à moins que ce ne fût un argot.
Ils paraissaient être de toutes les nations et de la même bande. L’équipage était probablement [en sc. sur +] des leurs. Il y avait de la connivence dans cet embarquement. ["Ce tas d'êtres" barré en correction cursive] Cette troupe bariolée semblait être un tas de compagnons, peut-être de complices."
Retour à la rédaction initiale, barrée d'une croix. "Au pied de la falaise était déposé le chargement que ces passagers emportaient et qui, grâce à la planche servant de pont, passait rapidement de la plateforme dans la barque. Des sacs de biscuits, une caque de stock-fish, une boîte de portative-soup, ["une caque...": addition] un baril d’eau douce, un baril de malt, ["un baril de malt,": ajouté] un baril de goudron, de l’étoupe pour torches et signaux, quatre ou cinq bouteilles d’ale, un vieux porte-manteau bouclé dans des courroies, des caisses, ["un vieux porte-manteau...": addition] des coffres, tel était ce chargement.
"+ + + + + + [une ligne barrée] + + + l'enfant" En première rédaction, le folio s'achève ici et le texte se poursuit au f° 41: "portait les plus gros poids."
Addition: "Ces déguenillés avaient des valises [corrige "des bagages"], ce qui semblait indiquer une existence ["errante" barré en correction cursive] nomade ; les gueux ambulants sont forcés de posséder quelque chose ; ils ont nécessairement des caisses d’outils et des instruments de travail, quelle que soit leur profession errante. Ceux-ci traînaient ce bagage, embarras dans plus d’une occasion."]
[f° 39, G2. Ce folio et le suivant sont intercalés; ils reprennent et développent la seconde moitié, barrée, du folio précédent.
En observant de près, voici ce qu’on eût pu noter.
Tous portaient de longues capes, percées et rapiécées, mais drapées, et au besoin les cachant jusqu’aux yeux, bonnes contre la bise et la curiosité. Sous ces capes, ils se mouvaient agilement. La plupart [corrige "Ils"] étaient coiffés d’un mouchoir roulé [corrige "de mouchoirs roulés"] autour de la tête, sorte de rudiment par lequel le turban [corrige "mouchoir"] commence en Espagne. Cette coiffure n’avait rien d’insolite en Angleterre. Le midi à cette époque était à la mode dans le nord. Peut-être cela tenait-il à ce que le nord battait le midi. Il en triomphait, et l’admirait. Après la défaite de l’armada, le castillan fut chez Élisabeth un élégant baragouin de cour. Parler anglais chez la reine d’Angleterre était presque « schocking ». Subir un peu les mœurs de ceux à qui l’on fait la loi, c’est l’habitude du vainqueur barbare vis-à-vis le vaincu raffiné ; le tartare contemple et imite le chinois. ["; le tartare...": addition dans l'addition] C’est pourquoi les modes castillanes pénétraient en ["pénétraient en" corrige "+ dans l' "] Angleterre ; en revanche, les intérêts anglais s’infiltraient en ["s'infiltraient en" corrige "+ l' "] Espagne. ["Le midi...": addition. Elle se substitue à la première version, barrée en correction cursive: "+ + + l'Angleterre ayant vaincu l'Espagne, l'admirait, revanche que le vaincu prend souvent sur le vainqueur [correction: "que le vainqueur laisse souvent prendre au vaincu"], et les modes espagnoles faisaient loi en Angleterre." Seconde version, qui achève la phrase n'avait rien d'insolite en Angleterre: "selon l'habitude du vainqueur barbare vis à vis le vaincu raffiné [mot encadré de barres verticales], et les modes ["anglaises" barré en correction cursive] castillanes [corrige "espagnoles"] faisaient loi en Angleterre. Dans le palais des [corrige "Chez les"] Stuarts, l'espagnol avait été [corrige "le castillan était"] un élégant baragoin de cour."] [pas d'alinéa en première rédaction]
Un des hommes du groupe qui s’embarquait avait un air de chef. Il était chaussé [première rédaction: "Un de ces hommes, qui avait un air de chef, était chaussé"] d’alpargates, et attifé de guenilles passementées et dorées, et d’un gilet de paillon, luisant, sous sa cape, comme un ventre de poisson. Un autre rabattait sur son visage un vaste feutre taillé en sombrero. Ce feutre n’avait pas de trou pour la pipe, ce qui indiquait un homme lettré.
L’enfant, par dessus ses loques, était affublé, selon le principe qu’une veste d’homme est un manteau d’enfant, d’une souquenille de gabier qui lui descendait jusqu’aux genoux.
Sa taille laissait deviner un garçon de dix à onze ans. Il était pieds nus.
L’équipage de l’ourque se composait d’un patron et de deux matelots.
L’ourque, vraisemblablement [variante sans choix "apparemment" abandonnée à la copie], venait d’Espagne et y retournait. Elle faisait, sans nul doute, d’une côte à l’autre, un service furtif.
Les personnes qu’elle était en train d’embarquer, chuchotaient entre elles.
Le chuchotement que ces êtres échangeaient était composite. Tantôt un mot castillan, tantôt un mot allemand, tantôt un mot français ; parfois du breton [variante sans choix: "gallois" préférée à la copie], parfois du basque. C’était un patois, à moins que ce ne fût un argot.
Ils paraissaient être de toutes les nations et de la même bande.
L’équipage était probablement des leurs. Il y avait de la connivence dans cet embarquement.
Cette troupe bariolée semblait être une compagnie de camarades, peut-être un tas de complices.
[f° 40, H2; folio intercalé comme le précédent.] S’il y eût eu un peu plus de jour, et si l’on eût regardé un peu curieusement [corrige "d'un peu près"], on eût aperçu sur ces gens des chapelets et des scapulaires dissimulés à demi sous les guenilles [corrige +] ["dissimulés..." corrige "mêlés aux haillons et à demi cachés dessous"]. Un des à peu près de femme, mêlés [en sc. sur +] au groupe, avait un rosaire [deux ou trois mots barrés en correction cursive] presque pareil pour la grosseur des grains à un rosaire de derviche, et facile à reconnaître pour un rosaire irlandais de Llanymthefry, qu’on appelle aussi Llanandiffry.
On eût également pu remarquer, s’il y avait eu moins d’obscurité, une Nuestra-Señora, avec le niño, sculptée et dorée à l’avant de l’ourque. C’était probablement la Notre-Dame basque, sorte de panagia des vieux cantabres ["basque..." corrige "d'Irlande, à moins que ce ne fut celle de Burgos(?)"]. Sous cette figure, tenant lieu de poupée de proue, il y avait une cage à feu, point allumée en ce moment, excès de précaution qui indiquait un extrême souci de se cacher. Cette cage à feu était évidemment à deux fins ; quand on l’allumait, elle brûlait pour la vierge et éclairait la mer, fanal faisant fonction de cierge.
Le taille-mer, long, courbe et aigu [faux départ; "sortait de l'avant"] sous le beaupré, sortait de l’avant comme une corne de croissant. A la naissance du taille-mer, [faux départ; "plus bas que [corrigé: "adossé à"] l'étrave"] aux pieds de la vierge, était agenouillé un ange adossé à l’étrave, ailes ployées, et regardant l’horizon avec une lunette. L’ange était doré comme la Notre-Dame.
Il y avait dans le taille-mer des jours et des claires-voies pour laisser passer les lames. Occasion de dorures et d’arabesques. [phrase ajoutée] [Ces deux paragraphes sont ajoutés à l'addition qui suit.]
Sous la Notre-dame, était écrit en majuscules dorées le mot Matutina, nom du navire, illisible en ce moment à cause de l’obscurité. ["Sous la Notre-Dame...": addition]
Au pied de la falaise était déposé, en désordre et ["en désordre et": addition] dans le pêle-mêle du départ, le chargement que ces passagers emportaient et qui, grâce à la planche servant de pont, passait rapidement de la plateforme [variante sans choix "du rivage"; copie: "du rivage" est ajouté et "plate forme" barré] dans la barque. Des sacs de biscuits, une caque de stock-fish, une boîte de portative-soup, trois [en sc. sur "un", signe que VH recopie] barils, un d’eau douce, un de malt, un de goudron, quatre ou cinq bouteilles d’ale, un vieux porte-manteau bouclé dans des courroies, des malles [en sc. sur +], des coffres, une balle d’étoupe pour torches et signaux, tel était ce chargement. Ces déguenillés avaient des valises, ce qui semblait indiquer une existence nomade ; les gueux ambulants sont forcés de posséder quelque chose ; ils voudraient bien parfois s’envoler comme des oiseaux, mais ils ne peuvent. A moins d’abandonner leur gagne-pain. Ils ont nécessairement des caisses d’outils et des instruments de travail, quelle que soit leur profession errante. Ceux-ci traînaient ce bagage, embarras dans plus d’une occasion.
Il n’avait pas dû être aisé d’apporter ce déménagement au bas de cette falaise. Ceci du reste révélait une intention de départ définitif.
On ne perdait pas le temps ; c’était un passage continuel du rivage à la barque et de la barque au rivage ; chacun prenait sa part de la besogne ; l’un portait un sac, l’autre un coffre. Les femmes possibles ou probables dans cette promiscuité travaillaient comme les autres. On surchargeait l’enfant.
[f° 41, I2. Deux traits d'interruption. Le folio prend la suite du f° 38, aussi bien par l'addition initiale qui continue l'addition finale du f° 38 que par le texte de première rédaction.]
[addition, barrée une fois récupérée au folio précédent: "Il n’avait pas dû être aisé d’apporter ce déménagement au bas de cette falaise. Ceci du reste révélait une intention de départ définitif.
On ne perdait pas le temps ; c’était un passage continuel du rivage à la barque et de la barque au rivage ; chacun prenait sa part de la besogne ; l’un portait un sac, l’autre un coffre. Les femmes possibles ou probables dans cette promiscuité travaillaient comme les autres. On surchargeait l’enfant."]
[suite de la rédaction initiale du folio 38: "portait les plus gros poids."]
Si cet enfant avait dans ce groupe son père et sa mère, cela est douteux [corrige "peu probable"]. Aucun signe de vie ne lui était donné. On le faisait travailler, rien de plus. Il paraissait, non un enfant dans une [corrige, d'abord en sc. puis en interligne, "sa"] famille, mais un esclave dans une tribu [corrige + qui corrige "bande"]. Il servait tout le monde, et personne ne lui parlait.
Du reste, ["la hâte de toute la troupe l'avait gagné sans qu'il se rendît peut-être compte de ce qui se passait," barré] il se dépêchait, et, comme toute cette troupe obscure dont il faisait partie ["comme toute..." corrige "comme les autres"], il semblait n’avoir qu’une pensée, s’embarquer bien vite. Savait-il pourquoi ? probablement non. Il se hâtait machinalement. Parce qu’il voyait les autres se hâter.
[trait d'interruption]
L’ourque était pontée. L’arrimage du chargement dans la cale fut ["vite fait" barré en correction cursive] promptement exécuté [corrige "fait"], [faux départ: "la dernière"] le moment de prendre le large [corrige "quitter terre"(?)] arriva. La dernière caisse avait été portée sur le pont, il n’y avait [corrige "ne restait"] plus à embarquer que les hommes. Les deux de cette troupe qui semblaient les [en sc. sur "des"] femmes étaient déjà à bord ; six [corrige "cinq"], dont l’enfant, étaient encore sur la plateforme ["de la falaise" barré en correction cursive] basse de la falaise. Le mouvement de départ se fit dans le navire, le patron saisit la barre, un matelot prit une hache pour trancher le câble d’amarre [corrige "couper l'amarre"]. Trancher, signe de hâte ; quand on a le temps, on dénoue. ["Trancher...": addition] Andamos, dit à demi voix celui des six [en sc. sur "cinq"] qui ["semblait" barré en correction cursive] paraissait le chef, et qui avait des paillettes sur ses guenilles [", et qui avait...": addition]. L’enfant se précipita vers la planche pour passer le premier. Comme il y mettait le pied, deux [en sc. sur "un"] des hommes se ruant, au risque de le jeter à l’eau, entrèrent ["se ruant..." corrige "l'écarta du coude et passa"] avant lui, un troisième [en sc. sur "deuxième"] l’écarta du coude [corrige "le repoussa du poing"] et passa, [faux départ: "le quatrième qui était le chef"] le quatrième [en sc. sur "troisième"] le repoussa du poing et suivit le troisième [corrige "les deux premiers" qui corrige en correction cursive "le second"], le cinquième [en sc. sur "quatrième"], qui était le chef, bondit plutôt qu’il n’entra dans la barque, et, en y sautant, ["fit tomber la planche à la mer d'un coup de talon" barré en correction cursive] poussa du talon la planche qui tomba à la mer, un coup de hache coupa l’amarre, la barre du gouvernail vira [corrige "tourna"], le navire quitta le rivage [corrige "le bord" qui corrige "terre"], et l’enfant resta à terre ["à terre" ajouté] .
[Trait d'interruption]
["Cela + + + + + + l'éclair, pendant + + + +, pas eu le temps de redoubler." Ces deux lignes barrées sont bordées d'un trait vertical à gauche, et d'un point d'interrogation.]
[f° 42 blanc; f° 43, J2. Trait d'interruption]
L’enfant demeura immobile sur le rocher, l’œil fixe. Il n’appela point, il ne réclama point. C’était inattendu pourtant [remplace "Il ne jeta pas un cri"]; il ne dit pas une parole. Il y avait dans le navire le même silence. Pas un cri de l’enfant vers ces hommes, pas un adieu de ces hommes à l’enfant. Il y avait des deux parts une acceptation muette de l’intervalle grandissant. C’était comme une séparation de mânes au bord d’un styx, l’enfant, comme cloué sur ["séparation de mânes..." corrige "séparation de ["larves" qui corrige "fantômes"]. L'enfant, droit et debout au bord de"; la dernière correction: "mânes au bord d'un styx" est également faite à la copie, mais Hugo ne corrige pas le point de la copie; la virgule du manuscrit est d'ailleurs peu nette.] la roche que la marée haute commençait à baigner [corrige "mouiller"], regarda la barque s’éloigner. On eût dit qu’il comprenait. Quoi ? que comprenait-il ? l’ombre.
[Trait d'interruption.]
Un moment après [rétabli en sc. sur une correction non lue], l’ourque atteignit [corrige "s'engagea dans"] le détroit de sortie ["détroit de sortie" corrige "couloir de sortie" qui corrige "goulet"] de la crique et s’y engagea [corrige "enfonça"]. On aperçut [corrige "On ne vit plus rien que"] la pointe du mât sur le ciel clair au-dessus des blocs fendus ["blocs fendus" corrige "rochers"] entre lesquels serpentait le détroit [corrige "goulet"] comme entre deux murailles. Cette pointe erra au ["erra au" corrige "passa sur le"] haut des roches, et sembla s’y enfoncer. On ne la vit plus. [et sembla..." corrige "parut s'y enfoncer, et disparut."] C’était fini. La barque avait pris la mer ["pris la mer" corrige "était dans la haute mer"].
L’enfant regarda cet évanouissement.
[addition de second niveau, raturée et face à laquelle Hugo à écrit "à retrancher":
"Quelques minustes s'écoulèrent.
Tout à coup une voix claire et forte, très distincte quoiqu'un peu lointaine, et qui paraissait venir du fond de la mer, cria par dessus les rochers:
— Tu as la bouche fendue, le nez écrasé, et les membres tordus. Voilà de quoi vivre. Va!
["A qui s'adressaient ces paroles" rayé en correction cursive]
Puis le silence se refit, profond.
A qui s'adressaient ces paroles? était-ce à l'enfant?
On ne voyait pas son visage, à cause du soir, et de ses cheveux très épais poussés par le vent sur son front. Ce qui est certain, c'est que, dans cette obscurité, il n'offrait rien de difforme ni d'infirme. Il était droit et bien fait, et avait l'air robuste.
A ce cri jeté par cette voix, il n'eut pas un tressaillement, il ne fit pas un mouvement. Il n'essaya aucune réponse. ["On eût dit qu'il n'entend" barré en correction curssive] Il resta (?) [en sc. sur +] comme s'il n'avait pas entendu."]
Il était étonné, mais rêveur [corrige "pensif"].
Sa stupéfaction se compliquait d’une sombre constatation [corrige "acceptation"] de la vie. Il semblait qu’il y eût ["déjà" barré] de l’expérience dans cet être commençant. Peut-être jugeait-il déjà. [la phrase enjambe la première ligne d'un nouveau paragraphe, sans doute abandonné en correction cursive] L’épreuve, arrivée trop tôt, construit parfois au fond de la réflexion [corrige "pensée"] obscure des enfants on ne sait quelle balance terrible [variante sans choix: "redoutable" préférée à la copie] où ces pauvres petites âmes pèsent Dieu.
Se sentant innocent, il consentait [corrige "acceptait"]. Pas une plainte. L’irréprochable ne reproche pas. ["Il était étonné...": addition de premier niveau]
Cette brusque élimination qu’on faisait de lui ne lui arracha pas même un geste. Il eut une sorte de roidissement intérieur. Sous cette subite voie de fait du sort qui semblait mettre le dénouement de son existence [corrige "sa vie"] presque avant le début, l’enfant ne fléchit pas. Il reçut ce coup de foudre, debout. [ce paragraphe, addition de deuxième niveau, est ajouté à l'addition qui précède]
Il était évident ["Il était..." en sc. sur +] ["que dans ce groupe" barré en correction cursive] , pour qui eût vu son étonnement [variante sans choix "sa surprise" rayée à la copie] sans accablement, que, dans ce groupe qui l’abandonnait [en sc. sur +], rien ne l’aimait, et il n’aimait rien. [Cette addition de troisième niveau est encadrée de barres verticales, chacune bordée d'un point d'interrogation. Marques barrées à la copie.]
Pensif, il oubliait le froid. Tout à coup l’eau lui mouilla les pieds ; la marée montait ; une haleine lui passa dans les cheveux ; ["une haleine..." corrige "le vent lui souffla au visage [variante sans choix "sur la face"] ,"] la bise s’élevait. Il frissonna. Il eut de la tête aux pieds ce tremblement qui est le réveil. ["Il étira ses bras maigres et bâilla." barré et déplacé]
Il jeta les yeux autour de lui.
Il était seul.
Il n’y avait pas eu pour lui jusqu’à ce jour sur la terre d’autres hommes que ceux qui étaient en ce moment dans ["la barque" barré en correction cursive] l’ourque. Ces hommes venaient de se dérober. [Première rédaction du paragraphe: "Les seuls hommes qu'il connût sur la terre venaient de s'éloigner + + probablement pour jamais." Seconde rédaction, celle qu'enregistre la copiste: "Les seuls hommes qu'il connût sur la terre venaient de se dérober." VH la barre et la remplace par le texte définitif.]
Ajoutons, chose étrange à énoncer, que ces hommes, les seuls qu’il connût, lui étaient inconnus.
Il n’eût pu dire qui étaient ces hommes. [paragraphe ajouté à l'addition en cours]
Son enfance s’était passée parmi eux, sans qu’il eût la conscience d’être des leurs. Il leur était juxtaposé ; rien de plus.
["Il venait d'être rejeté par eux.
Il ne savait ni comment, ni pourquoi." Ces deux lignes sont barrées; leur présence explique les tirets qui encadrent le mot "oublié".]
Il venait d’être — oublié — par eux. [ligne ajoutée, probablemeent avant la suppression des deux précédentes. A la copie; les deux tirets sont rétablis ou "repassées" d'un trait plus épais de la main de VH] ["Ajoutons, chose étrange...": addition]
Il n’avait pas d’argent sur lui, pas de souliers aux pieds, à peine un vêtement sur le corps, pas même un morceau de pain dans sa poche.
[Paragraphe de deux lignes barrées. On distingue, au début, "Peut-être" et, à la fin, "là, de froid et de faim."]
C’était l’hiver. C’était le soir. Il fallait marcher plusieurs lieues avant d’atteindre à une habitation humaine.
Il ignorait où il était.
Il ne savait rien, sinon que ceux qui étaient venus avec lui au bord de cette mer, s’en étaient allés sans lui. [Ces deux paragraphes sont en addition.]
Il se sentait mis hors de la vie.
Il sentait l’homme manquer sous lui. [Ces deux paragraphes sont ajoutés aux deux précédents.]
Il avait dix ans. [Ce paragraphe est ajouté aux quatre précédents.]
[Le bas du folio est occupé par un paragraphe, peut-être ajouté, de quatre lignes abondamment corrigées, qui, pour finir, est entièrement barré et recopié en addition au folio suivant.]
[f° 44, K2. Deux traits d'interruption]
L’enfant était dans un désert, entre des profondeurs où il voyait monter la nuit et des profondeurs où il entendait gronder les vagues.
Il étira ses petits bras maigres et bâilla. [Ces deux paragraphes reprennent, en addition, la fin barrée du folio précédent.]
Puis, brusquement, ["et" barré] comme quelqu’un qui prend son parti, hardi, ["Puis, brusquement...": première rédaction: "Puis, hardi, rapide"] et se dégourdissant, et avec une agilité d’écureuil [corrige "de singe"], — de clown peut-être, — il tourna le dos à la crique et se mit à monter [corrige "grimper"] le long de la falaise. Il escalada [corrige "prit"] le sentier, le quitta, y revint [corrige "le reprit"], alerte [corrige "rapide"] et se risquant. Il se hâtait maintenant vers la terre. On eût dit qu’il avait un itinéraire. Il n’allait nulle part pourtant.
Il se hâtait sans but, espèce de fugitif devant la destinée.
[Trait d'interruption. En face, au-dessus du texte,dans l'interligne et au crayon, "5"]
Gravir est de l’homme, grimper est de la bête ; il gravissait et grimpait. Les escarpements de Portland étant tournés au sud, il n’y avait presque pas de neige dans le sentier. L’intensité du froid avait d’ailleurs fait de cette neige une poussière, peu gênante [correction à la copie: "assez incommode"] au marcheur. L’enfant s’en tirait. Sa veste d’homme, trop large, était une complication, et le gênait. ["Sa veste...": addition] De temps en temps, il rencontrait sur un surplomb ou dans une déclivité un peu de glace ["traître" barré] qui le faisait tomber [corrige "sur laquelle il glissait [corrigé en +]"]. Il se raccrochait à une branche sèche ou à une saillie de pierre, après avoir pendu quelques instants sur le précipice [corrige "gouffre"]. Une fois il eut affaire à une veine de brèche qui s’écroula longuement sous lui, l’entraînant dans sa démolition. Ces effondrements de la brèche sont traîtres [corrigé en "perfides" à la copie]. [phrase en addition] L’enfant [corrige "Il"] eut [faux départ: "pend"] durant quelques secondes le glissement d’une tuile sur un toit ; [faux départ: "il tomba" [corrigé en "dévala"(?)] il dégringola jusqu’à l’extrême bord de la chute [corrige "du précipice" qui corrige "de la falaise"]; une touffe d’herbe ["d'herbe" ajouté] empoignée à propos le sauva. Il ne cria pas plus devant l’abîme qu’il n’avait crié devant les hommes ; il s’affermit, et remonta silencieux. L’escarpement était haut. Il eut ainsi quelques péripéties. Le précipice s’aggravait de l’obscurité. [faux départ d'un ou deux mots] Cette roche verticale n’avait pas de fin. Elle reculait devant l’enfant dans la profondeur d’en haut ["l'enfant dans..." corrige "lui dans le ciel"]. A mesure [trois faux départs: "qu'il avançait", "que l'enfant"; "qu'il"] que l’enfant montait, le sommet semblait monter. [faux départ: ["Tout en grimpant," ajouté] " Il voyait d'en bas cet"] Tout en grimpant, il considérait ["d'en bas" barré] cet entablement noir, posé comme un barrage entre le ciel et lui. Enfin il arriva.
Il sauta sur le plateau. On pourrait presque dire il prit terre, car il sortait du gouffre.
A peine fut-il hors de l’escarpement qu’il grelotta. Il sentit à son visage la bise, cette morsure de la nuit. L’aigre vent du nord-ouest soufflait. ["A peine fut-il...": ces lignes, en marge, reprennent et corrigent peut-être deux lignes et demi, corrigées, barrées, où l'on distingue "l'escarpement qu'il sentit à son visage" et, à la fin, " vent de nord ouest soufflait."] Il serra contre sa ["petite" barré] poitrine sa serpillière de matelot. ["'Il serra...": ajouté, d'une écriture différente, à l'addition qui précède.]
[Paragraphe d'une ligne et demi, barré, ajouté aux additions qui précèdent; le dernier mot est "suroit".]
[Trait d'interruption en marge au bas de la feuille.]
[f° 45, L2]
C’était un bon vêtement. Cela s’appelle, en langage du bord, un suroit,
parce que cette sorte de vareuse-là est peu pénétrable aux pluies du
sud-ouest. [Ce paragraphe, ajouté en marge,
reprend un peu différemment les deux lignes de la fin du folio
précédent. A la copie, il est ajouté de la main de VH.]
L’enfant, parvenu sur le plateau, [", parvenu....": addition] s’arrêta, posa fermement ses deux pieds nus sur le sol gelé, et regarda. ["L'enfant..." addition correctrice de la première ligne de la rédaction initiale]
["L'enfant regarda devant lui la terre." paragraphe rayé.]
["Le plateau était couvert de neige à perte de vue; les plaines livides s'enfonçaient dans l'horizon." Ce paragraphe est cerclé d'un bulle et barré; en travers, la note: "à reporter plus loin"]
Derrière lui la mer, devant lui la terre, au-dessus de sa tête le ciel.
Mais un ciel sans astres [corrige "étoiles"]. Une brume opaque masquait le zénith. [Première rédaction: "Un brouillard dense et blême, qui semblait venir de l'infini, recouvrait le zénith."]
En arrivant au haut du mur de rocher, il se trouvait tourné du côté de la terre, il la considéra. Elle était devant lui à perte de vue, plate, glacée, couverte de neige. Quelques touffes de bruyère frissonnaient. ["La réverbération de la neige faisait une espèce de jour sépulcral et éclairait le plateau." barré] On ne voyait pas de routes. Rien. Pas même une cabane de berger. On apercevait çà et là des tournoiements de spirales blêmes qui étaient des tourbillons de neige fine arrachés de terre par le vent, et s’envolant [", et s'envolant" ajouté]. Une succession d’ondulations [corrige "de plis"] de terrain, devenue tout de suite brumeuse, se plissait [corrige "s'enfonçait"] dans l’horizon. Les grandes plaines ternes [corrige "pâles"; de même à la copie] se perdaient sous le brouillard blanc. Silence profond [corrige "Le silence était partout"]. Cela s’élargissait comme l’infini et se taisait comme la tombe.
L’enfant se retourna vers la mer.
La mer comme la terre était blanche ; l’une de neige, l’autre d’écume. Rien de mélancolique [variante sans choix préférée, à la copie, à "funèbre" qui corrige +, qui corrige "sinistre"] comme le jour que faisait cette double blancheur. Certains éclairages de la nuit ont des duretés très nettes ; la mer était de l’acier, les falaises étaient de l’ébène. De la hauteur où était l’enfant, la baie de Portland apparaissait presque en carte géographique [corrige "plan géométral"], blafarde dans son demi-cercle ["obtus"(?) barré] de collines ; il y avait du rêve dans ce paysage nocturne ["ce paysage nocturne" corrige "cette +"]; une rondeur pâle [faux départ: "dans un croissant noir"] engagée dans un croissant obscur [corrige "noir"], la lune offre quelquefois cet aspect. [faux départ: "On ne voyait"] D’un cap à l’autre, dans toute cette côte, on n’apercevait pas un seul scintillement indiquant un foyer allumé, une fenêtre éclairée, une maison vivante. Absence de lumière sur la terre comme au ciel ; pas une lampe en bas, pas une étoile [corrigé en "un astre" à la copie] en haut. Les larges aplanissements des flots [en sc. sur "vagues"] dans le golfe [corrige "la baie"] [f° 46, M2. Trait d'interruption] avaient çà et là des soulèvements subits. Le vent dérangeait [corrige "remuait"] et fronçait cette nappe. L’ourque était encore visible dans la baie, fuyant.
C’était un triangle noir qui glissait sur cette lividité. [paragraphe ajouté]
Au loin, confusément, les étendues d’eau ["immenses": addition placée entre barres verticales, puis rayée] remuaient dans le clair obscur sinistre de l’immensité.
La Matutina [corrige "L'ourque"] filait vite. Elle décroissait de minute en minute. Rien de rapide comme la fonte d’un navire dans les lointains ["diffus" barré] de la mer. [Ce paragraphe est en addition -premier niveau.]
A un certain moment, elle alluma son fanal de proue ; il est probable que l’obscurité se faisait inquiétante autour d’elle, et que le pilote sentait le besoin d’éclairer la vague. Ce point lumineux, scintillation aperçue de loin, adhérait [", scintillation...": addition et correction à "s'ajouta"] lugubrement à sa haute et longue forme noire. ["On eut dit un spectre rôdant sur la mer, une étoile à la main." barré et corrigé plus bas] ["A un certain moment...": addition -deuxième niveau] On eût dit un linceul debout et [ajouté] en marche au milieu de la mer, sous lequel rôderait quelqu’un qui aurait à la main une étoile. [La phrase corrige, en addition de troisième niveau, la phrase précédente: "On eut dit un spectre rôdant sur la mer, une étoile à la main."]
Il y avait dans l’air une imminence d’orage. L’enfant ne s’en rendait pas compte, mais un marin eût tremblé. C’était cette minute d’anxiété préalable [faux départ ou suppression: "que les + [corrigé en "bêtes"] éprouvent comme l'homme", barré] où il semble que les éléments vont devenir des personnes, et qu’on va assister à la transfiguration mystérieuse du vent en aquilon. La mer va être Océan, les forces vont se révéler volontés, ce qu’on prend pour une chose est une âme. On va le voir. De là l’horreur. L’âme de l’homme redoute cette confrontation [correction abandonnée: "rencontre"] avec l’âme de la nature.
Un chaos allait faire son entrée. Le vent, froissant le brouillard, et échafaudant les nuées derrière, posait le décor de ce drame terrible de la vague et de l’hiver qu’on appelle une tempête de neige.
[Trait d'interruption.]
["La tempête de neige, rien n'est plus effrayant, c'est un mélange de brouillard et de tourmente, et de nos jours on ne se rend pas bien compte encore de ce phénomène. On veut tout expliquer par le vent et par le flot. Or dans l’air il y a une force qui n’est pas le vent, et dans l’eau il y a une force qui n’est pas le flot; cette force, la même dans l’air et dans l’eau, c’est l’effluve. Le vent est visible par les nuées, le flot est visible par l’écume ; l’effluve est invisible. De temps en temps pourtant elle dit : je suis là. Son Je suis là, c’est le coup de tonnerre." Texte barré et déplacé en I, 2, 1, f° 70.]
Le symptôme des navires rentrants se manifestait. Depuis quelques moments [en sc. sur "instants"] la rade [en sc. sur "baie"] n’était plus déserte. A chaque instant surgissaient de derrière les caps des barques inquiètes se hâtant vers le mouillage. Les unes doublaient le Portland Bill, les autres le Saint-Albans Head. [phrase ajoutée] Du plus extrême lointain, des voiles venaient [corrige "surgissaient"]. C’était à qui se réfugierait. Au sud, [faux départ: "de larges b"] l’obscurité s’épaississait et les ["lourds" barré] nuages pleins de nuit se [f° 47, N2. Trait d'interruption] rapprochaient de la mer. La pesanteur de la tempête en surplomb et pendante apaisait lugubrement le flot. Ce n’était point le moment de partir. L’ourque était partie cependant. [phrase ajoutée]
Elle avait mis le cap au sud. [corrige "[Elle" corrige "L'ourque"] continuait sa route ["au sud" addition] ."] Elle était déjà hors du golfe et en haute mer. Tout à coup la bise souffla en rafale ; la Matutina, qu’on distinguait encore très nettement, ["La Matutina..." : correction et addition à "l'ourque"] se couvrit de toile, comme résolue à profiter de l’ouragan. C’était le noroit, qu’on nommait jadis vent de galerne, bise sournoise et colère. Le noroit eut tout de suite sur l’ourque un commencement d’acharnement. ["Le noroit...": addition] L’ourque, prise de côté, pencha, mais n’hésita pas, et continua [corrige "poursuivit"] sa course vers le large. Ceci indiquait une fuite plutôt qu’un voyage, moins de crainte de la mer que de la terre, et plus de souci de la poursuite des hommes que de la poursuite des vents.
L’ourque, [+ barré, sans doute en correction cursive] passant par tous les degrés de l’amoindrissement, s’enfonça dans l’horizon ; la petite étoile qu’elle traînait dans l’ombre, pâlit ; l’ourque, de plus en plus ["l'horizon; la petite étoile..." addition correctrice. Première rédaction: "s'enfonça dans l'horizon et, de plus en plus"] amalgamée à la nuit, disparut.
Cette fois, c’était pour jamais.
Du moins l’enfant parut le comprendre. Il cessa de regarder la mer. Ses yeux se reportèrent vers les plaines, les landes [corrige "arbres"], les collines, ["vers les toits possibles," barré, peut-être en correction cursive] vers les espaces où il n’était pas impossible peut-être de faire une rencontre vivante ["faire une rencontre..." corrige "rencontrer quelqu'un" [correction "un être vivant" barrée]]. Il se mit en marche dans cet inconnu.
[Trait d'interruption.]
[Grand blanc au bas de la page.]
[f° 48; O2 est sans doute masqué par le collage de la feuille sur un onglet de reliure. Grand espace blanc au haut et au bas du feuillet.
Ce folio intercalé reprend les lignes initiales des f° 21, 28 et du f° 73 de 24 747 -voir ci-dessus au f° 21. Il assure la transition avec le f° 49 qui, antérieurement, lorsque la présentation des comprachicos n'avait pas été divisée en deux développements, l'un avant, l'autre après le départ de la Matutina, prenait la suite du f° 29.]
Qu’était-ce que cette espèce de bande en fuite laissant derrière elle ["laissant..." corrige "abandonnant"] cet enfant ?
Ces évadés étaient-ils des comprachicos ?
On a vu plus haut le détail des mesures prises par Guillaume III, et votées en parlement, contre les malfaiteurs [corrige "bandits"], hommes et femmes, dits comprachicos, dits comprapequeños, dits cheylas.
[f° 49, P2. Le texte des premières lignes, barrées, prend la suite des dernières du f° 29, dont le folio 30 est la réfection.]
[rédaction initiale barrée: "étant censée ne tomber jamais en désuétude, existe encore dans la législation d'Angleterre pour «les femmes querelleuses». On suspend la Cuking stool au dessus d'une rivière ou d'un étang, on asseoit la femme dedans, et on laisse tomber la chaise dans l'eau, puis on la retire, et l'on recommence trois fois ce plongeon de la femme «pour rafraîchir sa colère», dit le commentateur."]
Il y a des législations dispersantes. Ce statut tombant sur les comprachicos détermina [corrige "produisit"] une fuite générale, non seulement des comprachicos, mais des vagabonds [au dessus, une correction ou une addition rayée] de toute sorte. Ce fut à qui se déroberait et s’embarquerait. La plupart des comprachicos retournèrent en Espagne. Beaucoup, nous l’avons dit, [", nous...": addition] étaient basques.
Cette loi protectrice de l’enfance eut un premier [Cette loi..." se substitue à "L'industrie étrange des comprachicos, que nous aurons probablement l'occasion d'expliquer plus tard, s'exerçait particulièrement sur l'enfance. De là un"] résultat bizarre : un subit délaissement [corrige "abandon"] d’enfants.
Ce statut pénal produisit [corrige "eut pour premier effet de produire"] immédiatement [ajouté] une foule d’enfants trouvés, c’est à dire perdus. Rien de plus aisé à comprendre. Toute troupe nomade [corrige "errante"] contenant un enfant était suspecte ; le seul fait de la présence de l’enfant la dénonçait. — Ce sont probablement des comprachicos, — telle était la première idée du shérif, du prévôt, du constable. De là des arrestations et des recherches. Des gens simplement misérables, réduits à rôder et à mendier, étaient pris de la terreur de passer pour comprachicos, bien que ne l’étant pas ; mais les faibles sont peu rassurés sur les erreurs possibles de la justice. D’ailleurs les familles vagabondes sont habituellement effarées. Ce qu’on reprochait aux comprachicos, c’était l’exploitation des enfants d’autrui. Mais les promiscuités de la détresse et de l’indigence sont telles qu’il eût été parfois malaisé à un père et à une mère de constater [corrige "prouver"] que leur enfant était leur enfant. D’où tenez-vous cet enfant ? Comment prouver qu’on le tient de Dieu ? L’enfant devenait un danger ; on s’en défaisait. Fuir seuls sera plus facile. [phrase ajoutée] Le père et la mère se décidaient à le perdre, tantôt dans un bois, tantôt sur une grève, tantôt [corrige "ou bien ils le jetaient"] dans un puits. ["On trouva dans les citernes des enfants noyés" ["des enfants..." corrige "force petits bambins"(?)] : ajout abandonné]
["Ajoutons que les comprachicos étaient, à l’imitation de l’Angleterre, traqués désormais par toute l’Europe. Le branle de les poursuivre était donné. [faux départ: "Sur le côte de France + d'Espagne"] Sur tout le littoral on surveillait les arrivages furtifs. Pour une bande s’embarquer avec un enfant était impossible, car débarquer avec un enfant était périlleux.
Abandonner, c’était ["plutôt" rayé en correction cursive] plus tôt fait.
Par qui l’enfant qu’on vient de voir était-il abandonné ?
Selon toute apparence, ["Selon...": addition] par des comprachicos." Plusieurs mots non lus. "Ajoutons...": texte encadré, barré et objet d'une réfection au folio suivant]
[f° 50, Q2. Ce folio intercalé porte la réfection de la fin du précédent.]
On trouva dans les citernes des enfants noyés.
Ajoutons que les comprachicos étaient, à l’imitation de l’Angleterre, traqués désormais par toute l’Europe. Le branle de les poursuivre était donné. Rien n’est tel qu’un grelot attaché. Il y avait désormais [ajouté] émulation de toutes les polices pour les saisir, et l’alguazil [corrige + +] n’était pas moins au guet que le constable. On pouvait lire encore, il y a vingt trois ans, sur une pierre de la porte d’Otero une inscription intraduisible — le code dans les mots brave l’honnêteté — où est du reste ["du reste" ajouté] marquée, par une forte [corrige "remarquable"] différence pénale, la nuance entre les marchands d’enfants et les voleurs d’enfants. Voici l’inscription, en castillan un peu sauvage [", en castillan...": addition] : Aqui quedan [corrige "se ahorean" surmonté d'un point d'interrogation] las orejas de los ["robaniños y las orejas de los" rayé en correction cursive] comprachicos, y las bolsas de los robaniños. Mientras que se van ellos al trabajo de mar. On le voit, les oreilles, etc., [", etc.,": addition] confisquées [corrige "de moins", qui corrige +, qui corrige "coupées"] n’empêchaient point les galères. De là un sauve qui peut parmi les vagabonds. Ils partaient effrayés, ils arrivaient tremblants. Sur tout le littoral d’Europe, on surveillait les arrivages furtifs. Pour une bande, s’embarquer avec un enfant était impossible, car débarquer avec un enfant était périlleux.
Perdre l’enfant [corrige "Abandonner"], c’était plutôt [VH a corrigé la faute au f° précédent et l'oublie ici] fait.
Par qui l’enfant qu’on vient d’entrevoir dans la pénombre des solitudes de Portland, était-il rejeté [corrige "abandonné"] ?
Selon toute apparence, par des comprachicos.
[Grand blanc au bas du folio.]
[f° 51, R2. Trait d'interruption.]
_____
Il pouvait être environ sept heures du soir. Le vent maintenant [ajouté] diminuait, signe de recrudescence prochaine. [Phrase en addition] L’enfant se trouvait sur l’extrême plateau sud de la pointe de Portland. Portland est une presqu’île. Mais l’enfant ignorait ce que c’est qu’une presqu’île et ne savait pas même ce mot, Portland. Il ne savait qu’une chose, c’est qu’on peut marcher ["devant soi" barré] jusqu’à ce qu’on tombe. [faux départ: "Il n'y avait près de lui aucun" ] Une notion est un guide ; il n’avait pas de notion. On l’avait amené là et laissé là. On et Là, ces deux énigmes [corrige "monosyllabes" qui corrige "inconnues"] représentaient toute sa destinée ; On était le genre humain, Là était l’univers. Il n’avait ici bas absolument pas d’autre point d’appui que la petite quantité de terre où il posait le talon, terre dure et froide à la nudité de ses pieds. Dans ce grand monde crépusculaire [variante sans choix à "obscur", choisie vraisemblablement aux épreuves] ouvert de toutes parts, qu’y avait-il pour cet enfant ? [La phrase remplace "Autour de lui, près de lui, loin de lui, qu'y avait-il pour lui?"] Rien.
Il marchait vers ce Rien.
L’immense abandon des hommes était autour de lui. [paragraphe ajouté]
Il traversa diagonalement le premier plateau, puis un second, puis un troisième. A l’extrémité [en sc. sur "En haut"] de chaque plateau, l’enfant trouvait une cassure de terrain ; la pente était quelquefois abrupte [correction cursive de "Quelquefois la pente était abrupte"], mais toujours courte; les hautes plaines nues [ajouté] de la pointe de Portland ressemblent à de grandes dalles à demi engagées les unes sous les autres ; le côté sud semble entrer sous la plaine précédente et le côté nord se relève sur la suivante. Cela fait des ressauts que l’enfant franchissait agilement. De temps en temps il suspendait sa marche et semblait tenir conseil avec lui-même ["suspendait..." corrige "s'arrêtait et s'orientait(?)" en deux temps: d'abord "suspendait sa marche"]. La nuit devenait très obscure, son rayon visuel se raccourcissait, il ne voyait plus qu’à quelques pas ["devant lui" encadré de barres verticales et barré à la copie].
[Trait d'interruption.]
Tout à coup il s’arrêta, écouta un instant [corrige "moment"], fit un imperceptible hochement de tête satisfait, ["et" barré] tourna vivement, [virgule ajoutée] ["à droite," barré] et se dirigea vers [f° 52, S2] une éminence de hauteur médiocre ["une éminence..." corrige "une petite éminence" qui corrige "un monticule"] qu’il apercevait confusément [ajouté] à sa droite, ["quoique couvert de brume et peu distinct," barré] au point ["le plus rapproché du": barré en correction cursive] de la plaine le plus rapproché du bord de la falaise. Il y avait sur [corrige "au haut de"] cette éminence une configuration [corrige "un linéament"] qui semblait dans la brume un arbre. ["Il y avait...": addition] L’enfant [corrige "Il"] venait d’entendre de ce côté un bruit, qui n’était ni le bruit du vent, ni le bruit de la mer. Ce n’était pas non plus un cri d’animaux [corrige "d'oiseaux"]. Il pensa qu’il y avait là quelqu’un.
En quelques enjambées il fut au bas du monticule.
Il y avait quelqu’un en effet.
Ce qui était indistinct au sommet de l’éminence était maintenant visible.
C’était quelque chose comme un grand [corrige "long"] bras ["noir" barré] sortant de terre tout droit ["tout droit" ajouté]. A l’extrémité supérieure de ce bras, une sorte d’index, soutenu en dessous par le pouce ["en dessous par le pouce" est barré puis récrit à la suite], s’allongeait horizontalement. Ce bras, ce pouce et cet index dessinaient sur le ciel une équerre. Au point de jonction de cette espèce d’index [en sc. cursive sur "de pouce"] et de cette espèce de pouce il y avait un fil auquel pendait on ne sait quoi de noir et d’informe. Ce fil, remué par le vent, faisait le bruit d’une chaîne.
[Toute la fin du folio est barrée d'une grande croix et fait l'objet d'une réfection au folio suivant. On distingue:
"C'était ce bruit que l'enfant avait entendu.
Ce fil était une chaîne. Ses anneaux de fer avaient la forme des chaînes marines. ["Ce fil...": addition]
Par cette vertigineuse [corrige + qui corrige "lugubre"] loi d'amalgame qui est toute la nature [variante sans choix: "que la nature révèle"] ["Par cette vertigineuse...": addition] le [initialement: "Le"] lieu, l'heure, la nuit, la bise, les profonds tumultes visionnaires de l'horizon, la mer tragique [corrige "grande mer"] en bas, [faux départ: "faisaient cette silh"] s'ajoutaient à cette silhouette, et la faisaient énorme.
L'enfant monta, approcha et regarda.
La masse suspendue à la chaîne ["L'enfant monta..." remplace "La masse suspendue à cette chaîne était sans mouvement propre ["sans mouvement propre" corrige "immobile"] . Elle"] semblait inerte. Elle était longue, et elle avait en haut une rondeur autour de laquelle la chaîne s'enroulait. Cette masse obscure paraissait enfermée dans une gaine qui se déchiquetait à sa partie inférieure. D'inexprimables décharnements sortaient par ces déchirures. Un vent faible ["Un vent..." remplace quelques mots barrés] agitait la chaîne, et ce qui pendait à la chaîne se balançait doucement. [première rédaction: "agitait la chaîne et ce qui pendait à la chaîne."] Cette masse passive obéissait aux mouvements ["que lui + + ++", barré] diffus des étendues, l'horreur qui disproportionne les objets lui ôtait presque la dimension en lui laissant la réalité, c'était surtout un aspect. Il y avait de la nuit dedans et de la nuit dessus, ["Il y avait de la nuit...": addition] cela [initialement: "Cela"] était en proie au grandissement sépulcral, cela participait de l'infini épars au loin sur la mer et dans le ciel, et les ténèbres achevaient cette chose qui avait été un homme."]
[f° 53, T2. Ce folio intercalé procède à la réfection de la seconde moitié, barrée, du folio précédent.]
C’était ce bruit que l’enfant avait entendu.
Le fil était, vu de près, ce que son bruit annonçait, une chaîne. Chaîne marine aux anneaux à demi pleins.
Par cette mystérieuse loi d’amalgame qui dans la nature entière enchevêtre [variante sans choix: "superpose", préférée à la copie] les apparences aux réalités ["enchevêtre...." : variante ou correction abandonnée: "recrée (?) les réalités par les apparences"], [faux départ: "et + les"] le lieu, l’heure, la brume, ["+ +," barré] la mer tragique, les lointains tumultes visionnaires de l’horizon, s’ajoutaient à cette silhouette, et la faisaient énorme.
La masse liée [corrige "suspendue"] à la chaîne offrait la ressemblance d’une ["la ressemblance..." corrige "un aspect de"] gaîne. Elle était emmaillottée comme un enfant et longue comme un homme. Il y avait en haut une rondeur autour de laquelle l’extrémité de la chaîne s’enroulait. La gaîne se déchiquetait à sa partie inférieure. Des décharnements sortaient par ces déchirures.
Une brise faible agitait la chaîne, et ce qui pendait à la chaîne vacillait doucement. Cette masse passive obéissait aux mouvements diffus des étendues ; [point corrigé en point-virgule; VH a oublié de corriger la majuscule qui suit; copie: point-virgule et majuscule] Elle avait on ne sait quoi de panique ; l’horreur qui disproportionne les objets lui ôtait presque la dimension en lui laissant le contour ; c’était une condensation de noirceur ayant un aspect ; il y avait de la nuit dessus et de la nuit dedans ; cela était en proie au grandissement sépulcral ; les crépuscules, les levers de lune, les descentes de constellations derrière les falaises [corrige "l'horizon"], les flottaisons de l'espace, ["les flottaisons..." remplace un ligne barrée: "toutes les + flottant dans l'espace,"] les nuages, toute la rose des vents, avaient fini par entrer dans la composition de ce néant visible ["de ce néant..." corrige "du spectre"] ; cette espèce de bloc quelconque suspendu au [variante sans choix: "dans le"; elle est absente de la copie] vent ["cette espèce de..." remplace "cela"] participait de l’impersonnalité éparse au loin sur la mer et dans le ciel, et les ténèbres achevaient cette chose qui avait été un homme.
C’était ce qui n’est plus. [paragraphe ajouté]
[f° 54, U2. Ce folio probablement intercalé, comme le précédent et le suivant, a eu une rédaction antérieure dont il reste un fragment au folio 139v du ms 24 747.]
Être un reste [correction abandonnée: "Exister à l'état de reste"], ceci échappe à la langue [corrige "parole"] humaine. Ne plus exister [virgule ajoutée à la copie] et persister, être dans le gouffre et dehors, reparaître au dessus de la mort, comme insubmersible, il y a une certaine quantité d’impossible mêlée à de telles réalités ["de telles..." corrige "cette réalité"]. De là l’indicible [corrige "inexprimable"]. ["Ne plus exister...": addition] Cet être, — était-ce un être ? — ce témoin noir, était un reste, et un reste terrible [", et un reste terrible" corrige "terrible"]. Reste de quoi ? de la nature d’abord, de la société ensuite. Zéro et total. [signe ajouté d'alinéa à faire; de même à la copie]
L’inclémence absolue l’avait à sa discrétion ["l'avait..." corrige "était sur lui"]. ["Peut-on dire lui?" rayé] Les profonds oublis [corrige "abandons"(?)] de la solitude l’environnaient. Il était livré aux aventures de l’ignoré [corrige "l'invisible"]. Il était sans défense contre l’obscurité [corrige "l'ombre"], qui en faisait ce qu’elle voulait. Il était à jamais le patient. Il subissait. Les ouragans étaient sur lui. [phrase ajoutée] Lugubre fonction des souffles.
Ce spectre était là au pillage. Il endurait cette voie de fait horrible, la pourriture en plein vent. Il était hors la loi du cercueil [corrige "tombeau" qui corrige "sépulcre"]. Il avait l’anéantissement sans la paix. Il tombait en cendre l’été et en boue l’hiver. La mort [en sc. sur "tombe"] doit avoir un voile, la tombe doit avoir une pudeur. Ici ni pudeur ni voile. La putréfaction cynique et en aveu. Il y a de l’effronterie à la mort à montrer son ouvrage. [corrige "C'est une effronterie quand la mort montre son ouvrage." qui corrige "Il y a de l'effronterie dans ce travail + de la mort."] Elle fait insulte à toutes les ["à + +": corrrection barrée au dessus de "à toutes les"] sérénités de l’ombre quand elle travaille hors de son laboratoire, le tombeau [en sc. sur "sépulcre"].
Cet être expiré [corrige "Ce trépassé"] était dépouillé. Dépouiller une dépouille, inexorable achèvement. ["Un cadavre est une poche que la mort retourne et vide." barré et déplacé] Sa moëlle n’était plus dans ses os, ses entrailles n’étaient plus dans son ventre, sa voix n’était plus dans son gosier. Un cadavre est une poche que la mort retourne et vide. [phrase ajoutée] S’il avait eu un moi, où ce moi était-il ? là encore peut-être, et c’était poignant à penser. Quelque chose d’errant autour de quelque chose d’enchaîné, peut-on se figurer dans l’obscurité [corrige "l'ombre"] un linéament plus funèbre ? ["peut-on..." corrige "quel linéament funèbre." Ces deux corrections sont également faites, de la main de VH, à la copie: il y a donc eu un aller-retour entre le manuscrit et la copie: d'abord pour remplacer "quel linéament funèbre" puis pour remplacer "l'ombre" par "l'obscurité".]
Il existe des réalités ici-bas qui sont comme des issues sur l’inconnu, par où la sortie de la pensée semble possible, et où l’hypothèse [corrige "la conjecture" qui corrige "le songe"] se précipite. La conjecture [en sc. sur "La méditation"] a son compelle intrare. Si l’on passe en certains lieux et devant certains objets, on ne peut faire autrement que de s’arrêter en proie aux songes, [première rédaction corrigée en correction cursive: "songes. Il y a dans l'invisible"] et de laisser son esprit s’avancer là dedans. Il y a dans l’invisible d’obscures portes entrebâillées. Nul n’eût pu rencontrer ce trépassé [corrige "supplicié"] sans méditer. [phrase ajoutée] ["Il existe...": paragraphe en addition]
La vaste dispersion ["obscure" placé entre barres verticale, puis rayé] l’usait silencieusement. Il avait eu du sang qu’on avait bu, de la peau qu’on avait mangée, de la chair qu’on avait volée. Rien n’avait passé sans lui prendre quelque chose ["prendre..." corrige "faire un emprunt"]. ["Haillon secoué et exploité." barré; "et exploité" a d'abord été mis entre barres verticales] [en marge, barré, un aide mémoire ou une correction prévue: "sans lui prendre un peu de ce qui était à lui et en lui. Peut-on dire lui?" question qui a déjà été tentée plus haut.] Décembre lui avait emprunté [corrige "pris"] du froid, minuit de l’épouvante, le fer de la rouille, la peste des miasmes, la fleur des parfums. Sa lente désagrégation était un péage. Péage du cadavre à la rafale [corrige "bise"], à la pluie, à la rosée, aux reptiles, aux oiseaux. Toutes les sombres mains de la nuit avaient fouillé ce mort.
[f° 55, V2. Il est probable que ce folio soit également intercalé.]
C’était on ne sait quel étrange [corrige
"sinistre"] habitant. L’habitant de la nuit. ["L'habitant
de la nuit.": addition; de même à la copie] Il était dans une
plaine et sur une colline, et il n’y était pas. Il était palpable et
évanoui. Il était de l’ombre complétant les ténèbres. Après la
disparition du jour, dans la vaste obscurité silencieuse, il devenait
lugubrement d’accord avec tout. [Après la
disparition...": addition; elle se substitue à "Dans la vaste nudité"
qui commençait la phrase suivante. De même à la copie où Hugo a
ajouté, après "d'accord avec tout", "Acte de présence", n'a pas
poursuivi et l'a barré en correction cursive.] Il augmentait,
rien que parce qu’il était là, le deuil [correction
abandonnée: "la furie"(?)] de la tempête et le calme des astres
[correction abandonnée: "constellations"].
L’inexprimable, qui est dans le désert, se condensait [variante
sans choix: "concrétait" abandonnée à la copie] en lui. Épave
d’un destin inconnu, ["Epave...": addition]
il [d'abord "Il"] s’ajoutait à toutes
les farouches réticences de la nuit ["de la
nuit" corrige "du jour" qui corrige "du soir"(?)]. Il y avait
dans son mystère une vague réverbération de toutes les énigmes. [marque
d'alinéa ajoutée]
On sentait autour de lui comme une décroissance de vie allant jusqu’aux profondeurs. Il y avait [faux départ de deux mots] dans les étendues environnantes une diminution de certitude et de confiance. Le frisson des broussailles et des herbes ["des broussailles..." corrige "du vent (?)"; de même à la copie], une mélancolie désolée, une anxiété où il semblait qu’il y eût de la conscience, appropriaient tragiquement [en sc. sur "lugubrement"] tout le paysage à cette figure noire suspendue à cette chaîne. La présence d’un spectre ["La présence [corrige: "Cette présence"] d'un spectre" corrige "Ces présences spectrales"; de même à la copie] dans un horizon est une aggravation [variante sans choix de "sont des aggravations", barrée à la copie] à la solitude. ["On sentait...": paragraphe en addition]
Il était simulacre. [à s'en tenir au tracé du trait implantant l'addition qui précède, ce paragraphe devrait venir avant elle, et non après. Mais Hugo aurait corrigé la copie s'il l'avait voulu.]. ["La secousse toujours possible + empêche [correction barrée: "empêche évidemment"] la mort de dormir." rayé. En première rédaction, la phrase commençait un nouveau paragraphe.] Ayant sur lui les souffles qui ne s’apaisent pas, il était l’implacable ["l'implacable" correction abandonnée: "implacable"]. Le tremblement éternel ["Le tremblement..." correction abandonnée: "La secousse toujours possible +"] le faisait terrible. Il semblait, dans les espaces, [", dans les espaces,": addition] un centre, ce qui est effrayant à dire ["ce qui..." corrige "chose effrayante"; même correcction à la copie], et quelque chose d’immense s’appuyait sur lui. Qui sait ? Peut-être l’équité [en sc. sur +] entrevue et bravée qui est au delà de notre justice. Il y avait, dans sa durée hors de la tombe, de la vengeance des hommes et de sa vengeance à lui ["de sa vengeance à lui" corrige "de la vengeance les lois [?]"]. Il faisait, dans ce crépuscule [corrige "cette obscurité"] et dans ce désert [corrige "cette solittude"], une attestation. Il était la preuve de la matière inquiétante, parce que la matière devant laquelle on tremble est de la ruine d’âme. Pour que la matière morte nous trouble, il faut que l’esprit y ait vécu. Il dénonçait la loi d’en bas à la loi d’en haut. Mis là par l’homme, il attendait Dieu. Au dessus de lui flottaient, avec toutes les torsions indistinctes de la nuée et de la vague, les énormes rêveries [correction abandonnée: "rêves"] de l’ombre.
Derrière cette vision, il y avait on ne sait quelle ["il y avait..." variante sans choix "se dressait une" rayée à la copie] occlusion sinistre. L’illimité, borné par rien, ni par un arbre, ni par un toit, ni par un passant, était autour de ce mort. Quand l’immanence surplombant sur nous, ciel, gouffre, vie, tombeau [en sc. sur "tombe"], éternité, apparaît patente, c’est alors que nous sentons tout inaccessible, tout défendu, tout muré. Quand l’infini s’ouvre, pas de fermeture plus formidable.
[Blanc au bas du folio]
[VI Bataille entre la Mort et la Nuit]
[f° 56, X2 Y2. Trait d'interruption. Il est assez probable que les folios 53-55 aient été intercalés et que dans la rédation initiale, celle qui porte des traits d'interruption, le folio 56 prenne la suite du folio 52. Le numéro du chapitre et son titre ne figurent ni au manuscrit, ni à la copie où le chapitre VII est numéroté VI.]
[addition abandonnée; son texte a finalement trouvé place au bas du folio 54; elle implique un raccord avec un folio qui nous manque dont les folios 54-55 sont une réfection, ce qui confirme l'intercalation des folios 53-55:
"désagrégation était un péage. Péage du cadavre à la rafale, à la pluie, à la rosée, aux souffles, ["à la rosée...": addition] aux reptiles, aux oiseaux. Toutes les sombres mains de la nuit avaient fouillé ce mort."]
L’enfant était devant cette chose, muet, étonné, les yeux fixes. [La phrase a été plusieurs fois corrigée: "cette chose" corrige "cette vision" corrige "le cadavre"(?); "muet" est en ajout, comme "étonné" qui corrige "stupéfait" et "hagard". La rédaction initiale se distingue mal: "L'enfant était devant le cadavre et +, oeil profond et fixe, et la chaîne terrible."]
Pour un homme c’eût été un gibet; pour l’enfant c’était une apparition.
Où l’homme eût vu le cadavre [variante rayée: "la charogne"], l’enfant voyait le fantôme.
Et puis il ne comprenait point [en sc. sur "pas"].
Les attractions d’abîme sont de toute sorte ; il y en avait une au haut de cette colline. L’enfant fit un pas, puis deux. Il monta, tout en ayant envie de descendre, et approcha, tout en ayant envie de reculer.
Il vint, tout près, hardi et frémissant, faire une reconnaissance du fantôme.
Parvenu sous le gibet, il leva la tête et examina. ["Les attractions...": addition]
Le fantôme était goudronné. Il luisait ça et là. L’enfant distinguait ["vaguement" barré] la face. Elle était
enduite de bitume, et ce masque qui semblait visqueux [corrige
"mouillé"] et gluant se modelait dans les reflets de la nuit.
L’enfant voyait la bouche qui était un trou, le nez qui était un trou,
et les yeux qui étaient des trous. Le corps était enveloppé et comme
ficelé dans une grosse toile imbibée de naphte ["et
comme..." addition et correction de "enveloppé d'une épaisse toile
imbibée de naphte, et comme ficelé dedans"] . La toile [",
sous la pluie et le vent," barré] s’était moisie [corrige
"pourrie"] et rompue [corrige
"déchirée" qui corrige "fendue"]. Un genou passait à travers.
Une crevasse laissait voir les côtes. [la
phrase remplace "On avait recouvert et goudronné le genou."]
Quelques parties étaient cadavre, d’autres squelette. ["La
tête, penchée, avait un air d'attention." : barré et déplacé]
Le visage était couleur de terre, ["Le
visage...": addition de premier niveau; elle se poursuivait par "la
toile, collée aux os, avait [variante: "offrait"] des reliefs, comme
une robe de statue." qui a été repris dans l'addition de seccond
niveau] des [corrige "Les"]
limaces, qui avaient erré dessus, y avaient laissé de vagues rubans
d’argent. La toile, collée aux os, offrait [en
sc sur "avait"] des reliefs, comme une robe de statue. ["des
limaces...": addition de second niveau] Le crâne, fêlé et
fendu, [", fêlé..." corrige ", ouvert,"]
avait l’hiatus d’un fruit pourri ["avait
l'hiatus..." corrige "avait été becqueté par les oiseaux" qui lui-même
corrige "avait été fendu par les oiseaux"] . Les dents étaient
demeurées [corrige "restées"] humaines;
elles avaient conservé le rire. Un reste de cri semblait bruire dans la
bouche ouverte. [phrase en addition] Il
y avait quelques poils de barbe sur les joues. La tête, penchée, avait
un air d’attention. [phrase barrée plus haut
et ajoutée ici]
On avait fait récemment des réparations. Le visage [en sc. sur +] était goudronné de frais, ainsi que le genou qui sortait de la toile, et les côtes [", et les côtes": addition]. En bas les pieds passaient. [trois ou quatre mots barrés]
Juste dessous, dans l’herbe, on voyait deux souliers, devenus informes dans la neige et sous les pluies. Ces souliers étaient tombés de ce mort ["de ce mort" corrige "de ces talons sans chair et de ces orteils disséqués" qui corrige "des pieds + +" qui corrige "de ces pieds"].
L’enfant, pieds nus, regarda ces souliers.
[Trait d'interruption.]
Le vent, de plus en plus inquiétant, [", de plus en plus...": addition] avait de ces interruptions qui font partie des apprêts d’une tempête ; il avait tout à fait ["tout à fait": ajouté] cessé depuis quelques instants. Le cadavre ne bougeait [correction cursive de "n'oscillait à"] plus. La chaîne avait l’immobilité du fil à plomb.
[changement d'écriture] Comme tous les nouveaux venus dans la vie ["nouveaux..." corrige "petits de son âge"], et en tenant compte de la pression spéciale de sa [en sc. sur "la"] destinée, l’enfant avait sans nul doute en lui cet éveil d’idées propre aux jeunes années ["aux jeunes..." corrige "à l'enfance"], qui tâche d’ouvrir le cerveau et qui ressemble aux coups de bec ["aux coups..." corrige "au + + +"] de l’oiseau dans l’œuf ; mais tout ce qu’il y avait dans sa petite conscience en ce moment se résolvait en stupeur. L’excès de sensation, c’est l’effet du trop ["c'est l'effet..." corrige "comme l'excès"; de même à la copie] d’huile, arrive à l’étouffement de la pensée. Un homme se fût fait des questions; l’enfant [corrige "il"] ne s’en faisait pas ; il regardait. [ajout certain de "il regardait" et possible de "il ne s'en faisait pas"; les deux ponctuations semblent modifiées] [Face à ce paragraphe, dans la marge: "J'écris ceci le 11 août [1866], au moment même où à Jersey on pend un homme, Bradley, pour lequel j'ai vainement écrit. / V.H."]
Le goudron donnait à cette face un aspect mouillé. Des [f° 57, Z2; mise au net] gouttes de bitume figées dans ce qui avait été les yeux ressemblaient à des larmes. Du reste, grâce à ce bitume, le dégât de la mort était visiblement ralenti, sinon annulé, et réduit au moins de délabrement possible. Ce que l’enfant avait devant lui était une chose dont on avait soin. Cet homme était évidemment précieux. On n’avait pas tenu à le garder [corrige "conserver"] vivant, mais on tenait à le conserver mort.
Le gibet était vieux, vermoulu, quoique solide, et servait depuis longues années ["longues années" corrige "longtemps"].
C’était un usage immémorial en Angleterre de goudronner les contrebandiers. [Cet usage est noté dans les développements consacrés à la baie de Portland (24 747, f° 91-92.) vraisemblablement écrits avant l'invention de cet épisode, à laquelle ils ont dû participer.] On les pendait au bord de la mer ["au bord...": addition], on les enduisait [corrige "badigeonnait"] de bitume, et on les laissait accrochés ; les exemples veulent le plein air, et les exemples goudronnés se conservent mieux [correction abandonnée: "durent plus longtemps"]. Ce goudron était de l’humanité. On pouvait de cette manière [corrige "façon"] renouveler les pendus moins souvent. On mettait des potences de distance en distance sur la côte comme de nos jours les réverbères. Le pendu tenait lieu de lanterne. Il éclairait, à sa façon, ses camarades ["ses camarades": addition] les contrebandiers. Les contrebandiers, de loin, en mer, apercevaient les gibets. En voilà un; premier avertissement ; puis un autre, deuxième avertissement. Cela n’empêchait point la contrebande ; mais l’ordre se compose de ces choses-là. [faux départ: "Cette mode dure"] Cette mode a duré en Angleterre jusqu’au commencement de ce siècle. En 1822 on voyait encore devant le château de Douvres trois pendus, vernis. Du reste, le procédé conservateur ["Du reste..." corrige "Cette mode, du reste, [corrige "au surplus,"] ne se bornait point [corrige "pas"] aux contrebandiers. L’Angleterre tirait le même parti des voleurs, des incendiaires et des assassins. John Painter, qui mit le feu aux magasins maritimes de Portsmouth, fut pendu et goudronné en 1776. L’abbé Coyer, qui l’appelle Jean Le Peintre, le revit en 1777. John Painter était accroché et enchaîné au-dessus de la ruine qu’il avait faite, et rebadigeonné de temps en temps. Ce cadavre dura, on pourrait presque dire vécut, près de quatorze ans. Il faisait encore un bon service en 1788. En 1790, pourtant, on dut le remplacer. Les égyptiens [f° 58, A3. Mise au net] faisaient cas de la momie de roi ; la momie de peuple, à ce qu’il paraît, peut être utile aussi. Le vent, ayant beaucoup de prise sur le [variante sans choix : "ce"; à la copie, Hugo repasse un "c" sur le "l"] monticule, en avait enlevé toute la neige. L’herbe y reparaissait avec quelques chardons [corrige "orties"] ça et là. La colline était couverte de ce gazon marin dru et ras qui fait ressembler le haut des falaises à du drap vert [virgule corrigée en point ["un peu": ajout] "râpé par endroits" barré]. Sous la potence, au point même au dessus duquel pendaient les pieds du supplicié, il y avait une touffe haute et ["haute et" a été barré puis rétabli] épaisse, ["mêlée de trèfle, de lupin et de +," barré] surprenante sur ce sol maigre. Les cadavres [corrigé en "morts" puis rétabli] émiettés là depuis des siècles expliquaient [variante barrée: "expliquent"] cette beauté de l’herbe. La terre se nourrit de l’homme.
Une fascination lugubre tenait l’enfant. Il demeurait là, béant. Il ne baissa le front qu’un moment pour une ortie qui lui piquait les jambes, et qui lui fit la sensation d’une bête. Puis il se redressa. Il regardait au dessus de lui ["au dessus de lui": ajout] cette face qui le regardait. Elle le regardait d’autant plus qu’elle n’avait pas d’yeux. C’était du regard répandu, [plusieurs mots barrés entrainent l'inscription en marge de "une" en sc. sur +] une fixité indicible [corrige "inexprimable" qui corrige "obscure"] où il y avait de la lueur et des ténèbres, et qui sortait du crâne et des dents aussi bien que des arcades sourcilières vides. Toute la tête de mort regarde, et c’est terrifiant [corrige "formidable"(?)]. Pas de prunelles, et l’on se sent vu. Horreur des larves. [ces trois mots en ajout]
Peu à peu l’enfant devenait lui-même terrible. Il ne bougeait [en sc. sur "remuait"(?)] plus. La torpeur le gagnait. Il ne s’apercevait pas qu’il perdait conscience. Il s’engourdissait, il s’ankylosait. L’hiver le livrait silencieusement à la nuit ; il y a du traître dans l’hiver. L’enfant était presque statue. La pierre du froid entrait dans ses os ; l’ombre, ce reptile, se glissait en lui. L’assoupissement [corrige "Le sommeil"] qui sort de la neige monte dans l’homme comme une marée obscure ; l’enfant [", sans même le sentir," barré] était lentement envahi par une immobilité ressemblant à celle du spectre. Il allait s’endormir.
Dans la main du sommeil il y a le doigt de la mort.
[f° 59, B3; mise au net]
["de la mort" barré; cette répétition indique la réfection probable du folio précédent. Après "de la mort", signe d'alinéa à faire. Hugo a marqué deux fois l'alinéa: dans la réécriture du paragraphe complet au folio précédent et ici par le signe conventionnel "][".]
L’enfant [en sc. sur "Il"] se sentait saisi par cette main. Il était au moment de tomber sous le [corrige "au pied du"] gibet. [deux ou trois mots barrés] Il ne savait déjà plus s’il était debout.
La fin toujours imminente, aucune transition entre être et ne plus être, la rentrée au creuset, le glissement possible à toute minute, c’est ce précipice-là qui est la création. Loi. ["La fin toujours imminente...": addition; le dernier mot est barré à la copie, mais en même temps que ce qui suit: "L'enfant se sentait saisi..." qui avait été mal implanté par la copiste.]
Encore un instant, et l’enfant et le trépassé, la vie en ébauche et la vie en ruine, allaient se confondre dans le même effacement [corrige "anéantissement"]. ["Les préparatifs(?) de l'ombre [variante: "mystère"] sont ainsi" (?) barré: suppression ou faux départ]
Le spectre [variante abandonnée: "Le cadavre"] eut l’air de le comprendre et de ne pas le vouloir. Tout à coup il se mit à remuer [corrige "se balancer"]. On eût dit qu’il avertissait l’enfant. C’était une reprise de vent qui soufflait.
Rien d’étrange comme ce mort en mouvement. [phrase en addition; deux mots la suivent, barrés en correction cursive]
Le cadavre au bout de la chaîne, poussé par le souffle invisible, prenait une attitude oblique, montait à gauche, puis retombait, remontait à droite, et retombait et remontait ["retombait et remontait" corrige la correction cursive de "remontait" en "retombait"] avec la lente et funèbre précision [correction abandonnée: "régularité"] d’un battement. Va et vient farouche. [corrige "Ce va et vient était sinistre."] On eût cru voir dans les ténèbres le balancier de l’horloge de l’éternité.
Cela dura quelque temps ainsi. L’enfant devant cette agitation du mort sentait [ces deux lignes sont écrites par dessus un texte au crayon, sans doute l'ébauche du paragraphe inscrite en aide-mémoire] ["quelque chose comme": barré] un réveil, et, à travers son refroidissement, avait assez nettement ["sentait..." : se substitue à "commençait à se réveiller et sentait un commencement de"] peur. La chaîne, à chaque oscillation, grinçait avec une régularité hideuse [en sc. sur + corrige "presque voulue" qui corrige "presque vivante"]. Elle avait l’air de reprendre ["Elle avait..." corrige "On eût dit qu'elle reprenait"] haleine, puis recommençait [début de correction abandonnée: "rep"]. Ce grincement imitait un chant ["imitait..." corrige "ressemblait au chant"] de cigale.
Les approches d’une bourrasque [corrige "d'un orage"] produisent de subites enflures de vent. Brusquement la brise devint bise. L’oscillation du ["L'oscillation du" est barré en correction cursive, puis réécrit] cadavre s’accentua lugubrement [en sc. sur "sinistrement"]. Ce ne fut plus du balancement, ce fut de la secousse. La chaîne qui grinçait, cria.
Il sembla que ce cri était entendu. Si c’était un appel, il fut obéi. Du fond de l’horizon, ["accourut à tire d'aîles une troupe de corbeaux qui" barré en correction cursive] un grand bruit accourut.
[f° 60, C3] C’était un bruit d’ailes. [marque d'alinéa à faire; de même à la copie]
Un incident survenait, l’orageux ["Un incident..." corrige "Il survenait un incident, le grand"] incident des cimetières et des solitudes, l’arrivée d’une troupe de corbeaux.
Des taches noires volantes piquèrent le nuage ["le nuage" corrige "la ["bru" barré en correction cursive] nuée"], percèrent la brume, grossirent, approchèrent, s’amalgamèrent [corrige "se mêlèrent"], s’épaissirent, se hâtant [corrige "pressant"(?)] vers la colline [corrige "le gibet"], poussant des cris. C’était comme la venue d’une légion. Cette vermine ailée des ténèbres s’abattit sur le gibet.
L’enfant, effaré, recula.
Les essaims obéissent à des commandements. Les corbeaux s’étaient groupés sur la potence. Pas un n’était [corrige "n'avait sauté"] sur le cadavre. Ils se parlaient entr'eux. Le croassement est affreux. Hurler, siffler, rugir, c’est de la vie ; le croassement est une acceptation satisfaite de la putréfaction ["le croassement est une..." corrige "dans le croassement il y a [variante: "on entend"] de la mort"]. On croit entendre le bruit que fait le silence du sépulcre en se brisant [variante sans choix: "rompant" barrée à la copie]. Le croassement est une voix dans laquelle il y a de la nuit [corrige "de l'ombre"]. L’enfant était glacé.
Plus encore par l’épouvante que par le froid.
Les corbeaux se turent. ["Subitement" barré] Un d’eux sauta sur le squelette [corrige "mort"]. Ce fut ["comme" barré] un signal. Tous se précipitèrent, il y eut une nuée d’ailes, puis toutes les plumes se refermèrent, et le pendu disparut sous un fourmillement [correction ébauchée et barrée] d’ampoules noires remuant dans l’obscurité. En ce moment, ["En ce..." corrige "Tout à coup" qui corrige "Alors"] le mort se secoua.
Était-ce lui ? Était-ce le vent ? [corrige "Etait-ce le vent? Etait-ce lui?"] il eut un bond effroyable. L’ouragan, qui se levait, ["L'ouragan..." corrige "Un commencement d'orage"] lui venait en aide. Le fantôme [corrige "mort"] entra en convulsion. C’était la rafale, déjà soufflant à pleins poumons, qui s’emparait de lui, et qui l’agitait dans tous les sens. Il devint horrible. Il se mit à se démener. Pantin épouvantable, ayant pour ficelle la chaîne d’un gibet. ["On eût [cru] que" barré] Quelque parodiste de l’ombre avait saisi son fil et jouait de cette momie. Elle tourna et sauta comme prête à se disloquer. ["cette momie. ..." remplace "ce squelette. + + goudronné sauta comme s'il ["s'il" barré en correction cursive] si elle allait se disloquer"] ["Le fantôme entra...": addition] Les oiseaux, effrayés, s’envolèrent. Ce fut comme un rejaillissement de toutes ces bêtes infâmes [variante sans choix: "immondes", barrée à la copie; première rédaction: "horribles"]. Puis ils revinrent. Alors un combat commença.
Le mort sembla pris d’une vie monstrueuse. Les souffles le soulevaient
comme s’ils allaient l’emporter ; on eût dit qu’il se débattait et qu’il
faisait effort pour ["faisait effort pour"
corrige "tentait de"] s’évader ; son carcan le retenait. Les
oiseaux répercutaient tous ses mouvements, reculant, [f° 61,
D3] puis se ruant, effarouchés et acharnés. D’un
côté, une étrange fuite essayée ; de l’autre la poursuite d’un enchaîné.
Le mort, poussé par tous les spasmes de la bise ["spasmes
de la bise" se substitue à plusieurs mots rayés] ["poussé...":
addition], avait des soubresauts, des chocs, des accès de
colère, allait, venait, montait, tombait, refoulant l’essaim éparpillé.
Le mort était massue, l’essaim était poussière. La féroce volée
assaillante ne lâchait pas prise et s’opiniâtrait. Le mort, comme saisi
de folie sous cette meute de becs, multipliait dans le vide ses
frappements aveugles, semblables [corrige
"pareils"] aux coups d’une pierre liée à une fronde. ["tombait,
refoulant..." addition correctrice; elle se substitue à "tombait + + +
+ frappait l'essaim de toute sa masse."] Par moments il avait
sur lui toutes les griffes et toutes les aîles, [première
rédaction: "toutes les griffes, tous les becs, toutes les aîles,"]
puis rien ; c’étaient des évanouissements de la horde, tout de suite
suivis de retours furieux. Effrayant ["Hideux":
correction abandonnée] supplice continuant après la vie. Les
oiseaux semblaient frénétiques. Les soupiraux de l’enfer doivent donner
passage à des essaims pareils. [en première
rédaction, le tete se poursuit par "Pas de lutte plus lugubre."]
Coups d’ongle, coups de bec, croassements, arrachements de lambeaux qui
n’étaient plus de la chair, craquements de la potence, froissements du
squelette, cliquetis des ferrailles, cris de la rafale, tumulte, ["Coups d'ongle...": addition plusieurs fois
retouchée depuis la première rédaction: "Coups de bec, croassements,
craquements de la potence, ["cris de la chaîne," barré en correction
cursive] froissement des ferrailles, cris de la rafale, tumulte, une
lutte lugubre."] pas [d'abord "Pas"]
de lutte plus lugubre. Un spectre contre des démons.
[marque d'alinéa à faire; de même à la copie]
Parfois, la bise redoublant, il pivotait [corrige "roulait"] sur lui-même, ["se trouvait,"(?) barré, sans doute en correction cursive] faisait face à l’essaim de tous les côtés à la fois, paraissait vouloir [ajouté] courir après les oiseaux, et ["ses dents" barré en correction cursive] l’on eût dit que ses dents tâchaient de mordre. Il avait le vent pour lui, et la chaîne contre lui, comme si des [en sc. sur "les"; de même à la copie] dieux noirs s’en mêlaient. L’ouragan était de la bataille. [corrige "Il y avait de l'ouragan dans cette lutte."] Le mort se tordait, la troupe d’oiseaux ["la troupe..." corrige "l'essaim"] roulait sur lui en spirale. C’était un tournoiement dans un tourbillon.
On entendait en bas un grondement immense, qui était la mer.
L’enfant voyait ce rêve. Subitement [corrige "Tout à coup"] il se mit à trembler de tous ses membres, un frisson ruissela le long de son corps, il chancela, tressaillit, faillit tomber, se retourna, ["et" barré] pressa son front de ses deux mains, comme si le front était un point d’appui, et, hagard, les cheveux au vent, descendant la colline à grands pas les yeux fermés, presque fantôme lui-même, il prit la fuite, laissant derrière lui ce tourment dans la nuit.
[blanc au bas du folio]
[f° 62 blanc; f° 63, E3; mise au net]
Il courut jusqu’à essoufflement ["jusqu'à essoufflement", déplacé, remplace "devant lui"], au hasard, éperdu, dans la neige, dans la plaine, dans l’espace [", jusqu'à essoufflement" barré]. Cette fuite le réchauffa. Il en avait besoin. Sans cette course et sans cette épouvante [en sc. sur +], il était mort.
Quand l’haleine lui manqua, il s’arrêta. Mais il n’osa point regarder
en arrière. Il lui semblait que les oiseaux devaient le poursuivre, que
le mort devait avoir ["devait avoir" corrige
"avait"] dénoué sa chaîne et était probablement en marche
derrière [corrige "du même côté que"]
lui, et que sans doute ["sans doute": ajouté]
le gibet lui-même descendait la colline, courant après le mort. ["Il
avait peur" barré en correction cursive] Il avait peur de voir
cela, s’il se retournait. ["Il avait peur de
voir ..." remplace "Il ne se retourna point, de peur de voir cela."]
Lorsqu’il eut repris un peu haleine [en sc. sur "son souffle"], il se remit à fuir [en sc. sur "courir"(?)].
[Les deux premières lignes du paragraphe sont écrites au-dessus d'un texte au crayon, aide-mémoire probablement pour la reprise de la rédaction: "Le sentiment de la situation lui revient peu à peu", suit encore une ligne] Se rendre compte des faits n’est point de l’enfance. Il percevait des impressions à travers le grossissement de l’effroi, mais sans les lier dans son esprit [corrige "sa pensée"] et sans conclure. Il allait n’importe où ni comment , il courait [La phrase, en première rédaction, commence différemment: "Il lui semblait être dans un nuage, et il courait" La copie donne: "...sans conclure. Il lui semblait être dans un nuage, il allait n'importe où ni comment; il courait"] avec l’angoisse et la difficulté du songe. Depuis près de trois ["près de trois" corrige "deux"] heures qu’il était abandonné, sa marche en avant, tout en restant vague, avait changé de but ; auparavant il était en quête, à présent [corrige "maintenant"] il était en fuite. Il n’avait plus faim, ni froid ; il avait peur. Un instinct avait remplacé l’autre. Échapper était maintenant toute sa pensée. Échapper à quoi ? à tout. La vie lui apparaissait de toutes parts autour de lui comme une muraille horrible. S’il eût pu s’évader [f° 64, F3] des choses, il l’eût fait.
Mais les enfants ne connaissent point [corrige "pas"] ce bris de prison qu’on nomme [corrige "appelle"] le suicide.
Il courait. [en sc. sur "Il ne comprenait point."(??)]
Il courut ainsi un temps indéterminé. Mais l’haleine s’épuise, la panique [variante sans choix: "peur", préférée à la copie] s’épuise aussi.
Tout à coup, comme saisi [corrige "pris"] d’un soudain [en sc. sur +] accès d’énergie [corrige "de fièrté"] et d’intelligence, il s’arrêta, on eût dit qu’il avait honte de se sauver [corrige "fuir"] ; il se roidit, frappa du pied, dressa résolûment ["le front" barré en correction cursive] la tête, et se retourna.
["Rien n'était plus visible derrière lui." barré] ["Le brouillard murait l'horizon.": addition ou correction abandonnée] Il n’y avait plus ni colline, ni gibet, ni vol de corbeaux. ["La nuit se referme comme un livre." phrase barrée][signe d'alinéa à la copie] Le brouillard avait repris possession de l’horizon. [addition]
L’enfant poursuivit [en sc. sur "continua"(?)] son chemin.
Maintenant il ne courait plus, il marchait. Dire que cette rencontre d’un mort l’avait fait un homme, ce serait limiter l’impression multiple et confuse ["des +" corrigé "de la colline" le tout barré] qu’il subissait ["qu'il subissait" corrige "sur l'enfant"]. Il y avait dans cette impression beaucoup plus et beaucoup moins. Ce gibet, fort trouble dans ce rudiment de compréhension qui était sa pensée ["ce rudiment..." corrige "sa pensée bégayante ["et mouvante"(?) addition] "], restait [corrige "resta"] pour lui une apparition. Seulement, une terreur domptée étant un affermissement, il se sentit plus fort. S’il eût été d’âge à se sonder, il eût trouvé en lui mille autres commencements [corrige "embryons" qui corrige "ébauches étranges"] de méditation, mais la réflexion des enfants est informe, et tout au plus sentent-ils l’arrière-goût amer de cette chose obscure pour eux ["obscure pour eux" corrige "indépassable(?) pour expliquer(?) ["la confrontation et": addition] la comparaison , et". Avant s correction, la partie de la phrase "pour expliquer...la comparaison, et" a été placée entre barres verticales.] que l’homme plus tard appelle l’indignation.
Ajoutons que l’enfant a ce don d’accepter très vite la fin d’une sensation. Les contours lointains et fuyants, qui font l’amplitude des choses douloureuses, lui échappent. L’enfant est défendu par sa limite, qui est la faiblesse, contre les émotions trop complexes. Il voit le fait, et peu de chose à côté. La difficulté de se contenter des idées partielles n’existe pas pour l’enfant. [phrase ajoutée] Le procès de la vie ne s’instruit que plus tard, quand l’expérience arrive avec son dossier. Alors il y a confrontation des ["divers" barré] groupes de faits rencontrés, l’intelligence renseignée et grandie compare, [f° 65, G3] les souvenirs du jeune âge [corrige "de l'enfance"] reparaissent sous les passions comme le palimpseste sous les ratures, ces souvenirs sont des points d’appui pour la logique, et ce qui était vision dans le cerveau de l’enfant devient syllogisme [variantes sans choix: "argument" et "parfois réquisitoire", toutes deux barrées à la copie] dans le cerveau de l’homme. Du reste l’expérience est diverse, et tourne bien ou mal selon les natures [corrige "âmes"]. Les bons ["p" barré en correction cursive] mûrissent. Les mauvais pourrissent.
L’enfant avait bien couru un quart de [corrige "une demi-"] lieue, et marché un autre quart de lieue. Tout à coup il sentit que son estomac le tiraillait. Une [corrige "Cette"] pensée ["lui vint" barré en correction cursive], qui tout de suite [corrige "pour l'instant"] éclipsa la hideuse [corrige "lugubre"] apparition de la colline, lui vint violemment : manger. Il y a dans l’homme [corrige "en nous"] une bête, heureusement : elle le [corrige "nous"] ramène à la réalité.
Mais quoi manger ? mais où manger ? mais comment manger ?
Il tâta ses poches. Machinalement, car il savait bien qu’elles étaient vides.
Puis il hâta le pas.
["Il hâta le pas vers": faux départ] Sans savoir où il allait, il hâta le pas vers le logis possible.
Cette foi à l’auberge fait partie des racines de la providence dans l’homme.
Croire à un gîte, c’est croire en Dieu.
Du reste, dans cette plaine de neige, rien qui ressemblât à un toit. ["Cette foi à l'auberge..." ces trois paragraphes se substituent à un seul : "Cette foi à l'auberge est insurmontable. C'est ["insurmontable...": entre barres verticales] une des racines qu'a en nous [variante: "en l'homme"] la Providence."]
L’enfant marchait, ["L'enfant...": addition] la lande continuait, nue à perte de vue.
Il n’y avait jamais eu sur ce plateau d’habitation humaine. C’est au bas de la falaise, dans des trous de roche, que logeaient jadis, faute de bois pour bâtir des cabanes, les anciens habitants primitifs, qui avaient pour arme une fronde, pour chauffage la fiente de bœuf séchée, pour religion l’idole Heil debout dans une clairière à Dorchester, et pour industrie la pêche de ce faux corail gris que les gallois appelaient plin et les grecs isidis plocamos.
[Au bas de la feuille, deux lignes au crayon programment la suite de la rédaction: "Il arrive à la presqu'ile Chess Hill. Commencement de neige. Vent. + la tempête."]
[f° 66, H3] L’enfant s’orientait du mieux qu’il pouvait. Toute la destinée est un carrefour, le choix des directions est redoutable, ce petit être avait de bonne heure l’option entre les chances obscures. Il avançait cependant, mais ["non sans être + par la fatigue" barré en correction cursive] quoique ses jarrets semblassent d’acier, il commençait à se fatiguer. [faux départ: "S'il y en avait eu"] Pas de sentiers dans cette plaine ; s’il y en avait, la neige les effaçait [variante sans choix: "avait effacés", préférée à la copie]. D’instinct, il ["appuyait" barré en correction cursive] continuait à [en sc. sur "de"] dévier [corrige "d'appuyer obliquement"] vers l’est. Des pierres tranchantes lui avaient écorché les talons. S’il eût fait jour, on eût pu voir dans les traces qu’il laissait sur la neige, des taches roses qui étaient son sang.
Il ne reconnaissait rien. Il traversait le plateau de Portland du sud au nord, et il est probable que la bande avec laquelle il était venu, évitant les rencontres, l’avait traversé de l’ouest à l’est. Elle était vraisemblablement partie, dans quelque barque de pêcheur ou de contrebandier, d’un point quelconque de la côte d’Uggescombe, tel que Ste Catherine Chap, ou Swancry, ["tel que...": addition] pour aller à Portland retrouver l’ourque qui l’attendait, et elle avait dû débarquer dans une des anses [corrige "criques"] de Weston pour aller se rembarquer dans une des criques d’Eston. Cette direction-là était coupée en croix par celle que suivait maintenant l’enfant. Il était ["donc" rayé] impossible qu’il reconnût son chemin. [Ce paragraphe en addition l'est aussi à la copie. Il prend la place d'un paragraphe qui ne figure pas dans la copie et avait donc été déjà barré : "Il parvint sur un des points culminants du plateau."]
Le plateau de Portland a çà et là de hautes ampoules ruinées brusquement par la côte [en sc. sur +] et coupées à pic sur la mer. L’enfant errant arriva [corrige "parvint"] sur un de ces points culminants, et s’y arrêta, espérant trouver plus d’indications dans plus d’espace, cherchant à voir. Il avait devant lui, pour tout horizon, une vaste opacité livide. Il l’examina avec attention, et sous la fixité de son regard, elle devint moins indistincte. Au fond d’un lointain pli de terrain ["+ une vallée": addition barrée], vers l’est, au ["fond...": addition; elle en corrige une première: "Dans un profond pli de terrain, vers l'est au"] bas de cette lividité opaque, sorte d’escarpement mouvant et blême qui ressemblait à une falaise de la nuit, rampaient et flottaient de vagues lambeaux noirs, espèces d’arrachements diffus. [corrige un point-virgule; la majuscule qui suit corrige une minuscule] Cette opacité blafarde, c’était du brouillard , ces lambeaux noirs, c’étaient des fumées. Où il y a des fumées, il y a des hommes. L’enfant se dirigea de ce côté.
Il entrevoyait à quelque distance une descente, et au pied de la descente, parmi des [un mot barré, sans doute en correction cursive] configurations informes de rochers que la brume estompait, une apparence de banc de sable ou de langue de terre reliant probablement [faux départ: "le plateau qu'il ven"] aux plaines de l’horizon le plateau qu’il venait de traverser. Il fallait évidemment passer par là.
Il était arrivé en effet à l’ithsme de Portland, alluvion diluvienne qu’on appelle Chess-Hill. [Ce paragraphe, d'une écriture différente, a probablement été ajouté.]
[f° 67, I3; mise au net] Il s’engagea ["dans la descente." barré en correction cursive] sur le ["le" en sc. sur "ce" ou l'inverse; copie: "le"] versant du plateau.
La pente était difficile et rude. C’était, avec moins d’âpreté pourtant, le revers de l’ascension qu’il avait faite pour sortir de la crique [en sc. sur "baie"]. Toute montée se solde par une descente. Après avoir grimpé, il dégringolait. [signe d'alinéa à faire; de même à la copie]
Il sautait d’un rocher à l’autre, au risque d’une entorse, au risque d’un écroulement dans la profondeur indistincte [corrige +; il n'est pas exclu que Hugo ait réécrit le même mot]. Pour se retenir dans les glissements de la roche et de la glace, il prenait à poignées les longues lanières des landes et des ajoncs pleins d’épines, et toutes ces pointes lui entraient dans les doigts. Par instants, il trouvait un peu de rampe douce, et descendait en reprenant haleine, puis l’escarpement [un mot, peut-être "recommençait" barré en correction cursive] se refaisait, ["parfois" barré en correction cursive] et pour chaque pas il fallait un expédient. Dans les descentes de précipices ["de..." corrige "à pic"], chaque mouvement est la solution d’un problème. Il faut être adroit sous peine de mort. Ces problèmes, l’enfant les résolvait avec un instinct dont un singe eût pris note ["dont un singe..." corrige "qu'un singe eût envié"] et une science qu’un ["bateleur eût" barré en correction cursive] saltimbanque eût admirée. La descente était abrupte et longue. Il en venait à bout néanmoins. [signe d'alinéa à faire; la copie passe d'emblée à la ligne]
Peu à peu, il approchait de l’instant où il prendrait terre sur l’ithsme entrevu.
Par intervalles, tout en bondissant ou en dévalant de rocher en rocher, il prêtait l’oreille, avec un dressement de daim attentif. Il écoutait [en sc. sur "entendait"] au loin, à sa gauche, un bruit vaste et faible, pareil à ["pareil à" corrige " quelque chose comme"] un profond chant [en sc. sur "bruit"(?)] de clairon. Il y avait dans l’air en effet un remuement de souffles précédant cet effrayant ["cet effrayant" corrige "l'arrivée du" lui-même corrigé par + +] vent boréal, qu’on entend venir [oublié et ajouté] du pôle comme ["une trompette" rayé en correction cursive] une arrivée de trompettes. En même temps, l’enfant sentait par moments sur son front, sur ses yeux, sur ses joues, quelque chose qui ressemblait à des paumes de mains froides se posant sur son visage. C’étaient de larges flocons glacés, ensemencés d’abord mollement dans l’espace, puis tourbillonnant, et annonçant l’orage de neige. L’enfant en était couvert. L’orage de neige qui, depuis plus d’une heure déjà, était sur la mer, commençait à gagner la terre. Il envahissait lentement les plaines. Il entrait obliquement par le nord-ouest dans le plateau de Portland.
[f° 68, non numéroté, papier blanc. Au verso est collé un article de presse que Hugo a marqué d'un trait en marge avant de le découper et de le coller ici. Ce papier constitue le f° 69.
"LA TEMPÊTE. — Grâce à l'amabilité de M. le docteur Mansell, nous sommes à même de pouvoir donner un rapport fidèle des variations du vent et de la pression atmosphérique, d'après le registre de l'anémomètre d'Osler, pendant la tempête de dimanche dernier. Nos lecteurs se rappelleront que cet anémomètre fut donné aux Etats et qu'on l'a placé à l'Arsenal. M. Mansell se charge gratuitement d'y veiller.
REGISTRE DE L'ANEMOMETRE D'OSLER
Tempête et neige du Dimanche 17 mars. Jeudi, le 14, le vent qui depuis le 27 du mois dernier (à l'exception d'un seul changement passager au N.-O. et revenant à l'Est le 10) avait oscillé du N.-E. au S.-E., se dirigea de l'E.-S.-E. par l'Ouest au N.-N.-E., faisant ainsi un circuit de 270 degrés, rétrogradant pendant le calme du jour suivant par l'Ouest et le Sud à l'Est, décrivant ainsi un arc de 292 degrés, son action directe et rétrograde excédant ainsi 560 en 36 heures. Après une telle complication des courants polaires et tropiques, on devait s'attendre à un temps orageux les jours suivants. Samedi, le 16, une tempête violente de l'Est commença à neuf heures du soir et dura 36 heures. Le pouvoir du vent, qui avait viré vers l'E.-S.-E., à dix heures Dimanche matin, était de 12 à 15 livres au pied carré. Cette pression continua jusqu'à trois heures de l'après-midi. La tempête devint furieuse et atteignit son point culminant. L'anémomètre marquant sans variation jusqu'à sept heures du soir, 15 livres au pied carré = 55 milles à l'heure. A six heures du soir, un violent coup de vent atteignit 18 livres = 60 milles à l'heure. — A trois heures de l'après-midi, une neige très-fine, mais épaisse, commença à tomber; de la neige et de la pluie gelèe tombèrent pendant toute la nuit, se changeant en pluie vers le matin. La tempête continua avec une pression de 12 à 15 livres = 45 à 50 milles à l'heure jusqu'à 6 heures. Lundi matin, le temps s'est alors graduellement modéré, le vent virant vers le S.-E. — Brise légère et une belle après-midi. La quantité de neige fondue recueillie par le mesure-pluie était de 0.75 pouces, égal à une profondeur de trois pouces de neige. La température la plus élevée Dimanche dernier était de 38 degrés, la plus basse c'était la nuit, 30 degrés. Le baromètre a baissé de six dixièmes pendant la tempête, de 29.9 pouces à 29.3 pouces, niveau de la mer.
Guernesey, 20 mars 1867.
T.-L. MANSELL, M.D."]
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[f° 70, J3]
["VII" numéro de chapitre en grands chiffres romains, centré et rayé, remplacé par la ligne qui précède et par celle qui suit. Ce chapitre prenait donc la suite du précédent "VI La pointe nord de Portland", avant la création de la division en livres. Cette numérotation précède la copie où la copiste enregistre d'emblée "Livre deuxième / L'ourque en mer"]
La tempête de neige est une des choses inconnues de la mer. C’est ["La tempête..." corrige "La tempête de neige, est"] le plus obscur des météores ; [corrige point] obscur dans tous les sens du mot. ["La tempête...": addition; elle se substitue à la rédaction initiale, elle-même corrigée: "Une tempête de neige, c'est + + + [en sc. sur + + +], c'est un mélange" VH a d'abord écrit "Une tempête de neige, c'est + + + [en sc. sur + + +], c'est un mélange", puis "La tempête de neige est le plus obscur des météores. / C'est un mélange", enfin le texte imprimé.] C’est un mélange de brouillard et de tourmente, et de nos jours on ne se rend pas bien compte encore de ce phénomène. De là beaucoup de désastres. [marque ajoutée d'alinéa à faire; la copiste le fait d'emblée.]
On veut tout expliquer par le vent et par le flot. Or dans l’air il y a une force qui n’est pas le vent, et dans l’eau il y a une force qui n’est pas le flot. [faux départ: " Le vent et le flot ne sont que des poussées, l'effluve"] Cette force, la même dans l’air et dans l’eau, c’est l’effluve. L’air et l’eau sont deux masses liquides, à peu près identiques, et rentrant l’une dans l’autre par la condensation et la dilatation, tellement que respirer c’est boire ; l’effluve seule est fluide. Le vent et le flot ne sont que des poussées ; l’effluve est un courant. Le vent est visible par les nuées, le flot est visible par l’écume ; l’effluve est invisible. De temps en temps pourtant elle dit : je suis là. Son Je suis là, c’est un coup de tonnerre. ["Le vent est visible...": addition] [Ces deux paragraphes développent un texte barré au f° 46]
La tempête de neige offre un problème analogue au brouillard sec. Si l’éclaircissement de la callina des espagnols et du quobar des éthiopiens est possible, à coup sûr, cet éclaircissement se fera par l’observation attentive de l’effluve magnétique. ["La tempête de neige offre...": addition de second niveau, d'une écriture différente. Elle est portée à la copie de la main de la copiste qui a dû le faire au moment du collationnement; le texte de Hugo ayant changé entre temps, elle l'a enregistré.
Au manuscrit, Hugo prend soin de recopier, sans passer à la ligne, la suite, "Sans l'effluve une foule de" et barre le même texte en partie droite. Le signe d'alinéa qu'il place, en partie droite, entre "est un courant. et "Sans l'effluve" doit donc s'entendre comme séparant la fin de l'addition initiale "C'est un coup de tonnerre." de l'addition seconde "La tempête de neige..." et non comme séparant "attentive de l'effluve magnétique." de "Sans l'effluve, une foule de". C'est ce que ne comprend pas la copiste qui place les mêmes signes entre "coup de tonnerre." et "Sans l'effluve une foule de...".
L'addition "La tempête de neige offre un problème..." est écrite de manière à respecter le dessin au-dessous représentant un oiseau sur une branche. Il en va de même pour l'addition "Ne faut-il pas cette complication....". Ces deux additions sont donc postérieure à l'exécution du dessin. Ce n'est pas vrai des autres additions, en place avant le dessin.] Sans l’effluve, une foule de faits demeurent énigmatiques. A la rigueur, les changements de vitesse du vent, se modifiant dans la tempête ["se modifiant..." corrige "pouvant aller"] de trois pieds par seconde à deux cent vingt pieds, motiveraient [corrige "expliqueraient"] les variantes de la vague allant de trois pouces, mer calme, à trente-six pieds, mer furieuse ; à la rigueur, l’horizontalité des souffles, même en bourrasque [corrige "ouragan"], fait comprendre ["fait comprendre" corrige "explique"] comment une lame de trente pieds de haut peut avoir quinze cents pieds de long ; mais pourquoi les vagues du Pacifique sont-elles quatre fois plus hautes près de l’Amérique que près de l’Asie, c’est à dire plus hautes à l’ouest qu’à l’est ; pourquoi est-ce le contraire dans l’Atlantique ; pourquoi, sous l’équateur, est-ce le milieu de la mer qui est le plus haut ; d’où viennent ces déplacements de la tumeur de l’océan ; ["d'où viennent...": addition] c’est ce que l’effluve magnétique, combinée avec la rotation terrestre et l’attraction sidérale, peut seule expliquer. [marque d'alinéa à la copie mais pas au ms] Ne faut-il pas cette complication mystérieuse pour rendre raison d’une oscillation du vent allant, par exemple, par l’ouest, du Sud-Est au Nord-Est, puis revenant brusquement, par le même grand tour, du nord-est au sud-est, [", par le même grand tour...": addition] de façon à faire en trente-six heures un prodigieux circuit de cinq cent soixante degrés, ce qui fut le prodrome de la tempête de neige du 17 mars 1867 ? [Ne faut-il pas...": addition de second niveau ajoutée à la suivante; elle reprend les information de l'article de presse du f° 68v=69. ] [marques d'alinéa à la copie, mais le manuscrit, au contraire, lie les deux additions] Les vagues de tempête de l’Australie atteignent jusqu’à quatrevingts pieds de hauteur ; voisinage du pôle. La tourmente en ces latitudes résulte moins du bouleversement des souffles que de la continuité des décharges électriques sous-marines . ["Les vagues de tempête...": addition de premier niveau] En l’année 1866 le câble transatlantique a été régulièrement ["a été..." en sc. sur "est resté"] troublé dans sa fonction deux heures sur vingt-quatre, de midi à deux heures, par une sorte de fièvre intermittente. ["En l'année 1866...": addition de second niveau] De certaines compositions et décompositions de forces produisent les phénomènes [addition abandonnée: "marins"(?)], et s’imposent aux calculs du marin [corrige "navigateur"] à peine de naufrage. Le jour où la navigation [corrige "nautique"], qui est une routine, deviendra une mathématique, le jour où l’on cherchera à savoir, par exemple, pourquoi, dans nos régions, les vents chauds viennent [corrige "soufflent"] parfois du nord et les vents froids du midi, le jour où l’on comprendra que les décroissances de température sont proportionnées aux profondeurs [corrige +] [f° 71, K3] océaniques, le jour où l’on aura présent à l’esprit que le globe est un gros aimant polarisé dans l’immensité, ayant deux axes, un axe de rotation et un axe d’effluves, s’entrecoupant au centre de la terre, et que les pôles magnétiques tournent autour des pôles géographiques, quand ceux qui risquent leur vie voudront la risquer scientifiquement, quand on naviguera sur de l’instabilité étudiée, quand le capitaine sera un météorologue, quand le pilote sera un chimiste, alors ["Le jour où la navigation, qui est une routine..." addition correctrice d'un texte lui-même corrigé : "Le jour où la routine nautique deviendra une science, le jour où ceux qui risquent leur vie voudront [f° 71] étudier les faits [corrigé en "étudier les réalités et approfondir les faits"], le jour où un capitaine sera un météorologue, le jour où un pilote sera un chimiste,"] bien des catastrophes seront évitées. La mer est magnétique autant qu’aquatique [corrige "hydraulique"]; un océan de forces flotte, inconnu, dans l’océan des flots ; à vau l’eau, pourrait-on dire. Ne voir dans la mer qu’une masse d’eau, c’est ne pas voir la mer ; la mer est un va et vient de fluide autant qu’un flux et reflux de liquide ; les aimants [variante sans choix: "attractions" préférée à la copie] la compliquent plus encore peut-être que les ouragans ; l’adhésion moléculaire, manifestée ["l'attraction capillaire" barré en correction cursive], entre autres phénomènes, par [ajouté] l’attraction capillaire, microscopique pour nous, participe, dans l’océan, ["microscopique...": addition] ["participe" rayé] de la grandeur des étendues ; ["l'adhésion...": addition. Hugo a d'abord commencé la phrase par "l'attraction capilllaire" et la rature de ces trois mots pemet la rédaction initiale suivante: "entre autres phénomènes, l'attraction capillaire participe de la grandeur des étendues;"] et l’onde des effluves, tantôt aide, tantôt contrarie, l’onde des airs et l’onde des eaux. Qui ignore la loi électrique ignore la loi hydraulique ; car l’une pénètre l’autre. Pas d’étude plus ardue, il est vrai, ni plus obscure ; elle touche à l’empirisme comme l’astronomie touche à l’astrologie. Sans cette étude pourtant, pas de navigation.
Cela dit, passons. [entre cette ligne et la suivante, un petit "2" au crayon, centré, biffé]
Un des composés les plus redoutables de la mer, c’est la tourmente de neige. [addition abandonnée de plusieurs mots] La tourmente de neige est surtout magnétique. Le pôle la produit comme il produit l’aurore boréale ; il est dans ce brouillard comme il est dans cette lueur [corrige "cet incendie"] ; et dans le flocon de neige comme dans la strie de flamme l’effluve est visible.
Les tourmentes sont les crises de nerfs et les accès de délire ["les crises..." corrige "les accès de délire et les crises de nerfs" qui remplaçait déjà "les fièvres"] de la mer. La mer a ses migraines. [phrase ajoutée] On peut assimiler les tempêtes aux maladies. Les unes sont mortelles, d’autres ne le sont point ; on se tire de celle-ci et non de celle-là. La bourrasque de neige passe pour être habituellement mortelle. Jarabija, un des pilotes de Magellan, la qualifiait « une nuée sortie du mauvais côté du diable [en sc. sur "de l'enfer"]». ["Les tourmentes sont...": addition] (1) [(1) Una nube salida del malo lado del diabolo [en sc. sur "inferno"].] [La note est ajoutée après coup; de même à la copie.]
Surcouf disait : Il y a du trousse-galant dans cette tempête-là. ["Surcouf...": addition de second niveau]
Les anciens navigateurs espagnols appelaient cette sorte de bourrasque ["venue"(?) barré en correction cursive] la nevada au moment des flocons, et la helada au moment des grêlons. Selon eux il tombait du ciel des chauves-souris avec la neige. ["Les anciens....": addition de troisième niveau]
Les tempêtes de neige sont propres aux latitudes polaires. Pourtant parfois elles glissent, on pourrait presque dire elles croulent, jusqu’à nos climats, tant la ruine est mêlée aux aventures de l’air [Un filet de renvoi déplace "jusqu'à nos climats" qui finissait la phrase.]. ["Une de ces tempêtes-là venait de s'abattre(?) sur la Manche." barré]
[A la copie, Hugo ajoute ici le numéro du chapitre suivant: "II", avant de le barrer et de le déplacer.]
[Les cinq premières lignes de ce paragraphe
sont écrites par-dessus un texte en crayon, préparation de la suite de
la rédaction. Je ne distingue que "Portland", à la troisième ligne.]
La Matutina [corrige "L'ourque"],
on l’a vu, s’était, en quittant Portland, [",
en quittant...": ajouté] résolument engagée dans ce grand
hasard nocturne qu’une approche [corrige
"imminence" qui corrige "menace"] d’orage aggravait. Elle était
entrée dans toute cette menace avec une sorte d’audace tragique [corrige
"lugubre"]. Cependant [corrige
"Pourtant"], insistons-y, [",
insistons-y," est ajouté] l’avertissement ne lui avait point [en sc. sur "pas"] manqué. ["+
+ un peu avant que l'ourque ["quittât" barré en correction cursive]
sortît du golfe de Portland, + et courût en pleine mer, dans un moment
où, quel que": barré. Le début du folio suivant, dans sa rédaction
initiale, prend la suite de la phrase: "fût le brun de la mer, il
faisait encore jour dans le ciel, un incident s'était produit à
bord."]
[f° 72, L3]
Tant que l’ourque fut dans le golfe de Portland, il y eut peu de mer ; la lame était presque étale. Quel que ["Tant que...": addition] fût le brun de l’océan [corrige "la mer"], il faisait encore clair [corrige "jour"] dans le ciel. [point corrige virgule] La brise mordait peu sur le bâtiment. L’ourque longeait le plus possible la falaise qui lui était un bon paravent. ["La brise...": addition correctrice; elle se substitue à "un incident s'était produit à bord."]
On était dix [corrige "neuf"] sur la petite felouque biscayenne, trois hommes d’équipage, et sept [corrige "six"] passagers, dont deux femmes. A la lumière de la pleine mer, car dans le crépuscule le large refait le jour, toutes les figures étaient maintenant visibles et nettes [en sc. sur "distinctes"(?)]. On ne se cachait plus d’ailleurs, on ne se gênait plus, chacun reprenait [corrige "avait repris"] sa liberté d’allures, ["montrait son visage,": addition barrée et déplacée] ["parlait sa langue mêlée à l'argot spécial de la bande," barré] jetait son cri, montrait son visage ["montrait..." remplace "riait son rire"], le départ étant une délivrance. [signe ajouté d'alinéa à faire; de même à la copie]
La bigarrure du groupe éclatait. Les femmes étaient sans âge ; la vie
errante fait ["vie errante fait" corrige "+
faisait(?)"] des vieillesses précoces et l’indigence [corrige
"la misère"; le mot est souligné d'un trait ensuite raturé] est
une ride. [addition barrée de quelques mots
commençant par "Elles étaient"] L’une était une basquaise ["de Guipuzcoa" barré en correction cursive]
des ports-secs, l’autre, la femme au gros rosaire, était une irlandaise.
Elles avaient [correction abandonnée: "La
basquaise +"] l’air indifférent des misérables. Elles s’étaient
en entrant accroupies [corrige "assises"]
l’une près de l’autre sur des coffres [corrige
"valises"] au pied du mât ["et n'en
avaient plus bougé" barré]. Elles causaient ; l’irlandais et le
basque, nous l’avons dit, [incise ajoutée]
sont deux langues parentes. La basquaise avait les cheveux parfumés
d’oignon et de basilic. [phrase ajoutée]
Le patron de l’ourque était basque guipuzcoan ; un matelot était basque
du versant nord des Pyrénées, l’autre était basque du versant sud, c’est
à dire de la même nation ["de la même..."
corrige "du même pays"], quoique le [correction
cursive de "l'un"] premier fût français et le second espagnol.
Les basques ne reconnaissent point la patrie officielle. Mi madre
se llama montaña, « ma mère s’appelle la montagne »
[soulignement de mise en italiques barré] , disait l’arriero
Zalareus. ["un matelot était basque...":
addition correctrice; elle se subsitue à "un [corrigé "les deux"]
matelot [corrigé au pluriel] était [idem] espagnol [idem], l'autre
était gênois."] Des cinq [en sc. sur
"quatre"] hommes accompagnant les deux femmes, un était
français languedocien, un était français provençal [languedocien..."
corrige ", probablement du languedoc"] , un était génois [en sc. sur "espagnol"], un, vieux, celui
qui avait le sombrero sans trou à pipe, ["celui
qui..." ajouté] paraissait [corrige
"semblait"] allemand, le cinquième [en
sc. sur "quatrième"], le chef, était un basque landais [ajouté]
de Biscarosse. [Première rédaction de la
phrase: "Des quatre hommes accompagnant ces deux femmes, un était
français, probablement du Languedoc, un était espagnol, un, vieux,
semblait allemand, le quatrième, le chef, était un basque de
Biscarosse."] C’était lui qui, au moment où l’enfant allait
entrer dans l’ourque, avait d’un coup de talon jeté la passerelle à la
mer. Cet homme robuste, ["brusque," rayé] subit,
[ajouté] rapide, ["alerte"
rayé] ["considérait le +, ["considérait le +" addition rayée]
examinait + + et l'espace": rédaction initiale rayée] couvert,
on s’en souvient, de passementeries, de pasquilles et de clinquants qui
faisaient ses guenilles flamboyantes, ["couvert...":
addition] ne pouvait tenir en place, ["ne
pouvait...": addition ultérieure] ["courait,
bondissait," : addition rayée] se penchait, se dressait, allait
et venait sans cesse d’un bout du navire à l’autre, comme inquiet entre
ce qu’il venait de faire et ce qui allait arriver ["comme
inquiet..." se substitue à "+ + + + + mais semblait et était
terrible"]. [signes ajoutés d'alinéa
à faire; de même à la copie]
Ce chef de la troupe et le patron de l’ourque, ["étant" rayé] et les deux hommes d’équipage, ["et les deux hommes d'équipage," addition] étant [f° 73, M3] basques tous quatre ["tous quatre" ajouté], parlaient tantôt [ajouté] basque, tantôt [ajouté] espagnol, tantôt [corrige "et"] français, ces trois langues étant répandues sur les deux revers [corrige "versants"] des Pyrénées [corrige "pyrénéens"]. Du reste, hormis [corrige "excepté"] les femmes, tous parlaient à peu près le français, qui était le fond de l’argot de la bande. ["Le f" barré en correction cursive] La langue française, dès cette époque, commençait à être choisie par les peuples [corrige "nations"; "européennes" barré] comme intermédiaire entre l’excès de consonnes du nord et l’excès de voyelles du midi. ["Du reste, hormis...": addition de deuxième niveau] En Europe le commerce parlait français ; le vol aussi. On se souvient que Gibby, voleur [en sc. sur + +] de Londres, comprenait Cartouche. ["En Europe...": addition de troisième niveau]
L’ourque, fine voilière, marchait bon train [corrige "vite"] ; pourtant dix [corrige "neuf"] personnes, plus les bagages, [+ + + barré en correction cursive] c’était beaucoup de charge pour un si faible gabarit ["pourtant..." corrige "quoique ce fût beaucoup de charge que dix [corrige "neuf"] personnes, plus le bagage, pour un si faible gabarit"]. [Ce paragraphe écrit, dans sa première version, sur la partie droite de la feuille, a été barré, peut-être pour être déplacé, puis réécrit, avec quelques corrections, dans la marge, en position d'une addition, sur laquelle se greffent deux autres additions.]
["Du reste," barré] ["Disons-le," [corrige "Notons-le,"]: addition abandonnée; "Disons-le" est barré de la main de VH à la copie] Ce sauvetage d’une bande par ce [en sc. sur "un"] navire n’impliquait pas nécessairement l’affiliation de l’équipage du navire à la bande. Il suffisait que le patron du navire fût un vascongado, et que le chef de la bande en fût un autre. [deux mots barrés, sans doute en correction cursive] S’entraider ["était un devoir dans" barré en correction cursive] est, dans cette race, un devoir qui n’admet pas d’exception ["qui n'admet...": addition] . Un basque, nous venons de le dire, [incise ajoutée] n’est ni espagnol, ni français, il est basque, et, toujours et partout, il doit sauver un basque. Telle est la ["cette" correction abandonnée] fraternité pyrénéenne [correction abandonnée: "montagnarde"].
Tout le temps que [corrige "Tant que". Au-dessus de cette ligne, qui est en marge, le chiffre "4" au crayon, biffé.] l’ourque [correction abandonnée: "la Matutina"] fut dans le golfe ["de Portland" supprimé], le ciel [corrige "le temps"], bien que de mauvaise mine ["de mauvaise..." corrige "menaçant"], ne parut point assez gâté ["ne parut..." corrige "n'eut + rien d'assez + [corrigé "menaçant"]"] pour préoccuper les fugitifs. On se sauvait [corrige "s'en allait"], on s’échappait, ["on s'échappait,": ajouté] on était brutalement gai. L’un riait, l’autre chantait. Ce rire était sec, mais libre ; ce chant était bas, mais insouciant. ["Les deux femmes s'étaient mises à tricoter." barré]
Le languedocien criait : caoucagno ! « Cocagne » est le comble de la satisfaction narbonnaise. C’était un demi-matelot, un naturel du village aquatique de Gruissan sur le versant sud de la Clappe, marinier plutôt que marin, mais habitué à manœuvrer les périssoires de l’étang de Bages et à tirer sur les sables salés de Sainte-Lucie la traîne pleine de poisson. Il était de cette race qui se coiffe du bonnet rouge, fait des signes de croix compliqués à l’espagnole, boit du vin de peau de bouc, tette l’outre, racle le jambon, ["et implore son saint": barré en correction cursive pour déplacement] s’agenouille pour blasphémer, ["s'agenouille..." est mis entre barres verticales, raturées à la copie] et implore son saint patron avec menace : Grand Saint, accorde-moi ce que je te demande, ou je te jette une pierre à la tête, « ou té feg’ un pic ».
Il pouvait, au besoin, s’ajouter [en sc. sur "donner"] ["un coup" barré] utilement ["un coup de main" barré] à l’équipage. [Hugo a d'abord écrit "donner un coup" puis a barré "un coup" en correction cursive pour écrire "donner utilement en coup de main", enfin supprimé "un coup de main" et corrigé "donner" en "s'ajouter".] ["Le languedocien criait...": addition] Le provençal [corrige "languedocien"], dans la cambuse, attisait [corrige "soufflait"] sous une marmite de fer un feu de tourbe, et faisait la soupe.
Cette soupe était une espèce de puchero où le poisson remplaçait la viande et où le provençal ["le poisson..." complète et corrige "il"] jetait des pois chiches, de petits morceaux de lard coupés carrément, et des gousses de piment rouge, concessions du mangeur de bouillabaisse aux mangeurs d’olla podrida. Un des sacs de provisions, déballé [corrige "entrouvert"], était à côté de lui. ["Cette soupe était...": addition de premier niveau. A cette phase-là, le texte revenait, à la première rédaction, barrée: "Tout en faisant la soupe, il achevait de vider à grandes gorgées ["achevait de vider..." corrigé en "se mettait par instants dans la bouche le goulot d' "] une bouteille d'arguadiente."] Il avait allumé, au-dessus de sa tête, [un ou deux mots barrés en correction cursive] une lanterne de fer à vitres de talc [corrige "corne"], oscillant à un crochet du plafond de la cambuse. ["Il avait allumé...": addition de deuxième niveau. A ce stade, le texte revenait à la première rédaction "Tout en faisant la soupe..."] A côté, à un autre crochet, se balançait l’alcyon girouette. C’était alors une croyance populaire qu’un alcyon mort, suspendu par le bec, présente toujours la poitrine au côté d’où vient le vent. [signe d'alinéa à faire] ["Il avait allumé...": addition de troisième niveau.]
Tout en faisant la soupe, le provençal [corrige "il"] se mettait par instants dans la bouche le goulot d’une gourde et avalait un coup [corrige "une gorgée"] d’aguardiente. C’était une de ces gourdes revêtues ["revêtue" en sc. cursive sur "d'osier"] d’osier, larges et plates, à oreillons, qu’on se pendait au côté par une courroie, et qu’on appelait alors « gourdes de hanche ». ["Tout en faisant..." addition de quatrième niveau. Elle intègre le texte en partie droite dont elle entraîne la rature.] Entre chaque gorgée, il mâchonnait un couplet d’une de ces chansons campagnardes dont le sujet ["n'a +" barré en correction cursive] est rien du tout ; un chemin creux, une haie ; on voit dans la prairie par une crevasse du buisson [en sc. sur "des buissons"] l’ombre allongée d’une charrette et d’un cheval au soleil couchant, et de temps en temps au-dessus de la haie paraît et disparaît l’extrémité de la fourche chargée de foin. ["Entre chaque gorgée...": addition de cinquième niveau] Il n’en faut pas plus pour une chanson. [Cette phrase est encore ajoutée à l'addition qui précède: sixième niveau!]
[signe ajouté d'alinéa à faire] Un départ, selon ce qu’on a dans le cœur ou dans l’esprit, est un allégement [variante sans choix: "soulagement", préférée à la copie] ou un accablement. Tous semblaient allégés, un excepté, qui était le vieux de la troupe, l’homme au chapeau sans pipe ["chapeau..." corrige "sombrero"] [", l'homme au...": addition].
Ce vieux, qui paraissait [réécrit après la correction cursive de "parais" en "semblait"] plutôt allemand qu’autre chose, bien qu’il eût une de ces figures [corrige "physionomies"] à fond perdu [corrige "à double fond"] où la nationalité s’efface, était chauve, et si grave que sa calvitie semblait une tonsure. Chaque fois qu’il passait devant la Sainte-Vierge de la proue, il soulevait son feutre, et l’on pouvait apercevoir les veines gonflées et séniles ["et séniles" ajouté] de son crâne. ["Chaque fois qu'il...": addition; elle est antérieure à la batterie des 6 additions successives ci-dessus, qui la contournent.] Une façon [en sc. sur "espèce"] de grande robe usée et déchiquetée, en serge brune [corrige "noire"] de Dorchester, dont il s’enveloppait, ne cachait qu’à demi ["ne cachait..." corrige "laissait voir"] son juste-au-corps serré, étroit, et agrafé [corrige "boutonné"] jusqu’au collet comme une soutane [en sc. sur "un uniforme"(?)]. [f° 74, la numérotation alphabétique attendue, N3, est absente ou cachée par l'onglet sur lequel la feuille est collée. Ce folio a une rédaction antéieure en 148v du ms 24 747 . Il est lui-même abondamment corrigé de sorte qu'on peut examiner le cheminement de la rédaction au long des quatre versions de ce portrait.] Ses deux mains ["aux doigts habituellement" barré en correction cursive] [second faux départ: "avaient"] tendaient à l’entrecroisement et avaient la jonction machinale de la prière habituelle. Il avait ce qu’on pourrait nommer la physionomie blême ; car la physionomie est surtout un reflet, et c’est une erreur de croire que l’idée n’a pas [en sc. sur "point"] de couleur. Cette physionomie était évidemment la surface d’un étrange état intérieur, la résultante ["la résultante": ajouté] d’un composé de contradictions allant se perdre les unes dans le bien, les autres dans le mal, et, pour l’observateur, la révélation [", pour l'observateur..." se substitue à "la traduction en rides et en pâleur"] d’un à peu près humain pouvant tomber au-dessous du tigre ou grandir au-dessus de l’homme. ["Quand cette espèce est prêtre, cela fait Hildebrand [variante: "Affraez (?) et Cisneros"]." barré. Lecture douteuse pour le premier de ces deux noms suivi d'un "(?)" qui est de Hugo. Hildebrand= Grégoire VII.] Ces chaos de l’âme existent. Il y avait de l’illisible sur cette figure [correction abandonnée: "sur le front de cet homme"]. Le secret y allait jusqu’à l’abstrait. ["C'était l'homme que le crime a laissé pensif." barré pour déplacement] On comprenait que cet homme [corrige "qu'il"] avait connu l’avant-goût du mal ["du mal", oublié est ajouté], qui est le calcul [corrige "la préméditation"], et l’arrière-goût, qui est le zéro. Dans son ["Dans son" corrige "Sur l'"] impassibilité, peut-être seulement apparente, étaient empreintes les deux pétrifications, la pétrification du cœur, propre au bourreau, et la pétrification de l’esprit, propre au mandarin. On pouvait affirmer, car le monstrueux a sa manière d’être complet, que tout lui était possible, même s’émouvoir. Tout savant est un peu cadavre ; cet homme était un savant. Rien qu’à le voir, on devinait cette science empreinte dans les gestes de sa personne et ["jusque" barré] dans les plis de sa robe. C’était une face fossile dont le sérieux était contrarié par cette [corrige "la"] mobilité ridée du polyglotte qui va jusqu’à la grimace. Du reste, sévère. Rien d’hypocrite, mais rien de cynique. ["Chrétien, à coup sûr, mais compliqué d'un émir" barré et repris, autrement, peu après] Un songeur tragique. C’était l’homme que le crime a laissé pensif. [phrase ajoutée] Il avait le sourcil d’un trabucaire modifié par le regard d’un archevêque. Ses rares cheveux gris étaient blancs sur les tempes. On sentait en lui le chrétien, compliqué de fatalisme turc. Des nœuds de goutte déformaient ses doigts disséqués par la maigreur ; sa haute taille roide était ridicule ; il avait le pied marin. Il marchait lentement sur le pont ["du navire(?)" rayé] sans regarder personne, d’un air convaincu et sinistre. Ses prunelles étaient vaguement pleines de la lueur fixe d’une âme attentive aux ténèbres et sujette à des réapparitions de conscience.
De temps en temps le chef de la bande, ["de la bande": ajouté; de même à la copie] brusque et alerte et faisant de rapides zigzags dans le navire, venait lui parler à l’oreille. Le vieillard répondait d’un signe de tête. On eût dit l’éclair consultant la nuit.
[f° 75, O3 mise au net. Folio probablement intercalé, ainsi que le suivant, et réfection d'un texte disparu, comme l'indiquent les blancs de part et d'autre du raccord, au f° 76, avec la suite.]
Deux hommes sur le navire étaient absorbés, ce vieillard et ["ce vieillard": barré en correction cursive, puis rétabli; ajouté à la copie] le patron de l’ourque, ["et ce vieillard" barré; de même à la copie] qu’il ne faut pas confondre avec le chef de la bande ["qu'il ne faut...": addition; de même à la copie]. Le patron était absorbé par la mer, le vieillard par le ciel. L’un ne quittait pas des yeux la vague, l’autre ["faisait" barré en correction cursive] attachait sa surveillance aux nuages ["sa surveillance..." corrige "sa prunelle sur les nuées"]. La conduite de l’eau était le souci du patron ; le vieillard ["était" barré en correction cursive] semblait suspecter [corrige "surveiller"] le ["vent" barré en correction cursive] zénith. Il guettait [en sc. sur + et corrige "tâchait de voir"] les astres par toutes les ouvertures de la nuée.
C’était ce moment où il fait encore jour, et où quelques étoiles commencent [rétabli après une correction en "peuvent commencer" abandonnée] à piquer faiblement le clair du soir.
L’horizon était singulier. La brume y était diverse. [paragraphe en addition à l'addition]
Il y avait plus de brouillard sur la terre ["que sur la mer" barré], et plus de nuage sur la mer.
Avant même d’être sorti de Portland-Bay, ["C'était ce moment...": addition] le [initialement début de paragraphe et majuscule] patron, préoccupé du flot, eut tout de suite une grande minutie de manœuvres. Il n’attendit ["même" barré] pas qu’on eût décapé. Il passa en revue le trelingage, et s’assura que la bridure des bas-haubans était en bon état et appuyait bien les gambes de hune, précaution d’un homme qui compte faire des témérités [en sc. pour les premières lettres sur "pro"] de vitesse. ["Il prit hauteur(?) du mieux qu'il put, par derrière et par devant, avec l'octant anglais." barré]
[signe d'alinéa à faire; de même à la copie] L’ourque, c’était là son défaut, enfonçait d’une demi-vare par l’avant plus que par l’arrière.
[signe d'alinéa à faire; de même à la copie] Le patron passait à chaque instant du compas de route au compas de variation, visant par les deux pinnules aux objets de la côte, afin de reconnaître l’aire de vent à laquelle ils répondaient. Ce fut d’abord une brise de bouline qui se déclara [corrige "souffla"] ; il n’en parut pas contrarié, bien qu’elle s’éloignât de cinq pointes du vent de la route. ["Ce fut d'abord...": addition] Il tenait lui-même [ajouté] la barre le plus possible, paraissant ne se fier qu’à lui [paraissant...": addition] pour [corrige "afin de"] ne perdre aucune force, l’effet du gouvernail s’entretenant par la rapidité du sillage.
[signe d'alinéa à faire; de même à la copie] La différence entre le vrai rumb et le rumb apparent étant d’autant plus grande que le vaisseau a plus de vitesse, l’ourque semblait gagner vers l’origine du vent plus qu’elle ne faisait réellement. L’ourque n’avait pas vent largue et n’allait pas au plus près, mais on ne connaît directement le vrai rumb que lorsqu’on va vent arrière. Si l’on aperçoit [corrige "S'il y a"] dans les nuées de longues bandes qui aboutissent au même point de l’horizon, ce point [corrige "point-là"] est l’origine du vent ; mais ce soir là ["ce soir là": ajouté] il y avait plusieurs vents, et l’aire du rumb était trouble ; aussi le patron se méfiait des illusions du navire. [signe ajouté d'alinéa à faire; de même à la copie]
Il gouvernait à la fois timidement et hardiment, brassait au vent, veillait aux écarts subits, prenait garde aux lans, ne laissait pas arriver le bâtiment [corrige "navire"], observait la dérive, notait les petits chocs de la barre, avait l’œil à toutes les circonstances du mouvement, aux inégalités de vitesse du sillage, aux folles ventes, se tenait constamment [corrige "toujours"], de peur d’aventure, à quelque quart de vent de la côte qu’il longeait, et surtout [ajouté] maintenait [en sc. sur + et corrige en correction cursive "veillait à ce que"] l’angle de la girouette ["plus ouvert" barré en correction cursive] avec la quille plus ouvert que l’angle de la voilure, le rumb de vent indiqué par la boussole étant toujours douteux, à cause de la petitesse [f° 76, P3; folio intercalé ou réfection] du compas de route. Sa prunelle [corrige "Son regard"], imperturbablement baissée, examinait [corrige "étudiait"] toutes les formes que prenait l’eau ["que prenait..." corrige "de la vague" qui corrige "du flot"].
[signe ajouté d'alinéa à faire; de même à la copie] Une fois pourtant il leva les yeux vers l’espace et tâcha d’apercevoir ["parmi les astres piquant faiblement le crépuscule": addition abandonée] les trois étoiles [", dites les trois mages," addition barrée et déplacée] qui sont dans le baudrier d’Orion; ces étoiles se nomment les trois Mages, et un vieux proverbe ["ces étoiles se nomment..." corrige "sans doute à cause du vieux proverbe +"] des anciens pilotes [corrige "marins"] espagnols dit [ajouté] : Qui voit les trois Mages n’est pas loin du sauveur.
Ce coup d’œil [corrige "Cet unique regard"] du patron au ciel coïncida avec cet aparte grommelé ["cet aparté" corrige "ces quelques paroles grommelées"] à l’autre bout du navire par le vieillard :
— Nous ne voyons pas même la Claire des Gardes, ni l’astre ["l'astre": addition] Antarès, tout rouge qu’il est ["tout rouge..." corrige "qui est rouge"]. Pas une étoile n’est distincte. [un blanc de plusieurs lignes; l'avant-dernière est occupée par un "4" au crayon, centré et barré au crayon également. Même blanc à la copie et changement d'écriture; un chiffre a été porté, à l'encre, puis rayé. cette fin du folio a vraisemblablement été ajoutée.]
Aucun souci parmi les autres fugitifs.
Toutefois, quand la première hilarité [en sc. sur "ébriété"; correction abandonnée: "joie"] de l’évasion fut passée, il fallut bien s’apercevoir qu’on était en mer au mois de janvier, et que la bise était glacée. Impossible de se loger dans la cabine, beaucoup trop étroite et d’ailleurs encombrée de bagages et de ballots. Les bagages appartenaient aux passagers, et les ballots à l’équipage, car l’ourque n’était point un navire de plaisance et faisait la contrebande. Les passagers durent s’établir sur le pont ; résignation facile à ces nomades. [point corrige point-virgule] Les habitudes du plein air rendent aisés aux vagabonds les arrangements de nuit ; la belle étoile est de leurs amies ; et le froid les aide à dormir, à mourir quelquefois,
Celle nuit-là du reste, on vient de le voir, la belle étoile était absente. [grand blanc au bas du folio; de même à la copie; signe que le réaménagement de cette patie du récit a été très tardif.]
[f° 77, Q3] Le languedocien et le génois, en [cette ligne a été ajoutée pour pallier la jonction perdue avec un folio que nous ne possédons pas. La rédaction initiale commençait par "attendant le souper"] attendant le souper, se pelotonnèrent près des femmes, au pied du mât, ["dans [variante "parmi"] les ballots." barré. La fin de la phrase a été modifiée en correction cursive.] sous des prélarts que les matelots leur jetèrent.
Le vieux chauve resta debout à l’avant, immobile, et comme insensible au froid.
Le patron de l’ourque, de la barre où il était, fit une sorte d’appel guttural assez semblable à l’interjection [corrige "au cri"] de l’oiseau qu’on appelle en Amérique l’Exclamateur ; à ce cri le chef de la bande ["de la barre où...": addition correctrice de "qui tenait(?) la barre, fit signe [correction: "un clin d'oeil"] au chef de la bande. Le chef"] approcha, et le patron lui adressa [corrige "jeta"] cette apostrophe : Etcheco [en sc. sur +] jaüna ! Ces deux mots basques, qui signifient « laboureur de la montagne [corrige "des monts"]» sont, chez ces antiques [corrige "vieux"] cantabres, une entrée en matière solennelle et commandent l’attention.
Puis le patron montra du doigt au chef le vieillard, et le dialogue ["le dialogue" ajouté] continua en espagnol, peu correct, du reste, étant de l’espagnol montagnard [corrige "paysan"] [", peu correct...": addition]. Voici les demandes et les réponses :[phrase ajoutée à l'addition qui précède]
— Etchceo jaüna, que es este hombre ? [corrige "Que es esta hombre?"](1)
— Un hombre.
— Que lenguas habla ?
— Todas.
— Que cosas sabe ?
— Todas.
— Qual païs ?
— Ningun, y todos.
— Qual Dios ?
— Dios.
— Como le llamas ?
— El tonto.
— Como dices que le llamas ?
— El Sabio.
— En vuestre tropa, que esta ? [corrige "Que esta en vostra tropa?"]
— Esta [ajouté] lo que esta.
— El gefe ?
— No.
— Pues, que esta ?
— La alma.
[en marge, de même à la copie] [(1) — Laboureur de la montagne [corrige "des monts"], quel est cet homme ? ["Laboureur..." corrige "Quel est cet homme?"]
— Un homme.
— Quelles langues parle-t-il ?
— Toutes.
— Quelles choses sait-il ?
— Toutes.
— Quel est son pays ?
— Aucun, et tous.
— Quel est son Dieu ?
— Dieu.
— Comment le nommes-tu ?
— Le Fou.
— Comment dis-tu que tu le nommes ?
— Le Sage.
— Dans votre troupe, qu’est-ce qu’il est ? [corrige "Qu'est-ce qu'il est dans votre troupe?]
— Il est ["Il est" ajouté] ce qu’il est.
— Le chef ?
— Non.
— Alors, quel est-il ?
— L’âme. ]
[f° 78, R3]
Le chef et le patron se séparèrent, chacun retournant à sa pensée, et peu après la Matutina [première occurence du nom de l'ourque en première rédaction] sortit du golfe.
[au-dessus de la première ligne de l'addition marginale qui suit, centré, le chiffre "5" au crayon, rayé]
Les grands balancements du large commencèrent. [addition de deuxième niveau, ajoutée à l'addition qui suit]
La mer, dans les écartements de l’écume, était d’apparence visqueuse ; les vagues, vues [corrige "la vague, vue"] ["au plissement [correction: +] de" barré, sans doute en correction cursive] dans la clarté crépusculaire à profil perdu ["à profil...": ajouté], avaient [corrige "avait"] ["çà et là" barré] des aspects de flaques de fiel. ["La mer, dans...": addition de premier niveau] Ça et là une lame, flottant à plat, offrait ["Ça et là une lame..." corrige "Quelques lames offraient"] des fêlures et des étoiles, ["assez semblables aux vitres" barré en correction cursive] comme une vitre où l’on a jeté des pierres [corrige "une pierre"]. Au centre de ces étoiles, dans un trou tournoyant, tremblait une phosphorescence, assez semblable à cette réverbération féline de la lumière disparue, qui est dans la prunelle des chouettes. ["Ça et là une lame,...": addition de deuxième niveau, ajoutée à la précédente]
La Matutina traversa fièrement et en vaillante nageuse le redoutable frémissement ["éternel" barré] du banc Chambours. Le banc Chambours, obstacle latent à la sortie de la rade de Portland, n’est point un barrage, c’est un amphithéâtre. Un [deux mots, peut-être "profond cirque", surchargés, le tout barré] cirque [addition abandonnée d'un mot: "in+", le même qui surcharge "profond cirque" à la ligne précédente] de sable sous l’eau, des gradins sculptés par les cercles ["profonds" barré] de l’onde, une arène ronde et symétrique, haute comme une Yungfrau, mais noyée ["Yungfrau..." corrige "montagne"], un Colysée de l’Océan entrevu par le plongeurs [pluriel quoique l'article soit au singulier; la copie opte pour le singulier] dans la transparence visionnaire de l’engloutissement ["'de l'Océan entrevu..." addition correctrice de "un Colysée noyé dans l'Océan"], c’est là le banc Chambours. Les hydres s’y combattent, les léviathans s’y rencontrent ; il y a là, disent les légendes [corrige "dit-on"], au fond du gigantesque entonnoir, des cadavres de navires saisis et coulés par l’immense Kraken, qu’on nomme [corrigé à la copie en "appelle"] aussi le Poisson-Montagne. Tel [correction oubliée, faite à la copie] est l’ ["Kraken... " corrige plusieurs mots barrés dont les premiers sont "araignée Pieuvre"] effrayante ombre [corrige "effrayant dessous"; de même à la copie] de la mer.
Ces réalités spectrales ignorées de l’homme se manifestent à la surface ["de l'Océan" barré] par un peu de frisson. ["La Matutina traversa...": addition de troisième niveau, ajoutée à la précédente]
Au dix-neuvième siècle le banc Chambours est en ruine. Le brise-lames récemment construit a bouleversé et tronqué à force de ressacs cette haute architecture sous-marine, de même que la jetée bâtie au Croisic en 1760 y a changé d’un quart d’heure l’établissement des marées. La marée pourtant, c’est éternel , mais l’éternité obéit à l’homme plus qu’on ne croit. ["Au dix-neuvième...": addition de quatrième niveau, ajoutée à la précédente.]
[Toute la suite du texte de ce folio est barrée de grands traits obliques. Les dernières lignes rattachent ce folio au f° 85, où, en première rédaction, le "docteur" vouvoie le "patron" de la barque. Tous les folios 79-84 constituent donc une grande intercalation.]
["Le vieux homme, que le chef de la troupe avait appelé d’abord le Fou, puis le Sage, ne quittait plus ["quittait..." corrige "bougeait plus de"] l’avant. Le patron confia la barre à un matelot. Le vieillard semblait scruter [corrige "considérait"] l’étendue. Le patron vint à lui.
Il aborda le vieillard, mais non de face [", mais non..." corrige "de profil"]. Il se tint un peu en arrière, les coudes serrés aux hanches , les mains écartées, la tête penchée et le sourcil haut, ce qui est l'attitude de la curiosité respectueuse. ["Il aborda le vieillard...": addition correctrice de "Le vieillard lui tournait le dos à demi."]
— Seigneur, dit le patron.
L’œil du vieillard se fixa sur lui. La tête tourna sans que le corps remuât.
— Appelle [corrige "Appelez"]-moi docteur.
— Seigneur docteur, c’est moi qui suis le patron.
— Soit, répondit [corrige "dit"] le « docteur ».
Puis sa tête [corrige "face"] se retourna du côté de la mer, et, sans regarder le patron désormais, il désigna de l’index un segment [corrige "coin" qui corrige "point"] de l'espace, ["et dit:" barré en correction cursive] qui avait dans le crépuscule un singulier aspect bleu, mais d'un bleu plus voisin du plomb que de l'azur [correction abandonnée: "du cobalt"].
— Patron, vois-tu [corrige "Voyez-vous"] cela [", demanda-t-il?" corrigé "prononça-t-il" le tout barré] ?
— Oui.
— Qu’est-ce ?
— C'est un coin du ciel ["un coin..." corrige "le ciel"].
— Ou de l'enfer [corrige "C'est la mort"], dit le vieillard [corrige "docteur"].
Il y eut un silence. Le patron, songeant à la double qualification donnée par le chef à cet homme [corrige "ce vieillard"], se posa en lui-même [corrige "intérieurement"] cette question : Est-ce un fou ? est-ce un sage ?
["Cependant" barré] l’index osseux et rigide du docteur — nous le nommerons ainsi dorénavant [corrige "désormais"] — était resté dressé et comme en arrêt vers le coin bleu trouble [corrige "obscur"] de l’horizon. Le patron examinait [corrige "examina"] ce bleu.
Il murmurait à demi voix:
— La marée court en ce moment contre le vent, mais tout à l'heure quand elle courra avec le vent, nous aurons du bon.
— Il ajouta: ["Il murmurait...": addition] — C'est en effet un nuage [", murmura-t-il à demi voix" ajouté puis barré].
Le docteur reprit
— C'est le nuage de la neige.
— La nube de la nieve, fit le patron"]
[f° 79, S3; intercalé]
Le vieux homme, que le chef de la troupe avait qualifié d’abord le Fou, puis le Sage, ne quittait plus l’avant [corrige "le gaillard de proue"]. Depuis le passage du banc Chambours, son attention se partageait entre le ciel et l’océan. Il baissait les yeux, puis les relevait ; ce qu’il scrutait surtout, c’était le Nord-Est ["Est" en sc. sur "Ouest"].
Le patron confia la barre à un matelot, enjamba le panneau de la fosse aux câbles, traversa le passavent ["traversa...": ajouté] et vint au gaillard de proue ["au gaillard de proue" corrige "à l'avant"].
Il aborda le vieillard, mais non de face. Il se tint un peu en arrière, les coudes serrés aux hanches, les mains écartées, la tête penchée sur l’épaule, l’œil ouvert, le sourcil haut, un coin des lèvres souriant, ce qui est l’attitude de la curiosité, quand elle flotte entre l’ironie et le respect.
Le vieillard, soit qu’il eût l’habitude de parler quelquefois seul, soit que sentir quelqu’un derrière lui l’excitât à parler, se mit à monologuer [corrige "articuler quelques mots"], en ["regardant" barré en correction cursive] considérant l’étendue [en sc. sur "l'horizon"].
— Le méridien d’où l’on compte l’ascension droite est marqué dans ce siècle par quatre étoiles, la Polaire, la chaise de Cassiopée, la Tête d’Andromède, et l’étoile Algenib, qui est dans Pégase. Mais aucune n’est visible.
Ces paroles se succédaient automatiquement ["se succédaient..." corrige "sortaient" un blanc "hors de sa bouche +."], confuses, à peu près dites, et en quelque façon ["en quelque façon" ajouté] sans qu’il se mêlât de les prononcer. Elles flottaient hors de sa bouche et se dissipaient. Le monologue est la fumée des feux intérieurs du cerveau [variante sans choix: "de l’esprit", préférée à la copie]. ["Ces paroles...": addition]
Le patron interrompit :
— Seigneur…
Le vieillard, peut-être un peu sourd en même temps que très pensif, continua :
— Pas assez d’étoiles, et trop de vent. Le vent quitte toujours sa route pour se jeter sur la côte. Il s’y jette à pic. Cela tient à ce que la terre est plus chaude que la mer. L’air y [lecture préférable à celle de la copiste: "en"] est plus léger. [phrase ajoutée] Le vent froid et lourd ["et lourd": ajouté] de la mer se précipite sur la terre pour le remplacer ["le remplacer" rétabli après l'abandon de la correction "remplacer l'air chaud de la terre"]. C’est pourquoi dans le grand [un mot barré en correction cursive, peut-être "dôme"] ciel le vent souffle vers la terre de tous les côtés. Il importerait de faire des bordées allongées entre le parallèle estimé et le parallèle présumé. Quand [corrige "Si"] la latitude observée ne diffère pas de la latitude présumée de plus de trois minutes sur dix lieues, et de quatre sur vingt, on est en bonne route.
Le patron salua, mais le vieillard ne le vit point [en sc. sur "pas"]. Cet homme, qui portait presque une simarre [f° 80, T3; intercalé] d’universitaire d’Oxford ou de Gœttingue, ne bougeait pas de sa posture hautaine et revêche. Il observait la mer en connaisseur des flots et des hommes. Il étudiait les vagues, mais presque comme s’il allait demander dans leur tumulte son tour de parole, et leur enseigner quelque chose. Il y avait en lui du magister et de l’augure. C'était une sorte de bizarre ["une sorte..." corrige "+ + + quel"] pédant de l’abîme. ["Il avait l'air du pédant de l'abîme." est écrit en marge; de même à la copie où, VH, de sa main, l'inscrit dans le texte en sc. du texte antérieur.]
Il poursuivit son soliloque [rétabli après correction en '"aparte"], peut-être fait, après tout, pour être écouté ["peut-être fait..." corrige "fait probablement pour être écouté" qui a été encadré de barres verticales avant d'être barré].
— On pourrait ["peut-être" barré] lutter, si l’on avait une roue au lieu d’une barre. Par une vitesse de quatre lieues à l’heure, trente livres d’effort sur la roue peuvent produire trois cent mille livres d’effet sur la direction. Et plus encore, car il y a des cas où l’on fait faire à la trousse deux tours de plus.
Le patron salua une deuxième fois, et dit :
— Seigneur…
L’œil du vieillard se fixa sur lui. La tête tourna sans que le corps remuât.
— Appelle-moi docteur.
— Seigneur docteur, c’est moi qui suis le patron.
— Soit, répondit le « docteur ».
Le docteur — nous le nommerons ainsi dorénavant — parut consentir au dialogue ["parut consentir..." corrige "reprit"] :
— As-tu un octant anglais ?
["Le patron dit:": ajouté et barré]
— Non. [corrige "Non, dit le patron."]
["Du monologue le docteur passa au dialogue [corrige "Le dialogue continua"]." : addition abandonnée]
— Sans octant anglais, tu ne peux prendre hauteur ni par derrière, ni par devant.
— Les basques, répliqua le patron, [", répliqua...": ajouté] prenaient hauteur avant qu’il y eût des anglais,
— Méfie-toi de l’olofée.
— Je mollis quand il le faut.
— As-tu mesuré la vitesse du navire ?
— Oui.
— Quand ?
— Tout à l’heure.
— Par quel moyen ?
— Au moyen du loch.
[f° 81, U3; intercalé] — As-tu eu soin d’avoir l’œil sur le bois du loch ?
— Oui.
— Le sablier fait-il juste ses trente secondes ?
— Oui.
— Es-tu sûr que le sable n’a point usé le trou entre les deux ampoulettes ?
— Oui.
— As-tu fait la contrépreuve du sablier par la vibration d’une balle de mousquet suspendue…
— A un fil plat tiré de dessus le chanvre roui ? sans doute.
— As-tu ciré le fil de peur qu’il ne s’allonge ?
— Oui.
— As-tu fait la contrépreuve du loch ?
— J’ai fait la contrépreuve du sablier par la balle de mousquet et la contrépreuve du loch par le boulet de canon.
— Quel diamètre a ton boulet ?
— Un pied.
— Bonne lourdeur.
— C’est un ancien boulet de notre vieille ourque de guerre, la Casse de Par-grand.
— Qui était de l’Armada ?
— Oui.
— Et qui portait six cents soldats, cinquante matelots, et vingt-cinq canons ?
— Le naufrage le sait. [Ces deux répliques sont une addition.]
— Comment as-tu pesé le choc de l’eau contre le boulet ?
— Au moyen d’un peson d’Allemagne.
— As-tu tenu compte de l’impulsion [corrige "du choc"] du flot contre la corde portant le boulet ?
— Oui.
— Quel est le résultat ?
— Le choc de l’eau a été de cent soixante dix livres.
— C’est à dire que le navire fait [en sc. sur +] à l’heure quatre lieues de France.
— Et trois de Hollande.
— Mais c’est seulement le surplus de la vitesse du sillage sur la vitesse de la mer.
— Sans doute.
["— Comment mesures-tu l'angle que fait la route du navire avec la quille?" barré et déplacé] [En marge, au bas de la feuille tournée à 180°, cette ligne barrée: "— As-tu eu soin d'avoir l'oeil sur le bois du loch?"]
[f° 82, V3; intercalé] — Où te diriges-tu ?
— A une anse que je connais entre Loyola et Saint-Sébastien.
— Mets-toi vite sur le parallèle du lieu de l’arrivée.
— Oui. Le moins d’écart possible.
— Méfie-toi des vents et des courants. Les premiers excitent les seconds.
— Traidores(1). [(1) Traitres. [ajouté en marge]]
— Pas de mots injurieux. La mer entend. N’insulte rien. ["La mer entend...": addition; de même à la copie] Contente-toi d’observer.
— J’ai observé et j’observe. La marée est en ce moment contre le vent , mais tout à l’heure quand elle courra avec le vent, nous aurons du bon. ["— Pas de mots...": addition; elle se substitue à la réplique barrée et déplacée: "— Comment mesures-tu l'angle que fait la route du navire avec la quille?" ]
— As-tu un routier ?
— Non. Pas pour cette mer.
— Alors tu navigues à tâtons ?
— Point. J’ai la [en sc. sur "ma"] boussole. ["— Alors tu navigues...": addition]
— La boussole est un œil, le routier est l’autre.
— Un borgne voit.
— Comment mesures-tu l’angle que fait la route du navire avec la quille ?
— J’ai mon compas de variation, et puis je devine ["J'ai mon..." corrige "Je le devine"].
— Deviner, c’est bien ; savoir c’est mieux.
— Christophe(2) devinait. [(2) Colomb.]
["— Il peut arriver une telle bouteille à l'encre que tu aies de la peine à te tirer d'intrigue.
— Jusqu’à présent tout va bien." Les deux répliques barrées et déplacées]
— Quand il y a de la brouille et quand la rose tourne vilainement, on ne sait plus par quel bout du harnais ["bout..." corrige "manche"] prendre le vent, et l’on finit par n’avoir plus ni point estimé, ni point corrigé. Un âne avec son routier vaut mieux qu’un devin avec son oracle.
— Il n’y a pas encore de brouille dans la bise [corrige "le vent"], et je ne vois pas de motif [en sc. sur "raison"] d’alarme.
— Les navires sont des mouches dans la toile d’araignée de la mer.
— Présentement, tout est suffisamment [Un filet met en tête de phrase "présentement" qui suivait "Tout est". Même correction à la copie.] en bon état dans la vague et dans le vent.
— Un tremblement de points noirs sur le flot, voilà les hommes sur l’océan.
— Je n’augure rien de mauvais pour cette nuit. ["— Les navires sont...": addition; de même à la copie]
— Il peut arriver une telle bouteille à l’encre que tu aies de la peine à te tirer d’intrigue.
— Jusqu’à présent tout va bien.
L’œil du docteur se fixa sur le Nord-Est.
Le patron continua :
— Gagnons seulement le golfe de Gascogne, et je réponds de tout. Ah ! par exemple, j’y [corrige "là je"] suis chez moi. Je le tiens, mon golfe de Gascogne. C’est une cuvette souvent bien en colère, mais [virgule raturée] là [virgule raturée] je connais toutes les hauteurs [corrige "brassées" qui corrige "profondeurs"] d’eau, et toutes les qualités de fond ; vase devant San Cipriano, coquilles devant Cizargue, sable au cap Peñas, petits cailloux au Boucaut de Mimizan, et je sais la couleur de tous les cailloux.
[f° 83, X3; intercalé] Le patron s’interrompit ; le docteur ne l’écoutait plus. [paragraphe en addition; il reprend et corrige le texte initial, dont le début semble avoir été déjà barré en correction cursive : "Depuis quelque + + + + + + le docteur ne répondait pas. Le patron s'interrompit et le regarda. Depuis quelques instants le docteur n'écoutait plus."]
Le docteur considérait le Nord-Est. Il se passait sur ce visage glacial [corrige "impassible"] quelque chose d’extraordinaire. Toute la quantité d’effroi possible à un masque de pierre y était peinte. Sa bouche laissa échapper ce mot : ["Sa bouche...": addition]
— A la bonne heure ! ["murmura le docteur." barré]
Sa prunelle, devenue tout à fait de hibou et toute ronde, s’était dilatée de stupeur en examinant un point de l’espace.
Il ajouta :
— C’est juste. Quant à moi, je consens.
Le patron le regardait ["surpris" en sc. sur "étonné" barré].
Le docteur reprit, se parlant à lui-même, ou parlant à quelqu’un dans l’abîme [", ou parlant..." est encadré de barres verticales, raturées à la copie]:
— Je dis oui.
Il se tut, ouvrit de plus en plus son œil ["ouvrit..." remplace "fronça légèrement le sourcil"] avec un redoublement d’attention sur ce qu’il voyait, et reprit :
— Cela vient de loin, mais cela sait ce que cela fait.
Le segment de l’espace où plongeaient le rayon visuel ["rayon..." corrige "regard"] et la pensée du docteur, étant opposé au couchant, était éclairé par la vaste réverbération crépusculaire presque comme par le jour. Ce segment, fort circonscrit et entouré de lambeaux de vapeur grisâtre, était tout simplement bleu, mais d’un bleu plus voisin du plomb que de l’azur.
Le docteur, tout à fait retourné du côté de la mer et sans regarder le patron désormais, désigna de l’index ce segment aérien, et dit :
— Patron, vois-tu ?
— Quoi ?
— Cela.
— Quoi ?
— Là bas.
— Du bleu. Oui.
— Qu’est-ce ?
— Un coin du ciel.
— Pour ceux qui vont au ciel, dit le docteur. Pour ceux qui vont ailleurs, c’est autre chose. ["Pour ceux..." substitué à "Ou de l'enfer, dit le docteur."]
Et il souligna ces paroles d’énigme d’un effrayant sourire funèbre [mot placé entre barres verticales] ["sourire..." variante sans choix ou correction: "regard perdu dans l’ombre"; correction à la copie] .
[f° 84 blanc, f° 85, Y3. La rédaction initiale de ce folio prend la suite du f° 78]
Il y eut un silence.
Le patron, songeant à la double qualification donnée par le chef à cet homme, se posa en lui-même cette question : Est-ce un fou ? Est-ce un sage ?
L’index osseux et rigide du docteur était demeuré dressé comme en arrêt vers le coin bleu trouble de l’horizon.
Le patron examina ce bleu.
— En effet, grommela [en sc. sur +]-t-il, ce n’est pas du ciel, c’est du nuage.
— Nuage bleu pire que nuage noir, dit le docteur. Et il ajouta : [Cette réplique remplace "Le docteur reprit:"; de même à la copie]
— C’est le nuage de la neige. ["Il y eut un silence...": addition. La première ligne qui suit "— La nube de la nieve, fit le patron" est également une addition; le folio commençait, en rédaction initiale, par la ligne suivante: "comme s'il cherchait...".]
— La nube de la nieve, fit le patron comme s’il cherchait à mieux comprendre en se traduisant le mot.
— Sais-tu ce que c’est que le nuage de la neige ? demanda le docteur? ["— Sais-tu ce que..." corrige, en plusieurs temps, "Savez-vous ce que c'est? dit le docteur."]
— Non.
— Tu le sauras tout à l’heure. [corrige "Vous allez le savoir."]
Le patron se remit à considérer l’horizon.
Tout en observant le nuage, le patron parlait entre ses dents. ["le patron..." corrrige "il se parlait à lui-même:"]
— Un mois de bourrasque, un mois de pluie, ["Un mois..." corrige "Deux mois de pluie chaude,"] janvier qui tousse ["qui tousse" ajouté] et février qui pleure [corrige "pleurent"], voilà tout notre hiver à nous autres asturiens. Notre pluie est chaude. [phrase ajoutée] Nous n’avons de neige que dans la montagne. Par exemple, gare à l’avalanche ! l’avalanche ne connaît rien. ["l'avalanche ne ...": addition; de même à la copie] L’avalanche, c’est la bête ["de la montagne" barré; de même à la copie].
— Et la trombe, c’est le monstre, ["Et la trombe..." corrige "Et c'est le monstre de la mer,"; de même à la copie] dit le docteur.
Le docteur, après une pause, ajouta [corrige "reprit"; de même à la copie]:
— La voilà qui vient.
Il reprit :
— Plusieurs vents se mettent au travail à la fois. Un gros vent, de l’ouest, et un vent très lent, de l’Est.
— Celui-là est un hypocrite, dit le patron. ["Il reprit...": addition de deuxième niveau, insérée dans l'addition allant de "Par exemple" à "qu'à l'horizon."; addition de la main de VH à la copie]
La nuée bleue grandissait.
— Si la neige, continua le docteur, est redoutable quand elle descend de la montagne, juge de ce qu’elle est quand elle croule du pôle.
Son œil était vitreux. Le nuage semblait croître sur son visage en même temps qu’à l’horizon. ["Par exemple, gare à l'avalanche...": addition. Elle se substitue à "L'avalanche est terrible [corrigé +] sur la montagne.
— Et + [corrigé en "féroce"] sur la mer, dit le docteur.
Le docteur ["regarda un instant, le nuage bleu qui grandissait, puis ajouta:" barré] , après une pause, ajouta:
— La voilà qui vient.
La nuée bleue grandissait."]
Il reprit avec un accent de rêverie :
— Toutes les minutes amènent [corrige +] l’heure. La volonté d’en haut s’entrouvre. ["La volonté...": première rédaction: "Attention à ce qui s'entrouvre! + les âmes noires peuvent aller se laver." La formule est utilisée plus loin.]
Le patron de nouveau se posa intérieurement ce point d’interrogation ["ce point..." corrige "l'interrogation"] : Est-ce un fou ?
— Patron, repartit le docteur, la prunelle toujours attachée sur le nuage, as-tu [corrige "avez-vous"] beaucoup navigué dans la Manche ?
Le patron répondit :
— C’est aujourd’hui la première fois.
Le docteur, que le nuage bleu absorbait, et qui, de même que l’éponge n’a qu’une capacité d’eau, n’avait qu’une capacité d’anxiété, ["Le docteur..." corrige "Le docteur, dont le nuage bleu absorbait l'attention + + + qu'une capacité d'+ + + + par le nuage bleu,"] ne fut pas ["ému" barré en correction cursive], à cette réponse du patron, ému au delà d’un très léger [corrige "imperceptible"] dressement d’épaule.
— Comment cela ? ["Le docteur, que le nuage...": est substitué à " Le docteur eut un imperceptible dressement d'épaule. — Comment cela?"]
— Seigneur docteur, je ne fais habituellement que le voyage d’Irlande. Je vais de Fontarabie à Black-Harbour ou à l’île Akill, qui est deux îles. Je vais parfois à Brachipult, qui est une pointe du pays de Galles. Mais je gouverne toujours par delà les îles Scilly. Je ne connais pas cette mer-ci.
— C’est grave. Malheur à qui épelle [f° 86, Z3. Ce folio est intercalé puisque la première rédaction du folio 87 prend la suite du folio 85.] l’océan ! La Manche est une mer qu’il faut lire couramment. La Manche, c’est le sphinx. Méfie-toi du fond. [phrase ajoutée]
— Nous sommes ici dans vingt-cinq brasses.
— Il faut arriver aux cinquante cinq brasses qui sont au couchant et éviter les vingt qui sont au levant.
— En route, nous sonderons.
— La Manche n’est pas une mer comme une autre. La marée y monte de cinquante pieds dans les malines et de vingt-cinq dans les mortes eaux. Ici, le reflux n’est pas l’èbe, et l’èbe n’est pas le jusant. Ah ! tu m’avais l’air décontenancé en effet.
— Cette nuit, nous sonderons.
— Pour sonder, il faut s’arrêter, et ["Pour sonder...": addition] tu ne pourras.
— Pourquoi ?
— Parce que le vent.
— Nous essaierons.
— La bourrasque [corrige "Le vent"; de même à la copie] est une épée aux reins.
— Nous sonderons, seigneur docteur. [Ces deux répliques sont en addition; de même à la copie]
— Tu ne pourras pas seulement mettre côté à travers.
— Foi en Dieu.
— Prudence dans les paroles. Ne prononce pas légèrement le nom irritable. ["Ne prononce pas...": addition]
— Je sonderai, vous dis-je.
— Sois modeste. Tout à l’heure tu vas être souffleté par le vent [à la copie, VH écrit "la bourrasque" puis corrige].
— Je veux dire que je tâcherai de sonder. ["Je
sonderai, vous dis-je ...": addition; de même à la copie. Elle se
substitue à une réplique corrigée et barrée commençant par "Je dis Foi
en Dieu"; elle même corrigée en "Je tâcherai de sonder."]
— Le choc de l’eau empêchera le plomb [corrige "la ligne"] de descendre et la ligne cassera [rétabli après l'abandon de la correction "se rompra"]. Ah ! tu viens dans ces parages pour la première fois.
— Pour la première fois.
— Eh bien, en ce cas, écoute, patron.
[faux départ: "Le docteur se tourna vers le patron d'un air si grave q"]
L’accent de ce mot, écoute, était si impératif [corrige "grave"] que le patron salua.
— Seigneur docteur, j’écoute.
— Amure à bâbord et borde à tribord.
— Que voulez-vous dire ?
— Mets le cap à l’ouest.
— Caramba ! [faux départ: "Mais nous aurons le vent debout."]
— Mets le cap à l’ouest.
— Pas possible,
— Comme tu voudras. Ce que je t’en dis, c’est pour les autres. Moi, j’accepte.
— Mais, seigneur docteur, le cap à l’ouest… [corrige "Le cap à l'ouest, Seigneur docteur, ..."]
— Oui, patron.
— C’est le vent debout !
[f° 87, A4. En première rédaction, ce folio prenait la suite du f° 85. Toute sa partie supérieure a été barrée et réécrite au folio 86 intercalé:
"l’océan [rétabli après l'abandon de la correction "l'abîme"] ! La Manche est une mer qu’il faut lire couramment. La Manche, c’est le sphinx. [phrase ajoutée] ["Tu auras de la peine à te tirer de cette ingtrigue." ajouté d'une autre encre]
— Je viens dans ces parages ["Je viens..." corrige "J'y viens"] pour la première fois.
— Eh bien, en ce cas, écoute, patron [corrige "patron, écoutez"].
— J’écoute.
— Mets [corrige "Mettez"] le cap à l’ouest.
— ["Mais" barré] Caramba ! [ajouté] Nous aurons le vent debout!
— Mets [corrige "Mettez"] le cap à l’ouest. "]
— Oui, patron.
— C’est un tangage diabolique !
— Choisis d’autres mots. Oui, patron.
— C’est le navire sur le chevalet !
— Oui, patron.
— C’est peut-être le mât rompu !
— Peut-être.
— Vous voulez que je gouverne à l’ouest !
— Oui. ["— Oui, patron. — C'est un tangage...": addition de deuxième niveau]
— Je ne puis.
— En ce cas, fais ta dispute avec la mer comme tu voudras. [deux mots barrés] ["Je ne puis...": addition de troisième niveau, ajoutée à la précédente]
— Il faudrait que le vent changeât.
— Il ne changera pas de toute la nuit. [ "Ceci est un souffle du pôle" barré dans le cours de la réfection de ce qui suit.]
— Pourquoi ?
— Ceci est un souffle ["du pôle" barré] long de douze cents lieues.
— Aller contre ce vent-là ! impossible. [— "Pourquoi? ..." Ces trois répliques se substituent à celle du patron: "— + dans un tangage! La barque [en sc. sur "Le navire"] fatiguerait beaucoup. Le mât peut rompre. ["Le mât..." ajouté]"] [A la copie, "Aller contre ce vent-là! impossible." surcharge, de la main de VH une ligne non lue. Peut-être répare-t-il une erreur de la copiste.]
— Le cap à l’ouest, te dis-je !
— J’essaierai. Mais malgré tout ["malgré tout": ajouté] nous dévierons.
— C’est le danger.
— La brise nous chasse à l’est.
— Ne va pas à l’est.
— Pourquoi ? ["Ne va pas...": addition intercalée dans l'addition. Ajouté également à la copie.]
— Patron, sais-tu quel est aujourd’hui pour nous le nom de la mort ?
— Non.
— La mort s’appelle l’Est. ["Ne va pas à l'est..." : ces cinq répliques se substituent au texte initial de la seule réplique du docteur: "— Oui, le vent nous jette dans la mort [corrige "le tombeau" qui corrige en correction cursive "le sépulcre"]."] [A la copie les trois dernières répliques sont ajoutées de la main de la copiste; elles ont sans doute été insérées dans le manuscrit entre sa remise à la copiste et le récolement.]
— Je gouvernerai à l’ouest.
Le docteur cette fois regarda le patron, et le regarda ["le regarda" ajouté] avec ce regard qui appuie ["sur l'interlocuteur" barré] comme pour [corrige "s'il voulait"] enfoncer une pensée dans un [en sc. sur "son"] cerveau. Il s’était tourné tout entier vers le patron ["vers le patron": ajouté] et il prononça [corrige en correction cursive et en sc. "dit"] ces paroles lentement, syllabe à syllabe ["lentement..." corrige "d'une voix lente"]:
— ["Patron," barré et majuscule mise au "s" qui suit] Si cette nuit, quand nous serons au milieu de la mer, nous entendons le son d’une cloche, le navire est perdu.
Le patron le considéra, stupéfait ["le considéra..." corrige "examina, stupéfait, cette face pâle qui lui parlait"].
— Que voulez-vous dire ?
Le docteur ne répondit pas. Son regard, un instant [corrige "moment"] sorti, était maintenant [corrige "tout de suite"] rentré. Son œil était redevenu intérieur. Il ne sembla point percevoir la question étonnée du patron. Il n’était plus attentif qu’à ce qu’il écoutait en lui-même. Ses lèvres articulèrent [corrige "laissèrent"], comme machinalement, ["échapper" barré] ces quelques mots bas ["et confus" [correction cursive: "troubles" lui-même corrigé en "indistincts"] corrigé en "et inarticulés", lui-même abandonné et barré] comme un murmure :
— Le moment est venu pour les âmes noires de se laver. [la même formule se trouve barrée au f° 85]
Le patron fit [corrige "le considéra avec"] cette moue expressive qui rapproche du nez tout le bas du visage.
— C’est plutôt le fou que le sage, grommela-t-il. ["Le patron fit..." remplace "Décidément, grommela le patron entre ses dents, c'est un fou."]
Et il s’éloigna.
Cependant il mit le cap à l’ouest.
[dans cet interligne, le chiffre "6" au crayon, centré, raturé]
[changement d'écriture] Mais le vent et la mer grossissaient. [paragraphe ajouté à la copie de la main de la copiste]
["C'est à cet instant-là [+ + barré en
correction cursive] que l'ourque + +" barré; la suite se trouve dans
la rédaction initiale du folio suivant ] ["Toutes sortes
d'intumescences" : ajouté, barré et repris à l'addition du folio
suivant.]
[f° 88, B4]
[au crayon, "6", centré au-dessus de l'addition]
Toutes sortes d’intumescences ["Toutes...": ligne ajoutée en même temps que ce début de phrase a été barré à la fin du folio précédent] déformaient la brume et se gonflaient à la fois sur tous les points de l’horizon, comme si des bouches qu’on ne voyait pas étaient occupées à enfler les outres de la tempête. Le modelé des nuages devenait inquiétant [en sc. sur +]. ["C'est à cet instant là que l'ourque" barré. Cette articulation avec le texte initial, reprise de la fin du folio précédent, est barrée pour laisser place à l'amplification de l'addition]["Toutes sortes d'intumescences...": addition]
La nuée bleue tenait tout le fond du ciel. Il y en avait maintenant autant à l’ouest qu’à l’est. Elle avançait contre la brise [en sc. sur "le vent"(?)]. Ces contradictions font partie du [corrige "sont dans le"] vent. ["La nuée bleue...": addition de troisième niveau, insérée entre celle qui précède et celle qui suit et d'une écriture différente.]
La mer qui, le moment d’auparavant, avait des écailles, avait maintenant une peau. Tel est ce dragon. Ce n’était plus le crocodile, c’était le boa. Cette peau, plombée et sale [corrige "lépreuse"(?)], semblait épaisse et se ridait lourdement. A la surface, ["A la surface," addition] des bouillons de houle [corrige "d'écume"], isolés, pareils à des pustules, [faux départ d'un mot] s’arrondissaient, puis crevaient. L’écume ressemblait à [correction cursive en sc. de "au"] une lèpre. ["La mer...": addition de second niveau]
C’est à cet instant-là que l’ourque, [retour à la rédaction initiale] encore aperçue de loin ["du bord des falaises" barré] par l’enfant abandonné, alluma son fanal.
Un quart d’heure s’écoula. [phrase barrée et réécrite après abandon de la correction "Quelques minutes +"] [Au-dessus de cette ligne un "6" au crayon, centré, raturé. Les deux lignes inférieures sont écrites en surcharge de trois lignes au crayon, probablement lors d'une interruption et en aide-mémoire pour la suite.]
Le patron chercha des yeux le docteur ; il n’était plus sur [mot oublié, ajouté] le pont.
Sitôt que le patron l’avait quitté, ["Sitôt..." corrige "A peine le patron avait-il [faux départ de correction: "s'était-il"] le dos tourné que"] le docteur avait courbé ["sa haute taille [corrigé en correction cursive par "stature"] " barré] sous le capot de chambre sa stature peu commode [corrige "flexible"] ["sa stature..." ajouté], et était entré [rétabli après abandon de la correction "descendu"] dans la cabine. Là il s’était assis près du fourneau, sur un chouquet ; il avait tiré de sa poche un encrier de chagrin et un portefeuille de cordouan [corrige "cuir fauve"] ; il avait extrait du portefeuille un parchemin plié en quatre, vieux, taché [", taché": ajouté] et jauni ; il ["l' " barré en correction cursive] avait déplié [virgule raturée] cette feuille [corrige "ce parchemin"], pris une plume dans l’étui de son encrier, [faux départ: "et sur le verso du parchemin"] posé à plat ["à plat" ajouté] le portefeuille sur son genou et le parchemin sur le portefeuille, et sur le verso de ce parchemin, au rayonnement [corrige "à la lueur"] de la lanterne qui éclairait le cuisinier, il s’était mis à écrire. Les secousses du flot ["Les secousses..." corrige "Le tangage et le roulis"] le gênaient. Le docteur écrivit longuement.
Tout en écrivant, le docteur [corrige "il"] remarqua la gourde d’aguardiente que le provençal [en sc. sur "cuisinier"] dégustait chaque fois qu’il ajoutait un piment au puchero, comme s’il la consultait sur l’assaisonnement.
Le docteur remarqua cette gourde, non parce que c’était une bouteille
d’eau de vie, mais à cause d’un nom qui était tressé dans l’osier, en
jonc rouge au milieu du jonc blanc ["en jonc
rouge...": addition d'une autre encre]. [alinéa
non fait à la copie à cause du faux départ] [Cette gourde, le nom de
Will Quanonne puis Hardquanonne qui y est tressé et, plus loin, la
liste des signataires sont programmés en 15 812, f° 31r]
[faux départ: "La clarté du +"] Il faisait assez clair dans la cabine pour qu’on pût lire ce nom.
Le docteur, ["pensif et" barré] s’interrompant, [un mot barré, peut-être en correction cursive] l’épela à demi voix,
— Hardquanonne, [corrige, d'une encre
différente, "Willquanonne"]
Puis il s’adressa au cuisinier:
— Je n’avais pas encore fait attention à cette gourde. Est-ce qu’elle a appartenu à Hardquanonne [même correction] ?
— A notre pauvre camarade Hardquanonne [même correction, par surcharge]? fit le cuisinier. Oui.
Le docteur poursuivit . [paragraphe ajouté]
— A Hardquanonne, [même correction. Une confusion dans les échanges a conduit Hugo à placer, en même temps que la virgule après "Hardquanonne", un tiret devant "le flamand..."; la copiste lève l'ambiguité.] le flamand de Flandre ?
— Oui.
— Qui est en prison ?
— Oui.
— Dans le donjon de Chatham ?
— C’est sa gourde, répondit le cuisinier, et c’était [en sc. sur "est"(?)] mon ami. Je la garde en souvenir de lui. Quand le reverrons-nous ? Oui, c’est sa gourde de hanche.
Le docteur reprit sa plume et se remit à tracer péniblement des lignes
un peu tortueuses sur le parchemin. Il avait évidemment le souci que
cela fût très lisible. Malgré le tremblement du bâtiment et le
tremblement de l’âge, il vint à bout de ce qu’il voulait écrire. ["Tout en écrivant, le docteur...": addition. Elle
est postérieure à la rédaction de l'addition qui suit "Le fourneau
n'était pas...". Elle se substitue à la rédaction initiale: "Le
docteur écrivit longuement et longtemps ["et longtemps" barré avant la
suppression du reste]. Malgré les secousses [correction barrée mais
peut-être en même temps que le reste: "oscillations"] du navire
[addition barrée, mais peut-être en même temps que le reste: "et le
tremblement"], il vint à bout de ce qu'il voulait écrire."]
Il était temps ; car subitement il y eut un coup de mer. Une arrivée impétueuse de flots ["mer. Une arrivée..." corrige deux lignes déjà corrigées où l'on distingue "mer, et ce que les marins appellent « la danse + + + + + + de flots", le tout barré en correction cursive] assaillit l’ourque [corrige "le navire"], et l’on sentit poindre [corrige "s'ébaucher" qui corrige "commencer"] cette danse effrayante par laquelle les navires accueillent la tempête [corrige "l'ouragan"].
Le docteur se leva, s’approcha du fourneau [corrige "de la cambuse"], tout en opposant de savantes flexions de genou aux brusqueries de la houle, ["tout en opposant...": addition] sécha, comme il put, [", comme il put,": addition] au feu de la marmite les lignes qu’il venait d’écrire, ["tout en faisant les flexions de genou + + + +": addition barrée et déplacée plus haut] replia le parchemin dans le [corrige "son"] portefeuille, et [ajouté en même temps que la fin de la phrase est supprimée] remit le portefeuille et l’écritoire dans sa poche ["et retourna sur le pont" barré et déplacé].
Le fourneau n’était pas la pièce la moins ingénieuse de l’aménagement intérieur de l’ourque ; il était dans un bon isolement. Pourtant la marmite oscillait. Le provençal la surveillait.
— Soupe au poisson, dit-il.
— Pour les poissons, répondit le docteur.
Puis il retourna [corrige "Et le docteur remonta"] sur le pont. ["Le fourneau...": addition]
A travers sa préoccupation croissante, il [variante sans choix: "le docteur"; copie: "il" sans la variante] passa une sorte de revue de la situation, et quelqu’un qui eût été près de lui eût pu entendre ceci sortir de ses lèvres ["entendre..." corrige "entendre sortir de ses lèvres cet aparte"] :
— Trop de roulis et pas assez de tangage.
["Et il ajouta:
— Ce que Dieu veut est voulu." rayé]
Et le docteur, ["Et..." remplace "Puis"] rappelé par le travail obscur de son esprit, ["il" rayé] redescendit dans sa pensée [corrige "rêverie"] comme un mineur dans son puits. ["A travers sa préoccupation...": addition de deuxième niveau qui prolonge la précédente. Elle surcharge trois lignes au crayon.] Cette méditation [corrige "rêverie du reste"] n’excluait nullement l’observation de la mer. La mer observée est une rêverie. ["Cette méditation...": addition de quatrième niveau, insérée entre la précédente et la suivante]
[signe d'alinéa à faire] Le sombre supplice des eaux, éternellement tourmentées, allait commencer. Une lamentation sortait de toute cette onde. Des apprêts, confusément lugubres, se faisaient dans l’immensité. Le docteur considérait ["l'étendue" barré en correction cursive] ce qu’il avait sous les yeux et ne perdait aucun détail. Du reste il n’y avait dans son regard aucune contemplation. On ne contemple pas l’enfer. ["Le sombre supplice...": addition de troisième niveau]
["Le vent venait de sauter plein nord. Il était tellement favorable dans sa violence que le patron de l'ourque s’était décidé à couvrir la barque de toile. La Matutina [corrige "L’ourque"] fuyait dans l’écume, toutes voiles hors, ["toutes...": addition] vent arrière, bondissant de vague en vague, avec rage et gaieté ["rage..." corrige + + +]. Les fugitifs, ravis, riaient + + battaient des mains," : rédaction initiale barrée et reprise à la fin du folio suivant qui est intercalé.]
[f° 89, C4; mise au net. Folio intercalé: le second paragraphe reprend le texte du dernier paragraphe du folio précédent.]
Une vaste commotion, encore à demi latente, mais transparente déjà dans le trouble des étendues, accentuait et aggravait [corrige "assombrissait"] de plus en plus ["de plus en plus": addition] le vent, les vapeurs, les houles [corrige "+,"] ["la mer" barré] . Rien n’est logique et rien ne semble absurde [corrige "fou"] comme l’océan. Cette dispersion de soi-même ["dispersion..." corrige "contradiction"] est inhérente à sa souveraineté, et est un des éléments de son ampleur. Le flot est sans cesse pour ou contre. Il ne se noue que pour se dénouer. Un de ses versants attaque, un autre délivre. Pas de vision comme les vagues. Comment peindre ces creux et ces reliefs alternants, réels à peine, ces vallées, ces hamacs, ces évanouissements de poitrails, ces ébauches ? Comment exprimer ces halliers de l’écume, mélangés de montagne et de songe ? L’indescriptible est là partout, dans la déchirure, dans le froncement, dans l’inquiétude, dans le démenti perpétuel, dans le clair obscur, dans les pendentifs de la nuée, dans les clefs de voute toujours défaites, ["dans les clefs...": addition] dans la désagrégation sans lacune et sans rupture, et dans le fracas funèbre que fait toute cette démence.
La brise [en sc. sur "Le vent"] venait de se déclarer plein Nord. Elle [en sc. sur "Il"] était tellement favorable dans sa violence, et si utile à l’éloignement de l’Angleterre, que le patron de la Matutina s’était décidé à couvrir la barque de toile. L’ourque s’évadait dans l’écume, comme au galop, toutes voiles hors, vent arrière, bondissant de vague en vague, avec rage et gaîté. Les fugitifs, ravis, riaient. Ils battaient des mains, [f° 90, D4. En première rédaction, ce folio prend la suite du folio 88.] applaudissant la houle, le flot, les souffles, les voiles, ["la fuite," barré] la vitesse, la fuite, l’avenir ignoré ["la fuite...": addition substituée à "la nuit"]. Le docteur semblait ne pas les voir, et songeait.
Tout vestige de jour s’était éclipsé [corrige "s'était évanoui" qui corrige "avait disparu" qui est en sc. sur "s'était effacé"].
Cette minute-là était celle où l’enfant attentif sur les falaises lointaines perdit l’ourque de vue. Jusqu’à ce moment son regard [", malgré les intermittences et les interruptions de la marche," addition abandonnée] était resté fixé et comme appuyé sur le navire. Quelle part ce regard eut-il dans la destinée ? Dans cet instant où la distance effaça ["la distance..." corrige "l'obscurité enveloppa"] l’ourque et où l’enfant ne vit plus rien, l’enfant s’en alla au nord pendant que le navire s’en allait au sud.
Tous s’enfonçant dans la nuit.
De leur côté, mais avec ["mais avec" corrige + +] épanouissement et allégresse [corrige "triomphe"], ceux que l’ourque emportait ["ceux..." corrige "les fugitifs"; de même à la copie] regardaient derrière eux [regardaient...": barré puis rétabli] reculer et décroître ["reculer..." corrige "décroître et disparaître"] la terre hostile. Peu à peu la rondeur obscure de l’océan montait amincissant ["à l'horizon" barré] dans le crépuscule ["dans...": ajouté] Portland, Purbeck, Tineham [corrige +], Kimmeridge, les deux Matravers, ["Tineham...": addition] les longues bandes de la falaise brumeuse, et la côte ponctuée de phares.
["Enfin": ajouté, puis encadré de barres verticales, finalement rayé] L’Angleterre s’effaça [en sc. sur "s'évanouit" corrige "plongea(?) sous l'horizon" qui corrige "s'évanouit"]. Les fuyards [corrige "fugitifs", de même à la copie] n’eurent plus autour d’eux que la mer.
["Il se sentirent libres." supprimé]
Tout à coup la nuit fut terrible. [signe d'alinéa à faire]
Il n’y eut plus d’étendue ni d’espace ["d'étendue..." corrige "d'horizon"] , ["cela fut autour de l'ourque comme une clôture. [deux mots barrés, sans doute en correction cursive]" barré] le ciel [corrige "l'infini"] s’était fait noirceur, et il se referma sur le navire. [une phrase d'une ligne, corrigée et barrée; on distingue "souffla"] La lente descente ["des flocons" barré en correction cursive] de la neige commença. [Cette phrase se substitue à une rédaction qui semble inachevée: "Quelques focons + +"] Quelques flocons apparurent. On eût dit des âmes. Rien ne fut plus [corrige "Il n'y eut plus rien de"] visible dans le champ de course du vent. On se sentit livré. Tout le possible était là, piége.
C’est par cette obscurité ["de supplice" barré en correction cursive] de caverne que débute dans nos climats la trombe polaire.
Un grand nuage trouble, pareil au dessous d’une hydre, pesait sur l’océan, et par endroits ce ventre livide adhérait aux vagues. ["Rien ne fut plus visible...": addition] Quelques-unes de ces adhérences ressemblaient à des poches crevées, pompant la mer, se vidant de vapeur et s’emplissant d’eau. Ces succions soulevaient ça et là sur le flot des cônes d’écume. ["Quelques-unes...: addition augmentant l'addition précédente, et de même écriture] [Ces deux additions reprennent et augmentent un texte très corrigé: ["C'est par cette obscurité de supplice [corrigé "tombeau"] que débute dans nos climats la trombe [corrige "tempête"(?)] polaire.": addition correctrice de: "C'était la tourmente polaire qui se déclarait. Un grand nuage ["livide et" ajouté] trouble, pareil à un ventre d'hydre pesait sur l'océan."]]
La tourmente boréale se précipita sur l’ourque, l’ourque se rua dedans. La rafale et le navire [corrige "L'ouragan et le navire" qui corrige "Le navire et l'ouragan"] vinrent au-devant l’un de l’autre comme pour une insulte [corrige "bataille"].
Dans ce premier abordage forcené ["abordage forcené" est substitué à "quart d'heure redoutable"], pas une voile ne fut ["amenée" barré en correction cursive] carguée, pas un foc ne fut amené, pas un ris ne fut pris, tant l’évasion est un délire [corrige "une démence"]. Le mât craquait et se ployait en arrière ["et se ployait..." est substitué à "effaré, et se renversait"], comme effrayé. [A la copie un court trait clôt ce développement et le texte du paragraphe suivant est écrit sur un carré de papier, collé au folio. On peut en conclure que l'addition du paragraphe "Les cyclones... de bout en bout." est très tardive et écrite alors que la copie est déjà en cours.]
[f° 91, E4. Le fait qu'une bonne partie du f° 92 reprenne et développe un long texte barré du f° 105 conduit à penser que ces deux folios 91 et 92 ont été intercalés.] Les cyclones, dans notre hémisphère nord, tournent de gauche à droite, ["dans le se" barré en correction cursive] dans le même sens que les aiguilles d’une montre, avec un mouvement de translation qui atteint quelquefois soixante milles par heure. Quoique elle [en sc. sur +; l'élision de "quoique" a été oubliée] fût en plein à la merci de cette violente poussée giratoire, l’ourque se comportait comme si elle eût été dans le demi-cercle maniable, sans autre précaution que de se tenir debout à la lame, et de présenter le cap au vent antérieur en recevant [en sc. sur +] le vent actuel à tribord afin d’éviter les coups d’arrière et de travers. ["Les cyclones...": addition. Elle est ensuite, mais de la même écriture, augmentée de la phrase qui suit.] Cette demi-prudence n’eût servi de rien en cas d’une saute de vent de bout en bout.
Une profonde rumeur soufflait dans la région inaccessible. [corrige "ignorée". La phrase se poursuivait par plusieurs mots, barrés.].
Le rugissement de l’abîme, rien n’est comparable à cela. C’est l’immense voix bestiale du monde. [addition abandonnée de plusieurs mots] Ce que nous appelons la matière, cet organisme insondable [corrige "+ et +"], cet amalgame [rétabli après correction en "alliage"] d’énergies [corrige "de forces"] incommensurables où parfois on distingue [corrige "entrevoit"] une quantité imperceptible d’intention qui fait frissonner, ce cosmos [en sc. sur +, peut-être "Tout"] aveugle et nocturne, ce Pan incompréhensible, a un cri, cri étrange, prolongé, obstiné, continu, qui est moins que la parole et plus que le tonnerre. Ce cri, c’est l’ouragan. [phrase ajoutée] Les autres voix, chants, mélodies, clameurs, verbes, ["dialogues" barré] ["chants...": addition] sortent des nids, des couvées, des accouplements, des hyménées, des demeures ; celle-ci, trombe [corrige "ouragan"], sort de ce Rien qui est Tout. Les autres voix expriment l’âme de l’univers [corrige "de la nature"] ; celle-ci en exprime le monstre. C’est l’informe hurlant. C’est l’inarticulé parlé par l’indéfini. Chose pathétique et terrifiante [corrige "troublante"]. Ces rumeurs dialoguent au dessus et au delà de l’homme. Elles s’élèvent, s’abaissent, ondulent, déterminent [en sc. sur "font"] des flots de bruit, font toutes sortes de surprises farouches à l’esprit, ["font toutes sortes...": addition] tantôt éclatent tout près de notre oreille avec une importunité de fanfare, tantôt ont l’enrouement rauque ["de la distance" barré en correction cursive] du lointain ; ["et ce" barré] brouhaha [corrige "tumulte"; de même à la copie] vertigineux [corrige "effrayant"] qui ressemble à un langage, et qui est ["et qui est" corrige "c'est"] un langage en effet ; c’est l’effort que fait le monde pour parler, c’est le bégaiement du prodige. Dans ce vagissement se manifeste [corrige "s'exprime"] confusément [corrige un mot placé entre barres verticales avant d'être barré] tout ce qu’endure, subit, [ajouté] souffre, accepte et rejette l’énorme palpitation ténébreuse. Le plus souvent [corrige "Parfois"] cela déraisonne, cela semble un accès de maladie chronique, ["cela semble...": ajouté] et c’est ["presque de" barré en correction cursive] plutôt de l’épilepsie répandue que de la force employée ; on croit assister à une chute du haut mal dans l’infini. Par moments, on entrevoit une revendication de l’élément, on ne sait quelle velléité de reprise du chaos sur la création. Par moments, c’est une plainte, l’espace se lamente et se justifie, c’est quelque chose comme la cause du monde plaidée ; on croit deviner [corrige "devine presque" lui-même en sc. sur deux mots] que l’univers [corrige "la création"] est un procès ; on écoute, on tâche de saisir les raisons données, le pour et contre redoutable ; tel gémissement de l’ombre a la ténacité d’un syllogisme. Vaste trouble pour la pensée [substitué à "l'âme"]. La raison d’être des mythologies [f° 92, F4. Intercalé. Le texte reprend un développement du f° 105, barré et réutilisé ici.] et des polythéismes est là. A l’effroi de ces grands murmures s’ajoutent [un ou deux mots barrés] des ["A l'effroi...": première rédaction: "L'effroi de ces tumultes se compose de"] profils surhumains sitôt évanouis qu’aperçus, des [corrige "d' "] Euménides à peu près distinctes, des [corrige "de"] gorges de furies dessinées [corrige "ébauchées"] dans les nuages, les [la plume a retracé le "l" mais on ne voit pas que la première rédaction ait été "de"; copie: "les"] chimères plutoniennes presque affirmées. Aucune horreur n’égale ces sanglots, ces rires, ces souplesses du fracas, ces demandes et ces réponses indéchiffrables, ces appels à des auxiliaires inconnus [", ces appels à...": addition]. L’homme ne sait que devenir [corrige "faire"] en présence de cette incantation épouvantable. Il plie sous l’énigme [en sc. sur +] de ces intonations draconiennes. [changement d'écriture; ce qui suit semble ajouté] Quel sous-entendu y a-t-il ? [phrase ajoutée] Que signifient-elles ? qui menacent-elles ? qui supplient-elles ? Il y a là comme un déchaînement. Vociférations de précipice à précipice, de l’air à l’eau, du vent au flot, de la pluie au rocher, du zénith au nadir, des astres aux écumes, la muselière du gouffre défaite, tel est ce tumulte, compliqué d’on ne sait quel démêlé mystérieux avec les mauvaises consciences.
La loquacité de la nuit n’est pas moins lugubre que son silence. On y sent la colère de l’ignoré.
La nuit est une présence. Présence de qui ?
Du reste entre la nuit et les ténèbres, il faut distinguer. Dans la nuit il y a [corrige "on sent"] l’absolu ; il y a [corrige "on sent"] le multiple dans les ténèbres. La grammaire, cette logique, n’admet pas de singulier pour les ténèbres. La nuit est une, les ténèbres sont plusieurs. [Ce paragraphe, en addition au ms, ne figure pas à la copie. VH a dû l'ajouter aux épreuves.]
Cette brume du mystère nocturne, c’est l’épars, le fugace, le croulant, le funeste. On ne sent plus la terre, on sent l’autre réalité.
Dans l’ombre infinie et indéfinie il y a quelque chose, ou quelqu’un, de vivant ; mais ce qui est vivant là fait partie de notre mort. Après notre passage terrestre, quand cette ombre sera pour nous de la lumière, la vie qui est au delà de notre vie nous saisira. En attendant, il semble qu’elle nous tâte. L’obscurité est une pression. La nuit est une sorte de main mise sur notre âme. A de certaines heures hideuses et solennelles nous sentons ce qui est derrière le mur du tombeau empiéter sur nous.
Jamais cette proximité de l’inconnu n’est plus palpable que dans les tempêtes de mer. L’horrible s’y accroît du fantasque. L’interrupteur possible des actions humaines, l’antique Assemble-nuages, a là à sa disposition, pour ["le" barré] pétrir l’événement [ajouté] comme bon lui semble, l’élément inconsistant, l’incohérence illimitée, la force diffuse sans parti pris. ["l'incohérernce...": addition; en rédaction initiale, pas de point ni de majuscule] Ce mystère, la tempête, accepte et exécute, à chaque instant, on ne sait quels changements de volonté, apparents ou réels.
Les poëtes ont de tout temps appelé cela le caprice des flots.
Mais le caprice n’existe pas.
Les choses déconcertantes que nous nommons, dans la nature, caprice, et dans la destinée, hasard, sont des tronçons de loi entrevus.
[f° 93, G4]
[au crayon, centré "8" raturé] [en marge gauche: "4 septembre"]
Ce qui caractérise la tempête de neige, c’est qu’elle est noire. L’aspect habituel de la nature, ["même" barré] dans l’orage, terre ou mer obscure, ciel blême, ["ou mer..." corrige une première rédaction: "obscure sous(?) le ciel lumineux ou flamboyant" qui a subi plusieurs corrections dont "terre opaque" avant la dernière] est renversé ; le ciel est noir, l’océan est blanc. En bas écume, en haut ténèbres. Un horizon muré de fumée, ["Un horizon...": addition] un zénith plafonné de crêpe. ["de crêpe." corrige "de fumée, un horizon muré d'obscurité [corrige "de +"]."] La tempête ressemble à l’intérieur d’une cathédrale tendue de deuil. Mais aucun luminaire dans cette cathédrale. ["Que de la nuit." barré] Pas de feux ["x" ajouté] Saint-Elme aux pointes des vagues [corrige "flots"] , pas de flammèches, pas de phosphores ; rien qu’une immense ombre. Le cyclone polaire diffère du cyclone tropical en ceci [virgule barrée] que l’un allume toutes les lumières et que l’autre les éteint toutes. ["Du reste"(?) barré] Le monde devient subitement une voûte de cave [devient..." corrige "est subitement devenu nuit"]. De cette nuit [en sc. sur +] tombe une poussière de taches pâles ["tombe..." corrige, peut-être en plusieurs fois, "tombent des taches livides"] qui hésitent entre ce ciel et cette mer. Ces taches, qui sont les flocons de neige, ["descendent": addition abandonnée] glissent [addition, en sc. sur +], errent et flottent [corrige "se mêlent"]. C’est quelque chose comme les larmes d’un suaire qui se mettraient ["qui..." corrige "se mettant"] à vivre et entreraient [corrige "entrant"] en mouvement. A cet ensemencement [corrige "ce tourbillonnement"] se mêle une bise forcenée. Une noirceur émiettée en blancheurs, le furieux dans l’obscur, tout le tumulte dont est capable le sépulcre, ["tout le tumulte...": addition] un ouragan sous un catafalque, telle est la tempête de neige.
Dessous tremble l’océan recouvrant de formidables approfondissements inconnus ["de formidables..." corrige "les approfondissements de l'obscurité sans bornes" qui corrrige "un formidable approfondissement d'obscurité"]. ["Dessous tremble...": addition]
[dans l'interligne, au crayon, centré, "8" raturé]
Dans le vent polaire, qui est ["le vent..." corrige "ce vent"] électrique, les flocons se font tout de suite grêlons, et l’air s’emplit de projectiles.
L’eau pétille, mitraillée. ["L'eau pétille..."
corrige "qui mitraillent l'eau."] [la disposition de "L'eau pétille,
mitraillée." demande un alinéa]
Pas de coups de tonnerre. L’éclair des tourmentes boréales [corrige "polaires" qui corrige "de neige"] est silencieux. Ce qu’on dit quelquefois du chat [", ou du tigre" barré], « il jure », on peut le dire de cet éclair-là. C’est une menace de gueule entrouverte, étrangement inexorable [corrige "fauve"(?)]. ["C'est une menace...": addition] La tempête de neige, c’est la tempête ["sourde," barré, peut-être en correction cursive] aveugle et muette. Quand elle a passé ["est finie": correction abandonnée], souvent [ajouté] les navires aussi sont aveugles, et les matelots muets.
Sortir d’un tel gouffre est malaisé. [paragraphe en addition]
On se tromperait pourtant de croire le naufrage absolument [ajouté] inévitable. Les pêcheurs danois de Disco et du Balesin, les chercheurs de baleines noires, ["Les pêcheurs...": addition de second niveau, ajoutée à la suivante] Hearn allant vers le détroit de Behring reconnaître l’embouchure de la Rivière de la mine de Cuivre, Hudson, Mackenzie, Vancouver, Ross, ["Hearn...": addition; au-dessous VH a écrit au crayon "vérifier". Cette addition se substitue à deux noms, le premier, peut-être "Ross", est corrigé en surcharge, le second est "Hudson"] Dumont d’Urville, ont subi, au pôle même, les plus inclémentes ["les plus..." corrige "d'effroyables"] bourrasques de neige, et ["en sont sortis" barré, peut-être en correction cursive] s’en sont échappés.
[f° 94, H4] C’est dans cette espèce de tempête-là que l’ourque était entrée à pleines voiles et avec triomphe ["et avec...": ajouté]. Frénésie contre frénésie. Quand [ajouté] Montgomery, s’évadant de Rouen, ["et" barré] précipita [corrige "précipitant"] à toutes rames sa galère sur la chaîne barrant la Seine ["barrant...": ajouté] à [corrige "de"] la Bouille, il [ajouté] eut la même effronterie [en sc. sur +, sans doute "forfanterie"].
La Matutina courait [en sc. sur "roulait"]. Son penchement sous voiles faisait par instants avec la mer [corrige "les flots"] un affreux angle [corrige "angle +"] de quinze degrés ["faisait par instants..." corrige quelques mots ("était effrayant"(?)), raturés et corrigés à plusieurs reprises], mais sa bonne quille ventrue adhérait au flot comme à de la glu ["et faisait merveille" barré et remplacé par l'addition qui suit]. La quille résistait à l’arrachement de l’ouragan. [phrase ajoutée] La cage à feu éclairait l’avant. Le nuage plein [corrige "La nuée pleine"] de souffles traînant sa tumeur sur ["traînant..." corrige + + + +"] l’océan, rétrécissait et rongeait de plus en plus la mer autour de l’ourque. Pas une mouette. Pas une hirondelle de falaise. Rien que la neige. ["Pas une mouette..." addition] Le champ des vagues était petit et épouvantable [corrige "effrayant" qui corrige "sinistre"]. On n’en voyait que trois ou quatre, démesurées. ["Pas une mouette. ["Pas une hirondelle de mer.": addition] Rien que la neige. Le bruit de l'ombre était formidable [corrigé "épouvantable"] ." le tout barré et, en partie, déplacé en addition plus haut.]
De temps en temps un vaste [rétabli après correction en "large"] éclair couleur de cuivre rouge apparaissait derrière les superpositions obscures de l’horizon et du zénith. Cet élargissement vermeil montrait l’horreur des nuées. ["Cet élargissement...": addition] Le brusque embrasement des profondeurs, sur lequel, pendant une seconde, [", pendant une seconde," : addition] se détachaient les premiers plans des nuages et les fuites lointaines du chaos céleste, mettait l’abîme en perspective. Sur ce fond de feu ["Le brusque embrasement...": addition; elle corrige le début de la phrase suivante qui était "Alors"] les flocons de neige devenaient noirs, et l’on eût dit des papillons sombres volant dans une fournaise ["dans une fournaise" en sc. sur "+ une +"] . Puis tout s’éteignait.
La première explosion passée, la bourrasque [corrige "tempête"], chassant toujours l’ourque, se mit à rugir en basse continue. C’est la phase de grondement, redoutable diminution de fracas. Rien d’inquiétant [corrige + qui corrige "d'alarmant"] comme ce monologue de la tempête. Ce récitatif morne [en sc. sur "hagard"(?)] ressemble à un temps d’arrêt que prendraient les mystérieuses forces combattantes, et indique une sorte de guet dans l’inconnu. ["redoutable....": addition. Elle procède à la réfection de la rédaction initiale barrée: "qui précède et annonce les suprêmes violences de la mer. ["Demi silence redoutable." barré en correction cursive] Redoutable diminution de fracas. Ce silence dans la noirceur ["semble" barré en correction cursive] ressemble à un temps d'arrêt, et indique une sorte de guet dans l'inconnu."]
L’ourque [", comme ailée," barré] continuait éperdument [ajouté] sa course. Ses deux voiles majeures surtout [ajouté] faisaient une fonction effrayante. [phrase aoutée] Le ciel et la mer étaient d’encre, avec des jets de bave sautant plus haut que le mât. A chaque instant, des paquets d’eau traversaient le pont comme un déluge, et à toutes les inflexions du roulis, les écubiers, tantôt de tribord, tantôt de babord, devenaient [rétabli après correction cursive en "étaient"] autant de bouches ouvertes revomissant l’écume à la mer. Les femmes s’étaient réfugiées dans la cabine, [f° 95, I4] mais les hommes demeuraient sur le pont. La [en sc. sur "Une"] neige aveuglante tourbillonnait. Les crachats de la houle s’y ajoutaient. ["Les crachats...": substitué à "Tout était terrible. Les crachements de la houle redoublaient."] Tout était furieux [en sc. sur +].
En ce moment le chef de la bande, debout à l’arrière sur la barre d’arcasse, d’une main s’accrochant aux haubans ["debout à l'arrière..." corrige "sautant [corrigé "bondissant"] dans les haubans et s'y accrochant d'une main"] , de l’autre arrachant sa pagne de tête ["arrachant..." corrige "arrachant de sa tête sa pagne"] qu’il secouait aux lueurs de la cage à feu, ["les cheveux au vent" corrigé "l'air superbe" le tout barré] arrogant, content, la face altière, [arrogant..." corrige et développe "le front haut"] les cheveux farouches [corrige "au vent"], ivre de toute cette ombre, cria : — Nous sommes libres !
— Libres ! libres ! ["Libres! libres!" remplace "Nous sommes"] libres ! répétèrent les évadés [corrige "fugitifs"].
Et toute la bande, saisissant des poings les ["saisissant..." corrige "cramponnée aux"] agrès, se dressa sur le pont.
— Hurrah ! cria [corrige "dit"] le chef.
Et la bande hurla [corrige "cria"] dans la tempête : [phrase ajoutée]
— Hurrah !
À l’instant [corrige "Au moment"] où cette clameur s’éteignait parmi [corrige "dans"] les rafales, une voix grave et haute s’éleva à l’autre extrémité du navire, et dit :
— Silence ! ["une voix grave..." corrige "on entendit de l'autre extrémité du navire une voix grave et haute qui disait:
—À +!" peut-être "A genoux!"]
[dans l'interligne, au crayon, centré, le chiffre "10" surchargé en "9", le tout raturé]
Toutes les têtes se retournèrent. [Cette ligne est écrite en surcharge de la même phrase inscrite au crayon. Deux autres lignes suivent.]
Ils venaient de reconnaître ["Ils venaient..." corrige "C'était"] la voix du docteur. L’obscurité était épaisse ; le docteur [corrige "il"] était adossé au mât avec lequel sa maigreur ["sa maigreur" corrige "sa haute taille"] se confondait, on ne le voyait pas [", mais on l'entendait" supprimé] . ["on ne le voyait...." est substitué à "on l'entendait sans le voir."]
La voix reprit :
— Écoutez [en sc. sur +].
Tous se turent. [corrige "Tous firent silence."]
Alors on entendit distinctement dans les ténèbres le tintement d’une cloche. [Deux rédactions semblent avoir précédé le texte définitif: 1. "Alors on entendit distinctement dans les ténèbres une cloche tinter" 2. "Alors on entendit distinctement un tintement + dans les ténèbres.
C'était le son d'une cloche."]
Le patron de la barque, qui tenait la barre, éclata de rire.
— Une cloche ! C’est bon. Nous chassons à babord. Que prouve cette cloche ? Que nous avons la terre à dextribord.
La ["vieille" barré, peut-être en correction cursive] voix ferme et lente du docteur répondit [en sc. sur "reprit"]:
— Vous n’avez pas la terre à tribord.
— Mais si ! cria le patron.
— Non.
— Mais cette cloche vient de la terre.
[f° 96, J4] — Cette cloche, dit le docteur, vient de la mer.
Il y eut un frisson parmi ces hommes hardis [", et tous se turent" barré]. Les faces hagardes des deux femmes apparurent dans le carré du capot de cabine comme deux larves évoquées ["larves évoquées" corrige "masques indistincts"]. Le docteur fit un pas, et sa longue forme [rétabli après correction en "stature"(?)] noire se détacha du mât. On entendait la cloche tinter [rétabli après correction en "sonner"] au fond de la nuit.
Le docteur reprit :
— Il y a, au milieu de la mer, ["au milieu...": ajouté] à moitié chemin entre Portland et l’archipel de la Manche, une ["cloche" barré en correction cursive] bouée, qui est là pour avertir [", qui est...": addition]. Cette bouée est amarrée avec des chaînes aux bas-fonds et flotte à fleur d’eau. Sur cette bouée est fixé ["à" barré en correction cursive] un tréteau [correction abandonnée en "trapèze"] de fer, et à la traverse de ce tréteau est suspendue une cloche. Dans le gros temps, la mer, secouée, [ajouté] secoue la bouée, et la cloche sonne. ["Dans le gros temps..." corrige "Quand le gros temps l'agite, la mer secoue cette cloche."] ["Dans le gros temps...": addition] Cette cloche, vous l’entendez.
Le docteur laissa passer un redoublement [corrige "un coup de +", qui corrige "une + [corrigé en "clameur"]] de la bise [correction en "de bruit" abandonnée], attendit que le son de la cloche eût repris le dessus, et poursuivit :
— Entendre cette cloche dans la tempête, quand le noroit souffle, ["quand le noroit...": addition] c’est être perdu [corrige "mort"]. Pourquoi ? le voici : si vous entendez le bruit de cette cloche, c’est que le vent vous l’apporte. Or le vent vient de l’ouest et les brisants d’Aurigny ["d'Aurigny" corrige "de la côte"] sont à l’est. Vous ne pouvez entendre la cloche que parce que vous êtes entre la bouée et les brisants, c’est sur ces brisants que le vent vous pousse. Vous êtes du mauvais côté de la bouée. Si vous étiez du bon, vous seriez au large, en haute mer, en route sûre, et vous n’entendriez pas la cloche. Le vent n’en porterait pas le bruit vers vous. Vous passeriez près de la bouée sans savoir qu’elle est là. Nous avons dévié. [", nous avons dévié [", nous sommes perdus" barré] .": addition] Cette cloche, c’est le naufrage qui sonne le tocsin. Maintenant, avisez ! [la phrase se substitue à "Maintenant, âmes en péril, croyez-moi. Hommes, femmes, à genoux!"]
La cloche, pendant [en sc. sur "tandis"(?)] que le docteur parlait, apaisée par une baisse de brise, sonnait lentement, un coup après l’autre, et ce ["lugubre" barré] tintement intermittent semblait prendre acte des ["semblait..." corrige "ponctuait lugubrement les"] paroles du vieillard. On eût dit le glas de l’abîme.
Tous écoutaient haletants, tantôt cette voix, tantôt cette cloche.
[f° 97, K4]
Cependant le patron avait saisi son porte-voix. ["avait saisi..." corrige "poussait un rugissement."]
— Cargate todo, [corrige point d'exclamation] hombres [en sc. sur "matelots"(?)] ! Débordez les écoutes, halez les cale-bas, affalez les itaques et les cagues des basses-voiles ! mordons à l’ouest ! reprenons de la mer ! le cap [une première addition, d'une ligne et demie, dont on ne distingue que la fin "mordons à l'ouest!" est barrée et remplacée par une seconde "Débordez les écoutes...mordons à l'ouest!", complétée, de la même écriture, par un ajout: "reprenons de la mer! le cap". L'ensemble se substitue à une première rédaction: ["Ferlez tout" addition ou correction de] "Reprenons de la mer! mordons à l'ouest! le cap"] sur la bouée ! le cap sur la cloche ! [" + Notre-Dame!" barré] ["Tout n'est pas +" barré en correction cursive] il y a du large là-bas. Tout n’est pas désespéré.
— Essayez, dit le docteur.
Disons ici, en passant, que ["Disons...": ajouté] cette bouée à sonnerie, sorte de clocher de la mer, a été supprimée en 1802. De très vieux navigateurs se souviennent encore de l’avoir entendue. Elle avertissait, mais un peu tard.
[faux départ: "On fit mieux"] L’ordre du patron fut obéi [corrige "exécuté"]. Le languedocien [en sc. sur "le provençal"] fit un troisième matelot. Tous aidèrent. ["Le languedocien...": ajouté] On fit mieux que carguer, on ferla [en sc. sur "borda"] ; on sangla tous les rabans, on noua [corrige "serra"] les cargue-points, les cargue-fonds, et les cargue-boulines ; on mit des pataras sur les estropes qui purent ainsi servir de haubans de travers ; on jumela le [en sc. sur "le grand"] mât ; [changement d'écriture] on cloua [corrige "ferma"] les mantelets de sabord, ce qui est une façon de murer le navire [", ce qui est...": ajouté. Les tois lignes suivantes sont écrites en surcharge d'un texte au crayon]. La manœuvre, quoique exécutée en pantenne, n’en fut pas moins correcte. L’ourque fut ramenée à la simplification de détresse. Mais à mesure que le bâtiment, serrant tout, s’amoindrissait, le bouleversement de l’air et de l’eau croissait sur lui. La hauteur des houles atteignait presque la dimension polaire.
L’ouragan, comme un bourreau pressé, se mit à écarteler [corrige
"dépecer". Au-dessus une autre correction, ou un ajout, de trois ou
quatre mots barrés.] le navire. Ce fut, en un clin d’œil, un
arrachement effroyable [en sc. sur
"inexorable"], les huniers déralingués, le bordage rasé, les
dogues d’amures déboîtés, les haubans saccagés, le mât brisé, tout le
fracas du désastre volant en éclats. Les gros câbles cédèrent, bien
qu’ils eussent quatre brasses d’étalingure. [Ces
deux paragraphes sont une addition. Elle se substitue au texte
suivant: "On carga tout. [addition de plusieurs mots] En un clin
d'oeil le navire [corrigé "l'ourque"] fut ramené["e"] à sa
simplification de détresse. Mais à mesure que le navire [corrections:
"le bâtiment", "la felouque basque" rayées] ["s'amoindrissait" barré
en correction cursive] serrant tout, s'amoindrissait, le
bouleversement de l'air et de l'eau croissait sur lui. Les [corrigé
"La hauteur des"] houles atteignai[en]t presque la hauteur [corrigé
"la dimension"] polaire. L'ouragan, comme un bourreau pressé, se mit
["tout à coup" barré] à écarteler [en sc. sur +] le navire. Ce fut, en
quelques minutes [corrigé "en un clin d'oeil"] un arrachement
épouvantable [corrigé "effroyable"], les huniers [en sc. sur
"sabords"] cassés [corrigé "déralingués"], les voiles [corrigé "focs"]
crevé[e]s, le bordage [corrige +] rasé [corrige "cassé" qui corrige
+], les haubans [corrigé deux fois] rompus [corrigé "brisés", corrigé
+], tout le fracas du désastre volant en éclats."]
La tension magnétique, propre aux orages de neige, aidait à la rupture des cordages. Ils cassaient autant sous l’effluve que sous le vent. ["La tension...": addition de second niveau. Elle se terminait par " Une lame emporta la boussole avec l'habitacle" qui a été déplacé à la fin de l'addition de troisième niveau qui prolonge la précédente.] Diverses chaînes sorties de leurs poulies ne manœuvraient plus. A l’avant, les joues, et à l’arrière, les hanches, ployaient sous des pressions à outrance. Une lame emporta la boussole avec l’habitacle. ["Diverses chaînes...": addition de troisième niveau] Une autre ["autre": ajouté en même temps que l'addition de troisième niveau] lame emporta le canot, amarré en porte-manteau au beaupré selon la bizarre coutume asturienne. ["Une lame emporta le canot...": addition de premier niveau] Une autre lame emporta la vergue civadière. [cette phrase est ajoutée, de la même écriture, à l'addition qui précède] Une autre ["autre" ajouté en même temps que l'addition qui précède] lame emporta la Notre-Dame de proue et la cage à feu.
Il ne restait que le gouvernail. [paragraphe déplacé, ajouté ici]
On suppléa au fanal manquant [corrige "éteint"] au moyen d’ [correction abandonnée: "par"] une grosse grenade à brûlot pleine d’étoupe flambante et de goudron allumé, qu’on suspendit à l’étrave.
["Il ne restait que le gouvernail." barré et déplacé plus haut]
[En marge, à la hauteur de cette ligne: "Ce brave et charmant Beren [ou Berend] est mort, 7 7bre choléra" Au dessous : "repris le 8". Cette note embarrasse. D'abord parce que ce "Beren" est inconnu; également parce que, à cette date, Hugo est en Belgique et n'a pas, semble-t-il emporté le manuscrit de L'Homme qui Rit. En revanche, cette date et celle du 4 septembre inscrite au folio 93 se confirment réciproquement.]
[Les deux premières lignes du paragraphe qui suit sont écrites en surcharge sur deux lignes, à l'encre mais analogues à celles qu'on voit à plusieurs reprises écrites au crayon. On distingue "La cloche furieusement secouée" -préparation du texte, plus loin: "La cloche du milieu de la mer sonnait désespérément, comme secouée par une main farouche."] Le mât, cassé en deux, tout hérissé de haillons frissonnants [ajouté], de cordes, de moufles et de vergues, encombrait le pont. En tombant, il avait brisé un pan de la muraille de tribord ["de tribord" corrige "du navire"] ["En tombant...": ajouté].
Le patron, toujours [en sc. cursive sur "encore"] à la barre, cria :
— Tant que nous pouvons gouverner, rien n’est perdu. Les œuvres vives tiennent bon. [phrase ajoutée] Des haches ! des haches ! ["jet" barré en correction cursive] le mât à la mer ! dégagez le pont.
Équipage et passagers avaient la fièvre des batailles [corrige "détresses"] suprêmes. Ce fut l’affaire de quelques coups de cognée. On poussa le mât par dessus le bord. Le pont fut débarrassé.
— Maintenant, reprit le patron, prenez une drisse et amarrez [en sc. sur "attachez"]-moi à la barre.
On le lia au timon.
Pendant qu’on l’attachait, il riait. Il cria à la mer :
— Beugle, la vieille ! beugle ! j’en ai vu de pires au cap Machichaco. ["beugle! j'en ai...": addition]
Et quand il fut garrotté, il empoigna le timon à ["il empoigna..." en sc. cursive sur "il dit:
— Camarades"] deux poings avec cette joie étrange que donne le danger.
— Tout est bien, camarades ! ["— Maintenant, reprit le patron...": addition. Elle se substitue à " — Tout est bien, cria le patron."] Vive Notre-Dame de Buglose ! Gouvernons à l’ouest [correction abandonnée: "+ + ouest"]!
Une lame de travers, [un mot en addition abandonnée] colossale [corrige "hideuse" lui-même en sc. sur +], vint, et s’abattit sur l’arrière. Il y a toujours dans les tempêtes une sorte de vague tigre, flot féroce et définitif, qui arrive à point nommé, rampe quelque temps comme à plat ventre sur la mer, puis bondit, rugit [en sc. sur "mugit"], grince, fond sur le navire en détresse ["en détresse" ajouté], et le démembre. ["Il y a toujours...": addition] Un engloutissement d’écume couvrit toute la poupe de la Matutina ["de la Matutina": ajouté]. On entendit dans cette mêlée d’eau et de nuit ["cette mêlée..." corrige "ce +"] une dislocation. ["Quand la lame retomba," barré] Quand l’écume se dissipa, quand l’arrière reparut, il n’y avait plus ni patron, ni gouvernail.
[f° 98, L4] Tout avait été arraché. [paragraphe peut-être ajouté]
La barre et l’homme qu’on venait d’y lier ["qu'on venait..." corrige "qui la tenait"] s’en étaient allés avec la vague dans le pêle-mêle hennissant [corrige "rugissant" Hugo se contente de barrer "rug" et d'écrire au-dessus "henn"] de la tempête.
Le chef de la bande ["en fuite": addition abandonnée] regarda fixement l’ombre, et cria :
— Te burlas de nosotros (1) [(1)Te moques-tu de nous ?] [note ajoutée, de même à la copie]
A ce cri de révolte succéda un autre cri :
— Jetons l’ancre ! sauvons le patron.
On courut au cabestan. On mouilla l’ancre. Les ourques n’en avaient qu’une. Ceci n’aboutit qu’à [corrige "Ceci aboutit à"] la perdre. [faux départ: "Le cable cass"] Le fond était de roc vif, la houle [corrige "lame"] forcenée. Le câble cassa comme un cheveu.
L’ancre demeura [corrige "resta"] au fond de la mer [en sc sur "l'eau"]. [paragraphe en addition]
["Le navire n'avait plus de mat, ["plus de voile, plus de +,": addition] plus de canot, ["plus de canot": addition à l'addition] plus d'ancre [en sc. sur "plus de canot"], ["plus de canot...': addition] plus de gouvernail, plus de mât, plus de pilote." le tout barré]
Du taille-mer il ne restait que l’ange regardant dans sa lunette.
A dater de ce moment, l’ourque ne fut plus qu’une épave [ce mot, oublié, est ajouté]. La Matutina était irrémédiablement désemparée. Ce navire, tout l’heure ailé, et presque terrible dans sa course, était maintenant impotent. Pas une manœuvre qui ne fût tronquée ou désarticulée. Il obéissait, ankylosé et passif, aux furies bizarres de la flottaison. Qu’en quelques minutes, à la place d’un aigle il y ait un cul-de-jatte, cela ne se voit ["ne se voit": en sc. cursive sur "se voit"] qu’à la mer. [paragraphe en addition]
[Dans l'interligne, un chiffre au crayon, peut-être "12", centré, raturé]
Le soufflement de l’espace [corrige "ouragan"] était de plus en plus ["de plus en plus" ajouté] monstrueux. La tempête [corrige "L'infini" qui corrige "L'abîme"] est un poumon épouvantable [corrige "infatigable" qui corrige "horrible"]. Elle [corrige "Il"] ajoute sans cesse de lugubres aggravations à ce qui n’a point de nuances, le noir. La cloche du milieu de la mer sonnait furieusement, comme secouée par une main farouche.
La Matutina s’en allait au hasard des vagues [", irrrémédiablement désemparée" barré]; un bouchon de liége a de ces ondulations ; ["; un bouchon...": addition] elle ne voguait plus, elle surnageait [corrige "flottait"] ; elle semblait à chaque instant prête à se retourner le ventre à fleur d’eau comme un poisson mort. Ce qui la sauvait de cette perdition, c’était la bonne conservation de la coque, parfaitement étanche. Aucune vaigrage n’avait cédé sous la flottaison. Il n’y avait ni fissure, ni crevasse, et pas une goutte d’eau n’entrait dans la cale. Heureusement, car ["la bonne conservation..." se substitue, dans les interlignes, à la première rédaction: "une autre forme du naufrage. Elle faisait eau. Les vagues entraient ["à babord": addition] par la brèche qu'avait faite à la muraille la chute du mat. La cale s'emplissait. Le poids de l'eau dans la quille empêchait le navire de se retourner, mais l'enfonçait + + [au-dessus de "l'enfonçait...", pour addition ou correction: "on meurt de ces secours-là."] une avarie avait atteint la pompe et l’avait mise hors de service. ["+, la voie d'eau, + + + silencieuse, était lente." phrase barrée] ["une avarie...." est écrit dans la marge, comme une addition, et relié à "Heureusement car" par un filet. Mais "Une avarie" est écrit en retrait et l'on peut comprendre qu'il s'agissait d'un paragraphe ajouté au texte initial avant que la seconde phrase, qui mentionne la voie d'eau, soit supprimée. Si c'est le cas, cette addition, placée au-dessus de l'addition qui vient, a été écrite après elle.]
L’ourque dansait hideusement dans l’angoisse des flots. Le pont avait les convulsions d’un diaphragme qui cherche à vomir. On eût dit qu’il faisait effort pour rejeter les naufragés. Eux, inertes [corrige "passifs"], se cramponnaient aux manœuvres dormantes, au bordage, au traversin, au serre-bosse, aux garcettes, ["au traversin...": ajouté] aux cassures du franc-bord embouffeté ["du franc-bord..." remplace "des vaigres"] dont les clous leur déchiraient les mains, aux porques déjetées, à tous les reliefs misérables du délabrement. De temps en temps ils prêtaient l’oreille. Le bruit de la cloche allait s’affaiblissant. On eût dit qu’elle aussi agonisait. Son tintement n’était plus qu’un ["vague" rayé] râle intermittent. Puis ce râle s’éteignit. Où étaient-ils donc ? et à quelle distance étaient-ils de la bouée ? Le bruit de la cloche les avait effrayés [corrige "épouvantés"], son silence les terrifia. Le noroit [corrige "L'ouragan"] leur faisait faire un chemin peut-être ["peut-être" ajouté] irréparable [corrige un mot déjà corrigé en surcharge] . Ils se sentaient emportés par une frénétique reprise d’haleine. L’épave [corrige "Le navire devenu épave"] courait dans le noir. Une vitesse aveuglée, rien n’est plus affreux. Ils sentaient du précipice devant eux, sous eux, sur eux. Ce n’était plus une course, c’était une chute. ["L'ourque dansait..": addition]
Brusquement, dans l’énorme tumulte du brouillard de neige, une rougeur apparut.
— Un phare ! crièrent les naufragés.
[dans l'interligne, au crayon, centré, le chiffre "13" raturé]
[Tout le texte qui suit est encadré et barré à grands traits; il se rattachait au folio 100 et a fait l'objet de la réfection qui occupe le folio 99.]
["C'était en effet la Light-House + des Casquets."]
[dans l'interligne, au crayon, centré, le chiffre "13" raturé. Hugo a hésité entre les deux emplacement de la coupure prévue.]
["Un phare aujourd'hui est un haut cylindre de maçonnerie [le début de la phrase a été remanié; on ne distingue "une colonne"] surmonté d’une machine à éclairage toute scientifique. Le phare des Casquets en particulier est aujourd’hui une triple tour blanche portant trois châteaux de lumière. Mais les appareils sont corrects [en sc. sur +], précis et nus. ["Mais les appareils...": addition] Au dix-septième siècle un phare était une sorte de panache de la terre au bord de la mer. L’architecture d’une tour de phare était magnifique et extravagante ["magnifique..." corrige "compliquée par + +"]. On y prodiguait les balcons, les balustres, les tourelles, les logettes, les girouettes ["les girouettes": addition] . Ce n’étaient que mascarons, statues, bas-reliefs, figures et figurines, ["figures...": addition] cartouches avec inscriptions. Pax in" Le texte se poursuit dans la première rédaction du folio 100.]
[f° 99, M4. Ce folio de mise au net est intercalé. Grand blanc au haut de la page.]
C’était en effet la Light-House des Casquets.
Un phare au dix-neuvième siècle est un haut cylindre ["de maçonnerie" barré en correction cursive] conoïde de maçonnerie surmonté d’une machine à éclairage toute scientifique. Le phare des Casquets en particulier est aujourd’hui une triple tour blanche portant trois châteaux de lumière. Ces trois [ajouté] maisons à feu évoluent et ["évoluent et" ajouté] pivotent sur des rouages d’horlogerie avec une telle précision que l’homme de quart qui les observe du large fait [en sc. sur "compte"] invariablement dix pas sur le pont du navire ["sur le...": addition] pendant l’irradiation, et vingt-cinq pendant l’éclipse. Tout est calculé dans le plan focal et dans la rotation du tambour octogone formé de huit larges [ajouté] lentilles simples à échelons, et ayant au dessus et au dessous ses deux séries d’anneaux dioptriques ; engrenage algébrique [corrige "mathématique" en vertu du préjugé qui fait de l'algèbre le paroxysme des maths] garanti des coups de vent et des coups de mer par des vitres [faux départ: "d'une"] épaisses d'un millimètre [bévue: une vitre de fenêtre très mince fait 2mm], parfois cassées pourtant par les aigles de mer qui se jettent dessus, grands phalènes de ces lanternes géantes [en sc. sur +]. La bâtisse qui enferme, soutient et sertit ce mécanisme est, comme lui, mathématique. Tout y est sobre, exact, nu, précis, correct . Un phare est un chiffre.
Au dix-septième siècle un phare était une sorte de panache de la terre au bord de la mer. L’architecture d’une tour de phare était magnifique et extravagante. On y prodiguait les balcons, les balustres, les tourelles, les logettes, les gloriettes, les girouettes [", les girouettes", oubliées, sont en addition]. Ce n’étaient que mascarons, statues, rinceaux, volutes, ["rinceaux..." substitué à "bas-reliefs"] rondes-bosses, figures et figurines, cartouches avec inscriptions. Pax in [changement d'écriture: dans un premier temps, la jonction se faisit ici avec la première rédaction du folio 100; elle a été modifiée pour l'ajout d'une addition] bello, disait le phare d’Eddystone. Observons [en sc. sur "Disons"]-le en passant, ["Observons...": addition] cette déclaration de paix ne désarmait pas toujours l’océan. Winstanley la répéta sur un phare qu’il construisit à ses frais dans un lieu farouche, devant Plymouth. La tour du phare achevée, il se mit dedans et la fit essayer par la tempête. La tempête , [f° 100, N4. Traits d'interruption.] vint et emporta le phare et Winstanley. Du reste ces bâtisses excessives donnaient de toutes parts prise à la bourrasque, comme ces généraux trop chamarrés qui dans la bataille ["dans la bataille": ajouté] attirent les coups. Outre les fantaisies de pierre, il y avait les fantaisies de fer, de cuivre, de bois ; les serrureries faisaient relief, les charpentes faisaient saillie. Partout, sur le profil du phare, débordaient, ["bello, disait le phare...": addition. Elle se substitue à la première rédaction du début du folio: "Bello, disait le phare de Plymouth. A ces fantaisies se rattachaient [addition de quelques mots]"] scellés au mur parmi les arabesques, [faux départ: "toutes espèces d'"] des [en sc. sur +] engins [en sc. sur "machines" qui corrigeait "appareils"] de toute espèce, utiles et inutiles, treuils, palans, poulies, contre-poids, échelles, [ajouté] grues de chargement, [addition abandonnée: "crémaillères +"] grappins de sauvetage. Sur le faîte, autour du foyer, de délicates serrureries ouvragées portaient de gros chandeliers de fer où l’on plantait des tronçons de câble noyés de résine, mèches brûlant opiniatrement et qu’aucun vent n’éteignait. ["Sur le faîte...": addition] Et du haut en bas, la tour était compliquée d’étendards de mer, ["d'étendards..." corrige "d'une procession(?)"] de banderoles, de bannières, de drapeaux, de pennons, de pavillons, qui montaient de hampe en hampe, d’étage en étage, amalgamant [corrige "mêlant"] toutes les couleurs, toutes les formes, tous les blasons, tous les signaux, toutes les turbulences, ["toutes les turbulences" ajouté] jusqu’à la cage à rayons ["cage..." corrige "lumière"(?)] du phare, et faisaient dans la tempête une joyeuse émeute de guenilles autour de ce flamboiement. Cette effronterie de lumière gaie au bord du gouffre ressemblait à un défi et mettait en verve d’audace les naufragés [corrige "matelots"]. Mais le phare des Casquets n’était point de cette mode.
C’était alors [variante sans choix: "à cette époque"; la copie donne "alors"] un simple vieux phare barbare [corrige "sauvage"], tel que Henri Ier l’avait fait construire après la perdition [correction abandonnée: "submersion"] de la Blanche-Nef, un bûcher flambant sous un treillis de fer au haut d’un rocher, une braise derrière une grille, et une chevelure de flamme dans le vent.
[Quatre traits d'interruption.]
Le seul perfectionnement qu’avait eu ce phare [corrige "qu'il eût eu"] depuis le douzième siècle, c’était un soufflet de forge mis en mouvement par une crémaillère à poids de pierre, qu’on avait ajusté à la cage à [corrige "du"] feu en 1610. [paragraphe en addition de deuxième niveau, ajoutée à la suivante]
À ces antiques phares-là, l’aventure des oiseaux de mer était plus tragique qu’aux phares actuels. Les oiseaux y accouraient, attirés par la clarté, s’y précipitaient et tombaient dans le brasier où on les voyait sauter, [faux départ: "agonisant"] espèces d’esprits ["d'esprits..." corrige "de démons"] noirs agonisant dans cet enfer ; et parfois ils retombaient hors de la cage rouge sur le rocher, fumants, boiteux, aveugles, comme hors d’une flamme de lampe des mouches à demi brulées. [paragraphe en addition]
[Les trois premières lignes du paraagraphe sont écrites en surcharge d'un texte au crayon.] À un navire en manœuvre, pourvu de toutes ses ressources de gréement, et maniable au pilote, le phare des Casquets est utile. Il crie : gare ! il avertit de l’écueil. A un navire désemparé il n’est que terrible. La coque, paralysée et inerte, ["poisson sans nageoires, oiseau sans ailes,": addition barrrée et reportée plus loin] sans résistance contre le plissement insensé de l’eau, sans défense contre la pression [corrige "l'aventure"; de même à la copie] du vent, poisson sans nageoires, oiseau sans ailes, ["poisson...": addition] ne peut qu’aller où le souffle la pousse [en sc. sur +]. [faux départ: "C'est l"] Le phare lui montre l’endroit suprême [corrige "inexorable"], signale le lieu de [oublié et ajouté] disparition, fait le jour sur [corrige "éclaire"] l’ensevelissement. Il est [corrige "C'est"] la chandelle du sépulcre.
Éclairer l’ouverture inexorable ["de l'ombre" d'abord mis entre barres verticale, puis barré], avertir de l’inévitable, ["avertir...": addition] pas de plus tragique [+: correction abandonnée] ironie.
Cette mystérieuse dérision ajoutée [corrige "mêlée"] au naufrage, les misérables en détresse sur la Matutina la comprirent tout de suite. L’apparition [en sc. sur "La + "] du phare les releva d’abord, puis les accabla. Rien à faire, rien à tenter. [faux départ: "Ce que les poët"] Ce qui a été dit des rois peut se dire des flots. On est leur peuple ; on est leur proie ["on est leur proie" corrige une première rédaction d'abord encadrée de barres verticales, puis barrée]. Tout ce qu’ils délirent, on le subit. Le noroit drossait l’ourque sur les Casquets. On y allait. Pas de refus possible. On dérivait [en sc. peut-être cursive sur "avançait"] rapidement vers le récif. On sentait monter le fond ; la sonde, si on [f° 101, O4. Trait d'interruption.] eût pu mouiller utilement [ajouté] une sonde ["mouiller..." corrige "la jeter"], n’eût pas donné plus de trois ou quatre brasses. Les naufragés [faux départ: "pouv"] écoutaient les sourds engouffrements de la vague [corrige "lame"] dans les hiatus sous-marins du profond rocher. Ils distinguaient au-dessous du phare, comme une tranche obscure, ["comme une...": rétabli après suppression cursive pour déplacement] entre deux ["hautes" barré"] lames de granit, ["comme une tranche obscure," rayé pour rétablissement du premier jet] la passe étroite de l’affreux petit hâvre sauvage qu’on devinait plein de squelettes d’hommes et de carcasses de navires. C’était une bouche d’antre, plutôt qu’une entrée de port. Ils entendaient le pétillement du haut bûcher dans sa cage de fer, une pourpre hagarde illuminait [en sc. sur "incendiait"] ["une pourpre..." corrige une première rédaction plusieurs fois corrigée: "une pourpre lugubre ["corrigé "funeste" corrigé "horrible"] ensanglantait [corrigé "se mêlait à"]"] la tempête, la rencontre de la flamme et de la grêle [en sc. sur "neige"] troublait la brume, la nuée noire et la fumée rouge combattaient, ["la nuée noire...": addition] serpent contre serpent, ["serpent contre serpent,": ajout à l'addition précédente] un arrachement de braises volait au vent, et les flocons de neige ["flocons de neige": corrige "grêlons blancs [encadré de traits verticaux]" qui corrige "flocons"] semblaient prendre la fuite devant cette brusque attaque d’étincelles. Les brisants [corrige "rochers"], estompés d’abord, se dessinaient maintenant nettement, fouillis ["noir" rayé] ["de pics et" barré en correction cursive] de roches, avec des pics, des crêtes et des vertèbres. Les angles se modelaient par de vives lignes vermeilles ["lignes..." corrige "traînées de feu"], et les plans inclinés par de sanglants glissements de clarté. À mesure qu’on avançait, le relief de l’écueil croissait et montait, sinistre. ["Ils subissaient la fascination de ce grandissement [corrigé par +]. Ils regardaient effarés. Il y a du vertige dans l'approche." Ces trois lignes sont encadrées de barres verticales avant d'être rayées.]
Une des femmes, l’irlandaise, dévidait [corrige
"égrenait"] éperdument son rosaire. [paragraphe
ajouté; pour le sens, il remplace le précédent rayé.]
[Trait d'interruption.]
A défaut du patron, qui était le pilote, restait le chef, qui était le capitaine. Les basques savent tous la montagne et la mer. Ils sont hardis aux précipices et inventifs dans ["la tempête" barré en correction cursive] les catastrophes.
On arrivait, on allait toucher. On fut tout à coup si près de la grande roche du nord des Casquets, que, subitement ["que, subitement," corrige "qu' "] elle éclipsa [addition ou correction d'un ou deux mots, barrée] le phare. On ne vit plus qu’elle, et de la lueur derrière. Cette roche debout dans la brume ressemblait à une grande femme ["femme" en sc. sur "forme"(?)] ["grande femme" corrige "géante"] noire avec une coiffe de feu.
Cette roche mal famée se nomme le Biblet. Elle contrebute au septentrion ["contrebute..." corrige "garde au nord"] l’écueil qu’un autre récif, l’Etacq aux Guilmets, contrebute [corrige "garde"] au midi.
Le chef regarda le Biblet, et cria : ["Cette roche mal famée..." se substitue à
"Le chef cria:"]
— Un homme de bonne [sans doute oublié, ajouté] volonté pour porter un grelin au brisant ! Y a-t-il ici quelqu’un qui sache nager ?
Pas de réponse. [corrige "Pas une voix ne répondit." qui corrige, en correction cursive, "Personne ne répondit."]
Personne à bord ne savait nager, pas même [f° 102. Pas de numérotation alphabétique, signe soit d'un oubli, soit d'une réfection très tardive du folio -mais la copie n'en porte aucune trace.] les matelots ; ignorance du reste ["ignorance..." rétabli après correction en "bizarrerie"] fréquente chez les gens de mer.
Une hiloire à peu près détachée de ses liaisons ["détachée..." corrige "déboitée"] oscillait dans le bordage. Le chef l’étreignit de ses deux poings, et dit :
— Aidez-moi.
On déracina [corrige "arracha"] l’hiloire. On l’eut à sa disposition pour en faire ce qu’on voudrait. De défensive elle devint offensive. ["On l'eut...": addition]
C’était une assez longue poutre, toute en cœur de chêne, ["toute en coeur...": addition; de même à la copie] saine [corrige "droite"] et robuste, pouvant servir d’engin d’attaque et ["d'engin...": addition] de point d’appui ; levier contre un fardeau, bélier contre une tour.
— [en sc. sur faux départ: "Ils"] En garde [en sc sur "arrêt"] , cria le chef.
Ils se mirent six, arcboutés au tronçon du mat, tenant l’hiloire horizontale hors du bord ["hors..." ajouté] et droite comme une lance devant la hanche de l’écueil.
La manœuvre était périlleuse. Donner une poussée à une montagne [corrige "roche"], c’est une audace. Les six hommes pouvaient être jetés à l’eau [corrige "la mer"] du contrecoup.
Ce sont là les diversités de la lutte des ["dans les": correction abandonnée] tempêtes. Après [faux départ: "le vent, le granit"] la rafale, l’écueil ; après le vent, le granit. On a affaire tantôt à l’insaisissable, tantôt à l’inébranlable.
Il y eut une de ces minutes pendant lesquelles les cheveux blanchissent ["de ces minutes..." corrige "minute d'anxiété terrible"].
L’ [en sc. curssive sur "Les"] écueil et le navire, on allait s’aborder.
Un rocher est un patient. Le récif attendait.
Une houle accourut, désordonnée. Elle mit fin à l’attente. Elle prit le navire en dessous, le souleva et le balança un moment, comme la [en sc. sur "une"] fronde balance le projectile [corrige "un caillou"].
— Fermes ! cria le chef. Ce n’est qu’un rocher, nous sommes des hommes.
La poutre était en arrêt. Les six hommes ne faisaient qu’un avec elle. Les chevilles pointues ["chevilles..." corrige "clous"] de l’hiloire leur labouraient les aisselles, mais ils ne les sentaient point.
La houle jeta l’ourque contre le roc. [paragraphe ajouté]
Le choc eut lieu [corrige "se fit"]. [signe d'alinéa à faire ajouté] [faux départ: "sous le nuage d'écume"]
Il eut lieu [corrige "se fit"] sous l’informe [corrige "le hideux"] nuage d’écume qui cache toujours ces péripéties.
Quand ce nuage tomba à la mer, quant l’écart se refit entre la vague et le rocher, les six hommes roulaient sur le pont ; mais la Matutina fuyait [en sc. sur +] le long du brisant. La poutre avait tenu bon, et déterminé une déviation. En quelques secondes [corrige "une minute,"], le glissement de la lame étant effréné [corrige "furieux"], les [f° 103, P4; f° 104 blanc] Casquets furent derrière l’ourque. La Matutina pour l’instant, était hors de péril immédiat ["pour l'instant..." résulte d'une série de corrections. Rédaction initiale: "était sauvée", corrigé au crayon "hors d'angoisse", corrigé au crayon puis à l'encre "hors de péril immédiat", ajout de "pour l'instant"].
Cela arrive. C’est [corrige "Ce fut"] un coup droit du [variante sans choix: "de", barré à la copie] beaupré dans la falaise qui sauva Wood de Largo à l’embouchure du Tay. ["Wodd..." en surcharge sur une ligne au crayon: "+ + + (chercher le fait)"] Dans les rudes parages du cap Winterton, et sous le commandement du capitaine Hamilton, c’est [corrige "ce fut"] par une manœuvre de levier pareille contre le redoutable [en sc. sur +] rocher Brannodu um que sut échapper au naufrage la Royale-Marie, bien que ce ne fût qu’une frégate de la façon d’Ecosse. La vague est une force si soudainement décomposée que les diversions y sont faciles, possibles du moins, même dans les chocs les plus violents. Dans la tempête il y a de la brute ; l’ouragan c’est le taureau, et l’on peut lui donner le change. ["Dans la tempête..." remplace "Dans l'ouragan [variante "l'ouragan"] il y a du taureau; et il semble qu'on puisse donnr le change à cette brusquerie de la tempête." qui corrige "Dans la tempête il y a du taureau et il semble qu'il soit possible de lui donner le change."]
Tâcher de passer de la sécante à la tangente, tout le secret d’éviter le naufrage est là.
C’est ce service que l’hiloire avait rendu au navire [", devenu épave" corrigé "qui + + +", le tout barré]. Elle avait fait office d’aviron ; elle avait tenu lieu de gouvernail. Mais cette manœuvre libératrice était une fois faite ; on ne pouvait la recommencer. La poutre était à la mer ["à la mer" corrige "à vau l'eau"]. La dureté du choc l’avait fait sauter hors des mains des hommes par [en sc. sur "et au"] dessus le bord, et elle s’était perdue dans le flot. Desceller une autre charpente, c’était disloquer la membrure. [phrase ajoutée]
L’ouragan remporta la Matutina. Tout de suite les Casquets semblèrent à l’horizon un encombrement inutile. Rien n’a l’air décontenancé comme un écueil en pareille occasion. Il y a dans la nature, du côté de l’inconnu, là où le visible est ["le plus": addition abandonnée] compliqué d’invisible, de hargneux [corrige "lugubres"] profils immobiles que semble indigner une proie lâchée.
Tels furent les ["Tels..." corrige "Telle fut la rude figure des"] Casquets pendant que la Matutina s’enfuyait.
Le phare reculant [ajouté], ["blanchit," barré"] pâlit, blêmit, puis s’effaça. [première rédaction: "Le phare pâlit dans le brouillard, et s'effaça."]
Cette extinction fut morne [corrige "lugubre"]. Les épaisseurs de brume se superposèrent sur ce flamboiement devenu diffus. Le rayonnement [corrige "La flamme"] se délaya dans l’immensité mouillée [corrige +]. La flamme flotta, lutta, s’enfonça, perdit forme. On eût dit une noyée. [La flamme flotta..." remplace trois lignes, corrigées, barrées. On distingue "nuage de neige en lambeaux faisait des plis de linceul + + + sous un haillon de sépulcre"] Le brasier devint ["un" barré] lumignon, ce ne fut plus qu’un ["ce ne fut..." corrige "puis"] tremblement blafard [en sc. sur "rougeâtre"] et vague. Tout autour s’élargissait un cercle de lueur extravasée. C’était comme [corrige "On eût dit"] un écrasement de lumière au fond de la nuit. ["Cela fit dans le brouillard l'effet d'une mort d'étoile." barré] ["Cette extinction...": addition]
La cloche, qui était une menace, s’était tue ; le phare, qui était une menace, s’était évanoui. Pourtant, [encadré de barres verticales, ensuite raturées] quand ces deux menaces eurent disparu, ce fut plus terrible. L’une était une voix, l’autre était un flambeau [corrige "une torche" qui corrige +]. ["L'une était...": phrase ajoutée] Elles avaient quelque chose d’humain. Elles de moins, resta l’abîme. [Cette phrase, ajoutée, se substitue à deux lignes barrées en même temps que leurs corrections: "La + est hideuse [en sc sur "+ est +"] [correction ou addition inférieure: "+ est pire."] L'ourque se retrouva face à face avec l'obscurité insurmontable. L'obscurité, c'est" suite au f° suivant.]
[f° 105, Q4. Trait d'interruption.]
L’ourque se retrouva à vau l’ombre dans ["à vau l'ombre" corrige "face à face avec"; de même à la copie où "face à face avec" est d'abord corrigé en "en perdition dans"] l’obscurité incommensurable. ["L'obscurité, c'est" barré. Ces deux lignes, reprises de la fin du folio précédent, ont été ajoutées pour assurer la jonction avec la suite du texte. Le début du texte de première rédaction est encadré et barré à grands traits; il sera repris au f° 92.]
[La première ligne de la rédaction initiale n'a pas été lue; elle commence par "l' ". Puis: "On ne sent plus l'homme, on sent l'infini ["l'homme..." variante sans choix: "la terre; on sent [l'article manque] autre réalité"]. On est à la discrétion de l'ignoré. La nuit est une présence. Présence de qui?"
[Trait d'interruption.]
"Dans l'ombre inifnie et indéfinie il y a quelque chose, ou quelqu'un, de vivant, mais ce qui est vivant là fait partie de notre mort. Après notre passage terrestre, quand cette ombre sera pour nous de la lumière, la vie qui est au delà de notre vie nous saisira. En attendant il semble qu'elle nous tâte. ["Il y a dans" barré en correction cursive] L'obscurité est [ajouté] une pression. La nuit est une sorte de main mise sur notre âme. A de certaines heures ["solennelles et" barré en correction cursive] hideuses et solennelles nous sentons ce qui est derrière le mur du tombeau ["le mur ..." corrige "le tombeau"] empiéter sur nous.
Jamais cette proximité de l'inconnu n'est plus ["mystérieusement" barré] palpable que dans la détresse des tempêtes nocturnes [variable sans choix: "en mer"]. ["On sent dans" barré] Ce mystère, à chaque instant, se complique d' ["se complique d'": addition correctrice] on ne sait quels changements de volonté, apparents ou réels.
Les poëtes ont de tout temps appelé [en sc. sur "nommé"] cela le caprice des flots.
Mais le caprice n'existe pas.
Les choses déconcertantes que nous nommons, dans la nature, caprice, et dans la destinée, hasards, sont des tronçons de loi entrevus."]
La Matutina, échappée aux Casquets, dévalait de houle en houle. ["Répit plein d'angoisse." barré, peut-être en correction cursive] Répit, mais dans le chaos ["le chaos" corrige "du gouffre"]. Poussée [corrige "Prise"] en travers par le vent [corrige "la bise"], maniée par les mille tractions de la vague, elle répercutait [en sc. sur +] toutes les oscillations folles du flot. Elle n’avait presque [ajouté] plus de tangage, signe redoutable de l’agonie d’un navire. [phrase en addition] Les épaves n’ont que du roulis. Le tangage est la convulsion de la lutte. Le gouvernail seul peut prendre le vent debout.
Dans la tempête, et surtout dans le météore [corrige "la trombe"] de neige, la mer et la nuit finissent par se fondre et s’amalgamer, et par ne plus faire qu’une fumée. Brume, tourbillon, souffle, glissement dans tous les sens, aucun point d’appui, aucun lieu de repère, aucun temps d’arrêt, un perpétuel recommencement ["un perpétuel..." corrige + qui corrige "profond recul noir", déplacé], une trouée après l’autre, nul horizon visible, profond recul noir, l’ourque voguait là-dedans,
Se dégager des [corrige "+ les" en sc. sur +
+] Casquets, éluder l’écueil [en sc.
sur +], cela avait été pour les naufragés une victoire. Mais
surtout une stupeur. Ils n’avaient point poussé de hurrahs ; en mer, ["en mer," ajouté] on ne fait pas deux fois
de ces imprudences-là [au dessous, "+ de la
sorte", variante abandonnée?] . [f° 106, R4.
Trait d'interruption.] Jeter la provocation là où l'on ne
jetterait pas la sonde, c’est grave. [phrase
ajoutée. L'ajout détermine l'inscription du signe d'un alinéa à faire.
De même à la copie.]
L’écueil repoussé [corrige "Les Casquets repoussés"], ["le récif rejeté à l'horizon," barré] c’était de l’impossible accompli. Ils en étaient pétrifiés. Peu à peu pourtant ils se remettaient à espérer. Telles [VH a oublié de corriger le féminin] sont les insubmersibles ["les insubmersibles" en sc. sur "+" qui corrige "ces inexprimables" [en sc. sur +]] mirages [corrige "lueurs"(?)] de l’âme. Pas de détresse [en sc. sur "misère"(?)] qui, même à l’ ["à l' " en sc. cursive sur "au mo"] instant le plus critique [corrige "tragique"], ne voie blanchir dans ses profondeurs l’inexprimable [correction abandonnée: "le vague"] lever de l’espérance. Ces malheureux [en sc. sur "misérables"] ne demandaient pas mieux que de s’avouer qu’ils étaient sauvés. Ils avaient en eux ce bégaiement.
Mais un grandissement formidable [corrige "terrible"(?)] se fit tout à coup dans la nuit. A babord surgit, se dessina [corrige "s'ébaucha"] et se découpa sur le fond de brume une haute masse opaque, ["carrée," rayé, sans doute en correction cursive pour la correction abandonnée: "cubique,"] verticale, [ajouté] à angles droits, une tour carrée de l’abîme ["de l'abîme" corrige "de la +"] ["tour carrée..." corrige "ressemblance de (ou du) tombeau"].
Ils regardèrent, béants.
La rafale les poussait vers cela.
Ils ignoraient [en sc. cursive sur "ne savaient"] ce que c’était. C’était le rocher Ortach.
L’écueil recommençait. Après les Casquets, Ortach. La tempête n’est point une artiste; elle est brutale et toute puissante, [addition abandonnée de trois ou quatre mots] et ne varie pas ses moyens.
L’obscurité n’est pas [en sc. sur "point"] épuisable. Elle n’est jamais à bout de pièges et de perfidies ["de pièges..." corrige trois ou quatre mots, eux-mêmes corrigés ou augmentés par "de chausses trappes"]. L’homme, lui, est vite à l’extrémité de ses ["l'extrémité..." corrige "bout de"] ressources. L’homme se dépense ["vite" barré], [virgule ajoutée] le gouffre non ["le grouffre.." peut-être ajouté].
Les naufragés se tournèrent vers le chef, leur espoir. Il ne put que hausser les épaules ; morne dédain ["morne dédain" corrige "dédain lugubre"] de l’impuissance ["; morne dédain..." corrige [", et demeurer" barré en correction cursive] ", et demeura inerte [en sc. sur +; corrigé "morne" corrigé "lugubre"]] .
Un pavé au milieu de l’océan [en sc. sur "la mer"], c’est le rocher Ortach. L’écueil Ortach ["sort de l'eau" barré], tout d’une pièce, au-dessus du choc contrarié des houles, ["L'écueil Ortach..." corrige "Il part(?) du + des vagues [corrigé +] et"] monte droit à quatrevingt [corrige "quarante"; de même à la copie] pieds de haut. Les vagues et les navires s’y brisent. ["Il n'est hospitalier qu'aux oiseaux." barré] Cube immuable ["et géométrique [en sc. sur +]" barré] , ["Cube...": addition] il plonge à pic ses ["immuables"(?) barré] plans rectilignes dans les innombrables courbes serpentantes de la mer.
[Trait d'interruption. Sa présence confirme l'interprétation donnée des lignes au crayon surchargées par le texte : ici les quatre lignes du paragraphe qui suit sont écrites en surcharge d'autant de lignes au crayon. On y distingue: "angoisse", "le ressac", "de les sauver", "il prend"]
La nuit il figure [corrige "ressemble à"] un billot énorme posé sur les plis d’un grand drap noir. Dans la tempête, il attend le coup de hache, qui est le coup de tonnerre.
Mais jamais de coup de tonnerre dans la trombe de neige. Le navire, il est vrai, a le bandeau sur les yeux ; toutes les ténèbres sont nouées sur lui. Il est prêt comme un supplicié. ["nouées...": ligne ajoutée, modifiant la jonction au folio suivant. "Il est prêt comme un supplicié." est donc une addition; elle est portée par VH à la copie] [f° 107, S4. Deux traits d'interruption.] ["nouées [", sur lui": addition]." le tout barré] Quant à la foudre, qui est une fin prompte, il ne faut point l’espérer.
La Matutina [en sc. cursive sur "Le nav"], n’étant [en sc. sur "n'était"] plus qu’un échouement flottant, [point corrigé en virgule; "Elle" barré] s’en alla vers ce rocher-ci comme elle était allée vers l’autre. Les infortunés [corrige "malheureux"], qui s’étaient un moment crus sauvés, rentrèrent dans l’angoisse. Le naufrage, qu’ils avaient laissé derrière eux, reparaissait devant eux. L’écueil ressortait du fond de la mer. Il n’y avait rien de fait.
[Trait d'interruption. Le changement d'écriture est perceptible.]
Les Casquets sont un gaufrier à mille compartiments, l’Ortach est une muraille. Naufrager aux Casquets, c’est être déchiqueté ; naufrager à l’Ortach, c’est être broyé.
Il y avait une chance [corrige "espérance"] pourtant. [paragraphe ajouté]
Sur les fronts droits, et l’Ortach est un front droit, la vague, pas plus que le boulet, n’a de ricochets. Elle est réduite au jeu simple. C’est le flux, puis le reflux. Elle arrive lame et revient houle.
Dans des cas pareils, la question de vie et de mort se pose ainsi : si la lame conduit le bâtiment ["conduit..." corrige "porte le navire"] jusqu’au rocher, elle l’y brise, il est perdu ; si la houle revient avant que le [en sc. cursive sur +] bâtiment ait touché, elle le remmène [corrige "remporte" en sc. sur +], il est sauvé.
Anxiété poignante. Les naufragés apercevaient dans la pénombre le grand flot suprême venant à eux. Jusqu’où allait-il les traîner [en sc. sur "conduire"] ? Si le flot brisait au navire [corrige "à l'ourque"], ils étaient roulés au roc et fracassés. S’il passait sous le navire [corrige "l'ourque"]…
Le flot passa sous le navire.
Ils respirèrent.
Mais quel retour allait-il avoir ? Qu’est-ce que le ressac ferait d’eux ?
Le ressac les remporta.
Quelques minutes après, la Matutina était hors des eaux de l’écueil. L’Ortach s’effaçait ["dans la brume" barré] comme les Casquets s’étaient effacés.
C’était la deuxième victoire. Pour la seconde fois l’ourque était arrivée au bord du naufrage, et avait reculé à temps.
[Trait d'interruption.]
Cependant un épaississement de brume [corrige "nuée"] s’était abattu sur ces malheureux [corrige "les misérables"] en dérive. Ils [faux départ: "voyaient"] ignoraient où ils étaient. Ils voyaient à peine [f° 108, T4] à quelques encablures autour de l’ourque. Malgré une véritable lapidation de grêlons qui les forçait tous à baisser la tête ["et à se préserver comme d'une mitraille" barré], les femmes s’étaient obstinées à ne point redescendre dans la cabine. Pas de désespéré qui ne veuille naufrager à ciel ouvert. Si près de la mort, il semble qu’un plafond au dessus de soi est un commencement de cercueil.
La vague, de plus en plus gonflée, devenait courte. La turgescence du flot indique un étranglement ; dans le brouillard, de certains bourrelets de l’eau [dans le brouillard...": addition; elle se substitue à "elle"] signalent [corrige "signale"] un détroit. En effet, à leur insu, ils côtoyaient Aurigny. Entre Ortach et les Casquets au couchant et Aurigny au levant, la mer est resserrée et gênée, et l’état de malaise pour la mer détermine localement ["détermine..." corrige ""c'est"] l’état de tempête [rétabli après correction en +]. La mer souffre comme autre chose, et là où elle souffre, elle s’irrite. ["La mer souffre...": addition; addition également à la copie, mais de la main de la copiste, donc faite avant la collation.] Cette passe est redoutée.
La Matutina était dans cette passe.
Qu’on s’imagine [corrige "se figure"] sous l’eau ["sous l'eau": addition] une écaille de tortue grande comme le Champ de Mars [variante sans choix reportée de la copie: "Hyde-Park ou les Champs-Elysées"; à la copie, VH barre "Champ de Mars" et le remplace par "Hyde Park ou les Champs Elysées"] , et dont chaque strie est un bas fond et dont chaque bossage est un récif. Telle est l’approche ouest d’Aurigny. La mer recouvre et cache cet appareil de naufrage. [phrase ajoutée] Sur cette carapace [un mot, peut-être "d'écueils", barré, peut-être en correction cursive] de brisants sous-marins, la vague, déchiquetée, saute et écume ["saute et ..." corrige "clapote"; de même à la copie]. Dans le calme, clapotement ; dans ["la tempête" barré en correction cursive] l’orage, chaos.
Cette complication nouvelle, les naufragés la remarquaient sans se l’expliquer. Subitement ils la comprirent. Une pâle [en sc. sur "vague"(?)] éclaircie se fit au zénith, un peu de blêmissement se dispersa [corrige "tomba"] sur la mer, cette lividité [corrige "lueur"] démasqua à babord un long barrage [un mot rayé, peut-être "noir"] en travers à l’Est ["à l'Est" corrige "sur l'horizon"], et vers [en sc sur +] lequel se ruait, chassant le navire devant elle, la poussée du vent. Ce barrage était Aurigny. [On peut estimer qu'au moment d'ajouter le paragraphe suivant, VH a oublié de rayer cette phrase. Elle subsiste à la copie et dans toutes les éditions.]
Qu’était-ce que ce barrage ? Ils tremblèrent. Ils eussent bien plus tremblé encore si une voix leur eût répondu : Aurigny.
Pas d’île défendue contre la venue de l’homme comme Aurigny. Elle a sous l’eau et hors de l’eau une garde féroce dont Ortach est la sentinelle. A l’ouest, Burhou, Sauteriaux, Anfroque, Niangle, Fond-du-croc, les Jumelles, la Grosse, la Clanque, les Eguillons, le Vrac, la Fosse Malière ; à l’est, Sauquet, Hommeau Floreau, la Brinebetais, la Queslingue, Croquelihou, la Fourche, le Saut, Noire Pute, Coupie, Orbue. Qu’est-ce que tous ces monstres ? des hydres ? oui, de l’espèce écueil.
Un de ces récifs s’appelle le But, comme pour indiquer que tout voyage finit là.
Cet encombrement d’écueils, simplifié par l’eau et la nuit, apparaissait aux naufragés sous la forme d’une simple bande obscure [corrige "à l'horizon"], sorte de rature noire sur l’horizon. ["Qu'était-ce que ce barrage?...": addition]
Le naufrage, c’est l’idéal de l’impuissance. Être près de la terre et ne pouvoir l’atteindre, flotter, et ne pouvoir voguer, avoir le pied sur quelque chose qui paraît [en sc. sur "semble"] solide et qui est fragile, être plein de vie et plein de mort en même temps, être prisonnier des étendues, être muré entre le ciel et l’océan, avoir sur soi l’infini comme un cachot, avoir autour de soi l’immense évasion des souffles et des ondes, et être ["pris" barré, peu-être en correction cursive] saisi, garrotté, paralysé, [garrotté..." ajouté] cet accablement stupéfie et ["stupéfie et" ajouté] indigne. On croit y entrevoir [corrige "Il semble qu'on y entrevoie"] [f° 109, U4. Trait d'interruption.] le ricanement du combattant inaccessible. ["le ricannement..." corrige "un ricannement."] Ce qui vous tient, c’est cela même qui lâche les oiseaux et met en liberté les poissons. Cela ne semble rien et c’est tout. On dépend de cet air qu’on trouble avec ["trouble avec" corrige "rejette de"] sa bouche, on dépend de cette eau qu’on prend dans le creux de sa main. Puisez de cette tempête [corrige "eau"] plein un verre, ce n’est plus qu’un peu d’amertume. Gorgée, c’est une nausée ; houle, c’est l’extermination [corrige "la mort"]. ["Le grain de sable dans le désert ["dans le désert" rétabli après correction en "simoun"(?)] la bulle d'écume dans le cyclone, sont des" barré en correction cursive] Le grain de sable dans le désert, le flocon [corrige "la bulle"] d’écume dans l’océan, sont des manifestations vertigineuses [corrige "terrifiantes"]: ["l'infini" barré en correction cursive] la toute puissance ne prend pas la peine de cacher son atôme, elle fait la faiblesse force, elle emplit de son tout le néant, et c’est avec l’infiniment petit que l’infiniment grand vous écrase. C’est avec des gouttes que l’océan vous broie. On se sent jouet. ["Puisez de cette tempête...": addition; elle reprend et corrige les deux dernières phrases de la rédaction initiale: "La goutte [en sc. sur "vague"] + la vague [en sc. sur "goutte"]. On se sent jouet."]
Jouet, quel mot terrible !
La Matutina était un peu au-dessus d’Aurigny, ce qui était favorable ; mais dérivait vers la pointe nord, ce qui était fatal. La bise nord-ouest, comme un arc tendu décoche [en sc. sur "lance"] une flèche, lançait [en sc. sur "décochait"] le navire vers le cap septentrional. Il existe à cette pointe, un peu en deçà du Hâvre des Corbelets, [", un peu en deçà...": addition] ce que les marins de l’archipel normand appellent « un singe ».
Le singe, — swinge —, est un courant de l’espèce furieuse. Un chapelet ["de bas fonds" barré en correction cursive] d’entonnoirs dans les bas fonds produit dans les vagues un chapelet de tourbillons. Quand l’un vous lâche l’autre vous reprend. Un [en sc. sur "Le"] navire, happé par le singe, roule ainsi de spirale en spirale jusqu’à ce qu’une roche aigue ouvre la coque. Alors le batiment crevé [ajouté] s’arrête, l’arrière sort des vagues [corrige "des lames" qui corrige "de l'eau"], l’avant plonge, le gouffre achève son tour de roue, l’arrière s’enfonce [ponctuation rayée] et tout se referme. Une flaque d’écume s’élargit et flotte, et l’on ne voit plus ["sur la lame" barré en correction cursive] ["que quelques" barré en correction cursive] ["cà et là" barré en correction cursive] à la surface de la lame que quelques bulles çà et là, venues des respirations étouffées sous l’eau ["sous l'eau" a été encadré de barres verticales ensuite rayées] . ["venues des..." correction abandonnée : "indiquant qu'il y a sous l'eau des personnes étouffées."]
Dans toute la Manche, les trois singes les plus dangereux sont le singe qui avoisine le fameux banc de sable Girdler Sands, le singe qui est à [en sc. cursive de "entre"] Jersey entre le Pignonnet et la pointe de Noirmont, et le singe d’Aurigny. [Ce paragraphe en addition se substitue à "Tel est le singe."]
[Trait d'interruption.]
Un pilote local, qui eût été à bord de la Matutina [corrige "l'épav"], eût averti les naufragés de ce nouveau péril. A défaut de pilote ils avaient l’instinct ; [point corrigé en point-virgule, mais VH oublie la majuscule à "Dans"] dans les situations extrêmes il y a une seconde vue. [virgule et minuscule corrigées] De hautes torsions d’écume s’envolaient le long de la côte dans le pillage frénétique du vent. C’était le crachement du singe. Nombre de barques ont chaviré dans cette embuche. Sans savoir ce qu’il y avait là, ils approchaient avec horreur.
Comment doubler ce cap ? Nul moyen.
[f° 110, V4. Deux et peut-être trois traits d'interruption.]
["Alors ce fut le tour du vent. Tout à l'heure le flot avait fait la péripétie, maintenant ce fut la bise. Brusquement le vent sauta.
Le suroit remplaça le noroit." Ces deux paragraphes, encadrés et barrés à grands traits, sont repris plus loin.]
De même qu’ils avaient vu surgir les Casquets, puis surgir Ortach, a présent ils voyaient se dresser la pointe d’Aurigny, toute de haute roche. C’était [correction en "C'étaient" rayée] comme des géants l’un après l’autre. Série de duels effrayants.
Charybde et Scylla ne sont que deux ; les Casquets, Ortach et Aurigny sont trois. [paragraphe ajouté à l'addition qui suit; addition à la copie]
Le même phénomène d’envahissement de l’horizon par l’écueil se reproduisait avec la monotonie grandiose du gouffre. Les batailles de l’océan ont, comme les combats d’Homère, ce rabâchage sublime.
Chaque lame, à mesure qu’ils approchaient, [", à mesure...": ajouté] ajoutait vingt coudées au cap affreusement [en sc. sur "horriblement"] amplifié dans la brume. La décroissance d’intervalle semblait [en sc. sur "était"] de plus en plus irrémédiable. Ils touchaient à la lisière du singe. Le premier pli ["du gouffre" encadré de barres verticales puis rayé] qui les saisirait les entraînerait. Encore un flot franchi, tout était fini.
Soudain ["ement ils sentirent" barré d'un seul trait] l’ourque fut [ajouté] repoussée [corrige "rejetée"] en arrière comme par le [en sc. sur "un"] coup de poing d’un titan ["d'un titan" ajouté]. La houle se cabra sous le navire et se renversa, rejetant l’épave [corrige "le navire"] dans sa crinière d’écume. La Matutina, sous cette impulsion, [", sous cette...": ajouté] s’écarta d’Aurigny. ["La Matutina...": phrase ajoutée]
Ce hochet de l'agonie se retrouva au large.
D’où arrivait [corrige "venait"] ce secours ? Du vent. ["Du vent." ajouté] [Ce paragraphe est en addition.]
["Le vent venait de changer [en sc. sur "sauter"] ." rayé]
Le souffle de l’orage venait de se déplacer. [Ce paragraphe est ajouté d'une autre encre que la précédente addition, mais de la même qui a barré la ligne ci-dessus, corrigé "venait" en "arrivait" et qui a ajouté "Du vent."]
[Dans l'interligne, au crayon, le chiffre "15" raturé]
Le flot avait joué d’eux, maintenant c’était le tour du vent. [faux départ: "Devant Ortach les"] Ils s’étaient dégagés eux-mêmes des Casquets ; mais devant Ortach la houle avait fait la péripétie ; devant Aurigny ce fut la bise. Il y avait eu ["avait eu" corrige "avait"] subitement [ajouté; en sc. sur "brusquement"] une saute du septentrion au midi.
Le suroit [en sc. sur "noroit"] avait succédé au [corrige "remplacé le"] noroit.
Le courant, c’est le vent dans l’eau ; le vent, c’est le courant dans l’air ; ces deux forces venaient de se contrarier, et le vent avait eu le caprice de retirer sa proie au courant. [paragraphe en addition]
[Deux traits d'interruption, peut-être trois.]
Les brusqueries de l’océan [corrige "l'abîme"] sont obscures. Elles sont le perpétuel peut-être. Quand on est à leur merci, on ne peut ni espérer, ni désespérer. Elles font, puis défont. L’océan s’amuse. Toutes les nuances de la férocité fauve sont dans cette vaste et sournoise mer, que Jean Bart appelait « la grosse bête ». C’est le coup de griffe avec les intervalles voulus ["les intervalles..." corrige "des intervalles"] de patte de velours. [f° 111, X4. Trait d'interruption.] Quelquefois la tempête bâcle le naufrage ; quelquefois elle le travaille avec soin ; on pourrait presque dire elle le caresse. La mer a le temps. Les agonisants s’en aperçoivent. [phrase ajoutée]
Parfois, disons-le, ces ralentissements dans le supplice annoncent la délivrance. Ces cas sont rares. Quoi qu’il en soit, les agonisants croient vite au salut, le moindre apaisement dans les menaces de l’orage leur suffit, ils s’affirment à eux-mêmes qu’ils sont hors de péril, ["ils déclarent la catastrophe évitée [en sc. sur "finie"]," rayé] après s’être crus ensevelis [corrige "morts"], ils prennent acte de leur résurrection, ils acceptent fiévreusement ce qu’ils ne possèdent [corrige "tiennent"] pas encore, ["ils acceptent...": ajouté] tout ce que la mauvaise chance contenait est épuisé ["est épuisé" corrige ", ils l'ont eu"], c’est évident [corrige "fini"], ils se déclarent satisfaits, ils sont sauvés, ils tiennent Dieu quitte. Il ne faut point trop se hâter de donner de ces reçus à l’Inconnu.
[Trait d'interruption; changement d'écriture.]
Le suroit débuta en tourbillon. Les naufragés n’ont jamais que des auxiliaires bourrus. La Matutina fut impétueusement traînée au large par ce qui lui restait d’agrès comme une morte par les cheveux. Cela ressembla à ces délivrances accordées par Tibère à prix de viol. Le vent brutalisait ceux [rétabli après correction en "ces malheureux"] qu’il sauvait. Il leur rendait service avec fureur. Ce fut du secours sans pitié.
L’épave, dans ce rudoiement libérateur, acheva de se disloquer. [paragraphe ajouté]
Des grêlons, gros et durs à charger un tromblon, criblaient le ["pauvre" barré] bâtiment [en sc. sur "navire"]. A tous les ["tous les" corrige "chaque"] renversements ["s" ajouté] du flot, ces grêlons [corrige "ils"] roulaient ["du pont dans" barré en correction cursive] sur le pont comme des billes. L’ourque, presque entre deux eaux, perdait toute forme sous les retombées de vagues et sous les effondrements d’écumes. Chacun dans le navire, songeait à soi.
Se cramponnait qui pouvait. Après chaque paquet de mer ["paquet..." corrige "lame"], on avait la surprise de se retrouver tous. Plusieurs avaient le visage déchiré par des éclats de bois. [phrase ajoutée]
[f° 112, Y4] Heureusement le désespoir a les poings solides. Une main d’enfant dans l’effroi a une étreinte de géant [correction "d'+" abandonnée]. L’angoisse fait un étau avec des doigts de femme. Une jeune fille qui a peur ["qui a peur" aouté] enfoncerait ses ongles roses dans du fer. [phrase ajoutée] Ils s’accrochaient, se tenaient, se retenaient. Mais toutes les vagues leur apportaient l’épouvante du balaiement ["du balaiement" corrige "d'être balayés"].
Soudainement [corrige "Subitement" lui-même en sc. sur "Tout à coup"; même correction à la copie de "Subitement" en "Soudainement" ] ils furent ["se sentirent": correction abandonnée] soulagés.
L’ouragan venait de s’arrêter court.
Il n’y eut [en sc. sur "avait"] plus dans l’air ["ni noroit" barré en correction cursive] ni suroit, ni noroit. Les clairons forcenés de l’espace [corrige "du zénith"] se turent [en sc. sur "s'arrêtèrent"(?)]. La trombe sortit du ciel, sans diminution préalable ["sortit du ciel...." corrige "s'évanouit [corrige "cessa"] sans diminution préalable" qui corrige "avait cessé"] , sans transition, et comme si elle-même avait glissé à pic dans un gouffre. On ne sut plus où elle était. [phrase ajoutée] Les flocons remplacèrent [corrige "avaient remplacé"] les grêlons. La neige recommença [corrige "recommençait"] à tomber lentement.
Plus de flot. ["Soudainement" barré] La mer s’aplatit [corrige "venait de s'aplatir"].
Ces soudaines [corrige "subites"] cessations sont propres aux bourrasques de neige. L’effluve électrique épuisée, tout se tranquillise, même la vague, qui, dans les tempêtes ordinaires, conserve souvent une longue agitation. Ici point. Aucun prolongement de colère dans le flot. Comme un travailleur après une fatigue le flot s’assoupit ["Comme un travailleur..." corrige "Il s'apaise presque"] immédiatement, ce qui dément presque les lois de la statique, mais n’étonne point les vieux pilotes, car ils savent que tout l’inattendu est dans la mer.
["Ce phénomène a lieu même, mais très-rarement, dans les tempêtes ordinaires. Ainsi, de nos jours, lors du mémorable ouragan du 27 juillet 1867, à Jersey, le vent, après quatorze heures de furie, tomba tout de suite au calme plat." paragraphe absent du ms et de la copie.]
Au bout de quelques minutes, l’ourque n’avait plus autour d’elle qu’une eau [en sc. su "mer"] endormie [corrige "apaisée]. ["Ces soudaines cessations...": addition]
En même temps, car la dernière phase ressemble à la première, on ne distingua plus rien. Tout ce qui était devenu visible dans les convulsions des nuages météoriques [ajouté] redevint trouble [corrige "obscur"], les silhouettes blêmes ["de l'abîme" barré] se fondirent en délaiement diffus ["délaiements diffus" corrige "ténèbres"], et le sombre de l’infini ["et le sombre de l'infini" corrige "et l'immense sombre de l'infini"] se rapprocha de toutes parts du navire. Ce mur de nuit, cette occlusion ["Ce mur..." corrige "Cette muraille"] circulaire ["faite de nuit" en sc? sur + et barré], ce dedans de cylindre ["Ce mur de nuit..." addition de deuxième niveau qui se substitue à "Ce cirque"] dont le diamètre décroissait de minute en minute, enveloppait la Matutina, et avec la lenteur sinistre d’une banquise [en sc. sur +] qui se ferme, se rapetissait formidablement. ["Ce cirque dont le diamètre...": addition de premier niveau] Au zénith, rien, un couvercle de brume, une clôture. L’ourque était comme au fond du puits de l’abîme. ["Au zénith...": addition de deuxième niveau ajoutée à la précédente.] ["Ce mur de nuit..." se substitue à sept lignes corrigées barrées à grands traits. On distingue d'abord la fin de la phrase "se rapprocha de toutes parts du navire": "comme un cirque de ténèbres." Puis: " + d'ombre. Calme. Silence. Aveuglement. ["L'ourque" barré en correction cursive] Le brouillard n'avait plus de trouées. On ne sait quelle muraille de nuit [corrigé "de ténèbres"] + + +. Au zénith, rien, ["une tombe" barré] un couvercle de brume, une clôture ["un couvercle...": ajouté]. L'ourque était comme au fond du puits de l'abîme."]
Dans ce puits, une flaque de plomb liquide, c’était la mer. L’eau ne bougeait plus. Immobilité morne ["Immobilité..." corrige "Stagnation formidable" [corrigé "lugubre"]]. L’océan n’est jamais plus farouche qu’étang.
["La Matutina était dans une boîte d'ombre." rayé]
[f° 113, Z4. Trait d'interruption.] Tout était silence, apaisement [corrige "taciturnité" qui corrige "calme"], aveuglement.
Le silence des choses est peut-être [des choses..." corrige "des éléments ressemble à"(?)] de la taciturnité. [paragraphe ajouté]
Les derniers clapotements glissaient le long du bordage [corrige "navire"]. Le pont était horizontal avec des déclivités insensibles ["avec des..." ajouté]. Quelques dislocations remuaient faiblement [corrige "à peine"]. La coque de grenade, qui tenait lieu de fanal, et où brulaient des étoupes dans du goudron, ne se balançait plus au beaupré et ne jetait plus de gouttes enflammées dans la mer. Ce qui restait de souffle dans les nuées n’avait plus de bruit. La neige tombait épaisse, molle [corrige "douce" qui corrige "tranquille"], à peine oblique. On n'entendait l'écume d'aucun brisant. Paix de ténèbres.
[Trait d'interruption.]
Ce repos, après ces exaspérations [corrige "fureurs" qui corrige "rages"] et ces paroxysmes [corrige "fureurs"(?)], fut pour les malheureux [corrige "misérables"] si longtemps ballottés ["si longtemps..."corrige "en détresse"] un indicible bien-être. [faux départ: "Cela leur fit"] Il leur sembla qu'ils cessaient d'être mis à la ["à la" corrige "en"(?)] question. Ils entrevoyaient [corrige "crurent entrevoir"] autour d'eux et au-dessus d'eux ["autour..." corrige "dans l'abîme"] un consentement à les sauver. Ils reprirent confiance. Tout ce qui avait été furie était maintenant tranquillité. [La phrase corrige une phrase similaire: "Tout l' + + + + "était tranquillité."] Cela leur parut [corrige "Cela leur fit l'effet d' "] une paix signée. Leurs poitrines misérables se dilatèrent. Ils pouvaient lâcher le bout de corde ou de planche qu'ils tenaient, se lever, se redresser, se tenir debout, marcher, se mouvoir. Ils se sentaient inexprimablement calmés. Il y a, dans la profondeur obscure, de ces effets de paradis, préparation à autre chose ["préparation..." est encadré de barres verticales supprimées à la copie]. Il était clair [corrige probablement, par sc. des trois mots, "Ils se disaient"] qu'ils étaient bien décidément hors de la rafale [en sc. sur "tempête"], hors de l'écume, hors des souffles, hors des rages, délivrés.
[faux départ: "Le jour se lèverait"] On avait désormais [ajouté] toutes les chances pour soi. Dans trois ou quatre ["trois..." corrige "quelques"] heures le jour se lèverait, on serait aperçu par quelque navire passant, on serait recueilli. Le plus fort était fait. On rentrait dans la vie. [phrase ajoutée; de même à la copie] L'important, c'était d'avoir pu ["atteindre" ou "attendre" barré en correction cursive] se soutenir sur l'eau jusqu'à la cessation de la tempête. ["On avait désormais...": addition] Ils se disaient : Cette fois, c'est fini [", c'est la vie" barré; de même à la copie].
Tout à coup ils s'aperçurent que c'était fini en effet [", et que c'était la mort" barré; de même à la copie] .
Un des matelots, le basque du Nord, nommé Galdeazun ["le basque..." corrige "l'espagnol, nommé Carcagente"], descendit, pour chercher du câble ["pour chercher..." corrige "comme pris d'une idée subite"], dans la cale, puis remonta et dit :
— La cale est pleine.
— De quoi ? demanda le chef.
— D'eau, répondit le matelot.
Le chef cria :
— Qu'est-ce que cela veut dire ?
— Cela veut dire, répliqua Galdeazun [en sc. sur "Carcagente"], que dans [corrige "qu'avant"] une demi-heure nous allons sombrer.
Il y avait une crevasse [corrige "un trou"] dans la quille. Une voie d’eau s’était faite. A quel moment ? Personne n’eût pu le dire. Était-ce en accostant les Casquets ? Était-ce devant Ortach ? Était-ce dans le clapotement des bas-fonds de ["l'approche" barré en correction cursive] l’ouest d’Aurigny ? Le plus probable, c’est qu’ils avaient touché le singe. Ils avaient reçu ["en traître": addition abandonnée] un obscur [corrige "lugubre"] coup de boutoir ["sournois" addition abandonnée]. Ils ne s’en étaient point [corrige "pas"] aperçus au milieu de la ["au milieu de la" corrige "dans les + du vent et des vagues"] survente convulsive qui les secouait. Dans le tétanos on ne sent pas une piqûre. [Ce paragraphe est une addition. Elle se substitue à deux paragraphes encadrés et barrés à grands traits:
" Ils avaient oublié la voie d'eau.
Au milieu des secousses convulsives des rafales, ils n'avaient pas songé à ce péril, le grand masquant [corrige "cachant"] le moindre. Dans le tétanos on + + + une piqûre."]
[f° 114, A5. Traits d'interruption.]
L’autre matelot, le basque du Sud, ["le basque...": ajouté] qui s’appelait Ave-Maria, fit à son tour la descente de la cale, revint, et dit :
— L’eau dans la quille est haute de deux [en sc. sur "trois"] vares.
Environ six [en sc. sur +] pieds. [paragraphe ajouté]
Ave-Maria [corrige "Il"] ajouta :
— Avant quarante minutes, nous coulons.
["Quand s'était faite cette voie d'eau? on ne savait," barré] Où était cette voie d’eau ["Où était..." corrige "où était-elle"]? on ne la voyait pas. Elle était noyée. Le volume d’eau qui emplissait la cale cachait cette fissure [corrige "blessure"]. [phrase ajoutée] Le navire avait un trou au ventre, quelque part, sous la flottaison [corrige "sous l'eau"], fort [corrige "très"] avant sous la carène [corrige "quille"]. Impossible de l’apercevoir. Impossible de le boucher ["le boucher" rétabli après correction non lue]. On avait une plaie et l’on ne pouvait la panser. L’eau du reste n’entrait pas très vite.
Le chef cria :
— Il faut pomper. [remplace en correction cursive une autre réplique, barrée]
Galdeazun répondit :
— Nous n’avons plus de pompe.
— Alors, repartit [corrige "reprit"] le chef, gagnons la terre. [ ["Quand s'était faite cette voie d'eau?...": addition. Elle est écrite d'une autre encre que le reste du folio et se substitue à:
" Le chef cria:
— Gagnons la terre.
Galdeazun [en sc. sur "Carcagente"] répondit:"]
— Où, la terre ?
— Je ne sais.
— Ni moi.
— Mais elle est quelque part.
— Oui [", dit Galdeazun" barrré].
— Que quelqu’un nous y mène, reprit [en sc. sur "dit"] le chef.
— Nous n’avons pas de pilote, dit Galdeazun [", dit Galdeazun": rétabli après suppression].
— Prends la barre, toi.
— Nous n’avons plus de barre.
— Bâclons-en une avec la première poutre venue. Des clous. Un marteau. Vite. Des outils !
— La baille de charpenterie est à l’eau. Nous n’avons plus d’outils. ["— Prends la barre...": addition]
— Gouvernons tout de même, n’importe où !
— Nous n’avons plus [en sc sur "pas"] de gouvernail.
— Où est le canot ? jetons-nous-y. Ramons !
— Nous n’avons plus de canot.
— Ramons sur ["dans" correction abandonnée] l’épave.
— Nous n’avons plus d’avirons.
— A la voile alors !
— Nous n’avons plus de voile, et plus de mat.
— Faisons un mat avec une hiloire, faisons une voile avec un prélart. Tirons-nous de là. Confions-nous au vent !
— Il n’y a plus de vent.
[Trait d'interruption.]
Le vent en effet les avait quittés. La tempête s’en était allée, et ce départ, qu’ils avaient pris pour leur salut, était leur perte. Le suroit en persistant les eût frénétiquement [corrige "furieusement"] poussés à quelque rivage, eût gagné de vitesse la voie d’eau, ["il les eût échoués," barré en correction cursive] les eût portés peut-être à un bon banc de sable propice, et les eût échoués avant qu’ils eussent sombré. Le rapide emportement de l’orage eût pu leur faire prendre terre. Point de vent, plus d’espoir. Ils mouraient de l’absence d’ouragan.
[Trait d'interruption.]
[changement d'écriture] La situation suprême apparaissait ["se dessinait" correction abandonée].
[f° 115, B5]
Le vent, la grêle, la bourrasque [corrige "rafale"], le tourbillon, sont des combattants désordonnés [ajouté] qu’on peut vaincre. La tempête ["a des défauts à son armure" barré en correction cursive] peut être prise au défaut de l’armure. On a des ressources contre la violence qui se découvre sans cesse, se meut à faux ["se meut..." corrige "fait des faux pas"], et frappe souvent à côté. Mais rien à faire contre le calme. Pas un relief qu’on puisse saisir.
Les vents sont une attaque de cosaques ; tenez bon, cela se disperse. Le calme, c’est la tenaille du bourreau.
L’eau, sans hâte, mais sans interruption, irrésistible et lourde, montait dans la cale, et à mesure qu’elle montait, le navire descendait. Cela était très lent. [Ces deux paragraphes sont en addition, mais pas de la même plume.]
Les naufragés de la Matutina sentaient peu à peu s’entrouvrir sous eux la plus désespérée [correction abandonnée: "farouche"] des catastrophes, la catastrophe inerte. [faux départ de trois mots] La certitude ["sinistre et" barré en correction cursive] tranquille et sinistre du fait inconscient ["du fait..." corrige "de la mort" qui corrige +, qui corrige "des choses"] les tenait. L’air n’oscillait pas, la mer ne bougeait pas. L’immobile, c’est l’inexorable. L’engloutissement [+ corrigé en "imperturbable", le tout barré] les résorbait en silence. A travers l’épaisseur de ["l'obscur" barré en correction cursive] l’eau muette [en sc. sur +], sans colère, sans passion, ["sans passion,': ajouté] sans le vouloir, ["sans le vouloir," remplace "sans hâte,"] sans le savoir, sans y prendre intérêt, ["sans y...": ajouté] le fatal [corrige +] centre du globe les attirait. L’horreur, au repos, se les amalgamait. [phrase ajoutée à l'addition qui suit] Ce n’était plus la gueule béante [en sc. sur "ouverte"] du flot, la double mâchoire du coup de vent et du coup de mer, méchamment [en sc. sur "furieusement"] [" +, et" barré] menaçante, le rictus de la trombe, l’appétit écumant de la houle ; c’était [faux départ: "on ne sait q"] sous ces misérables on ne sait quel ["ténébreux" barré] bâillement noir [ajouté] de l’infini. Ils se sentaient entrer dans une profondeur paisible qui était la mort. La quantité de bord ["de bord" en sc. sur + +] que le navire [en sc. sur "l'épave"] avait hors du flot s’amincissait ["et décroissait" barré], voilà tout. On pouvait calculer à quelle minute elle s’effacerait. ["Ce n'était plus la gueule...": addition] C’était tout le contraire de la submersion par la marée montante. L’eau ne montait pas vers eux, ils descendaient vers elle. Le creusement de leur tombe venait d’eux-mêmes. Leur poids était le fossoyeur.
Ils étaient exécutés, non par la loi des hommes, mais par la loi des choses.
La neige tombait, et comme l’épave ne remuait plus, cette charpie blanche faisait sur le pont une nappe et couvrait le navire d’un suaire.
La cale allait s’alourdissant. Nul moyen de franchir la voie d’eau. ["Nul moyen...": addition correctrice qui se substitue à plusieurs lignes, corrigées: "La voie d'eau était maintenant(?) au dessous de la flottaison. ["Nul moyen de la voir." ajouté] Nul moyen de l'étouper. ["Nul moyen de la franchir." ajouté] Ils n'avaient plus de pompe."] Ils n’avaient pas même une pelle d’épuisement, qui d’ailleurs eût été illusoire [corrige "dérisoire"] et d’un emploi impraticable, l’ourque étant pontée. On s’éclaira ; on alluma trois ou quatre torches qu’on planta dans des trous et comme on put. ["On s'éclaira...": addition] Galdeazun apporta quelques [corrige "un"] vieux seaux [mis au pluriel] de cuir ; ils entreprirent [corrige "essayèrent"] d’étancher la cale ["avec ce[s] sceau[x]," rayé] et firent la chaîne ; mais les seaux étaient hors de service, le cuir des uns était décousu, le fond des autres était crevé, et les seaux se vidaient en chemin ["les sceaux étaient hors..." corrige "le cuir était décousu et le seau se vidait en chemin"]. [f° 116, C5] L’inégalité était dérisoire entre ce qu’on recevait et ce qu’on rendait. Une tonne d’eau entrait, un verre d’eau sortait. On n’eut pas d’autre réussite. C’était une dépense d’avare essayant d’épuiser sou à sou un million.
Le chef dit [en sc. sur "cria"] :
— Allégeons l’épave !
[Au-dessus de l'addition qui suit, "19" corrigé "18" au crayon, barré à l'encre rouge]
Pendant [en sc. sur "Dans"] la tempête on avait amarré les quelques coffres qui étaient sur le pont. Ils étaient restés liés au tronçon du mât. ["Pendant la tempête..." addition correctrice de "Quelques coffres amarrés au tronçon de mât étaient restés sur le pont."] On défit les amarres, et on roula les coffres ["'et on roula..." corrige "et on les poussa"] à l’eau par une des brèches du bordage. Une de ces valises [corrige "Un de ces coffres"] appartenait à la femme basquaise qui ne put retenir ce soupir :
— Oh ! ma cape neuve doublée d’écarlate ! oh ! mes pauvres bas en dentelle d’écorce de bouleau ! Oh ! mes pendeloques d’argent pour aller à la messe du mois de Marie !
Le pont déblayé, restait la cabine. Elle était [quelques mots, corrigés, barrés] fort encombrée. Elle contenait, on s’en souvient, [", on s'en...": ajouté] des bagages qui étaient aux passagers et des ballots qui étaient aux ["hommes d'équipage" barré] matelots. ["Le pont déblayé...": addition]
On prit les bagages, et on se débarrassa de tout ce chargement par la brèche du bordage. ["On prit les bagages..." corrige "On prit dans la cabine les bagages et on les précipita par la brèche du bordage ["et on les..." corrigé en "+ + + s'en alla aux vagues"]."]
["On acheva de vider la cabine." rayé et déplacé]
On retira les ballots, et on les poussa [en sc. sur "jeta"] à l’océan. ["On retira..." corrige "On en tira les ballots, et on les poussa dehors."]
On acheva de vider la cabine. [paragraphe ajouté]
La lanterne, le chouquet, les barils, les sacs, les bailles et les charniers, ["et la + du cuisinier" addition barrée] la marmite avec la soupe, tout alla aux flots. ["La lanterne..." corrige "On mit [en sc sur "poussa"] dehors la lanterne, le chouquet et la marmite avec la soupe."]
On dévissa les écrous du fourneau de fer éteint depuis longtemps, on le descella, on le hissa [corrige "monta"] sur le pont, on le traîna jusqu’à la brèche, et on le précipita hors du navire ["hors du navire" corrige "au flot"].
On envoya à l’eau tout ce qu’on put arracher du vaigrage, des porques, des haubans, et du gréement fracassé.
De temps en temps le chef [corrige "un d'eux"] prenait une torche, ["et regardait" barré en correction cursive] la promenait sur les chiffres d’étiage peints à l’avant du navire, et ["mesurait" barré en correction cursive] regardait où en était le naufrage. [paragraphe en addition]
L’épave, allégée, s’enfonçait un peu moins, mais s’enfonçait toujours.
Le désespoir de la situation n’avait plus ni ressource, ni palliatif. On avait épuisé le dernier expédient. [paragraphe en addition; il se substitue à "Le chef demanda:"]
— Y a-t-il encore quelque chose à jeter à la mer ? cria le chef. ["cria...": ajouté]
Le docteur, auquel personne ne songeait plus, sortit d’un angle du ["d'un angle..." corrige + + + qui corrige "de l'ombre du"] capot de cabine, et ["répondit:" barré en correction cursive] dit :
— Oui.
["— Quoi?
— Notre crime." barré et remplacé par les trois premières lignes du folio suivant.]
[f° 117, D5. Probablement mise au net.]
— Quoi , demanda le chef.
Le docteur répondit :
— Notre crime.
Il y eut un frémissement, et tous crièrent :
— Amen.
Le docteur, debout et blême, leva un doigt vers le ciel, et dit :
— A genoux.
Ils chancelaient, ce qui est le commencement de l’agenouillement.
Le docteur reprit : ["Ils chancelaient..." addition correctrice de:
"Le docteur fit un signe de croix, et reprit:"]
— Jetons à la mer nos crimes. Ils pèsent sur nous. C’est là ce qui enfonce le navire. Ne songeons plus au sauvetage, songeons au salut. [phrase ajoutée] Notre dernier crime [corrige "Le dernier"] surtout, celui que nous avons commis, ou, pour mieux dire, complété [", ou pour mieux...": addition] tout à l’heure, misérables qui m’écoutez, il nous accable. C’est une insolence impie de tenter l’abîme quand on a l’intention d’un meurtre ["l'intention..." corrige "le commencement d'un forfait"] derrière soi. Ce qui est fait contre un enfant est fait contre Dieu. Il fallait s’embarquer, je le sais, mais c’était la perdition [corrige "mort"] certaine. La tempête, avertie par l’ombre que notre action a faite, est venue. C’est bien. ["Nous allons mourir.": addition abandonnée] Du reste ne regrettez rien. Nous avons là, pas loin de nous, dans cette obscurité, les sables de Vauville ["les sables de Vauville" corrige "la mase(?) de Dobourgh"(?) qui corrige "les sables de Carteret"] et la Cap la Hougue. C’est la France. Il n’y avait [corrige "Nous n'avions"] qu’un abri possible, l’Espagne. La France ne nous est pas moins dangereuse [en sc. sur "hostile" qui corrige "ennemie"] que l’Angleterre. Notre délivrance de la mer eût abouti au gibet. Ou pendus, ou noyés ; nous n’avions pas d’autre option ["pas d'autre..." corrige "que ce choix"]. Dieu a choisi ["a choisi" corrige "a opté" qui corrige "l'a fait"] pour nous. Rendons-lui grâce. Il nous accorde la tombe qui lave. Mes frères, l’inévitable était là. ["là." corrige "en nous"] Songez que c’est nous qui tout à l’heure avons fait notre possible pour envoyer là haut quelqu’un, cet enfant, et qu’en ce moment-ci même, à l’instant [en sc sur "la minute"] où je parle, il y a peut-être au dessus de nos têtes une âme qui nous accuse devant un juge qui nous regarde. Mettons à profit le sursis ["le sursis" en sc. sur + +] suprême. Efforçons-nous [corrige "Tâchons"], si cela se peut encore, de réparer dans tout ce qui dépend de nous, le mal que nous avons fait. Si l’enfant nous survit, venons-lui en aide. S’il meurt, tâchons qu’il nous pardonne. Ôtons de dessus nous notre forfait. ["Si l'enfant nous...": addition] [f° 118, E5. Trait d'interruption.] Déchargeons de ce poids nos consciences. Tâchons que nos âmes ne soient pas englouties devant Dieu, car c’est le naufrage terrible. Les corps vont aux poissons, les âmes aux démons. Ayez pitié de vous. A genoux, vous dis-je. Le repentir, c’est la barque qui ne se submerge pas. Vous n’avez plus [en sc sur "pas"] de boussole ? Erreur. ["boussole? Erreur." corrige "boussole, croyez-vous. Vous vous trompez."] Vous avez la prière.
[Trait d'interruption; changement d'encre et de graphie.]
Ces loups devinrent moutons. Ces transformations se voient dans l’angoisse ["extrême" en sc sur "suprême", le tout barré]. Il arrive que les tigres lèchent le crucifix. Quand la porte sombre s’entrebaille, croire est difficile, ne pas croire est impossible. Si imparfaites que soient les diverses ébauches de religion essayées par l’homme, ["Si imparfaites...": ajouté] même quand la croyance est informe, même quand le contour du dogme ne s’adapte point aux linéaments de l’éternité entrevue, il y a, à la minute suprême, [", à la minute...": ajouté; cette addition est portée en marge, en aide-mémoire, avant d'être placée dans le texte] un tressaillement d’âme. Quelque chose commence après la vie. Cette pression est sur l’agonie.
L’agonie est une échéance. A cette seconde fatale, on sent sur soi la responsabilité diffuse. Ce qui a été complique ce qui sera. Le passé revient et rentre dans l’avenir. Le connu devient abîme aussi bien que l’inconnu, et ces deux précipices, l’un où l’on a ses fautes, l’autre où l’on a son attente, mêlent leur [un mot lui-même corrigé avant rature du tout en correction cursive] réverbération. C’est cette confusion des deux gouffres qui épouvante le mourant. [paragraphe en addition]
Ils avaient fait [oublié et ajouté] leur dernière dépense d’espérance du côté de la vie. C’est pourquoi ["C'est pourquoi" ajouté] ils se tournèrent de l’autre côté ["de l'autre côté" en sc. sur "du côté de la mort"]. Il ["Ils n'avaient plus" barré en correction cursive] ne leur restait plus de chance que dans cette ombre. Ils le comprirent ["tout de suite" barré quasi cursivement]. Ce fut un éblouissement lugubre, [corrige un point] ["Ce que l'on" barré en correction cursive] tout de suite suivi d’une rechute d’horreur. Ce que l’on comprend dans l’agonie ressemble à ce qu’on aperçoit [corrige "voit"] dans l’éclair. Tout, puis rien. On voit, et l’on ne voit plus. Après la mort, l’œil se rouvrira [corrige "rouvre"], et ce qui a été un éclair deviendra [corrige "devient"] un soleil.
Ils crièrent au docteur :
— Toi ! Toi ! il n’y a plus que toi. Nous t’obéirons. Que faut-il faire ? parle.
Le docteur répondit : [corrige un faux départ: "— Il s'agit de savoir"]
— Il s’agit ["d'atteindre" barré en correction cursive] de passer par dessus le précipice inconnu et d’atteindre l’autre bord de la vie, qui est au delà du tombeau. Étant celui qui sait le plus de choses, ["Etant celui...": ajouté] je suis le plus en péril de vous tous. Vous faites bien de laisser le choix du pont ["le choix du pont" est barré puis réécrit au-dessus] à celui qui porte le fardeau le plus lourd. ["le choix du pont." barré] [VH a d'abord écrit "Vous faites bien de laisser le choix du pont à celui qui porte le fardeau le plus loud." puis "Vous faites bien de laisser à celui qui porte le fardau le plus lourd le choix du pont." puis est revenu à la première rédaction.]
Il ajouta :
— La science pèse sur la conscience. ["Il ajouta...": addition à l'addition qui suit; addition autographe à la copie]
Puis [ajouté] il reprit :
— Combien de temps nous reste-t-il encore ?
Galdeazun regarda à [corrige "consulta"] l’étiage et répondit :
— Un peu plus d’un quart d’heure.
— Bien, dit le docteur. ["Puis il reprit...": addition]
Le toit bas [en sc. cursive sur "du"] du capot, où il s’accoudait, faisait une espèce de table. Le docteur prit dans [en sc. sur "tira de"] sa [f° 119, F5. Trait d'interruption.] poche son écritoire et sa plume, et son [en sc. sur "un"] portefeuille d’où il tira un ["portefeuille...": ajouté] parchemin, le même sur le revers duquel il avait écrit, quelques heures auparavant, une ["assez longue page" barré en correction cursive] vingtaine de lignes tortueuses et serrées ["tortueuses...": ajouté].
— De la lumière, [corrige + + +] dit-il.
La neige, tombant comme une écume de cataracte ["tombant comme..." corrige "de plus en plus épaisse"], avait éteint les torches l’une après l’autre. Il n’en restait plus qu’une. Ave-Maria la déplanta [corrige "prit"], et vint se placer debout, tenant cette torche haute, à côté du docteur. ["La neige, tombant...": addition; elle se substitue au texte initial: "Ave-Maria prit une torche [addition de plusieurs mots, le dernier est "allumée"] et vint se placer debout, la torche haute, à côté du docteur."]
Le docteur remit le portefeuille dans sa poche, ["remit le...": ajouté] posa sur le capot [VH écrit "cabot" par inadvertance et corrige la copie qui a reproduit l'erreur.] la plume et l’encrier, déplia le parchemin, et dit :
— Écoutez.
[Trait d'interruption. Changement d'écriture.]
Alors, au milieu de la mer, [deux mots barrés sans doute en correction cursive] sur ce ponton décroissant, sorte de plancher tremblant du tombeau, commença, gravement [corrige "lentement et lugubrement"] faite par le docteur, une lecture que toute l’ombre semblait écouter. Tous ces condamnés baissaient la tête autour de lui. Le flamboiement de la torche accentuait ["hideusement" qui corrige "lugubrement", le tout barré] leurs pâleurs. Ce que lisait le docteur était écrit en anglais [en sc. sur +, peut-être "français"]. ["Ce que lisait...": addition] [deux mots barrés, sans doute en correction cursive] Par intervalles, quand un de ces regards lamentables [corrige "désespérés"] paraissait [en sc. sur "semblait"] désirer un éclaircissement, le docteur s’interrompait et répétait, soit en français, ["soit en français,": ajouté] soit en espagnol [corrige cursivement "langue basque"], ["soit en langue espagnole, le passage" barré en correction cursive] soit en basque, soit en italien, le passage qu’il venait de lire. On entendait des sanglots étouffés [ajouté] et des coups sourds frappés sur les poitrines. L’épave continuait de s’enfoncer.
La lecture achevée, le docteur posa le parchemin à plat ["à plat": ajouté] sur le capot, saisit la plume ["et signa + + au bas de ce qu'il avait écrit. Il avait ménagé une marge blanche.
Puis, se tournant vers les autres et leur tendant la plume, il dit:
—Signez." encadré et barré à grands traits. Le déroulé du texte permet de considérer cette suppression, malgré sa longueur, comme une correction cursive.]
et, sur une marge blanche ménagée au bas de ce qu’il avait écrit, il signa :
DOCTOR GERNARDUS GEESTEMUNDE.
Puis, se tournant vers les autres ["et leur tendant la plume" barré] , il dit :
— Venez, et signez.
La basquaise approcha, prit la plume, et signa ASUNCION.
Elle passa la plume à l’irlandaise qui, ne sachant pas écrire, fit une croix.
[f° 120, G5]
Le docteur, à côté de cette croix, écrivit :
— BARBARA FERMOY, de l’île Tyrryf, dans les Ebudes.
Puis il tendit la plume au chef de la bande.
Le chef signa GAÏZDORRA, captal.
Le gênois, au-dessous du chef, signa GIANGIRATE.
Le ["provençal" barré en correction cursive] languedocien signa JACQUES QUATOURZE, dit le narbonnais.
Le provençal signa LUC-PIERRE CAPGAROUPE, du bagne de Mahon.
Sous ces signatures, le docteur écrivit [corrige "mit"] cette note :
— De trois hommes d’équipage, le patron ayant été enlevé par un coup de mer, il ne reste que deux, et ont signé.
Les deux matelots mirent leurs noms au dessous de cette note. Le basque du nord signa GALDEAZUN. Le basque du sud signa AVE-MARIA, voleur.
Puis [en sc. sur "Cela fait,"] le docteur dit :
— Capgaroupe.
— Présent, dit le provençal.
— Tu as la gourde de Hardquanonne ?
— Oui.
— Donne-la-moi.
Capgaroupe but la dernière gorgée d’eau de vie et tendit [corrige "remit"] la gourde au docteur.
La crue intérieure du flot s’aggravait. L’épave entrait de plus en plus dans la mer. Les bords du pont en plan incliné étaient couverts d’une mince lame rongeante, qui grandissait. [Ce paragraphe résulte de plusieurs additions et corrections à la rédaction initiale: "L'épave enfonçait. Il n'y avait plus de flottaison hors de l'eau. Une mince lame de mer recouvrait(?) les plans inclinés du pont."]
Tous s’étaient groupés sur la tonture du navire. [paragraphe ajouté]
Le docteur sécha l’encre des signatures au feu de la torche, plia le parchemin à plis plus étroits que le diamètre du goulot, et l’introduisit dans la gourde. Il cria :
— Le bouchon.
["Capgaroupe lui remit le bouchon." barré en correction cursive]
— Je ne sais où il est, dit Capgaroupe [", mais voici un bout de funin" barré et remplacé par la réplique suivante].
— Voici un bout de funin, dit Jacques Quatourze.
[f° 121, H5. Trait d'interruption.]
Le docteur boucha la gourde avec ce funin, et dit :
— Du goudron.
Galdeazun alla à l’avant, ["boucha avec" rayé en correction cursive] appuya un étouffoir d’étoupe sur la grenade à brûlot qui s’éteignit [corrige "s'éteignait"], la décrocha de l’étrave [corrige "du beaupré"] , et l’apporta au docteur, à demi pleine de goudron bouillant.
Le docteur plongea le goulot de la gourde dans le goudron, et l’en retira.
La gourde, qui contenait le parchemin signé de tous, était bouchée et goudronnée.
— C’est fait, dit le docteur.
Et de toutes ces bouches sortit, vaguement bégayé en toutes langues ["en toutes langues" ajouté], le brouhaha lugubre des catacombes.
— Ainsi soit-il !
— Meâ culpâ !
— Asi sea !(1) [(1)— Ainsi-soit il !]
— Aro raï !(2) [(2)— A la bonne heure (patois roman).] [ces notes en marge, d'une écriture différente]
— Amen !
[Trait d'interruption.]
On eût cru entendre se disperser dans les ténèbres, devant l’effrayant [corrige "le sombre(?)"] refus céleste de les entendre, les sombres voix de Babel.
Le docteur tourna le dos à ses compagnons de [faux départ: "détresse"] crime et de détresse, et fit quelques pas vers le bordage. Arrivé au bord de l’épave, il regarda dans l’infini et dit avec un accent profond ["et funèbre [corrigé +]" le tout rayé] :
— Bist du bei mirh ?(1) [(1)— Es-tu près de moi ? ["(allemand)" barré, de même à la copie] ]
Il parlait probablement à quelque spectre. [changement de graphie]
L’épave s’enfonçait. [paragraphe ajouté]
Derrière le docteur tous songeaient [corrige "se recueillaient"]. La prière est une force majeure. Ils ne se courbaient pas, ils ployaient. ["La prière...": addfition] Il y avait de l’involontaire dans leur contrition. [phrase en addition, d'une autre plume que la précédente] ["Ce groupe lamentable fléchissait" corrigé en correction quasi-cursive] Ils fléchissaient comme se flétrit [corrige "tombe"] une voile à qui la brise manque, et ce groupe hagard [en sc. sur "lamentable"; en marge, les lettres "hag", barrées, indiquent une hésitation sur le mode de la correction à faire] prenait peu à peu, par la jonction des mains et par l’abattement des fronts, l’attitude, diverse, mais [", mais" corrige "et"] accablée, de la confiance désespérée en Dieu ["de la confiance..." corrige "de la prière"]. On ne sait quel reflet vénérable, venu de l’abîme, s’ébauchait [corrige "était"] sur [s'ébauchait sur": correction abandonnée: "blanchissait"] ces faces scélérates.
Le docteur revint vers eux ["vers eux" ajouté; de même à la copie]. Quel que fût son passé, ce vieillard était grand ["dans" barré en correction cursive] en présence [f° 122, I5] du dénoûment. La vaste réticence environnante le préoccupait sans le déconcerter. C’était l’homme [corrige "celui"] qui n’est pas pris au dépourvu. Il y avait sur lui ["du dénouement. ..." est l'aboutissement d'une série de corrections et d'additions enchevêtrées. La rédaction initiale a dû être: "en présence de l'abîme formidable. Il y avait sur lui...". Puis: "en présence de la vaste réticence de l'abîme. Il y avait sur lui...". Puis: "en présence du dénouement. La vaste réticence de l'ombre le préoccupait sans le déconcerter. Il y avait sur lui..."] de l’horreur tranquille. La majesté de Dieu compris était sur son visage.
Ce bandit vieilli et pensif [corrige "Il"] avait, sans s’en douter, la posture pontificale.
Il dit :
— Faites attention.
Il considéra un moment l’étendue [corrige "l'obscurité"] ["lugubre" barré] , et ajouta :
— Maintenant nous allons mourir.
Puis il prit la torche des mains d’Ave-Maria, et la secoua.
Une flamme s’en détacha, et s’envola dans la nuit.
Et le docteur jeta la torche à la mer.
La torche s’éteignit. Toute clarté s’évanouit [corrige "disparut"]. Il n’y eut plus que l’immense ombre inconnue. Ce fut quelque chose comme la tombe se fermant.
Dans cette éclipse [corrige "obscurité"] on entendit le [corrrige "la voix grave du"] docteur qui disait :
— Prions.
Tous se mirent à genoux.
Ce n’était déjà plus dans la neige, c’était dans l’eau qu’ils s’agenouillaient.
Ils n’avaient plus que quelques minutes.
Le docteur seul était resté debout. [faux départ: "La neige en s'arrêtant"] Les flocons de neige, en s’arrêtant sur lui, l’étoilaient de larmes blanches, et le faisaient visible sur ce fond d’obscurité ["et le faisaient..." corrige "et faisaient visible sur ce fond de ténèbres sa haute stature noire"]. On eût dit la statue parlante des ténèbres. [phrase ajoutée]
Le docteur [faux départ: "éleva la voix"] fit un signe de croix, et éleva la voix pendant que sous ses pieds commençait cette oscillation presque indistincte qui annonce l’instant où une épave va plonger [en sc. sur "sombrer"]. Il dit : ["Il dit:" ajouté"]
— Pater noster qui es in cœlis [", dit le docteur" barré].
Le provençal répéta en français :
— Notre père qui êtes aux cieux.
L’irlandaise reprit en langue galloise, comprise de la femme basque :
— Ar nathair ata ar neamh.
[f° 123, J5. Deux traits d'interruption au bas du folio.]
Le docteur continua :
— Sanctificetur nomen tuum.
— Que votre nom soit sanctifié, dit le provençal.
— ["Naomth" barré en correction cursive] Naomhthar hainm, dit l’irlandaise.
— Adveniat regnum tuum, poursuivit le docteur.
— Que votre règne arrive, dit le provençal.
— Tigeadh do rioghachd, dit l’irlandaise.
Les agenouillés avaient de l’eau jusqu’aux épaules. Le docteur reprit :
— Fiat voluntas tua.
— Que votre volonté soit faite, balbutia [finalement choisi après plusieurs corrections en surcharge, dont "murmura"] le provençal.
Et l’irlandaise et la basquaise ["et la basquaise" ajout qui provoque la correction de "jeta"] jetèrent ce cri :
— Deuntar do thoil ar an Hhalàmb !
— Sicut in cœlo, sicut in terra, dit le docteur.
Aucune [corrige "Pas une"] voix ne lui répondit.
Il baissa les yeux. Toutes les têtes étaient sous l’eau. Pas un ne s’était levé. Ils s’étaient laissé noyer à genoux.
Le docteur prit dans sa main droite la gourde qu’il avait déposée sur le capot, et l’éleva au-dessus de sa tête.
L’épave coulait [corrige "plongeait"].
Tout en enfonçant, le docteur murmurait le reste de la prière.
Son buste [corrige "torse"] fut hors de l’eau un moment, puis sa tête, puis il n’y eut plus que son bras tenant la gourde, comme s’il la montrait à l’infini.
Ce bras disparut. La profonde mer n’eut pas plus de pli qu’une tonne d’huile. La neige continuait de tomber.
Quelque chose surnagea [corrige "surnageait"], et s’en alla sur le flot dans l’ombre. C’était la gourde goudronnée que son enveloppe d’osier soutenait.
[blanc. Tout au bas du folio, deux traits d'interruption superposés.]
[f° 124, papier blanc.]
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[f° 126, K5. Deux ou trois traits d'interruption. Cette lenteur s'explique peut-être par la rédaction des pages abandonnées sur la baie de Portland qu'on trouve au ms 24 747. Manuscrit de mise au net.]
La tempête n’était pas moins intense [correction abandonnée: "hideuse"] sur terre que sur mer. [paragraphe ajouté]
Le même déchaînement farouche [corrige + + + +] s’était fait autour de l’enfant abandonné. [phrase sans doute également ajoutée. Le texte initial devait commencer à la phrase suivante, barrée: "L'obscurité ne s'était pas faite moins farouche autour de l'enfant."] Le faible et l’innocent deviennent [oublié et ajouté] ce qu’ils peuvent dans la dépense de colère inconsciente que font les forces aveugles ; l’ombre ne discerne pas ; et les choses n’ont point les clémences qu’on leur suppose.
Il y avait sur terre très peu de vent ; le froid avait on ne sait quoi d’immobile ["et de terrible" corrigé "d'inexorable", corrigé "d'affreux", le tout barré]. Aucun grélon. L’épaisseur de la neige tombante était épouvantable.
[Trait d'interruption.]
Les grelons frappent, harcèlent, meurtrissent, assourdissent, [ajouté] écrasent ; les flocons sont pires. Le flocon, inexorable et doux, fait son œuvre en silence. Si on le touche, il fond. Il est pur [en sc. sur "blanc"] comme l’hypocrite est candide. [Trait d'interruption et changement d'écriture.] C’est par des blancheurs lentement superposées que le flocon arrive à l’avalanche et le fourbe au crime.
L’enfant avait continué d’avancer dans le brouillard. Le brouillard est un obstacle mou ; de là des périls [en sc. sur "dangers"] ; il cède et persiste ; le brouillard, comme la neige, est plein de trahison. L’enfant, étrange lutteur au milieu de tous ces risques [corrige "périls"], avait réussi à atteindre le bas de la descente, et s’était engagé dans le Chess-Hill. Il était, sans le savoir, sur un ithsme, ayant des deux côtés l’océan, et ne pouvant faire fausse route, dans cette brume, dans cette neige et dans cette nuit, sans tomber, à droite dans l’eau profonde du golfe, à gauche dans la vague violente de la haute mer. Il marchait, ignorant, entre deux abîmes.
[Un long tiret qui est sans doute un trait d'interruption placé au bas de la page dont VH, reprenant le travail, a préféré utiliser ce qui restait.] L’ithsme de Portland était à cette époque singulièrement âpre et rude [corrige "sauvage"]. Il n’a plus rien aujourd’hui de sa configuration d’alors. Depuis qu’on a eu l’idée d’exploiter la pierre de Portland en ciment romain, [f° 127, L5. Trait d'interruption.] toute la roche a subi un remaniement qui a supprimé l’aspect primitif. On y trouve encore le calcaire lias [corrige "gris"], le schiste, et le trapp sortant des bancs de conglomérat comme la dent de la gencive ; mais la pioche a tronqué et nivelé tous ces pitons hérissés [corrige "troués"] et scabreux où venaient se percher hideusement les ossifrages. ["On y trouve encore...": addition] Il n’y a plus de cîmes où puissent se donner rendez-vous les labbes et les stercoraires qui, comme les envieux, aiment à souiller les sommets. [Cette phrase est ajoutée à l'addition qui précède.] On chercherait en vain le haut monolithe nommé Godolphin, vieux mot gallois qui signifie aigle blanche. On cueille encore, l’été, dans ces terrains forés et troués comme l’éponge ["forés et..." corrige "troués comme des madrépores"], du romarin, du pouliot, de l’hysope sauvage, du fenouil de mer [corrige "marin"] qui, infusé, donne un bon [ajouté] cordial ["exquis" barré], et cette herbe, pleine de nœuds, qui sort du sable et dont on fait de la natte ; mais on n’y ramasse plus ni ambre gris, ni étain noir, ni cette triple espèce d’ardoise, l’une verte, l’autre bleue, l’autre couleur de feuilles de sauge. Les renards, les blaireaux, ["Les renards..." corrige "Il n'y a plus ni renards, ni blaireaux,"] les loutres, les martres, s’en sont allés [corrige "ont disparu"] ; il y avait dans ces escarpements de Portland ["de Portland": ajouté], comme à la pointe de Cornouailles, des [", comme à la...": ajouté, remplace un ou deux mots , peut-être "foule de", corrigés, le tout barré] chamois ; il n’y en a plus. On pêche encore, dans de certains creux, des plies et des pilchards, mais les saumons, effarouchés, ne remontent plus la Wey entre la St Michel et la Noël pour y pondre leurs œufs. On ne voit plus là, comme au temps d’Élisabeth, ["On ne voit..." corrige "On n'y voit plus"] de ces nuées [en sc. sur "vols"] d'oiseaux inconnus, gros comme des éperviers, qui [corrige "au bec si pointu qu'ils"] coupaient une pomme en deux et n’en mangeaient que ["et n'en mangeaient..." corrige "pour en manger"] le pépin. On n’y voit plus de ces corneilles [un mot, peut-être "noires", barré] à bec jaune, Cornish chough en anglais, Pyrrocorax en latin, qui avaient la malice de jeter ["des sarments allumés" barré en correction cursive] sur les toits de chaume des sarments allumés. On n’y voit [oublié et ajouté] plus l’oiseau sorcier fulmar, émigré de l’archipel d’Ecosse, et jetant par le bec une huile que les insulaires brûlaient dans leurs lampes. [phrase ajoutée à l'addition qui suit] On n’y rencontre plus le soir, dans les ruissellements du jusant [corrige "de la marée descendante"], l’antique neitse [corrige +"] légendaire aux pieds de porc et au cri de veau. ["Il n'y a jamais eu de rossignols à cause du manque de forêts," qui récupère le texte initial, est barré pour être reporté à la fin de l'addition de second niveau qui suit] ["On n'y rencontre plus le soir...": addition] La marée n’échoue plus sur ces sables l’otarie moustachue, aux oreilles enroulées, aux machelières pointues, se traînant sur ses pattes sans ongles. [faux départ: "Dans ce vieux Portland] Dans ce Portland aujourd’hui méconnaissable, il n’y a jamais eu de rossignols, à cause du manque de forêts, ["La marée...": addition de second niveau; elle récupère le texte initial: "Il n'y a jamais eu de rossignols, ["à cause de l'absence de forêts," : ajouté] ] mais les faucons, [virgule ajoutée, "et" barré] les cygnes et les oies ["et les oies" ajouté] de mer se sont envolés. Les moutons de Portland d’à présent [corrige "d'aujourd'hui"] ont la chair grasse et ["la chair grasse et": ajouté] la laine fine ; les rares brebis qui paissaient il y a deux siècles ["il y a..." corrige "autrefois" qui corrige "jadis"] cette herbe salée étaient petites et coriaces et avaient la toison bourrue [corrige "rude"], comme il sied à des troupeaux celtes menés jadis par des bergers mangeurs d’ail, qui vivaient cent ans ["cent ans" barré et rétabli en correction cursive] , et qui, à un demi mille de distance, perçaient des cuirasses avec leur flèche d’une aune de long. Terre inculte fait laine rude. [proverbe ajouté] Le Chess Hill d’aujourd’hui ne ressemble en rien au Chess Hill d’autrefois, tant il a été bouleversé par l’homme, et par ces furieux vents des Sorlingues [corrige "de Cornouailles"] qui rongent jusqu’aux pierres.
Aujourd’hui cette langue de [oublié et ajouté] terre porte un rail-way qui aboutit à un joli échiquier de maisons neuves, Chesilton, et il y a une « Portland-Station ». Les wagons roulent où rampaient les phoques. [paragraphe en addition]
L’ithsme de Portland il y a deux cents ans était un dos d’âne de sable avec une épine vertébrale [corrige "dorsale"] de rocher.
[Trait d'interruption au bas du folio.]
[f° 128, sans numérotation alphabétique]
Le danger, pour l’enfant, changea [", pour l'enfant..." corrige "avait changé", qui corrige "changeait". Cette première rédaction, qui ne mentionne pas tout de suite la personne concernée par le danger, fait penser que ce folio prenait la suite d'une autre folio que celui auquel il succède finalement.] de forme. Ce que l’enfant avait à craindre dans la descente, c’était de rouler au bas de l’escarpement , dans l’ithsme, ce fut de tomber [corrige "glisser"] dans des trous. ["C'était le précipice, ce fut la fondrière." corrigé "Il passa du précipice à la fondrière." le tout barré en correction cursive] Après avoir eu affaire au précipice, il eut affaire à la fondrière. Tout est chaussetrappe au bord de la mer. La roche est glissante, la grève est mouvante. Les points d’appui sont des embûches. [phrase ajoutée] On est comme quelqu’un qui met le pied sur des vitres [corrige "une vitre"]. Tout peut brusquement se fêler sous vous. Fêlure par où l’on disparaît. L’océan a des troisièmes dessous comme un théâtre bien machiné. [phrase ajoutée]
Les longues arêtes de granit auxquelles s’adosse [en sc. sur "s'appuie"] le double versant d’un ithsme sont d’un abord malaisé. On y trouve difficilement ce qu’on appelle en langage de mise en scène ["mise..." corrige "théâtre"] des praticables. [phrase ajoutée] L’homme n’a aucune hospitalité à attendre de l’océan, pas plus du rocher que de la vague ; l’oiseau et le poisson seuls sont prévus par la mer. Les ithsmes particulièrement sont dénudés et hérissés. Le flot qui les ["borde de deux": faux départ] use et les mine des [corrige "de"] deux côtés les réduit à leur plus simple expression. Partout des reliefs coupants, des crêtes, des scies, d’affreux haillons de pierre déchirée, des entrebaillements dentelés comme la mâchoire multicuspide d’un requin, ["des entrebaillements...": addition] des cassecous [corrige "pièges"] de mousse mouillée, de rapides coulées de roche aboutissant à l’écume. Qui entreprend de franchir [corrige "franchit"] un ithsme rencontre à chaque pas des blocs difformes, gros comme des maisons, figurant ["des vertèbres," barré] des tibias, des omoplates, des fémurs, anatomie hideuse des rocs écorchés. Ce n’est pas pour [en sc. cursive sur "sans"] rien que ces stries des ["falaises" barré en correction cursive] bords de la mer se nomment côtes. Le piéton se tire comme il peut de ce pêle-mêle de débris. Cheminer à travers l’ossature d’une énorme carcasse, tel [rétabli après correction en "telle"] est à peu près ce labeur [corrige "cette aventure" lui-même en correction cursive de "ce travail"].
Mettez un enfant dans ce travail d’Hercule.
Le grand jour eût été utile, il faisait nuit ; un guide eût été nécessaire, il [corrige "l'enfant"] était seul. Toute la vigueur d’un homme n’eût pas été de trop, il n’avait que la faible force d’un enfant. A défaut de guide, un sentier l’eût aidé. Il n’y avait point de sentier. ["Il n'y avait..." corrige "S'il y avait un sentier, la neige le cachait."]
[f° 129, M5. Mise au net.]
D’instinct, il évitait le chaîneau aigu des rochers et suivait la plage le plus qu’il pouvait. C’est là qu’il rencontrait les fondrières. Les fondrières se multipliaient devant lui sous trois formes, la fondrière d’eau, la fondrière de neige, la fondrière de sable. La dernière est la plus redoutable. C’est l’enlisement.
Savoir ce que l’on affronte est alarmant ["est alarmant" corrige "peut être terrible"], mais l’ignorer est ["plus" barré] terrible ["encore" barré]. L’enfant combattait le danger inconnu. Il était à tâtons dans quelque chose qui était peut-être la tombe.
Nulle hésitation. Il tournait les rochers, évitait les crevasses, devinait [correction peut-être immédiate de "évitait"] les pièges, subissait les méandres de l’obstacle, mais avançait. Ne pouvant aller droit, il marchait ferme. [première rédaction: "Il marchait ferme, ne pouvant aller droit."]
Il reculait au besoin avec énergie. [un autre point est barré à l'ncre rouge] Il savait [en sc. cursive sur "s'ar"] s’arracher à temps de la glu hideuse des sables mouvants. Il secouait la neige de dessus lui. Il entra plus d’une fois dans l’eau ["Il entra..." correction non cursive mais immédiate de "Ses guenilles étaient mouillées"] jusqu’aux genoux. Dès qu’il sortait de l’eau, ses guenilles mouillées étaient tout de suite gelées par le froid profond de la nuit. Il marchait rapide dans ces [le mot est réécrit en surcharge mais sa lecture n'est pas douteuse] vêtements roidis. Pourtant il avait eu l’industrie de conserver sèche et chaude sur sa poitrine sa vareuse de matelot. Il avait toujours bien faim.
Les aventures de l’abîme ne sont limitées en aucun sens ; tout y est possible, même le salut. L’issue est invisible, mais trouvable. Comment l’enfant, enveloppé d’une ["spirale" barré en correction cursive] étouffante spirale de neige, perdu sur cette levée étroite entre les deux gueules du gouffre, n’y [en sc. sur "ne"] voyant pas, ["ne sachant rien, (?)"] parvint-il à traverser l’ithsme, c’est ce que lui-même [f° 130, N5. Trait d'interruption au bas du folio.] n’aurait pu dire. Il avait glissé, grimpé, roulé, cherché, ["tâté," barré] marché, persévéré, [ajouté] voilà tout. Secret de tous les triomphes. Au bout d’un peu moins d’une heure, il sentit que le sol remontait. Il arrivait à l’autre bord, il sortait du Chess-Hill, il était sur la terre ferme.
Le pont qui relie aujourd’hui Sandford-Cas à Smallmouth-Sand n’existait pas à cette époque [corrige "alors"]. Il est probable que, dans son tâtonnement intelligent, il avait remonté jusque vis à vis Wyke Regis où il y avait alors une langue de sable, vraie [en sc. sur +] chaussée naturelle, ["vraie chaussée..." ajouté] traversant l’East Fleet. [paragraphe en addition]
Il était sauvé de l’ithsme, mais il se retrouvait face à face avec la tempête, avec l’hiver, avec la nuit.
Devant lui se développait de nouveau la sombre perte de vue des plaines.
Il regarda à terre, cherchant un sentier.
Tout à coup il se baissa.
Il venait d’apercevoir dans la neige quelque chose qui lui semblait une trace.
C’était une trace en effet, la marque d’un pied. La blancheur de la neige découpait nettement l’empreinte et la faisait très visible. Il la considéra. C’était un pied nu, plus petit [corrige "grand", sans doute en correction cursive] qu’un pied d’homme, plus grand qu’un pied d’enfant.
Probablement le pied d’une femme.
["Les empreintes" barré en correction cursive, puis "Une femme avait passé là." barré également et reporté à la fin du paragraphe] Au delà de cette empreinte, il y en avait une autre, puis une autre, [point corrigé en virgule] puis une autre. ["puis une autre ." ajouté] Les empreintes se succédaient [en sc. sur "suivaient"], à la distance d’un pas, et s’enfonçaient dans la plaine vers la droite. Elles étaient encore fraîches et [faux départ: "la neige"] couvertes de peu de neige. Une femme venait de passer là. [phrase ajoutée]
Cette femme [corrige "Elle"] avait marché et s’en était allée dans la direction même où l’enfant avait vu des fumées.
L’enfant, l’œil fixé sur les empreintes, se mit à suivre ce pas.
[Trait d'interruption.]
[f° 131, O5.]
Il chemina un certain temps sur cette piste. Par malheur les traces étaient de moins en moins nettes [en sc. sur +]. La neige tombait dense et affreuse ["dense..." corrige "si drue qu'elle semblait noire"]. C’était le moment où l’ourque agonisait sous cette même neige dans la haute mer.
L’enfant, en détresse comme le navire, mais autrement, n’ayant dans l’inextricable entrecroisement d’obscurités [corrige "des questions" qui corrige +] qui se dressait [correction abandonnée: "dressaient"] devant lui, d’autre ressource que ce pied marqué dans la neige, s’attachait à ce pas comme au fil du dédale [corrige "labyrinthe"] ["comme au fil..." ajouté].
Subitement, soit que la neige eût fini par les niveler, soit pour toute autre cause, les empreintes [corrige "traces"] s’effacèrent. Tout redevint plane, uni, rase, sans une tache, sans un détail. [phrase ajoutée] Il n’y eut plus ["+ + devant l'enfant" barré; les trois derniers mots ont été placés entre barres verticales avant suppression du tout] qu’un drap blanc sur la terre et un drap noir sur le ciel.
["L'enfant aux abois se pencha, s'agenouilla, chercha. ["C'était fini." ajouté] Il n'y avait plus ["de traces" corrige "rien"] dans la neige." barré pour déplacement] C’était comme si la passante [variante sans choix: "femme" barrée à la copie] s’était envolée.
L’enfant aux abois se pencha et chercha. En vain. [paragraphe ajouté]
Comme il se relevait, il eut la sensation de quelque chose d’indistinct qu’il entendait, mais qu’il n’était pas sûr d’entendre. Cela ressemblait à une voix, à une haleine, à de l’ombre ["à une voix..." est plusieurs fois corrigé. Première rédaction: "à une voix, à un appel, à un souffle, à de l'ombre"; là-dessus, "à un appel" est corrigé en "à un murmure" et ces deux formules sont barrés; "à une haleine" est ajouté; "à un souffle" est barré, puis rétabli, enfin à nouveau barré]. C’était plutôt humain que bestial, et plutôt sépulcral que vivant. C’était du bruit, mais du rêve.
Il regarda et ne vit rien.
La large solitude [en sc. cursive sur "plaine"] nue et livide [corrige "brumeuse" qui corrige "obscure"] était devant lui.
[f° 132, P5]
Il écouta. ["Nul bruit." barré] Ce qu’il avait cru entendre s’était dissipé. Peut-être n’avait-il rien entendu. Il écouta encore. Tout faisait silence.
Il y avait de l’illusion dans toute cette brume. Il se remit en marche.
En marche au hasard, n’ayant plus désormais ce pas pour le guider.
Il s’éloignait à peine que le bruit recommença. Cette fois il ne pouvait douter. C’était un gémissement [corrige "cri"], presque un sanglot ["sanglot" est inscrit après plusieurs corrections, fortement rayées].
Il se retourna. Il promena ses yeux dans l’espace nocturne ["dans l'esoace..." corrige "ce vague espace sombre"]. Il ne vit rien.
Le bruit [corrige "cri"] s’éleva de nouveau.
Si les limbes peuvent crier, c’est ainsi qu’elles crient.
Rien de pénétrant, de poignant et de faible comme cette voix. Car c’était une voix. Cela venait d’une âme. Il y avait de la palpitation dans ce murmure. [phrase ajoutée] Pourtant cela semblait [corrige "était"] presque inconscient. C’était ["une souffrance qui appelait" barré en correction cursive] quelque chose comme une souffrance qui appelle, mais sans savoir qu’elle est une souffrance et qu’elle fait un appel. ["Cela respirait et cela étouffait. Cela pleurait." ajouté et barré pour déplacement] Ce cri, premier souffle peut-être, peut-être dernier soupir, était à égale distance du râle qui clôt la vie ["clôt..." corrige "est dans le tombeau"] et du vagissement qui l’ouvre [corrige "est dans le berceau"]. Cela respirait, cela étouffait, cela pleurait. [phrase ajoutée] Sombre supplication dans l’invisible [corrige "le vague"].
L’enfant fixa son attention partout, loin, près, au fond, en haut, en bas. Il n’y avait personne. Il n’y avait rien.
Il prêta l’oreille. La voix se fit entendre encore. Il la perçut distinctement. Cette voix avait un peu du bêlement d’un agneau.
Alors il eut peur et songea à fuir.
Le gémissement reprit [corrige "recommença"] . C’était la quatrième fois. Il était ["prof" barré en correction cursive] étrangement [en sc. sur "lamentablement(?)"] misérable et plaintif. On sentait [inscrit après une première correction] qu’après ce suprême effort, plutôt machinal que voulu, ce cri allait probablement s’éteindre. C’était une réclamation expirante instinctivement faite à la quantité de secours qui est en suspens dans l’étendue [corrige "l'espace"; de même à la copie] ; c’était on ne sait quel bégaiement d’agonie adressé ["machinalement" barré] à une providence possible. [C'était une réclamation...": ajouté] L’enfant ["se sentit appelé et" barré] s’avança du côté d’où [f° 133, Q5. Trait d'interruption.] venait la voix.
Il [faux départ: "n'y avait"] ne voyait toujours rien.
Il avança encore, épiant [", épiant" ajouté].
[Trait d'interruption.]
La plainte continuait. D’inarticulée ["La plainte..." corrige "Tout à coup la plainte, de basse"] et de confuse qu’elle était, elle était devenue ["elle était devenue" corrige "devint"] claire et presque vibrante. L’enfant [corrige "Il"] était tout près de la voix. Mais où était-elle ?
Il était près d’une plainte. Le tremblement d’une plainte dans l’espace passait à coté de lui. ["Il était près...": addition] [à la copie: signe d'alinéa à faire ajouté, puis barré] Un gémissement humain flottant dans l’invisible, voilà ce qu’il venait de rencontrer. Telle était du moins son impression, trouble comme le profond brouillard où il était perdu.
Comme il hésitait, [virgule absente du texte autographe de la copie] entre un instinct qui le poussait à fuir et un instinct qui lui disait de rester, il aperçut dans la neige, à ses pieds, à quelques pas devant lui, ["Comme il hésitait...": addition; elle se substitue à "Tout à coup [corrigé en "Subitement"] , à ses pieds, à quelques pas devant lui, il aperçut dans la neige"; de même à la copie] une sorte d’ondulation de la dimension [corrige "forme" en sc. sur "longueur"] d’un corps humain, une petite éminence basse, longue et étroite, pareille au renflement d’une fosse, une ressemblance de sépulture dans un cimetière qui serait blanc.
["La voix sortait [corrigé "venait"(?)] de là dessous." barré en correction cursive ou immédiate]
En même temps la voix cria. [signe d'alinéa à faire ajouté]
C’est de là dessous qu’elle sortait.
L’enfant se baissa, s’accroupit devant l’ondulation, et, de ses deux mains, en commença le déblaiement.
Il vit se modeler, sous la neige qu’il écartait, une forme, et tout à
coup, sous ses mains, dans le creux qu’il avait fait, apparut une face
pâle. [Ce paragraphe est une addition qui se
substitue à "Il mit à nu une face pâle."]
Ce n’était point cette face qui criait. Elle avait les yeux fermés et la bouche ouverte, mais pleine de neige.
Elle était immobile. Elle ne bougea pas sous la main de l’enfant. L’enfant, qui avait l’onglée aux doigts, tressaillit en touchant ["tressaillit..." corrige "sentit"] le froid de ce visage. C’était la tête d’une femme. Les cheveux épars étaient mêlés à la neige. Cette femme était morte.
L’enfant se remit à écarter la neige. Le cou de la morte se dégagea [corrige "apparut"], puis le haut du torse, dont on voyait la chair ["dont on voyait..." corrige + + qui corrige"à peine caché"] sous des haillons. [un ou deux mots barrés, peut-être la fin de la phrase en rédaction initiale]
Soudainement [corrige "Subitement"] il sentit sous son tâtonnement un mouvement [corrige "tressaillement"] faible. C’était quelque chose de petit qui était enseveli, et qui remuait. L’enfant ôta vivement la neige, et découvrit [correction abandonnée: "aperçut"] un misérable corps d’avorton, chétif, ["maigre," barré] blême [corrige "bleu"] de froid, encore [f° 134, R5. Triple trait d'interruption.] vivant, nu sur le sein nu de la morte.
C’était une petite fille.
Elle était emmaillottée, mais de pas assez de guenilles, et en se débattant, elle était sortie de ses loques. Ses pauvres membres maigres avaient un peu fait fondre la neige sous elle, et son haleine au-desssus d'elle. [", et son haleine..." ajouté. A la copie, VH modifie l'ordre de la phrase: "Sous elle ses pauvres membres maigres, et son haleine au-dessus d’elle, avaient un peu fait fondre la neige." Dans la marge du ms, quatre lignes préparent, ou reportent, la version de la copie: "Sous elle ses pauvres membres maigres, et son haleine au-dessus d'elle, avaient un peu fait fondre la neige."] Une nourrice lui eût donné cinq ou six mois, mais elle avait un an peut-être, car la croissance dans la misère subit de nâvrantes réductions qui vont parfois jusqu’au rachitisme. Quand son visage fut à l’air, elle poussa un cri, continuation de son sanglot de détresse [en sc sur +]. Pour que la mère ["dans ces solitudes"(?) barré] n’eût pas entendu ce sanglot, il fallait qu’elle fût bien profondément morte.
L’enfant prit la petite dans ses bras.
[Trois traits d'interruption superposés. Changement d'écriture.]
La mère roidie était sinistre [en sc. sur "spectrale"]. Une irradiation spectrale [corrige "d'inconnu"] sortait de cette figure. [phrase ajoutée] La bouche béante et sans souffle semblait commencer dans la langue indistincte de l’ombre la réponse aux questions faites aux morts dans l’invisible. La réverbération blafarde des plaines glacées [corrige "blanches" qui corrige "gelées"] était sur ce visage. On voyait le front, jeune [corrige "blanc"] sous les cheveux bruns, le froncement presque indigné des sourcils ["qui pensent [corrigé "ont pensé"] pendant que la prunelle regarde [corrige "a regardé"]" mis entre barres verticales puis rayé à la copie], les narines serrées, les paupières closes, les cils collés par le givre, et, du coin des yeux au coin des lèvres, le pli profond des pleurs ["de la vie" barré]. La neige éclairait la morte. L’hiver et le tombeau ne se nuisent pas. Le cadavre est le glaçon de l’homme ["le glaçon..." corrige "le glaçon humain" qui corrige "une sorte de glaçon"]. La nudité des seins était pathétique. Ils avaient [faux départ: "la sublime flétrissure de"] servi ; ils avaient la sublime flétrissure de la vie donnée par l’ [en sc. cursive sur "celle"] être à qui la vie manque, et la majesté maternelle y remplaçait la pureté [variante sans choix: "dignité" barrée à la copie] virginale. A la pointe d’une des mamelles il y avait une perle blanche. C’était une goutte de lait, gelée.
Disons-le tout de suite, dans ces plaines [f° 135, S5. Trait d'interruption.] où le garçon perdu [corrige "l'enfant abandonné] passait à son tour, une mendiante allaitant son nourrisson et cherchant elle aussi un gîte, s’était, il y avait peu d’heures, égarée. Transie, elle était tombée sous la tempête [corrige "l'avalanche"], et n’avait pu se relever. L’avalanche l’avait couverte. Elle avait le plus qu’elle avait pu serré sa fille contre elle, et elle avait expiré.
La petite fille avait essayé de téter ce marbre.
Sombre confiance voulue par la nature, car il semble que le dernier allaitement soit possible à une mère, même après le dernier soupir.
Mais la bouche de l’enfant ["la bouche de l'enfant" corrige "les lèvres de l'enfant" qui corrige "les lèvres"] n’avait [corrige "n'avaient"] pu trouver le sein, où la goutte de lait, volée par la mort, s’était glacée, et sous la neige, le nourrisson, plus accoutumé au berceau qu’à la tombe, avait crié. [Ces deux paragraphes sont en addition; ils remplacent "Et sous la neige, et plus accoutumée au berceau qu'à la tombe, elle avait crié."]
Le petit abandonné avait entendu la petite agonisante.
Il l’avait déterrée.
Il l’avait prise dans ses bras.
Quand la petite se sentit dans des bras, elle cessa de crier. Les deux visages des deux enfants se touchèrent, et les lèvres violettes du nourrisson [corrrige "de la petite"] se rapprochèrent de la joue du garçon comme d’une mamelle.
La petite fille était presque [corrige "touchait"] au moment où le sang coagulé va arrêter le cœur. Sa mère lui [en sc sur +] avait déjà donné quelque chose de sa mort ; le cadavre se communique; c’est un refroidissement qui se gagne. La petite avait les pieds, les mains, les bras, les genoux, comme paralysés par la glace. Le garçon sentit ce froid terrible. [paragraphe ajouté. Il se substitue à:
"Le garçon lui dit tout bas:
— Comme tu as froid!"]
Il avait sur lui un vêtement sec et chaud, sa vareuse. Il posa le nourrisson [corrige "la petite"] sur la poitrine de la morte, ôta sa vareuse, en enveloppa la petite fille, ressaisit l’enfant [corrige "la ressaisit dans ses bras"], et, presque nu maintenant sous les bouffées de neige que soufflait ["affreusement": mis entre barres verticales puis rayé] la bise, emportant la petite dans ses bras, il se remit en route.
La petite, ayant réussi à retrouver la joue du garçon, y appuya sa bouche, et, réchauffée, s’endormit. Premier baiser de ces deux âmes dans les ténèbres.
La mère demeura gisante, le dos sur la neige, la face vers ["le zénith" barré en correction cursive] la nuit. Mais au moment où le petit garçon se dépouilla pour vêtir la petite fille, peut-être, du fond de l’infini où elle était, la mère le vit-elle.
[Trait d'interruption. A côté, cette note: "7 octobre. Je pars aujourd'hui de Bruxelles pour Guernesey. J'interromps pour continuer à Hauteville House. Deo volente." Elle valide les dates des 4 et 7 septembre des folios 93 et 97 et prouve que, contrairement à la chronologie ordinairement retenue, VH a continué la rédaction pendant son séjour en Belgique.]
[f° 136, T5. Blanc au haut de la page. Au coin supérieur droit du folio, cette note: "Repris le 6 novembre à Hauteville House le travail interrompu à Bruxelles le 7 octobre."]
Il y avait un peu plus de quatre heures que l’ourque s’était éloignée de la crique de Portland, laissant sur le rivage ["sur le rivage" corrige "derrière elle à terre"; de même à la copie] ce garçon. Depuis ces longues heures qu’il était abandonné, et qu’il marchait devant lui, [faux départ de plusieurs mots; on distingue les derniers: "société humaine"] il n’avait encore fait, dans cette société humaine où peut-être il allait entrer, que trois rencontres, un homme, une femme et un enfant. [en marge de cette phrase un trait vertical la signalant, ensuite raturé] Un homme, cet [en sc. sur " + "] homme sur la colline ; une femme, cette femme dans la neige ; un enfant, cette petite fille qu’il avait dans les bras. [changement d'écriture]
Il était exténué de fatigue et de faim. [paragraphe ajouté]
Il avançait plus résolument que jamais, avec de la force de moins et un fardeau de plus.
Il était maintenant ["presque nu" barré en correction cursive] à peu près sans vêtements. Le peu de haillons qui lui restaient, durcis [en sc. sur +] par le givre, étaient coupants comme du verre et lui écorchaient la peau ["lui écorchaient..." corrige "faisaient çà et là des écorchures à ses membres nus"]. Il se refroidissait, mais l’autre enfant [en sc. sur "la petite"] se réchauffait. Ce qu’il perdait n’était pas perdu, elle le regagnait. Il constatait cette chaleur qui était pour la pauvre petite une reprise de vie. ["Il se refroidissait..." corrige "Il se sentait refroidir, mais il sentait la petite se réchauffer."] Il continuait d’avancer.
De temps en temps, tout en la soutenant bien, il se baissait et d’une main prenait de la neige à poignée, et en frottait ses pieds, pour les empêcher de geler.
Dans d’autres moments, ayant la gorge en feu, il se mettait ["un peu de cettte neige" barré en correction cursive] dans la bouche un peu de cette neige et la suçait, ce qui trompait une minute [corrige "un instant"] sa soif, mais la changeait en fièvre. Soulagement qui était une aggravation. [phrase ajoutée]
La tourmente était devenue informe à force de violence ; ces [corrigé en "les" à la copie] déluges de neige sont possibles ; c’en était un. Ce paroxysme maltraitait le littoral en même temps qu’il bouleversait l’océan. ["ces déluges...." corrige "c'était de la neige à l'état de déluge."] C’était probablement l’instant où l’ourque éperdue se disloquait dans la bataille des écueils. [Ces deux paragraphes sont en addition.]
Il traversa sous cette bise, marchant ["sous cette..." corrige "de la sorte, allant"] toujours vers l’est, de larges surfaces de neige. Il ne savait quelle heure il était. Depuis longtemps il ne voyait plus de fumées. Ces indications dans la nuit sont vite effacées ; d’ailleurs il était plus que l’heure où les feux sont éteints ; enfin peut-être s’était-il trompé, et il était possible qu’il n’y eût point ["Ces indications..." corrige "Il en concluait qu'il était tard dans la nuit et que les feux étaient éteints ou que peut-être il s'était trompé et qu'il n'y avait pas"] de ville ni de village du côté où il allait ["du côté..." correction de "par là"].
Dans le doute, il persévérait. ["Il allait." barré;
Une ligne entièrement barrée.]
[f° 137, U5. Trait d'interruption.]
Deux ou trois fois la petite cria. Alors il imprimait à son allure [corrige "sa marche"] un mouvement de bercement ; elle s’apaisait, et se taisait. Elle finit par se bien endormir, et d’un bon sommeil. Il la sentait chaude, tout en grelottant.
Il resserrait fréquemment les plis de la vareuse autour du cou de la petite afin que le givre ne s’introduisît pas par quelque ouverture et qu’il n’y eût aucune fuite [corrige "aucun glissement"] de neige fondue entre le vêtement et l’enfant.
[Trait d'interruption; changement d'écriture.]
La plaine avait des ondulations. Aux déclivités [corrige "Là"] où elle s’abaissait, la neige amassée par le vent dans les plis de terrain, était si haute pour lui petit qu’il y enfonçait [corrige "entrait"] presque tout entier, et il fallait marcher à demi enterré. Il marchait, poussant la neige des genoux.
Le ravin franchi, il parvenait à [corrige "se retrouva sur" qui corrige "p + "] des plateaux balayés par la bise où la neige était mince. Là ["elle se faisait" barré en correction cursive] il trouvait le verglas. ["La plaine avait des ondulations...": addition. Elle se substitue à la première rédaction, barrée mais immédiatement reprise: "Il avait dans les cheveux un glaçon qui venait de l'haleine tiède de la petite fille, tout de suite gelée."]
L’haleine tiède de la petite fille effleurait sa joue, le réchauffait un moment, et s’arrêtait et se gelait ["et se gelait" ajouté] dans ses cheveux, où elle faisait un glaçon.
Il se rendait compte d’une complication [corrige "aggravation"] redoutable, il ne pouvait plus tomber. ["Il était épuisé [correction: "exténué"] de fatigue," barré et repris en addition] Il sentait qu’il ne se relèverait pas. Il était brisé [corrige "épuisé"] de fatigue, et le plomb de l’ombre l’eût, comme la femme expirée, appliqué sur le sol, et la glace l’eût soudé vivant à la terre. ["Il était brisé..." addition] [ "Sa situation s'était lugubrement empirée.": addition abandonnée] Il avait dévalé sur des pentes de précipices, et s’en était tiré ; il avait trébuché dans des trous, et en était sorti ; désormais une simple chute ["à terre" barré], c’était la mort. Un faux pas ouvrait la tombe. Il ne fallait pas glisser. ["Un faux pas...": ajouté] Il n’aurait plus la force même de se remettre sur ses genoux.
Or le glissement était partout autour de lui ; tout était givre et neige durcie [corrige "verglas durci"].
La petite qu’il portait lui faisait la marche affreusement difficile ; non seulement c’était un poids, excessif [corrige "accablant"] pour sa lassitude et son épuisement ; mais c’était un embarras. Elle lui occupait les deux bras, et, à qui chemine sur le verglas, les deux bras sont un balancier naturel et nécessaire.
Il fallait se passer de ce balancier.
Il s’en passait, et marchait, ne sachant que devenir sous son fardeau.
Cette petite était la goutte [", tombée à la dernière minute," rayé] qui faisait déborder le vase de détresse.
Il avançait, oscillant à chaque pas comme sur un tremplin, et ["comme sur..." ajouté] accomplissant, pour aucun regard, des miracles d’équilibre. Peut-être pourtant, redisons-le, [", redisons-le,": ajouté comme chaque fois que Hugo maintient une répétition justifiée] était-il suivi en [corrige "dans"] cette voie douloureuse par deux [variante sans choix: "des"; copie: "deux"] yeux ouverts dans les lointains de l'ombre ["dans les lointains..." corrige "au plus profond des ténèbres"] , l’œil de la mère et l’œil de Dieu.
[f° 138, V5]
Il chancelait, chavirait, se raffermissait [en sc. sur "redressait"], avait soin de l’enfant, lui remettait du vêtement sur elle, lui couvrait la tête, ["lui couvrait...": ajouté] chavirait encore, avançait toujours, glissait, puis se redressait [", glissait, puis...": ajouté]. Le vent avait la lâcheté de le pousser.
Il faisait vraisemblablement beaucoup plus de chemin qu’il ne fallait. Il était selon toute apparence dans ces plaines où s’est établie plus tard la Bincleaves Farm, entre ce qu’on nomme maintenant [corrige "appelle ajourd'hui"] Spring Gardens et Parsonage House. Métairies [en sc. sur +] ["auj" barré en correction cursive] et cottages à présent [corrige "aujourd'hui"], friches [corrige "steppes"] alors. Souvent moins d’un siècle sépare un [en sc. sur "une"] steppe d’une ville.
Subitement [corrige "Tout à coup"], une interruption [corrige "un écart"] s’étant faite [corrige "fait"] dans la bourrasque glaciale qui l’aveuglait ["dans la bourrasque..." corrige "dans les averses de givre" qui corrige "tourbillons de neige". Même correction de "dans les averses de neige" à la copie.], il aperçut à peu de distance devant lui un groupe [en sc. sur +] de ["toits"[ corrigé "chaumes"(?)], de" le tout rayé] pignons et de cheminées mis en relief par la neige, le contraire d’une silhouette, une ville dessinée en blanc sur l’horizon noir, quelque chose comme ce qu’on appellerait aujourd’hui une épreuve négative.
Des toits, des demeures [corrige "maisons"], un gîte ! Il était donc quelque part ! Il sentit l’ineffable encouragement [corrige "rentrée"; de même à la copie] de l’espérance. La vigie d’un navire égaré [corrige "perdu"] criant Terre ! a de ces émotions. ["Il était donc quelque part...": addition; elle se substitue à "La chaleur lui revint au coeur."] Il pressa le pas.
Il touchait donc enfin à des hommes. Il allait donc arriver [rétabli après correction en "parvenir", lui même barré, rétabli, à nouveau barré] à des vivants. Plus rien à craindre. Il avait en lui cette chaleur subite [corrige "ineffable" qui corrige "profonde"; à la copie VH corrige "ineffable"], la sécurité. Ce dont il sortait était fini. Il n’y aurait plus de nuit désormais, ni d’hiver, ni de tempête. [faux départ: "La petite"] Il lui semblait que tout ce qu’il y a de possible dans le mal était maintenant derrière lui. La petite n’était plus un poids. Il courait presque. ["Il touchait donc..." addition postérieure à l'addition précédente mais de même écriture. Elle reprend partiellement le texte initial abondemment corrigé. Rédaction initiale: "Il touchait donc enfin à des hommes. Il allait donc arriver à des vivants, il sentit une joie [corrigé "espérance"] profonde. ["il sentit..." barré] Il ne craignait plus rien. Il n'avait plus ni fatigue ni engourdissement [corrige +]. ["La petite n'était plus un poids." ajouté] Il courait presque." Rédaction avant réfection en marge: "Il touchait donc enfin à des hommes. Il allait donc arriver à des vivants. Il ne craignait plus rien. Il n'avait plus ni fatigue ni engourdissement. C'était fini. Il ne marchait plus. La petite + + sans poids. Il ne faisait plus nuit, il ne neigeait plus. Il courait presque."]
Son œil était fixé sur ces toits. La vie était là. Il ne les quittait pas du regard. Un mort [corrige "On"; de même à la copie] regarderait ainsi ce qui lui [ajouté; de même à la copie] apparaîtrait par l’entrebaillement d’un couvercle de tombe. C’étaient les cheminées dont il avait vu les fumées.
Aucune fumée n’en sortait. ["Son oeil était fixé...": addition de second niveau ajoutée à l'addition précédente]
Il eut vite fait d’atteindre les habitations. Il parvint à ["l'entrée
de" barré en correction cursive] un faubourg de ["un
faubourg de" corrige "une entrée de la"] ville qui était une
rue ouverte. A cette époque ["A cette époque":
ajouté] le barrage des rues la nuit tombait en désuétude. ["le barrage..." corrige "Les chaînes de barrage
commençaient à tomber en désuétude."; même correction à la copie]
La rue commençait par deux maisons [faux départ: ", une à droite [en sc. cursive sur "gauche"]] [Second faux départ: "Elles étaient (?) barricadées, fermées [", verrouillées, +" : addition] et endormies. Celle de droite (?), basse, petite, était couverte de"]. Dans ces deux maisons on n’apercevait ["Dans ces deux..." corrige "On [en sc. sur +] n'y voyait"] aucune chandelle ni aucune lampe ["chandelle..." corrige "lumière"], non plus que dans toute la rue, ni dans toute la ville, aussi loin que la vue pouvait s’étendre.
La maison de droite était plutôt un toit qu’une maison ; rien de plus chétif ; la muraille était de torchis et le toit était de paille ; il y avait plus de chaume que de mur. Une grande ortie née au pied du mur touchait au bord du toit. Cette masure n’avait ["plutôt un toit..." corrige une rédaction initiale: ["petite, basse," barré en correction cursive] "petite [corrigé "chétive"] , étroite, faite d'un + rez-de-chaussée, bâtie de torchis, couverte de chaume. Il n'y avait"] qu’une porte qui semblait une chattière et qu’une ["et qu'une" corrige "et une"] fenêtre qui était une lucarne. Le tout fermé. A côté, une soue à porcs habitée indiquait que la chaumière était habitée aussi. [phrase ajoutée] La maison de gauche était large [en sc. sur "grande"], haute, toute en pierre avec toit d’ardoises. Fermée aussi. C’était Chez le Riche vis à vis de Chez le Pauvre.
[f° 139, X5]
Le garçon n’hésita pas. Il alla à la grande maison. La porte, à deux battants ["à deux...": ajouté], massif damier de chêne à gros clous, était ["fermement barr" rayé en correction cursive] de celles derrière lesquelles on devine une robuste armature de barres et de serrures ; un marteau de fer y pendait.
Il souleva le marteau, avec quelque peine, car ses mains engourdies étaient plutôt des moignons que des mains. Il frappa un coup. [paragraphe en addition; il remplace "Il souleva le marteau et frappa un coup."]
On ne répondit pas.
Il frappa une seconde fois, et deux coups.
Aucun mouvement ne se fit dans la maison.
Il frappa une troisième fois. Rien. [paragraphe ajouté]
Il comprit qu’on dormait, ou qu’on ne [se] [le mot manque au ms mais pas à la copie] souciait pas de se lever.
Alors il se tourna vers la maison pauvre [corrige "misérable"]. Il prit à terre, dans la neige, [", dans la neige," ajouté; l'est aussi à la copie, de la main de la copiste] un galet et heurta à la porte basse ["heurta..." corrige "frappa à l'huis bas et obscur [barré en correction cursive] vermoulu"] .
On ne répondit point.
Il [faux départ: "frappa de son galet"] se haussa sur la pointe des pieds, et cogna [corrige "frappa"] de son caillou à la lucarne, assez doucement pour ne point casser la vître, assez fort pour être entendu.
Aucune voix ne s’éleva, aucun pas ne remua, aucune chandelle [en sc. cursive sur +] ne s’alluma.
Il pensa que là aussi on ne voulait point [corrige "pas"] se réveiller.
Il y avait dans l’hotel de pierre et dans le logis de chaume la même surdité aux misérables.
[Un paragraphe encadré, barré à grands traits, et repris plus loin: "Il faut dire qu'on était au lendemain d'une assez forte peste qu'il y avait eu à Londres et que la peur de recevoir des vagabonds malades produisait partout une certaine diminution d'hospitalité."]
Le garçon se décida à pousser plus loin, [faux départ: "et s'avança [corrigé "pénétra"] dans la ruelle obscure [qu+ + + + + devant lui" supprimé en correction cursive] et silencieuse devant lui"] et pénétra dans le détroit de maisons qui se prolongeait devant lui, si obscur qu’on eût plutôt dit l’écart de deux falaises que l’entrée d’une ville.
[blanc au bas de la page; de même à la copie]
[f° 140, Y5. Trait d'interruption. Blanc au haut de la page]
C’est dans Weymouth qu’il venait d’entrer.
Le Weymouth d’alors ["d'alors" corrige "d'il y a cent quatrevingts ans"] n’était point l’honorable et ["l'honorable et" corrige et complète "le"] superbe Weymouth d’aujourd’hui. Cet ancien Weymouth n’avait pas, comme le Weymouth actuel, un irréprochable quai rectiligne avec une statue et une auberge en l’honneur de Georges III. Cela tenait à ce que Georges III n’était pas né ["encore" barré]. Par la même raison, on n’avait point [en sc. sur "pas"] encore, au penchant de ["au penchant de" corrige "sur"] la verte colline de l’Est, dessiné, à plat sur le sol ["à plat..." ajouté] au moyen du gazon scalpé [corrige "pelé"] et de la craie ["terrestre"(?): addition abandonnée] mise à nu, ce [corrige "un"; "gigantesque" barré] cheval blanc, d’un arpent de long, ["d'un arpent..." ajouté] le [ajouté avant l'addition précédente] White Horse, portant un roi sur son dos, et tournant, toujours en l’honneur de Georges III, sa queue vers la ville. Ces honneurs du reste sont mérités ; Georges III, ayant perdu dans sa vieillesse l’esprit qu’il n’avait jamais eu dans sa jeunesse ["ayant perdu..." corrige "étant né idiot et mort imbécille"], n’est point responsable des calamités de son règne. C’était un innocent. Pourquoi pas des statues ? [deux changements d'écriture indiquent que ces deux phrases sont successivement ajoutées]
[Trait d'interruption.]
Le Weymouth d’il y a cent quatrevingts ans ["d'il y a..." corrige "du dix-septième siècle" qui corrige "d'alors"] était à peu près aussi symétrique qu’un jeu d’onchets brouillé. L’Astaroth des légendes ["L'Astaroth..." corrige "Le diable(?) [corrigé +] des vieilles légendes [corrigé "des légendes" corrigé "grand-mères"]"] se promenait quelquefois sur la terre portant [en sc. de "ayant"] derrière son dos une besace dans [en sc. sur +] laquelle il y avait de tout, même des bonnes femmes dans leurs ["bonnes femmes dans leurs": ajouté] maisons. Un pêle-mêle de baraques [+: correction ou addition abandonnée] tombé de ce ["de ce" corrige "du"] sac du diable [addition inachevée et abandonnée: "avec les commères dans les"] donnerait l’idée de ce Weymouth incorrect. Plus, dans les baraques, les bonnes femmes. [phrase ajoutée] Il ["en" barré] reste comme spécimen de ces logis ["de ces logis [corrige "baraques"]: ajouté] la maison des Musiciens. Une confusion de tanières [corrige "bâtisses"] de bois sculptées, et vermoulues, ce qui est une autre sculpture, d’informes [corrige "antiques"] bâtisses [corrige "logis"] branlantes [corrige le masculin] à surplombs, quelques-unes [sans correction, signe que celle de "logis" en "bâtisses" est immédiate] à piliers, s’appuyant les unes sur les autres pour ne pas tomber au vent de mer, et laissant entre elles les espacements exigus d’une voirie tortue et maladroite ["et maladroite" ajouté], ["souvent inondés" barré en correction cursive] ruelles et carrefours souvent inondés par les marées d’équinoxe ["marées..." corrige "hautes marées"], un amoncellement [corrige "tas"] de vieilles maisons grand'mères groupées autour d’une église aïeule, c’était là Weymouth. Weymouth était une sorte d’antique [corrige "de"] village normand échoué sur la côte d’Angleterre.
Le voyageur, s’il entrait à la taverne remplacée aujourd’hui par l’hôtel, au lieu de payer royalement une sole frite et une bouteille de vin vingt-cinq francs, avait l’humiliation de manger pour deux sous une soupe au poisson, fort bonne d’ailleurs. C’était misérable. [phrase ajoutée]
[f° 141, Z5. Deux traits d'interruption.]
L’enfant perdu portant l’enfant trouvé ["L'enfant..." corrige "Le petit(?) perdu"] suivit la première rue, puis la seconde, puis une troisième. Il levait les yeux cherchant aux étages et sur les toits une vitre éclairée ["vitre éclairée" corrige "lumière"], mais tout était clos et éteint ["clos..." corrige "noir"]. Par intervalles [corrige "De temps en temps"], ["il s'arrêtait" barré, peut-être en correction cursive] il cognait aux portes. Personne ne répondait. Rien ne fait le cœur de pierre comme d’être chaudement entre deux draps. [phrase ajoutée] Ce bruit et ces secousses avaient fini par réveiller la petite. Il s’en apercevait parce qu’il se sentait téter la joue. Elle ne criait pas, [un mot barré sans doute en correction cursive, peut-être "croyait"] croyant à une mère.
Il risquait [corrige "Il courait risque de se perdre et"] de tourner et de rôder ["et de rôder" ajouté] longtemps peut-être dans les intersections des ["les intersections..." corrige "l'enchevêtrement de"; de même à la copie] ruelles de Scrambridge où il y avait alors plus de cultures [corrige "murs"] que de maisons, et plus de haies d’épines ["d'épines" ajouté] que de logis [corrige "portes"] ["et plus de haies...": addition], [corrige un point] mais il s’engagea à propos ["mais il..." corrige "s'il ne s'était engagé"] dans un couloir qui existe encore aujourd’hui près [corrige "vis à vis"] de Trinity Schools. Ce couloir le mena sur une plage qui était un rudiment de quai avec parapet, ["avec..." ajouté] et à sa droite il distingua [corrige "aperçut"] un pont.
[Trait d'interruption.]
Ce pont était le pont de la Wey qui relie Weymouth à Melcomb [ici et plus loin, rature à l'encre rouge du e final de "Melcombe" de même à la copie] Regis, et sous les arches duquel le Harbour [corrige "hâvre"] communique avec la Back Water.
Weymouth, ["gros" barré] hameau, était alors le faubourg de Melcomb Regis, cité et port ; aujourd’hui Melcomb Regis est une paroisse de Weymouth. Le village a absorbé la ville. C’est par ce pont que s’est fait ce travail. Les ponts sont de singuliers appareils de succion qui aspirent la population et font quelquefois grossir un quartier riverain aux dépens de son vis-à-vis.
Le garçon alla à ce pont, qui à cette époque était une passerelle de charpente couverte. Il traversa cette passerelle. ["une passerelle..." corrige "de bois et couvert, et le traversa."]
Grâce au toit du pont, il n’y avait pas de neige sur le tablier. Ses pieds nus eurent un moment de bien être en marchant sur ces planches sèches.
Le pont franchi, il se trouva dans Melcombe [la correction n'est pas faite au ms mais l'est à la copie] Regis. [Ces deux paragraphes en additions successives; ils corrigent "Il se trouva dans Melcombe Regis."]
[signe d'alinéa à faire ajouté] Il y avait là moins [corrige "plus"] de maisons de bois [corrige "pierre"] que de maisons de pierre [corrige "bois"]. Ce n’était plus le bourg, c’était la cité. Le pont débouchait sur une assez belle rue qui était Saint [ajouté] Thomas street. Il [un mot barré en correction cursive, peut-être "entra"] y entra. La rue offrait de hauts pignons taillés, et ça et là des devantures de boutiques. ["Tout était clos et barricadé." barré et immédiatement déplacé] Il se remit à frapper [corrige "cogner"] aux portes. Il ne lui restait pas [corrige "Il n'avait plus"] assez de force pour appeler et crier. [phrase ajoutée]
A Melcomb Regis comme à Weymouth personne ne bougeait. Un bon double tour avait été donné aux serrures. Les fenêtres étaient recouvertes de leurs volets comme les yeux de leurs paupières. Toutes les précautions étaient prises contre le réveil, soubresaut désagréable. ["personne ne bougeait..." addition; elle se substitue à "personne ne s'éveillait. Tout était clos et barricadé. Il semblait qu'il y eût plus de volets + que de fenêtres."]
[Trait d'interruption.]
[f° 142, A6]
Le petit errant subissait la pression indéfinissable de la ville endormie. ["Il y a du vertige dans" barré] Ces silences de fourmilière paralysée dégagent du vertige ["dégagent [corrige "contiennent"] ...": ajouté]. Toutes ces [en sc. sur +] léthargies mêlent leurs cauchemars, ces sommeils sont une foule ["ces sommeils...": ajouté] et il sort de ["tous" barré] ces corps humains gisants une ["sinistre" barré] fumée de songes. Le sommeil a de sombres voisinages hors de la vie ; la pensée décomposée des endormis flotte au dessus d’eux, vapeur vivante et morte, et se combine avec le possible qui pense probablement aussi dans l’espace. De là des enchevêtrements. Le nuage rêve superpose [corrige "promène"] ses épaisseurs et ses transparences à [en sc. sur +; variante sans choix: "sur" barrée à la copie] l'étoile l’esprit. Au dessus de ces paupières fermées où la vision a remplacé la vue, une désagrégation sépulcrale de silhouettes et d’aspects se dilate dans l’impalpable. [phrase ajoutée] Une dispersion [corrige "Des diffusions"] d’existences mystérieuses s’amalgame [corrige le pluriel] ["la nuit" barré] à notre vie [en sc. sur +; variante "organisme" barrée] par ce bord de la mort qui est le sommeil. Ces ["invisibles": addition abandonnée] entrelacements de larves [corrige "spectres"] et d’âmes sont dans l’air. Celui même qui ne dort pas sent peser sur lui ["Celui même..." corrige "Qui ne dort pas sent"] ce milieu plein d’une vie sinistre. La chimère ambiante, réalité devinée [corrige "entrevue"], le gêne. [phrase ajoutée] L’homme éveillé qui chemine à travers les fantômes du sommeil des autres refoule confusément des formes passantes, a ou croit avoir ["a ou croit avoir" corrige "éprouve"; "ou croit avoir" est encadré de virgules autographes à la copie] la vague horreur des contacts hostiles de l’invisible, et sent à chaque instant la poussée obscure d’une rencontre inexprimable qui s’évanouit. [faux départ: "C'est ce qu'on appelle: avoir peur sans savoir pourquoi."] Il y a des effets de forêt dans cette marche au milieu de la diffusion nocturne des songes ["de la diffusion..." corrige "des songes"].
C’est ce qu’on appelle avoir peur sans savoir pourquoi.
Ce qu’un homme éprouve, un enfant l’éprouve plus encore.
Ce malaise ["profond" barré] de l’effroi nocturne amplifié par ["toutes" barré] ces maisons spectres, s’ajoutait à tout cet ensemble lugubre sous lequel il luttait [corrige "fléchissait"] ["tout cet ensemble..." corrige quelques mots fortement barrés, peut-être "son accablement"].
Il entra dans Conycar Lane, ["revint sur ses pas" barré en correction cursive] et [ajouté] aperçut au bout de cette ruelle la Back Water qu’il prit pour l’océan ; il ne savait plus de quel côté était la mer ; il revint sur ses pas, tourna à gauche par Maiden Street, et rétrograda jusqu’à saint Albans row.
[f° 143, B6]
Là, au hasard et sans choisir, et aux premières maisons [corrige "portes"] venues, il heurta [corrige "frappa"] violemment. Ces coups, où il épuisait sa dernière énergie [corrige "ses dernières forces"], étaient désordonnés et saccadés [corrige "désespérés"], avec des intermittences et des reprises presque irritées ["presque..." corrige "furieuses"]. C’était le battement de sa fièvre frappant aux portes.
Une voix répondit.
["La voix de l'heure." barré en correction cursive]
Celle de l’heure.
Trois heures du matin sonnèrent lentement derrière lui au vieux clocher de Saint Nicholas.
Puis tout retomba dans le silence.
Que pas un habitant n’eût même entrouvert une lucarne, cela peut sembler surprenant [corrige + qui corrige "excessif"]. Pourtant dans une certaine mesure ce silence s’explique. Il faut dire qu’en janvier 1790 on était au lendemain d’une assez forte peste qu’il y avait eue [corrigé à la copie: "eu"] à Londres, et que la crainte [corrige "peur"] de recevoir des vagabonds malades produisait partout une certaine diminution d’hospitalité. On n’entrebâillait pas même sa fenêtre de peur de respirer leur miasme.
L’enfant sentit le froid des hommes plus terrible [corrige "irrémédiable" qui corrige "profond"] que le froid de la nuit. C’est un froid qui veut. [phrase ajoutée] Il eut ce [corrige "un"] serrement du [corrige "de"] cœur découragé [ajouté] qu’il n’avait pas eu ["là bas"(?) barré] dans les solitudes. Maintenant il était rentré dans la vie de tous ["rentré dans..." corrige "parmi les hommes" [corrigé "multitudes"]], et il restait seul. Comble d’angoisse. Le désert impitoyable, il l’avait compris ; mais la ville inexorable, c’était trop.
L’heure, dont il venait de compter les coups, avait été un accablement [corrige "une plaie"] de plus. Rien de glaçant [corrige "d'accablant"] en de certains cas comme l’heure qui sonne. C’est une déclaration d’indifférence. C’est l’éternité disant : Que m’importe !
[une phrase ajoutée en marge, puis barrée, s'achavant par "blessure, mais il la percevait."]
[changement d'écriture] Il s’arrêta. Et il n’est pas certain qu’en cette minute lamentable [corrige "désespérée"], il ne se soit pas demandé s’il ne serait pas plus simple de se coucher là et de mourir. Cependant la petite fille [ajouté] posa la tête sur son épaule, et se rendormit. Cette confiance obscure [corrige "inconsciente"] [plusieurs mots barrés, peut-être "avait de l'irrésistible."] le remit en marche. ["Cette confiance..." corrige: "Il se rappela qu'ils étaient deux. Il se remit en marche."]
[La fin du folio est encadrée et barrée à grands traits, puis reprise en addition au folio suivant.]
[addition d'un ligne en marge, barrée; on distingue " avait + + + + de sacré, qui était +, même dans ces profondes ténèbres." Cette addition est développée dans une autre:
"Lui qui n’avait autour de lui que de l’écroulement, il sentit qu’il était point d’appui, et il y avait là une sommation du devoir presque indistincte, mais intelligible pourtant, même en ces profondes ténèbres."]
[addition initiale, antérieure aux deux qui précèdent: "Il marcha dans la direction de Johnston row, mais il ne marchait plus, ils se traînait."]
[f° 144, C6. Trait d'interruption.]
Lui qui n’avait autour de lui que de l’écroulement, il sentit qu’il était point d’appui. Profonde sommation du devoir.
Ni ces idées ni cette situation n’étaient de son âge. Il est probable qu’il ne les comprenait pas. Il agissait d’instinct. Il faisait ce qu’il faisait.
Il marcha dans la direction de Johnstone row.
Mais il ne marchait plus, il se traînait. ["Lui qui...": addition en marge, reprise des ajouts de la fin du folio précédent.]
Il laissa à sa gauche Ste Mary Street, fit des zigzags dans des ruettes, et au débouché d’un boyau sinueux [corrige "tortueux"(?)] entre deux masures, se trouva dans un assez large espace libre. C’était un terrain vague, point bâti, ["l'endroit" barré en correction cursive] probablement l’endroit où est aujourd’hui Chesterfield Place. Les maisons finissaient là. Il apercevait à sa droite [corrige "gauche"] la mer, et presque plus rien de la ville à sa gauche [corrige "droite"].
Que [en sc. cursive sur +] devenir ? La campagne recommençait. A l’est, de grands plans inclinés de neige marquaient les larges versants de Radipole. Allait-il continuer ce voyage ? allait-il avancer et rentrer dans les solitudes ? allait-il reculer et rentrer dans les rues ? que faire entre ces deux silences, la plaine muette et la ville sourde ? lequel choisir de ces refus ?
Il y a l’ancre de miséricorde, il y a aussi le regard de miséricorde. C’est ce regard que le ["garçon" rayé en correction cursive] pauvre petit désespéré jeta autour de lui.
Tout à coup il entendit une menace.
On ne sait quel grincement [en sc. sur "grondement"] étrange et alarmant [corrige "farouche", qui corrige "hargneux" qui corrige +] vint dans cette ombre jusqu’à lui.
C’était de quoi reculer. Il avança.
A ceux que le silence consterne, un rugissement plaît.
Ce rictus [corrige "grincement" en sc. sur "grondement"] féroce [en sc sur +; dans un premier temps l'addition est plus développée: "vorace [en sc. sur +], + et +"] le rassura. Cette menace était une promesse. Il y avait là un être vivant et éveillé ["un être..." corrige "quelqu'un"], fût-ce une bête fauve. Il marcha du côté d’où venait le grincement [en sc. sur "grondement"].
[Trait d'interruption. Changement d'écriture. Les deux premières lignes qui suivent sont écrites sur un texte qui semble le même, au crayon.]
Il tourna un angle de mur, et, derrière, à la réverbération de la neige et de la mer, sorte de vaste éclairage sépulcral, il vit une chose qui était là comme abritée ["qui était là..." corrige "qui dégageait une fumée" qui corrige " qui + + quatre roues"]. C’était une charrette à moins que ce ne fût une cabane [corrige "maison"]. Il y avait des roues, c’était une voiture ; et il y avait un toit, c’était une demeure. Du toit sortait un tuyau, et du tuyau une fumée. Cette fumée était vermeille [corrige "rougeâtre" en sc. sur "rouge"], ce qui semblait annoncer un assez bon feu à l’intérieur. [faux départ: "Le garçon approcha."] A
[Trait d'interruption. Très pâle, c'est peut-être un artefact.]
[f° 146, D6. Trait d'interruption. Probablement mise au net. L'accueil fait par Ursus à Gwynplaine et Dea, élément central et sans doute originel de tout le roman, a quantité de scénarios ou ébauches qui compliquent beaucoup et rendent passionnant l'examen de sa genèse -voir l'avant-texte. ]
l’arrière, des gonds en saillie indiquaient une porte [en sc. sur +], et au centre de cette porte une ouverture carrée laissait voir de la lueur dans la cahute. Il approcha.
Ce qui avait grincé le sentit venir. Quand il fut près de la cahute, la menace devint furieuse. Ce n’était plus à un grondement qu’il avait affaire, mais à un hurlement. Il entendit un bruit sec, comme d’une chaîne violemment tendue, et brusquement, au dessous de la porte, dans l’écartement des ["dans..." corrige "entre les"] roues de derrière, deux rangées de dents aiguës et blanches apparurent.
En même temps qu’une gueule entre les roues, une tête passa par la lucarne.
— Paix là [en sc. sur "Silence"], dit la tête.
La gueule se tut.
La tête reprit :
— Est-ce qu’il y a quelqu’un ?
L’enfant répondit :
— Oui.
— Qui ?
— Moi.
— Toi , qui ça ? D’où viens-tu ?
— Je suis las, dit l’enfant.
— Quelle heure est-il ?
— J’ai froid.
— Que fais-tu là ?
— J’ai faim.
La tête [en sc. cursive sur "— Tout"] répliqua :
— Tout le monde ne peut pas être heureux comme un lord. Va-t-en.
La tête rentra, et le vasistas se ferma.
L’enfant courba [corrige "baissa"] le front, resserra entre ses bras la petite endormie et rassembla sa force ["rassembla..." corrige "se retourna"] pour se remettre en route [corrige "marche"]. Il fit quelques pas et commença à s’éloigner. [phrase ajoutée]
Cependant, en même temps que la lucarne s’était fermée, la porte s’était ouverte. Un marchepied s’était abaissé. [phrase ajoutée] La voix qui venait de parler ["venait de parler" corrige "avait répondu"] à l’enfant cria du fond de la cahute avec colère :
— Eh bien, pourquoi n’entres-tu pas ?
L’enfant se retourna.
— Entre donc, reprit la voix. Qui est-ce qui m’a donné un [un ou deux mots barrés en correction cursive] garnement [en sc. sur "drôle"] comme cela, qui a faim et [en sc. cursive sur une virgule] qui a froid, et qui n’entre pas ! [faux départ: "On te dit de"]
[Trait d'interruption.]
[f° 147, E6]
L’enfant, à la fois repoussé et attiré, demeurait immobile. La voix repartit [en sc. sur "recommença"] :
— On te dit d’entrer, drôle !
Il se décida, et mit un pied sur le premier échelon de l’escalier [corrige "du marchepied"].
Mais on gronda sous la voilure.
Il recula. La gueule ouverte reparut.
— Paix ! cria la voix de l’homme.
La gueule rentra. Le grondement cessa.
— Monte, reprit l’homme.
L’enfant gravit péniblement les trois marches. Il était gêné par l’autre enfant ["l'autre enfant" corrige "la petite"], tellement engourdie, ["et" barré] enveloppée et roulée dans le suroit [corrige "la veste"] qu’on ne distinguait rien d’elle, et que ce n’était qu’une petite masse informe. ["Il entra dans la cahute." barré] [ms: changement d'écriture mais pas d'alinéa; la copie se méprend sur le décalage résultant de la suppression de la phrase précédente.] Il franchit les trois marches, et parvenu ["et parvenu" corrige "arriva"] au seuil, s’arrêta. ["Il franchit...": ajouté]
Aucune chandelle ne brûlait ["ne brûlait" corrige "n'était allumée"] dans la cahute ["dans...": ajouté], par économie de misère ["économie..." rétabli après avoir été corrigé par "indigence"], probablement. La baraque n’était éclairée que d’une rougeur faite par le soupirail d’un poële de fonte ["d'un poële..." corrige "du poële"] où pétillait [corrige "brulait"] un ["bon" barré] feu de tourbe. Sur le poële fumaient une écuelle et un pot contenant selon toute apparence quelque chose à manger. On en sentait la bonne odeur. Cette habitation était meublée d’un ["grand et long" barré] coffre, [virgule ajoutée; "et" barré] d’un escabeau, et d’une lanterne, point allumée, accrochée [corrige "pendue"] au plafond [", et d'une lanterne...": ajouté]. Plus, aux cloisons quelques planches sur tasseaux et un décroche-moi-ça où pendaient des choses mêlées. Sur les planches et aux clous s’étageaient des verreries, des cuivres, un alambic, un récipient [corrige "vase"] assez semblable à ces vases à grener la cire qu’on appelle grelous, et une confusion d’objets bizarres auxquels l’enfant n’eût pu rien comprendre, et qui était une batterie de cuisine de chimiste. La cahute avait une forme oblongue, le poële à l’avant. ["et un décroche-moi-ça...": addition; elle se substitue à une addition plus brève: "et des clous où pendaient des bric à brac [en sc. sur +], corrigée en "et un décroche-moi-ça où pendaient des choses mêlées."] Ce n’était pas même une petite chambre, c’était à peine une grande boîte. Le dehors était plus éclairé par la neige que cet intérieur par le poële. Tout dans la baraque ["dans la baraque" corrige "y"] était indistinct et trouble. Pourtant un reflet du feu sur le plafond permettait d’y lire cette inscription en gros caractères ["en gros...": ajouté]: URSUS, PHILOSOPHE.
L'enfant, en effet, faisait son entrée chez Homo et chez Ursus [corrige "chez Ursus et chez Homo"]. On vient d'entendre gronder l'un et parler l'autre [corrige "parler l'un et gronder l'autre"].
L'enfant, arrivé au seuil [corrige "en entrant"], aperçut près du poële un homme long, glabre, ["long...": additions, d'abord de "glabre" puis de "long"] maigre et vieux, vêtu en grisaille, [", vêtu...." ajouté] qui était debout et dont le crâne chauve [ajouté] touchait le toit [corrige "plafond"]. Cet homme [corrige "Il"] n'eût pu se hausser sur les pieds. La cahute était juste. [phrase ajoutée]
— Entre, dit l'homme, qui était Ursus ["qui..." ajouté].
L'enfant entra.
— Pose là ton paquet.
L'enfant posa sur le coffre son fardeau, avec précaution, de crainte [en sc. sur "peur"] de ["le réveiller." barré en correction cursive] l'effrayer et de le réveiller.
L'homme reprit :
— Comme tu mets ça là doucement ! Ce ne serait pas pire quand ce serait une châsse. Est-ce que tu as [corrige "N'aurais-tu pas"(?)] peur de faire une fêlure à tes guenilles ? Ah ! l'abominable vaurien ["l'abominable vaurien" corrige "le vaurien" qui corrige "l'affreux vaurien"] , [copie autographe: point d'exclamation] dans [f° 148, F6. Trait d'interruption.] les rues à cette heure là! ["Par quinze degrés de glace! et un ouragan qui est le diable!": addition abandonnée] Qui es-tu ? réponds. Mais non, je te défends de répondre. Allons au plus [VH a d'abord écrit "Allons, allons, au plus" et corrigé] pressé, tu as froid, chauffe-toi.
[Trait d'interruption. Changement d'écriture.]
Et il le poussa par les deux épaules devant le poële [corrige "feu"].
— Es-tu assez mouillé ! Es-tu assez glacé ! S'il est permis d'entrer ainsi dans les maisons ! Allons, ôte [corrige "jette"]-moi toutes ces pourritures, malfaiteur ! ["pourritures..." corrige "guenilles."]
Et, d'une main, avec une brusquerie fébrile, il lui arracha ses haillons qui se déchirèrent en charpie, tandis [corrige "pendant"] que de l'autre main, il décrochait d'un clou une chemise d'homme ["une chemise..." corrige plusieurs mots corrigés avant rature] et une de ces jaquettes de tricot qu'on appelle encore aujourd'hui Kiss-my-Quick.
— Tiens, voilà des nippes.
Il choisit [corrige "prit"] dans le tas un chiffon de laine et en frotta devant le feu ["devant le feu" ajouté] les membres de l'enfant ébloui et défaillant, et ["ébloui..." ajouté] qui, [virgule ajoutée] en cette minute de nudité chaude crut voir et toucher le ciel ["crut voir..." corrige "+ un paradis"]. Les membres frottés, ["il lui" barré en correction cursive] l'homme ["lui" barré] essuya les pieds. ["Les membres..." : phrase ajoutée]
— Allons, carcasse, [ajouté] tu n'as rien de gelé. J'étais assez bête pour avoir peur qu'il n'eût quelque chose de gelé, les pattes de derrière ou de devant ! il ne sera pas perclus pour cette fois. Rhabille-toi. ["Allons...": addition. Elle se substitue à la réplique "— Rhabille-toi."]
L'enfant endossa la chemise et l'homme lui passa par dessus la jaquette de tricot [corrige "laine"].
— A présent…
L’homme avança du pied l’escabeau, y fit asseoir, toujours par une poussée aux épaules, le petit garçon, [plusieurs mots barrés en correction cursive] et lui montra de l’index l’écuelle qui fumait sur le poële. Ce que l’enfant entrevoyait dans cette écuelle, c’était encore le ciel ["le ciel" corrige "du paradis"], c’est-à-dire ["Ce que..." corrige "L'enfant entrevoyait dans cette écuelle"] une pomme de terre et du lard.
— Tu as faim, mange.
L’homme [corrige "Il"] prit sur une planche une croûte de pain ["bis": addition abandonnée] dur et une fourchette de fer, et les présenta [réécrit au-dessus du même mot barré] à l’enfant. L’enfant [deux ou trois mots barrés corrigés "rudoyé et ébloui", le tout barré; "défaillant et ébloui" barré] hésitait.
— Faut-il que je te mette le couvert ! [virgule corigée en point d'exclamation] dit l’homme.
Et il posa l’écuelle sur les genoux de l’enfant.
— Mords dans tout ça !
La faim l’emporta sur l’ahurissement. L’enfant se mit à manger. Le pauvre être dévorait plutôt qu’il ne mangeait. Le bruit joyeux du pain croqué remplissait la cahute. L’homme bougonnait.
— Pas si vite, horrible goinfre ! Est-il gourmand, ce gredin-là ! Ces canailles qui ont [f° 149, G6. Trait d'interruption.] faim mangent d’une façon révoltante [corrige "dégoutante"]. On n’a qu’à voir souper un lord; j’ai vu dans ma vie des ducs manger, ils ne mangent pas ; c’est ça qui est noble. ["souper un lord..." : une série de corrections depuis la rédaction initiale: "souper un lord, il ne touche à rien, il ne mange pas, c'est ça qui est noble."] Ils boivent [corrige "De(?) boire"], par exemple. Allons, marcassin, empiffre-toi ! ["Allons..." addition; elle est distincte de celle qui suit.]
L’absence d’oreilles qui caractérise le ventre affamé faisait l’enfant peu sensible à cette violence d’épithètes, tempérée d’ailleurs par la charité [corrige "le contresens"] des actions, contresens à son profit [", contresens..." ajouté; ces deux corrections sont aussi faites, par VH, à la copie]. Pour l’instant, il était absorbé par ces deux urgences, [faux départ: "se réchau"] et par ces deux extases, se réchauffer, manger.
Ursus [en sc. sur "L'homme"] poursuivait entre cuir et chair son imprécation en sourdine :
— ["L'absence d'oreilles..." : addition de second niveau, ajoutée à celle qui suit, qui continuait le monologue d'Ursus.] J’ai vu le roi Jacques souper en personne dans le Banqueting House où l’on admire [corrige "voit"] des peintures du fameux Rubens ; sa majesté ne touchait à rien. Ce gueux-ci broute ! brouter, mot qui dérive [corrige "vient"] de brute. ["J'ai vu le roi Jacques...": addition de premier niveau] Quelle idée ai-je eue de venir dans ce Weymouth, sept fois voué aux dieux infernaux ["sept fois voué..." remplace "de Satan"] ! Je n’ai depuis ce matin rien vendu [corrige "Je n'ai rien vendu de la journée"], j’ai parlé à la neige, j’ai joué de la flûte à l’ouragan, je n’ai pas empoché un farthing, et le soir il m’arrive des pauvres ! Hideuse contrée ! il y a bataille, lutte et concours entre les passants imbéciles et moi. Ils tâchent de ne [oublié et ajouté] me donner que des liards, je tâche de ne leur donner que des drogues. Hé bien, aujourd’hui, rien ! pas un idiot dans le carrefour [en sc. cursive sur "la place"], pas un penny [corrige "sou"] dans la caisse ! Mange, boy de l’enfer ! ["Quelle idée ai-je eue...": addition de second niveau, ajoutée à la précédente. Elle remplace le texte initial: "Quelle idée ai-je eue de venir dans ce Weymouth + [corrigé "de Satan"]. Je n'ai rien vendu de la journée, pas un farthing, pas un + + + + il m'arrive un pauvre! En voilà un affamé!"] Tords et croque !... Nous sommes dans un temps où rien n’égale le cynisme des pique-assiettes. Engraisse à mes dépens, parasite. ["Nous sommes..." addition insérée dans l'addition de troisième niveau en cours] Il est mieux qu’affamé, il est enragé, cet être-là. ["Tords et croque...": addition de troisième niveau, ajoutée à celle de second niveau] Ce n’est pas de l’appétit, c’est de la férocité [corrige "fièvre"]. Il est surmené par un virus rabique. ["Ce n'est pas...": addition, de quatrième niveau, insérée après l'inscription de l'addition "Voilà mon réfectoire dévasté..."] [retour à la rédaction initiale] Qui sait ? il a peut-être la peste. As-tu la peste, brigand ? [phrase ajoutée] S’il allait la donner à Homo ["Homo" corrige "mon loup"] ! Ah mais, non ! crevez, populace [en sc. sur "canaille"], mais je ne veux pas que mon loup meure. Ah ça, j’ai faim moi aussi. Je déclare que ceci [en sc. sur +] est un incident désagréable. [phrase ajoutée] J’ai travaillé aujourd’hui très avant dans la nuit. Il y a des fois dans la vie qu’on est pressé. Je l’étais ce soir de manger. Je suis tout seul, ["J'ai travaillé..." corrige plusieurs mots barrés où l'on distingue "je suis tout seul"; dans cette addition, la formule "très avant dans la nuit" est répètée dans l'addition suivante, ou l'inverse.] je fais du feu, ["je me dis, bon!" barré en correction cursive] je n’ai qu’une [faux départ: "croute de pain, une"] pomme de terre, une croûte de pain, une bouchée de lard et une goutte de lait, je mets ça à chauffer ["je mets..." ajouté], je me dis : bon ! je m’imagine [corrige "me figure"] que je vais me repaître [corrige "manger"]. Patatras ! il faut que ce crocodile [en sc. sur "maudit boy"] me tombe dans ce moment-là. Il s’installe carrément entre ma nourriture [corrige "mon fricot"] et moi. [phrase ajoutée] Voilà mon réfectoire dévasté. [phrase ajoutée à l'addition qui suit] Mange, brochet, ["repais-toi," barré en correction cursive] mange, requin, combien as-tu de rangs de dents dans la gargamelle ? bâfre, louveteau. Non, je retire le mot, respect aux loups. ["Mange." barré] Engloutis ma pâture [en sc. sur "nourriture"], boa [en sc. sur "brigand"] ! ["C'est égal, part à deux." barré et déplacé] ["Mange, brochet...": addition de premier niveau] J’ai travaillé aujourd’hui ["à des choses utiles" barré], l’estomac vide, le gésier plaintif, le pancréas en détresse, les entrailles délabrées, très avant dans la nuit ; ma récompense est de voir manger un autre. ["J'ai travaillé...": addition de second niveau] C’est égal, part à deux. Il aura le pain, la pomme de terre et le lard, mais j’aurai le lait.
En ce moment un cri [en sc. cursive sur "une p"] lamentable [corrige "plaintif"] et prolongé s’éleva dans la cahute. L’homme dressa l’oreille [en sc. sur "la tête"].
— Tu cries maintenant, sycophante ["maintenant ..." corrige "à présent, moustique(?)"] ! Pourquoi cries-tu ?
Le garçon se retourna. Il était évident qu’il ne criait pas. Il avait la bouche pleine.
Le cri ne s’interrompait pas [en sc. sur "continuait"].
L’homme alla au coffre.
— C’est donc le paquet qui gueule ! Vallée de Josaphat ["Vallée..." en sc. sur + + +"] ! Voilà le paquet qui vocifère [corrige "beugle"] ! ["Vallée de..." : addition en sc. sur + + +; elle se substitue à une autre addition: "Misère, voilà le paquet qui beugle!"] Qu’est-ce qu’il a à croasser [corrige "vociférer" qui corrige "crier"], ton paquet ?
Il déroula le suroit. Une tête d’enfant en sortit, la bouche ouverte et criant.
— Hé bien, qui va là ? dit l’homme. ["une fille, c'est un cri de fille" barré] ["Qui vive! aux armes! caporal, hors la garde!": addition rayée et déplacée] Qu’est-ce que c’est ? Il y en a un autre. Ça ne va donc pas finir ? Qui vive ! aux armes ! Caporal, hors la garde ! deuxième patatras ! ["ça ne va donc pas finir" barré] ["Qui vive!..." addition] Qu’est-ce que tu m’apportes là, bandit [ajouté]? Tu vois bien qu’elle a soif. Allons, il faut qu’elle boive, celle-ci. Bon ! [ajouté] je n’aurai pas même le lait à présent.
[Trait d'interruption; il est raturé d'un zigzag, sans doute parce que Hugo a repris le travail le jour même.]
Il prit dans un fouillis sur une planche un rouleau de linge à bandage ["à bandage" ajouté], une éponge et une fiole, en murmurant [correction cursive de "et dit"] avec frénésie [en sc. sur +] :
— Damné [en sc. sur "Maudit"] pays !
Puis il considéra la petite.
— C’est une fille. Ça se reconnaît [corrige "Je le reconnais"] au glapissement. ["Elle + + inexorablement." barré] Elle est trempée, elle aussi. ["Puis il considéra..." : addition; elle reprend et corrige ce qui est peut-être une addition antérieure: "Puis il considéra [en sc. sur "regarda"] la petite, laquelle [corrige "qui"] vagissait inexorablement.
— Ah l'abominable pisseuse! Voilà où mène la soif. Est-elle laide!"]
[f° 150, H6. Trait d'interruption.]
Il arracha, comme il avait fait pour le garçon, les haillons dont elle était plutôt ["embar" barré en correction cursive] nouée que vêtue, et il l’entortilla ["d'une grosse toile" barré en correction cursive] d’un lambeau indigent, mais propre et sec, de grosse toile. Ce rhabillement rapide et brusque exaspéra la petite fille.
— Elle miaule inexorablement, dit-il. ["Il arracha...": addition]
Il coupa avec ses [en sc. sur "les"(?)] dents un ["petit" barré] morceau allongé [ajouté] de l’éponge, déchira du rouleau ["du rouleau" ajouté] un carré de linge, en étira un brin de fil ["un brin..." corrige "un peu de fils"], prit sur le poële le pot où il y avait du lait, remplit de ce lait la fiole, introduisit à demi l’éponge dans le goulot, couvrit l’éponge avec le linge, ficela ce bouchon avec le fil, appliqua contre sa joue la fiole pour s’assurer qu’elle n’était pas trop chaude, et [ajouté; l'est aussi à la copie, de la main de la copiste] saisit sous son bras gauche le maillot éperdu [ajouté] qui continuait de crier ["éperdument" barré].
— Allons, soupe, créature ! [un mot et sa correction barrés] prends-moi le téton. [La réplique corrige "— Allons, ["prends-moi le téton" addition] tette ma fille(?) . C'est une fille, je le reconnais au glapissement."]
Et il lui mit dans la bouche le goulot de la fiole.
La petite but [corrige "se mit à boire"] avidement.
Il soutint la fiole à l’inclinaison voulue ["Il soutint..." corrige "Il la regarda boire"] en grommelant :
— Ils sont tous les mêmes, les lâches ! quand ils ont ce qu’ils veulent, ils se taisent.
[Trait d'interruption.]
La petite avait bu si énergiquement et avait saisi avec tant d’emportement ce bout de sein offert par cette [en sc. sur "une"] providence bourrue, qu’elle fut prise d’une quinte de toux.
— Tu vas t’étrangler, gronda [corrige "dit"] Ursus. Une fière goulue aussi que celle-là !
Il lui retira l’éponge [corrige "le goulot"] qu’elle suçait, laissa la quinte s’apaiser, et lui replaça la fiole entre les lèvres, en disant :
— Tette, coureuse! ["La petite avait bu...": addition]
Cependant le [rétabli après correction en "le petit"] garçon avait posé sa fourchette ["avait posé..." corrige "s'était interrompu"]. Voir [corrige "Regarder"] la petite ["fille": addition abandonnée] boire lui faisait oublier de manger. Le moment [corrige "L'instant"] d’auparavant, quand il mangeait, ce qu’il avait dans le regard, c’était de [mangeait..." corrige "se remplissait l'estomac, ses yeux exprimaient de"] la satisfaction, maintenant c’était de la reconnaissance ["c'était de..." corrige "ils explimaient la joie"]. Il regardait la petite revivre. Cet achèvement de la [ajouté] résurrection commencée par lui ["commencée...": addition] emplissait sa prunelle d’une réverbération ineffable. Ursus continuait entre ses gencives son mâchonnement de paroles courroucées. Le petit garçon par instant levait sur ["levait sur" corrige "tournait vers"] Ursus [oublié et ajouté, en sc. sur "lui"] ses yeux humides de l’émotion indéfinissable qu’éprouvait, sans pouvoir l’exprimer [corrige "la comprendre"], le pauvre être rudoyé et attendri.
Ursus l’apostropha furieusement [en sc. sur "violemment"]:
— Eh bien, mange donc !
— Et vous ? dit l’enfant tout tremblant, et une larme dans la prunelle. Vous n’aurez rien ?
— Veux-tu bien manger tout, engeance ! ["et tout de suite" barré] Il n’y en a pas trop pour toi puisqu’il n’y en avait pas assez pour moi.
L’enfant reprit sa fourchette, mais ne ["la remplit(?) pas" barré en correction cursive] mangea point [en sc. sur "pas"].
— Mange, vociféra Ursus. [un mot corrigé par sucharge, le tout barré] Est-ce qu’il s’agit de moi ? Qui est-ce qui te parle de moi ? ["Est-ce qu'il s'agit...": addition] Mauvais [corrige "Affreux"] petit clerc pieds nus de la paroisse de Sans-le-Sou [en sc. sur "des meurt-la-faim"], je te dis de manger tout. Tu es ici pour ["boire," barré en correction cursive] manger, boire et dormir. Mange, sinon je te jette à la porte, toi et [f° 151, I6. Ce folio intercalé est la réfection et le développement du début du folio suivant.] ta drôlesse !
Le garçon, sur cette menace, se remit à manger. Il n’avait pas grand’chose à faire pour expédier ce qui restait dans l’écuelle.
Ursus murmura : [ajouté]
— Ça joint mal, cet édifice [", dit [corrigé "marmonna"] Ursus" barré] . Il vient du froid par les vitres.
Une vitre en effet avait été cassée à l’avant, par quelque cahot de la carriole ou par quelque pierre de polisson. Ursus avait appliqué sur cette avarie une étoile de papier qui s’était décollée. La bise entrait par là.
Il [en sc. sur "Ursus"] s’était à demi assis sur le coffre. La petite, à la fois dans ses bras et sur ses genoux, suçait voluptueusement la bouteille avec cette somnolence béate des chérubins devant Dieu ["chérubins..." corrige "anges"; "devant Dieu": ajouté; les deux interventions ne sont pas simultanées] qui prient et des enfants qui tettent. ["qui tettent.": variante sans choix: "devant la mamelle." La copiste produit un texte fait de ces corrections mal comprises : "des chérubins devant Dieu qui prient et des enfants qui tettent devant la mamelle." VH rétablit le bon texte.]
— Elle est soule, dit Ursus.
Et il reprit :
— Faites donc des sermons sur la tempérance.
Le vent arracha de la vitre l’emplâtre de papier qui vola travers la cahute ; mais ce n’était pas de quoi troubler les deux enfants occupés à renaître.
Pendant que la petite buvait et que le petit mangeait, Ursus maugréait:
— L’ivrognerie commence au maillot. Donnez vous donc la peine d’être l’évêque Tillotson et de tonner contre les excès de la boisson. Odieux [en sc. sur "Abominable"(?)] vent coulis ! Avec cela que mon poële est vieux. Il laisse échapper des bouffées de fumée à vous donner le trichiasis. On a l’inconvénient du froid et l’inconvénient du feu. On ne voit pas clair. [faux départ: " + + encore pu distinguer le visage de ce"] L’être que voici [en sc. sur "voilà"] abuse de mon hospitalité, eh bien, je n’ai pas encore pu distinguer le visage de ce mufle. Le confortable fait défaut céans. Par Jupiter, j’estime fortement les festins exquis dans les chambres bien closes. J’ai manqué ma vocation, j’étais né pour être sensuel. Le plus grand des sages est Philoxénès qui souhaita d’avoir un cou de grue pour gouter plus longuement les plaisirs de la table. Zéro de recette aujourd’hui ! Rien vendu de la journée ! Calamité. Habitants, laquais, et bourgeois, voilà
[f° 152, J6. Trait d'interruption. Le haut du folio encadré et barré à grands traits, texte initial et addition, a été réécrit au folio précédent intercalé.]
["ta drolesse [en sc. sur "gueuse"]!
Le garçon, sur cette menace, [", sur cette...": ajouté] se remit à manger. Il expédia [corrige "acheva"] ce qui restait dans l'écuelle.
Pendant que le petit mangeait et que la petite buvait, Ursus maugréait:
— Ça joint mal, cet édifice. Il vient du froid par les vitres.
Une vitre en effet était cassée à l'avant. L'étoile de papier appliquée [corrige "posée"] sur la fracture s'était décollée et la bise [corrige "le vent"] soufflait par là. Ce monologue [deux mots écrits en sucharge sur deux autres]. ["— Ça joint mal...": addition de troisième niveau, ajoutée à la suivante]
— Et mon poële est vieux. Il laisse échapper des bouffées de fumée, de sorte qu'on a à la fois l'inconvénient du vent et l'inconvénient du feu. On ne voit pas clair ici. Le confort fait défaut. ["— Et mon poële...": addition de deuxième niveau, ajoutée à la suivante]
["Il vient du froid par les vitres." phrase barrée et déplacée] Par Jupiter, j'estime fortement les festins exquis dans les chambres bien closes. J'ai manqué ma vocation, j'étais né pour être sensuel. Le plus grand des sages est Philoxénès qui souhaitait d'avoir un cou de grue pour gouter plus longuement les plaisirs de la table. Zéro de recette aujourd'hui. [Ce paragraphe est l'addition initiale. Hugo la lie en effaçant l'alinéa à la rédaction initiale en partie droite.]
[Trait d'interruption.]
Rien vendu de la journée! Calamité! Habitants, laquais et bourgeois, [ces trois mots ajoutés] ["Habitants...": addition] voilà"]
le médecin, voilà la médecine. Tu perds ta peine, mon vieux. Remballe ta pharmacie. Tout le monde se porte bien ici. En voilà une ville maudite où personne n’est malade ! Le ciel seul a la diarrhée. Quelle neige ! Anaxagoras enseignait que la neige est noire. Il avait raison, froideur étant noirceur. La glace, c’est la nuit. ["Anaxagoras...": addition de second niveau, ajoutée à la suivante] Quelle bourrasque [corrige "neige"] ! Je me représente l’agrément de ceux qui sont en mer. L’ouragan, c’est le passage des satans, c’est le hourvari des brucolaques galopant [en sc. cursive sur "roul"] et roulant tête bèche, au dessus de nos boîtes osseuses, dans la nuée, celui-ci a une queue, celui-là a des cornes, celui-là a une flamme pour langue, cet autre a des griffes aux aîles, cet autre a ["un ventre [corrigé "une bedaine"] d'+" le tout barré en correction cursive] une bedaine de lord-chancelier, cet autre a une caboche d’académicien, [", cet autre a une caboche...": ajouté] on distingue une forme dans chaque bruit. A vent nouveau, démon différent . L’oreille écoute, l’œil voit, le fracas est une figure. ["Quelle bourrasque...": addition de premier niveau] Parbleu, il y a des gens en mer, c’est évident. [" + voyageurs(?) + + bonne chance" rayé]. ["Parbleu, il y a ..." première extension de l'addition qui précède] Mes amis, tirez-vous de la tempête, ["moi" barré] j’ai assez à faire de me tirer de la vie. Ah ça, est-ce que je tiens auberge, moi ? Pourquoi est-ce que j’ai des arrivages de voyageurs ? La détresse universelle ["détresse..." corrige "tempête"] a des éclaboussures jusque dans ma pauvreté [corrige "misère"]. Il me tombe dans ma cabane des gouttes hideuses de la grande boue humaine. Je suis livré à la voracité des passants. Je suis une proie. La proie des meurt-de-faim. L’hiver, la nuit, une cahute de carton, un malheureux [ajouté] ami dessous et dehors, la tempête, une pomme de terre, du feu ["une pomme..." corrige "gros comme le poing de feu"], gros comme le poing, des parasites, le vent pénétrant [corrige "entrant" en sc. sur "soufflant" et une autre variante en ligne supérieure] par toutes les fentes, pas le sou, et des paquets qui se mettent à aboyer ! On les ouvre, on trouve dedans des gueuses. Si c’est là un sort ! J’ajoute [corrige "Et dire"] que les lois sont violées ! ["Mes amis, tirez-vous...": seconde extension de l'addition initiale] [retour au texte initial] Ah ! vagabond avec ta vagabonde, malicieux [corrige "méchant"] pick-pocket, avorton [le mot, en addition, corrige ou complète "affreux petit" lui-même corrigé en +, le tout rayé] mal intentionné, ah ! tu circules dans les rues passé le couvre [en sc. cursive sur "coup"]-feu ! Si notre bon roi le savait, c’est lui qui te ferait joliment flanquer dans un cul de basse fosse pour t’apprendre ! ["Ah!" barré] Monsieur se promène la nuit, avec mademoiselle ! [faux départ: "Sache que c'est défendu."] Par quinze degrés de froid, nu tête, ["nu tête," ajouté] nu pieds ! sache que c’est défendu. Il y a des règlements et ordonnances ["règlements..." corrige "lois"], factieux [corrige "misérable"] ! les vagabonds sont punis, les honnêtes gens qui ont des maisons à eux sont gardés et protégés, les rois sont les pères du peuple. Je suis domicilié, moi ! [phrase ajoutée] Tu aurais été fouetté en place publique, si l’on t’avait rencontré [corrige "pris"], et c’eût été bien fait. Il faut de l’ordre dans un état policé [corrige "bien réglé"]. Moi j’ai eu tort de ne pas te dénoncer au constable. Mais je suis ["toujours" barré] comme [oublié et ajouté] cela, je comprends [variante sans choix: "connais" barré à la copie; les deux corrigent "vois"] le bien, et je fais le mal. Ah ! le ruffian ! ["Ah! le ruffian!" remplace "Maintenant, c'est dit. Comment" barré] m’arriver dans cet état-là ! Je ne me suis pas aperçu de leur neige en entrant. Ça [en sc. sur "elle"] a fondu. Et voilà toute ma maison mouillée [corrige "tout mon domicile mouillé"]. J’ai l’inondation chez moi. Il faudra brûler un charbon impossible pour sécher ce lac [en sc. sur "gâchis" qui corrige un mot lui-même corrigé en surcharge]. Du charbon à douze farthings le dénerel [corrige "sac"] ! Comment allons-nous faire pour tenir trois dans cette baraque ? Maintenant c’est fini, j’entre dans la nursery ["Maintenant..." corrige "Maintenant, c'est dit,"], je vais avoir chez moi en sevrage l’avenir de la gueuserie d’Angleterre. J’aurai pour emploi, office [", office": ajouté] et fonction de dégrossir les fœtus mal accouchés de la grande coquine Misère, [deux ou trois mots barrés en correction cursive] de perfectionner la laideur des gibiers de potence en bas âge, et de donner aux jeunes filous des formes de philosophe ! La langue de l’ours est l’ébauchoir de Dieu ["de Dieu" corrige "du bon Dieu"] . Et dire que si je n’avais pas été depuis trente ans grugé par des espèces [corrige "coquins"(?)] de cette sorte [corrige "espèce"], je serais riche, Homo serait gras, ["Homo serait gras," corrige "Homo ne serait pas maigre;"] [f° 153, K6. Trait d'interruption.] j’aurais un cabinet de médecine plein de raretés, des instruments de chirurgie autant que le docteur Linacre, chirurgien du roi Henri VIII, divers animaux de tous genres ["tous genres" en sc. sur "toute espèce"], des momies d’Égypte, et autres choses semblables ! Je serais du Collége des Docteurs, et j’aurais le droit d’user de la bibliothèque batie en 1652 par le célèbre Harvey, et d’aller travailler [ajouté] dans la lanterne du dôme d’où l’on découvre toute la ville de Londres ! Je pourrais continuer mes calculs sur l’offuscation solaire, et prouver qu’une vapeur caligineuse sort de l’astre. C’est [en sc. sur "C'était"] l’opinion de Jean [ajouté] Kepler, qui naquit un an avant la Saint Barthelemy, et qui fut mathématicien de l’empereur. Le soleil est une cheminée qui fume quelquefois. Mon poële aussi. Mon poële ne vaut pas mieux que le soleil. Oui, j’eusse fait fortune, mon personnage serait autre, je ne serais pas trivial, ["Je pourrais continuer...": addition] je n’avilirais point [corrige "pas"] la science dans les carrefours. Car le peuple n’est pas digne de la doctrine, le peuple n’étant qu’une multitude d’insensés, qu’un mélange confus de toute sorte d’âges, de sexes, d’humeurs et de conditions, que les sages de tous les temps n’ont point hésité à mépriser, et dont [corrige "que"] les plus modérés, dans [en sc. sur "écoutant"(?)] leur [un mot barré, sans doute en correction cursive] justice, détestent l’extravagance et la fureur ["détestent..." corrige "accusent d'extravagance et de fureur"]. Ah ! je suis ennuyé de ce qui existe. Après cela, on ne vit pas longtemps. C’est vite fait, la vie humaine. ["En attendant, tu m'as mangé mon souper, affreux petit voleur!" barré et déplacé]
[Trait d'interruption sous cette ligne. Changement d'écriture.]
Hé bien non, c’est long. [phrase ajoutée] Par intervalles [corrige "De temps en temps"], pour que nous ne nous découragions pas, pour que nous ayons la stupidité de [en sc. cursive sur "cons"] consentir à être, et pour que nous ne profitions pas des magnifiques occasions de nous pendre que nous offrent toutes les cordes et tous les clous ["cordes..." corrige "branches d'arbres"], ["être, et pour que nous..." corrige "vivre, encore un peu, et à pousser plus loin,"] la nature a l’air de prendre un peu soin de l’homme. Pas cette nuit pourtant. Elle fait pousser le blé, elle fait mûrir le raisin, elle fait chanter le rossignol, cette sournoise de nature. ["Elle fait pousser le blé..." corrige et développe: 1. "Elle fait pousser le blé, elle fait lever le soleil." 2. "Elle fait pousser le blé, elle fait apparaître l'aurore, cette sournoise nature."] De temps en temps un rayon d’aurore [corrige "chant d'oiseau"], ou un verre de gin, c’est là ce qu’on appelle le bonheur. Une mince bordure de bien autour de l’immense suaire du mal. Nous avons une destinée dont le diable a fait l’étoffe et dont Dieu a fait l’ourlet. En attendant, tu m’as mangé mon souper, ["affreux petit" barré en deux temps: à la copie, "affreux" ne figure pas et VH raye "petit"] voleur !
Cependant le nourrisson [corrige "la petite fille"], qu’il tenait toujours entre ses ["entre ses" en sc. sur "sur son"] bras, et très doucement tout en faisant rage, refermait vaguement les yeux, signe de plénitude ["refermait..." corrige "commençait à refermer les yeux"]. Ursus [corrige "Il"] examina [corrige "regarda"] la fiole, et grogna [corrige "grommela"] :
— Elle a tout bu, l’effrontée !
Il se dressa et, ["Il se..." corrige "Tout en"] soutenant la petite du bras gauche, de la main droite il souleva le couvercle du coffre, et tira de l’intérieur une peau d’ours, ["sa peau, que" barré en correction cursive] ce qu’il appelait, on s’en souvient, sa « vraie peau » [guillemets ajoutés].
Tout en exécutant ce travail, il entendait [en sc. cursive sur "écout"(?)] l’autre enfant manger, et il le regardait de travers.
— Ce sera [en sc. sur "C'est"] une besogne s’il faut désormais que je nourrisse ce glouton en croissance ! ["Ay de mi!" barré] C'est [en sc. sur plusieurs mots et corrections successives, on y distingue "garçon" et "être"] un ver solitaire que j’aurai ["que j'aurai" ajouté] dans le ventre de mon industrie. ["Tout en exécutant...": addition]
[signe d'alinéa à faire] Il étala ["cette peau sur le coffre" barré en correction cursive], toujours d’un seul bras, et de son mieux ["toujours d'un seul...": ajouté en correction cursive au-dessus de "cette peau sur le coffre"; cette disposition d'une correction cursive est exceptionnelle], la [corrige "cette"] peau d’ours ["d'ours" ajouté] sur le coffre, avec des efforts de coude et des ménagements de mouvements pour ne point secouer le commencement de sommeil de la petite fille ["la petite fille" corrige "l'enfant"]. Puis il la déposa sur la fourrure, du côté le plus proche du feu [en sc. sur "poële"].
Cela fait, il mit la fiole vide sur le poële, et s’écria :
— C’est moi qui ai soif !
[f° 154, L6. Trait d'interruption.]
Il regarda dans le pot, il y restait plusieurs bonnes gorgées de lait, il approcha le pot de ses lèvres ["il approcha..." corrige "il porta le pot à sa bouche"]. Au moment où il allait boire, son œil tomba sur la petite fille. Il remit le pot sur le poële, prit la fiole, la déboucha, y vida ce qui restait de lait, juste assez pour l’emplir, replaça l’éponge, [", replaça..." ajouté] et reficela ["l'éponge" barré en correction cursive] le linge sur l’éponge autour du goulot.
— J’ai tout de même faim et ["faim et" ajouté] soif, reprit-il.
Et il ajouta :
— [faux départ d'un ou deux mots] Quand on ne peut pas manger du pain, on boit de l’eau.
On entrevoyait derrière le poële une cruche égueulée.
Il la prit et la présenta au garçon :
— Veux-tu boire ?
L’enfant but, et se remit à manger.
Ursus ressaisit la cruche et la porta à sa bouche. La température de l’eau qu’elle contenait avait été inégalement modifiée par le voisinage du poële. Il avala [en sc. cursive sur "but"] quelques gorgées, et fit une grimace.
— Eau prétendue pure, tu ressembles aux faux amis. Tu es tiède en dessus et froide en dessous. ["— J'ai tout de même faim...": addition]
Cependant le garçon [", + de son côté" barré, sans doute en correction cursive] avait fini de souper ["de souper" ajouté]. ["L'assiette" barré en correction cursive] L’écuelle était mieux que vidée, elle était nettoyée. Il ramassait et mangeait, pensif, quelques miettes de pain éparses dans les plis du tricot, sur ses genoux.
Ursus se tourna vers lui.
— Ce n’est pas tout ça. Maintenant à nous deux. La bouche n’est pas faite que pour manger, elle est faite pour parler. A présent que tu es réchauffé et gavé, animal, prends garde à toi, tu vas répondre à mes questions. D’où viens-tu ?
[Trait d'interruption.]
L’enfant répondit :
— Je ne sais pas.
— Comment, tu ne sais pas ?
— J’ai été abandonné ce soir au bord de la mer.
— Ah ! le chenapan ! Comment t’appelles-tu ? [phrase déplacée et ajoutée] Il est si mauvais sujet qu’il en vient à être abandonné par ses parents. ["Comment t'appelles-tu?" barré et déplacé]
— Je n’ai pas de parents.
— Rends-toi un peu compte de mes goûts, et ["Rends-toi...": ajouté] fais attention que je n’aime point qu’on me chante des chansons qui sont des contes. Tu as des parents, puisque tu as ta sœur.
— Ce n’est pas ma sœur.
— ["Tu me fais l'effet de marcher au bord du mensonge et tu y glisses à chaque instant." barré] Ce n’est pas ta sœur ?
— Non.
— Qu’est-ce que c’est alors ?
— C’est une petite que j’ai trouvée [corrige "C'est un enfant que j'ai trouvé"].
— Trouvée [mis au féminin] !
— Oui.
— Comment ! [encadré de barres verticales, raturées à la copie] tu as ramassé ça ?
— Oui.
— Où ? ["quand?" barré] si tu mens, je t’extermine.
— Sur une femme qui était morte dans la neige.
— Quand ? [la question se substitue à "Voilà un poëme! prends garde à toi."]
[f° 152bis (numérotation à l'encre rouge, 152, erronée), M6.Trait d'interruption.]
— Il y a une heure.
— Où ?
— A une lieue d’ici.
Les arcades frontales [en sc. sur "sourcilières"] d’Ursus se plissèrent [en sc. sur "froncèrent"(?)] et prirent cette forme aiguë qui caractérise l’émotion des sourcils d’un philosophe. [paragraphe ajouté]
— Morte ! en voilà une qui est heureuse ! Il faut l’y laisser dans sa [variante sans choix: "la" raturée à la copie] neige. Elle y est bien. De quel côté ?
— Du côté de la mer.
— As-tu passé le pont ?
— Oui.
[Trait d'interruption.]
Ursus ouvrit la lucarne [corrige "le vasistas"] de l’arrière et examina le dehors. Le temps [corrige +] ne s’était pas amélioré. La neige tombait épaisse et lugubre.
Il referma le vasistas [", décrocha du plafond la lanterne, et l'alluma" barré et déplacé].
Il alla à la vitre trouée [variante sans choix: "cassée" préférée à la copie], il boucha l'étoile [variante sans choix: "le trou", préférée à la copie] avec un chiffon, ["puis" barré] il remit de la tourbe dans le poële, il déploya le plus largement qu’il put ["déploya..." corrige 1. "disposa et étendit" 2. "étendit le plus largement qu'il put"] la peau d’ours sur le coffre, prit un gros livre qu’il avait dans un coin et le mit sous le chevet pour servir d’oreiller, et [ajouté] plaça sur ce traversin la tête de la petite endormie [", détacha la" barré en correction cursive].
["Puis il détacha ["la lanterne" barré en correction cursive] du plafond la lanterne, et l'alluma. C'était une lanterne sourde." barré pour déplacement]
Il se tourna vers le garçon.
— Couche-toi là.
L’enfant obéit et s’étendit tout de son long à côté de la petite.
Ursus roula la peau d’ours autour des deux enfants, et la borda sous leurs pieds [", et la borda..." ajouté].
Il atteignit [un "v", qui ne semble pas de la main de VH, surcharge les deux "t"] sur une planche, et se noua autour du corps une ceinture de toile à grosse poche contenant probablement une trousse de chirurgien et des flacons d’élixirs. [paragraphe ajouté]
Puis il décrocha du plafond la lanterne, et l’alluma. C’était une lanterne sourde. En s’allumant, ["En..." ajouté] elle laissa [corrige "laissait"] les enfants dans l’obscurité [corrige "ombre"].
Ursus entrebailla la porte et dit :
— Je sors [corrige "vais dehors"]. N’ayez pas peur. Je vais revenir. Dormez.
Et, abaissant le marchepied, il cria :
— Homo !
Un grondement tendre [corrige "doux"] lui répondit.
Ursus, la lanterne à la main, [", la lanterne..." ajouté] descendit, le marchepied remonta, la porte se referma. Les enfants demeurèrent seuls.
[faux départ: "Une voix demanda"] Du dehors, une voix, qui était la voix d’Ursus, demanda :
[f° 153bis (numérotation à l'encre rouje, 153, erronée), N6. Trait d'interruption.]
— Boy qui viens de me manger mon souper ! [réplique ajoutée] — [le tiret aurait dû être barré] ["Garçon +" barré, soit en correction cursive, soit pour tenir compte de l'ajout qui précède] Dis donc, tu ne dors pas encore ?
— Non, répondit le garçon.
— Eh bien, si elle beugle, tu lui donneras le reste du lait.
On entendit un cliquetis de chaîne [corrige "chaînes"] ["que la"(?) barré en correction cursive] défaite, et le bruit d’un pas d’homme, compliqué d’un pas de bête, qui s’éloignait.
Quelques instants après, les deux enfants dormaient profondément.
[Trait d'interruption.]
[La première ligne du paragraphe qui suit est écrite en surcharge sur un texte au crayon. Dans la marge, à hauteur du milieu du paragraphe, au crayon et barré à l'encre: "revoir et compléter"]
C’était [corrige "Ce fut"] on ne sait quel [ms: "quelle": correction oubliée] ineffable mélange d’haleines; [ineffable..." corrige "nuit de noces inouie;"] ["+ +" barré sans doute en correction cursive] plus que la chasteté, l’ignorance ["plus que..." corrige: "plus que la chasteté, l'innocence, plus que l'innocence, l'ignorance"] ; une nuit de noces [corrige "un mariage"] avant le sexe. Le petit garçon et la petite fille, nus et côte à côte, eurent pendant ces heures silencieuses [corrige "inexprimables" qui corrige "sombres"] la promiscuité séraphique [corrige "angélique"] de l’ombre [corrige "du rêve"] ; la quantité de songe possible à cet âge flottait de l’un à l’autre ; il y avait probablement sous leurs paupières fermées de la lumière d’étoile ; si le mot mariage n’est pas ici disproportionné, ils étaient mari et femme de la façon dont on est ange. De telles innocences dans de telles ténèbres [corrige "dans un tel inconnu"], une telle pureté dans un tel embrassement, ces anticipations sur le ciel ne sont possibles [variantes sans choix: "permises" et "faites que pour" écartées à la copie] qu’à l’enfance, et aucune immensité n’approche de cette grandeur des petits. De tous les gouffres celui-ci est le plus profond. La perpétuité formidable d’un mort enchaîné hors de la vie, l’énorme acharnement de l’océan sur un naufrage, la vaste blancheur de la neige [corrige "l'avalanche"] recouvrant des formes ensevelies, n’égalent pas, devant l'émotion humaine, [", devant l'émotion humaine," a pour variante sans choix "en pathétique" qui est préféré à la copie] deux bouches d’enfants qui se touchent divinement dans le sommeil, et dont la rencontre n’est pas même un baiser. Fiançailles peut-être ; peut-être catastrophe. L’ignoré pèse sur cette juxtaposition. Cela est charmant ; qui sait si ce n’est pas effrayant ? on se sent le cœur serré. ["De tous les gouffres...": addition] L’innocence est plus suprême même que la vertu. Elle [corrigé à la copie par "L'innocence"] est faite d’obscurité sacrée. [variante sans choix barrée à la copie: "Elle se compose de plus d'obscurité sacrée."] Ils dormaient. Ils étaient paisibles. Ils avaient chaud. La nudité des corps entrelacés amalgamait la virginité des âmes. Ils étaient là comme dans le nid de l’abime.
[grand blanc au bas de la page]
[f° 154bis (numérotation à l'encre rouge, 154, erronnée), O6. Aspect d'une mise au net.]
Le jour commence par être sinistre. Une blancheur triste entra dans la cahute. C’était l’aube, glaciale. Ce blêmissement, qui ébauche en réalité funèbre le relief des choses frappées d’apparence spectrale par la nuit [frappées..." corrige deux mots eux-mêmes corrigés, le tout barré], n’éveilla pas les ["deux" barré] enfants, étroitement endormis. ["Le poële n'était pas tout à fait éteint.": addition barrée et déplacée] La cahute était chaude. On entendait leurs deux respirations ["leurs deux..." corrige "leur double respiration"] alternant comme deux ondes tranquilles. Il n’y avait plus d’ouragan dehors. [faux départ: "Les étoiles s'éteignaient dans"] Le clair du crépuscule prenait lentement possession de l’horizon. Les constellations [corrige "étoiles" lui-même corrigé par un autre mot, "astres" peut-être] s’éteignaient comme des chandelles soufflées l’une après l’autre. [faux départ: "Le profond chant de l'infini sortait de la mer."] Il n’y avait plus que la résistance de quelques grosses étoiles. Le profond chant de l’infini sortait de la mer.
Le poële n’était pas tout à fait éteint. [phrase ajoutée] [faux départ: "Le garçon dormait moins que la fille. Il y avait en lui du veilleur et du gardien."] Le petit jour devenait peu à peu le grand jour. Le garçon dormait moins que la fille. Il y avait en lui du veilleur et du gardien. A un rayon plus vif que les autres qui traversa la vitre, il ouvrit les yeux ; le sommeil de l’enfance s’achève en oubli ; il demeura dans un demi assoupissement, sans savoir où il était, ni ce qu’il avait ["ce qu'il avait" en sc. cursive sur "qui il y"] près de lui, sans faire effort pour se souvenir, regardant au plafond, et se composant un vague travail de rêverie avec les lettres de l’inscription Ursus philosophe, qu’il examinait sans les [en sc. sur "la"] déchiffrer, car il ne savait pas lire.
[f° 155, P6. Aspect d'une mise au net.]
Un bruit de serrure fouillée par une clef lui fit dresser le cou.
La porte tourna [en sc. sur "s'ouvrit"], le marchepied bascula. Ursus revenait. Il monta les trois degrés ["Urus revenait..." corrige "C'était Ursus qui ["C'était..." correction abandonné: "Ursus +"] rentrait"] , sa lanterne éteinte à la main.
En même temps un ["rude" barré] piétinement de quatre pattes escalada lestement le marchepied. C’était [un mot, peut-être surchargé en "Homo" barré en correction cursive] Homo, ["qui + + +" barré, peut-être en correction cursive] suivant Ursus, et, lui aussi, rentrant ["et, lui aussi..." corrige "et rentrant comme] chez lui.
Le garçon réveillé eut un certain sursaut.
Le loup, probablement en [oublié et ajouté] appétit, avait un rictus matinal qui montrait toutes ses dents, très blanches.
Il s’arrêta à demi montée et posa ses deux pattes de devant dans ["de devant dans" corrige "sur l'escalier de"] la cahute, les deux coudes sur le seuil comme un prêcheur au bord d'une [variante sans choix: "de la", préférée à la copie] chaire. Il flaira à distance le coffre qu’il n’était pas accoutumé à voir habité de cette façon. Son buste de loup, encadré par la porte, se dessinait en noir sur la clarté du matin. Il se décida, et fit son entrée. ["Le ga": écrit sans retrait d'alinéa, barré en correction cursive]
Le garçon, en voyant le loup dans la cahute, sortit [en sc. cursive sur "se leva"] de la peau d’ours [corrige "fourrure"], se leva et se plaça debout devant la petite, plus [en sc. cursive sur "dont"] ["profondément" barré] endormie que jamais [", et dont la main rose pendait entre ["le poële" barré en correction cursive] le coffre et le poële" le tout barré et déplacé plus loin dans une addition].
Ursus venait de raccrocher la lanterne au clou du plafond. Il déboucla silencieusement et avec une lenteur machinale sa ceinture où était sa trousse, et la remit sur une planche. Il ne regardait rien et semblait ne rien voir. Sa prunelle était vitreuse. Quelque chose de profond remuait dans son esprit. Sa pensée enfin se fit jour, comme d’ordinaire, par une vive sortie de paroles. Il s’écria :
— Décidément heureuse ! Morte, bien morte.
Il s’accroupit, et ["et" ajouté] remit une pelletée de scories [corrige "tourbe"] dans le poële, et tout en fourgonnant la tourbe, il grommela :
— J’ai eu de la peine à la trouver. La malice inconnue l’avait fourrée sous deux pieds de neige. Sans Homo, qui voit aussi clair avec son nez que Christophe Colomb [f° 156, Q6. Aspect d'une mise au net.] avec son esprit, je serais encore là à patauger dans l’avalanche et à jouer à cache-cache avec la mort. Diogène prenait sa lanterne et cherchait un homme, j’ai pris ma lanterne et j’ai cherché une femme ; il a trouvé le sarcasme, j’ai trouvé le deuil. Comme elle était froide ! J’ai touché [corrige "pris"] la main, une pierre. Quel silence dans les yeux ! Comment peut-on être assez bête pour mourir en laissant un enfant derrière soi ! Ça ne va pas être commode à présent de tenir trois dans celle boîte-ci. Quelle tuile ! Voilà que j’ai de la famille à présent ! Fille et garçon.
Tandis qu’Ursus parlait, Homo s’était glissé près du poële. La main de la petite endormie pendait entre le poële et le coffre. Le loup se mit à lécher ["doucement" barré] cette main.
Il la léchait si doucement [corrige "Sa langue était si douce"] que la petite ne s’éveilla pas.
Ursus se retourna.
— Bien, Homo. Je serai le père et tu seras l’oncle.
Puis il reprit sa besogne de philosophe d’arranger le feu, sans interrompre son aparte.
— Adoption. C’est dit. D’ailleurs Homo veut bien [variante sans choix: "consent" éliminée à la copie]. ["Tandis qu'Ursus parlait...": addition]
Il se redressa.
— Je voudrais savoir qui est responsable de cette morte. Sont-ce les hommes ? ou…
Son œil regarda en l’air, mais au delà du plafond, et sa bouche murmura :
— Est-ce toi ?
Puis son front s’abaissa comme sous un poids, et il reprit [en sc. sur "dit"] :
— La nuit a pris la peine de tuer cette femme.
Son regard, en se relevant, rencontra le visage du garçon réveillé [ajouté; de même à la copie] qui l’écoutait ["dans une immobilité de statue [corrigé "d'esclave"]" barré; à la copie, Hugo surcharge d'abord par "esclave", puis efface le tout.]. Ursus l’interpella brusquement :
— Qu’as-tu à rire ?
Le garçon [en sc. sur +] répondit :
— Je ne ris pas.
Ursus ["l'examina" barré en correction cursive] eut une sorte de secousse, l’examina fixement et en silence pendant quelques instants, et dit :
— Alors tu es terrible.
["Tout"(?) barré] L’intérieur de la cahute dans la nuit était si peu éclairé qu’Ursus n’avait pas encore vu la face du garçon. Le grand jour la lui montrait.
Il posa ["presque violemment" barré] les deux paumes de ses mains sur les deux épaules de l’enfant, considéra encore avec une [f° 157, R6. Aspect d'une mise au net.] attention de plus en plus poignante son visage, et lui cria :
— Ne ris donc plus !
— Je ne ris pas, dit l’enfant.
Ursus eut un tremblement de la tête aux pieds.
— Tu ris, te dis-je !
Puis secouant l’enfant avec une étreinte qui était de la fureur si elle n’était de la pitié, il lui demanda violemment :
— Qui est-ce qui t’a fait cela ?
L’enfant répondit :
— Je ne sais ce que vous voulez dire.
Ursus reprit :
— Depuis quand as-tu ce rire ?
— J’ai toujours été ainsi, dit l’enfant.
Ursus se tourna [en sc. sur "détourna"] vers le coffre en disant à demi voix :
— Je croyais que ce travail là ne se faisait plus.
Il prit au chevet, ["au chevet," ajouté] très doucement pour ne pas la réveiller, le livre qu’il avait mis [oublié et ajouté] comme oreiller sous la tête de la petite.
— Voyons Conquest, murmura-t-il.
C’était une liasse in-folio, reliée en parchemin mou. Il la feuilleta du pouce, s’arrêta à une page, ["s'arrêta à une page": ajouté; de même à la copie; dans les deux cas, Hugo a oublié d'ajouter une virgule] ouvrit le livre tout grand sur le poële, et lut :
— « … De Denasatis. » — C’est ici.
Et il continua :
— « Bucca fissa usque ad aures, genzivis denudatis, ["genzivis..." ajouté; de même à la copie] nasoque murdridato, masca eris, et ridebis semper. [point manquant] » — C’est bien cela.
Et il replaça le livre sur une des planches en grommelant [en sc. sur "murmurant"] :
— Aventure [en sc. cursive sur "Restons"] dont l’approfondissement serait malsain. Restons à la surface. Ris, mon garçon.
En ce moment la petite fille [ajouté] se réveilla. Son bonjour fut un cri.
— Allons, nourrice, donne le sein, dit Ursus.
[f° 158, S6. Aspect d'une mise au net.]
La petite s’était dressée ["La petite..." corrige "Il mit la petite"] sur son séant. Ursus prit sur le poële la fiole, et la lui donna à sucer.
En ce moment le soleil se levait. Il était à fleur de l’horizon. Son rayon rouge entrait par la vitre et frappait de face le visage de la petite fille tourné vers lui [corrige "la lumière"]. Les prunelles de l’enfant fixées sur le soleil réfléchissaient comme deux miroirs cette rondeur pourpre. [faux départ: "Les paupières"] Les prunelles restaient immobiles, les paupières aussi.
— Tiens, dit Ursus, elle est aveugle.
[grand blanc]
[Au bas du folio: "Fini le 24 novembre. Interrompu ce travail. Je vais ["Je vais" en sc. sur "+ d' "] écrire la préface du Livre Paris."]
[f° 159; papier blanc]
[f° 160; papier blanc]
2e partie
[f° 161 blanc; f° 162, T6. Blanc important au haut de la feuille. Mise au net. Au coin supérieur droit: "repris le 1er mai 1867". Les deux premières sections du chapitre ont une rédaction antérieure, plus brève mais très proche pour les parties communes, en 24 747, f° 158.]
Il y avait dans ces temps-là un vieux souvenir. ["Lord Clancharlie." barré]
Ce souvenir était lord Linnœus Clancharlie. [Une première rédaction: "Ce souvenir était lord Clancharlie." est barrée et remplacée par "Lord Clancharlie." qui est barré à son tour et remplacé par "Ce souvenir était lord Clancharlie." corrigé en "C'était lord Clancharlie.". Puis, peut-être en reportant sa correction à la copie, Hugo écrit "Ce souvenir était lord Linnœus" mais sans barrer "C'était lord" à la ligne au-desous. La copiste écrit "Il y avait dans ce temps là un vieux souvenir. ["Ce souvenir était" ajouté] Lord Clancharlie." que VH corrige d'abord en "...un vieux souvenir. C'était lord Clancharlie." puis en "Ce souvenir était lord Linnoeus Clancharlie."]
Le baron Linnœus Clancharlie, contemporain de Cromwell, était un des pairs d’Angleterre, peu nombreux, hâtons-nous de le dire, qui ["Le baron..." résulte à peu près du retour à la première rédaction après l'abandon de deux autres placées en addition. Première rédaction:
"Qu'était-ce que lord Clancharlie?
Lord Clancharlie était un contemporain de Cromwell. Le baron Linnoeus Clancharlie, baron [+ rayé] Hunkerville, était un des pairs d'Angleterre, peu nombreux, hâtons-nous de le dire, qui"
Seconde rédaction, abandonnée: "Dans les vingt dernières années du dix-septième siècle, les contemporains de Cromwell étaient devenus rares. On les comptait. Lord Clancharlie en était un.
Ce contemporain de Cromwell était un des pairs d'Angleterre, peu nombreux, hâtons-nous de le dire, qui"
Troisième rédaction, abandonnée: "Lord ["Linnoeus" ajouté] Clancharlie, contemporain de Cromwell, était, pour des raisons que nous allons indiquer, un peu moins oublié que les autres hommes de son époque [corrige "temps"]"]
avaient accepté la république. Cette acceptation pouvait avoir sa raison d’être, et s’explique à la rigueur, puisque la république avait momentanément triomphé. Il était tout simple que lord Clancharlie demeurât du parti de la république, tant que la république avait eu le dessus. Mais après la cloture de la révolution et la chute du gouvernement parlementaire, lord Clancharlie avait persisté. Il était aisé à sa seigneurie de rentrer dans la chambre haute reconstituée, les repentirs étant toujours bien reçus des restaurations, et Charles II étant bon prince à ceux qui revenaient à lui ; mais lord Clancharlie n’avait pas compris ce qu’on doit aux événements. Pendant que la nation couvrait d’acclamations le roi reprenant possession de l’Angleterre, pendant que l’unanimité [un mot barré, dans doute en correction cursive] prononçait son verdict, pendant que s’accomplissait la salutation du peuple à la monarchie, pendant que la dynastie se relevait au milieu d’une palinodie glorieuse et triomphale, à l’instant où le passé devenait l’avenir et où l’avenir devenait le passé, ce lord était resté réfractaire. Il avait détourné la tête de [f° 163, V6. Mise au net. Trait d'interruption.] toute cette allégresse [corrige "félicité" qui corrige "joie"] ; il s’était volontairement exilé ; pouvant être pair, il avait mieux aimé être proscrit ; et les années s’étaient écoulées ainsi ; et ["loin de son pays, presque hors de son siècle" barré pour utilisation ultérieure] il avait vieilli dans cette fidélité à la république morte. Aussi était-il couvert du ridicule qui s’attache naturellement à cette sorte d’enfantillages.
[Trait d'interruption.]
Il s’était retiré en Suisse. Il habitait une espèce de haute masure au bord du lac de Genève. Il s’était choisi cette demeure dans le plus âpre recoin du lac, entre Chillon où est le cachot de Bonnivard, et Vévey où est le tombeau de Ludlow. Les Alpes sévères, pleines de crépuscules, de souffles et de nuées, l’enveloppaient ; et il vivait là, perdu dans ces grandes ténèbres qui tombent des montagnes. Il était rare qu’un passant le rencontrât. Cet homme était hors de son pays, presque hors de son siècle. En ce moment ["là" barré], pour ceux qui étaient au courant et qui connaissaient les affaires du temps, aucune résistance aux conjonctures [corrige + qui corrrige "faits" qui corrige "événements"] n’était justifiable. L’Angleterre était heureuse [corrige "contente"(?)]; une restauration est une réconciliation d’époux ; prince et nation, on cesse de faire lit à part ; rien de plus gracieux et de plus riant ; la Grande-Bretagne rayonnait ; ["la Grande-Bretagne...": addition; elle se substitue à "On avait un Roi." barré] avoir un roi, c’est beaucoup, mais de plus on avait un charmant [en sc. sur "bon"] roi ; Charles II était aimable, homme de plaisir et de gouvernement [en sc. sur +], et [ajouté] grand à la suite de Louis XIV ; c’était un gentleman et un gentilhomme ; ["une restauration est une réconcilliation...": addition correctrice en deux temps: 1. "Une restauration est une réconciliation...On avait un roi." se substitue à "La restauration était + +" corrigé en "toute restauration est un sourire [barré et employé au f° 165], avoir un roi +". 2. "avoir un roi, c'est beaucoup... et un gentilhomme;" ] Charles II était admiré [en sc. sur "aimé"] de ses sujets ; il avait fait [corrige "faisait"] la guerre de Hanovre, sachant [variante abandonnée: "il savait"] certainement pourquoi ["sachant..." corrige "il avait évidemment ses raisons"] , mais le sachant tout seul [", mais le sachant...": ajouté; de même à la copie]; il avait vendu [corrige "il vendait"] Dunkerque à la France, opération de haute politique ; [faux départ: "signalés par ce cri de douleur de Chamberlayne"] les pairs démocrates, desquels Chamberlayne a dit : « La maudite république infecta avec son haleine puante plusieurs de la ["haute": addition barrée] noblesse », avaient eu le bon sens de se rendre à l’évidence, d’être de leur époque, et de reprendre leur siège à la chambre haute; il leur avait suffi pour cela de prêter au roi le serment d’allégeance. Quand on songeait à toutes ces réalités, à ce beau règne, à cet excellent ["cet excellent" corrige "ce précieux" qui corrige "ce bon"] roi, à ces augustes princes rendus par la miséricorde divine ["miséricorde divine" corrige "providence"] à l’amour des peuples [corrige le singulier] ; quand on se disait que des personnages considérables, tels que Monk, et plus tard ["Monk, et plus tard": addition] Jefferies [corrige "Jeffryes"], s’étaient ralliés au trône, qu’ils avaient été justement récompensés de leur loyauté et de leur zèle par les plus [f° 164, V6. Mise au net. Trait d'interruption.] magnifiques charges et par les fonctions les plus lucratives, que lord Clancharlie ne pouvait l’ignorer, qu’il n’eût tenu [corrige "ne tenait"] qu’à lui d’être glorieusement assis à côté d’eux dans les honneurs, que l’Angleterre était remontée, grâce à son roi, au sommet de la prospérité, que Londres n’était que fêtes et carrousels, que tout le monde était opulent et enthousiasmé [corrige, en deux temps, "riche et content"], que la cour était galante, gaie et superbe, si, par hasard, loin de ces splendeurs, dans on ne sait quel demi-jour lugubre ressemblant à la tombée de la nuit, on apercevait ce vieillard vêtu des mêmes habits que le peuple, pâle, distrait, courbé, probablement du côté de la tombe, debout au bord du lac, à peine attentif à la tempête et à l’hiver, marchant comme au hasard, l’œil fixe, ses cheveux blancs secoués par le vent de l’ombre, silencieux, solitaire, pensif, il était difficile de ne pas sourire.
Sorte de silhouette d’un fou.
En songeant à lord Clancharlie, à ce qu’il aurait pu être et à ce qu’il était, sourire était de l’indulgence. Quelques-uns riaient tout haut. D’autres [", justement + + + peut-être," barré] s’indignaient.
On comprend que les hommes sérieux fussent choqués par une telle insolence d’isolement.
Circonstance atténuante : lord Clancharlie n’avait jamais eu d’esprit. Tout le monde en tombait d’accord.
[Trait d'interruption.]
Il est désagréable de voir les gens pratiquer les vertus difficiles [les vertus..." corrigé en +, barré; variante sans choix ici, correction à la copie: "l'obstination"]. On n’aime pas [un ou deux mots, peut-être "non sans raison", mis entre barres verticales puis rayés] ces façons de Régulus, et dans l’opinion publique quelque ironie en résulte.
Ces escarpements [variante sans choix ici, correction à la copie: "opiniâtretés"] ressemblent à des reproches, et l’on a raison d’en rire.
Et puis en somme ces entêtements, ces escarpements, ["ces entêtements...": addition; de même à la copie] sont-ce des vertus ? N’y a-t-il pas dans ces affiches excessives d’abnégation [variante sans choix: "de renoncement", ne figure pas à la copie, donc inscrite après la collation faite par la copiste et oubliée par Hugo à la correction de la copie, ou écrite après elle.] et d’honneur beaucoup d’ostentation ? C’est plutôt parade qu’autre chose. Pourquoi ces exagérations de solitude et d’exil ? [phrase ajoutée] Ne rien outrer est la maxime du sage. Faites de l’opposition, soit ; blâmez si vous voulez, mais décemment, et tout en criant Vive le roi ! La vraie vertu c’est d’être raisonnable. [changement d'écriture: ce qui suit est ajouté] Ce qui tombe a dû tomber, ce qui réussit a dû réussir. La providence a ses motifs [corrige "raisons"]; elle couronne [corrige "fait triompher"] qui le mérite. Avez-vous la prétention de vous y connaître mieux qu’elle ? Quand les circonstances [corrige "événements" qui corrige "faits accomplis"] ont prononcé, quand un régime a remplacé l’autre, quand la défalcation du vrai et du faux s’est faite [f° 165, X6. Mise au net. Trait d'interruption.] par le succès, ici la catastrophe, là le triomphe, aucun doute n’est plus possible, l’honnête homme se rallie à ce qui a prévalu, et, quoique cela soit utile à sa fortune et à sa famille, ["mais" barré] sans se laisser influencer par cette considération, et ne songeant qu’à la chose publique, il [ajouté] prête main forte au vainqueur.
["Jamais situation ne fut plus nette et plus décisive que celle de 1660. Jamais la conduite à tenir n'avait été plus clairement indiquée à un bon esprit." barré et déplacé] ["Ce qui tombe a dû tomber...": addition]
Que deviendrait l’état si personne ne consentait à servir ? tout s’arrêterait donc ? Garder sa place ["en bon anglais" barré, peut-être en correction cursive] est d’un bon citoyen. ["Le véritable dévouement est celui-là:" barré] Sachez sacrifier vos préférences secrètes. Les emplois veulent être tenus. Il faut bien que quelqu’un se dévoue. Être fidèle aux fonctions publiques est une fidélité. La retraite des fonctionnaires serait la paralysie de l’état. Vous vous bannissez, c’est pitoyable. ["Quel personnage vous croyez-vous donc?" barré pour déplacement] Est-ce un exemple ? quelle vanité ! Est-ce un défi ? quelle audace ! Quel personnage vous croyez-vous donc ? Apprenez [corrige "Sachez"] que nous vous valons. Nous ne désertons pas, nous. [phrase ajoutée] Si nous voulions, nous aussi nous serions intraitables et indomptables, et nous ferions de pires choses que vous. Mais nous aimons mieux être des gens intelligents. Parce que je suis Trimalcion, vous ne me croyez pas capable d’être Caton ! Allons donc ! ["Allons donc!", ajouté, remplace "Quelle erreur [en sc. sur "misère"(?)"]! Voilà qui est fort!"; de même à la copie] ["Que deviendrait l'état..." addition de la même écriture que la précédente. Ensemble, elles se substituent à la première rédaction:
"On était hors de Cromwell. Soulagement
immense. On respirait, et, en même temps, il y avait lieu, certes, à
un vaste meâ culpâ. Charles II était indulgent. Il avait
donné la déclaration de Breda. ["De 1640" barré en correction cursive]
Depuis 1640, et particulièrement dans l'interrègne ["de onze ans" mis
entre barres verticales puis barré] qui avait séparé 1649 de 1660, la
mort d'un Charles du retour d'un autre, [beaucoup de faits irréguliers
s'étaient produits." barré en correction cursive] sous le république,
beaucoup de faits irréguliers s'étaient produits."]
Jamais situation ne fut plus nette et plus décisive que celle de 1660. Jamais la conduite à tenir n’avait été plus clairement indiquée à un bon esprit.
L’Angleterre [corrige "On"] était hors de Cromwell. Sous la république ["III Jamais situation...": addition de la même écriture que la précédente] beaucoup de faits irréguliers s’étaient produits. On avait crée la suprématie britannique ; on avait, avec [corrige "à"] l’aide de la Guerre de Trente Ans, dominé l’Allemagne; avec [corrige "à"] l’aide de la Fronde, abaissé la France; avec [corrige "à"] l’aide du duc de Bragance, amoindri l’Espagne. Cromwell avait domestiqué Mazarin ; dans les traités, ["dans les traités," ajouté] le Protecteur d’Angleterre ["+ brasseur de Huntingdon" addition rayée: déplacement abandonné] signait au dessus du roi de France [", qui était Louis XIV" barré] ; on avait mis les Provinces-Unies à l’amende de huit millions, molesté Alger et Tunis ["molesté..." corrige "+ [corrigé + corrigé "châtié"] les barabaresques [corrigé "Alger"]"], conquis la Jamaïque, humilié Lisbonne [corrige "amarré le Portugal"] , suscité dans Barcelone la rivalité française et dans Naples Masaniello ; on avait amarré le Portugal à l’Angleterre ; on avait fait, de Gibraltar à Candie, un balayage des barbaresques ; ["on avait amarré...": addition de second niveau] on avait fondé la domination maritime sous ses deux formes, la victoire et le commerce ; le 10 août 1653, ["on avait fondé..." ajout de troisème niveau à l'addition qui précède en même temps qu'à celle qui suit] l’homme des trente-trois batailles gagnées ["batailles..." corrige "victoires"], le vieil amiral qui se qualifiait Grand-père des matelots, ce Martin Happertz Tromp, qui avait battu [corrige "détruit"] la flotte espagnole, avait été détruit par la flotte anglaise ; ["l'homme des trente-trois...": addition; elle se substitue à deux lignes fortement barrées] on avait retiré l’Atlantique à la marine espagnole, le Pacifique à la marine hollandaise, la Méditerranée à la marine vénitienne, et, par l’acte de navigation, on avait pris possession du littoral universel ; par l’océan on tenait le monde ; ["par l'océan..." corrige une phrase de même longueur] le pavillon hollandais saluait humblement en mer le pavillon britannique ; la France [corrige "Louis XIV"], dans la personne de l’ambassadeur [ajouté] Mancini, faisait des génuflexions à Olivier Cromwell [", brasseur de Huntingdon" barré et déplacé] ; ce Cromwell jouait de Calais et de Dunkerque comme de deux volants sur une raquette ; [point-virgule substitué à point] on avait fait trembler le continent, dicté la paix, décrété la guerre, mis sur tous les faîtes le drapeau anglais ; le seul régiment des Côtes ["C" en sc. sur "c", ou l'inverse]-de-fer du Protecteur pesait dans la terreur de l’Europe autant qu’une armée ; ["on avait fait trembler...": addition de second niveau, ajoutée à l'addition qui suit] Cromwell [corrige "il"] disait : Je veux qu’on respecte la république anglaise comme on a respecté la république romaine ; [trois ou quatre mots barrés] il n’y avait plus rien de sacré ; [phrase ajoutée] la parole était libre, la presse était libre ; on disait en pleine rue ce qu’on voulait ; on imprimait sans contrôle ni censure ce qu’on voulait ; l’équilibre des trônes avait été ["des trônes..." corrige "des puissances était"] rompu ; ["Cromwell disait...": addition] tout l’ordre monarchique européen, dont [en sc. sur +] les Stuarts faisaient partie, avait été bouleversé. Enfin, on était sorti ["Enfin, on..." corrige "On sortait enfin" [encadré de barres verticales], lui-même corrigé en "On était enfin sorti" que reproduit la copie et que VH corrige] de cet odieux [rétabli après la correction "abominable", barrée à la copie] régime, et l’Angleterre avait son pardon.
Charles II, indulgent, avait donné la Déclaration de Bréda. ["Récompenser par de l'ingratitude la bonté qu'il avait de remonter sur le trône, n'était-ce pas abominable?": barré et employé au f° 167]
[Trait d'interruption.]
Il avait octroyé à l’Angleterre l’oubli de cette ["inqualifiable": addition abandonnée] époque où le fils d’un brasseur de Huntingdon mettait le pied sur la tête de Louis XIV ["de Louis XIV": correction ou addition abandonnée: "du grand roi"]. L’Angleterre faisait son mea culpa, et respirait. [phrase ajoutée] L’épanouissement des cœurs ["des coeurs" ajouté], nous venons de le dire, était complet [corrige "universel"] , les gibets des régicides s’ajoutant [variante sans choix barrée à la copie puis au ms: "s'ajoutait"] à la joie universelle [corrige "publique"]. Une restauration est un sourire ; mais un peu de potence [f° 166, Y6. Mise au net.] ne messied pas, et il faut satisfaire la conscience publique. L’esprit d’indiscipline [corrige "de sédition"] s’était dissipé, la loyauté se reconstituait ["se reconstituait" corrige "prévalait" qui corrige "avait repris le dessus"]. Être de bons sujets était désormais l’ambition unique. On était revenu des folies de la politique ; on bafouait la révolution, ["on bafouait...": addition] on raillait la république, et ces temps singuliers où l’on avait toujours de grands mots à la bouche, Droit, Liberté, Progrès ; on riait de ces emphases. Le retour au bon sens était admirable [corrige "unanime"] ; l’Angleterre avait rêvé [phrase ajoutée]. Quel bonheur d’être hors de ces égarements [" d'être hors..." corrige "que ces égarements soient passés"] ! Y a-t-il rien de plus insensé ? Où en serait [variante sans choix "arriverait" barrée à la copie]-on si le premier venu avait des droits ? Se figure-t-on ["l'état où le roi dépend du peuple?" barré] tout le monde gouvernant ? S’imagine-t-on la cité menée par les citoyens ? Les citoyens sont un attelage, et l’attelage n’est pas le cocher. Mettre aux voix, c’est jeter aux vents. Voulez-vous faire flotter ["l'état comme" barré en correction cursive] les états comme les nuées ? Le désordre ne construit pas l’ordre. Si le chaos est l’architecte, l’édifice sera Babel. Et puis quelle tyrannie que cette prétendue liberté ? Je veux m’amuser, moi, et non gouverner. Voter m’ennuie ; je veux danser. Quelle providence qu’un prince qui se charge de tout ! Certes [corrige "Que"] ce roi est généreux de se donner pour nous ["pour nous": ajouté; même ajout à la copie] ["toute" barré] cette peine ! Et puis, il est élevé là dedans, il sait ce que c’est. C’est son affaire. ["Réfléchissez," mis entre barres verticales puis barré] La paix, la guerre, la législation, les finances, est-ce que cela regarde les peuples ? Sans doute il faut que le peuple paie, sans doute il faut que le peuple serve, mais cela doit lui suffire. Une part lui est faite dans la politique ; c’est de lui que sortent les deux forces de l’état, l’armée et le budget. Être contribuable, et être soldat, est-ce que ce n’est pas assez ? Qu’a-t-il besoin d’autre chose ? il est le bras militaire, il est le bras financier. Rôle magnifique. On règne [corrige "pense"] pour lui. Il faut bien qu’il rétribue ce service. Impot et liste civile sont des salaires acquittés par les peuples [mis au pluriel] et gagnés par les princes [mis au pluriel]. Le peuple donne son sang et son argent, moyennant quoi on le mène. ["Une part lui est faite ...": addition; elle se substitue à "Etre contribuable et être soldat, est-ce que ce n'est pas assez? Qu'a-t-il besoin d'autre chose? [Il donne son sang et son argent, moyennant quoi on le mène.": addition] "] Vouloir se conduire lui-même, quelle idée bizarre ! un guide lui est nécessaire [correction abandonnée: "est nécessaire au peuple"]. Étant ignorant, le peuple [corrige "il"] est aveugle. Est-ce que l’aveugle n’a pas un chien ? Seulement, pour le peuple, c’est un lion, le roi, qui consent à être le chien. Que de bonté ! Mais pourquoi le peuple est-il ignorant ? parce qu’il faut qu’il le soit. L’ignorance est gardienne de la vertu. Où il n’y a pas de perspectives [mis au pluriel], il n’y a pas d’ambitions, l’ignorant est dans une nuit utile, qui, supprimant le regard, supprime la convoitise [variante sans choix, préférée à la copie: "les convoitises"]. De là l’innocence. Qui lit pense, qui pense raisonne. Ne pas raisonner, c’est le devoir ; c’est aussi le bonheur ["; c'est aussi le bonheur" ajouté]. Ces vérités sont incontestables. La société est assise dessus.
[f° 167, Z6. Mise au net. Trait d'interruption.]
Ainsi s’étaient rétablies les saines doctrines sociales en Angleterre. Ainsi la nation s’était réhabilitée. [phrase ajoutée] En même temps on revenait à la belle ["à la belle": correction de "au bon sens en"] littérature. On dédaignait Shakespeare et l’on admirait Dryden. Dryden est le plus grand poëte de l’Angleterre [", disait" barré en correction cursive] et du siècle [en sc. sur "monde"], disait Atterbury, le traducteur d’Achitophel ["le traducteur...": placé entre barres verticales]. C’était l’époque où M. Huet, évêque d’Avranches, écrivait a Saumaise qui avait fait à l’auteur du Paradis Perdu l’honneur de le réfuter et de l’injurier [variante sans choix: "insulter" barrée à la copie]: — Comment pouvez-vous vous occuper de si peu de chose que ce Milton ? Tout renaissait. Tout [point et majuscule corrige virgule et minuscule] reprenait sa place. Dryden en haut, Shakespeare en bas, ["sa place...": réécrit après abandon des ajouts: "Dryden et Cowley(?)", "Shakespeare et Milton", qui sont rayés à la copie] Charles II sur le trône [variante sans choix barrée à la copie: "à Windsor"], Cromwell au gibet [corrige "à Tyburn"; à la copie variante sans choix préférée]. L’Angleterre se relevait des hontes et des extravagances du passé. C’est un grand bonheur pour les nations d’être ramenées par la monarchie au bon ordre dans l’état et au bon gout dans les lettres.
Que de tels bienfaits pussent être méconnus, cela est difficile à croire. Tourner le dos à ["Tourner..." corrige "Méconnaître"] Charles II, récompenser par de l’ingratitude la magnanimité qu’il avait eue de remonter sur le trône, n’était-ce pas abominable ? [deux ou trois mots barrés, sans doute en correction cursive] Lord Linnœus Clancharlie avait fait aux honnêtes gens ce chagrin ["fait aux honnêtes...": correction abandonnée: "eu cette indignité"].
[Trait d'interruption. Les deux lignes qui suivent sont écrites en surcharge d'un texte préparatoire au crayon.]
Bouder le bonheur de sa patrie, quelle aberration !
On sait qu’en 1650 le parlement avait décrété cette rédaction [variante sans choix barrée à la copie: "formule"] : — Je promets de demeurer fidèle à la république ["fidèle à la république" corrige "fidèlement + + constamment soumis à la république"], sans roi, sans souverain, sans seigneur. — Sous prétexte qu’il avait prêté ce serment monstrueux, lord Clancharlie vivait hors du royaume, et, en présence [corrige "au milieu"] de la félicité générale, se croyait le droit d’être triste. Il avait la sombre estime de ce qui n’était plus ; attache bizarre à des choses évanouies.
L’excuser [correction abandonnée: "Le justifier"] était impossible ; les plus bienveillants l’abandonnaient. Ses amis lui avaient fait longtemps l’honneur de croire qu’il n’était entré dans les rangs républicains que pour voir de plus près les défauts de la cuirasse de la république, et pour la frapper plus sûrement, le jour venu, au profit de la cause sacrée du roi. Ces attentes de l’heure utile [corrige "favorable"] pour tuer l’ennemi par derrière [f° 168, A7. Mise au net.] font partie de la loyauté. On avait espéré cela de lord Clancharlie, tant on avait de pente à le ["bien" barré en correction cursive] juger favorablement. Mais, en présence de son étrange persistance républicaine, il avait bien fallu renoncer à cette bonne opinion. Évidemment lord [ajouté] Clancharlie ["Evidemment..." corrige "Il était évident qu'il"; de même à la copie] était convaincu, c’est à dire idiot.
L’explication des indulgents flottait entre obstination puérile et opiniâtreté sénile.
Les sévères, les justes, allaient plus loin. Ils flétrissaient ce relaps. L’imbécillité a des droits; mais elle a des limites. On peut être une brute, on ne doit pas être un rebelle. [faux départ: "Qu'ét"] Et puis, qu’était-ce après tout que lord Clancharlie ? un transfuge. Il avait quitté son camp, l’aristocratie, pour aller au camp opposé, le peuple. Ce fidèle était un traître. Il est vrai qu’il était « traître » au plus fort et fidèle au plus faible ; il est vrai que le camp répudié par lui était le camp vainqueur, et que le camp adopté par lui était le camp vaincu ; il est vrai qu’à cette « trahison » il perdait tout, son privilège politique [première rédaction: + + +; trois variantes sans choix: "sa situation politique", "son privilège", "son pouvoir"; à la copie, qui les reproduit, VH barre "son pouvoir" et surcharge "sa situation" par "son privilège"] et son foyer domestique, ["et son foyer..." corrige plusieurs mots barrés, dont le dernier est "fortune", encadrés de traits verticaux. Cette correction et la précédente sont faites d'un seul jet.] sa pairie et sa patrie ; il ne gagnait que le ridicule ; il n’avait de bénéfice que l’exil. Mais qu’est-ce que cela prouve ? qu’il était un niais. Accordé. [sans doute ajouté]
Traître et dupe en même temps, cela se voit. [paragraphe ajpouté]
Qu’on soit niais tant qu’on voudra, à la condition de ne pas donner le mauvais exemple. On ne demande aux niais que d’être honnêtes, moyennant quoi ils peuvent prétendre à être ["peuvent prétendre...": correction abandonnée: "sont"] les bases des monarchies. La brièveté d’esprit de ce Clancharlie était inimaginable. ["Il ne s'était pas rendu compte qu'on peut s'égarer avec Cromwell": barré et employé au folio suivant] Il était resté dans l’éblouissement de la fantasmagorie révolutionnaire. Il s’était laissé mettre dedans par la république, et dehors. Il faisait affront à son pays. ["Il faisait affront...": addition ou correction de trois ou quatre mots, barrés, peut-être "Le voilà bien attrappé!"] Pure félonie que son attitude ! Être absent, [ms: point; reproduit à la copie qui ajoute la majuscule suivante] c’est être injurieux [corrige +]. [faux départ: "Il [+ barré] traitait"] Il semblait se tenir à l’écart du bonheur public comme d’une peste. Dans son bannissement volontaire, il y avait [correction abandonnée: "on devinait"] on ne [f° 169, B7. Mise au net. Il n'est pas exclu que "Dans son bannissement volontaire..." soit une addition et que le f° 169 ait été intercalé.] sait quel refuge contre la ["vaste" suppression immédiate] satisfaction nationale. Il traitait la royauté comme une contagion. Sur la vaste allégresse monarchique, dénoncée par lui comme lazaret, il était le drapeau noir. Quoi ! au dessus de l’ordre reconstitué, de la nation relevée, de la religion restaurée, ["de la société sauvée," barré] faire cette figure sinistre ! sur cette sérénité jeter cette ombre ! ["sur cette..." ajouté] prendre en mauvaise part l’Angleterre contente ! être le point obscur [en sc. sur "noir"(?)] dans ce grand ciel bleu ! Ressembler à une menace ! ["Ressembler...": ajouté] [faux départ: "Cela"] Protester contre le vœu patent de la nation ! refuser son oui au consentement universel ! Ce [corrige "Cela"] serait odieux [en sc. sur "abominable"] si ce n’était pas bouffon. Ce Clancharlie ne s’était pas rendu compte qu’on peut s’égarer avec Cromwell, mais qu’il faut revenir avec Monk [ici et plus loin: en sc. sur "Monck"]. Voyez Monk. Il commande l’armée ["républicaine" barré en correction cursive] de la république, Charles II en exil [corrige "le roi exilé"], instruit de sa probité, lui écrit, Monk, qui concilie la vertu avec les démarches rusées, dissimule d’abord, puis tout à coup, à la tête des troupes, [faux départ: "+ + rep"] casse le parlement factieux, et rétablit le roi, et Monk est créé ["et Monk est créé" corrige "Monk [créé" ajouté]": modification de l'articulation de l'addition au texte initial] duc d’Albemarle, a l’honneur d’avoir sauvé la société, devient très riche [en sc. sur "immensément riche"], illustre à jamais son époque, et est fait chevalier de la Jarretière avec la perspective d’un enterrement à Westminster. ["le roi, et Monk est créé..." addition; elle reprend et corrige le texte initial: ["le roi, et il" barré en correction cursive] ["Charles II" barré en correction cursive] le roi, et voilà + + Monck duc d'Albemarle, ayant sauvé la société, et chevalier de la Jarretière."] Telle est la gloire d’un anglais fidèle [corrige "des anglais fidèles"]. Lord Clancharlie n’avait pu s’élever jusqu’à l’intelligence du devoir ainsi pratiqué. Il avait l’infatuation et l’immobilité de l’exil. [phrase ajoutée] Il [un mot barré en correction cursive] se satisfaisait avec des phrases creuses. Cet homme était ankylosé [corrige "perdu"] par l’orgueil. Les mots, conscience, dignité, etc., sont des mots après tout. Il faut voir le fond.
Ce fond, Clancharlie ne l’avait pas vu. C’était une conscience myope, voulant, avant de faire une action, la regarder d’assez près pour en sentir l’odeur. De là des dégouts absurdes. On n’est pas homme d’état avec ces délicatesses. L’excès de conscience dégénère en [corrige "est"] infirmité. [phrase ajoutée] Le scrupule est manchot devant le sceptre à saisir et eunuque devant la fortune à épouser. Méfiez-vous des scrupules. Ils mènent loin. La fidélité déraisonnable ["La fidélité..." corrige "Le puritanisme"] se descend comme un escalier de cave. Une marche, puis une marche, puis une marche encore, et l’on se trouve dans le noir. Les habiles remontent, les naïfs restent. ["La fidélité...": addition] Il ne faut pas laisser légèrement sa conscience s’engager dans le farouche. De transition en transition on arrive aux nuances foncées de la pudeur politique. Alors on est perdu. C’était là l’aventure de lord Clancharlie.
Les principes finissent par être un gouffre.
[f° 170, C7. Mise au net. Trait d'interruption.]
Il se promenait, les mains derrière le dos, le long du lac de Genève, la belle avance !
On parlait quelquefois à Londres de cet absent. C’était, devant l’opinion publique, à peu près un accusé. On plaidait le pour et le contre. La cause entendue, le bénéfice de la stupidité lui était acquis.
Beaucoup d’anciens zélés de l’ex-république avaient fait adhésion aux Stuarts ["Beaucoup d'anciens...": variante sans choix à "Une partie de sa famille s'était ralliée au roi [corrigé "avait fait adhésion aux Stuarts"]. Cette correction est faite à la copie; il est possible que VH l'ait reportée au manuscrit sans raturer le texte initial.] , ce dont on doit la [variante sans choix: "les"; correction faite à la copie] louer. Naturellement elle [variante sans choix: "ils"; correction faite à la copie] le calomniait [variante sans choix: pluriel; correction faite à la copie] un peu. Les entêtés sont importuns aux complaisants. Les proches de lord Clancharlie [entre barre verticale et variante sans choix: "Des gens d’esprit" correction faite à la copie], bien vus et bien situés en cour, et ennuyés de son attitude désagréable, disaient volontiers : — S’il ne s’est pas rallié, c’est qu’on ne l’a pas payé assez cher, etc. — Il voulait la place de chancelier que le roi a donnée à lord Hyde, etc. — Un de ses cousins [variante sans choix: "« anciens amis »"; correction faite à la copie] allait même jusqu’à chuchoter : — Il me l’a dit à moi-même. Quelquefois, tout solitaire qu’était Linnœus Clancharlie, par des proscrits qu’il rencontrait, par de vieux régicides tels que Andrew Broughton, lequel habitait Lausanne, il lui revenait quelque chose de ces propos ["de famille": mis entre barres verticales; barré à la copie] . ["Il se" barré en correction cursive] Clancharlie se bornait à un imperceptible haussement d’épaules. Signe de profond abrutissement.
Une fois il compléta ce haussement d’épaules par ces quelques mots murmurés à demi voix : Je plains ceux qui croient cela. [paragraphe ajouté; de même à la copie]
["Et puis, [remplace "On a beau jeu sur les absents." ] non seulement c'était un ambitieux, mais c'était un avare, etc. : les accusations ordinaires. Clancharlie avait cet endurcissement d'en être peu ému.": addition ajoutée après l'addition qui suit. Elle est cerclée d'un trait rouge. Hugo l'ajoute à la copie, avant de la barrer.]
Charles II, ["bon hom" barré en correction cursive] bon homme, le dédaigna.
Le bonheur de l’Angleterre sous Charles II ["sous Charles II": addition; corrige "dans ce temps-là"] était plus que du bonheur, c’était de l’enchantement. Une restauration, c’est un ancien [corrige "vieux", de même à la copie] tableau poussé au noir qu’on revernit ; tout le passé reparaît. Les bonnes vieilles mœurs faisaient leur rentrée. Les jolies femmes régnaient et gouvernaient. Evelyn en a pris note ; on lit dans son journal : « Luxure, profanation, mépris de Dieu. J’ai vu un dimanche soir le roi avec ses filles de joie, la Portsmouth, la Cleveland, la Mazarin, et deux ou trois autres ; toutes à peu près nues dans la galerie du jeu. » On sent percer quelque humeur dans cette peinture ; mais Evelyn était un puritain grognon, entaché de rêverie républicaine ["rêverie..." corrige "républicanisme"]. Il n’appréciait pas le profitable [corrige "l'intelligent" qui corrige "l'excellent"] exemple que donnent les rois par ces grandes gaîtés babyloniennes qui, en définitive, alimentent le luxe ["ces grandes gaîtés..." corrige "l'orgie érigée en fête et par la belle débauche élégante"]. Il ne comprenait pas l’utilité des vices. Règle : n’extirpez point les vices, si vous voulez avoir des femmes charmantes. Autrement vous ressembleriez aux imbéciles qui détruisent [corrige "tuent"(?)] les chenilles tout en raffolant des papillons.
Charles II, nous venons de le dire, s’aperçut à peine qu’il existait un réfractaire appelé Clancharlie ["s'aperçut..." corrige "dédaigna le proscrit"], ["Le bonheur de l'Angleterre...": addition; addition autographe à la copie] mais [rédaction initiale: "Mais"] Jacques II fut plus attentif. Charles II gouvernait mollement, c’était sa manière ; disons qu’il n’en gouvernait pas plus mal. Un marin quelquefois fait à un cordage destiné à maîtriser le vent un nœud lâche ["noeud lâche" corrige "cordage" inscrit par inadvertance] qu’il laisse serrer par le vent. Telle est la bêtise de l’ouragan, et du peuple.
Ce nœud lâche [variante sans choix: "large" préférée à la copie], devenu très vite nœud étroit, ce fut le gouvernement de Charles II.
Sous Jacques II, l’étranglement commença. Étranglement nécessaire [corrige "utile"] de ce qui restait de la révolution.
[Trait d'interruption. Il est raturé pour ne pas interférer avec les filets de renvoi des additions.]
Jacques II eut l’ambition louable ["eut..." corrige "entreprit"] d’être un roi efficace. Le règne de Charles II n’était à ses yeux qu’une ébauche de restauration ; Jacques II voulut un retour à l’ordre plus complet encore. Il avait, en 1660, déploré qu’on se fût borné à une pendaison de dix régicides. Il fut un plus réel reconstructeur de l’autorité, ["Il avait, en 1660...": addition] il donna vigueur [corrige "Il prêta main forte", correction postérieure à l'addition qui précède] aux principes sérieux ; il fit régner cette justice qui est la véritable [corrige "vraie"], qui se met au dessus des déclamations sentimentales, et [en sc. cursive sur +] qui se préoccupe avant tout [f° 171, D7. Mise au net.] des intérêts de la société. A ces sévérités protectrices, on reconnaît le père de l’état. [phrase ajoutée] Il confia la main de justice à Jeffryes, et l’épée à Kirke. Kirke multipliait les ["multipliait les" corrige "faisait des"] exemples. Ce colonel utile ["Ce colonel..." corrige "Il"] fit un jour pendre et dépendre trois fois de suite le même homme, ["le même..." ajouté] un républicain, lui demandant à chaque fois : Abjures-tu la république ["Abjures-tu..." corrige "Te repens-tu"; à la copie, "Abjures-tu..." figure en variante écrite par la copiste et préférée par VH.] ? Le [en sc. sur "Ce" que donne la copie] scélérat ayant toujours dit non, fut achevé [corrige "exécuté"]. — Je l’ai pendu quatre fois, dit Kirke satisfait. Les supplices recommencés sont un grand signe de force dans le pouvoir. [phrase ajoutée; de même à la copie] Lady Lyle, qui pourtant avait envoyé son fils en guerre contre Monmouth, mais qui avait caché chez elle deux rebelles, fut mise à mort. Un autre rebelle, ayant eu l’honnêteté de déclarer qu’une femme anabaptiste lui avait donné asile, eut sa grâce [corrige "fut gracié"], et la femme fut brûlée vive. Kirke, un autre jour, fit comprendre à une ville qu’il la savait républicaine en pendant dix-neuf bourgeois. Représailles bien légitimes, certes, quand on songe que sous Cromwell on coupait le nez et les oreilles aux saints de pierre dans les églises. Jacques II, qui avait su choisir Jeffryes et Kirke, était un prince imbu [correction abandonnée: "plein"] de vraie [ajouté] religion, il se mortifiait par la laideur de ses maîtresses, il écoutait le Père [corrige "père"] la Colombière, ce prédicateur qui était presque aussi onctueux que le Père Cheminais, mais avec plus de [oublié et ajouté] feu, et qui eut la gloire d’être dans la première moitié de sa vie le conseiller de Jacques II, et dans la seconde l’inspirateur de Marie Alacoque. C’est [en sc. sur "Ce fut"] grâce à cette forte nourriture religieuse que plus tard Jacques II put supporter dignement l’exil et donner [en sc. sur "donna"] dans sa retraite de ["dans sa..." corrige "à", correction antérieure à la précédente] Saint Germain le spectacle d’un roi supérieur à l’adversité, touchant avec calme les écrouelles et conversant avec des jésuites.
On comprend qu’un tel roi dut, dans une certaine mesure, se préoccuper d’un rebelle comme lord Linnœus [ajouté] Clancharlie. Les pairies héréditairement transmissibles contenant une certaine quantité d’avenir, il était évident que, s’il y avait quelque précaution [+ (peut-être "vengeance") correction abandonnée] à prendre du côté de ce lord ["ce lord": en sc. sur "lord Clancharlie"] ["du côté de...": addition], Jacques II n’hésiterait pas.
[grand blanc au bas de la page; de même à la copie]
[f° 172, E7 Mise au net.]
Lord Linnœus Clancharlie n’avait pas toujours été vieux et proscrit. Il avait eu sa phase de jeunesse et de passion. On sait, par Harrison et Pride, que [", comme ["lord" ajouté] Clancharlie," barré] Cromwell jeune avait aimé les femmes et le plaisir, ce qui parfois, (autre aspect de la question femme), [", (autre aspect...": addition; de même à la copie] annonce un séditieux [corrige "révolutionnaire"]. Défiez-vous de la ceinture mal attachée. Male præcinctum juvenem cavete.
Lord Clancharlie avait eu, comme Cromwell, ses incorrections et ["ses incorrections et": ajouté] ses irrégularités. On lui connaissait un enfant naturel, un fils. Ce fils, venu au monde à l’instant où la république finissait, était né en Angleterre pendant que son père partait pour l’exil. C’est pourquoi il n’avait jamais vu ce père qu’il avait. Ce bâtard de lord ["Linnoeus" barré] Clancharlie avait grandi page à la cour de Charles II. On l’appelait lord David Dirry-Moir [corrige "lord + [en sc. sur +] Mannours"]; il était lord de courtoisie, sa mère étant femme de qualité. ["Dirry-Moir est une seigneurie qu'avait, dit-on, sa mère dans cette forêt d'Ecosse où l'on trouve l'oiseau Knag qui creuse son nid avec son bec dans le tronc des chênes.": addition barrée pour déplacement en addition] Cette mère, pendant que lord Clancharlie devenait hibou en Suisse, prit le parti, étant belle [corrige "jolie"], de bouder moins, et se fit pardonner ce premier amant sauvage par un deuxième, celui-là incontestablement apprivoisé, et même ["apprivoisé...": addition; elle est encadrée de barres verticales, raturées à la copie] royaliste, car c’était le roi. ["celui-là incontestablement...": addition correctrice de "qui fut Charles II."] Elle fut un peu la maîtresse de Charles II [corrige "du roi"], assez pour que [oublié et ajouté] sa majesté, charmée d’avoir repris cette jolie femme à la république, donnât au petit lord David [corrige "Astyage" en sc. sur +], fils de sa conquête, une commission de garde de la branche. ["une commission..." corrige "une commission de gentilhomme de la chambre,"] Ce qui fit ce bâtard officier, avec bouche en cour, ["avec bouche..." ajouté] et par contrecoup stuartiste ardent. Lord David [corrige "Il"] fut quelque temps, comme garde de la branche, un des cent-soixante-dix portant la grosse épée ; puis il entra dans la bande des pensionnaires, et fut un des quarante qui portent la pertuisane dorée. Il eut en outre ["le privil" barré en correction cursive], étant de ["ces gentilshommes" barré en correction cursive] cette troupe noble [ajouté] instituée par Henri VIII pour garder son corps, le privilége de poser les plats sur la table du roi. ["Lord David fut...": addition] Ce fut ainsi que, tandis que son père blanchissait en exil, lord David [corrige "Astyage [en sc. sur +] Mannours"] prospéra sous Charles II.
Après quoi il prospéra sous Jacques II. [signe d'alinéa à faire ajouté]
Le roi est mort, vive le roi, c’est le non deficit alter, aureus.
Ce fut [corrige "C'est"] à cet avènement du duc d’York qu’il obtint la permission de s’appeler lord David Dirry-Moir, d’une seigneurie que sa mère, qui venait de mourir, lui avait léguée dans cette grande forêt d’Ecosse où l’on trouve l’oiseau Krag, lequel creuse son nid avec son bec dans le tronc des chênes. [paragraphe en addition]
Jacques II était un roi, et avait la prétention d’être un général. Il aimait à s’entourer de jeunes officiers. Il se montrait volontiers en public à cheval avec un casque et une cuirasse et une vaste perruque débordante, sortant de dessous le casque par dessus la cuirasse ; espèce de statue équestre de la guerre imbécile, [corrigé en point à la copie] il prit en amitié la bonne grâce du jeune lord David [corrige "Astyage"]. [f° 173, F7. Mise au net. Ce folio intercalé est la réfection du début du folio suivant. Il porte d'emblée le prénom "David".] Il sut gré à ce royaliste d’être fils d’un républicain ; un père renié ne nuit point à une fortune de cour qui commence. Le roi fit lord David gentilhomme de la chambre du lit, à mille livres de gages.
C’était un bel avancement. Un gentilhomme du lit
["Un gentilhomme..." corrige "On"; même correction à la copie, de la
main de la copiste.] couche toutes les nuits près du roi sur un
lit qu’on dresse. On est douze ["gentilshommes"
barré au ms mais pas à la copie], et l’on se relaie. ["On
est douze...": addition]
Lord David, dans ce poste, fut le chef de ["fut..." corrige "eut sous ses ordres"] l’avenier du roi, celui qui donne l’avoine aux chevaux et qui a deux cent soixante livres de gages. Il eut sous lui [corrige "gouverna"] les cinq cochers du roi, [faux départ: "les douze valets de pied du roi"] les cinq postillons du roi, les cinq palefreniers du roi, les douze valets de pied du roi, et les quatre porteurs de chaise du roi. Il eut le gouvernement des six chevaux de course que le roi entretient à Haymarket et qui coutent six cents livres par an à sa majesté. Il fit la pluie et le beau temps dans la garde-robe du roi, laquelle fournit les habits de cérémonie aux chevaliers de la Jarretière. Il fut salué jusqu’à terre par l’huissier de la verge noire, qui est au roi ["et qui est le premier officier de la chambre de présence" barré; de même à la copie]. Cet huissier, sous Jacques II, était le chevalier Duppa. [faux départ: "Lord"] ["De plus" barré] Lord David eut les respects de M. Baker, qui était clerc de la couronne, et de M. Brown, qui était clerc du parlement. [faux départ: "Lord David"] La cour d’Angleterre, magnifique, est un patron [en sc. sur +] d’hospitalité. Lord David présida, comme l’un des douze, ["comme l'un...": ajouté] aux tables et réceptions. ["Il fut salué...": addition] Il eut la gloire d’être debout derrière le roi les jours d’offrande, quand le roi donne à l’église le besant d’or, byzantium, les jours de collier, quand le roi porte le collier de son ordre, et les jours de communion, quand personne ne communie, hors le roi et les princes. Ce fut lui qui, le jeudi saint, introduisit près de sa majesté les douze pauvres auxquels le roi donne autant de sous d’argent qu’il a d’années de vie et autant de schellings qu’il a d’années de règne. Il eut la fonction, quand le roi était malade, d’appeler, pour assister sa majesté, les deux grooms de l’aumônerie qui sont prêtres, et d’empêcher les médecins d’approcher sans permission du conseil d’état. [deux lignes et demi barrées et déplacée plus haut en addition: "+ + + l'huissier de la verge noire qui est au roi et qui est le premier officier de la chambre de présence."] De plus, il fut lieutenant-colonel du régiment Ecossais de la garde royale, lequel bat la marche d’Écosse.
[changement d'écriture] En cette qualité il fit plusieurs campagnes, et très glorieusement, car il était vaillant homme de guerre. C’était un seigneur brave, bien fait, beau, généreux, fort grand de mine et de manières. Sa personne ressemblait à sa qualité. Il était de haute taille comme de haute naissance. ["Sa personne...": addition]
Il fut presque un moment en passe d’être nommé groom of the stole, ce qui lui eût donné la prérogative de passer la chemise au roi ; mais il faut pour cela être prince ou pair.
Créer un pair, c’est beaucoup. C’est créer une pairie. Cela fait des jaloux. C’est une faveur ; une faveur fait au roi un ami, et cent ennemis, sans compter que l’ami devient ingrat. ["C'est une faveur...": addition] Jacques II, par politique, créait difficilement des pairies, mais [en sc. sur "et"] les transférait volontiers. Une pairie transférée ne produit [corrige "fait"] pas d’émoi. C’est simplement un nom qui continue. La lordship en est peu troublée.
[f° 174, G7. Trait d'interruption possible.]
["Il sut gré à ce royaliste d'être fils d'un républicain; un père renié ne nuit point à une fortune de cour qui commence. Du reste lord David [corrige "Astyage" ] était brave, bien fait, beau, ["de haute taille comme de haute noblesse": addition] ["élégant," barré] fort grand seigneur de mine et de manières, et généreux d'une bonne générosité de gentilhomme. Le roi ne demandait pas mieux que d'avoir une occasion de le faire, de lord de courtoisie, lord de droit. Cette occasion se présenta." Ce texte est encadré et barré à grands traits. Il est remplacé par le folio précédent et par l'addition qui suit.]
La bonne volonté [corrige "grâce"] royale ne répugnait point à introduire lord David Dirry-Moir dans la chambre haute, pourvu [corrige "à la condition"] que ce fût par la porte d’une pairie substituée. Sa majesté ne demandait pas mieux que d’avoir une occasion de faire David Dirry-Moir ["de faire..." corrige "de le faire"], de lord de courtoisie, lord de droit. ["La bonne volonté...": addition]
Cette occasion se présenta.
Un jour on apprit qu’il était arrivé au vieil absent, lord Linnœus Clancharlie, diverses choses dont la principale était qu’il était trépassé [corrige "mort"]. La mort a cela de bon pour les gens qu’elle fait un peu parler d’eux. On raconta ce qu’on savait ou ce qu’on croyait savoir [virgules absentes au ms mais placées au texte autographe de la copie] des dernières années de lord Linnœus. Conjectures et légendes probablement. A en croire ces récits, sans doute très hasardés, vers la fin de sa vie, lord Clancharlie aurait ["La mort a cela de bon...": addition; de même à la copie. Elle se substitue, au ms et à la copie, à la rédaction initiale jusqu'à "il aurait": " Autour de cette mort il y avait des légendes et des récits: ["Autour..." corrige " On ajoutait que"] vers la fin de sa vie lord Clancharlie aurait [corrige "il avait"] épousé en exil la fille d'un régicide, Ann Bradshaw -on allait jusqu'à articuler son nom- ["Ann...": ajouté] laquelle"] eu une recrudescence ["d'entêtement"] républicaine [mis au féminin], telle qu’il en était venu, affirmait-on, jusqu’à épouser, étrange entêtement de l’exil, la fille d’un régicide, Ann Bradshaw, — on précisait le nom — ["eu une recrudescence...": addition prolongeant l'addition précédente; elle reprend la seconde partie du texte initial décrit ci-dessus. Ce texte est rédigé et corrigé d'abord à la copie: "aurait eu une recrudescence républicaine ["eu une..." corrige "poussé l'entêtement républicain jusqu'à épouser"] telle qu'il en était venu, affirmait-on [corrige "disait-on"] jusqu'à épouser [corrige "à épouser"], étrange" la suite identique au ms], laquelle était morte aussi, mais, disait-on, en mettant au monde un enfant [en sc. sur +], un garçon, qui, si tous ces détails [corrige "faits"] étaient exacts, se trouverait être le fils légitime et l’héritier légal de lord Clancharlie. Ces dires, fort vagues, ressemblaient plutôt à des bruits qu’à des faits. Ce qui se passait en Suisse était pour l’Angleterre d’alors aussi lointain que ce qui se passe en Chine pour l’Angleterre d’aujourd’hui. Lord Clancharlie [corrige "Linnoeus"] aurait eu cinquante-neuf ans au moment de son mariage, et soixante à la naissance de son fils, et serait mort fort peu de temps après, laissant derrière lui cet enfant, orphelin de père et de mère. Possibilités sans doute, mais invraisemblances. On ajoutait que cet enfant était « beau comme le jour », ce qui se lit dans tous les contes de fées. [phrase ajoutée] Le roi Jacques mit fin à ces rumeurs, évidemment sans fondement aucun, en déclarant un beau matin ["un beau..." ajouté] lord David Dirry-Moir [corrige "Astyage" [en sc. sur +] Mannours"] unique et définitif ["et définitif" ajouté] héritier, à défaut d’enfant légitime, ["de lord" barré en correction cursive] et par le bon plaisir royal, de lord Linnœus Clancharlie, son père naturel, l’absence de toute autre [ajouté] filiation et descendance ["et descendance" corrige "directe"] étant constatée ["l'absence..." italiques demandés à la copie]; de quoi les patentes furent enregistrées en chambre des lords. Par ces patentes, ["Par ces...": ajouté] le roi substituait lord David Dirry-Moir [corrige "Astyage [en sc. sur +] Mannours"] aux titres, droits et prérogatives dudit défunt lord Linnœus Clancharlie, à la seule condition que lord David [corrige "Astyage" [en sc. sur "Robert(?)"]] épouserait, quand elle serait nubile [corrige "en âge"], une fille, en ce moment là tout enfant et âgée de quelques mois ["quelques mois" corrige "deux ans(?)"] seulement, que le roi avait au berceau faite duchesse, on ne savait trop pourquoi. Lisez, si vous voulez, on savait trop pourquoi. On appelait cette petite la duchesse ["Josepha + + + à la française, Josiane" : barré et remplacé par le nom et l'addition qui suivent] Josiane.
[Trait d'interruption, partiellement effacée par une lacune du papier.]
La mode anglaise était alors aux noms espagnols. Un des bâtards de
Charles II s’appelait Carlos, comte de Plymouth. [un
mot, peut-être "Cependant", barré en correction cursive] Il est
probable que Josiane était la contraction de Josefa-y-Ana.
Cependant peut-être y avait-il Josiane comme il y avait Josias. Un des
gentilshommes de Henri III se nommait Josias du Passage. [paragraphe
ajouté]
[f° 175, H7. Deux et peut-être trois traits d'interruption.]
C’est à cette petite duchesse que le roi donnait la pairie de Clancharlie. Elle était pairesse en attendant qu’il y eût un pair ["qu'il y eût..." corrige "époux" qui corrige "mari" en sc. sur "époux"; même correction à la copie, de la main de la copiste]. Le pair serait son mari. [phrase ajoutéee à l'addition qui suit en même temps que la correction qui précède; ajoutée aussi à la copie, de la main de la copiste.] Cette pairie reposait sur une double châtellenie, la baronnie de Clancharlie et la baronnie de Hunkerville ; en outre les lords Clancharlie étaient, en récompense d’un ancien fait d’armes et par permission royale, marquis de Corleone en Sicile. Les pairs d’Angleterre ne peuvent porter de titres étrangers ; il y a pourtant des exceptions ; ainsi Henry Arundel, baron Arundel de Wardour, était ["comte de l'Empire" barré en correction cursive], ainsi que lord Clifford, comte du Saint-Empire ["du Saint-Empire" corrige "de l'Empire"], dont lord Cowper est prince ; [" + + est marquis espagnol de Douro." barré] [marque d'alinéa à faire; "Les biens, chateaux" : jonction avec le texte initial qui est "Les biens, châteaux, terres , fiefs, rentes, alleux et domaines adhérents à cette pairie"; cette jonction est barrée et reportée plus loin pour faire place à une extension de l'addition.] le duc de Hamilton est en France ["en France" ajouté] duc ["français" barré] de Chatellerault ; Basil Feilding, comte de Denbigh, est en Allemagne comte de Hapsbourg, de Lauffenbourg et de Rheinfelden. Le duc de Marlborough était prince de Mindelheim en Souabe, de même que le duc de Wellington était prince de Waterloo en Belgique. ["Basil Feilding..." se substitue à "et le duc de Wellington est duc espagnol de Ciudad-Rodrigo et comte portugais de Vimeira." qui est repris dans l'addition suivante, de quatrième niveau] ["Les biens, châteaux, terres, fiefs, rentes": jonction avec le texte initial barrée de nouveau pour faire place à une prolongation de l'addition] ["le duc de Hamilton...": addition de deuxième niveau] Le même lord Wellington était duc espagnol de Ciudad-Rodrigo, et comte portugais de Vimeira. ["Le même lord...": addition de quatrième niveau, insérée après celle qui suit, qui est de troisième niveau.]
Il y avait en Angleterre, et il y a encore, des terres nobles et des terres roturières. Les terres des lords Clancharlie étaient toutes nobles. Ces terres, châteaux, bourgs, bailliages, ["Il y avait en Angleterre...": addition de troisème niveau] fiefs, rentes, alleux et domaines adhérents à la pairie Clancharlie-Hunkerville ["la pairie..." corrige "cette pairie"] appartenaient provisoirement à lady Josiane, et le roi ["le roi" en sc. sur "on"] déclarait qu’une fois Josiane épousée, lord David Dirry-Moir [corrige "Astyage" [en sc. sur +] Mannours"] serait baron [corrige "lord"] Clancharlie.
[Trait d'interruption plus probablement que reprise du filet de l'addition qui suit.]
Outre l’héritage Clancharlie, lady Josiane avait sa fortune personnelle. Elle possédait de grands biens, dont plusieurs venaient des dons de Madame sans queue au duc d’York. Madame sans queue, cela veut dire Madame tout court. On appelait ainsi Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans, la première femme de France après la reine. [paragraphe ajouté, postérieurement à la série d'additions en cascade qui précède. Addition également à la copie, de la main de la copiste.]
Après avoir prospéré sous Charles ["II" barré] et Jacques ["II" barré], lord David [en sc. sur "Astyage"; le nom n'est plus écrit en surcharge sur un autre nom] prospéra sous Guillaume. Son jacobisme n’alla point jusqu’à suivre Jacques [copie: "II", mais pas de la main de VH] en exil. Tout en continuant d’aimer son roi légitime, il eut le bon sens de servir l’usurpateur. Il était du reste, quoique avec quelque [ajouté] indiscipline, excellent officier [", quoique..." addition correctrice de "vaillant homme d'épée"] ; il passa de l’armée de terre dans l’armée de mer, et se distingua dans l’escadre blanche. Il y devint ce qu’on appelait alors « capitaine de frégate légère ». [phrase ajoutée; de même à la copie]
[Un trait d'interruption, voire deux, à moins qu'il ne s'agisse de bavures de la plume.]
Cela finit par faire un très [rétabli après correction en "fort"] galant homme, poussant fort [en sc. sur "très"] loin l’élégance des vices, ["joueur," barré; + ajouté et barré] ["brave"(?) barré] un peu poëte comme tout le monde, bon serviteur de l’état, bon domestique du prince, assidu aux fêtes, aux galas, aux petits levers, aux cérémonies, aux batailles, ["assidu aux fêtes...": addition] servile comme il faut, très hautain, ayant la vue basse ou perçante selon l’objet à regarder, probe volontiers, obséquieux et arrogant à propos, d’un premier mouvement franc et sincère, quitte à se remasquer ["se remasquer": variante sans choix: "trahir un peu" barrée à la copie] ensuite, très observateur de la bonne et mauvaise humeur royale, insouciant ["ayant la vue basse..." addition prolongeant l'addition précédente. Elles se substituent en deux temps au texte initial: "servile comme il faut, très hautain, ["obséquieux et arrogant à propos," ajouté] serviteur inquiet devant le ["devant le" corrige "du"] sourcil royal, railleur et joyeux"] devant une pointe d’épée, toujours [ajouté] prêt à risquer [corrige "jouer"] sa vie sur un signe de sa majesté avec héroïsme et platitude, capable de toutes les incartades et d’aucune impolitesse, homme de courtoisie et d’étiquette, ["homme de courtoisie...": ajouté] fier d’être à genoux dans les grandes occasions monarchiques [corrige "royales"], d’une vaillance gaie, courtisan en dessus, paladin en dessous, tout [ajouté] jeune à quarante-cinq ans.
Lord David chantait des chansons françaises, gaîté élégante qui avait plu à Charles II.
Il aimait l’éloquence et le beau langage. Il admirait fort ces boniments célèbres qu’on appelle les Oraisons Funèbres de Bossuet. [Ces deux paragraphes sont successivement ajoutés; ils le sont aussi, successivement également, à la copie.]
Du côté de sa mère, il avait à peu près de quoi vivre, environ dix mille livres sterling de revenu, c’est à dire ["dix mille..." ajouté] deux cent cinquante ["deux cent cinquante" corrige "trois cent"] mille [+ addition abandonnée] francs de rente. Il s’en tirait en faisant des dettes. [phrase ajoutée] En magnificence, extravagance et nouveauté, il était incomparable. ["il était incomparable." corrige "il faisait loi. ["Dès qu'on le copiait, il changeait sa mode." addition] Il avait des chapeaux que personne n'avait, des dentelles inouïes et des rabats à lui tout seul." le tout barré et repris dans l'addition qui suit après l'interruption.]
[Trait d'interruption.]
Dès qu’on le copiait, il changeait sa mode. A cheval, il
portait des bottes aisées de vache retournée, avec éperons. Il avait des
chapeaux que personne n’avait, des dentelles inouïes, et des rabats à
lui tout seul. ["Dès qu'on le copiait...":
addition correctrice des lignes qui précèdent]
[f° 176, I7. Mise au net. Trait d'interruption. Blanc au haut de la page.]
Vers 1705, bien que lady Josiane eût vingt trois ans et lord David [en sc. sur "Astyage"] quarante quatre, le mariage n’avait pas encore eu lieu, et cela par les meilleures raisons du monde. Se haïssaient-ils ? loin de là. Mais ce qui ne peut vous échapper n’inspire aucune hâte. Josiane voulait rester libre ; David [en sc. sur "Astyage"] voulait rester jeune. N’avoir de lien que le plus tard possible, cela lui semblait un prolongement du bel âge. Les jeunes hommes retardataires abondaient [oublié et ajouté] dans ces époques galantes ; on grisonnait dameret ; [faux départ: "à cinqu"] la perruque était complice, plus tard la poudre fut auxiliaire. A cinquante-cinq ans, lord [ajouté] Charles Gerrard, baron Gerrard des Gerrards de Bromley, [tous les "Gerrard" écrits d'abord avec un seul "r"] ["et la belle duchesse + ": barré] remplissait Londres de ses bonnes fortunes ["remplissait...": ajouté, vraisemblablement pour en réparer l'oubli] et la jolie et jeune ["et la jolie et jeune": en position d'ajout. On ne s'explique la succession des opérations d'écriture que si l'on admet que VH a oublié, à la mise au net, le membre de phrase "remplissait la ville...".] duchesse de Buckingham, comtesse de Coventry, faisait des folies d’amour pour les soixante sept ["sept" en sc. sur "huit"] ans du beau ["du beau" corrige "de"] Thomas Bellasyse, vicomte Falcomberg. On citait les vers fameux de Corneille septuagénaire à une femme de vingt ans : Marquise, si mon visage. [Cette phrase est ajoutée à l'addition suivante. Addition à la copie de la main de la copiste.] Les femmes aussi avaient des succès d’automne, témoin Ninon et Marion. [phrase ajoutée] Tels étaient les modèles. [signe ajouté d'alinéa à faire] ["Il y avait eu(?) idylle entre Josiane et David [en sc. sur "Astyage"]. L' + + + + fort souvent(?) + + + les satiétés de l'opulence, mais se + + + +. Pourquoi" barré depuis "Il y avait eu idylle"] [signe ajouté d'alinéa à faire]
Josiane et David [en sc. sur "se hâter d'en finir": suite de la phrase commencée par "Pourquoi"] [point d'interrogation barré; "Ils" barré] étaient en coquetterie avec une nuance particulière. Ils ne s’aimaient pas, ils se plaisaient. ["Il y avait entre eux association plutôt que galanterie.": addition barrée à l'addition "Les romans d'alors..."] Se côtoyer leur suffisait. Pourquoi se dépêcher [corrige "hâter"; à la copie, variante sans choix préférée] d’en finir ? ["Se côtoyer..." seconde addition à l'addition qui suit, postérieure à la précédente] Les romans d’alors poussaient les amoureux et les fiancés à ce genre de stage qui était du plus bel air. ["Les romans d'alors...": addition de premier niveau] Josiane, en outre, [", en outre," ajouté] se sachant bâtarde, se sentait princesse, et le prenait de haut avec ["+ + + la vie +" barré en correction cursive] les arrangements quelconques. Elle avait du goût pour lord David [en sc. sur "Astyage"]. Lord David [en sc. sur "Astyage"] était beau, mais c’était par-dessus le marché. Elle le trouvait élégant. [marque d'alinéa à faire]
Être élégant, c’est tout. Caliban élégant et magnifique distance Ariel pauvre. Lord David ["Lord David" en sc. sur "Astyage"] était beau, tant mieux ; l’écueil d’être beau, c’est d’être fade ; il ne l’était pas. Il pariait, boxait, s’endettait [en sc. sur +]. ["Etre élégant...": addition de second niveau ajoutée à la suivante] Josiane [corrige "Elle"] faisait grand cas de ses chevaux, de ses chiens, de ses pertes au jeu, de ses maîtresses. ["Josiane faisait...": addition] Lord David ["Lord David" en sc. sur "Astyage"] de son côté subissait la fascination [en sc. sur le pluriel] de la duchesse Josiane, fille sans tache et sans scrupule, ["très +," encadré de barres verticales et barré; "très hardie" barré] altière, inaccessible et hardie. Il lui adressait des sonnets que Josiane lisait quelquefois. Dans ces sonnets, il affirmait que posséder Josiane, ce serait monter jusqu’aux astres, ce qui ne l’empêchait pas de toujours [ajouté] remettre cette ascension [corrige "gloire"] à l’an prochain. ["que posséder...": réécrit deux lignes abondamment corrigée; on distingue: "que posséder Josiane serait être égal aux dieux ["être égal..." corrige + + + +] + + + + + + ajourner ce paradis."] Il faisait antichambre à la porte du cœur de Josiane, et cela leur convenait à tous les deux. A la cour on admirait ["cette patience" barré en correction cursive] le suprême bon goût de ["le suprême bon...": ajouté] cet ajournement ["qui semblait(?) du plus grand air et d'un suprême bon goût" barré]. Lady Josiane disait : C’est [en sc. sur "c'est"] ennuyeux que je sois ["que je sois" corrige "d'être"; de même à la copie] forcée d’épouser lord David [en sc. sur "Astyage"], [quatre ou cinq mots barrés, corrigés par ceux qui suivent]
[Trait d'interruption.]
moi qui ne demanderais pas mieux que d’être amoureuse de lui !
[f° 177, J7]
Josiane, c’était la chair. Rien de plus magnifique. Elle était très grande. Trop grande. Ses cheveux étaient de cette nuance qu’on pourrait nommer le blond pourpre. Elle était grasse, ["blanche" barré] fraîche, robuste, vermeille, ["Josiane, c'était..." : addition. Elle se substitue à "Qu'était-ce que Josiane? La chair, ["on ne peut mieux portante": addition abandonnée]"] avec énormément ["d'orgueil," corrigé en "de hauteur,", le tout barré; à la copie "de hauteur" est barré] d’audace et d’esprit. Elle avait les yeux trop intelligibles. D’amant, point ; de chasteté, pas davantage. Elle se murait dans l’orgueil. Les hommes, fi donc ! un dieu tout au plus était digne d’elle, ou un monstre. ["Elle se ["fût" oublié et ajouté] refusée à Antinoüs et donnée à Typhon." barré] Si la vertu consiste dans l’escarpement, Josiane était toute la vertu possible, sans aucune innocence. Elle n’avait pas d’aventures, par dédain ; mais on ne l’eût point fâchée de lui en supposer, pourvu qu’elles fussent étranges et proportionnées à une personne faite comme elle. Elle tenait peu à sa réputation et beaucoup à sa gloire. Sembler facile et être impossible, voilà le chef-d’œuvre ["chef d'oeuvre" en sc. sur +]. ["Sembler facile..." corrige "Etre impossible et sembler facile, voilà le"] ["Elle n'avait pas d'aventures...": addition, de second ou de troisième niveau, ajoutée à la suivante.] Josiane [corrige "Elle"] se sentait majesté et matière. [au-dessus de cette phrase, trois départs d'addition ou de variante barrés. On n'a lu que la seconde: "Josiane, belle jusqu'au rayonnement, "] C’était une beauté encombrante. Elle empiétait plus qu’elle ne charmait. Elle marchait sur les cœurs. Elle était terrestre. ["C'était une beauté..." addition; elle remplace " [faux départ: "On l'eût aussi étonnée"] Elle était terrestre."] On l’eut aussi étonnée de lui montrer une âme dans sa poitrine que de lui faire voir des ailes sur son dos. ["Elle était la chair. Ce mot dit tout." barré] [["Josiane se sentait majesté...": addition de premier niveau] Elle dissertait sur Locke. Elle avait de la politesse. On la soupçonnait de savoir l’arabe. [phrase ajoutée; elle l'est aussi à la copie]
Être la chair, et être la femme, c’est deux. Où la femme est vulnérable, au côté pitié, par exemple, qui devient si aisément amour, Josiane ne l’était pas. Non qu’elle fût insensible. L’antique comparaison de la chair avec le marbre est absolument fausse. ["Elle dissertait sur Locke. ...": addition de second ou troisième niveau, selon l'ordre donné à l'addition qui précède l'addition initiale. L'ensemble des ces trois additions se substitue au texte initial, lui-même corrigé: " Elle n'avait pas d'aventures, par dédain; [", par dédain;": ajouté] mais on ne l'eût point fâchée de lui en supposer. Etre belle, convoitée, facile et impossible, voilà le triomphe. [phrase ajoutée] Elle tenait peu à sa réputation et beaucoup à sa gloire. Elle était la chair. Ce mot dit tout. Rien de plus magnifique. L'antique comparaison de la chair avec le marbre est absolument fausse. [faux départ: "La chair palpite, tremble, rougit, pleure, saigne."]"] La beauté de la chair, c’est de n’être point marbre ; c’est de palpiter, c’est de trembler, c’est de rougir, c’est de saigner ; c’est d’avoir la fermeté sans avoir la dureté ; c’est d’être blanche sans être froide ; c’est d’avoir ses tressaillements et ses infirmités ; ["c'est d'avoir ses tressaillements...": ajouté] c’est d’être la vie, et le marbre est la mort. [faux départ: "Josiane avait"] La chair, à un certain degré de beauté, ["devient + (on peut lire "la forme", "la femme", "le paradis"...) et": addition barrée] a presque le droit de nudité ; elle se couvre d’éblouissement comme d’un voile ; qui eût vu Josiane nue n’aurait aperçu ce modelé qu’à travers une dilatation lumineuse. Elle se fût montrée volontiers à un satyre, ou à un eunuque. Elle avait l’aplomb mithologique. Faire de sa nudité un supplice, ["enivrer et" barré] éluder un Tantale, l’eût amusée. ["Elle se fût montrée...": addition en deux temps: d'abord les deux premières phrases, puis la dernière, que VH ajoute lui-même à la copie.] Le roi l’avait faite duchesse, et Jupiter néréide. Double irradiation dont se composait la clarté étrange de cette créature. A l’admirer on se sentait devenir payen, et laquais. Son origine c’était la bâtardise et l’océan. Elle semblait sortir d’une écume. A vau l’eau avait été le premier jet de sa destinée, mais dans le grand milieu royal. Elle avait en elle de la vague, du hasard, de la seigneurie ["de la seigneurie," ajouté] et de la tempête. [une phrase nominale de deux mots, barrée; également barrée à la copie] Elle était lettrée et savante. Jamais une passion ne l’avait approchée, et elle les avait sondées toutes ["les avait..." corrige "les avait toutes sondées" qui corrige "avait songé à toutes"]. Elle avait le dégoût des réalisations, [point peut-être corrigé en virgule; changement de plume: les deux dernières lignes du folio sont ajoutées; le texte se poursuivait sur la feuille qui est maintenant le f° 18 de 15 812.] et le goût aussi. Si elle se fût poignardée, ce n’eût été, comme Lucrèce, qu’après. Toutes les corruptions, à l’état [f° 178, K7. Mise au net. Folio intercalé: réfection de la rédaction antérieure qui se trouve en 15 812, f° 18 et va jusqu'à "Elle était plutôt bonne".] visionnaire, étaient dans cette vierge. C’était une Astarté [en sc. sur "Messaline"; même correction à la copie] possible dans une Diane réelle. Elle était, par insolence de haute naissance, provocante [corrige "cynique"; de même à la copie] et inabordable. Pourtant elle pouvait trouver divertissant de [" trouver..." corrige "se plaire à"] s’arranger à elle-même une chute. Elle habitait une gloire dans un nimbe [corrige "des nuées"] avec la velléité d’en descendre, et peut-être avec la curiosité d’en tomber. Elle était un peu lourde pour son nuage. [faux départ: "Et puis le sans-gêne" (?)] Faillir plaît. Le sans-gêne princier donne un privilége d’essai, et une personne ducale [en sc. cursive sur "s'am"] s’amuse [rétabli après correction en "se divertit"; à la copie, VH corrige "s'amuse" en "se divertit"] où une bourgeoise se perdrait. Josiane était en tout, par la naissance, par la beauté, par l’ironie, par la lumière, à peu près reine. Elle avait eu [corrige "eut"] un moment d’enthousiasme pour Louis de Boufflers qui cassait un fer à cheval entre ses doigts. Elle regrettait [corrige "regretta"] qu’Hercule [en sc. sur +] fût mort. Elle vivait dans on ne sait quelle attente ["on ne sait..." corrige "l'attente"] d’un idéal lascif et suprême.
Au moral, Josiane faisait penser au vers de l’Épitre aux Pisons [de l'Epitre..." corrige "d'Horace"; copie: même correction de la main de la copiste] . Desinit in piscem.
Un beau torse de femme en hydre se termine.
C’était une noble poitrine, un sein splendide harmonieusement soulevé par un cœur royal [corrige "altier"], un vivant et clair regard, une figure pure et hautaine, et, qui sait ? ayant sous l’eau, dans la transparence entrevue et trouble, un prolongement ondoyant, surnaturel, peut-être draconien et difforme. Vertu superbe achevée en vices dans la profondeur des rêves.
["Avec cela, précieuse." barré pour être
reporté au début du folio suivant; de même à la copie.]
[grand blanc au bas de la page; de même à la copie]
[f° 179, L7. Folio intercalé comme le précédent; tous deux ont une rédaction antérieure en 15 812, f° 18.]
Avec cela, précieuse. [ajouté pour déplacement de la coupe de chapitre; de même à la copie]
C’était la mode.
Qu’on se rappelle Élisabeth.
["La reine" : addition abandonnée] Élisabeth est un type qui, en Angleterre, [", en Angleterre," ajouté] a dominé trois siècles, le seizième, le dix-septième et le dix-huitième. Élisabeth est plus qu’une anglaise, c’est une anglicane. De là le respect profond de l’église établie [variante sans choix: "épiscopale": préférée à la copie] pour cette reine ; respect ["peu" barré] ressenti par l’église catholique, qui le coupait [variante sans choix: "mélangeait" préférée à la copie] d’un peu d’excommunication. Dans la bouche de Sixte-Quint anathématisant Élisabeth, la malédiction tourne au madrigal. Un gran cervello di principessa, dit-il. Marie Stuart, moins occupée de la question église et ["moins occupée...": addition] plus occupée de la question femme, était peu [en sc. sur "moins"; correction VH à la copie] respectueuse pour sa sœur Élisabeth et lui écrivait de reine à reine et de coquette à prude : « Votre esloignement du mariage provient de ce que vous ne voulez perdre liberté de vous faire faire l’amour ». Marie Stuart jouait de l’éventail et Élisabeth de la hache. Partie inégale. Du reste toutes deux rivalisaient en littérature. Marie Stuart faisait des vers français ; Élisabeth traduisait Horace. Élisabeth [faux départ: "aimait"], laide, se décrétait belle, aimait les quatrains et les acrostiches, se faisait présenter les clefs des villes par des cupidons, ["se faisait présenter..." addition] pinçait la lèvre à l’italienne et roulait la prunelle à l’espagnole, avait dans sa garde-robe trois mille habits et toilettes, dont plusieurs costumes de Minerve et d’Amphitrite [corrige "de Vénus"], estimait les irlandais pour la largeur de leurs épaules, couvrait son vertugadin de paillons et de passequilles, adorait les roses, jurait, sacrait, trépignait, cognait du poing ses filles d’honneur, envoyait au diable Dudley, battait le chancelier Burleigh, qui pleurait, la vieille bête, ["qui pleurait..." ajouté] crachait sur Mathew [en sc. sur le même nom orthographié différemment], colletait Hatton, souffletait Essex, montrait sa cuisse à Bassompierre, était vierge.
Ce qu’elle avait fait pour Bassompierre, la reine de Saba l’avait fait pour Salomon(1). [(1) Regina Saba coram rege crura denudavit. Schickardus in Proœmio Tarich. Jersici F. 65.] Donc, c’était correct, l’Écriture-sainte ayant créé le précédent. Ce qui est biblique peut être anglican. Le précédent biblique va même jusqu’à faire un enfant qui s’appelle Ebnehaquem ou Melilechet, c’est à dire le Fils du Sage.
[changement d'écriture pour les deux paragraphes suivants, peut-être ajoutés] Pourquoi pas ces mœurs ? Cynisme vaut bien hypocrisie.
Aujourd’hui l’Angleterre, qui a un Loyola appelé Wesley, baisse un peu les yeux devant ce passé. Elle en est contrariée, mais fière.
[f° 180, M7; folio intercalé, comme les deux précédents, voir au f° 178.]
Dans ces mœurs-là, le goût du difforme existait; particulièrement chez les femmes, et singulièrement chez les belles. A quoi bon être belle, si l’on n’a pas un magot ? Que sert d’être reine si l’on n’est pas tutoyée par un poussah ? Marie Stuart avait eu des « bontés » pour un cron ["eu «des bontés»...": corrige, par addition et surcharge, un autre texte de trois ou quatre mots], Rizzio. Marie-Thérèse d’Espagne avait été « un peu familière » avec un nègre. D’où l’abbesse noire. [faux départ: "Rien de mieux porté"] Dans [en sc. sur "dans"] les alcôves [corrige "ruelles"] du grand siècle la bosse était bien portée ; témoin le maréchal de Luxembourg.
Et avant Luxembourg, Condé, « ce petit homme tant joli.» [paragraphe ajouté; à la copie, ajouté de la main de la copiste]
Les belles elles-mêmes pouvaient, sans inconvénient, être contrefaites. C’était accepté. Anne de Boleyn avait un sein plus gros que l’autre ["un sein..." corrige "un sein excessivement +" qui corrige "un sein + + + +"], six doigts à une main, et une surdent. La Vallière était bancale. Cela n’empêcha pas Henri VIII d’être insensé [corrige "émerveillé" qui corrige "éperdu"; à la copie VH corrige "émerveillé"] et Louis XIV d’être éperdu [corrige "fou"].
Au moral, mêmes déviations. Presque pas de femme dans les hauts rangs qui ne fût un cas tératologique. Agnès contenait Mélusine. On était femme le jour et goule la nuit. On allait en grève baiser ["des têtes fraîches coupées." barré en correction cursive] sur le pieu ["le pieu" corrige "la pointe du pieu"] de fer des têtes fraîches coupées. Marguerite de Valois, une aïeule des précieuses [corrige "des raffinées et des élégantes"], avait porté [un ou deux mots barrés en correction cursive] à sa ceinture ["tous les coeurs de ses amants morts" barré pour déplacement] sous cadenas dans des boîtes de fer blanc cousues à son corps de jupe tous les cœurs de ses amants morts ["tous les coeurs...": ajouté]. Henri IV s’était caché sous ce vertugadin-là.
Au dix-huitième siècle la duchesse de Berry, fille du régent, résuma toutes ces créatures dans un type obscène et royal. ["Au moral, mêmes...": addition; elle est tardive puisque, à la copie, le texte est écrit par la copiste sur une bande d'un papier différent de celui ordinairement utilisé, intercalée et collée aux feuilles employées à ce qui précède et à ce qui suit.]
En outre les belles dames ["latinisaient" barré en correction cursive] savaient le latin. C’était, depuis le seizième siècle, une grâce féminine. Jane Grey avait poussé l’élégance jusqu’à savoir l’hébreu.
La duchesse ["La..." ajouté] Josiane latinisait. De plus, autre belle manière ["belle manière" corrige "politesse, qui corrige "gentillesse" en sc. sur +], elle était catholique. En secret, disons-le, ["de peu(?)" barré] et plutôt comme son oncle Charles II que comme son père Jacques II. Jacques, à son catholicisme, avait perdu sa royauté, et Josiane ne voulait point risquer sa pairie. C’est pourquoi, catholique dans l’intimité et entre raffinés et raffinées, elle était protestante extérieure. Pour la canaille.
Cette façon d’entendre la religion est agréable ; on jouit de tous les biens attachés à l’église officielle épiscopale [corrige "anglicane"], et plus tard on meurt, comme Grotius, en odeur de catholicisme, et l’on ["peut avoir la" barré en correction cursive] a la gloire que le Père Petau dise une messe pour vous. ["Cette façon d'entendre..." : addition de deuxième niveau; de même à la copie où VH inscrit d'emblée le texte corrigé]
Quoique grasse et bien portante, Josiane [corrige "elle"] était, insistons-y, [", insistons-y,": ajouté] une précieuse parfaite.
Par moments, sa façon dormante et voluptueuse de traîner la fin des
phrases imitait les allongements de pattes d’une tigresse marchant dans
les jongles. [paragraphe en addition de
premier niveau.]
L’utilité d’être précieuse, c’est que cela déclasse le genre humain. On ne lui fait plus l’honneur d’en être.
Avant tout, mettre l’espèce humaine à distance, voilà ce qui importe.
Quand on n’a pas l’Olympe, on prend l’hôtel de Rambouillet.
Junon se résout en Araminte. Une prétention de divinité non admise crée la mijaurée. A défaut de coups de tonnerre, on a l’impertinence. Le temple se ratatine en boudoir. Ne pouvant être déesse, on est idole.
Il y a en outre dans le précieux [corrige "le raffinement"; même correction à la copie de la main de la copiste] une certaine pédanterie qui plaît aux femmes.
[f° 181, N7. Deux traits d'interruption. Folio intercalé comme les trois précédents, voir au f° 178.]
La coquette et le pédant sont deux voisins. Leur adhérence est visible dans le fat. [paragraphe ajouté]
Le subtil dérive [corrige "est très voisin"] du sensuel. La gourmandise affecte la délicatesse. Une grimace dégoûtée sied à la convoitise,
Et puis ["Et puis" est placé entre barres verticales, raturées à la copie] le côté faible de la femme se sent gardé par toute cette casuistique de la galanterie qui tient lieu de scrupules [en sc. sur "morale" qui corrige "vertu"; à la copie VH corrrige par "scrupule" les deux variantes] aux précieuses. C’est une circonvallation avec fossé. Toute précieuse a un air de répugnance. Cela protège.
On consentira, mais on méprise. En attendant. ["En attendant." est d'abord écrit après alinéa, puis replacé à la suite du paragraphe.]
[Trait d'interruption.]
Josiane avait un for intérieur inquiétant [corrige + (sensible?) qui corrige "terrible"]. Elle se sentait une telle pente à l’impudeur qu’elle était bégueule. Les reculs de fierté en sens inverse de nos vices nous mènent aux vices contraires. L’excès d’effort pour être chaste la faisait prude. Être trop sur la défensive, cela indique un secret désir d’attaque. Qui est farouche n’est pas sévère.
Elle s’enfermait dans l’exception arrogante de son rang et de sa naissance, tout en préméditant peut-être, nous l’avons dit [corrige "insistons-y"], quelque brusque sortie.
On était à l’aurore du dix-huitième siècle. [faux départ: "Le relâchement"] L’Angleterre ébauchait ce qui a été ["plus tard" barré] en France la régence. Walpole et Dubois se tiennent. [phrase ajoutée] Marlborough se battait contre son ex-roi Jacques II auquel il avait ["auquel..." corrige "après lui avoir"], [", disait-on," est ajouté mais barré et ne figure pas à la copie] vendu sa sœur Churchill. On voyait ["poindre" barré en correction cursive] briller Bolingbroke et poindre Richelieu. La galanterie trouvait commode une certaine mêlée des rangs ; le plain-pied se faisait par les vices. [faux départ: "Plus tard"] Il devait se faire plus tard par les idées. L’encanaillement, prélude aristocratique, commençait ce que la révolution devait achever. On n’était pas très loin de Jélyotte publiquement [ajouté; de même à la copie, de la main de la copiste] assis en plein jour ["en plein jour" est encadré de barres verticales, ensuite raturées] sur le lit de la marquise d’Épinay. Il est vrai, car les mœurs se font écho, que le seizième siècle avait vu le bonnet de nuit de Smeton sur l’oreiller d’Anne de Boleyn.
[faux départ: "Jamais la femme"] Si femme signifie faute, comme l'a affirmé le concile de Nicée [point d'interrogation au-dessus de "Nicée"; "le concile..." variante sans choix: "je ne sais plus quel concile", préférée à la copie et placée avant "l'a affirmé"], jamais la femme n’a plus été femme qu’en ces temps-là. Jamais, couvrant sa fragilité de son charme, et sa faiblesse de sa toute puissance, elle ne s’est plus impérieusement fait absoudre. Faire du fruit défendu le fruit permis, c’est la chute d’Eve ; mais faire du fruit permis le fruit défendu, c’est son triomphe. Elle finit par là. Au dix-huitième siècle, la femme tire le verrou sur le mari. Elle s’enferme dans l’éden avec Satan. Adam est dehors.
["Cet imbécille!" barré]
[Trait d'interruption.]
[f° 182 blanc; f° 183, O7. Mise au net. Folio intercalé comme les quatre précédents, voir au f° 178.]
Tous les instincts de Josiane inclinaient ["du côté" barré en correction cursive] plutôt à se donner ["légalement": inadvertance barrée en correction cursive] galamment qu’à se donner légalement. ["C'est bien plus docte [en sc. sur "littéraire"]." barré; de même à la copie] Se donner par galanterie implique de la littérature, rappelle Ménalque et Amaryllis, et est presque une action docte. ["Se donner par galanterie...": addition; de même à la copie] Mademoiselle de Scudéry, l’attrait de la laideur pour la laideur mis à part, n’avait pas eu d’autre motif pour céder à Pélisson. ["Mademoiselle de Scudéry...": addition, de même à la copie de la main de la copiste donc antérieure à la précédente. Elle se substitue à un faux départ après alinéa: "La livraison d'une femme à un amoureux par un notaire" ]
["Qu'il fallut en venir au mariage avec lord David [première occurence du nom définitif en rédaction initiale] , puisque le bon plaisir royal l'exigeait, c'était une nécessité sans doute, mais quel dommage!" barré pour déplacement; de même à la copie] [marque d'alinéa à faire] La fille souveraine et la femme sujette, telles sont les vieilles coutumes [corrige "moeurs"] anglaises. Josiane différait le plus qu’elle pouvait ["le plus..." corrige "volontiers"] l’heure de cette sujétion. Qu’il fallût en venir au mariage avec lord David, puisque le bon plaisir royal l’exigeait, c’était une nécessité sans doute, mais quel dommage ! [phrase déplacée en ajout] Josiane [corrige "Elle"] agréait et éconduisait lord David. Il y avait entre eux accord tacite pour ne point conclure [corrige "pas avancer"] et pour ne point rompre [corrige "pas reculer"]. Ils s’éludaient. ["Les danses du temps, le menuet, la gavotte, exprimaient" barré et déplacé en ajout; de même à la copie] Cette façon de s’aimer avec un pas en avant et deux pas en arrière, [corrige point] est exprimée par les danses du temps, le menuet et la gavotte ["est exprimée...: addition correctrice; de même à la copie]. Être des gens mariés, cela ne va pas à l’air du visage, cela fane les rubans ["et les fleurs" barré] qu’on porte, cela vieillit. L’épousaille, solution désolante de clarté. La livraison d’une femme par un notaire, quelle platitude ! La brutalité du mariage crée des situations définitives, supprime la volonté, tue le choix, a une syntaxe comme la grammaire, ["a une syntaxe...": ajouté; ajouté à la copie de la main de la copiste] remplace l’inspiration par l’orthographe, fait de l’amour une dictée, met en déroute le mystérieux de la vie, inflige la transparence aux fonctions périodiques et fatales, ["inflige...": addition marginale, en face, au crayon, le mot "secrètes"] ôte du nuage l’aspect en chemise de la femme, donne des droits diminuants pour qui les exerce comme pour qui les subit, dérange par un penchement de balance tout d’un côté le charmant équilibre du sexe robuste et du sexe puissant, de la force et de la beauté, et fait ici un maître et là une servante, tandis que, hors du mariage, il y a un esclave et une reine. Prosaïser le lit jusqu’à le rendre décent, conçoit-on rien de plus grossier ? Qu’il n’y ait plus de mal du tout à s’aimer, est-ce assez bête !
Lord David mûrissait. Quarante ans, c’est une heure qui sonne. Il ne s’en apercevait pas. Et de fait il avait toujours l’air de ses trente ans. Il trouvait plus amusant de désirer Josiane que de la posséder. Il en possédait d’autres ; il avait des femmes. Josiane de son côté avait des songes.
Les songes étaient pires.
La duchesse Josiane avait cette particularité, moins rare du reste qu’on ne croit, qu’un de ses yeux était bleu [corrige "noir"] et l’autre noir [corrige "bleu"; même interversion à la copie]. Ses prunelles étaient faites d’amour et de haine, de bonheur et de malheur. Le jour et la nuit étaient mêlés dans son regard. ["Ses prunelles...": addition; de même à la copie. Elle se substitue, à la copie comme au ms., à "Elle avait un oeil d'enfer et un oeil de ciel." et est esquissée dans une addition, ou une correction, rayée: "Ses prunelles +".]
Son ambition était ceci : se montrer [f° 184, P7. Mise au net. Folio intercalé comme les cinq précédents, voir au f° 178. Trait d'interruption.] capable de l’impossible.
Un jour elle avait dit à Swift : — Vous vous figurez, vous autres, que votre mépris existe.
Vous autres, c’était le genre humain. ["Un jour...": addition marginale]
Elle était papiste à fleur de peau. ["capable de l'impossible...": additions] ["avait un oeil d'enfer et un oeil de ciel" barré. Cette ligne était initialement la première du folio. La copie garde également la trace de cet état de la rédaction qui fait apparaître tout le texte depuis "Ses prunelles..." jusqu'à "... papiste à fleur de peau." comme un ensemble d'additions emboitées, postérieures à la copie initiale.] Son catholicisme [correction abandonnée: "papisme"] ne dépassait point [corrige "pas"] la quantité nécessaire pour l’élégance. Ce serait du puséysme aujourd’hui. Elle portait de grosses robes de velours, ou de satin, ou de moire, quelques-unes amples de quinze et seize aunes, et des entoilages d’or et d’argent, et autour de sa ceinture force nœuds de perles alternés avec des nœuds de pierreries. Elle abusait des galons. Elle mettait parfois une veste de drap passementé comme un bachelier. Elle allait à cheval sur une selle d’homme, en dépit de l’invention des selles de femme introduite en Angleterre au quatorzième siècle par Anne, femme de Richard II ["II" en sc. sur +]. Elle se lavait le visage, les bras, les épaules et la gorge avec du sucre candi délayé dans du blanc d’œuf à la mode castillane. Elle avait, après qu’on avait spirituellement parlé auprès d’elle, un rire de réflexion d’une grâce singulière.
Du reste, aucune méchanceté. Elle était plutôt bonne.
[Trait d'interruption. Grand blanc au bas du folio; de même à la copie.]
[f° 184v° et 185: dessin collé au folio, avec cette souscription: "Les dessins quelconques, qui sont dans mes manuscrits, sont tous de moi. Celui-ci, par exception unique, n'en est pas. C'est le portrait d'Eugène Delacroix fait par lui-même, et en 1824. Il l'avait donné à mon frère Abel, duquel je le tiens.
V. H."]
[f° 186, Q7. Folio intercalé après l'intercalation du folio 187, dont il reprend plusieurs éléments. Intercalation confirmée par le papier bleu employé pour la copie.]
["D'ail" en sc. cursive sur "Ajoutons que", le tout barré] Josiane s’ennuyait, cela va sans dire [", cela va..." ajouté].
Lord David Dirry-Moir avait une situation magistrale dans la vie joyeuse de Londres. Nobility et gentry le vénéraient.
Enregistrons une gloire de lord David ; [ms: ponctuation mangée par le bord de la feuille; copie: point-virgule] il osait porter ses cheveux. [un ou deux mots barrés en correction cursive] La réaction contre la perruque commençait. [faux départ: "En 1702 Price Devereux, vicomte Hereford"] De même qu’en 1824 Eugène Devéria osa le premier laisser pousser sa barbe, en 1702 Price Devereux osa le premier hasarder en public, sous la dissimulation d’une frisure savante, sa chevelure naturelle. Risquer sa chevelure, c’était presque risquer sa tête. L’indignation [corrige "La huée"] fut universelle . Pourtant Price Devereux était ["pair d'Angleterre," barré en correction cursive] vicomte Hereford, [" et qui plus est, le" barré en correction cursive] et pair d’Angleterre. Il fut insulté, et le fait est que la chose en valait la peine. Au plus fort de la huée, lord David parut tout à coup, lui aussi, [", lui..." ajouté] avec ses cheveux et sans perruque. Ces choses là annoncent la fin des sociétés. Lord David fut honni plus encore que le vicomte Hereford. Il tint bon. Price Devereux avait été le premier, David Dirry-Moir fut le second. Il est quelquefois plus difficile d’être le second que d'être le premier. Il faut moins de génie, mais plus de courage. Le premier, enivré par l’innovation, a pu ignorer le danger ; le second voit l’abîme, et s’y précipite. Cet abîme, ne plus porter perruque, David Dirri-Moir s’y jeta. Plus tard on les imita, on eut, après ces deux révolutionnaires, l’audace de se coiffer de ses cheveux, et la poudre vint, comme circonstance atténuante.
Pour fixer en passant cet important point d’histoire, disons que la vraie priorité, dans la guerre à la perruque, [", dans la guerre...": addition] appartiendrait à une reine, ["une reine,": ajouté] Christine de Suède, laquelle mettait [corrige "portait" ; de même à la copie] des habits d’homme, et s’était montrée dès 1680, avec ses cheveux châtains naturels, poudrés et hérissés sans coiffure en tête naissante. Elle avait en outre « quelques poils de barbe », dit Misson. [phrase ajoutée] ["Pour fixer...": addition]
Le pape, de son côté, [un mot barré; de même
à l'ajout autographe de la copie] par sa bulle de mars 1694 [en sc. sur "1794"; la correction n'est pas faite à
la copie], avait un peu ["un peu"
ajouté au-dessus de plusieurs mots barrés où l'on distingue "Louis
XIII"] déconsidéré [en sc. sur "+ +
à"] la perruque en l’otant de la tête des évêques et des
prêtres [virgule au texte de la copie]
et en ordonnant aux gens d’église de laisser pousser leurs cheveux. ["Le pape...": addition de second niveau; VH la
porte de sa main à la copie.]
Lord David donc ne portait pas perruque et portait des bottes de peau de vache. [paragraphe ajouté d'une écriture distincte de la précédente addition; addition de la même main à la copie]
Ces grandes choses le [ajouté] désignaient ["lord David" barré] à l’admiration publique. Pas un club dont il ne fut le leader. Pas une boxe où on ne le souhaitât pour referee. Le referee, c’est l’arbitre.
[f° 187, R7. Folio intercalé: son début reprend le texte du folio 188 en intégrant d'emblée les corrections qui y sont faites.]
["Ajoutons que Josiane s’ennuyait.
Lord David Dirry-Moir avait une situation magistrale dans la vie joyeuse de Londres. Nobility et gentry le vénéraient.
Pas un club dont il ne fut le leader. Pas une boxe où on ne le souhaitât pour referee. Le referee, c'est l'arbitre." Ces trois paragraphes reprennent le texte, une fois corrigé, du folio 188 et se retrouvent au f°186, intercalé ultérieurement.]
Il avait rédigé les chartes de plusieurs cercles de la high life [cette phrase se substitue à "Il avait créé [corrige "créa"] des institutions"]; il avait fait [corrige "fit"] des fondations d’élégance dont une, Lady Guinea, existait encore à Pall Mall en 1772. Lady Guinea était un cercle ou foisonnait toute la jeune lordship. On y jouait. Le moindre enjeu était un rouleau de cinquante guinées, et il n’y avait jamais moins de vingt mille guinées sur la table. Près de chaque joueur se dressait [corrige "il y avait"] un guéridon pour poser la tasse de thé et la sébile de bois doré où l’on met les rouleaux de guinées. Les joueurs avaient, comme les valets quand ils fourbissent les couteaux, des manches de cuir, ["pour" rayé en correction cursive] lesquelles protégeaient leurs dentelles, des plastrons de cuir qui garantissaient leurs fraises, et sur la tête, pour abriter leurs yeux, à cause de la grande lumière des lampes, et maintenir en ordre leur frisure, de larges chapeaux de paille couverts de fleurs. [faux départ: "De plus"] Ils étaient masqués, pour qu’on ne vît pas leur émotion, surtout au jeu de quinze. Tous avaient sur le dos leurs habits à l’envers, [deux corrections cursives successives: "afin d'attirer la chance", puis "ce qui est infaillible pour attirer la chance", avant de revenir à la formulation initiale] afin d’attirer la chance.
Lord David était du Beafsteak Club, du Surly Club, et du Split-farthing Club, du Club des Bourrus et du Club des Gratte-Sous, du Nœud Scellé, Sealed Knot, club des royalistes, et du Martinus Scribblerus, fondé par Swift, en remplacement de la Rota, fondée par Milton.
Quoique beau, il était du club des Laids. Ce club était dédié à la difformité. On y prenait l’engagement de se battre, non pour une belle femme, mais pour un homme laid. La salle du club ["était" barré en correction cursive] avait pour ornement des portraits hideux: Thersite, Triboulet, Duns, Hudibras, Scarron ; sur la cheminée était Ésope entre deux borgnes, Coclès et Camoëns ; Coclès étant borgne de l’œil gauche et Camoëns de l’œil droit, chacun était sculpté de son côté borgne, et ces deux profils sans yeux ["sans yeux" ajouté] se faisaient vis à vis. ["Le club des Laids glorifiait les maladies qui tuent la beauté." barré] Le jour ou la belle madame Visart eut la petite-vérole, le Club des Laids lui porta un toast. Ce club florissait [corrige "existait"] encore au commencement du dix-neuvième ["du dix-neuvième" en sc. cursive sur "de ce"] siècle ; il avait envoyé un diplôme de membre honoraire à Mirabeau. [paragraphe ajouté; à la copie il est écrit, par la copiste, sur une bande de papier bleu collée à la page.] [f° 188, S7. Trait d'interruption. Rédaction initiale du portrait de lord David. Tout le haut de la page est barré à grands traits.]
["Ajoutons que Josiane s'ennuyait." ajouté]
["Lord David Dirry-Moir [", même après avoir passé quarante ans, était resté de la jeunesse. Il s'y était attardé. Il" barré] avait une sorte de situation magistrale dans la vie joyeuse de Londres. Nobility et gentry le vénéraient. ["Nobility...": addition]
Pas une club dont il ne fut le leader; pas une boxe où on ne le souhaitât pour referee [corrige "dont il ne fût le referee"]. Le referee c'est l'arbitre. [phrase ajoutée]
["Il était du Beafsteak Club, du Surly Club, et du Split-farthing Club, du club des Bourrus et du club des Gratte-Sous, du nœud scellé, Sealed Knot, ["Sealed..." ajouté] club des royalistes, et du Martinus Scribblerus, fondé par Swift, en remplacement de la Rota, fondée par Milton." : paragraphe ajouté] Ces quatre paragraphes barrés à grands traits obliques.]
["Il était gai et ["et" est supprimé, et une virgule ajoutée, avant d'être rétabli sans que la virgule soit barrée] littéraire [", mais [corrige "et"] malpropre" barré]. Ce fut lui qui en 1804 rédigea en français ["en français": ajouté] le programme du sacre de Napoléon commençant ainsi: — « Le Pape Pie sera dans le premier carrosse et le cardinal Fesh ira dans le deuxième [en sc. sur "second"].» : addition de second niveau. Quoiqu'elle semble tout à fait incongrue et ne concerne certainement pas lord David ni Mirabeau, elle n'est pas barrée. A la copie, elle est ajoutée, de la main de la copiste, et barrée par VH.]
Depuis la restauration de Charles II, ["Depuis..." ajouté; de même à la copie] les clubs révolutionnaires étaient abolis [corrige "avaient disparu"]. On avait démoli dans la petite rue avoisinant [en sc. sur "attenant"] Moorfields ["le club de la Tête de veau" barré en correction cursive], la taverne où se tenait le Calf’s Head Club, club de la Tête de Veau, ainsi nommé parce que le 30 janvier 1648, jour où coula sur l’échafaud ["sur l'échafaud" ajouté] le sang de Charles Ier, on y avait bu ["du vin" barré en correction cursive] dans un crâne de veau du vin rouge à la santé de Cromwell.
Aux clubs républicains avaient succédé les clubs monarchiques.
On s’y amusait décemment ["et gracieusment" barré].
[Trait d'interruption.]
Il y avait le She romps Club. On prenait ["de force" addition abandonnée] dans la rue une femme, une passante, une bourgeoise, aussi peu vieille et aussi peu laide [barré et rétabli en correction cursive] que possible ; ["aussi peu..." ajouté] on la poussait dans le club, de force, et on la faisait marcher sur les mains, les pieds en l’air, le visage voilé par ses jupes retombantes [ajouté; de même à la copie de la main de la copiste]. Si elle y mettait de la mauvaise grâce, on cinglait un peu de la cravache ce qui n’était plus [corrige "pas"] voilé ["on cinglait..." corrige "on la cinglait un peu de la cravache"; de même à la copie de la main de la copiste]. C’était sa faute. Les écuyers de ce genre de manège s’appelaient « les sauteurs ».
Il y avait le Club des Éclairs de chaleur, métaphoriquement Merry-danses [une fin de phrase de plusieurs mots, corrigée, le tout barré]. On y faisait danser par des nègres et des blanches les danses des ["pisantos"(?) barré en correction cursive] picantes et des timtirimbas du Pérou, notamment la Mozamala, « mauvaise fille », danse qui a pour triomphe la danseuse s’asseyant sur un tas de son auquel en se relevant elle laisse une empreinte callipyge. On s’y donnait pour spectacle un [corrige "la matière(?) du"] vers de Lucrèce, Tunc Venus in sylvis jungebat corpora amantum. [Ce paragraphe est une addition de troisième niveau, ajoutée à l'addition qui suit; addition de la main de VH à la copie]
Il y avait le Hellfire Club, « club des Flammes », où l’on jouait à être impie. C’était la joute des sacrilèges. L’enfer y était à l’enchère du plus gros blasphème. ["Il y avait...": addition de premier niveau]
Il y avait le Club des Coups de Tête, ainsi nommé parce qu’on y donnait des coups [corrige le singulier] de tête aux gens. On avisait quelque portefaix à large poitrail et à l’air imbécile. On lui offrait, et au besoin on le contraignait d’accepter ["on le contraignait..." corrige "on lui faisait accepter de force"], un pot de porter pour se laisser donner quatre coups de tête dans la poitrine. Et là-dessus on pariait. Une fois, un homme, ["nommé" barré en correction cursive] une grosse brute de gallois nommé Gogangerdd, expira [en sc. cursive sur "mou"] au troisième coup de tête. Ceci parut grave. Il y eut enquête, et le jury d’indictement ["d’indictement" est placé entre barres verticales, raturées à la copie] rendit ce verdict : « Mort d’un gonflement de cœur causé par excès de boisson ». Gogangerdd avait en effet bu le pot de porter [en sc. sur "bière"]. ["Il y avait le Club...": addition de second niveau: elle est d'emblée intégrée au texte de la copiste.]
Il y avait le Fun Club. Fun est, comme cant, comme humour, un mot spécial intraduisible. Le fun est à la farce ce que le piment [en sc. sur "poivre"] est au sel [variante sans choix: "poivre"; elle est d'abord préférée à la copie, puis barrée à son tour et VH réécrit "sel"]. Pénétrer ["la nuit" barré] dans une maison, y briser une glace de prix, y balafrer [en sc. sur + (trouer?)] les portraits de famille, empoisonner le chien, mettre un chat dans la volière, cela s’appelle « tailler une pièce de fun ». Donner une fausse mauvaise nouvelle qui fait prendre aux personnes [corrige "gens"] le deuil à tort, c’est du fun. [phrase ajoutée] [faux départ: "Les membres du Fun Club"] C’est le fun qui a fait un trou carré dans un Holbein à Hampton-Court. [faux départ: "Les membres du"] Le fun serait fier si c’était lui qui avait cassé les bras à la Vénus de Milo. [phrase ajoutée] Sous Jacques II un jeune lord millionnaire qui avait mis le feu la nuit à une chaumière fit rire Londres aux éclats et fut proclamé Roi du Fun. Les pauvres diables de la chaumière s’étaient sauvés en chemise [", sans leurs chausses" barré]. Les membres du Fun Club, tous de la plus haute aristocratie, [", tous de la...": addition] couraient Londres ["la nuit" barré en correction cursive] à l’heure où les bourgeois dorment, arrachaient les gonds des volets [en sc. sur "vantaux des portes"], coupaient les tuyaux des pompes, ["coupaient..." ajouté] défonçaient les citernes, décrochaient les enseignes, saccageaient les cultures [corrige "jardins"], ["saccageaient...": addition] éteignaient les réverbères, sciaient les poutres d’étai des maisons ["des maisons" ajouté], cassaient ["tous" barré] les carreaux des fenêtres, surtout dans les quartiers indigents [en sc. sur "misérables"]. C’étaient les riches qui faisaient cela aux misérables [corrige "indigents" qui corrige "pauvres"]. C’est pourquoi nulle plainte possible. D’ailleurs c’était de la comédie. Ces mœurs n’ont pas tout à fait disparu. [faux départ: "A Guernesey"] Sur divers points de l’Angleterre ou des possessions anglaises, à Guernesey par exemple, de temps en temps on vous dévaste un peu votre maison la nuit, on vous [f° 189, T7. Trait d'interruption.] brise une clôture, on vous arrache le marteau de votre porte, etc. Si c’étaient des pauvres [en sc. sur "voleurs" qui est aussi écrit et barré en correction à l'interligne: Hugo a écrit "voleurs", puis l'a surchargé en "pauvres", puis a écrit, de nouveau, au-dessus, "voleurs" pour remplacer "pauvres", y a renoncé et a barré ce "voleurs" qu'il venait d'écrire], on les enverrait au bagne ; mais ce sont d’aimables jeunes gens.
Le plus [deux ou trois lettres barrées en correction cursive] distingué des clubs était présidé par un empereur qui portait un croissant sur le front et qui s’appelait « le grand Mohock ». Le mohock dépassait le fun. Faire le mal pour le mal, tel était le programme. Le Mohock Club avait ce but grandiose : nuire [corrige un mot lui-même surchargé, peut-être "maltraiter" en sc. sur "nuire"]. [un ou deux mots barrés, suite de ce qui précède ou faux départ] Pour remplir cette fonction, tous les moyens étaient bons. En devenant mohock, on prêtait serment d’être nuisible [corrige "de nuire"]. Nuire à tout prix, n’importe quand, à n’importe qui, et n’importe comment, était le devoir. [phrase ajoutée, peut-être en deux temps] Tout membre du Mohock Club devait avoir un talent. L’un était « maître de danse », c’est à dire faisait gambader [corrige "danser"] les manants en leur lardant [corrige "piquant"] les mollets de son épée. D’autres savaient « faire suer », c’est à dire [trois mots barrés en correction cursive] improviser autour d’un bélitre quelconque ["bélitre..." corrige "quidam"] une ronde [corrige "un cercle"] de six ou huit gentilshommes la rapière à la main [corrige "au poing"]; étant entouré de toutes parts ["de toute parts" corrige d'un cercle"], il était impossible que le bélitre ne tournât pas le dos à quelqu’un ; ["étant entouré...": addition] le gentilhomme [corrige "celui"; même correction à la copie] à qui l’homme montrait [corrige "tournait"] le dos l’en chatiait par un coup de pointe qui le faisait pirouetter [corrige "tourner"; de même à la copie] ; un nouveau coup de pointe aux reins avertissait le quidam ["avertissait le quidam" corrige "l'avertissait"] que quelqu’un de noble ["de noble" ajouté] était derrière lui, et ainsi de suite, chacun piquant à son tour ; quand l’homme, enfermé dans ce cercle d’épées [corrige "de pointes"], et tout ["enfermé dans ce cercle...": addition] ensanglanté, avait assez tourné et dansé, on le faisait bâtonner par des laquais pour changer le cours de ses idées. D’autres « tapaient le lion », c’est à dire arrêtaient en riant un passant, lui écrasaient le nez d’un coup de poing, et lui enfonçaient ["les pou" barré en correction cursive] leurs deux pouces dans les deux yeux. Si les yeux étaient crevés, on les lui payait.
C’étaient là, au commencement du dix-huitième siècle, les passe-temps des opulents oisifs de Londres. Les oisifs de Paris en avaient d’autres. M. de Charolais lâchait son coup de fusil à un bourgeois sur le seuil de sa porte. De tout temps la jeunesse s’est amusée.
Lord David Dirry-Moir apportait dans ces diverses institutions de plaisir son esprit magnifique et libéral. Tout comme un autre, il brûlait gaîment une cabane de chaume et de bois ["de chaume...": addition], et roussissait un peu ceux qui étaient dedans, mais il leur rebâtissait [corrige "faisait reconstruire"] leur maison en pierre. Il lui [en sc. cursive sur "fit"] arriva de faire danser sur les mains deux femmes dans le She romps club. L’une était fille, il la dota ; l’autre était mariée, il fit nommer son mari chapelain.
[Trait d'interruption.]
Les combats de coq lui durent de louables perfectionnements. C’était merveille de voir lord David habiller ["C'était merveille..." corrige "Personne comme lui n'habillait"] un coq pour le combat. Les coqs se prennent aux plumes comme les hommes aux cheveux. Aussi lord David faisait-il son coq le plus chauve possible. Il lui coupait avec des ciseaux toutes les plumes de la queue et, [toutes les plumes de la queue et," correction cursive de "toutes les plumes du cou"] de la tête aux épaules, toutes les plumes du cou. — Autant de moins pour le bec de l’ennemi, disait-il [ajouté]. Puis il étendait les aîles de son coq, et taillait en pointe chaque plume l’une après l’autre, et cela faisait les ailes garnies de dards. — Voilà pour les yeux de l’ennemi, disait-il. Ensuite, il lui grattait les pattes [corrige "ergots"] avec un canif, lui aiguisait les ongles, lui emboîtait dans le maître ergot un éperon d’acier aigu et tranchant, lui crachait sur la tête, lui crachait sur le cou, l’oignait de salive comme on frottait [corrige "oignait"] d’huile les athlètes, et le lâchait, terrible, en s’écriant : Voilà comment d’un coq on fait un aigle, et comment la bête de basse-cour devient une bête de la montagne ! [paragraphe en addition]
Lord David [corrige "Il"] assistait [correction abandonnée: "présidait"] aux boxes, et il en était [", et il en était" corrige "comme"] la règle vivante. Dans les grandes performances [corrige "occasions"], c’était lui qui faisait planter les pieux et tendre les cordes, et qui fixait le nombre de toises qu’aurait le carré de combat. [f° 190, U7. Trait d'interruption.] S’il était second, il suivait pied à pied son boxeur, une bouteille [corrige "gourde"] dans une main, une éponge dans l’autre, lui criait : Strike fair(1), [(1)Frappe ferme.] ["lui criait...": addition; de même à la copie de la main de la copiste] lui suggérait les ruses, le conseillait combattant, l’essuyait sanglant [corrige "ensanglanté"], le ramassait renversé, le prenait sur ses genoux, lui mettait le goulot entre les dents, et de sa propre bouche pleine d’eau lui soufflait une pluie fine dans les yeux et dans les oreilles, ce qui ranime le mourant. S’il était arbitre, il présidait à la loyauté des coups, interdisait à [corrige "empêchait"] qui que ce fût, hors les seconds, d’assister les combattants, déclarait vaincu le champion qui ne se ["déclarait..." corrige "declarait un champion vaincu s'il [+ + barré] ne se"] plaçait pas bien en face de l’adversaire, veillait à ce que le temps des ronds ne dépassât point une demi-minute, faisait obstacle au butting, donnait tort à qui cognait avec la tête, empêchait de frapper l’homme tombé à terre. Toute cette science ne le faisait point pédant et n’otait rien à son aisance dans le monde.
[début d'une très longue addition] Ce n’est pas quand il était referee d’une boxe que les partenaires hâlés, [ajouté; de même à la copie de la main de la copiste] bourgeonnés et ["poilus", barré en correction cursive] velus de celui-ci ou de celui-là, se fussent permis, pour venir en aide à leur boxeur faiblissant et pour culbuter la balance des paris, d’enjamber la palissade, ["d'enjamber..." est écrit en addition au-dessus de "d'entrer dans" barré en correction cursive: VH a écrit "d'entrer dans", l'a suppimé, s'est ravisé et l'a réécrit et a poursuivi, puis, à un moment quelconque, mais proche puisque l'écriture est la même, a inscrit l'addition; il n'est pas non plus exclu que Hugo recopie un texte déjà rédigé et ait commis puis réparé une erreur] d’entrer dans l’enceinte, de casser les cordes, d’arracher les pieux, et d’intervenir violemment dans le combat. Lord David était du petit nombre des arbitres qu’on n’ose rosser.
Personne n’entraînait comme lui. Le boxeur dont il consentait à être le « trainer », était sûr de vaincre. Lord David choisissait un Hercule, massif comme une roche, haut comme une tour, et en faisait son enfant. Faire passer de l’état défensif à l’état offensif cet écueil humain, tel était le problème. Il y excellait. Une fois le cyclope adopté, il ne le quittait plus. Il devenait nourrice. Il lui mesurait le vin, il lui pesait la viande, il lui comptait le sommeil. Ce fut lui qui inventa cet admirable régime d’athlète, renouvelé depuis par Moseley [copie: correction malheureuse par VH en "Moreley"] : le matin un œuf cru et un verre de Sherry, à midi, gigot saignant et thé, à quatre heures, pain grillé et thé, le soir pale ale et pain grillé. Après quoi il déshabillait l’homme, le massait et le couchait. Dans la rue il ne le perdait pas de vue, écartant de lui tous les dangers, les chevaux échappés, les roues de voitures, les soldats ivres, les jolies filles. Il veillait sur sa vertu. [un mot ou deux, barré en correction cursive] Cette sollicitude maternelle apportait sans cesse quelque nouveau perfectionnement à l’éducation du pupille. Il lui enseignait le coup de poing qui casse les dents et le coup de pouce qui fait jaillir l’œil. Rien de plus touchant.
Il se préparait de la sorte à la vie politique, à laquelle il devait plus tard être appelé. Ce n’est pas peu de chose que d'être [variante sans choix: "une petite affaire que de devenir"; à la copie, VH effectue la correction] un gentilhomme accompli. [phrase ajoutée]
Lord David Dirry-Moir aimait passionnément les exhibitions de carrefours, les tréteaux à parade ["à parade" corrige "en plein air"], les circus à bêtes curieuses, ["les circus...": addition] les baraques de saltimbanques, les clowns, les tartailles, les pasquins, les farces en plein vent et les prodiges de la foire. Le vrai seigneur est celui qui goute de l’homme du peuple ; c’est pourquoi lord David hantait les tavernes et les cours des miracles de Londres et des Cinq-Ports. ["Ce n'est pas quand il était referee...": addition. Elle reprend dans son dernier paragraphe trois lignes de la première rédaction, corrigées et barrées. On distingue:
["Il aimait passionnement les exhibitions
foraines, les + et farces en plein vent, et les baraques de
saltimbanques. ["Il aimait...": ajouté] Le vrai seigneur est celui qui
goûte de tout ["+ + l'homme du peuple" surchargé par la phrase qui
suit]
Il hantait volontiers les bas-fonds de Londres et des Cinq-["Cinq-" ajouté] Ports."] Afin de [corrige "Pour", même correction à la copie, à l'encre rouge] pouvoir au besoin, sans compromettre son rang dans l’escadre blanche, se colleter avec un gabier ou un calfat, il mettait, quand il allait dans ces bas-fonds ["ces bas-fonds" corrige "les foires et les tavernes"], une jaquette de matelot. De cette façon, il était libre. Pour ces transformations, ne pas porter perruque lui était commode, car, même sous Louis XIV, le peuple a gardé ses cheveux, comme le lion sa crinière. ["Pour ces transformations..." addition; de même à la copie de la main de la copiste] Les petites gens, que lord David ["Les petites gens..." corrige "Le petit peuple qu'il"] rencontrait dans ces cohues et auxquelles [masculin singulier corrigé] il se mêlait, le tenaient [singulier corigé] en haute [corrige "grande"] estime, et ne savaient [singulier corigé] pas qu’il fût lord. On l’appelait [corrige "Il se faisait appeler"] Tom-Jim-Jack. Sous ce nom il était populaire [corrige "presque célèbre"], et fort illustre [corrige "populaire"] dans cette crapule [corrige "canaille"; même correction à la copie de la main de VH]. Il s’encanaillait en maître. [phrase ajoutée; de même à la copie] Dans l’occasion, ["Dans..." : addition; elle est corrigée de "Là, dans l'occasion,"] il faisait ["là" barré; de même à la copie] le coup de poing. [point ajouté; "à son aise." barré et remplacé par "en maître." rayé; à la copie, la copiste écrit "il faisait le coup de poing en maître" et VH raye "en maître"] Ce côté de sa vie élégante était connu et fort apprécié [correction abandonnée: "admiré"] de Lady Josiane.
[Trait d'interruption.]
[Grand blanc au bas du folio.]
[f° 191, V7. Grand blanc au haut du folio.]
Au dessus de ce couple, il y avait Anne, reine d’Angleterre.
La première femme venue, c’était la reine Anne. Elle était gaie, bienveillante [en sc. sur "aimable"; correction abandonnée: "affable"], auguste, ["bienveillante," addition, ensuite inscrite en sc.] à peu près. Aucune de ses qualités n’atteignait à la vertu, aucune de ses imperfections n’atteignait au mal [corrige "n'arrivait à la laideur"]. Son embonpoint était bouffi, sa malice était épaisse [corrige "lourde"], sa bonté était bête. Elle était tenace et molle. [phrase ajoutée] Épouse, elle était infidèle et fidèle, ayant des favoris auxquels elle livrait son cœur [corrige "âme"; de même à la copie de la main de la copiste], et un consort auquel elle gardait son lit. Chrétienne, elle était hérétique et bigote. Elle avait une beauté, le cou robuste d’une Niobé [correction abandonnée: "Junon"]. Le reste de sa personne était mal réussi. Elle était gauchement coquette, et honnêtement [", et honnêtement" ajouté]. Sa peau étant blanche et fine, elle la montrait beaucoup. [phrase en addition de troisième niveau] C’est d’elle que venait la mode du collier de grosses perles serré au cou. [phrase en addition de deuxième niveau] Elle avait le front étroit ["le front..." corrige "la peau blanche"], les lèvres sensuelles, les joues charnues, l’œil gros, la vue basse. Sa myopie s’étendait à son esprit. A part çà et là un éclat de ["pesante" barré] jovialité [en sc. sur "gaîté"], presque aussi pesante [corrige "brutale"] que sa colère, ["Elle avait la front..." addition; elle se substitue à "A part çà et là un éclat de grosse gaîté [correction "pesante jovialité"], ou de grosse [correction: "pesante"] colère,"] elle vivait dans une sorte de gronderie taciturne et de silence grognon. [une addition abandonnée d'une demi-douzaine de mots et deux lignes barrées, dont on ne distingue que la fin: "peut-être qu'elle ne le disait."] Il lui échappait des mots qu’il fallait deviner. C’était un mélange de la bonne femme et de la méchante diablesse. Elle ["adorait" barré en correction cursive] aimait l’inattendu, ce qui est profondément féminin. Anne était un échantillon à peine dégrossi de l’Ève universelle. A cette ébauche était échu ce hasard, le trône. Elle buvait. Son mari était un danois, [addition ou correction d'un ou deux mots, barrée] de race.
[début d'une cascade d'additions] Tory, elle gouvernait par les whighs. ["Tory...": addition de troisième niveau] En femme, en folle. Elle avait des rages. ["En femme...": deux phrases successivement ajoutées à l'addition qui précède] Elle [réécrit devant le même mot pour combler le retrait d'alinéa initial] était casseuse. Pas de personne plus maladroite pour manier les choses de l’état [corrige "du gouvernement"]. Elle laissait tomber à terre les événements. Toute sa politique était fêlée. Elle excellait à faire de grosses catastrophes avec de petites causes. Quand une fantaisie d’autorité lui prenait, elle appelait cela : donner le coup de poker. ["Elle était casseuse...": addition de deuxième niveau; peut-être la dernière phrase est-elle ajoutée.]
Elle disait avec un air de profonde rêverie des paroles telles que celles-ci : Aucun pair ne peut être couvert devant le roi, excepté Courcy, baron Kinsale, pair d’Irlande. — [noté en MVH_ah516] Elle disait : Ce serait une injustice que mon mari ne fût pas lord-amiral, puisque mon père l’a été. — Et elle faisait George de Danemark haut-amiral d’Angleterre « and of all Her Majesty’s Plantations ». Elle était perpétuellement en transpiration de mauvaise humeur ; elle n’exprimait pas sa pensée, elle l’exsudait. Il y avait du sphinx dans cette oie [trois ou quatre mots barrés dont le dernier est "oie"]. [marque d'alinéa à faire]
Elle ne haïssait point le [un mot barré, peut-être "fun" mal tracé] fun, la farce taquine et hostile. Si elle eût pu faire Apollon bossu, c’eût été sa joie. Mais elle l’eût laissé dieu. Bonne, elle avait pour idéal de ne désespérer personne, et d’ennuyer tout le monde. Elle avait souvent le mot cru, et, un peu plus, elle eût juré, comme Élisabeth. [phrase ajoutée] De temps en temps, elle prenait dans une poche d’homme qu’elle avait à sa jupe ["elle prenait..." corrige "elle tirait de sa poche"] une petite boîte ronde d’argent repoussé, sur laquelle était son portrait de profil, entre les deux lettres Q. A.(1), [ "(1) Queen Ann." la note, d'abord écrite au fil du texte, est barrée au ms et ajoutée à la copie] ouvrait cette boîte, et en tirait avec le bout de son ["avec le..." corrige "avec le"] doigt un peu de pommade dont elle se rougissait les lèvres. Alors, ayant arrangé sa bouche, elle riait. Elle était très friande des pains d’épice plats de Zélande. Elle était fière d’être grasse. ["Elle était très friande..." ces deux phrases sont ajoutées en deux temps: seule la seconde est ajoutée de la main de VH à la copie.] ["Elle disait avec un air...": addition] [Une addition écrite tout au bord de la page tournée à 90° en sens inverse des aiguilles d'une montre, reprend la phrase "Elle était fière d'être grasse." et la complète: "Quand [blanc ménagé] fit son portrait, elle voulait absolument qu'on vît moins son visage que ses seins qui tombaient. On eut beaucoup de peine à lui faire comprendre que ce n'était point là sa beauté." Cette addition figure à la copie, de la main de VH, qui la barre à grands traits.]
Puritaine plutôt qu’autre chose, elle eût pourtant volontiers donné dans les spectacles. Elle eut une velléité d’Académie de musique, copiée sur celle de France. En 1700, un français nommé Forteroche voulut construire [corrige "faire"] à Paris un « Cirque Royal » coûtant quatre cent mille livres, à quoi d’Argenson s’opposa ; ce Forteroche passa en Angleterre, et proposa à la reine ["la reine" ajouté] Anne, qui en fut un moment séduite, l’idée de bâtir ["un th" barré en correction cursive] à Londres un théâtre à machines, plus beau que celui du Roi de France, et ayant un quatrième dessous. ["Puritaine plutôt...": addition plus tardive que les précédentes; addition autographe à la copie]
Comme Louis XIV, elle aimait que son carrosse galopât. Ses attelages et ses relais faisaient quelquefois en moins de cinq quarts d’heure le trajet de Windsor à Londres. ["Comme Louis XIV....": addition ajoutée à l'addition qui précède; de même à la copie]
[La suite du texte initial, barrée à grands traits, se raccorde au folio 193:
"Anne était populaire. L’Angleterre aime les femmes régnantes [corrige "reines"]. Pourquoi ? la France les exclut. C’est déjà une raison. Peut-être même n’y en a-t-il point d’autre. Pour"]
[f° 192, X7. Ce folio est intercalé.]
Du temps d’Anne, pas de réunion sans l’autorisation de deux juges de paix. Douze personnes assemblées, fût-ce pour manger des huîtres et boire du porter, étaient en félonie. [paragraphe ajouté à l'addition qui suit; addition autographe à la copie]
Sous ce [corrige "son"; de même à la copie] règne, pourtant relativement débonnaire, la presse pour la flotte se fit avec une extrême violence ; sombre ["démenti à la vieille liberté" barré en correction cursive] preuve que l’anglais est plutôt sujet que citoyen. Depuis des siècles, le roi d’Angleterre avait là un procédé de tyran qui démentait toutes les vieilles chartes de franchise, et dont la France en particulier triomphait et s’indignait. Ce qui diminue un peu ce triomphe, c’est que, [un ou deux mots barrés en correction cursive] en regard de la presse des matelots en Angleterre, il y avait en France la presse des soldats. Dans toutes les grandes villes de France, tout homme valide allant par les rues à ses affaires était exposé a être poussé par les racoleurs dans une maison appelée four. Là on l’enfermait pêle-mêle avec d’autres, on triait ceux qui étaient propres au service, et les recruteurs vendaient ces passants aux officiers. En 1695, il y avait à Paris trente fours. ["Sous ce règne...": addition]
Les lois contre l’Irlande, ["sous le règne"
barré en correction cursive] émanées de la reine Anne, furent
atroces. [addition de second niveau; addition
autographe à la copie]
[début initial du folio] Anne était née en 1664, deux ans avant l’incendie de Londres, sur quoi les astrologues — (il y en avait encore; témoin Louis XIV qui naquit assisté d’un astrologue et emmaillotté dans un horoscope ["et emmaillotté...": addition]) — avaient prédit qu’étant « la sœur aînée du feu », elle serait reine. Elle le fut, grâce à l’astrologie, et à la révolution de 1688. [Cette phrase en addition se substitue à "Elle n'y + que +", barré peut-être en correction cursive.] Elle était humiliée de n’avoir pour parrain que Gilbert, archevêque de Cantorbery. Être filleule du pape n’était plus possible en Angleterre. Un simple primat est un parrain médiocre. Anne dut s’en contenter. C’était sa faute. Pourquoi était-elle protestante ? ["C'était sa faute....": addition] Le Danemark avait payé sa virginité, virginitas empta, comme disent les vieilles chartes, d’un douaire ["Le Danemark avait payé..." corrige, au fil de l'écriture, la première rédaction: "Sa virginité, virginitas empta, disent les vieilles chartes, avait couté au Danemark un dou"] de six mille deux cent cinquante [en sc. cursive sur "livres"] livres sterling de rente, pris sur le bailliage de Wardinbourg et sur l’île de Fehmarn. [marque d'alinéa à faire au ms et à la copie]
Anne suivait, sans conviction et par routine, les traditions de Guillaume. Les Anglais, sous cette royauté née d’une révolution, avaient tout ce qui peut tenir de liberté entre la Tour de Londres où l’on mettait l’orateur et le pilori où l’on mettait l’écrivain. ["Anne suivait...": addition] Anne parlait un peu danois, pour ses aparte avec son mari, et un peu français, pour ses aparte avec Bolyngbroke. Pur baragouin, mais c’était, à la cour surtout, [", à la cour..." ajouté] la grande mode anglaise de parler français. Il n’y avait de bon mot qu’en français. ["Anne parlait un peu...": addition de deuxième niveau] Anne [corrige "Elle"] se préoccupait des monnaies, surtout des monnaies de cuivre, qui sont les basses et les populaires ; elle voulait y faire grande figure. Six farthings furent frappés sous son règne. Au revers des trois premiers, elle fit mettre simplement un trône ; au revers du quatrième [corrige "troisième"], elle voulut un char de triomphe, et au revers du sixième [corrige "quatrième"] une déesse tenant ["l'olivier et l'é" barré en correction cursive] d’une main l’épée et de l’autre l’olivier avec l’exergue Bello et Pace. Fille de Jacques II, qui était ingénu et féroce, elle était brutale.
Et en même temps au fond ["au fond" ajouté] elle était douce. Contradiction qui n’est qu’apparente. Une colère la métamorphosait. Chauffez le sucre, il bouillonnera. [paragraphe en addition]
Anne était populaire. L’Angleterre aime les femmes régnantes. Pourquoi ? la France les exclut. C’est déjà une raison. Peut-être même n’y en a-t-il point d’autre. Pour les historiens [f° 193, Y7 en sc. sur Z7 au crayon. Ce folio prenait la suite du folio 191 avant l'intercalation du folio 192.] les historiens anglais, Élisabeth, c’est la grandeur; Anne, c’est la bonté. Comme on voudra. Soit. Mais rien de délicat dans ces règnes féminins. Les lignes sont lourdes. C’est de la grosse grandeur et de la grosse bonté. Quant à leur vertu immaculée [correction abandonnée: "réputation sans tache"], l’Angleterre y tient, ["l'Angleterre...": addition; elle est placée entre barres verticales barrées à la copie] nous ne nous y opposons point ["nous ne nous..." rétabli après correction, non lue, liée à l'addition qui précède]. ["Quant à leur vertu...": addition] [Le retrait d'alinéa de la rédaction initiale est absorbé dans l'addition qui précède] Élisabeth est une vierge tempérée par Essex, et Anne est une épouse compliquée [corrige "mélangée [en sc. sur +] "] de [en sc. sur "par"] Bolingbroke.
Une habitude idiote [corrige "imbécile"] qu’ont les peuples, c’est d’attribuer au roi ce qu’ils font. Ils se battent. A qui la gloire ? au roi. Ils paient. Qui est magnifique ["est magnifique" corrige "empoche"]? le roi. Et le peuple l’aime [en sc. sur "l'admire"] d’être si riche. Le roi reçoit des pauvres un écu et rend aux pauvres un liard. Qu’il est généreux ! ["Le roi reçoit...": addition; elle se substitue à "Qu'il est grand! il est sur mon dos." repris ci-après en addition] Le colosse piédestal contemple le pygmée fardeau. Qu'il [variante sans choix: "Que Myrmidon" préférée à la copie] est grand ! il est sur mon dos. ["Le colosse...": addition ajoutée à l'addition qui suit] Un nain a un excellent moyen d’être plus haut [corrige "grand"] qu’un géant, c’est de se jucher sur ses épaules. Mais que le géant laisse faire, c’est là le singulier; [corrige "surprenant."] ["Bêtise humaine." barré] ["Un nain a...": addition] et qu’il admire la grandeur du ["la grandeur du" corrige "le"] nain, c’est là le bête [corrige "prodigieux"]. Naïveté [corrige "Bêtise"] humaine. ["et qu'il admire...": prolongement de l'addition qui précède] [signe ajouté d'alinéa à faire]
La statue équestre, réservée aux rois seuls, figure très bien la royauté ; le cheval, c’est le peuple. Seulement ce cheval se transfigure lentement. Au commencement c’est un âne, à la fin c’est un lion. Alors il jette par terre son cavalier, ["1789, quelquefois il le dévore, 1793," barré en correction cursive] et l’on a 1642 en Angleterre et 1789 en France, ["l'on a 1642..." corrige "l'on a en Angleterre 1642 et en France 1789,"] et quelquefois il le dévore, et l’on a en Angleterre 1649 et en France 1793.
Que le lion puisse redevenir baudet [rétabli après correction en +], cela étonne, mais cela est. Cela se voyait en Angleterre. On avait repris le bât ["On avait repris..." corrige "On était retombé dans"] de l’idolâtrie royaliste [corrige "monarchique"]. La ["On avait repris...": addition] Queen Ann, nous venons de le dire, était populaire. Que faisait-elle pour cela ? rien. Rien, c’est là tout ce qu’on demande au roi d’Angleterre. Il reçoit pour ce rien-là une trentaine de millions par an. ["Rien, c'est là tout..." : correction presque immédiate de la phrase déplacée au folio suivant en rédaction initiale: "On lui savait gré de se donner la peine de vivre pendant que la nation accomplissait de grandes choses."] En 1705, l’Angleterre, qui n’avait que treize vaisseaux de guerre sous Élisabeth et trente-six sous Jacques Ier, en comptait [corrige "avait"] cent cinquante. Les anglais [deux ou trois mots barrés en correction cursive] avaient trois armées, cinq mille hommes en Catalogne, dix mille en Portugal, cinquante mille en Flandre [en sc. sur "France"] et en outre ils payaient quarante millions par an à l’Europe monarchique et diplomatique, sorte de fille publique ["monarchique et ...": addition en deux temps: d'abord ", sorte de fille publique", ensuite "monarchique et diplomatique" où "monarchique" est rétabli après avoir été rayé] que le peuple anglais a toujours entretenue. Le parlement ayant voté un emprunt patriotique de trente-quatre millions de rentes viagères, il y avait eu presse à l’échiquier pour y souscrire. L’Angleterre envoyait une escadre aux Indes orientales, et [ajouté] une escadre sur les côtes d’Espagne avec l’amiral Leake, sans compter un en-cas de quatre cents voiles sous l’amiral Showell. L’Angleterre venait de s’amalgamer l’Ecosse. On était entre Hochstet et Ramillies, et l’une de ces victoires faisait [un mot barré après avoir été mis entre barres verticales] entrevoir l’autre. L’Angleterre, dans ce coup de filet de Hochstet, avait fait prisonniers vingt-sept bataillons et quatre régiments de dragons, et ôté cent lieues de pays à la France, reculant éperdue du Danube au Rhin. ["L’Angleterre, dans ce coup...": addition] L’Angleterre étendait [la rédaction initiale du folio s'achève ici et se poursuit au folio suivant] la main vers la Sardaigne et les Baléares. Elle ramenait triomphalement dans ses ports dix vaisseaux de ligne espagnols et force galions chargés d’or. La baie et le détroit d’Hudson étaient déjà à demi lâchés par Louis XIV ; on sentait qu’il allait lâcher aussi l’Acadie, Saint-Christophe, et Terre-Neuve, et qu’il serait trop heureux si l’Angleterre [f° 194, Z7] ["le" barré en correction cursive] tolérait ["le roi de France" barré en correction cursive] au cap Breton le roi de ["le roi de" corrige "la"] France, pêchant la morue. L’Angleterre allait lui imposer ["lui imposer" corrige "imposer au roi de France"] cette honte de démolir lui-même les fortifications de Dunkerque. En attendant, ["la main vers la Sardaigne...": addition] ["la main vers la Sardaigne et les Baléares." barré: c'est la prempière ligne de la rédaction initiale du folio; elle a été reprise dans l'addition qui commence à la fin du folio précédent.] elle [VH oublie de corriger la majuscule et laisse "Elle"] avait pris Gibraltar et elle prenait [corrige "allait prendre"] Barcelone. ["Quel peuple! et" barré] Que de grandes choses accomplies ! Comment ne pas admirer la reine ["la reine" est encadré de barres verticales, biffées à la copie] Anne qui se donnait la peine de vivre pendant ce temps-là ?
A un certain point de vue, le règne d’Anne semble [" à l + +" barré, peut-être en correction cursive] une réverbération du règne de Louis XIV. Anne, un moment parallèle à ce roi dans cette rencontre qu’on appelle l’histoire ["à ce roi..." corrige "au grand(?) Louis dans l'histoire"], a avec lui une vague ressemblance de reflet. Comme lui elle joue au grand règne ; elle a ses monuments, ses arts, ses victoires, ses capitaines, ses gens de lettres, sa cassette pensionnant les renommées, sa galerie de chefs d’œuvre latérale à sa majesté. Sa cour, à elle aussi, fait cortège et a un aspect triomphal, un ordre et une marche [", un ordre...": addition]. C’est une réduction en petit de tous les grands hommes de Versailles, déjà pas très grands. Le trompe l’œil y est ; qu’on y ajoute le God save the queen, qui eût pu dès lors être ["qui eût pu dès...": ajouté] pris à Lulli, et l’ensemble fait [rétabli après correction en "fera"] illusion. Pas un personnage ne manque. ["Anne, un moment parallèle...": addition; elle est faite en deux temps, d'abord jusqu'à "et a un aspect triomphal", mais la suite est écrite dans la foulée et de la même écriture. Elle se substitue à sept lignes barrées: "C'est une réduction en petit de tous les grands hommes de Versailles ["de Versailles" ajouté], déjà pas très grands. Dans la cour d'Anne, les perruques grandissent, les fronts diminuent. [phrase barrée et déplacée en rédaction initiale] Le trompe l'oeil y est pourtant [rayé], et ces personnages de reflet font par moment ["l' " barré] illusion, ["des chefs" barré en correction cursive] et ont [+ barré] la ressemblance très suffisante ["très suffisante" ajouté] des chefs d'emploi."] Christophe Wren est un Mansard fort passable ; Somers vaut Lamoignon. Anne a un Racine qui est Dryden, un Boileau qui est Pope, un Colbert qui est Godolphin, ["un Colbert..." ajouté] un Louvois [en sc. sur "Colbert"] qui est Pembroke [en sc. sur +], et un Turenne qui est Marlborough [addition abandonnée: "un Père Tellier qui + + +"]. Grandissez les perruques pourtant, et diminuez les fronts. Le tout ["Le tout" corrige "+ l'ensemble"] est solennel et pompeux, et Windsor, à cet instant-là, aurait presque un faux air de Marly [en sc. sur "Versailles"]. Pourtant tout est féminin, et le père Tellier d’Anne s’appelle Sarah Jennings. Du reste, un commencement d’ironie, qui cinquante ans plus tard sera la philosophie, s’ébauche dans la littérature, et le Tartuffe protestant est démasqué par Swift, de même que le Tartuffe catholique a été dénoncé par Molière ["a été dénoncé..." corrige un ligne achéve par "...l'ironie de Molière"]. ["Pourtant tout est féminin...": addition de second niveau, inscrite en deux temps, le premier jusqu'à "Sarah Jennings"] Bien qu’à cette époque l’Angleterre [correction cursive de "Bien que l'Angleterre à cette époque"] querelle et batte la France, [faux départ: "ce qui est"] elle l’imite et elle s’en éclaire ; et ce qui est sur la façade de l’Angleterre, c’est de la lumière française. ["Bien qu'à cette époque...": addition de premier niveau] C’est dommage que le règne d’Anne n’ait duré que douze ans, sans quoi les anglais ne se feraient pas beaucoup prier pour dire le siècle d’Anne comme nous disons le siècle de Louis XIV. Anne apparaît en 1702, quand [corrige "au moment où"] Louis XIV décline. C’est une des curiosités de l’histoire que le lever de cet astre pâle coïncide avec le coucher de l’astre de pourpre, et qu’à l’instant où la France avait le roi Soleil, l’Angleterre ait eu la reine lune.
Détail qu’il faut noter. Louis XIV, bien qu’on ["se bat" rayé en correction cursive] fût en guerre avec lui, était fort admiré en Angleterre. [deux ou trois mots barrés en correction cursive] C’est le roi qu’il faut à la France, disaient les anglais. L’amour des anglais pour leur liberté se complique d’une certaine acceptation de la servitude d’autrui. Cette bienveillance pour les chaînes qui attachent le voisin va quelquefois jusqu’à l’enthousiasme pour le despote d’à côté. [Ce paragraphe est en addition de premier niveau.]
En somme, Anne a rendu son peuple « hureux », comme le dit à trois reprises, et avec une gracieuse insistance, pages 6 et 9 de sa Dédicace, et page 3 de sa préface, le traducteur français du livre de Beeverell. [Ce paragraphe est une addition de second niveau. A la copie, ces deux derniers paragraphes sont de la main de la copiste mais ajoutés sur une bande de papier bleu collée à la feuille principale, donc tardifs.]
La reine Anne en voulait un peu à la duchesse Josiane pour deux raisons.
Premièrement, parce qu’elle trouvait la duchesse Josiane jolie.
Deuxièmement, parce qu’elle trouvait joli le fiancé de la duchesse Josiane.
Deux raisons pour être jalouse suffisent [f° 195, A8] à une femme ; une seule suffit à une reine.
Ajoutons ceci. [VH "ajoute" effectivement ce qui suit aux lignes déjà écrites et recopiées; le procédé est fréquent.] Elle lui en voulait d’être sa sœur.
Anne n’aimait pas que les femmes fussent jolies. Elle trouvait cela contraire aux mœurs.
Quant à elle, ["Quant..." ajouté; correction à la copie de la main de la copiste] elle était laide.
Non par choix pourtant. [paragraphe ajouté]
Une partie de sa religion venait de cette laideur.
Josiane, belle et philosophe, importunait la reine [corrige "l'importunait"].
Pour une reine laide une jolie duchesse n’est pas une sœur agréable.
Il y avait un autre grief, la ["bâtardise" barré en correction cursive] naissance improper de Josiane. ["Anne n'aimait pas...": addition. Elle s'effectue en deux temps mais sans changement d'écriture: d'abord jusqu'à "importunait la reine", et le filet qui l'implante la place après "... suffit à une reine", puis le reste et le filet est modifié pour venir après "Elle lui en voulait d'être sa soeur"]
Anne était fille d’Anne Hyde, simple lady, légitimement, mais fâcheusement épousée par Jacques II, lorsqu’il était ["lorsqu’il était" corrige "alors"] duc d’York. Anne, ayant de ce sang inférieur [corrige "déclassé"] dans les veines, ne se sentait qu’à demi royale, et Josiane, venue au monde tout à fait irrégulièrement, soulignait l’incorrection moindre, mais réelle, de la naissance de la reine. [addition abandonnée: "C'était gênant."] La fille de la mésalliance voyait sans plaisir, pas très loin d’elle, la fille de la bâtardise. Il y avait là une ressemblance désobligeante [corrige "désagréable"]. Josiane avait le droit de dire à Anne : ma mère vaut bien la vôtre. A la cour on ne le disait pas, mais évidemment on le pensait. C’était ennuyeux pour la majesté royale. Pourquoi cette Josiane ? Quelle idée avait-elle eue ["Quelle idée..." corrige autant de mots barrés] de naître ? A quoi bon une Josiane ? [phrase ajoutée] De certaines parentés sont diminuantes. [marque d'alinéa à faire à la copie] Pourtant Anne faisait bon visage à Josiane. [marque d'alinéa à faire à la copie] Peut-être l’eût-elle aimée, si elle n’eût été sa sœur.
[grand blanc au bas de la page]
[f° 196, B8. Aspect de mise au net.]
Il est utile de connaître les actions des personnes, et quelque
surveillance est sage [", et quelque..."
ajouté]. [paragraphe ajouté]
Josiane faisait un peu espionner lord David par un homme à elle, en qui elle avait confiance, et qui se nommait Barkilphedro.
Lord David faisait discrètement observer Josiane par un homme à lui, dont il était sûr, et qui se nommait Barkilphedro.
La reine Anne, de son côté, se faisait secrètement tenir au courant ["secrètement ..." corrige "rendre un certain compte"] des faits et gestes de la duchesse Josiane, sa sœur bâtarde, et de lord David, son futur beau-frère de la main gauche, par un homme à elle, sur qui elle comptait pleinement, et qui se nommait Barkilphedro.
Ce Barkilphedro avait sous la main ce clavier : Josiane, lord David, la reine. Un homme entre deux femmes. Que de modulations possibles ! [phrase ajoutée] Quel amalgame d’âmes ! [phrase ajoutée après la précédente]
Barkilphedro n’avait pas toujours eu cette situation magnifique de parler bas à trois oreilles.
[faux départ de deux mots] C’était un
ancien domestique du duc d’York. Il avait tâché d’être homme d’église,
mais avait échoué. Le duc d’York, prince anglais et romain, composé de
papisme royal et d’anglicanisme [en sc.
cursive sur "de puritanisme"] légal, avait sa maison catholique
et sa maison protestante, et eût pu pousser Barkilphedro dans l’une ou
l’autre hiérarchie [corrige "religion"],
mais il ne le jugea [en sc. sur "trouva"]
point assez catholique pour le faire aumônier et assez protestant pour
le faire chapelain. [faux départ: "D'ail"]
De sorte que Barkilphedro se trouva entre deux religions l’âme par
terre. [marque d'alinéa à faire]
Ce n’est point une posture [variante sans choix: "condition" barrée à la copie; correction barrée: "situation"] mauvaise pour de certaines ["de certaines": rétabli après correction en "les"] âmes reptiles. [marque d'alinéa à faire ajoutée à la copie]
De certains chemins ["qui mènent loin" placé entre barres verticales puis barré] ne sont faisables qu’à plat ventre. [ces deux paragraphes sont ajoutés]
[f° 197, C8. Blanc au haut de la page, reproduit à la copie]
Une domesticité obscure, mais nourrissante, fut longtemps toute l’existence de Barkilphedro. La domesticité, c’est quelque chose, mais il voulait de plus la puissance [corrige "l'influence"]. Il allait peut-être y arriver quand Jacques II tomba. Tout était à recommencer. Rien à faire sous Guillaume III, maussade, et ayant dans sa façon de régner ["dans sa façon..." corrige "en affaires"] une pruderie qu’il croyait de la probité. Barkilphedro, son protecteur Jacques [ajouté] détrôné, ne fut pas tout de suite en guenilles. Un je ne sais quoi qui survit aux princes déchus alimente [corrige "nourrit"] et soutient quelque temps leurs parasites [corrige "domestiques"]. Le [en sc. sur "Un"] reste de sève épuisable fait vivre deux ou trois jours ["deux ou..." corrige "quelque temps"] au bout des branches les feuilles de l’arbre déraciné ; puis tout à coup [corrige "un beau jour"] la feuille jaunit et ["jaunit et" ajouté] sèche, et le courtisan aussi. ["Le roi là-bas est fantôme, le courtisan ici est spectre." barré et remplacé par l'addition qui suit]
Grâce à cet embaumement qu’on nomme légitimité, le prince, lui, quoique tombé et jeté au loin, persiste et se conserve ; il n’en ["en" ajouté à la copie] est pas de même du courtisan, bien plus mort que le roi. Le roi là-bas est momie, le courtisan ici est ["cadavre" barré en correction cursive] fantôme. ["Grâce à cet embaumement...": addition] Être l’ombre d’une ombre, c’est là une maigreur extrême. [Pour les quatre lignes qui suivent le texte est écrit en surcharge sur un texte préparatoire au crayon. La première phrase est tracée sur les mêmes lettres au crayon.] Donc Barkilphedro devint famélique. Alors il prit la qualité d’homme de lettres. [marque d'alinéa à faire]
Mais on le repoussait même aux [variante sans choix: "des"; préférée à la copie] cuisines. Quelquefois il ne savait où coucher. Qui me tirera de la belle étoile, disait-il? Et il luttait. Tout ce que la patience dans la détresse a d’intéressant, il l’avait. Il avait de plus le talent du termite, savoir [ajouté] faire une trouée de bas en haut. En s’aidant du nom de Jacques II, des souvenirs, de la fidélité, ["de la fidélité," ajouté] de l’attendrissement, etc., il perça jusqu’à la duchesse Josiane. [marque d'alinéa à faire]
Josiane prit en gré cet homme qui avait ["de l'esprit et" barré en correction cursive] de la misère et de l’esprit, deux choses qui émeuvent. Elle le présenta à lord Dirry-Moir, lui donna gîte dans ses communs, le tint pour de sa maison, fut bonne pour lui, et quelquefois même lui parla. ["Elle le tutoyait"(?) barré en correction cursive] Barkilphedro n’eut plus ni faim, ni froid. Josiane [corrige "Elle"] le tutoyait. C’était la mode des grandes dames de tutoyer les gens de lettres, qui se laissaient faire. [corrige virgule] [deux ou trois mots barrés en correction cursive] La marquise [corrige "Madame"; de même à la copie] de Mailly recevait, couchée, Roy qu’elle n’avait jamais vu, et lui disait : C’est toi qui as fait [en sc. sur "écrit" probablement] l’Année galante ? ["Qu'est-ce que tu me + + " barré] Bonjour. [ajouté] Plus tard, les gens de lettres rendirent le tutoiement. Un jour vint où Fabre d’Églantine fit cette question [variante sans choix: "dit", préférée à la copie, qui rétablit la rédaction initiale après correction en "demanda"] à la duchesse de Rohan : — N’es-tu pas la Chabot ?
[alinéa au texte autographe de la copie] Pour Barkilphedro, être tutoyé, c’était un succès. Il en fut ravi. [oublié et ajouté] Il avait ambitionné cette familiarité de haut en bas. [alinéa en première version et à la copie] — Lady Josiane me tutoie, se disait-il! et il se frottait les mains. [Ce pagraphe réécrit, en marge, le texte initial: "Pour Barkilphedro être tutoyé, c'était un succès. Il en fut ravi. [signe d'alinéa à faire] — Lady Josiane ["— Lady..." en sc sur +"] me tutoie! se disait-il, et il se frottait les mains." ["Il en fut ravi...": addition] La copiste reproduit ce texte; VH le raye et écrit en marge ce qui est en marge au ms. avec un alinéa à "Pour Barkilphedro" mais non à "— Lady Josiane" et "Il en fut ravi." oublié et ajouté.]
[f° 198, D8]
[copie: alinea] Il profita de ce tutoiement pour [corrige "Il en profita pour" qui corrige "Il en fut ravi. Il" abandonné en correction cursive et repris dans l'addition du folio précédent] gagner du terrain. Il devint une sorte de familier ["inaperçu(?)" barré en correction cursive] des petits appartements de Josiane, point gênant [en sc. sur "compté"; même correction par la copiste], inaperçu ; ["point gênant...": addition] la duchesse [corrige "Josiane"(?)] eût presque changé de chemise devant lui. Tout cela pourtant était précaire. Barkilphedro visait à une situation. ["Percer (?) jusqu'à" barré] Une duchesse, c’est à moitié chemin. Une galerie souterraine [corrige "percée"] [un mot barré sans doute en correction cursive] qui n’arrivait pas jusqu’à la reine, c’était de l’ouvrage manqué.
Un jour Barkilphedro dit à Josiane :
— Votre Grâce voudrait-elle faire mon bonheur ?
— Qu’est-ce que tu veux ? demanda Josiane.
— Un emploi.
— Un emploi ! à toi !
— Oui, madame.
— Quelle idée as-tu de demander un emploi ? Tu n’es bon à rien.
— C’est pour cela.
Josiane se mit à rire.
— Dans les fonctions auxquelles tu n’es pas propre, laquelle désires-tu ?
— Celle de déboucheur de bouteilles de l’océan [corrige "l'amirauté"].
Le rire de Josiane redoubla.
— Qu’est-ce que cela ? Tu te moques. ["Tu te moques." corrige "est-ce que cela existe?"]
— Non [en sc. sur "Oui"], madame.
["— Est-ce qu'il y a un emploi comme cela?
— Oui, madame." : addition consécutive à la modification des deux répliques précédentes puis barrée et remplacée par l'ensemble d'additions qui suit.]
— Je vais m’amuser à te répondre sérieusement, dit la duchesse. Qu’est-ce que tu veux être ? Répète.
— Déboucheur de bouteilles de l’océan.
— Tout est possible à la cour. [phrase ajoutée] Est-ce qu’il y a un emploi comme cela ?
— Oui, madame. [réplique oubliée et ajoutée]
— Apprends-moi des choses nouvelles. Continue.
— C’est un emploi qui est. ["Je vais m'amuser...": première phase de l'addition correctrice de l'addition initiale]
— Jure-le moi par l’âme que tu n’as pas.
— Je le jure.
— Je ne te crois point [corrige "Je te crois"].
— Merci, madame.
— Donc tu voudrais ?… recommence. ["... recommence.": ajouté]
— Décacheter les bouteilles de la mer. ["— Jure-le moi...": extension de l'addition qui précède]
— Voilà une fonction qui ne doit pas donner grande fatigue. C’est comme peigner le cheval de bronze.
— A peu près.
— Ne rien faire. C’est en effet la place qu’il te faut. Tu es bon à cela.
— Vous voyez que je suis propre à quelque chose.
— Ah çà , tu bouffonnes. ["Parlons sérieusement." barré] La place existe-t-elle ?
Barkilphedro prit l’attitude de la gravité déférente.
— Madame, vous avez un père auguste, Jacques II, roi, et un beau-frère illustre, Georges de Danemark, duc de Cumberland. Votre père a été, et votre beau-frère est lord-amiral d’Angleterre.
— Sont-ce là les nouveautés [corrige "choses nouvelles"] que tu viens [f° 199, E8. Mise au net.] m’apprendre ? Je sais cela aussi bien que toi.
— Mais voici ce que Votre Grâce ne sait pas ["Votre Grâce..." corrige "vous ne savez pas"]. Il y a dans la mer trois sortes de choses : celles qui sont au fond de l’eau, Lagon ; celles qui flottent sur l’eau, Flotson ; et celles que l’eau rejette sur la terre, Jetson.
— Après ?
— Ces trois choses-là, Lagon, Flotson, Jetson, appartiennent au lord haut-amiral.
— Après [en sc. sur "Eh bien"] ?
— Votre Grâce comprend ?
— Non.
— Tout ce qui est dans la mer, ce qui s’engloutit, ce qui surnage, et ce qui s’échoue, tout, appartient à l’amiral d’Angleterre.
— Tout. Soit. ["Après?" en sc. sur +, barré, peut-être en correction cursive] Ensuite ?
— Excepté l’esturgeon, qui appartient au roi.
— J’aurais cru, dit Josiane, que tout cela appartenait à Neptune.
— Neptune est un imbécile. Il a tout lâché. Il a laissé tout prendre aux anglais.
— Conclus.
— Les prises de mer ; c’est le nom qu’on donne à ces trouvailles-là.
— Soit.
— C’est inépuisable. Il y a toujours quelque chose qui naufrage, quelque chose qui flotte, quelque chose qui aborde. C’est la contribution [corrige "le travail"] de la mer. La mer paie impôt à l’Angleterre. [phrase ajoutée]
— Je veux bien. Mais conclus. ["J'aurais cru...": addition. Elle se substitue à
"— Ensuite?
— Cela s'appelle les prises de mer.
— Est-ce tout? Je veux bien. Conclus."]
— Votre Grâce comprend que de cette façon l’Océan [corrige "la mer"] crée un bureau.
— Où ça ?
— A l’amirauté.
— Quel bureau ?
— Le bureau des prises de mer.
— Eh bien ?
— Le bureau se subdivise en trois offices, Lagon, Flotson, Jetson ; et pour chaque office il y a un officier.
— Et puis ?
— Un navire en pleine mer veut donner un avis quelconque à la terre, qu’il navigue en telle latitude, qu’il rencontre un monstre marin, qu’il est en vue d’une côte, qu’il est en détresse, qu’il va sombrer, qu’il est perdu, ["qu'il va sombrer..." addition en deux temps: d'abord réduite à "qu'il va sombrer,"] et cætera, le patron [en sc. sur "capitaine"] prend une bouteille, met dedans un morceau de papier où il a écrit la chose, cachète le goulot, et jette la bouteille à la mer. Si la bouteille va au [f° 200, F8. Mise au net.] fond, cela regarde l’officier ["cela regarde..." corrige "elle appartient au bureau"] Lagon , si elle flotte, cela regarde l’officier ["cela regarde..." corrige "elle appartient au bureau"] Flotson, si elle est portée à terre par les vagues, cela regarde l’officier ["cela regarde..." corrige "elle appartient au bureau"] Jetson.
— Et tu voudrais être l’officier Jetson ?
— Précisément.
— Et c’est ce que tu appelles être déboucheur de bouteilles de l’Océan ?
— Puisque la place existe.
— Pourquoi désires-tu cette dernière place plutôt que les deux autres ?
— Parce qu’elle est vacante en ce moment. [Ces deux répliques corrigent:
"— Est-elle vacante en ce moment?
— Oui."]
— En quoi consiste l’emploi ?
— Madame, en 1598, une bouteille goudronnée trouvée par un pêcheur de congre ["un pêcheur..." corrige "les +"] dans les sables d’échouage d’Epidium Promontorium fut portée à la reine Élisabeth, et un parchemin qu’on tira de cette bouteille fit savoir à l’Angleterre que la Hollande avait pris ["deux ans auparavaant": addition abandonnée] sans rien dire ["sans rien dire" ajouté] un pays inconnu, la nouvelle Zemble, Nova Zemla, ["Nova Zemla," ajouté en correction de +] que cette prise avait eu lieu en juin [ajouté] 1596, que dans ce pays-là on était mangé par les ours, et que la manière d’y passer l’hiver était indiquée sur un papier enfermé dans un étui de mousquet suspendu dans la cheminée de la maison de bois ["de bois" ajouté] ["laissée" barré en correction cursive] bâtie dans l’île ["dans l’île" ajouté] et laissée par les hollandais qui étaient tous morts, et que cette cheminée était faite d’un tonneau défoncé, emboîté dans le toit [", et que cette cheminée...": addition].
— Je comprends peu ton amphigouri.
— Soit. Élisabeth comprit. Un pays de plus pour la Hollande, c’était un pays de moins pour l’Angleterre. La bouteille qui avait donné l’avis fut tenue pour chose importante. Et à partir de ce jour ordre fut intimé [corrige "donné"] à quiconque trouverait une bouteille cachetée au bord de la mer de la porter à l’amiral d’Angleterre sous peine de potence. L’amiral commet pour ouvrir ces bouteilles-là un officier, lequel informe du contenu sa majesté, s’il y a lieu ["lequel informe..." corrige "qui en rend compte à sa majesté"].
— Arrive-t-il souvent de ces bouteilles à l’amirauté ?
— Rarement. Mais c’est égal. La place existe. Il y a pour la fonction chambre et logis à l’amirauté. [phrase sans doute ajoutée]
[f° 201, G8. Mise au net.]
— Et cette manière de ne rien faire combien la paie-t-on ?
— Cent guinées par an.
— Tu me déranges pour cela ?
— C’est de quoi vivre.
— Gueusement.
— Comme il sied à ceux de ma sorte.
— Cent guinées, c’est une fumée.
— Ce qui vous fait vivre une minute nous fait vivre un an, nous autres. C’est l’avantage qu’ont les pauvres.
[faux départ: "Huit"] — Tu auras la place.
Huit jours après, grâce à la bonne volonté de Josiane, grâce au crédit de lord David Dirry-Moir, Barkilphedro, sauvé désormais, tiré du provisoire, ["sauvé désormais...": ajouté] posant maintenant [en sc. sur + (peut-être "désormais")] le pied sur un terrain solide, logé, défrayé, renté de cent guinées, ["renté...": ajouté] était [en sc. sur "et"] installé à l’amirauté [,renté de cent guinées, était «déboucheur des bouteilles de la mer.» Il était sauvé." rayé].
[Grand blanc au bas de la feuille.]
[f° 202 blanc; f° 203 , H8. Mise au net.]
Il y a d’abord une chose pressée ; c’est d’être ingrat.
Barkilphedro n’y manqua point.
Ayant reçu tant de bienfaits de Josiane, naturellement il n’eut plus qu’une pensée, s’en venger.
Ajoutons que Josiane était belle, grande, jeune, riche, puissante, illustre, et que Barkilphedro était laid, petit, vieux, pauvre, protégé, obscur. Il fallait bien aussi qu’il se vengeât de cela. ["Ayant reçu..." : addition]
Quand on n’est fait que de nuit, comment pardonner tant de rayons ? [phrase ajoutée à l'addition qui précède]
Barkilphedro était un irlandais qui avait renié l’Irlande ; mauvaise espèce.
Barkilphedro n’avait qu’une chose en sa faveur ; c’est qu’il avait un très gros ventre.
Un gros ventre passe pour signe de bonté. Mais ce ventre s’ajoutait à l’hypocrisie de Barkilphedro. Car cet homme ["cet homme" corrige "il"] était très méchant.
Quel âge avait Barkilphedro ? aucun. L’âge nécessaire à son projet du moment. Il était vieux par les rides et les cheveux gris, et jeune par l’agilité d’esprit. ["Il était vieux..." remplace "Etait-il jeune? Oui, par la puissance perçante du regard. Etait-il vieux? oui, par les rides."] Il était leste et lourd ; sorte [en sc. sur "espèce"] d’hippopotame [corrige "éléphant"] singe. Royaliste, certes ; républicain, qui sait ? catholique, peut-être ; protestant, sans doute. Pour Stuart, probablement ; pour Brunswick, évidemment. Être Pour n’est une force qu’à la condition d’être en même temps ["en même temps" ajouté] Contre ["en même temps" barré]. Barkilphedro pratiquait cette sagesse.
[Les deux premières lignes sont tracées sur un texte de préparation au crayon; leur superposition est exacte pour les premiers mots.] La place de [«] [guillemets oubliés] déboucheur de bouteilles de l’Océan » n’était pas aussi risible qu’avait semblé le dire ["qu'avait semblé le dire" écrit une seconde fois et barré, signe peut-être que Hugo met au net un texte déjà rédigé. L'absence de faux départs va dans le même sens.] Barkilphedro. Les réclamations, qu’aujourd’hui on qualifierait déclamations, de Garcie-Ferrande dans son Routier de la mer contre la spoliation des échouages [corrige "naufrages", correction postérieure à la suivante] , dite [en sc. sur "qualifiée"] droit de bris, [", dite ...": addition] et contre le pillage des épaves par les gens des côtes, avaient fait sensation en Angleterre et avaient amené pour les naufragés ce progrès que leurs biens, effets et propriétés, au lieu d’être volés par les paysans, étaient confisqués par le lord [en sc. sur "haut"; à la copie, même correction par la copiste]-amiral. ["Les réclamations...": addition de second niveau ajoutée à la suivante]
Tous les débris de mer jetés à la rive ["jetés..." corrige "échoués à la côte"] anglaise, marchandises, carcasses de navires, ballots, caisses, etc., [", marchandises...": ajouté] appartenaient au lord-amiral ; mais, et ici se révélait l’importance de la place sollicitée par Barkilphedro, [", et ici se...": addition] les récipients flottants contenant des messages et des informations, éveillaient particulièrement l’attention de l’amirauté. ["Tous les débris...": addition de premier niveau] Les naufrages sont une des graves [corrige "grandes"] préoccupations de l’Angleterre. La navigation étant sa vie, le naufrage est son souci. L’Angleterre a la perpétuelle inquiétude de la mer. [phrase ajoutée] La petite fiole de verre [corrige "La bouteille"] que jette aux vagues [corrige "à la mer"] un navire [rétabli après avoir été plusieurs fois corrigé, dont une en "barque"] en perdition contient un renseignement ["multiple et": addition abandonnée] suprême, précieux à tous les points de vue. Renseignement sur le bâtiment, renseignement sur l’équipage, renseignement sur le lieu, l’époque et le mode du naufrage, renseignement sur les vents qui ont brisé le vaisseau, renseignement sur les courants qui ont porté la fiole flottante [corrige "bouteille"] à la côte. La fonction que [f° 204, I8] Barkilphedro occupait a été supprimée il y a plus d’un siècle, mais elle avait une véritable utilité [corrige "importance"]. Le dernier titulaire fut William Hussey, de Doddington en Lincoln [", d'une famille de baronnets" barré]. [phrase ajoutée] L’homme qui tenait cet office [corrige "ce bureau"] était une sorte de rapporteur des choses de la mer. Tous les vases [corrige "récipients"; de même à la copie] fermés et cachetés, bouteilles, fioles, jarres, etc., jetés ["Tous les vases..." corrige "Toutes les bouteilles jetées"] au littoral anglais par le flux, lui étaient remis [correction du féminin pluriel] ; il avait seul droit de les ouvrir ; il était le premier dans le secret de leur contenu ; ["il avait sur ces capricieux arrivages ["capricieux arrivages" corrige + +] un pouvoir discrétionnaire" barré; de même à la copie] ["Tous les vases...": addition correctrice à l'addition qui suit] ["jetées au littoral anglais par le flux lui étaient remises", barré: élément initial de l'addition de premier niveau qui suit, remplacé par celle qui précède] il les classait et les étiquetait dans son greffe ; l’expression loger ["au greffe" barré en correction cursive] un papier au greffe, encore usitée dans les îles de la Manche, vient de là. ["il les classait...": addition de premier niveau] A la vérité, une précaution avait été prise. Aucun de ces récipients ne pouvait être décacheté et débouché qu’en présence de deux jurés de l’amirauté assermentés au secret, lesquels signaient, conjointement avec le titulaire de l’office Jeston, le procès-verbal d’ouverture. Mais ces jurés étant tenus au silence [en sc. sur "secret"], il en résultait, pour Barkilphedro, une certaine latitude discrétionnaire ; ["A la vérité...": addition de troisième niveau: elle est écrite tout au bord de la feuille tenue à l'horizontale, seule place encore disponible; à la copie, addition de la main de la copiste] il dépendait de lui, jusqu’à un certain point, ["jusqu'à un...": ajouté] de supprimer un fait, ou de le mettre en lumière. [marque d'alinéa à faire]
Ces fragiles épaves ["fragiles épaves" corrige "épaves flottantes"] étaient loin d’être, comme Barkilphedro l’avait dit à Josiane, rares et insignifiantes. ["Parfois ces missives à la mer, où + la dernière pensée des naufragés, abondaient." barré et repris plus loin] Tantôt elles atteignaient la terre assez vite ; tantôt après des années. Cela dépendait des vents et des courants. Cette mode des bouteilles jetées à vau l’eau [corrige "à la mer"] a un peu passé comme celle des ex-voto, mais dans ces temps religieux, ceux qui allaient mourir envoyaient volontiers de cette façon leur dernière pensée à Dieu et aux hommes, et parfois ces missives de la mer abondaient à l’amirauté. Un parchemin [corrige, très vite au vu des accords, "une note"] conservé [corrige le féminin] au château d’Audlyene (vieille orthographe), et annoté par le comte de Suffolk grand trésorier d’Angleterre sous Jacques Ier, constate qu’en la seule année 1615 cinquante deux ["deux" ajouté] gourdes, ampoules, [", ampoules," ajouté] et fioles [en sc. sur +; la surcharge provoque la lecture erronée de la copiste: "fibules"] goudronnées, contenant des mentions de bâtiments [en sc. sur "navires"] en perdition, furent apportées et enregistrées au greffe du lord-amiral. ["Tous les vases...": addition de premier niveau]
Les emplois de cour sont la goutte d’huile ; ils vont toujours s’élargissant. C’est ainsi que le portier est devenu [en sc. cursive sur "devient"] le chancelier et que le palefrenier est devenu le connétable. L’officier spécial chargé de la fonction souhaitée et obtenue par Barkilphedro était habituellement [ajouté] un homme de confiance. ["Les emplois..." prolongation de l'addition de premier niveau qui précède. Tout le texte qui court depuis "Tous les vases fermés et cacheté..." est un ensemble d'additions successives, qui se substitue à un texte très abondamment corrigé dont nous n'avons pas réussi à reconstituer la composition. La rédaction initiale est beaucoup plus brève: 7 lignes au lieu d'une quarantaine; on y lit: "Toutes les bouteilles jetées à la mer...classées et étiquettées par lui-même dans un greffe ..... mais ne regardaient + que Barkilphedro. + + "le déboucheur des bouteilles + + +. L'officier spécial chargé de cette affaire était un homme de confiance."] Élisabeth l’avait voulu ainsi. A la cour, qui dit confiance dit intrigue, et qui dit intrigue dit croissance. Ce fonctionnaire [corrige en correction cursive "Cet officier"] avait fini par être un peu un personnage. Il était clerc, et prenait rang immédiatement après les deux ["L'officier spécial..." reprend et corrige en interlignes la rédaction initiale: "L’officier spécial chargé de cet office était un homme de confiance. Élisabeth l’avait voulu ainsi. Il était clerc et prenait rang immédiatement après les"] grooms de l’aumônerie. Il avait ses entrées au palais [corrige "à la cour"], pourtant, disons-le, ce qu’on appelait « l’entrée humble », humilis introïtus, ["pourtant, disons-le...": addition] et jusque dans la chambre de lit. Car l’usage était qu’il informât la personne royale, quand l’occasion en valait la peine, de ["Car l'usage..." corrige "Car l'usage était qu'il communiquât au roi"] ses trouvailles, souvent très curieuses, testaments de désespérés, adieux jetés à la patrie, révélations de barateries et de crimes de mer, legs à la couronne, etc., qu’il maintînt ["testaments désespérés..." corrige " et qu'il rendît compte de tout, testaments désespérés, dernières pensées jetées dans l'infini [corrigé "à la patrie"], documents, ["informations,"(?) barré] etc. et que, maintenant"] son greffe en communication avec la cour, et qu’il ["la cour, et qu'il" remplace "le palais, il"] rendît de temps en temps compte à sa majesté de ce décachetage de bouteilles sinistres. C’était le cabinet noir de l’océan.
Élisabeth, qui parlait volontiers latin, demandait à Tamfeld de Coley en Berkshire, l’officier Jetson de son temps, lorsqu’il lui apportait quelqu’une de ces paperasses sorties de la mer : Quid mihi scribit Neptunus ? Qu’est-ce que Neptune m’écrit ? [paragraphe en addition]
La percée était faite. Le termite avait réussi. Barkilphedro approchait la reine.
C’était tout ce qu’il voulait.
Pour faire sa fortune ?
Non.
Pour défaire celle des autres.
Bonheur plus grand.
Nuire, c’est jouir.
Avoir en soi un désir de nuire, vague mais implacable, et ne le jamais perdre de vue, ceci n’est pas donné à tout le monde. Barkilphedro avait cette fixité.
L’adhérence de gueule ["+ la morsure" mis entre barres verticales puis barré] qu’a le bouledogue, sa pensée l’avait.
Se sentir inexorable lui donnait un fond de satisfaction sombre. Pourvu qu’il eût une proie sous la dent, ou dans l’âme une certitude de mal faire ["une certitude..." corrige "un espoir de proie"], rien ne lui manquait.
Il grelottait content, dans l’espoir du froid d’autrui. ["Avoir en soi...": addition]
Être méchant, c’est une opulence [corrige "un luxe" qui corrige "une volupté"]. Tel homme qu’on croit pauvre et qui l’est en effet, a toute sa richesse en malice, et la préfère ainsi. Tout est dans le contentement qu’on a. Faire un mauvais tour, qui est la même chose qu’un bon tour, c’est plus que de l’argent. [f° 205, J8] Mauvais pour qui l’endure, bon pour qui le fait. Katesby, le collaborateur de Guy Fawkes dans le complot papiste [en sc. sur "jésuite"] des poudres, disait : Voir sauter le parlement les quatre fers en l’air, je ne donnerais pas cela pour un million sterling.
Qu’était-ce que Barkilphedro ? Ce qu’il y a de plus petit et ce qu’il y a de plus terrible. Un envieux.
L’envie est une chose dont on a toujours le placement à la cour.
La cour abonde en impertinents, en désœuvrés, en riches fainéants affamés de commérages, en chercheurs d’aiguilles dans les bottes de foin, en faiseurs de misères, ["en faiseurs..." ajouté] en moqueurs moqués ["en moqueurs moqués" corrige "en moqueurs, en moqués"], en niais spirituels, qui ont besoin ["cà et là" barré] de la conversation d’un envieux.
Quelle chose rafraîchissante que le mal qu’on vous [ajouté] dit des autres ! ["La cour abonde..." addition en deux temps: d'abord le premier paragraphe, puis le second. Dans le premier temps, elle est implantée avant le paragraphe "L'envie est une chose..."; dans le second, après.]
L’envie est une bonne étoffe à faire un espion. Il y a une profonde analogie entre cette passion naturelle, l’envie, et cette fonction sociale, l’espionnage. L’espion chasse pour le compte d’autrui, comme le chien [en sc. sur + (sans doute, par inadvertance, "chat")] ; l’envieux chasse pour son propre compte, comme le chat.
Un moi féroce, c’est là tout l’envieux.
Autres qualités: Barkilphedro était discret, secret, concret. Il gardait tout, et se creusait de sa haine. Une énorme bassesse implique une énorme vanité. Il était aimé de ceux qu’il amusait, et haï des autres ; mais il se sentait dédaigné par ceux qui le haïssaient, et méprisé par ceux qui l’aimaient. ["Il souffrait" corrigé +, le tout barré] Il se contenait. Tous ses froissements bouillonnaient sans bruit dans sa résignation hostile [en sc. sur "indignée"]. Il était indigné, comme si les coquins avaient ce droit-là. Il était silencieusement en proie aux furies. Tout avaler, c’était son talent. Il avait de sourds courroux intérieurs, des frénésies de rage souterraine, ["Il était aimé de ceux qu'il..." résulte d'un système complexe d'additions correctices imbriquées, avec ajouts dans les interlignes et déplacement d'un membre de phrase. Le texte initial est: "Tous ses frémissements bouillonnaient sans bruit dans son silence. Il avait de sourdes furies intérieures, ". Une première addition correctrice de "dans son silence. Il avait de sourdes furies intérieures." aboutit à "Tous ses frémissements bouillonnaient sans bruit dans sa résignation indignée. Il était silencieusement en proie aux furies. Il avait de sourds courroux intérieurs, des frénésies de rage souterraine,". L'ordre des deux dernières phases n'est pas assignable. L'une corrige et complète, en interligne, la fin du texte qui devient: "Tous ses frémissements bouillonnaient sans bruit dans sa résignation indignée/hostile. Il était indigné comme si les coquins avaient ce droit-là. Il était silencieusement en proie aux furies. Tout avaler, c'était son talent. Il avait de sourds courroux intérieurs, des frénésies de rage souterraine,". L'autre agit sur le commencement du texte en ajoutant "Il était aimé...il se contenait."] des flammes couvées et noires, dont on ne s’apercevait pas ; c’était un colérique fumivore. La surface souriait. Il était obligeant, empressé, facile, aimable, complaisant. [phrase ajoutée] N’importe qui et n’importe où, il saluait. Pour un souffle de vent, il s’inclinait jusqu’à terre. [phrase ajoutée] Avoir un roseau dans la colonne vertébrale, quelle source de fortune !
["En peu de temps, Barkilphedro prit pied à la cour." barré. La reprise de cette formule au folio suivant indique que ce dernier est intercalé. Mais la présence du même syntagme au folio 207 où figure un trait d'interruption suggère que la rédaction définitive de tout ou partie des chapitre VI et VII s'est substituée à une rédaction antérieure dont il ne reste rien.]
Ces êtres cachés et vénéneux [corrige "terribles"] ne sont pas si rares qu’on le croit. Nous vivons entourés de glissements sinistres. Pourquoi les malfaisants ? Question poignante. Le rêveur [corrige "philosophe"] se la pose sans cesse et le penseur ne la résout jamais. De là l’œil triste des philosophes toujours fixé sur cette montagne de ténèbres qui est la destinée, et du haut de laquelle le colossal spectre du mal laisse tomber des poignées de serpents sur la terre.
["En peu de temps Barkilphedro prit pied à la
cour." barré] [Ces deux paragraphes, d'une écriture différente du
reste, sont ajoutés.]
[f° 206, K8. Ce folio est intercalé. Confirmation s'en trouve à la copie, écrite sur le même papier gris qui porte les textes ajoutés après la première campagne de copie et trop longs pour être portés en marge.]
Barkilphedro avait le corps obèse et le visage maigre. Torse gras et face osseuse. Il avait ["les cheveux gros," barré pour déplacement] les ongles cannelés et courts, les doigts noueux, les pouces plats, les cheveux gros, ["les cheveux...": addition] beaucoup de distance d’une tempe à l’autre, ["beaucoup...": addition; de même à la copie] et un front de meurtrier, large et bas. L’œil bridé cachait la petitesse de son regard sous une broussaille de sourcils. Le nez long, pointu, bossu [corrige +] et mou, s’appliquait presque sur la bouche [corrige "lèvre supérieure"]. Barkilphedro, convenablement vêtu en empereur, eût un peu ressemblé à Domitien. [phrase ajoutée] [faux départ: "De profil"] Sa face d’un jaune rance était comme modelée dans une pâte visqueuse ; ses joues immobiles semblaient de mastic ; il avait toutes sortes de vilaines rides réfractaires, l’angle de la mâchoire ["était" barré] massif, le menton lourd, l’oreille canaille ["le menton...": addition; elle est d'abord placée avant "l'angle de la mâchoire.."] . Au repos, de profil, sa lèvre supérieure relevée en angle aigu laissait voir deux dents. Ces dents avaient l’air de vous regarder. Les dents regardent, de même que l’œil [ "parle et" barré; de même à la copie] mord.
["En peu de temps Barkilphedro prit pied à la cour." barré; de même à la copie]
Patience, tempérance, continence, ["sobriété, " barré] réserve, retenue, aménité, déférence, ["réserve...": ajouté; "aménité" remplace "chasteté"] douceur, politesse, sobriété, chasteté, complétaient et achevaient ["et achevaient" ajouté; de même à la copie] Barkilphedro. Il calomniait ces vertus en les ayant.
En peu de temps Barkilphedro prit pied à la cour. [Ces deux paragraphes sont ajoutés; de même à la copie.]
[grand blanc au bas de la page]
[f° 207, L8. Mise au net. Papier d'une couleur légèrement différente des folios précédents. Trait d'interruption. Blanc au haut de la page. Le premier paragraphe est encadré et barré à grands traits. Le fait qu'il contienne la formule "prendre pied à la cour", déjà rencontrée aux folios précédents, mais que celui-ci, seul d'entre tous ceux consacrés au personnage, porte un trait d'interruption, suggère qu'il achevait la rédaction primitive, perdue, du portrait de Barkliphedo et du récit de son ascension -matière des chapitres VI et VII.]
["Parallèlement à lord David Dirry-Moir, et presque en même temps, mais dans d'autres conditions et avec un autre résultat, au bout de quelque temps ["au bout..." corrige +] Barkilphedro avait pris pied à la cour." Ce paragraphe est encadré et barré. Le texte de la copie commence au paragraphe suivant. Il est porté sur une bande du papier blanc habituel mais coupée et collée à la bande de papier gris déjà décrite. A la limite supérieure on voit le bas des lettres coupées, trace de l'inscription de la dernière ligne du paragraphe ci-dessus. Il est très probable que tout le texte primitif qui nous manque avait été copié avant d'être réécrit et complété.]
On peut, à la cour, prendre pied de deux façons : dans les nuées, on est auguste ; dans la boue, on est puissant.
Dans le premier cas, on est de l’Olympe. Dans le second cas, on est de la garde-robe.
Qui est de l’Olympe n’a que la foudre ; qui est de la garde-robe a [Hugo écrit "à"; faute d'orthographe exceptionnelle] la police.
La garde-robe contient tous les instruments de règne, et parfois, car elle est traître, le châtiment. Néron y vient mourir. ["vient mourir" en sc. cursive sur "meurt. Alo"] Alors elle s’appelle les latrines.
D’habitude elle est moins tragique. C’est là qu’Albéroni admire Vendôme. [phrase ajoutée] La garde-robe est volontiers ["La garde-robe..." corrige "Elle est"] le lieu d’audience des personnes royales. Elle fait fonction de trône. [phrase ajoutée] Louis XIV y reçoit la duchesse de Bourgogne ; Philippe V y est coude à coude avec ["y est coude..." : addition; elle corrige deux formulations antérieures: "coudoie" qui corrige "admet"; à la copie, VH corrige "coudoie"] la reine. Le prêtre [en sc. sur "L'église"] y pénètre. [phrase ajoutée] La garde-robe est parfois [ajouté] une succursale du confessionnal.
C’est pourquoi il y a à la cour les fortunes du dessous ["du dessous" corrige un mot lui-même corrigé par surcharge; on distingue "abjectes"] ; ce ne sont pas les moindres.
Si vous voulez, sous Louis XI, être grand, soyez Pierre de Rohan, maréchal de France ; si vous voulez être influent, soyez Olivier le Daim, barbier. Si vous voulez, sous Marie de Médicis, être glorieux [corrige "éminent" qui corrige "considérable"], soyez Sillery, chancelier ; si vous voulez être considérable, soyez la Hannon, femme de chambre. ["Si vous voulez, sous Marie...": addition] Si vous voulez, sous Louis XV, être illustre, soyez Choiseul, ministre ; si vous voulez être redoutable, soyez Lebel, valet. Étant donné Louis XIV, [" Etant donné..." corrrige "Sous Louis XIV"] Bontemps, qui lui fait son lit, est plus puissant que Louvois qui lui fait ses armées et que Turenne qui lui fait ses victoires. De Richelieu otez le Père Joseph, voilà Richelieu presque vide. Il a de moins le mystère. ["De Richelieu...": addition] L’éminence rouge est superbe, l’éminence grise est terrible. Être un ver, quelle force ! Tous les Narvaez amalgamés avec tous les O’Donnell font moins de besogne qu’une sœur Patrocinio.
[faux départ: "Une de ces fortunes souterraines était échue"]
[peut-être un trait d'interruption; mais il serait placé de manière irrégulière.]
Par exemple, la condition de cette puissance, c’est la petitesse. Si vous voulez rester fort, restez chétif. Soyez le néant. Le serpent au repos, couché en rond, figure à la fois l’infini et zéro. [Au-dessous de cette ligne, au crayon: "un (ou "c'est") ici —"]
Une de ces fortunes vipérines [corrige "reptiles"] était échue à Barkilphedro.
[Trait d'interruption.]
Il s’était glissé où il voulait. [phrase ajoutée d'une écriture diférente]
[f° 208, M8, à côté de "5" au crayon. Mise au net.]
Les bêtes plates entrent partout. Louis XIV avait des punaises dans son lit et des jésuites dans sa politique.
D’incompatibilité, point. [Ces deux paragraphes sont ajoutés.]
En ce monde tout est pendule. Graviter c’est osciller. Un pôle veut l’autre. François Ier veut Triboulet ; Louis XV veut Lebel. Il existe une affinité profonde entre cette extrême hauteur et cet extrême abaissement.
C’est l’abaissement qui dirige. Rien de plus aisé à comprendre. Qui est dessous tient les fils.
Pas de position [corrige "situation"] plus commode.
On est l’œil, et on a l’oreille.
On est l’œil du gouvernement.
On a l’oreille du roi.
Avoir l’oreille du roi, c’est tirer et pousser à sa fantaisie ["et pousser...": addition] ["la volonté" barré en correction cursive] le verrou de la conscience royale, et fourrer dans cette conscience ce qu’on veut [corrige une fin de phrase plus longue et barrée; on distingue "oublier"]. L’esprit du roi, c’est votre armoire. Si vous êtes chiffonnier, c’est votre hotte. [phrase ajoutée; elle corrige sans doute la fin barrée de la phrase précédente] L’oreille des rois n’est pas aux rois ; c’est ce qui fait qu’en somme, ces pauvres diables sont peu responsables. Qui ne possède pas sa pensée, ne possède pas son action. Un roi, cela obéit.
[changement d'écriture pour les lignes suivantes, sans doute ajoutées] A quoi ?
A une mauvaise âme quelconque qui du dehors lui bourdonne ["qui du dehors..." corrige "qui lui murmure"; la correction immédiate de "murmure" en "bourdonne" a précédé l'ajout de "du dehors"] dans l’oreille. Mouche sombre de l’abîme. [signe d'alinéa à faire]
Ce bourdonnement ["règne" barré en correction cursive] commande. Un règne est une dictée. [phrase ajoutée]
La voix haute, c’est le souverain ; la voix basse, c’est la souveraineté.
Ceux qui dans un règne savent distinguer cette voix basse et entendre ce qu’elle souffle à la voix haute, sont les vrais historiens.
[grand blanc jusqu'au bas de la page]
[f° 209, N8. Blanc au haut de la page.]
La reine Anne avait autour d’elle plusieurs de ces voix basses ["dont nous venons de parler" rayé]. Barkilphedro [", nous l'avons dit," addition rayée; de même à la copie] en était une.
Outre la reine, il travaillait, influençait et pratiquait sourdement lady Josiane et lord David. Nous l’avons dit, il parlait bas à trois oreilles. Une oreille de plus que Dangeau. Dangeau ne parlait bas qu’à deux, du temps où, passant sa tête entre Louis XIV épris [corrige "amoureux"] d’Henriette sa belle-sœur, et Henriette éprise de Louis XIV son beau-frère, secrétaire de Louis à l’insu d’Henriette et d’Henriette à l’insu de Louis, situé au beau milieu de l’amour des deux marionnettes ["royales" barré], il faisait les demandes et les réponses. ["Outre la reine...": addition de second niveau ajoutée à celle qui suit; à la copie, addition de la main de la copiste]
Barkilphedro [corrige "Il"; de même à la
copie de la main de la copiste] était si riant, si acceptant,
si incapable de prendre la défense de qui que ce soit, si peu dévoué au
fond ["si peu dévoué..." corrige "si lâche"],
["Barkilphedro était si riant...": addition;
elle augmente "Il était si abject [corrige "plat"],"] si laid,
si méchant, qu’il était tout simple qu’une personne royale en vînt à ne
pouvoir ["en vînt..." corrige "ne put"]
se passer de lui. Quand Anne eût [accent
fautif] gouté de Barkilphedro, elle ne voulut pas d’autre
flatteur. Il la flattait comme on flattait Louis-le-Grand [corrige
"Louis XIV"; de même à la copie de la main de la copiste], par
la piqûre à ["la piqûre à" corrige "le mal(?)
d' "] autrui. — Le roi étant ignorant, dit madame [corrige
"Mme"] de Montchevreuil, on est obligé de bafouer
les savants. ["— Le roi...": addition] [Le
texte initial qui suit est encadré, barré en croix, remplacé par une
série d'addditions en cascade et, pour sa dernière partie, par un
texte écrit sur un béquet collé à la feuille, numéroté f° 210. Cette rédaction est l'objet d'une
réfection aux folios 211
et 212, qui sont donc
intercalés. Elle a été copiée par la copiste et c'est elle qui sert de
base au texte de la copie correspondant au folio 211.]
[Sarah Jennings est célèbre; Barkilphedro est inconnu. Sa faveur resta obscure. Ce nom, Barkilphedro, n'est pas arrivé jusqu'à l'histoire. Toutes les taupes ne sont pas prises par le taupier.
Barkilphedro, ancien candidat clergyman, avait un peu étudié tout [", façon de se blasonner": addition abandonnée] . Tout effleuré donne pour résultat Rien. On peut être victime de l’omnis res scibilis ["On peut être..." corrige "L'omnis res scibilis a des victimes"]. Barkilphedro était cette victime-là. De nos jours il y a eu un être de ce genre appelé Gustave Planche. [phrase ajoutée] [un mot barré en correction cursive] Disons cette circonstance atténuante. Il y a des cerveaux qui sont tonneau des Danaïdes. Tout ce que Barkilphedro avait mis dans son intelligence [corrige "sa tête"] l’avait laissée vide. L'esprit, comme la nature, a horreur du vide. [faux départ: "La nature dans le vide met"] Dans le vide, la nature met l’amour ; l’esprit, souvent, y met la haine. La haine occupe.
La haine gratuite, mot formidable. Cela veut dire la haine qui est à elle-même son propre paiement. Pourtant il lui faut un objet. ["La haîne gratuite...": addition] Mais [barré] la haîne sans objet ressemble au tir sans cible. Ce qui intéresse le jeu, c’est un cœur à percer. [marque ajoutée d'alinéa à faire]
On ne peut pas haïr uniquement pour l’honneur. Il faut un enjeu, un homme, une femme, quelqu’un à détruire. [paragraphe en addition]
Ce service d’intéresser le jeu, d’offrir un but, de passionner la haine en la fixant, ["Josiane le rendit à Barkilphedro." barré ] d’amuser le chasseur par la vue de la proie vivante, ["d'amuser...": ajouté] Josiane le rendit à Barkilphedro."]
Empoisonner de temps en temps la piqûre, c’est le comble de l’art. Néron aime à voir travailler Locuste. [paragraphe ajouté à l'addition qui suit]
Les palais royaux [ajouté] sont très pénétrables ; ces madrépores ont une [corrige "une ténébreuse" qui corrige "toute une"] voirie intérieure vite [corrige "tout de suite"] devinée, [virgule ajoutée; "et" supprimé] pratiquée, fouillée, et au besoin évidée, [", fouillés...": addition] par ce rongeur [corrige "millepieds"] qu’on nomme le courtisan [correction abandonnée: "l'intriguant"]. Un prétexte pour entrer suffit. Barkilphedro ayant ce prétexte, sa charge, fut en très peu de temps chez la reine [corrige "Anne"] ce qu’il était chez la duchesse Josiane, l’animal domestique indispensable. Un mot qu’il hasarda un jour le mit tout de suite au fait de la reine ; il sut à quoi s’en tenir sur la bonté de sa majesté ["la bonté de..." corrige "sa bonté"]. La reine affectait d'aimer beaucoup son lord-steward, ["son lord-steward" ajouté] William Cavendish, duc de Devonshire, qui était très imbécile. Ce lord, qui avait tous les grades d’Oxford et ne savait pas l’orthographe, ["se trouva un jour en danger de mort" barré en correction cursive] fit un beau matin la bêtise de mourir. Mourir, c’est fort imprudent à la cour, car personne ne se gêne plus pour parler de vous. La reine, Barkilphedro présent, se lamenta, et finit par s’écrier en soupirant : — C’est dommage que tant de vertus fussent portées et servies par une si pauvre intelligence !
— Dieu veuille avoir son âne ! murmura Barkilphedro, à demi-voix et en français [", à demi-voix...": ajouté].
La reine sourit. Barkilphedro enregistra ce sourire.
Il en conclut : Mordre plaît.
Congé était donné à sa malice.
A partir de ce jour, il fourra sa curiosité partout, sa malignité aussi. On le laissait faire, tant on le craignait. Qui fait rire le roi fait trembler le reste.
C’était un puissant drôle.
[Deux lignes fortement barrées. L'addition initiale "Les palais royaux..." s'achève ici. Une addition de troisième niveau est barrée; on distingue "Il faisait chaque jour des pas souterrains en avant. On avait besoin de Barkilphedro + + + + + nommaient + + + + des commission honteuses." Cette addition abandonnée est remplacée par celle qui suit, écrite sur un béquet collé à la page.]
Il faisait chaque jour des pas en avant, sous terre. On avait besoin de Barkilphedro. Plusieurs grands l’honoraient de leur confiance au point de le charger [corrige "lui confier"] dans l’occasion d’une [corrige "des"] commission honteuse [corrige le pluriel].
La cour est un engrenage. Barkilphedro y devint moteur. Avez-vous remarqué dans certains mécanismes ["dans certains...": ajouté] la petitesse de la roue motrice ?
Josiane, en particulier, qui utilisait, nous l’avons indiqué [corrige "venons de le dire"; de même à la copie de la main de la copiste], le talent d’espion de Barkilphedro, ["faux départ: "n'avait"] avait en lui une telle confiance qu’elle n’avait pas hésité à lui remettre une des clefs secrètes de son appartement au moyen de laquelle il pouvait entrer chez elle à toute heure. Cette excessive livraison de sa vie intime était une mode au dix-septième siècle. Cela s’appelait : donner [corrige "confier"(?)] la clef. [faux départ: "L'appartement"(?)] Josiane avait donné deux de ces clefs de confiance ; lord David avait l’une, Barkilphedro avait l’autre. ["Il faisait chaque jour...": addition de quatrième niveau, écrite sur un béquet (f° 210) collé au folio en cours.]
Du reste, pénétrer d’emblée jusqu’aux chambres à coucher était dans les vieilles mœurs une chose nullement surprenante. De là des aventures [corrigé dans le texte autographe de la copie: "incidents"]. La Ferté, tirant ["brusquement" ajouté dans le texte autographe de la copie] les rideaux du lit de Melle Lafont, y trouvait Sainson, mousquetaire noir, etc., etc. ["Du reste...": addition de cinquième niveau, à l'encre rouge, insérée dans celle qui précède et suit. Addition autographe à la copie, écrite après celle du ms comme le prouvent les corrections.]
Barkilphedro excellait à faire de ces découvertes sournoises qui subordonnent et soumettent les grands aux petits. [Cette phrase est réécrite à la fin de l'addition de quatrième niveau mais elle avait déjà été écrite en tête de l'addition de deuxième niveau qui suit.] Sa marche dans l’ombre était tortueuse, douce et savante [", il était courtisan né" addition déplacée]. Comme tout espion parfait, il était composé d’une inclémence de bourreau [variante sans choix: "démon" barrée à la copie] et d’une patience de micrographe. Il était courtisan né. Tout courtisan est un noctambule. Le courtisan rôde dans cette nuit qu’on appelle la toute-puissance. ["Comme tout espion parfait...": addition correctrice de "Tout courtisan est un noctambule. Le courtisan rôde dans cette nuit qu'on appelle la toute-puissance."] ["Il fait sortir" barré en correction cursive] Il a une lanterne sourde à la main. Il éclaire le point qu’il veut, et reste ténébreux. Ce qu’il cherche avec cette lanterne, ce n’est pas un homme ; c’est une bête. Ce qu’il trouve, c’est le roi.
[changement d'écriture: nouvelle addition possible] Les rois n’aiment pas qu’on prétende être grand autour d’eux. L’ironie à qui n’est pas eux les charme. Le talent de Barkilphedro consistait en un rapetissement perpétuel des lords et des princes au profit de la majesté royale, grandie d’autant. [marque ajoutée d'alinéa à faire]
De jour en jour, Anne le goûtait de plus en plus. [VH oublie de barrer cette phrase au ms, mais le fait à l'encre rouge sur la copie où le folio est coupé au quart de la hauteur, signe que la suite a fait l'objet d'une réfection.] ["Barkilphedro excellait à...": addition de deuxième niveau: cet ordre se déduit des filets d'implantation et de la place qu'elle occupe à la suite de l'addition de premier niveau sans laisser d'espace aux additions ultérieures.]
[Trois traits superposés au bas du folio qui sont peut-être des traits d'interruption d'un tracé irrégulier.]
[f° 211, O8. Folio intercalé. La fin de la page et le folio suivant sont la réfection de la rédaction initiale barrée dans la seconde moitié du folio 210. Copie écrite sur une bande de papier gris, collée à la chute résultant de la découpe du folio précédent.
Le verso du f° 211 (initialement recto, à moins que VH ait pris, par une erreur improbable, une feuille déjà écrite) porte la rédaction, suivie d'un trait d'interruption, d'un séquence du chapitre II, 5, 1 (f° 389-390):
"le wapentake, le greffier, [ajouté] tous les assistants, excepté le bourreau, répétèrent ce salut plus profondément encore, et s'inclinèrent jusqu'à terre devant Gwynplaine.
— Ah ça, cria Gwynplaine, réveillez-moi!
Et il se dressa debout, comme [variante sans choix: "tout"] éperdu ["comme..." correction: "égaré et pâle"]." Trait d'interruption au-dessous.]
La clef intime [corrige "secrète"] qu’avait Barkilphedro était faite ["de façon" barré en correction cursive], ayant deux jeux, un à chaque extrémité, de façon à pouvoir ouvrir les petits appartements dans les deux résidences favorites de Josiane, Hunkerville [corrige "Clancharlie"; de même à la copie]-house à Londres, Corleone-Lodge à Windsor. [un ou deux mots barrés en correction cursive] Ces deux hôtels faisaient partie de l’ ["de l' " en sc. sur +] héritage Clancharlie. Hunkerville house confinait à Oldgate. Oldgate à Londres était une porte par où l’on venait de Harwick, et où [oublié et ajouté] l’on voyait une statue de Charles II ayant sur [en sc. sur +] sa tête un ange peint, et sous ses pieds un lion et une licorne sculptés. De ["Hauteville" (!!!) barré en correction cursive] Hunkerville-house, par le vent d’Est, on entendait le carillon de Ste Marylebone. Corleone-Lodge était un palais florentin [corrige +] de brique et de pierre avec colonnade [IN lit "colonnades"] de marbre, ["avec...": ajouté] bâti sur pilotis à Windsor au bout du pont de bois, et ayant une des plus superbes cours d’honneur de l’Angleterre [", et ayant...": ajouté] .
Dans ce dernier palais, contigu au château de Windsor, Josiane était à portée de la reine. Josiane s’y plaisait néanmoins.
Presque rien au dehors, toute en racines, telle était l’influence de Barkilphedro sur la reine. Rien de plus difficile à arracher que ces mauvaises herbes de cour ; elles s’enfoncent très avant et n’offrent aucune prise extérieure. ["Presque rien au dehors...": addition] Sarcler Roquelaure, Triboulet ou Brummel est presque impossible. [phrase ajoutée à l'addition]
De jour en jour et de plus en plus, la reine Anne prenait en gré [corrige "goûtait"] Barkilphedro.
Sarah Jennings est célèbre ; Barkilphedro est inconnu . Sa faveur resta obscure. Ce nom, Barkilphedro, n’est pas arrivé jusqu’à l’histoire. Toutes les taupes ne sont pas prises par le taupier.
Barkilphedro, ancien candidat clergyman, avait un peu étudié tout . Tout effleuré donne pour résultat rien. On peut être victime de l’omnis res scibilis. [faux départ: "Barkilphedro"] Avoir sous le crâne le tonneau des Danaïdes, c’est le malheur de toute une race [corrige "espèce"] de savants qu’on peut appeler les stériles. ["Tout" barré] Ce que Barkilphedro avait mis dans son cerveau l’avait laissé vide.
L’esprit, comme la nature, a horreur du vide. Dans le vide, [addition abandonnée: "où"] la nature met l’amour ; l’esprit, souvent, y met la haine. La haine occupe.
[f° 212, P8. Folio intercalé comme le précédent.]
La haine pour la haine existe. L’art pour l’art est dans la nature, plus qu’on ne croit. [corrige "L'art pour l'art est plus qu'on ne croit dans la nature."] [paragraphe ajouté; de même à la copie, de la main de la copiste]
On hait. Il faut bien faire quelque chose.
La haine gratuite, mot formidable. Cela veut dire la haine qui est à elle-même son propre paiement.
L’ours vit de se lécher la griffe.
Indéfiniment, non. Cette griffe, il faut la ravitailler. Il faut mettre quelque chose dessous.
Haïr indistinctement [corrige vaguement"] est doux et suffit quelque temps ; mais il faut finir par avoir un objet. Une animosité diffuse sur la création épuise, comme toute jouissance solitaire. [phrase ajoutée] La haine sans objet ressemble au tir sans cible. ["C'est de l'art pour l'art." barré; de même à la copie] Ce qui intéresse le jeu, c’est un cœur à percer.
On ne peut pas haïr uniquement pour l’honneur. Il faut un assaisonnement, un homme, une femme, quelqu’un à détruire.
Ce service d’intéresser le jeu, d’offrir un but, de passionner la haine en la fixant, d’amuser le chasseur par la vue de la proie vivante, de faire espérer au guetteur le bouillonnement tiède et fumant du sang qui va couler, d’épanouir l’oiseleur par la crédulité inutilement aîlée de l’alouette, d’être une bête couvée à son insu ["à son insu" ajouté] pour le meurtre par un esprit, ce service exquis et horrible dont n’a pas conscience celui qui le rend, Josiane le rendit à Barkilphedro.
["Elle allait, venait, et riait devant cet homme ["qui + + +" barré, sans doute en correction cursive] qui la regardait de côté [correction: "contemplait obliquement"] ." ces lignes sont barrées et seront reprises, en addition au f° 214]
[f° 213, Q8]
["Il faut bien faire quelque chose." barré et déplacé plus haut]
La pensée est un projectile. [phrase ajoutée] Barkilphedro, dès le premier jour, s’était mis [", dès le premier..." corrige "se mit"] à viser Josiane avec ["à l'esprit" barré en correction cursive] les mauvaises intentions qu’il avait dans l’esprit. ["La pensée est un projectile." barré et déplacé] Une intention et une escopette, cela se ressemble. [phrase ajoutée] Barkilphedro [corrige "Il"] se tenait [corrige "tint"] en arrêt, dirigeant contre la duchesse toute sa méchanceté secrète [corrige "obscure"]. Cela vous étonne ? Que vous a fait l’oiseau à qui vous tirez un coup de fusil ? C’est pour le manger, dites-vous. Barkilphedro aussi.
[Le paragraphe qui suit est écrit en surcharge sur un texte similaire au crayon, mais comportant des corrections ou des ajouts.] Josiane ne pouvait guère être frappée au cœur ; l’endroit où est une énigme est difficilement vulnérable ; mais elle pouvait être atteinte à la tête, c’est à dire à l’orgueil.
C’est par là qu’elle se croyait forte et qu’elle était faible.
Barkilphedro s’en était rendu compte ["rendu compte" a une correction abandonnée: +].
Si Josiane avait pu voir clair dans la nuit [en sc. sur + et corrige "les ténèbres"] de Barkilphedro, si elle avait pu distinguer ce qui était embusqué derrière ce sourire, cette fière personne, si haut située, eût probablement tremblé. Heureusement pour la tranquillité de ses sommeils, elle ignorait absolument ce qu’il y avait dans cet homme.
["Il n'y a point de haîne petite. La haîne est toute la haîne. [phrase ajoutée] Un tigre que hait une araignée est en danger.
Le sage ne voudrait pas être lion et être regardé de travers par une souris." Encadré, barré à grands traits, mais immédiatement repris.] [marque d'alinéa à faire]
L’inattendu fuse on ne sait d’où. Les profonds dessous de la vie sont redoutables. ["Si Josiane avait pu voir...": addition] Il n’y a point de haine petite. La haine est toujours énorme. Elle conserve sa stature dans le plus petit être et reste monstre. Une haine est toute la haine. Un éléphant que hait une fourmi est en danger. ["Il n'y a point de haîne petite...": addition de second niveau à l'addition qui précède]
[faux départ: "Affût + (sinistre?)", repris
plus loin; écrit au dessus de deux mots au crayon: "+ affût"]
[changement d'écriture]
Même avant d’avoir frappé, Barkilphedro sentait ["Barkilphedro sentait" corrige sans doute "il sentait"] avec joie un commencement de saveur de l’action mauvaise [corrige "méchante"] qu’il voulait [correction abandonnée: "allait"] commettre [corrige "faire"]. Il ne savait encore ce qu’il ferait contre Josiane. Mais il était décidé à faire quelque chose. C’est déjà beaucoup qu’un tel parti pris.
Anéantir [corrige "Détruire"] Josiane, c’eût été trop de succès. Il ne l’espérait point [en sc. sur "pas"]. Mais l’humilier, ["la désoler" rayé en correction cursive] l’amoindrir, la désoler, rougir de larmes de rage ces yeux superbes, voilà une réussite. Il y comptait. Tenace, appliqué [corrige "fixe"], fidèle au tourment d’autrui, inarrachable, la nature ne l’avait pas fait ainsi pour rien. Il entendait [corrige "comptait"] bien trouver le défaut de l’armure d’or de Josiane, et faire ruisseler le sang de cette olympienne. ["rougir de larmes...": addition correctrice de "voilà un but. Il y comptait(?). Tenace, imperturbable, fixe, ["fidèle + + au tourment d'autrui" ajouté] tel était cet homme."] Quel bénéfice, insistons-y, y avait-il là pour lui ? Un bénéfice énorme. Faire du mal à qui nous a fait du bien.
Qu’est-ce qu’un envieux ? C’est un ingrat. Il déteste [corrige "hait"] la lumière qui l’éclaire et le réchauffe. Zoïle hait ce bienfait, Homère.
Faire ["à Jos" barré en correction cursive] subir à Josiane ce qu’on appellerait aujourd’hui une vivisection, l’avoir, toute convulsive, [", toute convulsive," corrige "vivante"; de même à la copie] sur sa table d’anatomie, la disséquer vivante [ajouté] à loisir dans une chirurgie [corrige "un supplice"] quelconque, la déchiqueter en amateur pendant qu’elle hurlerait, ["la déchiqueter..." ajouté] ce rêve charmait Barkilphedro. [marque d'alinéa à faire ajoutée]
Pour arriver à ce résultat, il eût fallu souffrir un peu qu’il l’eût trouvé bon. On peut se pincer à sa tenaille. Le couteau en se reployant vous coupe les doigts ; qu’importe ! Être un peu pris dans la torture de Josiane lui eût été égal. Le bourreau manieur de fer rouge, a sa part de brûlure, et n’y prend pas garde. Parce que l’autre souffre davantage, on ne sent rien. Voir le supplicié [en sc. sur +] se tordre vous ôte votre douleur. ["Faire subir à Josiane...": addition.] [La rédaction initiale, reprise au folio suivant intercalé, est ici encadrée et barrée :
"Barkilphedro guettait [correction: +] une occasion.
Affût sinistre.
D'ailleurs il se donnait à lui-même [+ rayé en correction cursive] d'excellentes raisons. Il ne faut pas croire que les coquins ne s'estiment pas. Ils se rendent des comptes ["à eux-mêmes et le" barré en correction cursive] dans des monologues altiers, et ils le prennent" La phrase s'achève au f° 215 signe que le folio 214 est intercalé.]
[f° 214, R8. Folio intercalé. Mise au net.]
Fais ce qui nuit, advienne que pourra. [paragraphe ajouté]
La construction du mal d’autrui se complique d’une acceptation de responsabilité obscure. On se risque soi-même dans le danger qu’on fait courir à un autre, tant les enchaînements de tout peuvent amener d’écroulements inattendus. Ceci n’arrête point le vrai méchant. ["Le + + de la souffrance d'autrui existe."] Il ressent en joie [rétabli après correction en "volupté"] ce que le patient [rétabli apès correction en +] éprouve en angoisse [corrige "tourment"(?) lui-même en sc. sur +]. Il a le chatouillement de ce déchirement . L’homme mauvais ne s’épanouit qu’affreusement [en sc. sur "que laidement(?)"]. Le supplice se réverbère sur lui en bien-être. Le duc d’Albe se chauffait les mains aux bûchers. Foyer, douleur [corrige "souffrance"] ; reflet, plaisir. Que de telles transpositions soient possibles, cela fait frissonner. Notre côté ténèbres [corrige + qui corrige "nuit"] est insondable. Supplice exquis, l’expression [corrige "le mot"] est dans Bodin(1), [(1)Livre IV, p. 196.] [référence ajoutée; de même à la copie] ayant peut-être [ajouté] ce triple sens terrible : recherche du tourment, souffrance du tourmenté, volupté du tourmenteur. ["Convoitise," barré] Ambition, appétit, tous ces mots signifient quelqu’un sacrifié à quelqu’un satisfait. ["Notre côté ténèbres...": addition] ["En vouloir à un homme," [corrigé "au prochain", corrigé "à une créature"] barré en correction cursive] Chose [d'abord "chose"] triste, que l’espérance puisse être perverse. ["["En vouloir à un homme..."] Chose triste...": addition ajoutée à l'addition précédente; elle remplace "+ + +en vouloir à quelqu'un", addition à la rédaction initiale et de même sens] En vouloir à une créature, c’est lui vouloir du mal. Pourquoi pas du bien ? Serait-ce que le principal versant de notre volonté serait du côté du mal ? Un des plus rudes labeurs du juste c’est de s’extraire continuellement de l’âme une malveillance difficilement épuisable. Presque toutes nos convoitises, examinées, contiennent de l’inavouable. ["Nuit de l'homme. Cavernes." barré et déplacé] Pour le méchant complet, et cette perfection hideuse [ajouté] existe, Tant pis pour les autres signifie Tant mieux pour moi. Ombre de l’homme. Cavernes.
Josiane avait cette plénitude de sécurité que donne l’orgueil ignorant, fait du mépris de tout. La faculté féminine de dédaigner est extraordinaire. ["Ne rien remarquer" barré en correction cursive] Un dédain inconscient, involontaire et confiant, c’était là Josiane. Barkilphedro était pour elle à peu près une chose. On l’eût bien étonnée si on lui eût dit que Barkilphedro, cela existait. [phrase ajoutée] [marque d'alinéa à faire]
Elle allait, venait et riait devant cet homme qui la contemplait [corrige "regardait"] obliquement.
Lui, pensif, il épiait une occasion. ["Josiane avait cette plénitude...": addition; elle remplace la rédaction initiale: "Barkilphedro épiait une occasion."]
A mesure qu’il attendait, sa détermination de jeter dans la vie de cette femme un désespoir quelconque, augmentait ["de jeter dans la vie..." corrige "de jeter un désespoir quelconque dans la vie de cette femme, augmentait"]. [Ce paragraphe est ajouté à l'addition qui précède.]
Affût inexorable [corrige "sinistre"].
D’ailleurs il se donnait à lui-même d’excellentes raisons. Il ne faut pas croire que les coquins ne s’estiment pas. Ils se rendent des comptes dans des monologues altiers, et ils le prennent [f° 215, S8 ] de très haut. Comment ! cette Josiane lui avait fait l’aumône ! Elle avait émietté sur lui, comme sur un mendiant, quelques liards de sa colossale richesse ! Elle l’avait rivé et cloué à une fonction inepte ! Si, ["Si," ajouté occupe le retrait d'alinéa de la rédaction initiale] lui [virgule raturée] Barkilphedro, presque homme d’église, ["personnage docte" barré en correction cursive] capacité variée et profonde, personnage docte, ayant l’étoffe d’un révérend, il avait pour emploi d’enregistrer des tessons bons à racler les pustules de Job, ["il avait pour emploi...": addition] s’il ["s'il" corrige "il"] passait sa vie dans un galetas de greffe à déboucher [deux ou trois mots barrés en correction cursive] [addition abandonnée de six ou sept mots] gravement de stupides bouteilles incrustées de toutes les saletés de la mer, et à déchiffrer des parchemins moisis, des pourritures de grimoires [corrige "papiers"], des ordures de testaments, on ne sait quelles ["on ne sait quelles" corrige "des tas de"] balivernes illisibles, c’était la faute de cette Josiane ! Comment ! cette créature le tutoyait !
Et il ne se vengerait pas !
Et il ne punirait pas cette espèce !
Ah çà mais ! il n’y aurait donc plus de justice ici-bas !
[grand blanc]
[f° 216, T8. Mise au net.]
Quoi ! cette femme, cette extravagante, cette songeuse lubrique, vierge jusqu’à l’occasion, [deux ou trois mots, placés entre barres verticales puis barrés] ce morceau de chair n’ayant pas encore fait sa livraison, cette effronterie à couronne princière, cette Diane par orgueil, pas encore prise par le premier venu, soit, peut-être, on le dit, ["on le dit,": placé entre barres verticales rayées à la copie] j’y consens, faute d’un hasard, cette bâtarde d’une canaille de roi qui n’avait pas eu l’esprit de rester en place, cette duchesse de raccroc, qui, grande dame, jouait à la déesse, et qui, pauvre, eut été fille publique, cette lady à peu près, ["tout à fait catin, puisqu'elle ne demandait pas mieux," barré] cette voleuse des biens d’un proscrit, cette hautaine gueuse, parce qu’un jour, lui Barkilphedro, n’avait pas de quoi dîner, et qu’il était sans asile, avait eu l’impudence de l'attabler [variante sans choix: "l’asseoir" préférée à la copie] chez elle à un bout de table, et de le nicher dans un trou quelconque de son insupportable palais, où ça ? n’importe où, peut-être au grenier, peut-être à la cave, qu’est-ce que cela fait ? un peu mieux que les valets, un peu plus mal que les [f° 217, T8] chevaux ! Elle avait abusé de sa détresse, à lui Barkilphedro, pour se dépêcher de lui rendre traîtreusement service, ce que font toujours les riches afin d’humilier les pauvres, et de se les attacher comme des bassets qu’on mène en laisse ["comme des bassets..." corrige "comme des chiens"] ! Qu’est-ce que ce service lui coûtait d’ailleurs ? Un service vaut ce qu’il coûte. [phrase ajoutée] Elle avait des chambres de trop dans sa maison. Venir [en sc. sur +] en aide à Barkilphedro ! le bel effort qu’elle avait fait là ! avait-elle mangé une cuillerée de soupe à la tortue de moins ? S’était-elle privée de quelque chose dans le débordement haïssable [corrige "exorbitant"] de son superflu ! Non. Elle avait ajouté à ce superflu une vanité, un objet de luxe, une bonne action en bague au doigt, un homme d’esprit secouru, ["un homme d’esprit...": addition; de même à la copie de la main de la copiste] un clergyman patronné ["un clergyman..." corrige "un homme de lettres protégé"] ! Elle pouvait ["faire sa bienfaitrice" barré en correction cursive] prendre des airs, dire : je prodigue les bienfaits, ["je prodigue...": addition] je donne la becquée à ["donne la becquée à" corrige "nourris"] des gens de lettres, faire sa protectrice [en sc. sur "bienfaitrice"] ! Est-il heureux de m’avoir trouvée, ce misérable ! Quelle amie des arts je suis ! ["Est-il heureux...": addition] Le tout pour avoir dressé [corrige "fait mettre"] un lit de sangle dans un méchant bouge [en sc. sur "trou(?)"] sous les combles ! Quant à la place à l’amirauté, [un mot barré] Barkilphedro la tenait de Josiane, parbleu ! jolie fonction ! Josiane [corrige "Elle"; de même à la copie] avait fait Barkilphedro ce qu’il était. [phrase ajoutée] Elle l’avait créé, soit. Oui, créé rien! Moins que rien. Car il se sentait, dans cette charge ridicule, ployé, ankylosé et contrefait. Que devait-il à Josiane ? la reconnaissance du bossu pour sa mère qui l’a fait difforme. Voilà ces privilégiés, ces gens comblés, ["ces privilégiés..." corrige "ces heureux du jour"; une autre correction est abandonnée] ces parvenus, ces préférés de ["préférés de" en sc. sur + +] la hideuse marâtre Fortune ! ["Quant à la place...": addition] Et l’homme à talents, et Barkilphedro, était forcé de se ranger dans les escaliers, de saluer des laquais, de grimper le soir un tas d’étages, et d’être courtois [corrige "poli" après lui avoir été ajouté], empressé, gracieux, ["respectueux, " barré] déférent, agréable, ["déférent...": ajouté] et d’avoir toujours sur le museau une grimace respectueuse [corrige "aimable"] ! S’il n’y a pas de quoi grincer de rage ! Et pendant ce temps-là elle se mettait des perles au cou, et elle prenait des poses ["bêtes" barré] d’amoureuse avec son imbécile de lord David Dirry-Moir, la drôlesse !
Ne vous laissez jamais rendre service. On en abusera. Ne vous laissez pas prendre en flagrant délit d’inanition. On vous soulagerait. Parce qu’il était sans pain, cette femme avait trouvé le prétexte suffisant pour lui donner à manger ! Désormais il était son domestique ! ["Parce qu’il était sans pain...": addition] Une défaillance d’estomac, et vous voilà à la chaîne pour la vie ! Être obligé, c’est être exploité. [phrase ajoutée] Les heureux, les puissants, profitent du moment ["du moment" corrige "de la minute"; de même à la copie de la main de la copiste] où vous tendez la main pour vous mettre un sou dedans, et ["où vous tendez la main...": addition] de la minute [corrige "du moment" de même à la copie, de la main de la copiste] où vous êtes lâche pour vous faire esclave, et esclave de la pire espèce, esclave d’une charité, esclave forcé à aimer ! quelle infamie ! quelle indélicatesse, quelle surprise à notre fierté ! Et c’est fini, vous voilà condamné, à perpétuité, ["condamné..." corrige "à jamais condamné"] à trouver bon cet homme, à trouver belle cette femme, à rester au second plan du subalterne, à approuver, à applaudir, à admirer, à encenser [corrige "adorer"], à vous prosterner, à mettre à vos rotules le calus de l’agenouillement, ["à mettre à vos rotules...": ajouté] [" à vous aplatir," barré] à sucrer vos paroles, quand vous êtes rongé de colère, quand vous mâchez des cris de fureur [corrige "rage"], et quand vous avez en vous plus de soulèvement sauvage [corrige +] et plus d’écume amère que l’océan.
[f° 218, V8 - à côté de "3" au crayon]
C’est ainsi que les riches font prisonnier le pauvre. [phrase ajoutée]
Cette glu de la bonne action commise sur vous vous barbouille et vous embourbe pour toujours [corrige "à jamais"]. Une aumône est ["Une aumône..." corrige "C'est"] irrémédiable. [phrase ajoutée] Reconnaissance, c’est paralysie. Le bienfait a une adhérence visqueuse et répugnante ["visqueuse et..." corrige "odieuse"] qui vous ôte vos libres mouvements. Les odieux êtres opulents et gavés ["Les odieux..." corrige "Les privilégiés"] dont la pitié a sévi sur vous le savent. C’est dit. Vous êtes leur chose. Ils vous ont acheté. Combien ? un os, [un ou deux mots barrés en correction cursive] qu’ils ont retiré à leur chien pour vous l’offrir [corrige "le donner"]. Ils vous ont lancé cet os à la tête. Vous avez été lapidé autant que secouru. C’est égal. Avez-vous rongé l’os, oui ou non ? Vous avez eu aussi votre part de la niche. Donc remerciez. Remerciez à jamais. ["Ils vous ont lancé...": addition; elle amplifie une ligne barrée : "Vous avez eu aussi votre part à la niche. Remerciez à jamais."] Adorez vos maîtres. Génuflexion indéfinie ["Génuflexion..." corrige "Agenouillement indéfini"; même correction à la copie]. ["Génuflexion indéfinie.": addition] Le bienfait implique un sous-entendu d’infériorité acceptée par vous. Ils exigent que vous vous sentiez [en sc. sur "croyiez"(?)] pauvre diable et que vous les sentiez dieux [en sc., apparemment sur le même mot, mais au singulier; même surcharge à la copie]. Votre diminution les augmente. Votre courbure les redresse. [ces deux phrases ajoutées; de même à la copie de la main de la copiste] Il y a dans leur son de voix une douce pointe impertinente. Leurs événements de famille, mariages, baptêmes, ["mariages...": ajouté] la femelle pleine, les petits qu’on met bas, cela vous regarde. Il leur naît un louveteau, bien, ["bien," ajouté] vous composerez [corrige "ferez"] un sonnet. Vous êtes poëte pour être plat. Si ce n’est pas à faire crouler les astres ! Un peu plus, ils vous feraient user leurs vieux souliers !
— Qu’est-ce que vous avez donc là chez vous, ma chère ? qu’il est laid ! qu’est-ce que c’est que cet homme ? — Je ne sais pas [en sc. sur "plus"(?)]. C’est un grimaud que je nourris. — Ainsi dialoguent ces dindes. Sans même baisser la voix. Vous entendez, et vous restez mécaniquement aimable ["restez..." corrige "souriez"]. Du reste, si vous êtes ["Du reste..." en sc. apparemment, sur les mêmes mots] malade, vos maîtres vous envoient le médecin. Pas le leur. Dans l’occasion, ils s’informent. N’étant pas de la même espèce que vous, et l’inaccessible étant de leur côté, ils sont affables. Leur escarpement les fait abordables. Ils savent que le plain-pied est impossible. A force de dédain, ils sont polis. ["N’étant pas de la même...: addition en deux temps; la première phrase, puis la suite. Elle se substiue à "Ils sont affables."] A table, ils vous font un petit signe de tête. Quelquefois ils savent l’orthographe de votre nom. Ils ne vous font pas sentir qu’ils sont vos protecteurs [corrige "maîtres"] autrement qu’en marchant naïvement sur tout ce que vous avez de susceptible et de délicat. ["Comble d'insolence," encadré de barres verticales puis barré] Ils vous traitent avec bonté !
Est-ce assez abominable [correction en "insolent" abandonnée] !
[f° 219, X8 - à côté de "4" au crayon.]
Certes, il était urgent de châtier la Josiane ["Certes..." corrige "Certes, cette Josaine, il était urgent de la châtier" qui corrige "Certes, il était urgent de la châtier"]. Il fallait lui apprendre à qui elle avait eu affaire ! Ah ! messieurs [un mot barré, peut-être "mesdames"] les riches, parce que vous ne pouvez pas tout consommer [corrige "manger à table"], parce que l’opulence aboutirait à l’indigestion, vu la petitesse de vos estomacs égaux aux nôtres, après tout, ["après tout," ajouté] parce qu’il vaut mieux distribuer [corrige "donner"] les restes que les perdre, vous érigez cette pâtée [rétabli après correction en +] jetée aux pauvres en magnificence [corrige "bienfait"] ! Ah ! vous nous donnez du pain, vous nous donnez un asile [corrige "toit"], vous nous donnez des vêtements, vous nous donnez un emploi [corrige "une place"], et vous poussez l’audace, la folie, la cruauté, l’ineptie [corrige "la dérision"] et l’absurdité jusqu’à croire que nous sommes vos obligés ! Ce pain, c’est un pain de servitude, cet asile, c’est une chambre de valet, ces vêtements, c’est une livrée, cet emploi, c’est une dérision, payée, soit, mais abrutissante ! Ah ! ["Ah ! vous nous donnez du pain...": addition] vous vous croyez le droit de nous flétrir avec du logement et de la nourriture, vous vous imaginez que nous vous sommes redevables, et vous comptez sur de la reconnaissance ! Eh bien, nous vous mangerons le ventre [en sc. sur "coeur"(?)] ! Eh bien, nous vous détripaillerons, belle madame, et nous vous dévorerons toute en vie, et nous vous couperons les attaches du cœur [correction abandonnée: "des entrailles"] avec nos dents !
Cette Josiane ! ["Cette..." ajouté] n’était-ce pas monstrueux ? ["Cette Josiane," barré] quel mérite avait-elle ? elle avait fait ce chef d’œuvre de venir au monde en témoignage de la bêtise [en sc. sur "l'imbécilité"] de son père et de la honte de sa mère, elle nous faisait la grâce [corrige "avait la bonté"] d’exister, et cette complaisance qu’elle avait d’être un scandale public, on la lui payait des millions, elle avait des terres et des châteaux, des garennes, ["des garennes," ajouté] des chasses, des lacs, des forêts, est-ce que je sais, moi ? ["elle avait des terres...": addition] et avec cela elle faisait sa sotte ! et on lui adressait des vers ! et lui, Barkilphedro, qui avait étudié et travaillé, qui s’était donné de la peine, qui s’était fourré de gros livres dans les yeux et dans la cervelle, qui avait pourri dans les bouquins et dans la science, qui avait énormément d’esprit [en sc. sur "de talent"], qui commanderait très bien ["très bien" ajouté] des armées, ["s'il voulait," barré] qui écrirait des tragédies comme Otway et ["Otway et" ajouté] Dryden ["des tragédies..." corrige "des poèmes épiques"], s’il voulait, lui ["qui écrirait des tragédies...": addition] qui était fait pour être empereur, il avait été réduit à permettre à cette rien du tout ["rien..." corrige "drôlesse"] de l’empêcher de crever de faim ! L’usurpation [en sc. sur + qui corrige "audace"] de ces riches, ["les" barré] exécrables [en sc. sur "misérables"(?)] élus du hasard, peut-elle aller plus loin ! Faire semblant d’être généreux [corrige "bons"] avec nous, et nous protéger, et nous sourire, à nous qui boirions leur sang ["boirions..." corrige "leur dévorerions ["le coeur" barré] les entrailles"; même correction à la copie de la main de la copiste], et qui nous lècherions les lèvres ensuite [corrige "après"] ! Que la basse femme de cour [corrige "de rien"] ait l’odieuse [rétabli après correction en +] puissance d’être une bienfaitrice, et que l’homme supérieur puisse être condamné à ramasser de telles bribes [corrige "miettes"] tombant d’une telle [f° 220, Y8 - à côté de "5" au crayon.] main, quelle plus épouvantable iniquité ! Et quelle société que celle qui a à ce point pour base la disproportion et ["la disproportion et" ajouté] l’injustice ! Ne serait-ce pas le cas de tout prendre par les quatre coins, et d’envoyer pêle-mêle au plafond la nappe et le festin et l’orgie, et l’ivresse et l’ivrognerie, ["et l'ivresse...": ajouté] et les convives, et ceux qui sont ["sur la table et ceux" barré en correction cursive] à deux coudes sur la table, et ceux qui sont à quatre pattes dessous, et les insolents qui donnent et les idiots [en sc. sur +] qui acceptent, et de recracher tout au nez de Dieu, et de jeter au ciel toute la terre ! En attendant, enfonçons nos griffes dans Josiane.
Ainsi songeait Barkilphedro. C’étaient là les rugissements qu’il avait dans l’âme. C’est l’habitude de l’envieux de s’absoudre en amalgamant à son grief personnel le mal public. Toutes les formes farouches des passions haîneuses allaient et venaient dans cette intelligence [corrige "conscience"] féroce. A l’angle des vieilles mappemondes ["in folio"(?) barré en correction cursive] du quinzième ["q" en sc. sur "s"] siècle on trouve un large espace vague sans forme et sans nom où sont écrits ces trois mots : Hic sunt leones. Ce coin sombre est aussi dans l’homme. Les passions rôdent et grondent quelque part en nous, et l’on peut dire aussi d’un côté obscur [corrige "ténébreux"] de notre âme : Il y a ici des lions.
[changement d'écriture] Cet échafaudage de raisonnements fauves était-il absolument absurde ? cela manquait-il d’un certain jugement ? Il faut bien le dire, non.
Il est effrayant de penser que cette chose qu’on a en soi, le jugement, n’est pas la justice. Le jugement, c’est l'homme [variante sans choix "le relatif" préférée à la copie]. La justice, c’est l’absolu [corrige "dieu"]. Réfléchissez à la différence entre un juge et un juste. [phrase ajoutée]
Les méchants malmènent la conscience avec autorité. Il y a une gymnastique du faux [corrige "sophisme"(?)]. Un sophiste est un faussaire, et dans l’occasion ce faussaire brutalise [+ barré] [f° 221, Z8] le bon sens. [phrase ajoutée] Une certaine logique très souple, très implacable [en sc. sur "serrée"] et très agile est au service du mal et excelle à meurtrir la vérité dans les ténèbres. Coups de poing sinistres [corrige "obscurs"; correction abandonnée: "épouvantables"] de Satan à Dieu.
Tel sophiste ["Tel sophiste" corrige "Tel homme, comme Proudhon"], admiré des niais [corrige "imbéciles"; de même à la copie], ["admiré...": ajouté; cet ajout n'est pas fait en même temps que la correction qui précède] n’a pas d’autre gloire que d’avoir fait « des bleus » à la conscience humaine. [Ce paragraphe semble avoir été écrit dans un blanc ménagé entre celui qui précède et celui qui suit. En marge, à l'encre rouge, cette note: "ainsi M. Proudhon".]
L’affligeant [corrige "Le fâcheux" qui corrige "L'ennuyeux"], c’est que Barkilphedro pressentait un avortement. Il entreprenait un vaste [corrige "grand"] travail, et en somme, il le craignait du moins, pour peu de ravage [en sc. sur +]. Être un homme corrosif, avoir en soi ["Etre un homme..." se substitue à "Avoir en soi une haîne de diamant, "] une volonté d’acier, une haine de diamant, une curiosité ardente de la catastrophe, et ne rien brûler, ne rien décapiter, ne rien exterminer ["rien brûler, ..." se substitue à "pas réussir"] ! Être ce qu’il était, une force de dévastation, une animosité vorace, un ["esprit" barré; de même à la copie] rongeur du bonheur d’autrui, avoir été créé (car il y a un créateur, le diable ou Dieu, n’importe qui !) ["avoir été créé (car...": addition; de même à la copie] avoir été créé de toutes pièces Barkilphedro pour ne réaliser peut-être qu’une chiquenaude ! est-ce possible ! Barkilphedro manquerait son coup ! ["Etre un homme corrosif...": addition de second niveau ajoutée à celle qui suit. Elle se substitue à quatre lignes de la rédaction initiale: "Etre Barkilphedro, avoir en soi une force de haîne [addition +], un esprit rongeur et vorace du bonheur d'autrui, avoir été créé de toutes pièces Barkilphedro, et ne réaliser [corrige "n'aboutir"] peut-être qu'une [corrige "qu'à une"] chiquenaude! [faux départ: "Dieu a cette manie de dépenser."]] Être un ressort à lancer des quartiers de rocher, et lâcher toute sa détente pour faire à une mijaurée une bosse au front ! ["faire [correction: "accomplir"] la besogne de Sysyphe pour un résultat de fourmi!" le tout barré en correction cursive pour déplacement] une catapulte faisant le dégât d’une pichenette [corrige "sarbacane"; de même à la copie de la main de la copiste] ! accomplir une besogne de Sisyphe pour un résultat de fourmi ! ["Être un ressort à lancer...": addition de premier niveau; elle a une extension inmmédiate et une augmentation ultérieure] suer toute la haine pour à peu près rien ! Est-ce assez ["Est-ce assez" corrige "Est-il rien de plus"] humiliant quand on est un mécanisme d’hostilité à broyer le monde ! ["suer..." extension immédiate de l'addition en cours] Mettre en mouvement tous ses engrenages, faire dans l’ombre un tracas de machine de Marly, pour réussir peut-être ["réussir peut-être" en sc. sur "ne réussir qu' "] à pincer le bout d’un petit doigt rose ! ["Mettre en mouvement...": addition de second (ou troisième) niveau] Il allait tourner et retourner des blocs pour arriver, qui sait ? à rider un peu la surface plate de la cour ! Dieu a cette manie de dépenser grandement les forces. Un remuement de montagne aboutit au déplacement d’une taupinière.
En outre, la cour étant donnée, terrain bizarre, rien n’est plus dangereux que de viser son ennemi, et de le manquer. D’abord cela vous démasque à votre ennemi, et cela l’irrite ; ensuite, et ["ensuite, et" corrige "et puis,"; corrrection d'emblée intégrée au texte autographe de la copie, de même pour les suivantes] surtout, cela déplaît au maître. Les rois goûtent peu ["goûtent peu" corrige "haïssent" qui corrige "n'aiment pas"] les [+ barré en correction cursive] maladroits. Pas de contusions ; pas de gourmades laides. ["Pas de contusions...": addition] Égorgez tout le monde, ne faites saigner du nez à ["du nez à" ajouté] personne. Qui tue est habile, qui blesse est inepte. [faux départ, utilisé plus loin: "Pourfendez, mais ne piquez pas. A moins que l'épingle ne soit empoisonnée. Circonstance atténuante. C'était le cas de B"] Les rois n’aiment pas qu’on éclope leurs domestiques. Ils vous en veulent si vous fêlez une porcelaine sur leur cheminée ou un courtisan dans leur cortège. La cour doit rester propre. [phrase ajoutée] Cassez, et remplacez ; c’est bien.
Ceci se concilie parfaitement [corrige "très bien"] du reste [addition autographe à la copie: "du reste parfaitement"] avec le goût des médisances qu’ont les princes. Dites du mal, n’en faites point. Ou [virgule à l'addition autographe de la copie] si vous en faites, que ce soit en grand. [paragraphe inséré en interligne au ms mais non pas à la copie]
Poignardez, mais n’égratignez [corrige "ne piquez"; même correction au texte autographe de la copie] pas. A moins que l’épingle ne soit empoisonnée. Circonstance atténuante. C’était, rappelons-le, [",rappelons-le," ajouté] le cas de Barkilphedro. ["En outre, la cour...": addition postérieures aux autres de la page: un filet à l'encre rouge l'implante au ms et son texte est autographe à la copie. Elle reprend et développe une addition du f° 226.]
Tout pygmée haineux est la fiole où [corrige "dans laquelle"] est enfermé le dragon de Salomon. Fiole microscopique, dragon démesuré. ["Fiole...": addition cursive] Condensation formidable attendant l’heure gigantesque de la dilatation ["et de l'explosion" barré]. ["Fiole microscopique" barré et immédiatement déplacé] ["Fiole microscopique" barré et repris en addition ci-dessus] Ennui consolé par la préméditation de l’explosion. [phrase ajoutée à l'addition qui suit] Le contenu est plus grand que le contenant. Un géant latent, quelle chose étrange ! un acarus dans lequel [corrige "où"] il y a une hydre ! ["Le contenu...": addition] Être cette affreuse boîte à surprise, avoir en soi Léviathan [corrige "le colosse"], c’est pour le nain une torture et une volupté.
Aussi rien n’eût-il fait lâcher prise à Barkilphedro. Il attendait son heure. Viendrait-elle ? Qu’importe ? il l’attendait. Quand on est très- mauvais [corrige "méchant"], l’amour propre s’en mêle. Faire des trous et des sapes à une fortune de cour, plus haute que nous, ["plus haute...": ajouté] la miner à ses risques et périls, tout souterrain et tout caché qu’on est, insistons-y, ["insistons-y," ajouté] c’est intéressant. On se passionne [corrige "pique"; de même à la copie] à un tel jeu. On s’éprend de cela comme d’un poëme épique qu’on ferait. Être très petit et s’attaquer à quelqu’un de très grand est une action d’éclat. C’est beau [corrige "quelque chose"] d’être la puce d’un lion.
L’altière bête se sent piquée et dépense son énorme colère contre l’atôme. Un tigre rencontré l’ennuierait moins. Et voilà les rôles changés. Le lion humilié a dans sa chair ["dans..." corrige "en lui"] le [f° 222, A9 - à côté de "6" au crayon] dard de l’insecte, et la puce peut dire : j’ai en moi du sang de lion. [paragraphe ajouté]
["Pourtant + + + + + l'orgueil de Barkilphedro que de + + + +": ajouté au-dessus de "Taquiner est quelque chose. Pourtant torturer vaudrait mieux. " Le tout est barré et repris immédiatement dans le paragraphe suivant. Il est écrit en surcharge de deux lignes au crayon, qui se poursuivent, sur quatre lignes, par un mot ou deux à chaque fin de ligne.]
Pourtant, ["disons-le," barré] ce n’étaient là pour l’orgueil de Barkilphedro que de demi apaisements. Consolations. Palliatifs. Taquiner est quelque chose, torturer vaudrait mieux. Barkilphedro, [+ barré en correction cursive] pensée désagréable qui lui revenait sans cesse, n’aurait vraisemblablement pas d’autre succès que d’entamer chétivement [corrige "un peu"] l’épiderme de Josiane. Que pouvait-il espérer de plus, lui si infime [corrige "petit"] contre elle si radieuse [corrige "grande"] ? [deux mots barrés] Une égratignure, que c’est peu, à qui voudrait toute la pourpre de l’écorchure vive, et les rugissements [corrige "hurlements"] de la femme plus que nue, n’ayant même plus cette chemise, la peau ! Avec de telles envies, que c’est fâcheux d’être impuissant ! Hélas ! rien n’est parfait.
En somme il se résignait. Ne pouvant mieux, il ne rêvait que la moitié de son rêve. Faire une farce noire, c’était là un but après tout.
Celui qui se venge d’un bienfait, quel homme ! Barkilphedro était ce colosse. Ordinairement l’ingratitude est de l’oubli ; [faux départ: "chez lui"] chez ce [ un mot barré, sans doute en correction cursive] privilégié du mal, elle était de la fureur. L’ingrat vulgaire est rempli de cendre. De quoi était plein Barkilphedro ? d’une fournaise. Fournaise [virgule raturée] murée, de haine, de colère, de silence, de rancune, ["+, +": deux mots barrés] attendant pour combustible Josiane. Jamais un homme n’avait à ce point abhorré une femme. Sans raison. Quelle chose terrible ! ["Sans raison...": addition] Elle était son insomnie, [la virgule corrige un point] ["son scénario," barré] sa préoccupation, son ennui, sa rage. [", ["son scénario ," barré] sa préoccupation...": addition]
Peut-être en était-il un peu amoureux.
[blanc au bas de la page]
[f° 223 blanc; f° 224, B9 ]
Trouver l’endroit sensible de Josiane et la frapper là ; telle était, pour toutes les causes [corrige "raisons"] que nous venons de dire, la volonté imperturbable de Barkilphedro.
Vouloir ne suffit pas ; il faut pouvoir. [paragraphe ajouté]
Comment s’y prendre ?
Là était la question. [paragraphe ajouté]
Les chenapans [corrige "mauvais drôles" qui corrige +] vulgaires font [+: correction abandonnée] soigneusement [corrige "d'avance"] le scenario de la coquinerie qu’ils veulent commettre. Ils ne [oublié et ajouté] se sentent pas assez forts pour saisir l’incident au passage, pour en prendre possession de gré ou de force, et pour ["en prendre possession...": troisième rédaction après 1. "fondre sur lui et pour" et 2. "fondre sur lui, pour le faire dévier, et pour"] le contraindre [corrige "forcer"] à les servir. De là des combinaisons préliminaires [corrige "préalables"] que les méchants profonds dédaignent. Les méchants profonds ont pour tout a priori leur méchanceté ; ils ["ont pour tout a priori...": addition] se bornent à s’armer de toutes pièces, préparent plusieurs en-cas variés, et, comme Barkilphedro, épient [corrige "attendent"] tout bonnement l’occasion. Ils savent qu’un plan façonné [corrige "fait"] d’avance court risque de mal s’emboîter dans l’événement qui se présentera. On ne se rend pas comme cela maître du possible et l’on n’en fait point [en sc. sur "pas"] ce qu’on veut. On n’a point de pourparler préalable avec la destinée. [phrase ajoutée] Demain ne nous obéit pas. Le hasard a une certaine indiscipline.
Aussi le guettent-ils pour lui demander sans préambule, ["sans préambule," ajouté] d’autorité [corrige "brusquement"], et sur le champ, sa collaboration. Pas de plan, pas d’épure, ["pas d'épure," ajouté] pas de maquette, pas de soulier tout fait ["tout fait" corrige "fait d'avance"] chaussant mal l’inattendu. Ils plongent à pic dans la noirceur ["à pic dans la noirceur" corrige "dans le mal à pic"]. [phrase ajoutée] La mise à profit immédiate et rapide du fait ["du fait" rétabli après correction en "de l'incident"] quelconque qui peut ["les" barré] aider, c’est là l’habileté [en sc. sur + +] qui distingue le méchant efficace, et qui élève le coquin à la dignité de démon. Brusquer le sort, c’est le génie. [phrase ajoutée]
Le vrai scélérat vous frappe comme une ["tuile vous tombe" barré en correction cursive] fronde, avec le premier caillou venu. [paragraphe ajouté à l'addition qui suit]
Les malfaiteurs capables comptent sur l’imprévu, cet auxiliaire stupéfait de tant de crimes. [paragraphe en addition]
Empoigner l’incident, sauter dessus ; il n’y a pas d’autre Art Poétique pour ce genre de talent.
Et, en attendant, ["sonder le terrain" barré en correction cursive] savoir à qui l’on a affaire. Sonder le terrain. ["Empoigner l'incident...": addition de second niveau à l'addition initiale. Elle entraîne la suppression de la rédaction initiale:
"Sonder le terrain et attendre [variante ou correction: "épier"], tout est là."]
Pour Barkilphedro le terrain était la reine Anne.
[f° 225, C9. Folio intercalé: sa première phrase reprend celle du folio 226. Confirmation s'en trouve dans le fait que la copiste emploie une bande de papier gris collée au folio qui porte la fin du texte précédant celui-ci.]
Barkilphedro approchait la reine.
De si près que, parfois, il s’imaginait entendre les monologues de sa majesté.
Quelquefois, il assistait, point compté, aux conversations des deux sœurs. On ne lui défendait pas le glissement d’un mot. Il en profitait pour s’amoindrir. Façon d’inspirer confiance.
C’est ainsi qu’un jour, à Hampton-Court, dans le jardin, étant derrière la duchesse, qui était derrière la reine, il entendit Anne ["philosopher" barré en correction cursive], se conformant lourdement à la mode, émettre des sentences ["émettre..." corrige "philosopher"].
[une demi-ligne barrée]
— Les bêtes sont heureuses, disait la reine, elles ne risquent pas d’aller en enfer.
— Elles y sont, répondit Josiane.
Cette réponse, qui substituait brusquement la philosophie à la religion, déplut. Si par hasard c’était profond, Anne se sentait choquée.
— Ma chère, dit-elle à Josiane, nous parlons de l’enfer comme deux sottes. Demandons à Barkilphedro ce qu’il en est. Il doit savoir ces choses-là.
— Comme diable ? demanda Josiane.
— Comme bête, répondit Barkilphedro.
Et il salua.
— Madame, dit la reine à Josiane, il a plus d’esprit que nous.
[f° 226, D9. Mise au net.]
["Barkilphedro approchait la reine." paragraphe barré]
Pour un homme comme Barkilphedro, approcher la reine, c’était la tenir. Il pouvait dire : Je l’ai. Maintenant il lui fallait la manière de s’en servir.
Il avait pied en cour. Être posté, c’est superbe. Aucune chance ne pouvait lui échapper. Plus d’une fois il avait fait sourire méchamment la reine. C’était avoir un permis de chasse.
Mais n’y avait-il aucun gibier réservé ? Ce permis de chasse allait-il jusqu’à casser l’aile ou la patte à quelqu’un comme la propre sœur de sa majesté ?
["Et puis que de périls! Manquer ce qu'on vise, par exemple, ne pas abattre le gibier du premier coup, c'est fini, cela vous perd. Les rois n'aiment pas les tireurs maladroits. A la cour, il faut réussir d'emblée, n'y pas s'y reprendre à deux fois, égorger tout le monde, ne faire saigner personne. Qui tue est habile, qui blesse est inepte. ["Cassez tout, mais ne fêlez rien." biffé] Poignardez, mais n'égartignez pas. Les rois vous en veulent si vous fêlez une porcelaine sur leur cheminée ou un courtisan dans leur cortège.": addition] ["Cassez, ["faites disparaître" ajouté] et remplacez; telle est la loi.
Après ce qui a été indiqué [corrige "dit"] plus haut, on + + combien + + + + + + + + conspiration que Barkilphedo faisait + + + + + + que la difficulté + + + + + +" : extension de l'addition, d'une autre écriture.] [L'ensemble des additions est encadré, barré à grands traits et réutilisé dans l'addition très tardive du folio 221.]
Premier point à éclaircir. La reine aimait-elle sa sœur ?
Un faux pas peut tout perdre. Barkilphedro observait.
Avant d’entamer [corrige "de commencer"] la partie, le joueur regarde ses cartes. Quels atouts a-t-il ? Barkilphedro commença par examiner l’âge des deux femmes : ["Anne, quarante" barré en correction cursive] Josiane, vingt-trois ans ; Anne, quarante et un ans. C’était bien. Il avait du jeu.
Le moment où la femme cesse de compter par printemps et commence à compter par hivers, est irritant. Sourde rancune contre le temps ["rancune..." corrige "pointe perpétuelle"], qu’on a en soi. Les jeunes belles épanouies [corrige "fraîches"], parfums pour les autres, sont pour vous épines, et de toutes ces roses vous sentez la piqûre. Il semble que toute cette fraîcheur [corrige "beauté"] vous est [corrige "soit"] prise, et que la beauté ne décroît en vous que parce qu’elle croît [en sc. sur +] chez les autres.
Exploiter cette mauvaise humeur secrète, [faux départ: "cela était indiqué à Barkilphedro"] creuser la ride d’une femme de quarante ans qui est reine, cela était indiqué à Barkilphedro.
L’envie excelle à exciter la jalousie comme le rat à faire sortir le crocodile.
Barkilphedro attachait sur Anne son regard magistral. ["Avant d'entamer...": addition]
Il voyait dans la reine comme on voit dans une stagnation. Le marécage a sa transparence. Dans une eau sale on voit des vices ; dans une eau trouble on voit des inepties. Anne n’était qu’une eau trouble.
Des embryons de sentiments et des larves d’idées se mouvaient dans cette cervelle épaisse [corrige "opaque"].
C’était peu distinct. Cela avait à peine des contours. C’étaient des réalités pourtant, mais informes. La reine pensait ceci. La reine désirait cela. Préciser quoi était difficile. Les transformations confuses [un mot barré sans doute en correction cursive] qui s’opèrent dans l’eau croupissante sont malaisées à étudier.
La reine, habituellement obscure, avait par instants des échappées bêtes et brusques. C’était là ce qu’il fallait saisir. Il fallait la prendre sur le fait.
Qu’est-ce que la reine Anne, dans son for intérieur, voulait à la duchesse Josiane ? Du bien, ou du mal ?
Problème. Barkilphedro se le posa.
Ce problème résolu, on pourrait aller plus loin.
Divers hasards servirent Barkilphedro. Et surtout sa ténacité au guet.
[f° 227, (E9: numérotation invisible mais sans doute masquée par le collage). Mise au net]
["La reine" barré] Anne était, du côté de son ["p(ère)?, barré en correction cursive] mari, un peu parente de la nouvelle reine de Prusse, femme du roi aux cent chambellans, de laquelle elle avait un portrait peint sur émail d’après le procédé de Turquet de Mayerne. Cette reine de Prusse ["de Prusse": ajouté] avait, elle aussi, une sœur cadette illégitime, la baronne Drika.
Un jour, Barkilphedro présent, Anne fit à l’ambassadeur de Prusse des questions sur cette Drika.
— On la dit riche ?
— Très riche, répondit l’ambassadeur.
— Elle a des palais ?
— Plus magnifiques que ceux de la reine sa sœur.
— Qui doit-elle épouser ?
— Un très grand seigneur, le comte Gormo.
— Joli ?
— Charmant.
— Elle est jeune ?
— Toute jeune.
— Aussi belle que la reine ?
L’ambassadeur baissa la voix et répondit :
— Plus belle.
— Ce qui est insolent, murmura Barkilphedro.
La reine eut un silence, puis s’écria :
— Ces bâtardes !
["Ce pluriel était significatif [corrigé "expressif"]. Barkilphedo le nota." barré en correction cursive]
Barkilphedro nota ce pluriel.
Une autre fois, à une sortie de chapelle où Barkilphedro se tenait assez près de la reine derrière les deux grooms de l’aumônerie, lord David Dirry-Moir traversant des rangées de femmes, fit sensation par sa bonne mine. Sur [en sc. sur "On"] [f° 228, F9. Mise au net.] ["entendait sur" barré] son passage éclatait [ajouté] un brouhaha d’exclamations féminines : — Qu’il est élégant ! — Qu’il est galant ! — Qu’il a grand air ! — Qu’il est beau ! —
["La reine entendait, et grommela:" barré en correction cursive]
— Comme c’est désagréable ! grommela la reine.
Barkilphedro entendit.
Il était fixé.
On pouvait nuire à la duchesse sans déplaire à la reine.
Le premier problème était résolu.
Maintenant le deuxième se présentait.
Comment faire pour nuire à la duchesse ?
Quelle ressource pouvait, pour un but si ardu, lui offrir son misérable emploi ?
Aucune, évidemment.
[tout le bas du folio blanc]
[f° 229, G9. Le texte de ce folio consacré au "tour" et qui prépare le chapitre II, 7, 4, est transcrit par la copiste sur une feuille du papier gris employé pour les ajouts tardifs. On peut en conclure, sans grand risque d'erreur, que le folio a été intercalé.]
Indiquons [corrige "Notons"; de même à la copie] un détail : Josiane « avait le tour. »
On le comprendra en réfléchissant qu’elle était, quoique du petit côté, sœur de la reine, c’est-à-dire personne princière [", quoique du petit...." corrige, en plusieurs temps, "+ + + + + soeur de sa majesté"; "soeur de la reine" a d'abord été placé avant "quoique du petit côté" et VH le déplace à la copie en même temps qu'au ms].
Avoir le tour. Qu’est cela ?
Le vicomte [corrige "comte"; de même à la copie] de Saint John — prononcez [en sc. sur "soit"] Bolingbroke — écrivait à Thomas Lennard, comte de Sussex : « Deux choses font qu’on est grand. En Angleterre avoir le tour ; en France avoir le pour. »
Le pour, en France, c’était ceci : Quand le roi était en voyage, le fourrier de la cour, le soir venu, au débotté ["au débotté" corrige "lorsqu'on arrivait"] à l’étape, [faux départ: "marquait les logements des grands seigneurs de la suite. Il prenait une craie, et écrivait sur une porte"] assignait leur logement aux personnes suivant sa majesté. Parmi ces seigneurs, quelques-uns avaient un privilége immense . « Ils ont [en sc. sur + (peut-être le même mot)] le pour, dit le Journal Historique de l’année 1694, page 6, c’est à dire que le fourrier qui marque les logis met Pour avant leur nom, comme : Pour M. le prince de Soubise, au lieu que quand il marque le logis d’une personne qui n’est point prince, il ne met point de Pour, mais simplement son nom, par exemple : le Duc de Gesvres, le duc de Mazarin, etc. » Ce Pour sur une porte indiquait un prince, ou un favori. Favori, c’est pire que prince. Le roi accordait le pour comme le cordon bleu ou la pairie ["le cordon bleu..." corrige cursivement "une décoration"].
« Avoir le tour » en Angleterre était moins vaniteux et plus réel. C’était un signe de véritable approche de la personne régnante [corrige "royale"]. Quiconque était, par naissance ou faveur, en posture de recevoir des communications ["intimes et" barré] directes de sa majesté, avait dans ["sa chambre de lit" barré en correction cursive] le mur de sa chambre de lit un tour où était ajusté un timbre. Le timbre sonnait, le tour s’ouvrait, une lettre [correction à la copie : "missive"] royale apparaissait sur une assiette d’or ou sur un coussin de velours, puis le tour se refermait. C’était intime [correction immédiate de "familier"] et solennel. Le mystérieux dans le familier. Le tour ne servait à aucun autre usage. Sa sonnerie annonçait un message royal. ["Le tour ne servait...": addition] On ne voyait pas qui l’apportait [corrige "apportait la lettre"]. C’était du reste tout simplement un page de la reine ou du roi. Leicester [corrige cursivement "Essex, sous Eli"] avait le tour sous Élisabeth, et Buckingham sous Jacques Ier. Josiane l’avait sous Anne, quoique peu favorite. Qui avait le tour était comme quelqu’un qui serait en relation directe avec la petite poste du ["la petite poste du" corrige "le"; de même à la copie] ciel, et chez qui Dieu enverrait de temps en temps son facteur porter une lettre [", et chez qui Dieu..." addition de second niveau]. Pas d’exception plus enviée. Ce privilège entraînait plus de servilité. On en était un peu plus valet. A la cour, ce qui élève abaisse. ["Qui avait le tour...": addition] « Avoir le tour », cela se disait en français ; ce détail d’étiquette anglaise ["ce détail..." corrige "ce privilège anglais"] étant probablement une ancienne platitude [corrige "courtisanerie"] française. ["et chez qui Dieu enverrait...": autographe à la copie]
[f° 230, H9. Trait d'interruption. Grand blanc au haut de la page.]
Lady Josiane, vierge pairesse comme Élisabeth avait été vierge reine, [", vierge pairesse..." ajouté] menait, tantôt à la ville, tantôt à la campagne, selon la saison, une existence quasi princière, et tenait à peu près une cour dont lord David était courtisan, avec plusieurs [corrige "d'autres"] [", avec plusieurs.": ajouté; le point se substitue au point-virgule initial]. N’étant pas encore mariés, lord David et lady Josiane ["lord David..." corrige "ils"] pouvaient sans ridicule se montrer ensemble en public, ce qu’ils faisaient volontiers. Ils allaient souvent aux spectacles et aux courses dans le [en sc. cursive sur "la"] même carrosse et dans la même tribune. Le mariage, qui leur était permis et même imposé [corrige "commandé"], les refroidissait ; mais en somme leur attrait était de se voir. Les privautés permises aux « engaged » ont une frontière aisée à franchir. [" Comme ce qui est facile est de mauvais goût, ils" barré] Ils s’en abstenaient, ce qui est facile étant de mauvais goût [", ce qui est facile...": ajouté].
[Trait d'interruption.]
[La première ligne du paragraphe est écrite en surchage de plusieurs mots au crayon; on distingue, par deux fois, "boxes".] Les plus belles boxes d’alors avaient lieu [correction abandonnée: "se faisaient"] à Lambeth, paroisse [corrige "faubourg" qui corrige "bourg"] où le lord archevêque de Cantorbery a un palais, quoique l’air y soit malsain, et une riche bibliothèque ouverte à de certaines heures aux honnêtes gens. Une fois, c’était en hiver [corrige "été"], il y eut là, dans une prairie fermée à clef, un assaut de deux hommes auquel assista Josiane, menée par David. Elle avait demandé : Est-ce que les femmes sont admises ? et David avait répondu : sunt fæminæ magnates. Traduction libre : Pas les bourgeoises. Traduction littérale : Les grandes dames existent. Une duchesse entre partout. C’est pourquoi ["Une duchesse..." corrige "En vertu de cette +,"] lady Josiane vit la boxe [rétabli après correction en "le match"].
Lady Josiane fit seulement la concession de se vêtir en cavalier, chose fort usitée alors. Les femmes ne voyageaient guère autrement. Sur six personnes que contenait le coche de Windsor, il était rare qu’il n’y eût point une ou deux femmes habillées en hommes. C’était signe de gentry.
Lord David, étant en compagnie d’une femme, ne pouvait figurer dans le match, et devait rester simple assistant. ["Lady Josiane fit seulement...": addition]
Lady Josiane ne trahissait sa qualité que par ceci, qu’elle regardait à travers une lorgnette, ce qui était [corrige "est"] acte de gentilhomme. [paragraphe ajouté à l'addition qui précède; addition autographe à la copie]
La « noble rencontre » était présidée par lord Germaine, arrière grand-père ou grand oncle de ce lord Germaine qui, vers la fin du dix-huitième siècle, fut colonel, lâcha pied ["lâcha pied" corrige "ne tint pas très ferme" qui corrige "prit la fuite"] dans une bataille, puis fut ministre de la guerre, et n’échappa aux biscayens de l’ennemi que pour tomber sous les sarcasmes de Sheridan, mitraille pire. Force gentilshommes pariaient : Harry Bellew de Carleton, ayant des prétentions à la pairie éteinte de Bella-Aqua ["Bellew..." corrige "Barnard, des Vicomtes + + + sont les ducs de Cleveland"; de même à la copie], contre Henry, lord Hyde, membre du parlement pour le bourg de Dunhivid, qu’on appelle aussi Launceston ; l’honorable Peregrine Bertie, membre pour le bourg de Truro, contre sir Thomas Colepepyr [corrigé "Colepeper" à la copie], membre pour Maidstone ; le laird de Lamyrbau, qui est de la marche de Lothian, ["membre pour le bourg de Truro..." augmente et corrige "du bourg de Truro,"] contre Samuel Trefusis, du bourg de Penryn ; sir Bartholomew Gracedieu, du bourg St Yves, contre le très honorable Charles Bodville, qui s’appelle ["qui s'appelle" ajouté; de même de la main de la copiste] lord Robartes, et qui est ["et qui est" ajouté; de même de la main de la copiste] custos Rotulorum du comté de Cornouailles. D’autres encore.
Les deux boxeurs étaient un irlandais de Tipperary
[en sc. sur "Timmerary"(?)] nommé du nom de sa montagne natale
Phelem-ghe-madone, et un écossais appelé Helmsgail [en
sc. sur "Helmsdail"]. ["Les deux
boxeurs...": addition. On imagine mal, cette addition donnant les noms
des boxeurs et leur nation, que ce folio ne soit pas la mise au net
d'une rédaction antérieure dont VH a manqué un paragraphe.]
Cela mettait deux orgueils nationaux en présence. [corrige "Deux ogueils nationaux étaient en présence." L'ajout de "Cela mettait" sur la ligne initiale a effacé le retrait d'alinéa et la copie s'y est conformée.] Irlande et Ecosse allaient se cogner ; Erin allait donner des coups de poing à Gajothel. [f° 231, I9. Trait d'interruption.] Aussi les ["enjeux" barré en correction cursive] paris dépassaient quarante [corrige "cinquante"] mille guinées [en sc. sur "livres sterlings"], sans compter les jeux fermes.
Les deux champions étaient nus avec une culotte très courte bouclée aux hanches, et des brodequins à semelles cloutées, lacés aux chevilles.
Helmsgail [en sc. sur "Helmsdail"], l’écossais, était un petit d’à peine ["était un petit..." corrige "n'avait que"] dix-neuf [en sc. sur "huit"] ans, mais il avait déjà ["trois dents de moins [correction: "la mâchoire ébréchée"] et", le tout barré, mais la mâchoire et les trois dents sont réutilisées] le front recousu ; c’est pourquoi on tenait pour lui deux et un tiers. Le mois précédent il avait enfoncé une côte et crevé les deux yeux au boxeur Sixmileswater ; ["de là + +" barré en correction cursive] ce qui expliquait l’enthousiasme. Il y avait eu pour ses parieurs ["pour ses parieurs" ajouté] gain de douze mille livres sterling. Outre son front recousu, Helmsdail [correction oubliée] avait la mâchoire ébréchée. [faux départ: "Rien n'avait été p"] Il était leste et alerte. [phrase ajoutée; ajouté aussi par la copiste] Il était haut comme une femme petite, ramassé, trapu, d’une stature basse et menaçante, ["d'une stature..." ajouté] et ["de la" barré en correction cursive] rien n’avait été perdu de la pâte dont il avait été fait ; pas un muscle qui n’allât au but, le pugilat [en sc. sur "le coup de poing"]. [addition barrée et déplacée: "Il était très leste."] Il y avait de la concision dans son torse ferme, luisant [corrige "féroce"] et brun comme l’airain. Il souriait, et trois dents [corrige "les dents" qui corrige "les trois dents"] qu’il avait de moins s’ajoutaient à son sourire. [addition barrée et déplacée: "De plus, très leste."; barré à la copie]
Son adversaire était énorme, c’est à dire faible. ["Son adversaire...": addition correctrice de "Le faible, c'était le grand."]
C’était un homme de quarante ans. Il avait six pieds de haut, un poitrail d’hippopotame, et [ajouté] l’air doux [en sc. sur "hagard"(?)]. Son coup de poing fendait le pont d’un navire, mais il ne savait pas le donner. ["C'était un homme...": addition] L’irlandais Phelem-ghe-madone était surtout une surface et semblait être dans les boxes ["dans les boxes" corrige "là"] plutôt pour recevoir que pour rendre. Seulement on sentait qu’il durerait longtemps. [virgule corrigée en point, ou l'inverse] Espèce de rostbeef pas assez cuit, difficile à mordre et impossible à manger. Il était ce qu’on appelle en argot local, de la viande crue, raw flesh. Il louchait. Il semblait résigné. ["Il louchait...": écriture différente et addition très probable]
Ces deux hommes avaient passé la nuit précédente côte à côte dans le même lit, et dormi ensemble. Ils avaient bu dans le même verre chacun trois doigts de vin de Porto.
[Trait d'interruption.]
[Les deux premières lignes du paragraphe sont écrites en surcharge de notations au crayon.] Ils avaient l’un et l’autre leur [corrige "Chacun avait son"] groupe de souteneurs, gens de rude mine, menaçant au besoin les arbitres. Dans ["celui" barré en correction cursive] le groupe pour Helmsgail [première occurence, en rédaction initiale, du nom définitif] , on remarquait John Gromane ["John..." en sc. sur + +], fameux pour porter un bœuf sur son dos, et un nommé John Bray qui un jour avait pris sur ses épaules ["la charge de six charrues" augmenté ou corrigé par + + + +, le tout barré sans doute en correction cursive] dix boisseaux de farine, à quinze gallons par boisseau, plus le meunier, et avait marché avec cette charge plus de deux cents pas loin. Du côté de Phelem-ghe-madone, lord Hyde avait amené de Launceston un certain Kilter, lequel demeurait au Château Vert, et lançait par dessus son [corrige "l'"] épaule une pierre de vingt livres plus haut que ["plus haut que" corrige "au delà de"] la plus haute tour du château. Ces trois hommes, Kilter, Bray et Gromane [en sc. sur +], étaient de Cornouailles, ce qui honore le comté.
[changement d'écriture] D’autres souteneurs étaient des garnements brutes, [f° 232, J9] au râble solide, aux jambes arquées, aux grosses pattes noueuses, à la face ["la face" en sc. sur "l'air"] inepte, en haillons, et ne craignant rien, étant presque tous repris de justice.
[marque ajoutée d'alinéa à faire] Beaucoup s’entendaient admirablement à griser les gens de police. Chaque profession doit avoir ses talents.
Le pré choisi était plus loin que le Jardin des Ours, où l’on faisait autrefois ["faisait autrefois" corrige "fait"] battre les ours, les taureaux et les dogues [Les Délices, t. 4, p. 850], au delà des dernières bâtisses en construction, à côté de la masure du [un mot barré en correction cursive] prieuré de Ste Marie Over Ry, ruiné par Henri VIII. Vent du nord et givre ["Vent..." corrige "Givre et neige"] était le temps ["Vent..." corrige "Il faisait dix degrés froid"; même correction de la main de la copiste]. Une pluie fine tombait, vite figée en verglas ["vite figée...": addition; même ajout de la main de la copiste]. On reconnaissait dans ["l'assistance ceux", barré en correction cursive] les gentlemen présents ceux qui étaient pères de famille, parce qu’ils avaient ouvert leurs parapluies.
Du côté de Phelem-ghe-madone colonel Moncreif, arbitre, et Kilter, pour tenir le genou.
Du côté de Helmsgail, l’honorable Pughe Beaumaris, arbitre, et lord Desertum, [un mot barré en correction cursive] qui est de Kilcarry, pour tenir le genou.
Les deux boxeurs furent quelques instants immobiles dans l’enceinte pendant qu’on réglait les montres. Puis ils marchèrent [corrige "allèrent"] l’un à l’autre et se donnèrent la main.
Phelem-ghe-madone dit à Helmsgail : — J’aimerais m’en aller chez moi.
Helmsgail répondit avec honnêteté [en sc. sur "douceur"] : — ["Moi aussi mais" barré] Il faut que la gentry se soit dérangée pour quelque chose.
Nus comme ils étaient, ils avaient froid. Phelem-ghe-madone tremblait. Ses mâchoires [corrige "dents"] claquaient.
Docteur Eleanor Sharp, neveu de l’archevêque d’York, leur cria : Tapez-vous, mes drôles. Ça vous réchauffera.
Cette parole d’aménité ["d'aménité" corrige "de bonne humeur"] les dégela. [paragraphe ajouté]
Ils s’attaquèrent.
Mais ni l’un ni l’autre n’étaient en colère. On compta trois reprises molles. Révérend [variante sans choix: "Docteur"; à la copie, un filet en fait une addition] Gumdraith, un des quarante [correction cursive de "sept"] associés d’All Soules College(1), [(1)Collège de Toutes-les-Ames.] cria : Qu’on leur entonne du gin.
Mais les deux referees et les deux parrains, juges tous quatre, maintinrent la règle. Il faisait pourtant bien froid.
On entendit le cri : first blood ! le premier sang était réclamé. On les replaça bien [ajout cursif] en face l’un de l’autre.
Ils se regardèrent, s’approchèrent, allongèrent les bras, se touchèrent les poings, puis reculèrent. Tout à coup, Helmsgail, le petit homme, bondit.
Le vrai combat commença.
Phelem-ghe-madone fut frappé en plein front entre les deux sourcils. Tout son visage ruissela de sang. La foule cria : Helmsgail a fait couler le bordeaux(1) ! [(1)Helmsgail has tapped his claret.] On applaudit. Phelem-ghe-madone, tournant ses bras comme un moulin ses ailes, se mit à démener ses deux poings au hasard.
L’honorable Peregrine Bertie dit : — Aveuglé. Mais pas encore aveugle.
[f° 233, K9. Trait d'interruption.]
Alors Helmsgail [remplace "on"] entendit de toutes parts éclater cet encouragement : — bung his peepers(1) ! [(1)Crève-lui les quinquets.]
[marque ajoutée d'alinéa à faire en raison de l'ajout de "En somme," dans l'espace du retrait d'alinéa] En somme, les deux champions étaient vraiment bien choisis, et, quoique le temps fût peu favorable, on comprit que le match réussirait ["le match..." corrige "cela réussirait"]. Le quasi-géant Phelem-ghe-madone avait les inconvénients de ses avantages ; il se mouvait pesamment. Son bras était massue, mais son corps était masse. Le petit courait, frappait, sautait, grinçait, doublait la vigueur par la vitesse, savait les ruses. D’un côté le coup de poing primitif, sauvage, inculte, à l’état d’ignorance [corrige "de nature"] ; de l’autre le coup de poing de la civilisation. Helmsgail combattait autant avec ses nerfs qu’avec ses muscles et avec sa méchanceté qu’avec sa force ; Phelem-ghe-madone était une ["sorte"(?) barré en correction cursive] espèce d’assommeur inerte, un peu assommé au préalable. C’était l’art contre la nature. C’était le féroce contre le barbare.
Il était clair que le barbare serait battu [corrige "vaincu"]. Mais pas très [ajouté] vite. De là l’intérêt.
Un petit contre un grand. La chance est pour le petit. Un chat a raison
d’un dogue. Les Goliath sont toujours vaincus [en
sc. sur +] par les David. [paragraphe
en addition]
Une grêle d’apostrophes tombait sur les combattants :
— Bravo, Helmsgail ! good ! well done, highlander ! — Now, Phelem(2) ! [(2)Bravo, Helmsgail ! bon ! c’est bien, montagnard ! — A ton tour Phelem !]
Et les amis de Helmsgail lui répétaient avec bienveillance l’exhortation : — Crève-lui les quinquets !
Helmsgail fit mieux. Brusquement baissé et redressé avec une ondulation de reptile, il frappa Phelem-ghe-madone [corrige "l'irlandais"] au sternum ["au sternum" corrige "au nombril", qui est réservé pour la suite]. Le colosse chancela.
— [faux départ: "Le vi"] Mauvais coup ! cria le vicomte Barnard.
Phelem-ghe-madone s’affaissa [corrige "tomba"] sur le genou de Kilter en disant : — Je commence à me réchauffer.
Lord Desertum consulta les referees, et dit : — Il y aura cinq minutes de rond(3). [(3)Suspension.] [La note est ajoutée de la main de VH à la copie.] [paragraphe ajouté, de la même plume, à l'addition qui suit]
Phelem-ghe-madone défaillait. Kilter lui essuya le sang des yeux et la sueur du corps avec une flanelle et lui ["On était à la onzième passe." barré en correction cursive: VH a commencé l'addition par cette phrase, s'est immédiatement ravisé et a refait le début de l'addition - "Phelem-ghe-madone défaillait..."- en partant quelques lignes plus haut.] mit [faux départ: "une gourde dans"] un goulot dans la bouche. On était à la onzième passe. Phelem-ghe-madone, outre sa plaie au front, avait [deux mots de correction ou d'addition barrés] les pectoraux déformés de coups, le ventre tuméfié et le sinciput meurtri. Helmsgail n’avait rien.
Un certain tumulte éclatait ["Un certain..." corrige: "Il y avait tumulte"] parmi les gentlemen. ["Phelem-ghe-madone défaillait. ...": addition; elle se substitue à
"— Mauvais coup! répéta la foule."]
Lord Barnard [corrige vraisemblablement un autre nom] répétait [en sc. sur "répéta"] : — Mauvais coup.
— Pari nul [en sc. sur le pluriel], dit le laird de Lamyrbau.
— Je réclame mon enjeu, reprit sir Thomas Colepepyr.
Et l’honorable membre pour le bourg St Yves, sir Bartholomew Gracedieu, ajouta :
— Qu’on me rende mes cinq cents guinées, je m’en vais.
— Cessez le match, cria l’assistance.
Mais Phelem-ghe-madone se leva, presque aussi branlant qu’un homme ivre, et dit :
— Continuons le match, à une condition. J’aurai aussi moi le droit de donner un mauvais coup.
On cria de toutes parts : — Accordé.
[Trait d'interruption. Au-dessous, au crayon: "Le match continue - chancery"]
[f° 234, L9. Mise au net.]
Helmsgail haussa les épaules. [paragraphe vraisemblablement ajouté]
Les cinq minutes passées, la reprise se fit.
Le combat, qui était une agonie pour Phelem-ghe-madone, était un jeu pour Helmsgail.
Ce que c’est que la science ! le petit homme trouva moyen de mettre le grand en chancery, c’est à dire que tout à coup Helmsgail prit sous son bras gauche courbé comme un croissant d’acier la grosse tête de Phelem-ghe-madone, et le tint là sous son aisselle, cou ployé et nuque basse, pendant que de son poing droit, tombant et retombant comme un marteau sur un clou, mais de bas en haut et en dessous, il lui écrasait à l’aise la face. Quand Phelem-ghe-madone, enfin lâché, releva la tête, il n’avait plus de visage.
Ce qui avait été un nez, des yeux et une bouche, n’était plus qu’une apparence d’éponge noire trempée dans le sang. Il cracha. On vit à terre quatre dents.
Puis il tomba. Kilter le reçut sur son genou.
Helmsgail était à peine touché. Il avait quelques bleus insignifiants et une égratignure à une clavicule.
Personne n’avait plus froid. On faisait seize et un quart pour Helmsgail contre Phelem-ghe-madone.
Harry de Carleton cria :
— Il n’y a plus de Phelem-ghe-madone. Je parie pour Helmsgail ma pairie de Bella-Aqua et mon titre de lord Bellew contre une vieille perruque de l’archevêque de Cantorbery. ["Harry...": addition; elle n'est pas placée par un filet et est absente de la copie]
— Donne ton mufle, dit Kilter à Phelem-ghe-madone, et, fourrant sa flanelle sanglante dans la bouteille, il le débarbouilla avec du gin. On revit la bouche, et Phelem-ghe-madone ouvrit une paupière [corrige "un oeil"]. Les tempes semblaient fêlées. — Encore une reprise, ami, dit Kilter. Et il ajouta : — Pour l’honneur de la basse ville.
Les gallois et les irlandais s’entendent . Pourtant Phelem-ghe-madone ne fit aucun signe pouvant [corrige "qui pût"] indiquer qu’il avait encore quelque chose dans l’esprit.
Phelem-ghe-madone se releva, Kilter le soutenant. C’était la vingt-cinquième reprise. A la manière dont ce cyclope, car il n’avait plus qu’un œil, se remit en ["garde" barré en correction cursive] posture, on comprit que c’était la fin, et personne ne douta qu’il ne fût perdu. Il posa sa garde au dessus du menton, gaucherie de moribond. Helmsgail, à peine en sueur, cria : Je parie pour [en sc. cursive sur "mille"] [f° 235, M9. Mise au net. Trait d'interruption.] moi. Mille contre un.
Helmsgail, levant le bras, frappa, et ce fut étrange, tous deux tombèrent. On entendit un grognement gai [+ correction abandonnée] ["grognement gai": en sc. sur "éclat de rire"].
C’était Phelem-ghe-madone qui était content ["était content" corrige "ricannait" lui même corrigé en "riait" ; corrections faites à la copie de la main de la copiste].
Il avait profité du coup terrible ["que le" barré en correction cursive] qu’Helmsgail lui avait donné sur le crâne [en sc. sur "front"] pour lui en donner un, mauvais, au nombril.
Helmsgail, gisant, râlait.
L’assistance regarda Helmsgail à terre et dit : — Remboursé.
Tout le monde battit des mains, même les perdants.
Phelem-ghe-madone avait rendu mauvais coup pour mauvais coup, et agi dans son droit. [paragraphe ajouté]
On emporta Helmsgail sur une civière. L’opinion était qu’il n’en reviendrait point. Lord Robartes disait [variante sans choix: "s’écria" préférée à la copie] : Je gagne douze cents guinées. Phelem-ghe-madone demeurait [variante sans choix: "était" préférée à la copie] évidemment estropié pour la vie.
En sortant, Josiane prit le bras de lord David, ce qui est toléré [corrige +] ["ce qui est toléré" corrige "comme on en a le droit"] entre « engaged ». Elle lui dit :
— C’est très beau. Mais…
— Mais quoi ?
— J’aurais cru que cela m’ôterait mon ennui [en sc. sur "spleen"]. Eh bien non.
Lord David s’arrêta, regarda Josiane, ferma la bouche et enfla les joues en secouant la tête, ce qui signifie : attention ! et dit à la duchesse :
— Pour l’ennui [en sc. sur "le spleen"] il n’y a qu’un remède.
— Lequel ?
— Gwynplaine.
La duchesse demanda :
— Qu’est-ce que c’est que Gwynplaine ?
[Trait d'interruption. Bas de la page blanc.]
[f° 236, papier blanc.]
2° partie
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[f° 237, N9. Au coin supérieur droit, la date: "20 mai 1867".]
La nature avait été prodigue de ses bienfaits envers Gwynplaine. Elle lui avait donné une bouche s’ouvrant jusqu’aux oreilles, des oreilles se repliant jusque sur les yeux, un nez informe fait pour l’oscillation des lunettes de grimacier, et un visage [en sc. sur "une face"] qu’on ne pouvait regarder sans rire.
Nous venons de le dire: la nature avait comblé Gwynplaine de ses dons. Mais était-ce la nature ?
Ne l’avait-on pas aidée ?
Deux yeux pareils à des jours de souffrance ["pareils à..." corrige "sanglants"; de même à la copie de la main de la copiste], un hiatus pour bouche, ["une protubérance sur cet hiatus" barré en correction cursive] une protubérance ["osseuse et" barré] camuse avec deux trous qui étaient les narines, pour face un écrasement, et tout cela ayant pour résultante le rire [correction VH à la copie: "la joie"], il est certain que la nature ne produit pas toute seule de tels chefs-d’œuvre.
Seulement, le rire est-il synonyme de la joie ? [paragraphe ajouté à l'addition qui suit; addition autographe à la copie]
Si, en présence de ce bateleur, — car c’était un bateleur, — on laissait se dissiper la première impression de gaîté, et si l’on observait cet homme avec attention, on y reconnaissait la trace de l’art. ["Si, en présence...": addition. Elle enregistre les corrections et finalement la réfection d'une rédaction initiale dont on distingue: " + + + le premier effet de + + + + + cette figure avec attention, y reconnaissait la trace de l'art. + + + +."] Un pareil visage n’est pas fortuit, mais voulu. Être à ce point parfait [variante sans choix: "complet" préférée à la copie] n’est pas dans la nature. L’homme ne peut rien sur sa beauté, mais peut tout sur sa laideur. ["Selon toute apparence d'industrieux [variante à la suite: "d'habiles"] manieurs d'enfants avaient travaillé à cette figure.": ces lignes, antérieures à l'addition qui suit, lui ont été amalgamées d' abord en position initiale, puis finale.] D’un profil hottentot vous ne ferez pas un profil romain, mais d’un nez grec vous pouvez faire un nez kalmouck. Il suffit d’oblitérer la racine du nez et d’épater les narines. Le bas latin du moyen âge n’a pas créé pour rien le verbe denasare. Gwynplaine enfant avait-il été assez digne d’attention pour qu’on s’occupât de lui au point de modifier son visage ? Pourquoi pas ? ne fût-ce que dans un but d’exhibition et de spéculation? Selon toute apparence d’industrieux manieurs d’enfants avaient travaillé à cette figure. ["D'un profil hottentot...": addition] Il semblait évident qu’une science ingénieuse [en sc. sur "mystérieuse"], probablement occulte, ["probablement...": ajouté] qui était à la chirurgie ce que l’alchimie est à la chimie, avait ciselé cette chair, à coup sûr dans le très bas âge, et créé, avec préméditation, ce visage ["avait ciselé....": une série d'additions et de corrections aboutit à cette cinquième rédaction depuis le texte initial: 1. "avait modelé ce visage" 2."avait créé, avec préméditation, ce visage" 3."avait ciselé Gwynplaine enfant, et créé, avec préméditation, ce visage" 4."avait ciselé cette chair pour la foire(??) dans le très bas âge, et créé, avec préméditation, ce visage"]. Cette science, habile aux sections, aux obtusions, ["aux obtusions," ajouté] et aux ligatures, avait fendu la bouche, débridé les lèvres, dénudé les gencives, ["débridé...": ajouté; même ajout par la copiste] distendu les oreilles, décloisonné les cartilages, désordonné les sourcils et les joues, ["désordonné...": ajouté] élargi [corrige + barré en correction cursive, corrigé en "travaillé", corrigé en "modifié"] le muscle zygomatique, estompé les coutures et les cicatrices, ramené la peau sur les lésions tout en maintenant la face à l’état béant, et de cette sculpture puissante [en sc. sur +] et profonde ["puissante et profonde" corrrige +] était sorti ce masque: Gwynplaine.
On ne naît pas ainsi.
Quoi qu’il en fût, Gwynplaine était admirablement [placé entre barres verticales ensuite raturées] réussi. Gwynplaine était un don fait par la providence à la tristesse des hommes [corrige "humaine" qui corrige "de l'homme"]. Par quelle providence ? Y a-t-il une providence [f° 238, O9. Trait d'interruption.] Démon comme il y a une providence Dieu ? [corrige virgule] nous posons la question sans la résoudre.
Gwynplaine était saltimbanque [corrige "bateleur"]. Il se faisait voir en public. Pas d’effet [corrige "de + plus"] comparable au sien. Il guérissait les hypocondries [corrige "mélancolies"] rien qu’en se montrant. Il était à éviter pour des gens en deuil, confus et forcés, s’ils l’apercevaient, de rire indécemment. Un jour le bourreau vint, et Gwynplaine le fit rire. [phrase ajoutée] On voyait Gwynplaine [corrige "On le voyait"], on se tenait les côtes ; il parlait, on se roulait à terre. Il était le pôle opposé du chagrin [variante abandonnée: "de la tristesse"]. Spleen était à un bout, et Gwynplaine à l’autre.
Aussi était-il parvenu rapidement, dans les champs de foire et dans les carrefours, à une fort satisfaisante renommée d’homme horrible. [paragraphe ajouté]
C’est en riant que Gwynplaine faisait rire. Et pourtant il ne riait pas. Sa face riait, sa pensée non. L’espèce de visage [corrige "masque"] inouï que le hasard [corrige "la nature"] , ou une ["étrange" barré] industrie bizarrement spéciale ["bizarrement..." ajouté] , lui avait façonné [corrige "fait"], riait tout seul. Gwynplaine ne s’en mêlait pas. Le dehors ne dépendait pas du dedans. [phrase ajoutée] [faux départ: "Il ne pouvait ni empêcher ce rire,"] Ce rire qu’il n’avait point mis sur son front, sur ses joues, sur ses sourcils, sur sa bouche ["son front...": addition correctrice de "sa face"], il ne pouvait l’en ôter. On lui avait à jamais appliqué le rire sur le visage. [phrase ajoutée] C’était un rire automatique, et d’autant plus irrésistible qu’il était pétrifié. Personne ne se dérobait [corrige "résistait"] à ce rictus ["communicatif" barré et remplacé par la phrase qui suit; de même par la copiste]. Deux convulsions de la bouche sont communicatives, le rire et le bâillement. [phrase ajoutée; ajoutée de la main de la copiste] Par la vertu de la mystérieuse opération probablement subie par Gwynplaine enfant, toutes les parties ["toutes..." en sc. sur "tous les +"] de son visage contribuaient à ce rictus, toute sa physionomie y aboutissait ["toute sa physionomie..." corrige: "toutes ses rides et toutes ses convulsions y aboutissaient"], comme une roue se concentre sur le moyeu ["comme une roue...": addition; elle est d'abord placée après "contribuaient à ce rictus"; déplacement de la main de VH à la copie] ; toutes ses émotions, quelles qu’elles fussent, ["l' " barré] augmentaient cette étrange figure de joie ["cette étrange...": ajouté], disons mieux, l’aggravaient. [corrige virgule] Un étonnement [en sc. cursive sur "Une surp"] qu’il aurait eu, une souffrance [en sc. sur "douleur"] qu’il aurait ressentie [corrige "eue"], une colère qui lui serait survenue, une pitié qu’il aurait éprouvée, ["une pitié..." ajouté] n’eussent fait qu’accroître cette hilarité des muscles ; s’il eût pleuré, il eût ri ; ["s'il eût pleuré..." ajouté] ["Un étonnement...": addition] et, quoi que fît Gwynplaine, quoi qu’il voulût, quoi qu’il pensât, dès qu’il levait la tête, la foule, si la foule était là, avait devant les yeux cette apparition : l’éclat de rire foudroyant.
[Trait d'interruption.]
Qu’on se figure une tête de Méduse, gaie.
[paragraphe ajouté]
[Ce paragraphe et le début du suivant sont écrits au-dessus de notations préparatoires au crayon; on distingue, au début: "C'était le bouffon arrivant au"] Tout ce qu’on avait dans l’esprit était mis en déroute par cet inattendu, et il fallait rire.
L’art antique appliquait jadis ["L'art..." corrige "On voyait jadis"] au fronton des théâtres de la Grèce une face d’airain, joyeuse [", joyeuse" corrige "ricanante"]. Cette face ["éta" barré en correction cursive] s’appelait la Comédie. Ce bronze semblait rire et faisait rire, et était pensif. Toute la parodie, qui aboutit à la démence, toute l’ironie, qui aboutit à la sagesse, se condensaient et s’amalgamaient sur cette figure ; la somme des soucis, des désillusions, des dégoûts et des chagrins se faisait sur ce front impassible, et donnait ce total [corrige "cette résultante"; de même à la copie] lugubre, la gaîté ; un coin de la bouche était relevé, du côté du genre humain [corrige "des hommes"], par la moquerie, et l’autre coin, du côté des dieux, par le blasphème ; [faux départ: "et la foule"] les hommes venaient confronter à ce modèle du sarcasme idéal l’exemplaire d’ironie [variante abandonnée: "du mépris"] que chacun a en soi ; et la foule, sans cesse renouvelée autour de ce rire fixe, se pâmait d’aise ["et de joie" barré] devant l’immobilité sépulcrale du [en sc. sur "de ce"] ricanement. Ce sombre masque mort de la comédie antique ajusté à un homme vivant, on pourrait presque dire que c’était là Gwynplaine. Cette [+ barré en correction cursive] tête infernale de l’hilarité implacable, il l’avait sur le cou. Quel fardeau pour les épaules d’un homme, le rire éternel ! [paragraphe en addition. Elle est tardive: la copiste l'écrit sur le papier gris employé en seconde phase de la copie.]
[Le bas du folio est encadré et barré à grands traits. Il contient une première rédaction, corrigée et augmentée, reprise au folio suivant. La copie l'enregistre dans un état du texte partiellement amendé. Texte initial:
"Face à ce masque, qui était comme une violence qu'on avait à subir, on détournait la tête; les femmes surtout avaient cette horreur. L'impression bouffonne dissipée, Gwynplaine, pour une femme, était insupportable à voir et impossible à regarder.
Il était du reste grand, bien fait, agile,"
Texte initial corrigé et augmenté (papier blanc à la copie):
"Ce rire passé [correction ultérieure "On voyait Gwynplaine, on riait. Quand on avait ri"], on détournait la tête; les femmes surtout avaient horreur. Cet homme était effroyable [en sc. sur "hideux"]. La convulsion bouffonne était comme un tribut payé. On la subissait joyeusement [corrige "gaîment"] mais presque mécaniquement. Après quoi, Gwynplaine, pour une femme était insupportable à voir et impossible à regarder" ]
[f° 239, P9. Folio intercalé. Papier gris employé à la copie.]
Rire éternel. Entendons-nous, et expliquons-nous. A en croire les manichéens, l’absolu plie par moments, et ["l'absolu..." ajouté] Dieu lui-même a des intermittences. Entendons-nous aussi sur la volonté. Qu’elle puisse jamais être tout à fait impuissante, nous ne l’admettons pas. Toute existence [addition abandonnée de deux ou trois mots] ressemble à une lettre, que modifie le post scriptum. Pour Gwynplaine, le post scriptum était ceci : A force de volonté, en y concentrant toute son attention, et à la condition qu’aucune émotion ne vint le distraire et détendre la fixité de son effort, il ["parvenait" barré en correction cursive] pouvait parvenir à suspendre l’éternel rictus de sa face et à y jeter une sorte de voile tragique, et alors on ne riait plus devant lui, on frissonnait [corrige "frémissait"] ["on ne riait plus..." corrige "son visage n'était plus risible, et était simplement terrible"].
Cet effort, Gwynplaine, disons-le, ne le faisait presque jamais, car c’était une fatigue ["presque" barré] douloureuse et une tension insupportable. Il suffisait d’ailleurs de la moindre distraction et de la moindre émotion ["et de la moindre émotion" ajouté] pour que, chassé un moment, ce rire, irrésistible comme un reflux, reparût sur sa face, et il était d’autant plus intense que l’émotion, quelle qu’elle fût, était plus forte.
A cette restriction près, le rire de Gwynplaine était éternel. [L'interlignage progressivement diminué dans ces deux paragraphes et le fait que Hugo ait dû barrer et recopier en marge la première ligne du paragaphe suivant pour inscrire la dernière de celui-ci conduisent à penser que Hugo avait soit ménagé un blanc, rempli plus tard, soit qu'il a d'abord commencé le folio en milieu de page pour ce qui suit, et, dans un second temps rempli le haut du folio. Le changement d'écriture et l'interlignage plus grand pour tout le bas de la page rendent cette hypothèse la plus probable.]
On voyait Gwynplaine, on riait. [phrase réécrite en marge] Quand on avait ri, on détournait la tête. Les femmes surtout avaient horreur. Cet homme était effroyable. La convulsion bouffonne était comme un tribut payé ; on la subissait joyeusement, mais presque mécaniquement. Après quoi, une fois le rire refroidi, ["une fois..." ajouté] Gwynplaine, pour une femme, était insupportable à voir et impossible à regarder.
Il était du reste grand, bien fait, agile, [blanc au bas du folio] [f° 240, Q9. Trait d'interruption.] nullement difforme si ce n’est de visage. Ceci était une indication de plus parmi les présomptions qui laissaient entrevoir dans Gwynplaine plutôt une création de l’art qu’un caprice [variante sans choix: "qu'une oeuvre" préférée à la copie] de la nature. Gwynplaine, beau de corps, avait probablement été beau de visage [corrigé en "figure" à la copie, mais pas au ms]. En naissant, ["il était" barré en correction cursive] il avait dû être un enfant comme un autre. On avait conservé [corrige "laissé"] le corps intact et seulement retouché la face [corrige "le visage"]. Gwynplaine avait été fait exprès.
C’était là du moins la vraisemblance.
On lui avait laissé les dents. Les dents sont nécessaires au rire. La tête de mort les garde. [paragraphe en addition: addition de second niveau, mais reportée, ensuite, au début de la cascade d'additions qui suit.]
L’opération faite sur lui avait dû être affreuse [corrige "terrible"; de même à la copie]. Il ne s’en souvenait pas, ce qui ne prouvait point qu’il ne l’eût pas subie. Cette sculpture chirurgicale n’avait pu réussir que sur un enfant tout petit, et par conséquent ayant peu conscience de ce qui lui arrivait, et pouvant aisément prendre une plaie pour une maladie. En outre, dès ce temps-là, on se le rappelle, [corrige "dès cette époque, on s'en souvient,] les moyens d’endormir le patient et de supprimer [variante sans choix: "d'oblitérer"; elle n'est pas reproduite par la copiste, soit qu'elle l'ait oubliée soit que VH l'ait portée au ms après la copie] la souffrance [en sc. sur "douleur"] étaient connus. Seulement, à cette époque [corrige "en ce temps-là"] , on les appelait magie; aujourd’hui on les appelle anesthésie.
Outre ce visage, ceux qui l’avaient élevé, lui avaient donné des ressources de gymnaste et d’athlète. Ses articulations, utilement disloquées, et propres à des flexions en sens inverse, avaient reçu une éducation de clown et pouvaient, comme des gonds de porte, se mouvoir dans tous les sens. Dans son appropriation au métier de saltimbanque rien n’avait été négligé. ["L'opération faite sur lui...": addition de troisième niveau, ajoutée à la suivante]
["On lui avait laissé les dents. Les dents
sont nécessaires au rire. La tête de mort les garde.": addition de
deuxième niveau ajoutée à la suivante puis barrée et reprise au début
de l'addition de troisième niveau qui précède.]
Ses cheveux avaient été teints couleur d’ocre une fois pour toutes ; secret qu’on a retrouvé de nos jours. Les jolies femmes en usent ; ce qui enlaidissait autrefois est aujourd’hui jugé bon pour ["aujourd'hui jugé ..." correction cursive de "jugé bon aujourd'hui pour"] embellir. Gwynplaine avait les cheveux jaunes. ["Les jolies femmes...": addition] Cette peinture des cheveux, apparemment corrosive, les avait laissés laineux et bourrus au toucher. Ce [en sc. sur "Un"] hérissement fauve, plutôt crinière que chevelure, couvrait et cachait un profond [en sc. sur +] crâne fait pour contenir de la pensée. L’opération quelconque, qui avait ôté l’harmonie au visage et mis toute cette chair en désordre, n’avait pas eu prise sur la boîte osseuse. L’angle facial de Gwynplaine était puissant et surprenant [réécrit après avoir surchargé un autre mot]. [addition abandonnée: "L'intelligence avait empreint son équerre souveraine"] Derrière ce rire il y avait une âme, faisant, comme nous tous, un songe ["une âme..." remplace et développe "quelqu'un"; de même à la copie]. ["Ses cheveux...": addition de premier niveau]
Du reste ce rire était pour Gwynplaine tout un talent. Il n’y pouvait rien, et il en tirait parti. Au moyen de ce rire, il gagnait sa vie. [paragraphe ajouté à l'addition précédente]
Gwynplaine, — on l’a sans doute déjà reconnu, — était cet enfant abandonné un soir d’hiver sur la côte de Portland, et recueilli dans une pauvre cahute roulante à Weymouth.
L’enfant était à cette heure [corrige "maintenant"] un homme. Quinze [corrige "Seize"] ans s’étaient écoulés. On était en 1705. Gwynplaine avait vingt-cinq [en sc. sur "quatre"] ans.
[Trait d'interruption.]
Ursus avait gardé avec lui les deux enfants. Cela avait fait un groupe nomade. [paragraphe ajouté]
[Les quatre premières lignes du paragraphe suivant sont écrites au-dessus de notations préparatoires au crayon. On discerne + + + + Dure. - misère de ces deux êtres + + + + + s'aimaient."] Ursus et Homo avaient vieilli. Ursus était devenu tout à fait chauve. Le loup grisonnait. L’âge des loups n’est pas fixé comme l’âge des chiens. Selon Molin, il y a des loups qui vivent quatrevingts ans, entr'autres le petit Koupara, caviæ vorus, et le loup odorant, canis nubilus de Say. ["L'âge des loups...": addition; de même à la copie]
La petite fille trouvée [corrige "ramassée"] sur la femme morte était maintenant une grande créature de seize ans, pâle [rétabli après avoir été corrigé en "blanche"] avec des cheveux bruns [corrige "noirs"] ["avec..." ajouté], mince, frêle, presque tremblante à force de délicatesse et donnant la peur de la briser, admirablement belle, ["les cheveux noirs," barré et déplacé] les yeux pleins de lumière, aveugle.
La fatale nuit d’hiver qui avait renversé la mendiante et son enfant dans la neige, avait fait coup double. Elle avait tué la mère et aveuglé la fille.
La goutte sereine avait à jamais paralysé les prunelles de cette fille, devenue femme à son tour. Sur son visage, à travers lequel le jour ne passait point, les coins des lèvres tristement abaissés exprimaient ce désappointement amer. Ses yeux, grands et clairs, avaient cela d’étrange qu’éteints ["La fatale nuit...": addition. Elle se substitue à la rédaction initiale:
["Elle assistait Gwynplaine dans ses exercices." un point d'interrogation au crayon devant cette première ligne. La phrase est employée plus loin, f° 241.]
["La goutte sereine, ["goutte sereine," corrige -ou réécrit- + +] dont elle avait été frappée dans [ajouté] [la + + barré] cette neige sur le sein froid de sa mère, avait pour [corrige "à"] jamais paralysé ses prunelles. [paralysé..." corrige "mis la nuit dans ses yeux [corrigé en "prunelles"] ." qui corrige en correction cursive "éteint ses yeux."] Ses yeux, grands et clairs, avaient cela d'étrange que, sombres [corrige "que +]] pour elle, pour les autres ils brillaient. Mystérieux [corrige "Etranges"] flambeaux allumés n’éclairant que le dehors. Elle donnait de la lumière, elle qui n’en avait pas. Ces yeux disparus [corrige "éteints" qui corrige "ténébreux" qui corrige +] resplendissaient. Cette captive des ténèbres blanchissait le milieu sombre où elle était. [phrase ajoutée] Du fond de son obscurité incurable, de derrière ce mur noir qu’on nomme la cécité, elle jetait un rayonnement. Elle ne voyait pas hors d’elle le soleil et l’on voyait en elle son âme ["son âme" corrige "+ (peut-être "un") soleil" d'abord encadré de barres verticales].
Son regard mort avait on ne sait quelle fixité céleste. ["Son regard..." corrige "Surprenante fixité céleste. Son regard mort éblouissait."]
[f° 241, R9. Trait d'interruption.]
Elle était la nuit, et de cette ombre irrémédiable amalgamée à elle-même, elle sortait astre [en sc. sur "étoile"] ["elle sortait...": variante : "on la voyait sortir astre"; elle est barrée à la copie mais aussi au ms]. [paragraphe ajouté]
Ursus, maniaque de noms latins, l’avait baptisée Dea [son premier nom est Raphel, noté en 13465, f° 3]. Il avait un peu consulté son loup ; il lui avait dit : Tu représentes l’homme, je représente la bête ; nous sommes le monde d’en bas ; cette petite représentera le monde d’en haut. Tant de faiblesse, c’est la toute-puissance. De cette façon l’univers complet, humanité, bestialité, divinité, sera dans notre [variante sans choix: "la", rayée à la copie] cahute. — Le loup n’avait pas fait d’objection. [phrase ajoutée]
Et c’est ainsi que l’enfant trouvée s’appelait Dea. [corrige "Et il avait nommé l'enfant trouvé [corrige "l'orpheline" qui corrige en sc. "la +"] Dea." Ces deux versions se substituent elles-mêmes à la première rédaction: "De là, Dea."]
Quant à Gwynplaine, Ursus n’avait pas eu la peine de lui inventer un nom ["n'avait pas eu la peine..." corrige "avait trouvé le nom tout fait"]. Le matin même du jour où il avait constaté le défigurement [corrige "rictus"; de même à la copie] du petit garçon et la cécité de la petite fille, il avait demandé : — Boy, comment t’appelles-tu ? — et le garçon avait répondu : — On m’appelle Gwynplaine.
— Va pour Gwynplaine, avait dit Ursus.
Dea [", blanche statue aux cheveux noirs," d'abord signalé en marge d'un point d'interrogation au crayon, puis barré] assistait Gwynplaine dans ses exercices.
[Trait d'interruption.]
Si la misère [variante abandonnée: "fatalité"] humaine pouvait être résumée, elle l’eût été [un mot d'abord encadré de barres verticales puis barré] par Gwynplaine et Dea. ["Le bonheur a un possible très varié, mais de quelque façon qu'on ["l'" barré] examinât ce possible ["ce possible" ajouté], il était difficile de ne pas reconnaître qu'ils en étaient exclus, Dea par sa cécité, Gwynplaine ["par le + + de dégradation imposée" barré, peut-être en correction cursive] par son stigmate. Leurs deux désastres étaient irrévocables. ["Leurs deux désastres...": addition; elle remplace "Leurs deux fatalités étaient incurables," également ajouté]. Ce texte est encadré d'un filet rouge, au côté duquel est tarcé un point d'interogation au crayon. A la copie, ce texte, porté par la copiste en addition marginale sans filet pour le placer, est entièrement barré.] Ils semblaient être nés chacun dans un compartiment du sépulcre ; Gwynplaine dans l’horrible, Dea dans le noir. Leurs ["deux" corrigé "Leur double" qui est barré] existences étaient faites avec des ténèbres d’espèce différente prises dans les deux côtés formidables de la nuit. Ces ténèbres, Dea les avait en elle et Gwynplaine les avait sur lui. Il y avait du fantôme dans Dea et du spectre dans Gwynplaine. Dea était dans le lugubre [variante barrée "sinistre"], et Gwynplaine dans le pire. Il y avait pour Gwynplaine voyant [ajouté] une possibilité poignante qui n’existait pas pour Dea aveugle [encadré de barres verticales raturées] : se comparer aux autres hommes. Or, [faux départ: "sous son masque inarrachable"] dans une situation [corrige "position"(?)] comme celle de Gwynplaine, en admettant qu’il cherchât à s’en rendre compte, ["en admettant..." ajouté] se comparer, c’était ne plus se comprendre. [Implantée après ces lignes, une addition, apparemment destinée à les remplacer, n'a pas été retenue et est encadrée et barrée à grands traits: "En admettant qu'il s'appesantît sur sa situation et qu'il cherchât à s'en rendre compte, il devait se savoir [variante: "se savait"] repoussant et se sentir [variante "sentait"] effrayant." et une ligne non lue] [Plus bas, une autre addition barrée: "Le visage qu'il avait n'était pas lui."] Avoir, comme Dea, un regard vide d’où le monde est absent, c’est une suprême [corrige "grande"] détresse, moindre [variante abandonnée: "moins grande"] pourtant que celle-ci : être sa propre énigme ; sentir aussi quelque chose d’absent qui est [f° 242, S9] soi-même ; voir l’univers [corrige "le monde"] et ne pas se voir. [faux départ: "+ + masque + + son visage. Chose affreuse [variante: "affreusement irréparable"] c'était avec sa propre chair que Gwynplaine était masqué."] Dea avait un voile, la nuit, et Gwynplaine avait un masque, ["sa chair" barré en correction cursive] sa face. Chose inexprimable, c’était avec sa propre chair que Gwynplaine était masqué. Quel était son visage [corrige "Quelle était sa figure"], il l’ignorait. Sa figure était dans l’évanouissement. On avait mis sur lui un faux lui-même. Il avait pour face une disparition. ["Sa figure était..." remplace "Son visage faisait partie du vaste évanouissement de tout qui nous enveloppe."] Sa tête vivait et son visage [corrige "sa face"] était mort [corrige le féminin; cette correction et la précédente sont immédiates: à la phrase suivante le masculin est employé d'emblée.]. Il ne se souvenait pas de l’avoir vu. Le genre humain, pour Dea [corrige "lui"] comme pour Gwynplaine [corrige "elle"], était un fait extérieur ; ils en étaient loin ; elle était seule, il était seul ; ["mais" barré] l’isolement ["que sentait Dea" barré en correction cursive] de Dea était funèbre [corrige "terrible"], elle ne voyait rien ; l’isolement de Gwynplaine était sinistre [corrige "lamentable"], il voyait tout. Pour Dea, ["la terre" barré en correction cursive] la création ne dépassait point l’ouïe et le toucher ; le réel était borné, limité, court, tout de suite perdu ; elle n’avait pas d’autre infini que l’ombre. Pour Gwynplaine, vivre, c’était avoir à jamais la foule devant soi et hors de soi. Dea était la proscrite de la lumière ; Gwynplaine était le banni [variante sans choix: "l'exilé" barré à la copie] de la vie. ["Dea était la proscrite...": addition] Certes, c’étaient là deux désespérés. Le fond de la calamité possible ["de la calamité..." variante à "du désastre", préférée à la copie. "du désastre" [lui-même en sc. sur "malheur"]" corrige "de la fatalité". On a donc 1. "de la fatalité", 2. "du malheur", 3. "du désastre", 4. "de la calamité possible".] était touché. Ils y étaient, lui comme elle. Un observateur qui les eût vus eût senti ["Un observateur..." corrige "Qui les voyait sentait"; même correction à la copie, de la main de la copiste] sa rêverie s’achever en une incommensurable pitié. Que ne devaient-ils pas souffrir ? [phrase ajoutée] Un décret de malheur ["Un décret..." corrige "Une condamnation"] pesait visiblement sur ces deux créatures humaines ["créatures humaines": aboutissement de plusieurs formulations dont l'une comprend le mot "êtres"], et jamais la fatalité [corrige "destinée"], autour de deux êtres qui n’avaient rien fait, n’avait mieux arrangé la destinée en torture et la vie en enfer ["destinée en torture..." corrige "vie en enfer"].
[En marge, à hauteur du milieu de ce paragraphe, une note, peut-être au crayon, barrée d'un trait et à demi effacée par grattage ou par du blanc. On distingue:
"Dire plus tard que cela ne l'occupait jamais, malgré son visage, il se trouvait (beau/heureux?) Il se contentait d'être parfaitement heureux. Expliquer qu'il ne se souvenait pas d'avoir été autrement. + à Ursus. chloroforme
Insister sur l'horreur de l'aspect de Gwynplaine "]
Ils étaient dans un paradis.
Ils s’aimaient.
Gwynplaine adorait Dea. Dea idolâtrait Gwynplaine.
— Tu es si beau ! lui disait-elle.
[Bas de la feuille laissé blanc.]
[f° 243 blanc. f° 244. T9. Blanc au haut de la page. Deux traits d'interruption.]
Une seule femme sur la terre voyait Gwynplaine. C’était cette aveugle.
[Trait d'interruption.]
Ce que Gwynplaine avait été pour elle, elle le savait par Ursus, à qui Gwynplaine avait raconté sa rude marche de Portland à Weymouth, et les agonies mêlées à son abandon ["sa rude marche..." remplace "l'immense récit de son abandon"]. Elle savait que, toute petite, expirante sur sa mère expirée, tettant un cadavre, un être, un peu moins petit qu’elle, l’avait ramassée ; que cet être, éliminé et comme enseveli sous le sombre refus universel [corrige "public"], avait entendu son cri ; que, tous étant sourds pour lui, il n’avait pas été sourd pour elle ; ["que cet être, éliminé...": addition; elle se substitue à une addition antérieure, beaucoup plus brève, dont on distingue les derniers mots: "avait entendu son cri."] que cet enfant, isolé [corrige "seul"], faible, rejeté, sans point d’appui ici-bas, [", sans point..." remplace "par les hommes,"] se traînant dans le désert ["dans le désert" remplace "sur la glace"], épuisé de fatigue, brisé, [un mot, placé entre barres verticales puis rayé] avait accepté des mains de la nuit ce fardeau, un autre enfant ; que lui, ["sur qui la fatalité était +, lui" : addition abandonnée] qui n’avait point de part à attendre dans cette distribution obscure qu’on appelle le sort, il s’était chargé d’une destinée ; que, dénûment, angoisse et détresse, il s’était fait providence ; que, le ciel se fermant, il avait ouvert son cœur ; que, perdu, il avait sauvé ; ["que, perdu...": addition, de troisième niveau, à l'addition qui suit] que n’ayant pas de toit ni d’abri, il avait été asile ["que, n'ayant..." addition, de deuxième niveau, à l'addition qui suit]; qu’il s’était fait mère et nourrice ; que, lui qui était ["lui qui était" ajouté] seul au monde, il avait répondu au délaissement ["universel": encadré de barres verticales puis rayé] par une adoption ; ["qu'il avait mis sa main dans l'ouverture du sépulcre et qu'il l'en avait retirée, elle, Dea" : fin barrée et déplacée de l'addition initiale qui commence à "qu'il s'était fait mère et nourrice".] que, dans les ténèbres, il avait donné cet exemple ; que ne se trouvant pas assez accablé, il avait bien voulu de la misère d’un autre par surcroît ; que sur cette terre où il semblait qu’il n’y eût rien pour lui, il avait découvert le devoir ; que là où tous eussent hésité [en sc. sur "reculé"], il avait avancé ; que là où tous eussent reculé [en sc. sur "refusé"], il avait consenti ; qu’il avait mis sa main dans l’ouverture du sépulcre et qu’il l’en avait retirée, elle, Dea ; ["que, dans les ténèbres...": additionn de deuxième niveau, ajoutée à l'addition qui précède] que, demi-nu, il lui avait donné son haillon, parce qu’elle avait froid ; qu’affamé, il avait songé à la faire boire et manger ["la faire boire..." corrige "sa faim à elle"]; que pour cette petite ["qui était elle" barré], ce petit avait combattu la Mort [majuscule en sc. sur minuscule] ; qu’il l’avait combattue ["qu'il l'avait combattue" corrige "qu'il avait + encore(?) enfant combattu"] sous toutes les formes, sous la forme hiver et neige, sous la forme solitude, sous la forme terreur [corrige "ouragan"], sous la forme froid, faim et soif ["sous la forme froid...": ajouté], sous la forme ouragan [corrige "verglas"(?)] ; que pour elle, Dea, ce titan de dix [corrige "neuf"] ans avait livré bataille à l’immensité nocturne. Elle savait qu’il avait fait cela, enfant, et que maintenant, homme, il était sa force à elle débile, sa richesse à elle indigente, sa guérison à elle malade, son regard [variante abandonnée: "sa lumière"] à elle aveugle [ajout abandonné: "qui marchait à tâtons, les mains étendues"].
[Trait d'interruption, changement d'écriture.]
À travers les épaisseurs inconnues par qui elle se sentait tenue à distance, elle distinguait nettement ce dévouement, cette abnégation, ce courage [en sc. sur "cette vertu"]. [faux départ employé au folio suivant: "L'aveugle voit l'invisible."] L’héroïsme, dans la région immatérielle [corrige "invisible"], ["cela" barré] a un contour. Elle saisissait ce contour sublime ; ["elle percevait ce mystérieux linéament de la vertu" barré pour déplacement; de même à la copie] dans l’inexprimable abstraction où vit une pensée que n’éclaire pas le soleil, [corrige point] elle percevait ce mystérieux linéament de la vertu. ["elle percevait...": ajouté; de même à la copie] Dans cet entourage de choses obscures mises en mouvement qui était la seule impression que lui fît la réalité, dans cette stagnation
[f° 245, U9. Trait d'interruption. Mise
au net.]
inquiète de la créature passive [corrige "l'être passif"] toujours au guet du ["au guet du" en sc. sur "livré au"] péril possible, dans cette sensation d’être là [ajouté] sans défense qui est toute la vie de l’aveugle, elle constatait [en sc. sur "sentait"(?)] au-dessus d’elle Gwynplaine, ["toujours là," barré] Gwynplaine jamais refroidi, jamais absent, jamais éclipsé, Gwynplaine attendri, [ajouté] secourable et doux ; [corrige point] Dea tressaillait de certitude [en sc. sur "confiance"] et de reconnaissance [en sc. sur "tendresse"(?)], ["Dea tressaillait...": ajouté] son anxiété rassurée aboutissait à l’extase, et de ses yeux pleins de ténèbres elle contemplait au zénith de son abîme cette bonté, lumière profonde.
Dans l’idéal, la bonté, c’est le soleil ; et Gwynplaine éblouissait Dea. [Ce paragraphe se substitue à deux lignes, abondamment corrigées et barrées, où l'on distingue, mais au milieu d'autres mots, les deux phrases retenues. Addition marginale du paragraphe, de la main de la copiste. Ce qui indique qu'avant la collation il a été simplement supprimé.]
Pour la foule, qui a trop de têtes pour avoir une pensée et trop d’yeux pour avoir un regard, pour la foule qui, surface elle-même, s’arrête aux surfaces, Gwynplaine était un clown, un bateleur, un saltimbanque, un grotesque, un peu plus et un peu moins qu’une bête [", un peu plus et...": ajouté en deux temps: d'abord "un peu plus qu'une bête"; de même à la copie pour "et un peu moins"]. La foule ne connaissait que le visage.
Pour Dea Gwynplaine était le sauveur qui l’avait ramassée dans la tombe et emportée dehors, le consolateur qui lui faisait la vie possible, le libérateur dont elle sentait la main dans la sienne en ce labyrinthe qui est la cécité ; Gwynplaine était le frère, l’ami, le guide, le soutien, ["le guide..." ajouté] le semblable d’en haut, l’époux ailé et rayonnant [corrige "lumineux"], et là où la multitude voyait le monstre, elle voyait l’archange [corrige "l'ange"].
C’est que Dea, aveugle, apercevait l’âme.
[Trait d'interruption. Bas de la page laissé blanc.]
[f° 246, V9. Blanc au haut de la page.]
Ursus, philosophe, comprenait. Il approuvait la fascination [variante -ou addition- abandonnée: +] de Dea.
Il disait :
— L’aveugle voit l’invisible.
["Il disait:
— La vraie prunelle, c'est celle de l'esprit." barré]
Il disait :
— La conscience est vision.
Il regardait Gwynplaine, et il grommelait :
— Demi-monstre, mais demi-dieu. ["Il
regardait..." addition] [Tout ce début du chapitre est probablement
ajouté.]
[Les trois premières lignes du paragraphe qui suit sont écrites au-dessus de notations préparatoires au crayon. On distingue: "De son côté Gwynplaine dont l'amour développait..."] Gwynplaine, de son côté, était enivré de [correction abandonnée: "éperdu d'amour pour"] Dea. Il y a l’œil invisible, l’esprit, et l’œil visible, la prunelle. Lui, [ajouté] c’est avec l’œil visible ["que, lui, il +" barré en correction cursive] qu’il la voyait. Dea avait l’éblouissement idéal, Gwynplaine avait l’éblouissement réel. Gwynplaine n’était pas laid, il était effrayant ; il avait devant lui son contraste. Autant il était terrible, autant Dea était suave [corrige "charmante", en sc. sur "exquise"; copie: correction VH de "charmante" en "suave"]. Il était l’horreur, elle était la grâce. Il y avait du rêve en Dea. Elle semblait un songe ayant un peu pris corps. Il y ["Il y" corrige "Elle"] avait dans toute sa personne, dans sa structure ["toute": addition supprimée] éolienne [en sc. sur "aérienne"; à la copie, correction de la main de la copiste], dans sa fine et souple taille inquiète comme le roseau, dans ses épaules peut-être invisiblement ailées, dans les rondeurs discrètes [corrige "pudiques"] de son contour indiquant le sexe, mais à l’âme plutôt qu’aux sens, dans sa blancheur qui était presque de la transparence, dans l’auguste occlusion sereine de son regard divinement fermé à la terre, [une ligne barrée: "dans s+ + qui +, dans l'aurore de son sourire(?),"] dans l’innocence sacrée de son sourire, un voisinage exquis de l’ange, et elle était tout juste assez femme.
Gwynplaine, nous l’avons dit, se comparait, et il comparait Dea. Son existence, telle qu’elle était, était le résultat ["Son existence..." corrige "Il se sentait l'objet"] d’un double choix inouï. C’ [corrige "Elle"; de même à la copie] était le point d’intersection des deux rayons d’en bas et d’en haut, [point corrigé en virgule] du rayon noir et du rayon blanc. La même miette peut être becquetée à la fois par les deux becs du mal et du bien, l’un donnant la morsure, l’autre le baiser. ["C'était le point...": addition] ["Gwynplaine était cette miette, atome meurtri et caressé." phrase absente du ms, ajoutée à la copie] Gwynplaine était le produit d’une fatalité, compliquée d’une providence. [phrase ajoutée à l'addition "C'était le point d'intersection..."] Le malheur avait mis le doigt sur lui, le bonheur aussi. Deux destinées extrêmes composaient son sort étrange. Il y avait sur lui un anathème et une bénédiction. Il était le maudit [variante sans choix à "banni" qui corrige "réprouvé" et qui est en sc. sur "damné"; à la copie "banni" est une variante sans choix que VH supprime] élu. Qui était-il ? Il ne le savait [corrige "Il l'ignorait"]. Quand il se regardait, il voyait un inconnu. Mais cet inconnu était ["épouvantable" barré en correction cursive] monstrueux. Gwynplaine [corrige "Il"] vivait dans une sorte de décapitation, ayant un visage ["qui n'était pas +" barré en correction cursive] qui n’était pas lui. Ce [en sc. sur "Et ce"] visage [f° 247, X9. Trait d'interruption.] était épouvantable, si épouvantable qu’il amusait. Il faisait tant peur qu’il faisait rire. Il était infernalement bouffon. C’était le naufrage de la figure humaine dans un mascaron [corrige "rictus"] bestial. Une sorte de flot grimaçant avait tout envahi. [Cette phrase en addition manque à la copie.] Jamais on n’avait vu plus totale éclipse de l’homme sur le visage humain [Cette phrase corrige en correction cursive "Jamais l'éclipse de l'homme sur le visage humain n'avait été plus complète"], jamais parodie [en sc. sur "difformité"] n’avait été plus complète, jamais ébauche [corrige "mascaron"] plus affreuse [corrige "repoussant"] n’avait ricané [corrige "grimacé"; de même à la copie, de la main de la copiste] dans un cauchemar, jamais tout ce qui peut repousser une femme n’avait été plus hideusement amalgamé dans un homme ["dans un homme" ajouté] ; l’infortuné cœur, masqué et calomnié ["et calomnié" ajouté] par cette face, semblait à jamais condamné à la solitude sous ce visage comme sous un couvercle de tombe. Eh bien non ! où s’était épuisée la méchanceté inconnue, la bonté invisible à son tour se dépensait ["la méchanceté..." corrige "la fatalité, la providence à son tour se prodiguait"]. Dans ce pauvre déchu ["ce pauvre déchu" corrige "ce pauvre être"] , ["brusquement" barré en correction cursive] tout à coup relevé, [un mot ou deux barré sans doute en correction cursive] a coté de tout ce qui repousse elle mettait ce qui attire, dans l’écueil [variante sans choix: "le rocher" rejetée à la copie] elle mettait [variante sans choix: "cachait" éliminée à la copie] l’aimant, ["dans l'écueil...": addition] elle faisait accourir à tire d’aile vers [plusieurs formulations de la fin de la phrase, dont l'une contient les mots "une âme", toutes barrées en correction cursive] cet abandonné une âme, ["elle faisait accourir...": addition] elle chargeait la colombe de consoler le foudroyé [corrige "l'hydre"], et elle faisait adorer la difformité [correction par ajout abandonnée: "l'extrême difformité"; à la copie, "extrême" est une variante éliminée] par la beauté [correction abandonnée : "la beauté suprême"; variante à la copie, où elle est barrée].
Pour que cela fût possible, il fallait que la belle ne vît pas le défiguré [en sc. sur "monstre"]. Pour ce bonheur, il fallait ce malheur. La providence avait fait Dea aveugle.
[Trait d'interruption.]
Gwynplaine se sentait vaguement l’objet d’une rédemption. Pourquoi la persécution [corrige "l'anathème"(?)] ? il l’ignorait. Pourquoi le rachat ? il l’ignorait. [faux départ: "Tout ce qu'il savait"] Une auréole était venue se poser sur sa flétrissure ; c’est tout ce qu’il savait. Ursus, quand Gwynplaine avait été en âge de comprendre, lui avait lu et expliqué le texte du docteur Conquest de Denasatis ["de Denasatis" ajouté], et dans un autre infolio, ["dans un autre infolio," ajouté, corrige "le passage"] Hugo Plagon(1) [appel de note et note ajoutés], [(1)Versio Gallica Will. Tyrii, lib. 2, chap. 23.] [", livre deux, chapitre vingt-trois," barré] le passage ["le passage" ajouté] nares habens mutilas [appel de note barré] ; mais Ursus [corrige "il"; de même à la copie] s’était prudemment abstenu « d’hypothèses » [corrige "de conjectures" sans guillemets], et s’était bien gardé de conclure quoi que ce soit. Des suppositions étaient possibles, la probabilité d’une voie de fait sur l’enfance de Gwynplaine ["l'enfance..." corrige "son enfance"; de même à la copie] était entrevue ; mais pour Gwynplaine il n’y avait qu’une évidence [corrige "certitude"], le résultat. Sa destinée était de vivre sous un stigmate. ["évidence..." addition; elle se poursuit au folio suivant] [f° 248, Y9. Trait d'interruption.] Pourquoi ce stigmate ? pas de réponse. Silence et solitude autour de Gwynplaine. ["Pourquoi ce stigmate...": addition] [rédaction initiale: "certitude, le résultat." barré et repris dans l'addition, à la fin du folio précédent, qui assure la jonction] Tout était fuyant dans les conjectures qu’on pouvait ajuster à cette réalité tragique [en sc. sur "terrible"], et, excepté le fait terrible ["le fait terrible" corrige "elle"; de même à la copie], rien n’était certain. Dans cet accablement, Dea intervenait ; sorte d’interposition céleste entre Gwynplaine et le désespoir. [faux départ d'un ou deux mots] Il percevait, ému [corrige "attendri"] et comme réchauffé, la douceur de cette fille exquise [corrige "adorable"] tournée vers son horreur ; l’étonnement paradisiaque attendrissait ["l'étonnement..." remplace une phrase plus longue, barrée, et dont on ne distingue que le début: "l'épanouissement" et la fin: "vague crépuscule de sérénité, jusqu'à"] sa face draconienne ; fait pour l’effroi, il avait cette exception prodigieuse [corrige "sublime"] d’être admiré et adoré ["par" barré en correction cursive] dans l’idéal par de la lumière, et, monstre, il sentait sur lui la contemplation d’une étoile.
[Un trait au crayon, ensuite raturé, conduit ici vers une notation au crayon, sans doute préparatoire de l'addition à l'encre, barrée, qui la chevauche et la rend illisible. Le filet implantant l'addition la place plus loin.]
[faux départ;: "Dea et"] Gwynplaine et Dea, c’était un couple, et ces deux cœurs pathétiques [corrige "profonds"; de même à la copie] s’adoraient. [addition marginale barrée et réutilisée au chapitre suivant:
"Gwynplaine avait une pensée : Que serais-je sans elle !
Dea avait une pensée : Que serais-je sans lui !"]
Un nid, et deux oiseaux ; c’était là leur histoire. Ils avaient fait leur rentrée dans la loi universelle qui est de se plaire, de se chercher et de se trouver. ["Un nid...": addition]
De sorte que la haine s’était trompée. Les persécuteurs de Gwynplaine, ["de Gwynplaine," ajouté] quels qu’ils fussent, l’énigmatique [corrige "le mystérieux"] acharnement, de quelque part qu’il vînt, avaient manqué leur but. On avait voulu faire un désespéré, on avait fait un enchanté [corrige "heureux"]. On l’avait d’avance fiancé à une plaie guérissante ["plaie" corrige "affliction" lui-même en sc. sur + et "guérissante" est en sc. sur "guérie". La copie corrige, de la main de la copiste, "affliction guérissante". On a donc les étapes suivantes: 1. "+ guérie"; 2. "+ guérissante" ou " affliction guérie": 3. "affliction guérissante"; 4. "plaie guérissante"]. ["On l'avait d'avance...": addition] ["Cette tenaille de bourreau [corrige "torture"] s'était doucement faite main de femme ["de femme" corrige "+"]." Cette phrase, barrée et reprise immédiatement, est une addition de deuxième niveau, ajoutée à la précédente.] On l’avait prédestiné à être consolé par une affliction. La tenaille de bourreau s’était doucement faite main de femme. ["On l'avait prédestiné...": addition de troisième niveau. A la copie, cette addition est portée en marge de la main de la copiste. mais la seconde phrase a été barrée par VH: elle se trouvait déjà dans le corps du texte et avait été copiée avant que VH la déplace à la fin de l'addition.] Gwynplaine était horrible, artificiellement horrible, horrible de la main des hommes ; on avait espéré [corrige "+" qui corrige, en correction cursive, "voulu"] l’isoler à jamais, de la famille d’abord, s’il avait une famille, de l’humanité ensuite ; enfant, on avait fait de lui une ruine; mais cette ruine, la nature l’avait reprise comme elle reprend toutes les ruines, cette solitude, la nature l’avait consolée comme elle console toutes les solitudes ; la nature vient au secours de tous les abandons ; là où tout manque, elle se redonne tout entière ; elle refleurit et reverdit sur tous les écroulements ; elle a le lierre pour les pierres et l’amour pour les hommes.
Générosité profonde de l’ombre.
[Trait d'interruption.]
[Au-dessous, dans le blanc du bas de la page, cette note préparatoire du chapitre suivant:
"ou (mieux) ici
commencer le chapitre par ils s'adorent
+ + ces deux exils
rédemption de damnés
puis la présence
puis pas de pureté comparable
puis + je suis laid de +++
puis le vase fêlé"
[f° 249, Z9. Blanc au haut de la page. Trait d'interruption. Note en face du premier paragraphe: "28 mai. J'ai écrit ce matin la lettre pour les condamnés à mort d'Irlande" (A & P II, 1867, 2)]
Ainsi vivaient l’un par l’autre [correction
ébauchée et abandonnée: "côte à côte"] ces infortunés [corrige
"misérables"], Dea appuyée, Gwynplaine accepté.
Cette orpheline avait cet orphelin. Cette infirme avait ce difforme.
Ces veuvages s’épousaient. [paragraphe ajouté à l'addition qui suit]
Une ineffable action de grâces se dégageait de ces deux détresses [corrige "infortunes"] . Elles remerciaient. ["Une ineffable...": addition]
Qui ?
L’immensité obscure [en sc. sur "profonde"].
Remercier devant soi, c’est assez ["devant soi..." corrige "suffit"]. L’action de grâces a des ailes et va où elle doit aller. Votre prière en sait plus long que vous.
Que d’hommes ont cru prier Jupiter et ont prié Jéhovah ! Que de croyants aux amulettes sont écoutés par l’infini ! Combien [en sc. sur "Que"] d’athées ne s’aperçoivent pas que, par le seul fait d’être bons et tristes, ils prient Dieu !
Gwynplaine et Dea étaient reconnaissants.
["Ils se sentaient secourus." barré]
La difformité, c’est l’expulsion [en sc. sur "la solitude"]. La cécité, c’est le précipice. ["Qui? / L'immensité obscure...": addition de deuxième niveau ajoutée à celle qui précède] L’expulsion était adoptée ; le précipice était praticable [correction abandonnée: "aplani", variante sans choix: "habitable". A la copie, corrige "praticable" de la main de la copiste]. [Cette phrase est ajoutée à l'addition qui précède; elle corrige "La solitude était + + [addition ou correction de trois mots]; le précipice était comblé [correction: "rendu praticable"]."]
Gwynplaine [remplace "Le défiguré"] voyait descendre vers lui en pleine lumière, dans un arrangement de destinée qui ressemblait à la mise en [+ barré en correction cursive] perspective d’un songe ["à la mise en perspective..." corrige "aux profondeurs du rêve"], une blanche nuée de beauté ayant la forme d’une femme, une vision radieuse [corrige "éblouissante"] dans laquelle il y avait un cœur, et cette apparition, presque nuage et pourtant femme, l’étreignait [corrige "l'aimait"], [addition abandonnée ou autre correction: "était à lui,"] et cette vision l’embrassait [en sc. sur "l'épousait"], et ce cœur voulait bien de lui ; Gwynplaine n’était plus difforme, étant aimé ; une rose demandait la chenille en mariage, sentant [rétabli après correction en "reconnaissant"] dans cette chenille [un mot en addition, barré] le papillon divin [ajouté] ; Gwynplaine, le rejeté, était choisi.
Avoir son nécessaire, tout est là. Gwynplaine avait le sien. Dea avait le sien. [pagraphe en addition; de même à la copie]
L’abjection du défiguré, allégée et comme sublimée, se dilatait ["L'abjection..." corrige "Il [corrigé en "Le défiguré"] sentait toute son abjection [en sc. sur "infortune"], allégée et comme sublimée, se dilater"] ["en +" barré, peut-être en correction cursive] en ivresse, en [un mot, peut-être "croyance", barré en correction cursive] ravissement, en croyance ; et une main venait au devant de la sombre hésitation de l’aveugle dans la nuit.
C’était la pénétration de deux détresses dans l’idéal, ["l'une absorbant l'autre" barré en correction cursive] celle-ci absorbant celle-là. Deux exclusions s’admettaient [en sc. sur "s'adoptaient"]. [phrase ajoutée] Deux lacunes se combinaient pour se compléter. Ils se tenaient [corrige "s'attiraient" ou "s'attachaient"] par ce qui leur manquait. Par où l’un était pauvre, l’autre était riche. Le malheur de l’un faisait le trésor de l’autre. Si Dea n’eût pas été aveugle, eût-elle choisi Gwynplaine ? si Gwynplaine n’eût pas été défiguré, eût-il préféré Dea ? Elle probablement n’eût pas plus voulu du difforme que lui de l’infirme. Quel bonheur pour Dea que Gwynplaine fût hideux ! Quelle chance pour Gwynplaine que Dea fût aveugle ! En dehors de leur appareillement providentiel, ils étaient impossibles. ["Quel bonheur...": addition à l'addition qui suit] Un prodigieux besoin l’un de l’autre était au fond de leur amour. ["Ils se rendaient le même service." addition barrée] Gwynplaine sauvait Dea, Dea sauvait Gwynplaine. Rencontre de misères produisant l’adhérence. ["Un prodigieux besoin...": addition. Sa dernière phrase reprend et corrige la rédaction initiale: "Rencontre de deux misères."] Embrassement d’engloutis dans le gouffre. Rien de plus étroit, rien de plus désespéré, rien de plus exquis.
[Trait d'interruption.]
Gwynplaine avait une pensée :
— Que serais-je sans elle ?
Dea avait une pensée :
— Que serais-je sans lui ? [Ces quatre paragraphes en addition; reprise de l'addition identique du f° précédent]
[un mot ("Ainsi"?) encadré de barres verticales puis rayé] Ces deux exils aboutissaient à une patrie ; ces deux fatalités incurables, le stigmate de Gwynplaine, la cécité de Dea, [f° 250, A10. Trait d'interruption.] opéraient leur jonction dans le contentement [corrige "la félicité"]. Ils se suffisaient, ["ils se divinisaient" barré] ils n’imaginaient rien au delà d’eux-mêmes ["ils n'imaginaient..." ajouté]; se parler était un délice, s’approcher [corrige "se savoir là ensemble" qui corrige "s'entendre"] était une [ms: "un" par oubli de la correction] béatitude [corrige "un enivrement"]; à force d’intuition réciproque, ils en étaient venus à l’unité de rêverie ; ils pensaient à deux la même pensée. [point et majuscule corrigent virgule et minuscule] Quand Gwynplaine marchait, Dea croyait entendre un pas d’apothéose. [point et majuscule corrigent virgule et minuscule] Ils se serraient l’un contre l’autre dans une sorte de clair-obscur sidéral [corrige "divin"] plein de parfums, de lueurs, de musiques, d’architectures lumineuses, de songes ; ["ils s'adoraient éperdus;" barré] ils s’appartenaient ; ils se savaient ensemble à jamais dans la même joie et dans la même extase ; et rien n’était étrange [variantes sans choix: "admirable" et "pathétique" toutes deux barrés à la copie] comme cette construction d’un éden par deux damnés.
Ils étaient inexprimablement heureux.
Avec leur enfer ils avaient fait du ciel ; telle est votre [corrige "ta"] puissance, ["o" barré] amour ! [paragraphe ajouté à l'addition qui suit]
["Gwynplaine voyait Dea sourire" barré en correction cursive] Dea entendait rire Gwynplaine. Et Gwynplaine voyait Dea sourire. [paragraphe en addition]
Ainsi la félicité idéale était trouvée, la joie parfaite de la vie
était réalisée, le mystérieux problème du bonheur était résolu. Et par
qui ? par deux misérables. [paragraphe ajouté
à l'addition qui précède]
Pour Gwynplaine Dea était la splendeur [corrige "beauté"; même correction à la copie de la main de la copiste]. Pour Dea Gwynplaine était la présence.
La présence, profond mystère qui divinise l’invisible et d’où résulte cet autre mystère, la confiance. Il n’y a dans les religions que cela d’irréductible. Mais cet irréductible suffit. On ne voit pas l’immense être nécessaire ; on le sent.
Gwynplaine était la religion de Dea.
[Trait d'interruption.]
Parfois, éperdue d’amour, elle se mettait à genoux devant lui, sorte de belle prêtresse adorant un gnome de pagode, épanoui.
Figurez-vous l’abîme [en sc. sur "des +"], et au milieu de l’abîme ["de l'abîme" ajouté] une oasis de clarté [corrige "lumière"], et dans cette oasis ces deux êtres hors de la vie, s’éblouissant.
Pas de pureté comparable à ces amours. Dea ignorait ce que c’était qu’un baiser, bien que [corrige "quoique"] peut-être elle le désirât, car la cécité, surtout d’une femme, a ses rêves, et, quoique tremblante devant les approches de l’inconnu, ne les hait pas toutes. Quant à Gwynplaine, la jeunesse frissonnante le rendait pensif ; plus il se sentait ivre, plus il était timide ; il eût pu tout oser [trois mots barrés ("avec cette enfant"?) en correction cursive, dont la suppression entraîne l'ajout de "avec cette"; la rédaction initiale était: "avec cette +, compagne de..."] avec cette compagne de son premier âge, avec cette ignorante de la faute comme de la lumière, ["avec cette ignorante..." ajouté] avec cette aveugle qui [f° 251, B10. Mise au net.] voyait une chose ["qui voyait une chose" corrige "qui ne savait rien et qui ne voyait qu'une chose"], c’est qu’elle l’adorait. Mais il eût cru voler ce qu’elle lui eût donné ; il se résignait avec une mélancolie satisfaite à aimer angéliquement, et le sentiment de sa difformité se résolvait en une pudeur auguste.
Ces heureux habitaient l’idéal. Ils y étaient époux à distance comme les sphères [corrige "astres"(?)]. Ils échangeaient dans le bleu l’effluve profonde qui dans l’infini est l’attraction et sur la terre le sexe. Ils se donnaient des baisers d’âme.
Ils avaient toujours eu la vie commune. Ils ne se connaissaient pas autrement qu’ensemble. L’enfance de Dea avait coïncidé avec l’adolescence de Gwynplaine. Ils avaient grandi côte à côte. Ils avaient longtemps dormi dans le même lit, la cahute n’étant point une vaste chambre à coucher. Eux sur le coffre, Ursus sur le plancher ; voilà quel était l’arrangement. Puis un beau jour [virgule ajoutée à la copie] Dea étant encore petite, Gwynplaine s’était vu grand, et c’est du côté de l’homme qu’avait commencé la honte. Il avait dit à Ursus : Je veux dormir [corrige "coucher"] à terre, moi aussi. Et, le soir venu, il s’était étendu près [corrige "à côté"] du vieillard, sur la peau d’ours. Alors Dea avait pleuré. Elle avait réclamé son camarade de lit. [phrase ajoutée] Mais Gwynplaine, devenu inquiet [en sc. sur "farouche"(?)], car il commençait à aimer, avait tenu bon. A partir de ce moment, il s’était mis à coucher sur le plancher avec Ursus. L’été, dans les belles nuits, il couchait dehors, avec Homo. Dea avait treize ans qu’elle n’était pas encore résignée [correction abandonnée: "consolée"]. Souvent le soir elle disait ["Souvent..." corrige "Il lui arrivait souvent le soir de dire"]: Gwynplaine, viens près de moi. Cela me fera dormir. Un homme à côté d’elle était un besoin du sommeil de l’innocence ["du sommeil..." corrige "de son sommeil d'innocence"]. La nudité, c’est de se voir nu ; aussi ignorait-elle la nudité. Ingénuité d’Arcadie ou d’Otaïti. [phrase ajoutée à l'addition qui suit] Dea sauvage faisait Gwynplaine farouche. [phrase en addition] Il arrivait parfois à Dea [corrige "Il lui arivait parfois"], étant déjà presque jeune fille, de se peigner ses longs cheveux, assise sur son lit, sa chemise défaite et à demi tombante, laissant voir [corrige "montrant"] la statue féminine ébauchée et un vague [f° 252, C10. Trait d'interruption raturé.] commencement d’Ève, et d’appeler Gwynplaine, Gwynplaine rougissait, baissait les yeux, ne savait que devenir ["ne savait...": correction immédiate de "détournait la tête de cette"] devant cette chair naïve, balbutiait, détournait la tête, avait peur, et s’en allait, et ce Daphnis des ténèbres prenait la fuite devant cette Chloë de l’ombre.
Telle était cette idylle éclose dans une tragédie.
Ursus leur disait :
— Vieilles brutes ! adorez-vous. [Ces deux paragraphes ne sont pas de la même encre que ce qui précède; ils récupèrent le texte initial du f° 254 et du f° 257; à la copie, ils sont également ajoutés, de la main de la copiste.]
[Tait d'interruption, mais barré de trois petits traits en diagonale.]
[Tout le bas du folio est laissé blanc.]
[f° 253, D10. La copiste emploi le papier gris utilisé dans la seconde phase de la copie, ce qui suggère que ce folio est intercalé. Confirmation s'en trouve dans la présence, aux folios 254 et 257, en rédaction initiale, de la même articulation : "Ursus ajoutait: —Je leur ferai un de ces jours...". Entre les dates du 28 mai, inscrite sur le f° 249 et du 1er juin, écrite sur le f° 260, le décompte des traits d'interruption confirme que l'ensemble des folios 253-256 a été écrit ultérieurement à la rédaction initiale. Au sein de ce grand ajout, ce folio-ci est le dernier à avoir été intercalé -voir ci-après.]
Ursus ajoutait :
— Je leur ferai un de ces jours un mauvais tour. Je les marierai. ["Ursus ajoutait..." peut être ajouté]
Ursus faisait à Gwynplaine la théorie de l’amour. Il lui disait :
— L’amour, sais-tu comment le bon Dieu allume ce feu-là ? Il met la femme en bas, le diable entre deux, l’homme dessus [variante sans choix: "sur le diable" préférée à la copie]. Une allumette [variante sans choix: "étincelle", écartée à la copie], c’est à dire un regard, et voilà que tout flambe.
— Un regard n’est pas nécessaire, répondait [corrige "disait"] Gwynplaine, songeant [deux ou trois mots barrés, peut-être, en correction cursive] à Dea.
Et Ursus répliquait :
— Dadais ! est-ce que les âmes, pour se regarder, ont besoin des yeux ?
Parfois Ursus était bon diable. Gwynplaine, par moments, éperdu de Dea jusqu’à en devenir sombre, se garait d’Ursus comme d’un témoin. Un jour Ursus lui dit :
— Bah ! ne te gêne pas. ["Le coq + + + +" barré en correction cursive, sans doute pour l'ordre des mots] En amour le coq se montre.
— Mais l’aigle se cache, répondit Gwynplaine. ["Parfois Ursus...": addition; de même à la copie]
Dans d’autres instants, Ursus se disait en aparte :
— Il est sage de mettre des bâtons dans les roues du char de Cythérée. Ils s’aiment trop. Cela peut avoir des inconvénients. Obvions à l’incendie. [faux départ! "Et Ursus"] Modérons ces cœurs.
Et Ursus ["regardant Gw" barré en correction cursive] avait recours à des avertissements de ce genre, parlant à Gwynplaine quand Dea dormait, et à Dea quand Gwynplaine avait le dos tourné :
— Dea, il ne faut pas trop t’attacher à Gwynplaine. Vivre dans un autre est périlleux. L’égoïsme est une bonne racine du bonheur. Les hommes, ça échappe aux femmes. Et puis, Gwynplaine peut finir par s’infatuer. Il a tant de succès ! tu ne te figures pas le succès qu’il a !
— Gwynplaine, les disproportions ne valent rien. Trop de laideur d’un côté, trop de beauté de l’autre, cela ["ne peut +" barré en correction cursive] doit donner à réfléchir. Tempère ton ardeur, mon boy. Ne t’enthousiasme pas trop de Dea. Te crois-tu serieusement fait pour elle ? Mais considère donc ta difformité et sa perfection. Vois la distance entre elle et toi. [phrase ajoutée] Elle a tout, cette Dea ! quelle peau blanche, quels cheveux, des lèvres qui sont des fraises, et son pied ! quant à sa main ! ses épaules sont d’une courbe exquise, le visage est sublime [corrige +, corrigé en +], elle [en sc. sur +] marche, il sort d’elle de la lumière, et ce parler grave avec ce son de voix charmant ! et avec tout cela songer que c’est une femme ! elle n’est pas si sotte que d’être un ange. C’est la beauté absolue. Dis-toi tout cela pour te calmer.
["Ces ["efforts produisaient + + " barré en correction cursive] efforts pour les refroidir produisaient l'effet contraire." le tout barré]
De là des redoublements d’amour entre Dea et Gwynplaine, et Ursus s’étonnait de son insuccès [corrige "peu de succès"; par inadvertance "son" est barré en même temps que "peu de" sans être rétabli; Hugo a d'abord barré "peu de" -et la copiste écrit "son succès"- avant d'ajouter "in", au ms et à la copie], un peu comme quelqu’un qui dirait : — C’est singulier, j’ai beau jeter de l’huile sur le feu, je ne parviens pas à l’éteindre.
[f° 254, pagination de Hugo (E10) absente ou cachée par un repli du papier. Après les deux premiers paragraphes ajoutés, le texte prend la suite du folio 252. Mais la rédaction initiale du f° 257 est identique. Dans la rédaction initiale le f° 257 prend la suite du f° 252; une première intercalation intercale le folio 254, une seconde intercale les folios 255 et 256, enfin est intercalé le f° 253.]
Les éteindre, moins même, les refroidir, le voulait-il ? non certes. Il eût été bien attrapé s’il avait réussi. Au fond, cet amour, flamme pour eux, chaleur pour lui, le ravissait.
Mais il faut bien taquiner un peu ce qui nous [en sc. sur "vous"] charme. Cette taquinerie-là ["devient(?) lorsqu'elle s'adresse à Dieu(?)" barré, sans doute en correction cursive] , c’est ce que les hommes appellent la sagesse.
["Usus ajoutait:
— Je leur ferai un de ces jours un mauvais tour. Je les marierai." début barré de la rédaction initiale du folio; barré également à la copie, confirmation du caractère tardif de l'intercalation du folio 253]
Ursus avait été pour Gwynplaine et Dea ["Gwynplaine et Dea" corrige "eux"; de même à la copie de la main de la copiste] à peu près père et mère. Tout en murmurant, il les avait élevés ; tout en grondant, il les avait nourris. Cette adoption ayant [corrige "avait"] fait la cahute roulante plus lourde, ["et" barré] il avait dû s’atteler plus fréquemment avec Homo pour la traîner.
[faux départ: "Quand Gw"] Disons que, les premières années passées, quand Gwynplaine fut presque grand et Ursus [en sc. sur "Gwynplaine"] tout à fait vieux, c’avait été [corrige "ce fut"] le tour de Gwynplaine de traîner Ursus.
[Faux départ: "Cette vie nomade n'empêchait pas l'éducation."]
Ursus, en voyant grandir Gwynplaine, avait tiré [corrige "tira"] l’horoscope de sa difformité. — On a fait ta fortune, lui [en sc. sur +] avait-il dit [corrige "disait-il" qui corrige "dit-il"].
Cette famille d’un vieillard, de deux enfants et d’un loup, avait formé [corrige "fait"], tout en rôdant, un groupe de plus en plus étroit.
La vie errante [corrige "nomade"] n’avait pas empêché l’éducation. Errer, c’est croître [3 corrections sur ce mot; "philosopher" en rédaction initiale], disait Ursus. Gwynplaine étant évidemment fait pour être « montré dans les foires », Ursus avait cultivé en lui le saltimbanque, et dans ce saltimbanque il avait incrusté de son mieux la science et la sagesse. Ursus, en arrêt devant le masque ahurissant ["le masque..." corrige "la difformité"] de Gwynplaine, grommelait : « Il a été bien commencé. » C’est pourquoi il l’avait completé par tous les ornements de la philosophie et du savoir. ["de son mieux la science...": addition. Elle se substitue à "["de son mieux" ajouté] la philosophie [corrigé par "la science et la sagesse"]." La copie donne: "de son mieux la science et la sagesse." Puis l'addition est faite de la main de la copiste.]
Il répétait souvent à Gwynplaine : — Sois un philosophe. Être sage, c’est être invulnérable. Tel que tu me vois, je n’ai jamais pleuré. Force de ma sagesse. Crois-tu que, si j’avais voulu pleurer, j’aurais manqué d’occasion ? ["Il répétait souvent...": ajouté à l'addition qui précède.] Ursus, dans ses monologues écoutés par le loup, disait : J’ai enseigné à Gwynplaine Tout [majuscule en sc.], y compris le latin, et à Dea Rien, y compris la musique. [signes ajoutés d'alinéa à faire]
["Ursus avait un jo" barré en correction cursive] Il leur avait appris à tous deux à chanter. Il avait lui-même un joli talent sur la muse de blé, une petite flute de ce temps-là. Il en jouait agréablement, ainsi que de la chiffonie, sorte de vielle de mendiant, que la chronique de Bertrand Duguesclin qualifie « instrument truand », et qui est le point de départ de la symphonie [", et qui est...": addition; de même à la copie]. Ces musiques attiraient le monde. Ursus montrait à la foule sa chiffonie et disait : — En latin organistrum.
Il avait enseigné à Dea et à Gwynplaine le chant selon la méthode d’Orphée et d’Égide Binchois. [+ sans doute barré en correction cursive] Il lui était arrivé plus d’une fois de couper [corrige "d'interrompre"] les leçons de ce cri d’enthousiasme : — Orphée, musicien de la Grèce ! Binchois, musicien de la Picardie !
Ces complications d’éducation soignée n’avaient pas occupé les deux enfants au point de les empêcher de s’adorer. Ils avaient [f° 255, F10, intercalation: reprise et développement de l'addition du début du f° 257 qui commence par les mêmes mots] grandi en mêlant leurs cœurs, comme deux arbrisseaux plantés près, en devenant arbres, mêlent leurs branches.
— C’est égal, murmurait Ursus, je les marierai.
Et il bougonnait en aparté :
— Il m’ennuient avec leur amour.
Le passé, le peu qu’ils en avaient du moins, n’existait point pour Gwynplaine et Dea [corrige "eux"]. Ils en savaient ce qu’Ursus leur en avait dit. Ils appelaient Ursus « Père ».
Gwynplaine n’avait souvenir de son enfance que comme d’un passage de démons sur son berceau. Il en avait une impression comme d’avoir été trépigné dans l’obscurité [corrige "la nuit"] sous des pieds difformes. Était-ce exprès, ou sans le vouloir ? il l’ignorait. ["Etait-ce exprès...": encadré de barres verticales, reproduites à la copie et biffées par VH] Ce qu’il se rappelait nettement, et dans les moindres détails, c’était la tragique aventure ["tragique aventure": première rédaction: "lugubre et + +"; "lugubre" est déplacé en seconde position puis barré; "tragique", en variante sans choix de "terrifiante" est préféré à la copie] de son abandon. La trouvaille de Dea faisait pour lui de cette nuit lugubre [corrige "funèbre" en correction cursive] une date sacrée [variante sans choix: "radieuse" préfrée à la copie].
La mémoire de Dea était, [virgule ajoutée] plus encore que celle de Gwynplaine, dans la nuée. Si petite, tout s’était dissipé ["derrière elle +" barré. Le dernier mot est placé entre barres verticales avant d'être barré.] . Elle se rappelait sa mère comme une chose froide. Avait-elle vu le soleil ? Peut-être. Elle faisait effort [", elle" barré en correction cursive] pour replonger son esprit dans cet évanouissement qui était derrière elle. Le soleil ? qu’était-ce ? Elle se souvenait d’on ne sait quoi de lumineux et de doux [variante sans choix: "doux", préférée à la copie] ["d'on ne sait..." corrige, avec des étapes non lues, "quelque chose de + et de doux"] que Gwynplaine avait remplacé.
Ils se disaient des choses ["disaient..." corrige "parlaient beaucoup"] à voix basse. Il est certain que roucouler est ce qu’il y a de plus important ["ce qu'il y a..." corrige "la plus importante des choses"] sur la terre. Dea disait à Gwynplaine : La lumière, c’est quand tu parles. [signe d'alinéa ajouté; de même à la copie]
Une fois, n’y tenant plus, Gwynplaine, apercevant à travers la [variante sans choix: "une", préférée à la copie] manche de mousseline le bras de Dea, effleura de ses lèvres cette transparence. Bouche difforme, baiser idéal. Dea sentit un ravissement profond. Elle devint toute rose. Ce baiser d’un monstre fit l’aurore sur ce beau front plein de nuit. [f° 256, G10; suite de l'intercalation commencée au folio précédent.] Cependant [ajouté; ajouté également à la copie, de la main de la copiste] Gwynplaine soupirait avec une sorte de terreur, et, comme la gorgère de Dea s’entrebaillait, il ne pouvait s’empêcher de regarder des blancheurs visibles par cette ouverture de paradis.
Dea releva sa manche et tendit à Gwynplaine son bras nu en disant : Encore ! Gwynplaine se tira d’affaire par l’évasion.
Le lendemain ce jeu recommençait, avec des variantes. Glissement céleste dans ce doux abîme qui est l’amour.
Ce sont là des choses auxquelles le bon Dieu, en sa qualité de vieux philosophe, sourit.
[grand blanc jusqu'au bas de la page]
[f° 257, H10. L'addition du haut de la page barrée a été développée aux folios 255-256. En rédaction initiale, ce folio prenait la suite du f° 252. Une première intercalation, celle du f° 254, entraîne l'addition au haut du folio 257. Ensuite deux intercalations sont ajoutées de part et d'autre, celle des folios 255-256, puis celle du folio 253, plus tardive puisqu'elle entraine l'intercalation d'un folio à la copie.]
["grandi en mêlant leurs cœurs, comme deux arbrisseaux plantés près, ["qui" barré] en devenant arbres, mêlent leurs branches.
— C’est égal, murmurait [en sc. sur +] Ursus, je les marierai.
Et il grommelait en aparté : — Il m’ennuient avec leur amour." barré : début du folio prenant la suite du folio 254 intercalé avant l'intercalation de second niveau des folios 255-256.]
[rédaction initiale barrée du folio
lorsqu'il prend la suite du f° 252:
"Ursus ajoutait [+ + ajouté]
— Je leur ferai un de ces jours un mauvais tour. Je les marierai."]
Parfois Gwynplaine s’adressait [corrige "se faisait"] des reproches. Il se faisait de son bonheur ["Il se faisait..." corrige "Son bonheur devenait par instants" qui corrige "Son bonheur lui était tout à coup"] un cas de conscience. Il s’imaginait que se laisser aimer par cette femme qui ne pouvait le voir, c’était la tromper. Que dirait-elle si ses yeux s’ouvraient tout à coup ? ["comme elle reculerait devant son effroyable aimant" barré en correction cursive] comme ce qui l’attire la repousserait ! comme elle reculerait devant son effroyable aimant ! quel cri ! quelles mains voilant son visage ! quelle fuite ! Un pénible [en sc. sur +] scrupule le harcelait. Il se disait que, monstre, il n’avait pas droit à l’amour ["d'une déesse" variante sans choix: "d'un ange", le tout barré; de même à la copie] . Hydre idolâtrée par l’astre, il était de son devoir [en sc. sur "pouvoir"(?)] d’éclairer cette étoile aveugle. [signe d'alinéa à faire ajouté]
Une fois il dit à Dea : — Tu sais que je suis très laid.
— Je sais que tu es sublime, répondit-elle.
Il reprit :
— Quand tu entends tout le monde rire, c’est de moi qu’on rit, parce que je suis horrible.
— Je t’aime, lui dit Dea.
Après un silence, elle ajouta :
— ["Que serais-je sans toi?" barré] J’étais dans la mort ; tu m’as remise dans la vie. Toi là, c’est le ciel à côté de moi. Donne-moi ta main, que je touche Dieu !
Leurs mains se cherchèrent et s’étreignirent, et ils ne dirent plus une parole, rendus silencieux par la plénitude de s’aimer.
Ursus, bourru, ["bourru," entre barres verticales, biffées à la copie] avait entendu. Le lendemain, comme ils étaient tous trois ensemble, il dit :
— D’ailleurs Dea est laide aussi.
Le mot manqua son effet. [phrase ajoutée] Dea et Gwynplaine n’écoutaient [corrige "n'entendirent"] pas. Absorbés l’un dans l’autre, ils percevaient [variante abandonnée: "entendaient"] rarement les épiphonèmes d’Ursus. Ursus était profond en pure perte.
Cette fois pourtant la précaution d’Ursus, « Dea est laide aussi » indiquait chez cet homme docte ["cet homme docte" corrige "le philosophe"] une certaine science de la femme. Il est certain que Gwynplaine avait fait, loyalement, une imprudence. Dit à une toute autre femme et à une toute autre aveugle que Dea, le mot : Je suis laid, eût pu être dangereux. Être [f° 258, I10. Mise au net. Trait d'interruption] aveugle et amoureux, c’est être deux fois aveugle. Dans cette situation là on fait des songes ; l’illusion est le pain du songe ; ôter l’illusion à l’amour, c’est lui ôter l’aliment. Tous les enthousiasmes entrent utilement dans sa formation ; aussi bien l’admiration physique que l’admiration morale. D’ailleurs il ne faut jamais dire à une femme de mot difficile à comprendre. Elle rêve là dessus. Et souvent elle rêve mal. Une énigme dans une rêverie fait du dégât. La percussion d’un mot qu’on a laissé tomber désagrège ce qui adhérait. Il arrive parfois que, sans qu’on sache comment, parce qu’il a reçu le choc obscur d’une parole en l’air, un cœur se vide insensiblement. L’être qui aime ["L'être...": variante sans choix de "On"; à la copie, correction autographe de "On"] s’aperçoit d’une baisse dans son bonheur. Rien n’est redoutable comme cette exsudation lente de vase fêlé. [Formule notée en 24 747, f° 161v]
Heureusement Dea n’était point de cette argile. La pâte à faire toutes les femmes n’avait pas [corrige "point"] servi pour elle. C’était une [corrige cursivement "Elle était d'une"] nature rare que Dea. Le corps était fragile, le cœur non. Ce qui était le fond de son être, c’était une divine persévérance d’amour.
[Trait d'interruption. Les quatre premières lignes qui suivent sont écrites au-dessus de trois lignes préparatoires, au crayon. On distingue: "Ici le mot + qu'est-ce que cela / finir par : G se sent homme et regarde les femmes"]
Tout le creusement que produisit en elle le mot de Gwynplaine aboutit à lui faire dire un jour cette parole :
— Être laid, qu’est-ce que c'est que cela ? c’est faire du mal. Gwynplaine ne fait que du bien. Il est beau.
Puis, toujours sous cette forme d’interrogation familière aux enfants et aux aveugles, elle reprit :
— Voir ? qu’appelez-vous voir, vous autres ? moi je ne vois pas, je sais. Il paraît que voir, cela cache ["cela cache" correction, liée à l'addition qui suit, de plusieurs mots dont le dernier avait été encadré de barres verticales avant suppression].
— Que veux-tu dire ? demanda Gwynplaine.
Dea répondit :
— Voir est une chose qui cache le vrai. ["— Que veux-tu..." ajouté]
— Non, dit Gwynplaine [en sc. sur "Ursus"]. [inadvertance rare mais pas unique, corrigée, sans doute immédiatement, mais significative: Ursus et Gwynplaine sont deux faces du même moi idéal de leur auteur.]
— Mais si ! répliqua Dea, puisque tu dis que tu es laid ! ["men(teur)" barré en correction cursive]
Elle songea un moment, et ajouta :
— Menteur !
Et Gwynplaine [en sc. crusive sur "Ursus"] avait cette joie d’avoir avoué et de n’être pas cru. Sa conscience était en repos, son amour aussi.
Ils étaient arrivés ainsi, elle à seize ans, [f° 259, J10. Trait d'interruption à la fin du folio.] lui à vingt-cinq [en sc. sur "vingt-quatre"].
Ils n’étaient pas, comme on dirait aujourd’hui, « plus avancés » que le premier jour. Moins ; puisque, l’on s’en souvient, ils avaient eu leur nuit de noces, elle âgée de neuf mois, lui de dix [en sc. sur "neuf"] ans. ["Moins;..." corrige "Ils + + + + +"] Une sorte de sainte enfance continuait dans leur amour ; c’est ainsi qu’il arrive parfois que le rossignol attardé prolonge son chant de nuit jusque dans l’aurore.
Leurs caresses n’allaient guère au delà des mains pressées [semble corriger le singulier] , et parfois du bras nu effleuré [", et parfois..." ajouté] . Une volupté doucement bégayante leur suffisait.
Vingt-quatre ans, seize ans. Cela fit qu’un matin [+ barré] , Ursus, ne perdant pas de vue son « mauvais tour », leur dit ["leur dit" corrige "dit" en correction cursive]:
— Un de ces jours vous choisirez une religion.
— Pourquoi faire ? demanda Gwynplaine.
— Pour vous marier.
— Mais c’est fait, répondit Dea. ["Vingt-quatre ans..." addition; elle remplace " Ursus disait [corrigé en "Ursus, ne perdant pas de vue son «mauvais tour», disait"] :
— Un de ces jours, vous choisirez une religion, et vous vous marierez.
— Mais c'est fait, répondait Dea."]
Dea [corrige "Elle"] ne comprenait point qu’on pût être mari et femme plus qu’ils ne l’étaient ["qu'ils ne l'étaient" corrige "que cela"] .
Au fond, ["Au fond," : ajouté] ce contentement chimérique et virginal, ce naïf assouvissement de l’âme par l’âme, ce célibat pris pour mariage, ["ce célibat..." ajouté] ne déplaisait point à Ursus. Ce qu’il en disait, c’était parce qu’il faut bien parler. Mais ["Ce qu'il en disait...": addition] le médecin qu’il y avait en lui trouvait Dea, sinon trop jeune, du moins trop délicate et trop frêle pour ce qu’il appelait « l’hyménée en chair et en os » ["pour ce qu'il..." corrige "pour le mariage"] .
Cela viendrait toujours assez tôt. [phrase ajoutée, de la même plume que la correction précédente]
D’ailleurs, mariés, ne l’étaient-ils point ? Si l’indissoluble existait [corrige "était"] quelque part, n’était-ce pas dans cette cohésion ["cette cohésion" corrige "cette +" qui corrige "ces deux-là"], Gwynplaine et Dea ["dans cette..." corrige "là"] ? Chose admirable [variante abandonnée: "merveilleuse"], ils étaient adorablement jetés dans les bras l’un de l’autre par le malheur. Et comme si ce n’était pas assez de ce premier lien ["ce n'était pas assez..." corrige "ce premier lien n'eût pas suffi"] , sur le malheur était venu se rattacher, s’enrouler ["rattacher..." corrige "nouer"] et se serrer l’amour. Quelle force peut [corrige "pourra"; une autre correction est abandonnée] jamais rompre la [corrige "une" qui corrige "cette"] chaîne de fer consolidée par le [corrige "un" qui corrige "ce"] nœud de fleurs ?
[changement d'écriture et d'interlignage] Certes, [ajouté] les inséparables étaient là.
Dea avait la beauté ; Gwynplaine avait la lumière. Chacun apportait sa dot ; et ils faisaient plus que le couple, ils faisaient la paire ; séparés seulement par l’innocence, interposition sacrée.
Cependant Gwynplaine avait beau rêver [corrige "faire"] et s’absorber le plus qu’il pouvait ["le plus..." ajouté] dans la contemplation de Dea et dans le for intérieur de son amour, il était homme. Les lois fatales ne s’éludent point. Il subissait, comme toute l’immense nature, les fermentations obscures voulues par le créateur. Cela parfois, ["lui fai(sait)" barré en correction cursive] quand il ["était" barré en correction cursive] paraissait en public, lui faisait regarder les femmes qui étaient dans la foule ; mais il détournait [variante sans choix: "baissait" biffée à la copie] tout de suite ce regard en contravention, et il se hâtait de rentrer, repentant, dans son âme.
[changement d'écriture] Ajoutons que l’encouragement manquait. Sur le visage de toutes les femmes qu’il regardait il voyait l’aversion, [ajout à l'ajout qui suit; ajouté à la copie] l’antipathie, la répugnance, le rejet [corrige "l'escarpement inaccessible"] . ["l'aversion..." corrige et complète "l'horreur."] Il était clair qu’aucune autre que Dea n’était possible pour lui. Cela l’aidait à se repentir.
[Trait d'interruption.]
[f° 260, K10. Trait d'interruption. Au coin supérieur droit: "1er juin".]
Que de choses vraies dans les contes ! La brulure du diable invisible [ajouté] qui vous touche, c’est le remords d’une mauvaise pensée.
Chez Gwynplaine, la mauvaise pensée ne parvenait point à éclore, et il n’y avait jamais remords. Mais il y avait parfois regret.
Vagues brumes [en sc. sur "nuages"] de la conscience.
Qu’était-ce ? Rien. ["Que de choses...": addition; addition, à la copie, de la main de la copiste]
["Donc" encadré de barres verticales puis barré] Leur bonheur était complet. Tellement complet qu’ils n’étaient même plus pauvres.
[Trait d'interruption.]
De 1689 à 1704 [en sc. sur "1705"; "1705" corrigé à la copie] une transfiguration avait eu lieu .
Il arrivait parfois, en cette année 1704 [en sc. sur "1705": "1705" corrigé à la copie] , qu’à la nuit tombante, dans telle ou telle petite ville du littoral, un vaste et lourd fourgon, traîné par deux chevaux ["hackneys": variante abandonnée] robustes, faisait son entrée. ["Il y avait autour de cette machine fièrement cahotante ébahissement des bourgeois." barré et repris plus loin] Cela ressemblait à une coque de navire ["renversée" addition abanonnée] qu’on aurait ["mise sur quat(re)" barré en correction cursive] renversée, la quille pour toit, le pont pour plancher, et mise sur quatre roues. Les roues étaient égales toutes quatre et ["égales...": addition] hautes comme des roues de fardier. Roues, timon [en sc. sur "brancard"(?)] et fourgon, tout était badigeonné [corrige "peint"] en vert, avec une gradation rhythmique de nuances qui allait du vert bouteille pour les roues au vert pomme pour la toiture ["la toiture" en sc. sur ++] . Cette [en sc. cursive sur "+] couleur verte avait fini par faire remarquer cette voiture, et elle était connue dans les champs de foire ; on l’appelait la Green-Box, ce qui veut dire la Boîte-Verte [", ce qui veut...": addition; de même à la copie] . Cette Green-Box n’avait que ["au vert pomme...": addition correctrice; elle remplace "au vert émeraude pour les chassis des fenêtres et au vert pomme pour la toiture. Il n'y avait que"] deux fenêtres, une à chaque extrémité, et à l’arrière une porte avec marchepied ["une à chaque extrémité..." addition correctrice, peut-être en deux temps, de "l'une à l'arrière, l'autre à l'avant"] . Sur le toit, [faux départ: "une fumée sortait"] d’un tuyau peint en vert comme le reste, sortait une fumée. Cette maison en marche était toujours vernie à neuf et lavée de frais. A l’avant, sur un strapontin adhérent au fourgon et ayant pour porte la fenêtre ["et ayant..." ajouté] , au-dessus de la croupe des chevaux, à côté d’un vieillard qui tenait les guides et dirigeait [en sc. sur "conduisait"] l’attelage, deux femmes brehaignes, c’est-à-dire [corrige "lisez"] bohémiennes, vêtues en déesses, sonnaient [corrige "jouaient"] de la trompette. L’ébahissement des bourgeois contemplait et commentait cette machine, fièrement cahotante [la phrase corrige "Il y avait autour de cette machine fièrement cahotante ébahissement des bourgeois"] .
C’était l’ancien [corrige "antique"]
établissement d’Ursus, amplifié par le succès ["le
succès" rétabli après avoir été corrigé en "la réussite"(?)],
et de tréteau promu théâtre. [Rédaction
initiale partielle et abandonnée du paragraphe: "Qu'était-ce que"
barré; au dessous: "C'était la cahute d'Ursus transfigurée." V.H. a
d'abord écrit: "Qu'était-ce que" et sans achever la phrase, l'a barrée
et remplacée par "C'était la cahute d'Ursus transfigurée." avant de
barrer également cette phrase et d'écrire "C'était l'antique
établissement...".]
Une espèce d’être entre chien et loup était enchaîné sous le fourgon. C’était Homo.
Le vieux cocher qui menait [corrige "fouettait"] les hackneys était la personne même du philosophe.
D’où venait cette croissance de la cahute misérable en berlingot [corrige "char"] olympique ?
De ceci : Gwynplaine était célèbre.
C’était avec un flair vrai de ce qui est la réussite [en sc. sur "le succès"] [f° 261, L10. Cinq traits d'interruption superposés, et peut-être un autre plus loin.] parmi les hommes qu’Ursus avait dit à Gwynplaine : — On a fait ta fortune.
[Cinq traits d'interruption.]
Ursus, on s’en souvient, avait fait de Gwynplaine son élève. Des inconnus avaient travaillé le visage, il avait, lui, travaillé l’intelligence, et derrière ce masque si bien réussi il avait mis le plus qu’il avait pu de pensée. Dès que l’enfant grandi lui en avait paru digne, il l’avait produit sur la scène, c’est à dire sur le devant de la cahute. L’effet de cette apparition avait été extraordinaire. Tout de suite les passants avaient admiré ["les passants..." corrige "la foule + +"] . Jamais on n’avait rien vu de comparable à ce surprenant mime du rire. On ignorait comment ce miracle d’hilarité communicable [corrige "contagieuse"] était obtenu, les uns le croyaient naturel, les autres le ["croy" barré en correction cursive] déclaraient artificiel, et les conjectures s’ajoutant à la réalité [en sc. sur "curiosité"] , partout, dans les carrefours, dans les marchés, dans toutes les stations de foire et de fête, ["dès que la Gree" barré en correction cursive] la foule se ruait vers ["la foule..." corrige "la populace courait à"] Gwynplaine. Grâce ["Gwynplaine. Grâce" corrige "Gwynplaine et, grâce"; même correction à la copie] à cette « great attraction », il y ["avait très" barré en correction cursive] avait eu dans la pauvre escarcelle du groupe nomade pluie de liards d’abord, ["puis de p+" barré en correction cursive] ensuite de gros sous, et enfin de shellings. Un lieu de curiosité épuisé, on passait à l’autre; rouler n’enrichit pas une pierre, mais enrichit une cahute ; ["rouler n'enrichit..." corrige "cahute qui roule fait meilleure besogne que pierre qui roule,"; même correction à la copie de la main de la copiste] et d’année en année, de ville en ville, avec l’accroissement de la taille et de la laideur de Gwynplaine, la fortune prédite par Ursus était venue.
— Quel service on t’a rendu là, mon garçon ! disait Ursus. [réplique ajoutée à l'addition en cours] ["Ursus, on s'en souvient...": addition. Elle est écrite en deux endroits par-dessus un texte préparatoire au crayon. Elle se substitue à une première addition: "Cahute qui roule fait meilleure besogne que pierre qui roule. Le pronostic d'Ursus s'était réalisé."]
Cette « fortune » avait permis à Ursus, administrateur du succès de Gwynplaine, de faire construire la charrette de ses rêves, c’est à dire un fourgon assez vaste pour porter un théâtre et semer la science et l’art dans les carrefours. De plus, Ursus avait pu [". De plus Urus avait pu" corrige ", et d'"; de même à la copie] ajouter au groupe composé de lui, d’Homo, de Gwynplaine et de Dea, deux chevaux et deux femmes, lesquelles étaient [de faire construire..." remplace "d'acheter deux chevaux et de ramasser dans le pêle-mêle nomade des carrefours" lui-même remplacé en correction cursive par "d'ajouter au groupe deux chevaux et deux femmes, lesquelles étaient"] dans la troupe déesses, nous venons de le dire, et servantes. Un frontispice mithologique était utile alors à une baraque ["de clowns et" barré; de même à la copie] de bateleurs. — Nous sommes un temple errant, disait Ursus. ["— Nous sommes...": addition] [signe d'alinéa à faire ajouté; de même à la copie]
Ces deux brehaignes, ramassées par le philosophe [corrige
"Ursus"] dans le pêle-mêle nomade des bourgs et faubourgs ["bourgs et faubourgs" corrige "villes et
faubourgs" qui corrige "carrefours"] , étaient laides et
jeunes, et s’appelaient, par la volonté d’Ursus, l’une Phœbé et l’autre
Vénus. Lisez : Fibi et Vinos. Attendu qu’il est
convenable de se conformer à la prononciation anglaise.
["Attendu..." remplace "Prononciation anglaise."]
Phœbé faisait la cuisine et Vénus scrobait le temple [corrige, peut-être en correction cursive, "la baraque"].
De plus, les jours de performance, elles habillaient Dea. [corrige
"De plus, elles habilllaient Dea les jours de performance."]
En dehors de ["la vie pub" barré en correction cursive] ce qui est, pour les bateleurs comme pour les princes, « la vie publique », Dea était, comme Fibi et Vinos, vêtue d’une jupe florentine en toile fleurie et d’un capingot de femme qui, n’ayant pas de manches, laissait les bras libres. Ursus et Gwynplaine portaient des capingots d’hommes, et, comme les matelots de guerre, de grandes chausses à la marine. Gwynplaine avait en outre, pour les travaux et les exercices de force, autour du cou et sur les épaules une esclavine de cuir. Il soignait les chevaux. Ursus et Homo avaient soin l’un de l’autre.
Dea, à force d’être habituée à la Green-Box, allait et venait dans l’intérieur de la maison roulante presque avec aisance, [virgule au texte autographe de la copie, mais pas à celui du ms] et comme si elle y voyait. [paragraphe en addition; de même à la copie]
L’œil qui eût pu pénétrer dans la structure intime et dans l’arrangement ["la structure..." corrige "l'intérieur"; de même à la copie] de cet édifice ambulant eût aperçu dans un angle, amarrée aux parois [", l'antique" barré en correction cursive] et immobile sur ses quatre roues, l’antique cahute d’Ursus mise à la retraite, ayant permission de se rouiller, et désormais dispensée de rouler comme Homo de traîner.
Cette cahute, rencognée à l’arrière à droite de la porte, servait de chambre et de vestiaire ["et de vestiaire" ajouté] à Ursus et à Gwynplaine. Elle contenait maintenant deux lits. [phrase ajoutée; de même à la copie de la main de la copiste] Dans le coin vis à vis ["vis à vis" corrige "d'en face"] était la cuisine.
Un aménagement de navire n’est pas plus concis et plus précis que ne l’était l’appropriation intérieure [corrige "l'arrangement intérieur"; de même à la copie] de la Green-Box. Tout y était casé, rangé, prévu, voulu. [comparaison notée en 13 465, f° 108v°]
Le berlingot était coupé [", comme une jonque chinoise," rayé à l'encre rouge; barré à la copie] en trois compartiments cloisonnés. Les compartiments communiquaient par des baies libres [corrige "une baie libre"] [f° 262, M10] et sans porte. Une pièce d’étoffe tombante les fermait [variante abandonnée: "séparait"] à peu près. [phrase ajoutée; ajoutée à la copie de la main de la copiste] Le compartiment d’arrière était le logis des hommes [corrige "femmes"], le compartiment d’avant était le logis des femmes, le compartiment du milieu, séparant les sexes, était le théâtre. Les effets d’orchestre et de machines étaient dans la cuisine. [" et les effets d'orchestre" écrit par inadvertance, peut-être en recopiant une ébauche ou une première rédaction, et barré] Une soupente sous la voussure du toit contenait les décors, et en ouvrant une trappe à cette soupente ["à cette...": ajouté] on démasquait des lampes qui produisaient des magies d’éclairage.
Ursus était le poète [en sc. sur "sorcier"] de ces magies. C’était lui qui faisait les pièces. ["Il + Thespis." barré]
Il avait des talents divers. Il faisait des tours de passe passe très particuliers [corrige "étranges"]. Outre les voix qu’il faisait entendre, il produisait toutes sortes de choses inattendues, des chocs de lumière et d’obscurité, des formations spontanées ["formations spontanées" corrige "apparitions"] de chiffres ["à volonté" barré en correction cursive] ou de mots à volonté sur une cloison, [point corrigé en virgule] des clair-obscurs mêlés d’évanouissements de figures, ["des clair-obscurs...": addition] force bizarreries parmi lesquelles, inattentif à la foule qui s’émerveillait, il semblait méditer.
Un jour Gwynplaine lui avait dit :
— Père, vous avez l’air d’un sorcier [variante abandonnée: "magicien"].
Et Ursus avait répondu :
— Cela tient peut-être à ce que je le suis.
["Il avait des talents...": addition; de même à la copie; le texte de
la copie intègre les corrections du manuscrit.]
La Green-Box, fabriquée ["La Green-Box..." corrige "Le berlingot, construit"] sur la savante épure d’Ursus, offrait [corrige "avait"] ce raffinement ingénieux qu’entre les deux roues de devant et de derrière, le panneau central de la façade de gauche [corrige "droite"; même correction à la copie de la main de la copiste] ["s'abattait à volonté"; barré en correction cursive] tournait sur charnière à l’aide d’un jeu de chaînes et de poulies, ["à l'aide d'un jeu...": ajouté] et s’abattait à volonté comme un pont-levis. En s’abattant il mettait en liberté trois supports-fléaux [corrige "supports"] à gonds qui, gardant la verticale pendant que le panneau s’abaissait ["pendant que le panneau...": ajouté] , venaient se poser droits sur le sol comme les pieds d’une table, et soutenaient au dessus du pavé, ainsi qu’une estrade, le panneau devenu plateau. En même temps le théâtre apparaissait, augmenté du plateau qui en faisait l’avant-scène. Cette ouverture ressemblait absolument à une bouche de l’enfer, au dire [un ou deux mots, entre barres verticales, barrés] des prêcheurs puritains en plein vent qui s’en détournaient avec horreur. Il est probable que c’est pour une invention impie de ce genre que Solon donna des coups de bâton à Thespis.
Thespis du reste a duré plus longtemps qu’on ne croit. La charrette-théâtre existe encore. C’est sur des théâtres roulants de ce genre qu’au seizième et au dix-septième siècle on a joué en Angleterre les ballets et ballades d’Amner et de Pilkington, en France les pastorales de Gilbert Colin, en Flandre, aux kermesses, les doubles-chœurs de Clément, dit Non Papa ["de Gilbert Colin..." corrige et complète + +] , en Allemagne l’Adam et Ève de Theiles, et en Italie les parades vénitiennes d’Animuccia et de Ca-Fossis, les sylves de Gesualdo, prince de Venouse,["les parades...": ajouté] le Satyre de Laura Guidiccioni, le Désespoir de Philène, la Mort d’Ugolin de Vincent Galilée, père de l’astronome, lequel Vincent Galilée chantait lui-même sa musique en s’accompagnant de la viole de gambe ["de gambe" ajouté], et tous ces premiers essais d’opéra italien qui, dès 1580, ont substitué l’inspiration libre au genre madrigalesque.
Le [un mot barré, peut-être en correction cursive] chariot couleur d’espérance ["couleur..." corrige "vert"] qui portait Ursus, Gwynplaine et leur fortune, [", Gwynplaine..." corrige "et son groupe"(?)] et en tête duquel Fibi et Vinos trompettaient comme deux renommées, faisait partie de tout ce grand ensemble bohémien et littéraire. [à la suite, faux départ en première rédaction "[alinéa] Il semait l'art dans les carrefours"] Thespis n’eût pas plus désavoué Ursus que Congrio [corrige deux autres noms] n’eût désavoué Gwynplaine. ["La Green-Box semait l'art dans les carrefours." barré] ["trompettaient...": ces quatre dernières lignes sont écrites au-dessus d'un texte préparatoire au crayon]
A l’arrivée, sur les places des villages et des villes ["sur les places..." corrige "dans les villages et villes"; même correction à la copie de la main de la copiste], dans les intervalles de la fanfare de Fibi et Vinos ["de Fibi..." ajouté] , Ursus commentait les trompettes ["de Fibi et Vinos" barré] par des [un mot barré, sans doute en correction cursive] révélations instructives. — Cette symphonie est grégorienne, s’écriait-il. Citoyens bourgeois, le sacramentaire grégorien ["s'est" barré en correction cursive] , ce grand progrès, ["ce grand..." placé entre barres verticales biffées à la copie] s’est heurté en Italie contre le rit ambrosien et en Espagne contre le rit mozarabique, et n’en a triomphé que difficilement.
Après quoi, la Green-Box s’arrêtait dans un lieu quelconque du choix d’Ursus ["dans un lieu..." en sc. sur "sur la place"] , et le soir venu, le panneau avant-scène s’abaissait, le théâtre s’ouvrait, et la performance commençait. ["Thespis du reste...": addition. L'écriture suggère qu'elle a été écrite en deux temps: jusqu'à "semé l'art dans les carrefours" puis la suite; mais le même filet la place toute entière dans le texte.]
Le théâtre de la Green-Box ["de la Green-Box" ajouté] représentait un paysage peint par Ursus qui ne savait pas peindre, ce qui fait qu’au besoin le paysage pouvait représenter un souterrain.
Le rideau, ce que nous appelons la toile, était une triveline de soie à carreaux contrastés [en sc. sur +] .
Le public était dehors, dans la rue, sur la place, arrondi en ["arrondi en" corrige "faisant"] demi-cercle devant le spectacle, sous le soleil, sous les averses, disposition ["sous le soleil..." correction cursive de "au soleil, à la pluie, ce qui faisait"] qui faisait ["moins désirable" barré en correction cursive] la pluie moins désirable pour les théâtres de ce temps là que pour les théâtres ["le théâtre" mis deux fois au pluriel] d’à présent. Quand on le pouvait, on donnait les représentations dans une cour d’auberge, ce qui faisait qu’on avait ["ce qui faisait..." corrige "et l'on avait" qui corrige "et cela faisait"] autant de rangs de loges que d’étages de fenêtres. De cette manière [corrige "façon"] , le théâtre étant plus clos, le public était plus payant.
Ursus était de tout, de la pièce, de la troupe, [f° 263, N10. Trait d'interruption.] de la cuisine, ["de la cuisine," ajouté] de l’orchestre. Vinos battait [corrige "jouait"] du carcaveau, dont elle maniait à merveille les baguettes, et Fibi ["jouait" barré en correction cursive] pinçait de la morache, qui est une sorte de ["une sorte de" variante sans choix de "une", inscrite, à la copie, sur la ligne principale du texte puis répétée en interligne(?!)] guiterne [en sc. sur "guitare"]. Le loup avait été promu utilité. Il faisait décidément partie de « la compagnie », et jouait dans l’occasion des bouts de rôle. Souvent, quand ils paraissaient côte à côte sur le théâtre, Ursus et Homo, Ursus dans sa peau d’ours bien lacée, Homo dans sa peau de loup mieux ajustée encore, on ne savait lequel des deux était la bête ; ce qui flattait Ursus.
[Trait d'interruption.]
[En marge, devant le texte du paragraphe qui suit, "l'écriteau de Gwynplaine" écrit au crayon et barré d'un trait à l'encre.]
["En 1705, à force d'apparitions étranges aux yeux de la foule sous les élcairages féériques d'Ursus, Gwynplaine était arrivé, notamment dans les Cinq-Ports, [", notamment...": ajouté] à une fort satisfaisante renommé d'homme horrible; il lui suffisait de se montrer pour faire recette; il n'y avait pas aux environs de Londres un champ de foire où il ne fût fameux; il avait toute la basse popularité possible, parmi les matelots, les portefaix et les calfats.
Tellement qu'un jour Ursus, ambitieux, dit: Il faut aller à Londres." Ces deux paragraphes sont encadrés et barrés d'une grande croix. Ils sont repris, le second littéralement, au f° 282, sans qu'on puisse pour autant en conclure que les folios 264-282 sont intercalés, d'autant moins qu'ils entrent dans la série des folios porteurs du trait d'interruption du travail quotidien.]
[f° 264 blanc, f° 265, O10. Mise au net. Blanc initial rempli par les titres.]
Les pièces d’Ursus étaient des interludes, genre un peu ["un peu" ajouté] passé de mode aujourd’hui. Une de ces pièces, qui n’est pas venue jusqu’à nous, était intitulée Ursus Rursus. Il est probable qu’il y jouait le principal rôle. Une fausse sortie suivie d’une rentrée, c’était vraisemblablement le sujet, sobre et louable.
["Comme on le voit," barré et déplacé] Le titre des interludes d’Ursus était quelquefois en latin, comme on le voit, ["comme on..." ajouté] et la poésie quelquefois en espagnol. Les vers espagnols d’Ursus étaient rimés comme presque tous les sonnets castillans de ce temps là. Cela ne gênait point le peuple. L’espagnol était alors une langue courante, et les marins [en sc. sur "matelots"] anglais parlaient castillan de même que les soldats romains parlaient carthaginois. Voyez Plaute. [phrase ajoutée] D’ailleurs, au spectacle comme à la messe [corrige "l'église"] , la langue, latine ou autre, que l’auditoire ne comprenait pas, n’embarrassait personne. On s’en tirait en l’accompagnant gaîment de paroles connues. Notre vieille France gauloise [un mot ("tout"?) barré] particulièrement avait cette manière-là [corrige "sa manière"] d’être dévote. [phrase ajoutée] A l’église, sur [en sc. sur +] un Immolatus les fidèles chantaient Liesse prendrai, et sur un Sanctus, Baise-moi, ma mie. Il fallut le concile de Trente pour mettre fin à ces familiarités. [paragraphe en addition]
Ursus avait fait spécialement pour ["spécialement pour" corrige "pour mettre en relief"] Gwynplaine un interlude dont il était content. C’était son œuvre capitale. Il s’y était mis tout entier. Donner sa somme dans son produit, c’est le triomphe de quiconque crée. La crapaude qui fait un crapaud fait un chef-d’œuvre. Vous doutez ? [phrase ajoutée et mise entre barres verticales qui ne sont pas reproduites à la copie] Essayez d’en faire autant.
[Deux lignes barrées en correction cursive: " Cet + + d'Ursus avait pour intitulé [un blanc de plusieurs mots] Voici ce que c'était."]
Ursus avait beaucoup léché cet interlude. Cet ourson était intitulé : Chaos vaincu. [Initialement la phrase est inachevée: "Chaos vaincu." est ajouté d'une autre plume.]
Voici ce que c’était :
Un effet de nuit. Au moment où la triveline s’écartait, la foule massée devant la Green-Box ne voyait que du noir. Dans ce noir se mouvaient, à l’état reptile, trois formes confuses [corrige "indistinctes"] , un loup, un ours et un homme. Le loup était le loup, Ursus était l’ours, Gwynplaine était l’homme. Le loup et l’ours représentaient les forces féroces de la nature, les faims inconscientes, l’obscurité sauvage, et tous deux se ruaient sur Gwynplaine, et c’était le chaos combattant l’homme. On ne distinguait la figure d’aucun; Gwynplaine se débattait couvert d’un linceul, et son visage était caché par ses épais [en sc. sur +] cheveux tombants. D’ailleurs tout était ténèbres. [phrase ajoutée] L’ours grondait, le loup grinçait, l’homme criait. L’homme [corrige "Il"] avait le dessous, les deux bêtes l’accablaient [corrige "le saisissaient(?)"] , il demandait aide et secours, il jetait dans l’inconnu un profond appel. Il râlait. On assistait [f° 266, P10] à cette agonie de l’homme ébauche, encore à peine distinct des brutes [corrige "bêtes"] , c’était lugubre, la foule regardait haletante, ["la foule...": ajouté] une minute de plus, les fauves triomphaient, et le chaos allait résorber l’homme. [faux départ: "Tout à coup"] Lutte, cris, hurlements, et tout à coup silence. Un chant dans l’ombre. Un souffle avait passé, on entendait une voix. Des musiques mystérieuses flottaient, accompagnant ce chant de l’invisible, et subitement, sans qu’on sût d’où ni comment, une blancheur surgissait. Cette blancheur était une lumière, cette lumière était une femme, cette femme était l’esprit. Dea, calme, candide, belle, ["calme..." corrige "belle, candide" qui corrige "éblouissante de beauté,"] formidable de sérénité et de douceur, apparaissait au centre d’un ["au centre d'un" corrige "dans un"] nimbe. Silhouette de clarté [en sc. sur "blancheur"(?)] dans de l’aurore [en sc. sur "la lumière"] . ["Silhouette...": addition] La voix, c’était elle. Voix légère, profonde, ineffable. [Toute la suite jusqu'à "Elle continuait, tournée vers lui." est écrite par dessus un texte préparatoire au crayon.] D’invisible ["D'invisible" corrige "Dans cette clarté [correction abandonnée: "aube"], d'invisible"] faite visible, dans cette aube, ["dans cette aube," ajouté] elle chantait. On croyait entendre une chanson d’ange ou un hymne d’oiseau. A cette apparition, l’homme, dressé dans un sursaut d’éblouissement, ["posait" barré en correction cursive] abattait ses deux poings sur les deux brutes terrassées.
Alors la vision, portée sur un glissement difficile à comprendre et d’autant plus admiré, ["portée sur...": addition] chantait ["mystérieusement": barré, rétabli et de nouveau barré] ces vers, d’une pureté espagnole suffisante pour les matelots anglais qui écoutaient :
Ora ! llora ! (1)
De palabra
Nace razon,
Da luz el son.
[(1)Prie ! pleure ! — Du verbe naît la raison. — Le chant crée la lumière.] [appel de note et note ajoutés à l'encre rouge; ajouts à la copie de la main de la copiste, déplacés du début à la fin du couplet.]
Puis elle baissait les yeux ["baissait..." corrige "regardait"] au-dessous d’elle comme si elle eût vu un gouffre, et reprenait :
Noche quita te de alli.(2)
El [corrige "La"] alba canta hallali.
[(2)Nuit ! va-t-en ! — l’aube chante hallali !] [appel de note et note ajoutés à l'encre rouge; ajouts à la copie de la main de la copiste, déplacés du début à la fin du couplet.]
A mesure qu’elle chantait, l’homme se levait de plus en plus, et, [virgule ajoutée] de gisant, il était maintenant agenouillé, les mains levées vers la vision, ses deux genoux posés sur les deux bêtes immobiles et comme foudroyées. Elle continuait, tournée vers lui :
Es menester a cielos ir,
Y tu que llorabas, reir(3).
[(3)Il faut aller au ciel — et rire, toi qui pleurais.] [appel de note et note ajoutés à l'encre rouge; ajouts à la copie de la main de la copiste, déplacés du début à la fin du couplet.]
Et, s’approchant, avec une majesté d’astre, elle ajoutait :
Gebra [corrige, à l'encre rouge d'abord, puis noire, "Rumpa"] barzon.
Dexa, monstro, [f° 267, [Q10 caché par le collage de la feuille. Mise au net.]
A tu negro
Caparazon.(4)
[(4)Brise le joug ! — quitte, monstre, — ta noire — carapace.] [appel de note et note ajoutés à l'encre rouge; ajouts à la copie de la main de la copiste]
Et elle lui posait la main sur le front.
Alors une autre voix s’élevait, plus profonde ["encore" barré en correction cursive] et par conséquent plus douce encore, voix navrée et ravie, d’une gravité tendre et farouche, et c’était le chant humain répondant au chant sidéral. Gwynplaine, toujours agenouillé dans l’obscurité ["toujours..." corrige "debout"] sur l’ours et le loup vaincus, la tête sous la main de Dea, chantait :
O ven ! ama !
Eres alma,
Soy corazon.(5)
[(5)Oh ! viens ! aime ! — tu es âme, — je suis
cœur.] [appel de note et note ajoutés à
l'encre rouge; ajouts à la copie de la main de la copiste]
Et brusquement, dans cette ombre, un jet de lumière frappait Gwynplaine en pleine face.
On voyait dans ces ténèbres le monstre épanoui.
Dire la commotion de la foule est impossible. Un soleil de rire ["de rire" en sc. sur +] surgissant, tel était l’effet. Le rire naît de l’inattendu, et rien de plus inattendu que ce dénouement. Pas de saisissement comparable à ce soufflet de lumière sur ce masque bouffon et terrible. On riait autour de ce rire ; partout, en haut, en bas, sur le devant, au fond, les hommes, les femmes, les vieilles faces chauves, les roses figures d’enfants, ["les gens gais, les" barré en correction cursive] les bons, les méchants, les gens gais, les gens tristes, tout le monde , et même dans la rue, les passants, ceux qui ne voyaient pas, en entendant rire, riaient. Et ["rire, riaient. Et" corrige "rire, et"] ce rire s’achevait en battements de mains et en trépignements. La triveline refermée, on rappelait Gwynplaine avec frénésie. ["Le succès" barré en correction cursive] De là un succès énorme. Avez-vous vu Chaos vaincu ? On courait à Gwynplaine. Les insouciances venaient rire, les mélancolies venaient rire, les mauvaises consciences venaient rire. Rire si irrésistible que par moments il pouvait sembler maladif. Mais s’il y a une peste que l’homme ne fuit pas, c’est la contagion de la joie. Le succès, du reste [variante sans choix: "au surplus"; la copie ne transcrit pas cette variante; il s'agit peut-être d'une correction faite aux épreuves et reportée au ms.] , ne dépassait point la populace. Grosse foule, c’est petit peuple. [phrase ajoutée] On voyait Chaos vaincu pour un penny. Le beau monde ne va pas où l’on va pour un sou. [phrase ajoutée]
Ursus ne haïssait point cette œuvre, longtemps couvée par lui. — C’est dans le genre d’un nommé Shakespeare, disait-il avec modestie.
[f° 268, R10]
La juxtaposition de Dea ajoutait à l’inexprimable effet de Gwynplaine. Cette blanche figure à côté de ce gnome, représentait ce qu’on pourrait appeler l’étonnement divin. Le peuple ["la" barré en correction cursive] regardait Dea avec une sorte d’anxiété mystérieuse. Elle avait ce je ne sais quoi de suprême de la vierge et de la prêtresse, qui ignore l’homme et connaît Dieu. On voyait qu’elle était aveugle et l’on sentait qu’elle était voyante. ["à côté de ce gnome...": addition; elle se substitue à "avait l'étonnement divin. On voyait qu'elle était aveugle et l'on sentait qu'elle était voyante. Le peuple la regardait avec une sorte d'anxiété mystérieuse."] Elle semblait debout sur le seuil du surnaturel. Elle paraissait être à moitié dans notre lumière et à moitié dans l’autre clarté. Elle venait travailler sur la terre, et travailler de la façon dont travaille le ciel, avec de l’aurore. Elle trouvait une hydre [en sc. sur "un monstre"] et faisait une âme. Elle avait l’air de la puissance créatrice, satisfaite et stupéfaite de sa création ; on [faux départ: "voyait"] croyait voir sur son visage adorablement effaré la volonté de la cause et la surprise du résultat. On sentait qu’elle aimait son monstre. Le savait-elle monstre ? Oui, puisqu’elle le touchait. Non, puisqu’elle l’acceptait. Toute cette nuit et tout ce jour mêlés se résolvaient dans l’esprit du spectateur en un clair obscur où apparaissaient des ["apparaissaient des" corrige "s'ébauchaient d'étranges" (?)] perspectives infinies. Comment la divinité adhère à l’ébauche, de quelle façon s’accomplit la pénétration de l’âme dans la matière, comment le rayon solaire est un cordon ombilical, comment le défiguré se transfigure, comment l’informe devient paradisiaque, tous ces mystères entrevus compliquaient d’une émotion presque cosmique [faux départ: "l'hilarité"] la convulsion d’hilarité soulevée par Gwynplaine; sans aller au fond, car le spectateur n’aime point la fatigue de l’approfondissement, on comprenait quelque chose au delà de ce qu’on apercevait [corrige "voyait"] , et ce spectacle étrange ["ce spectacle..." variante abandonnée: "cette vision étrange, Chaos vaincu,"] avait une transparence d’avatar.
Quant à Dea, ce qu’elle éprouvait échappe à la parole humaine. Elle se sentait au milieu d’une foule, et ne savait ce que c’était qu’une foule. Elle entendait une rumeur, et c’est tout. Pour elle une foule [correction cursive de "un souffle"] était un souffle ; et au fond ce n’est que cela. Les générations sont des haleines qui passent. L’homme respire, aspire et expire. Dans cette foule, Dea se sentait seule, et avait le frisson d’une suspension au dessus d’un précipice. Tout à coup, dans ce trouble de l’innocent en détresse prêt à accuser l’inconnu, dans ce mécontentement de la chute possible, Dea, [ajouté] sereine pourtant, et supérieure à la vague angoisse du péril, mais intérieurement [corrige "toute"] frémissante de son isolement, ["elle" barré] retrouvait sa certitude et son support ["sa certitude..." corrige "son point d'appui"; même correction à la copie de la main de la copiste] , elle ressaisissait son fil de sauvetage dans l’ ["immense" barré] univers des ténèbres, elle posait sa main sur la puissante tête de Gwynplaine. ["Elle lui" barré en correction cursive] Joie inouïe [corrige "profonde"] ! elle mêlait ses doigts roses à [en sc. sur "appuyait ses doigts roses sur", qui est le texte de la copie; et corrige "elle touchait"; correction vraisemblablement faite aux épreuves et reportée sur la copie] cette forêt de cheveux crépus. La laine touchée ["La laine..." corrige "Toucher de la laine, cela"; même correction à la copie de la main de la copiste] éveille une idée de douceur. Dea touchait un mouton qu’elle savait être un lion. Tout son cœur se fondait en un ineffable [corrige "angélique"] amour. Elle se sentait hors de danger ["hors de danger" corrige "sauvée"] , elle trouvait le sauveur [corrige "l'ange"]. Le public croyait voir le contraire. Pour les spectateurs, l’être [corrige "le"] sauvé, c’était Gwynplaine, et l’être sauveur ["être sauveur" corrige "ange"] , c’était Dea. Qu’importe ! pensait Ursus pour qui le cœur de Dea était visible. Et Dea, ["ravie," barré] rassurée, consolée, ravie [corrige "heureuse"], adorait l’ange, pendant que le peuple contemplait [corrige "constatait"] le monstre, et subissait, fasciné lui aussi, mais en sens inverse, cet immense rire prométhéen. ["Pour les spectateurs...": peut-être ajouté]
[f° 269, S10. Trait d'interruption à la fin du folio.]
L’amour vrai ne se blase pas. Étant tout âme, il ne peut ["disparaître ni" barré] s’attiédir. Une braise se couvre de cendre, une étoile non. Ces impressions exquises se renouvelaient tous les soirs pour Dea, et elle était prête à pleurer de tendresse pendant qu’on se tordait de rire. Autour d’elle on n’était que joyeux ; elle, elle était heureuse. [paragraphe ajouté]
Du reste l’effet de gaité, dû au rictus imprévu et [un mot ou une partie de mot, barré en correction cursive] stupéfiant de Gwynplaine, n’était évidemment pas voulu par Ursus. Il eut préféré plus de sourire et moins de rire, et une admiration plus littéraire. Mais triomphe console. Il se réconciliait tous les soirs avec son succès excessif [corrige "brutal"] , en comptant combien les piles de farthings [en sc. sur "pence"] ["piles..." corrige "pence"] faisaient de shellings, et combien les piles de shellings faisaient de pounds [en sc. sur "livres"; même correction à la copie]. Et puis il se disait qu’après tout, ce rire passé, Chaos vaincu se retrouvait au fond des esprits et qu’il leur en restait quelque chose. Il ne se trompait peut être point tout à fait. Le tassement d’une œuvre se fait [+ barré] dans le public. [phrase ajoutée] La vérité ["c' " barré] est que cette populace, attentive à ce loup, à cet ours, à cet homme, puis à cette musique, ["à ce loup..." : ajouté] à ces hurlements domptés par l’harmonie, à cette nuit dissipée par l’aube, à ce chant dégageant la lumière, acceptait avec une sympathie confuse et profonde, et même avec un certain respect attendri, ce drame poëme [corrige "poëme +"] de Chaos vaincu, cette victoire de l’esprit sur la matière, aboutissant à la joie de l’homme.
Tels étaient les plaisirs grossiers du peuple.
Ils lui suffisaient. Le peuple [faux départ: "ne pouvait pas, comme les"] n’avait pas le moyen d’aller aux « nobles matchs » de la gentry, et ne pouvait, comme les seigneurs et gentilshommes parier mille guinées pour Helmsgail contre Phelem-ghe-madone.
[Trait d'interruption. Blanc jusqu'au bas de la feuille.]
[f° 270, U10, chiffre caché par le collage de la feuille. Blanc au haut de la page. Trait d'interruption.]
L’homme a une pensée, se venger du plaisir qu’on lui fait. De là le mépris pour le comédien.
Cet être me charme, me divertit [corrige "m'amuse"] , me distrait, m’enseigne, m’enchante, me ["rend +" barré en correction cursive] console, ["console," ajouté] me verse l’idéal ["l'idéal" en sc. sur +] , m’est agréable et utile, quel mal puis-je lui rendre ? L’humiliation. Le dédain, c’est le soufflet à distance. Souffletons-le. Il me plaît, donc il est vil. Il me sert, donc je le hais. Où y a-t-il une pierre que je la lui jette ? Prêtre, donne la tienne. Philosophe, donne la tienne. Bossuet, excommunie-le. Rousseau, insulte-le. Orateur, crache-lui les cailloux de ta bouche. Ours, lance-lui ton pavé. Lapidons l’arbre, meurtrissons le fruit, et mangeons-le. Bravo ! et A bas ! Dire les vers des poëtes, c’est être pestiféré. Histrion, va ! mettons-le au carcan ["au carcan", sans doute oublié, est ajouté en marge et "mettons-le", initialement avec majuscule, est réécrit devant] dans son succès. Achevons-lui son triomphe en huée. ["mettons-le devant" barré en correction cursive] ["montons-le sur le théâtre" barré] Qu’il amasse [corrige "produise"; de même à la copie de la main de la copiste] la foule et qu’il crée la solitude. Et c’est ainsi que les classes riches, dites hautes classes, ont inventé pour le comédien cette forme d’isolement [variante abandonnée: "de l'isolement"] , l’applaudissement.
La populace est moins féroce. Elle ne haïssait point Gwynplaine. Elle ne le méprisait pas non plus. Seulement le dernier calfat [en sc. sur +] du dernier équipage de la dernière caraque amarrée dans le dernier des ports d’Angleterre ["le dernier..." corrige "l'un quelconque des Cinq-Ports"] [faux départ: "se regardait"] se considérait comme incommensurablement [corrige "fort"] supérieur a cet amuseur ["cet amuseur": correction cursive de "ce +"] de « la canaille », et estimait qu’un calfat est autant au dessus d’un saltimbanque qu’un lord est au dessus d’un calfat.
[Tait d'interruption]
Gwynplaine était donc, comme tous les comédiens, applaudi et isolé. Du reste ["+ pour le droit commun" placé entre barres veticales puis barré] ici-bas tout succès est crime, et s’expie. Qui a la médaille a le revers.
Pour Gwynplaine il n’y avait point de revers. En ce sens que les deux côtés de son succès lui agréaient. Il était satisfait [en sc. sur "content"] [f° 271, U10] de l’applaudissement, et content de l’isolement. Par l’applaudissement, il était riche ; par l’isolement, il était heureux.
Être riche, dans ces bas-fonds, c’est n’être plus misérable [corrige "indigent" puis est rayé avant d'être rétabli] . C’est n’avoir plus de trous à ses vêtements, plus de froid dans son âtre, plus de vide dans son estomac. C’est manger [en sc. cursive sur "boire"] à son appétit [corrige "sa faim"] et boire à sa soif. C’est avoir tout le nécessaire, y compris un sou à donner à un pauvre. Cette richesse indigente, [faux départ: "Gwynplaine l'avait, mais"] suffisante à la liberté, Gwynplaine l’avait.
Du côté de l’âme [corrige "la joie"] , il était opulent. Il avait l’amour. Que pouvait-il désirer ?
Il ne désirait rien.
La difformité de moins, il semble que ce pouvait être là une offre à lui faire. Comme il l’eût repoussée ! Quitter ce masque et reprendre son visage, redevenir ce qu’il avait été peut-être, beau et charmant, certes, il n’eût pas voulu ! Et avec quoi eût-il nourri Dea ? que fut devenue la pauvre douce aveugle qui l’aimait ? Sans ce rictus [corrige "cette face"] qui faisait de lui un clown unique, il ne serait plus qu’un saltimbanque comme un autre, le premier équilibriste venu, un ramasseur de liards [corrige "farthings"] entre les fentes des pavés, et Dea n’aurait peut-être pas du pain tous les jours ! Il se sentait avec un profond orgueil de tendresse le protecteur de cette infirme céleste [en sc. sur "radieuse"] . ["Cécité," barré] Nuit [corrige "nuit"], solitude [corrige "abandon"] , dénuement, impuissance, [ajouté] ignorance, faim et soif, les sept gueules [variante sans choix: "têtes", barrée à la copie] béantes de la misère se dressaient [corrige "s'ouvraient"] autour d’elle, et il était le saint-Georges combattant ce dragon. Et il triomphait de la misère. Comment ? par sa difformité. Par sa difformité, il était ["grand" barré en correction cursive] utile, secourable, victorieux, grand. Il n’avait qu’à se montrer, et l’argent venait. Il [f° 272, V10] était le maître des foules ; il se constatait [corrige "sentait"] le souverain des populaces. Il pouvait tout pour Dea. [faux départ: "Il n'y avait rien d'elle qu'il ne pût +"] Ses besoins, il y pourvoyait ; ["ses souhaits, il" barré en correction cursive] ses désirs, ses envies, ses fantaisies, dans la sphère limitée des souhaits possibles à un aveugle, il les contentait. Gwynplaine et Dea [corrige "Ils"] étaient, nous l’avons montré [corrige "dit"] déjà, la providence l’un de l’autre. Il se sentait enlevé sur ses aîles, elle se sentait portée dans ses bras. Protéger qui vous aime, donner le nécessaire à qui vous donne les étoiles [corrige "le ciel"] , il n’est rien de plus doux. Gwynplaine avait cette félicité [corrige "joie"] suprême. Et il la devait à sa difformité. Cette difformité le faisait [correction abandonnée: "suprême. Par elle il était"] supérieur à tout. Par elle il gagnait sa vie, et la vie des autres ; par elle il avait ["le succès," barré] l’indépendance, la liberté, la célébrité, la satisfaction intime, ["la satisfaction..." ajouté] la fierté [corrige "le triomphe"] . Dans cette difformité, il était inaccessible. Les fatalités ne pouvaient rien contre lui au delà de ce coup où elles s’étaient épuisées, et qui lui avait tourné en triomphe. Ce fond du malheur était devenu un sommet élyséen [corrige "de bonheur"] . Gwynplaine était emprisonné [corrige "enfermé"] dans sa difformité, mais avec Dea. C’était, nous l’avons dit, être au cachot dans le paradis. Il y avait entre eux et le monde des vivants ["des vivants" ajouté] une muraille. Tant mieux. Cette muraille les parquait, mais ["muraille..." correction cursive de "muraille qui les +, les d"(éfendait)] les défendait. Que pouvait-on contre Dea [en sc. sur "elle"], que pouvait-on contre Gwynplaine [corrige "lui"] , avec une telle fermeture de la vie autour d’eux ? Lui ôter le succès ? impossible. Il eût fallu lui ôter sa face. Lui ôter l’amour ? impossible. Dea ne le voyait point. L’aveuglement de Dea était divinement incurable. Quel inconvénient avait pour Gwynplaine sa difformité ? aucun. Quel [majuscule en sc. sur minuscule] avantage avait-elle ? Tous. Il était aimé malgré cette horreur ["cette horreur" corrige "elle"] , et peut-être à cause d’elle. Infirmité et difformité s’étaient, d’instinct, [", d’instinct," ajouté] rapprochées , [corrige point] et accouplées ["et accouplées" ajouté] . Être aimé, est-ce que ce n’est pas tout ? Gwynplaine ne songeait à sa défiguration qu’avec reconnaissance. Il était ["Il était" en sc. sur "On l'avait"(?)] béni dans ce stigmate. Il le sentait avec joie imperdable et éternel. Quelle chance ["Quelle chance" corrige "Quel bonheur"] que ce bienfait fut [f° 273, X10. Trait d'interruption.] irrémédiable ! Tant qu’il y aurait des carrefours, des champs de foire, ["du peuple," barré en correction cursive] des routes où aller devant soi, du peuple en bas, du ciel en haut, on serait sûr de vivre, Dea ne manquerait de rien, on aurait l’amour ! Gwynplaine n’eût pas changé de visage avec Apollon. Être monstre était pour lui la forme du bonheur.
Aussi disions-nous en commençant que la destinée l’avait comblé ["de ses bienfaits [correction: "préférences"]" le tout barré]. Ce réprouvé était un préféré. [phrase ajoutée; au-dessous un filet, barré, conduit à une addition de deux lignes barrées: "Il avait gagné à la loterie de l'+ + +".]
Il était si heureux qu’il en venait à plaindre les hommes autour de lui. Il avait de la pitié de reste. C’était d’ailleurs [corrige "du reste"] son instinct de regarder un peu dehors ["de regarder..." déplacé ici] , car aucun homme n’est tout d’une pièce et une nature n’est pas une abstraction ; [point-virgule corrige virgule; "de regarder un peu dehors;" biffé et déplacé] il était ravi d’être muré, mais de temps en temps il levait ["un peu" barré] la tête par dessus le [corrige "au dessus du"] mur. Il n’en rentrait qu’avec plus de joie dans son isolement près de Dea, après avoir comparé.
[Trait d'interruption (son dessin permet le doute)]
Que voyait-il autour de lui ? ["lui?" corrige "lui, lui bienheureux?"] Qu’était-ce que ces vivants dont son existence nomade ["vivants..." corrige en correction cursive "foules avec lesquelles sa vie errante"] lui montrait tous les échantillons, chaque jour remplacés par d’autres ? [Ebauche pour le thème, mais non pour la formulation, en 15812, f° 18v°] Toujours de nouvelles foules, et toujours la même multitude. Toujours de nouveaux visages et toujours les mêmes infortunes [corrige "fatalités" lui-même en sc. sur +] . Une promiscuité de ruines. [phrase ajoutée] Chaque soir toutes les fatalités [corrige "désolations" qui corrige "infortunes"] sociales [en sc. sur "humaines"] venaient faire cercle autour de sa félicité.
La Green-Box était populaire.
Le bas prix appelle la basse classe [corrige "le bas peuple"] . Ce qui venait à lui [corrige "Ce qu'il voyait"] c’étaient les faibles, les pauvres, les petits. [faux départ: "Du haut de son tréteau il passait en revue le sombre peuple."] On allait à Gwynplaine comme on va au gin. On venait acheter pour deux sous d’oubli. Du haut de son tréteau, Gwynplaine passait en revue le sombre peuple. Son esprit s’emplissait de toutes ces apparitions successives de l’immense misère [corrige "la misère"] . ["La Green-Box était populaire....": addition] La physionomie humaine est faite par la conscience et par la vie ["est faite par [...] et par" corrige immédiatement "résulte de [...] et de"] , et est la résultante d’une foule de creusements mystérieux. Pas une souffrance, pas une colère, ["pas une haine," barré] pas une ignominie, pas un désespoir, dont Gwynplaine ne vît la ride. Ces bouches d’enfants n’avaient pas mangé. Cet homme était un père, cette femme était une mère, et derrière eux on devinait des familles en perdition [corrige "détresse"] . Tel visage sortait du vice et entrait au crime ; et l’on comprenait [corrige "devinait"] le pourquoi ? ignorance et indigence. Tel autre offrait une empreinte de bonté première raturée par l’accablement social et devenue haîne. Sur ce front de vieille femme on voyait la famine [en sc. sur "famille"(?!)] ; sur ce front de jeune fille [f° 274, Y10] on voyait la prostitution. Le même fait, offrant chez la jeune la ressource, et plus lugubre là ["et plus lugubre là" corrige "enviée par la vieille", lui-même remplacé en correction cursive par "regrettée et enviée par la vieille"] . Dans cette cohue ["Dans..." corrige "Ici"] il y avait des bras, mais pas d’outils ; ces travailleurs ne demandaient pas mieux, mais le travail manquait. Parfois près de l’ouvrier ["Parfois..." remplace "Là"] un soldat venait s’asseoir, quelquefois un invalide, et Gwynplaine apercevait ce spectre, la guerre. ["Parfois près...": addition] Ici Gwynplaine lisait chômage, là exploitation, là servitude. Sur certains fronts il constatait on ne sait quel refoulement vers l’animalité, et ce lent retour de l’homme à la bête produit en bas par la pression des pesanteurs obscures du bonheur d’en haut. [trois lignes et demi barrées; on distingue: "Il + + obscur du +, répondait: - Il faut que cela soit + . C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches."] Dans ces ténèbres, il y avait pour Gwynplaine un soupirail; [phrase ajoutée] ils avaient, lui et Dea, du bonheur par un jour de souffrance. Tout le reste était damnation. Gwynplaine sentait au-dessus de lui [corrige "d'eux"] [", sans le voir," barré] le piétinement inconscient ["le piétinement..." corrige "+ + +"] des puissants, des opulents, des magnifiques, des grands, des élus du hasard ; au-dessous, il distinguait [corrige "apercevait"] le tas de faces pâles des déshérités. [virgule corrigée en point] ["en haut le monde" barré: faux départ ou fin de phrase] [faux départ: "Il était"] Il se voyait, lui et Dea, avec leur tout petit bonheur, si immense, entre deux mondes ; en haut [addition abandonnée d'un ou deux mots] le monde allant et venant, libre, joyeux, dansant, foulant aux pieds ; en haut, le monde qui marche ; en bas, le monde sur qui l’on marche. ["en haut, le monde qui marche..." remplace "en bas, le monde écrasé(?)"] Chose fatale [corrige "lugubre"] , et qui indique un profond mal social, ["que" barré; de même à la copie] la lumière écrase l’ombre ! Gwynplaine constatait ce deuil. Quoi ! une destinée si reptile ! L’homme se traînant ainsi ! [phrase ajoutée] une telle adhérence à la poussière et à la fange, un tel dégoût, une telle abdication, [", une telle abdication," ajouté] et une telle abjection qu’on a envie de mettre le pied dessus ! de quel papillon cette vie terrestre [ajouté] est-elle donc la chenille ? Quoi ! dans cette foule qui a faim et qui ignore, partout, devant tous, ["devant..." ajouté] le point d’interrogation du crime ou de la honte ! l’inflexibilité des lois produisant l’amollissement des consciences ! pas un enfant qui ne croisse pour le rapetissement ! pas une vierge qui ne grandisse pour l’offre [variante abandonnée "l'angoisse"] ! pas une rose qui ne naisse pour la bave ! [f° 275, Z10. Trait d'interruption.] Ses yeux [+ barré] parfois, curieux d’une curiosité émue, ["parfois...": addition] cherchaient à voir jusqu’au ["Ses yeux..." remplace "Une angoisse poignante montait ves lui du"] fond de cette obscurité où agonisaient tant d’efforts inutiles et où luttaient tant de lassitudes [corrige "détresses"] , familles dévorées par la société, mœurs torturées par les lois, plaies faites gangrènes [corrige "ulcères"] par la pénalité, indigences rongées par l’impôt, intelligences à vau l’eau dans un engloutissement d’ignorance, [faux départ: "guerres, disettes, râles,"] radeaux en détresse couverts d’affamés, guerres, disettes, râles, cris, disparitions, et il sentait le vague saisissement de cette poignante angoisse universelle. Il avait la vision de toute cette écume du malheur sur le sombre pêle-mêle humain. Lui, il était au port, et il regardait autour de lui [un mot barré, peut-être "tout"] ce naufrage. Par moment, il prenait dans ses mains sa tête défigurée [corrige "horrible"] , et songeait.
Quelle folie que d’être heureux ! comme on rêve ! il lui venait des idées. L’absurde lui traversait le cerveau. Parce qu’il avait autrefois secouru un enfant, il sentait des velléités de secourir le monde. Des nuages de rêverie lui obscurcissaient parfois sa propre réalité ; il perdait le sentiment de la proportion jusqu’à se dire : que pourrait-on faire pour ce pauvre peuple ? Quelquefois son absorption était telle qu’il le disait tout haut. Alors Ursus haussait les épaules et le regardait fixement. Et Gwynplaine continuait de rêver : — Oh ! si j’étais puissant, comme je viendrais en aide aux malheureux ! Mais que suis-je ? un atome. Que puis-je ? rien.
Il se trompait. Il pouvait beaucoup pour les malheureux. Il les faisait rire.
[Trait d'interruption.]
Et, nous l’avons dit, faire rire, c’est faire oublier. [Ce paragraphe est d'abord rayé, puis réécrit, d'une autre écriture, au dessous. Celui qui suit est écrit de la même plume que le précédent.]
Quel bienfaiteur sur la terre, qu’un distributeur d’oubli !
[blanc au bas de la page] [A la copie, la fin du chapitre, depuis "regardait autour de lui ce naufrage" est écrite sur un morecau de feuille collé au bas de la feuille précédente, signe d'une réfection probable.]
[f° 276, A11. Blanc au haut de la page occupé par les ajouts et les titres. Les premières lignes du folio contiennent le texte des deux paragraphes qui achèvent le chapitre précédent. Ceci, joint au collage à la copie, rend très probable une réfection. Son mécanisme nous échappe, mais on voit bien que les deux phrases sont ajoutées successivement.]
["Et, nous l'avons dit, faire rire, c'est faire oublier." addition]
["Quel bienfaiteur sur la terre, qu'un distributeur d'oubli!" addition ultérieure, mais antérieure à l'insertion des titres.]
Un philosophe est un espion. Ursus, guetteur de rêves ["et d'idées" ajouté et barré] ["de rêves..." corrige "et philosophe"] , étudiait son élève. Nos monologues ont sur notre front une vague réverbération distincte au regard du physionomiste. [faux départ: "Un jour Ursus dit à Gwynplaine"] C’est pourquoi ["C'est pourquoi" ajouté; de même à la copie] ce qui se passait en Gwynplaine n’échappait point [", on vient de le voir," addition barrée; intégrée au texte de la copie, l'incise y est barrée de la main de VH; elle est donc barrée au ms après l'avoir été à la copie ou en même temps.] à Ursus. Un jour que Gwynplaine méditait [corrige "songeait"] , Ursus, le tirant par son capingot, s’écria :
— Tu me fais l’effet d’un observateur, imbécille ! ["Ah ça!" addition abandonnée] Prends-y garde, cela ne te regarde pas. Tu as une chose à faire, aimer Dea. Tu es heureux [faux départ: "par deux choses: la première"] de deux bonheurs : le premier, c’est que la foule voit ton museau; le second, c’est que Dea ne le voit pas. Ce bonheur que tu as, tu n’y as pas droit. Nulle femme, voyant ta bouche, n’acceptera ton baiser. Et cette bouche qui fait ta fortune, cette face qui fait ta richesse, ça n’est pas à toi. Tu n’étais pas né avec ce visage-là. Tu l’as pris à la grimace qui est au fond de l’infini. Tu as volé son masque au diable. Tu es hideux ; contente-toi de ce quine. Il y a dans ce monde, qui est une chose très bien faite, les heureux de droit et les heureux de raccroc. Tu es un heureux de raccroc. Tu es dans une cave où se trouve prise une étoile. La pauvre étoile est à toi. [phrase ajoutée] N’essaie pas de sortir de ta cave [corrige "d'en sortir"] , et garde ton astre, [corrige point] araignée ! ["araignée!" ajouté] [un mot barré, sans doute "Toi,"] Tu as dans ta toile l’escarboucle Vénus. Fais-moi le plaisir d’être satisfait. ["+ Tu as dans...": addition] Je te vois rêvasser, c’est idiot [corrige "bête"] . Écoute, je vais te parler le langage de la vraie poésie : [deux-points corrige virgule] que Dea mange des tranches de bœuf et ["tranches...": addition] des côtelettes de mouton, dans six mois elle sera forte comme une turque ["elle sera forte..." corrige "ce sera une turque, de force"; même correction à la copie de la main de la copiste] , épouse-la tout net, et fais-lui un enfant. Deux enfants, trois enfants, une ribambelle [corrige "foule"; même correction de la main de la copiste] d’enfants. ["Deux enfants...": addition] Voilà ce que j’appelle philosopher.
[alinéa pour cette addition, quoique sans retrait initial] De plus on est heureux, ce qui n’est pas bête.
[alinéa pour cette addition, quoique sans retrait initial] Avoir des petits, c’est là le bleu. ["De plus on est heureux...": addition de second niveau ajoutée à l'addition qui suit]
[alinéa pour cette addition, quoique sans retrait initial] Aie des mioches [corrige "petits"] , torche-les, ["torche-les," ajouté; de même de la main de la copiste] mouche-les, couche-les, barbouille-les et débarbouille-les, ["barbouille-les...": ajouté] que tout ça [en sc. sur "cela"; copie: "cela"] grouille autour de toi , s’ils rient, c’est bien , s’ils gueulent, c’est mieux, crier, c’est vivre, regarde-les téter a six mois, ramper a un an, marcher a deux ans, grandir a quinze ans, aimer a vingt ans. Qui a ces joies, a tout. [phrase ajoutée] Moi, j’ai manqué cela ; c’est ce qui fait que je suis une brute. ["De plus on est heureux...": addition] Le bon Dieu, un faiseur de beaux poëmes [corrige "livres"; de même à la copie] [virgule barrée avec la correction qui précède, mais pas à la copie] et qui est le premier des hommes de [oublié et ajouté] lettres, a dicté ceci à son collaborateur Moïse : Multipliez ! [faux départ: "— Multiplie, animal."] Tel est le texte. Multiplie, animal. Quant au monde, il est ce qu’il est. Il n’a pas besoin de toi pour aller mal. N’en prends pas souci. Ne t’occupe pas de ce qui est dehors. Laisse l’horizon tranquille. ["Le bon Dieu...": addition de second niveau, ajoutée à la précédente. Elle enregistre les corrections du texte initial: "Le bon Dieu, un faiseur de beaux livres, et ["un faiseur..." ajouté] qui est le premier des hommes de lettres, a dit: multipliez. Multiplie, animal. [phrase ajoutée] Ecoute, je vais te dire. Ne t'occupe pas de ce qui est dehors. ["Ecoute..." barré et remplacé par: ["Quant à l'horizon, laisse-le tranquille." barré et déplacé] Le monde est ce qu'il est. N'en prends pas souci. Ne t'occupe pas de ce qui est dehors. Laisse l'horizon tranquille."]] Un comédien est fait pour être regardé, non pour regarder. Sais-tu ce qu’il y a dehors ? les heureux de droit. Toi, je te le répète, tu es l’heureux du hasard. Tu es le filou du bonheur dont ils sont les [f° 277, B11. Deux traits d'interruption.] propriétaires. Ils sont les légitimes, tu es l’intrus. Tu vis en concubinage avec la chance [en sc. sur "destinée"] . [phrase ajoutée, de même à la copie où l'on a d'emblée "chance"] Que veux-tu de plus que ce que tu as ? Que Schiboleth me soit en aide ! [corrige virgule] ce polisson est un marouffle. Se multiplier par Dea, c’est pourtant agréable. Une telle félicité ressemble à une escroquerie [corrige "filouterie" qui corrige "contravention"; à la copie mêmes corrections, de la main de la copiste pour la première et de VH pour la seconde.] . Ceux qui ont le bonheur ici-bas par privilége de là-haut n’aiment pas qu’on se permette d’avoir tant de joie au-dessous d’eux. ["n'aiment pas...": addition à l'addition qui précède] ["Il sont les légitimes...": addition de second niveau. Elle s'ajoute à l'addition qui suit où elle est préparée par l'ajout de "Ils sont les légitimes, tu es l'intrus."] S’ils te demandaient : de quel droit es-tu heureux ? tu ne saurais que répondre. Tu n’as pas de patente, eux ils en ont une. Jupiter, Allah, Vishnou, Sabaoth, n’importe, leur a donné le visa pour être heureux. Crains-les. ["S'ils te demandaient...": addition de premier niveau] Ne te mêle pas d’eux afin qu’ils ne se mêlent pas de toi. Sais-tu ce que c’est, misérable, que l’heureux de droit ? C’est un être terrible, c’est le lord. Ah ! le lord, en voilà un qui a dû intriguer dans l’inconnu du diable [variante abandonnée: "de Belzébuth"] avant d’être au monde, pour entrer dans la vie par cette porte là ! Comme il a dû lui être difficile de naître ! il ne s’est donné que cette peine-là, mais juste ciel ! c’en est une ! obtenir ["de la" barré en correction cursive] du destin, ce butor ["ce butor" corrige "cet +"] aveugle, qu’il vous fasse d’emblée au berceau maître des hommes ! [début de la cascade d'additions qui suit] corrompre ce buraliste pour qu’il vous donne la meilleure place au spectacle ! Lis le memento qui est dans la cahute que j’ai mise à la retraite, lis ce bréviaire de ma sagesse, et tu verras ce que c’est que le lord. Un lord, c’est celui qui a tout et qui est tout. ["corrompre ce buraliste...": addition de second niveau, ajoutée à l'addition qui suit] Un lord est celui qui existe au-dessus de sa propre nature ; un lord est celui qui a, jeune, les droits du vieillard, vieux, les bonnes fortunes du jeune homme, ["jeune, les droits..." déplacé et ajouté ici] vicieux, le respect des gens de bien, poltron, le commandement des gens de cœur, fainéant, le fruit du travail, ["fainéant..." : remplace "jeune les droits du vieillards, laid le sourire des femmes" déplacé] ignorant [corrige "bête"] , le diplôme de Cambridge et d’Oxford, ["jeune, les droits du vieillard, ["vieux, les bonnes fortunes du jeune homme," ajouté] le tout barré et déplacé plus haut] bête, l’admiration des poëtes, laid, le sourire des femmes, Thersite, le casque d’Achille, lièvre, la peau du lion. ["Les lords sont les princes. Le lord" barré: soudure avec le texte initial.] ["Un lord est celui qui existe...": addition de premier niveau; elle remplace le texte initial, dont on ne reproduit pas les corrections: "Lis le panneau dans la cahute, et tu veras ce que c'est que le lord. Un lord, c'est celui qui a tout et qui est tout. Le lord de Norwège ne s'est appelé roi que depuis trois cents ans. Lucius, le plus ancien roi d’Angleterre, était mylord. Les lords sont pairs, c'est à dire égaux, de qui? du roi." Ces trois dernières phrases sont réécrites en addition mais font partie de la rédaction initiale. Ces lignes et les quatre suivantes sont écrites au dessus d'un texte préparatoire au crayon.] N’abuse pas de mes paroles, je ne dis pas qu’un lord soit nécessairement ["vieux," barré en correction cursive] ignorant, poltron, laid, bête et vieux ; je dis seulement qu’il peut être tout cela sans que cela lui fasse du tort. Au contraire. ["N'abuse pas...": addition de troisième niveau, insérée entre celle du premier niveau et celle du second] Les lords sont les princes. Le roi d’Angleterre n’est qu’un lord, le premier seigneur de la seigneurie ; c’est tout; c’est beaucoup. Les rois jadis s’appelaient lords, le lord de Danemark, le lord d’Irlande, le lord des Iles. ["Les lords sont les princes...": addition de quatrième niveau, augmentation de la précédente] [à la copie, ces deux additions, de troisième et quatrième niveau, sont en addition de la main de la copiste] Le lord de Norwége ne s’est appelé roi que depuis trois cents ans. Lucius, le plus ancien roi d’Angleterre, était qualifié par saint Télesphore mylord Lucius ["qualifié par..." corrige "mylord"; de même à la copie]. Les lords sont pairs, c’est-à-dire égaux. De qui ? du roi. Je ne fais pas la faute d'orthographe de confondre les lords avec le parlement. L’assemblée du peuple que les saxons, avant la conquête, intitulaient wittenagemot [corrige "Michel Gemot", de même à la copie], les normands, après la conquête, l’ont intitulée parliamentum. Peu à peu, on a mis le peuple à la porte. Les lettres closes du roi convoquant les communes portaient jadis ad consilium impendendum, elles portent aujourd’hui ad consentiendum, les communes ont le droit de consentement. Dire oui est leur liberté. Les pairs peuvent dire non. Et la preuve, c’est qu’ils l’ont dit. Les pairs peuvent couper la tête au roi, le peuple point. Le coup de hache à Charles Ier ["Le coup..." corrige "Le 30 janvier 1649"] est un empiétement, non sur le roi, mais sur les pairs, [", non sur le roi..." ajouté] et l’on a bien fait de mettre aux fourches ["de Tyburn" barré] la carcasse de Cromwell. Les lords ont la puissance, pourquoi ? parce qu’ils ont la richesse. ["Le lord de Norwège...": addition de second niveau; son début reprend le texte initial] Qui est-ce qui a feuilleté ["Qui est-ce qui..." corrige "Rien n'est instructif comme de feuilleter"] le Doomsday-book [un mot barré, sans doute une variante du titre de l'ouvrage] ? [corrige point] C’est la preuve que les lords possèdent l’Angleterre, c’est le registre des biens des sujets dressé sous Guillaume le Conquérant, et il est sous la garde du chancelier de l’échiquier. Pour y copier quelque chose, on paie quatre sous par ligne. C’est un fier livre. ["Qui est-ce qui a feuilleté...": addition de troisième niveau, ajoutée à l'addition précédente.] Sais-tu que j’ai été docteur domestique chez un lord qui s’appelait Marmaduke et qui avait six [corrigé en "neuf" à la copie] cent mille francs de France de rente par an ! Tire-toi de là, affreux [en sc. sur "horrible"] crétin. [phrase ajoutée] Sais-tu que rien qu’avec les lapins des garennes du comte Lindsey [en sc. sur "Lindsay"] on nourrirait toute la canaille [", toute la racaille et toute la marmaille": addition barrée; à la copie: texte principal mais barré; VH reporte donc au ms la suppression faite à la copie] des Cinq ports ? Aussi frottez-vous-y. On y met ["frottez-vous-y..." corrige "y met-on"] bon ordre. Tout braconnier est pendu. Pour deux longues oreilles poilues [ajouté] qui passaient hors de sa gibecière, j’ai vu [faux départ; "pendre un père de six"] accrocher à la potence un père de six enfants. Telle est la seigneurie. Le lapin d’un lord est [variantes abandonnées: "pèse" et "vaut"] plus que l’homme du bon Dieu. [Trait dinterruption.] [faux départ: "Moi, tout m'est"] Les seigneurs sont, [point corrigé en virgule ou l'inverse; à la copie, virgule faite ou refaite] entends-tu, maraud [corrige "maroufle"] ? et nous devons le trouver bon. Et puis si nous le trouvons mauvais, qu’est-ce que cela leur fait ? [faux départ: "Il y a des gens qui prérorent. Il y"] le [le faux départ qui précède plaide pour une majuscule] peuple faisant des objections ! Plaute lui-même n’approcherait pas de ce comique. Un philosophe serait plaisant s’il conseillait à cette pauvre diablesse de multitude de se récrier contre la largeur et la lourdeur des lords. Autant faire discuter par la chenille [corrige "fourmi", de même à la copie] la patte [corrige "le pied"] de l’éléphant. J’ai vu ["J’ai vu" corrige "Je vis"(?)] un jour un hippopotame marcher sur une taupinière ; il écrasait tout ; il était innocent. Il ne savait même pas qu’il y eût des taupes, ce gros [en sc. sur "pauvre"] bonasse de mastodonte. Mon cher, des taupes qu’on écrase, c’est le genre humain. L’écrasement est une loi. Et crois-tu que la taupe elle-même n’écrase rien ? Elle est le mastodonte du ciron, qui est le mastodonte du volvoce [", qui est le mastodonte...": ajouté] . Mais ne raisonnons pas. ["J'ai vu un jour...": addition de second niveau, ajoutée à l'addition qui suit] Mon garçon, les carrosses existent. Le lord est dedans, le peuple est sous la roue, le sage se range. Mets-toi de côté, et laisse passer. ["Mon garçon...": addition. L'ensemble de ces deux additions se substitue au texte initial: "L'écrasement est une loi."] Quant à moi, j’aime les lords, ["mon garçon," barré] et je les évite. ["et je les évite.": ajouté] J’ [minuscule en première rédaction; à la copie VH corrige la virgule en point et la minuscule en majuscule] ai vécu chez un. Cela suffit à la beauté de mes souvenirs. [Trait d'interruption au bas du folio.] [f° 278, C11. Mise au net. Trait d'interruption.] Je me rappelle son château, comme une gloire dans un nuage. Moi, mes rêves sont en arrière. Rien de plus admirable [le mot, oublié, a été ajouté; sa correction en "fastueux" a été abandonnée, à moins que l'ordre des opérations ait été l'inverse] que Marmaduke-Lodge [corrige "house"] pour la grandeur, la belle symétrie, les riches revenus, les ornements et les accompagnements de l’édifice. Du reste, les maisons, hotels et palais des lords offrent un recueil de ce qu’il y a de plus grand et magnifique dans ce florissant royaume. J’aime nosseigneurs. [phrase ajoutée] Je les remercie [corrige "leur sais gré"] d’être opulents, puissants et prospères. Moi qui suis vêtu de ténèbres, je vois avec intérêt et plaisir cet échantillon de l’azur [corrige "d'azur"] céleste qu’on appelle un lord ["qu’on appelle un lord" ajouté] . On entrait à Marmaduke-Lodge par une cour extrêmement spacieuse, qui faisait un carré long partagé en huit [corrige "six"; de même à la copie de la main de la copiste] carreaux, fermés de balustrades, laissant de tous côtés un large ["de" barré en correction cursive] chemin ouvert, avec une superbe fontaine hexagone au milieu, à deux bassins, couverte d’un dôme d’un ouvrage exquis à jour, qui était suspendu sur six colonnes. C’est là que j’ai connu un docte français, monsieur l’abbé du Cros, qui était de la maison des Jacobins de la rue Saint-Jacques. Il y avait à Marmaduke-Lodge une moitié de la bibliothèque d’Erpenius dont l’autre moitié est à l’auditoire de théologie de Cambridge. J’y lisais des livres, assis sous le portail qui est enjolivé. Ces choses-là ne sont ordinairement vues que par un petit nombre de voyageurs curieux. Sais-tu, ridicule boy ["ridicule boy" corrige "maraud"] , que monseigneur [ajouté] William North, qui est lord Gray de Rolleston, et qui siége le quatorzième au banc des barons, a plus d’arbres de haute futaie dans sa montagne ["dans sa montagne [corrige "forêt"(?)]": ajouté] que tu n’as de cheveux sur ton horrible caboche [corrige "tête"] ? Sais-tu que lord ["Rycott" barré en correction cursive] Norreys [au dessus, Hugo écrit "Norris (?)"; la copie reproduit le nom et le point dinterrogation; VH barre le tout] de Rycott, qui est la même chose que le comte d’Abingdon, a un donjon carré [corrige "une tour carrée"] de deux cents pieds de haut, portant cette devise virtus ariete fortior, ce qui a l’air de vouloir dire la vertu est plus forte qu’un bélier, mais ce qui veut dire, imbécile ! le courage est plus efficace [variante sans choix: "fort"; à la copie, le choix n'est pas fait] qu’une machine de guerre ? Oui, j’honore, accepte, respecte et révère ["j'honore..." corrige "j'honore, ["respecte," ajouté] vénère [en sc. sur +] et contemple"] nosseigneurs. Ce sont les lords qui, avec la majesté royale, travaillent à procurer et à conserver les avantages de la nation. Leur sagesse consommée éclate dans les conjonctures épineuses. La préséance sur tous ["La préséance..." corrige "Des prérogatives" [corrige "privilèges"]] , je voudrais bien voir qu’ils ne l’ [corrige "n'en"] eussent pas. Ils l’ [corrige "en"] ont. Ce qui s’appelle en Allemagne principauté et ["grandesse" barré en correction cursive] en Espagne grandesse, s’appelle pairie en Angleterre et en France. [Trait d'interruption au bas du folio.] [f° 279, D11. Trait d'interruption.] Comme on était en droit de trouver ce monde assez misérable, Dieu a senti où le bât le blessait, il a voulu prouver qu’il savait faire des gens heureux, et il a créé les lords pour donner satisfaction aux philosophes. [corrige virgule] ["ce qui est une façon décente et habile de se tirer d'une fausse position [variante: "situation"]" le tout barré et déplacé en correction quasi cursive] [Trait d'interruption.] Cette création-là ["-là" ajouté] corrige l’autre, et tire d’affaire le bon Dieu. C’est pour lui une [première rédaction: "C'est la"; deuxième: "C'est une"] sortie décente d’une fausse position. Les grands sont grands. [phrase ajoutée] Un pair [corrige "lord"] en parlant de lui-même dit nos. Un pair est un pluriel. [phrase ajoutée] Le roi qualifie [en sc. sur "appelle"] les pairs [corrige "lords"] consanguinei nostri. Les pairs [corrige "Ils"] ont fait une foule de lois sages, entr’autre [Le "s" manque au ms, VH l'ajoute à la copie.] celle qui condamne à mort l’homme qui coupe un peuplier de trois ans. Leur suprématie est telle qu’ils ont une langue à eux. En style héraldique, le noir qui s’appelle sable pour le peuple des nobles, s’appelle saturne pour les princes et diamant pour les pairs. Poudre de diamant, nuit étoilée, c’est le noir des heureux. Et même entre eux, ils ont des nuances, ces hauts seigneurs ["hauts seigneurs" corrige "grands"] . Un baron ne peut laver avec un vicomte sans sa permission. Ce sont là des choses excellentes, et qui conservent les nations. Que c’est beau pour un peuple ["pour un peuple" est encadré de barres verticales, biffées à la copie; au-dessus de "c'est beau": "ce qu'on appelle aujourd'hui le parlement" est rayé, début abandonné d'une réfection de toute la phrase ou correction possible de "un peuple"] d’avoir vingt-cinq ducs, cinq marquis, soixante-seize comtes, neuf vicomtes et soixante et un barons, qui font cent soixante-seize pairs ["héréditaires" barré; la phrase du texte initial s'achève par "sans compter deux archevêques et vingt-quatre [corrige "cinq"] évêques!"] qui les uns sont Grâce et les autres Seigneurie ["autres Seigneurie" en sc. sur + +] ! ["qui les uns...": addition] [début de la longue addition qui va jusqu'à "mais il faut y ajouter"] Après cela quand il y aurait quelques haillons par ci par là ! Tout ne peut pas être en or. Haillons, soit ; [corrige point] ["Eh bien" barré en correction cursive] Est-ce que ne voilà pas de la pourpre ? L’un achète l’autre. Il faut bien que quelque chose soit construit [corrige "fait"] avec quelque chose. Eh bien, oui, il y a des [+ barré en correction cursive] indigents, la belle affaire ! [phrase ajoutée] Ils étoffent le bonheur des opulents. [phrase ajoutée à la précédente; ajoutée à la copie de la main de la copiste] [faux départ: "Morbleu, les lords sont"; un second faux départ reprend la même phrase, mais sans le "Morbleu" initial; il est finalement rétabli devant une formule très légèrement modifiée.] Morbleu ! nos lords sont notre gloire. [faux départ: "Les grands d'Espag"] La meute de ["lord" barré] Charles Mohun, baron Mohun, coute à elle seule autant que l’hopital des lépreux de Mooregate, et que l’hôpital de Christ fondé pour les enfants en 1553 par Édouard VI ["et que l'hôpital..." ajouté] . Thomas Osborne, duc de Leeds, dépense par an, rien que pour ses livrées, cinq mille guinées d’or. Les grands d’Espagne ont un gardien nommé par le roi qui les empêche de se ruiner. C’est pleutre. Nos lords, à nous, sont extravagants et magnifiques. J’estime cela. Ne déblatérons pas comme des envieux. Je sais gré à une belle vision qui passe. Je n’ai pas la lumière, mais j’ai le reflet, reflet sur mon ulcère, diras-tu. Va-t’en au diable! [addition abandonnée: "Je me contente de ce clair de lune."] Je suis un Job heureux de contempler Trimalcion. Oh ! la [faux départ: "p"(lanète)] belle planète radieuse là-haut ! c’est quelque chose que d’avoir ce clair de lune. Supprimer les lords, c’est une opinion qu’Oreste n’oserait soutenir, tout insensé qu’il était. [phrase déplacée ici; de même de la main de la copiste] Dire que les lords sont nuisibles ou inutiles, cela revient à dire qu’il faut ébranler les états, [virgule corrige point] et que les hommes ne sont pas faits pour vivre comme les troupeaux, broutant l’herbe [corrige "le pré"] et mordus par le chien. Le pré est tondu par le mouton, le mouton est tondu par le berger. Quoi de plus juste ? A tondeur, tondeur et demi. ["et que les hommes ne sont pas faits...": addition se substituant à "C'est une opinion qu'Oreste n'oserait soutenir tout insensé qu'il était."; même substitution à la copie, de la main de la copiste] Moi, tout m’est égal, je suis un philosophe, et je tiens à la vie comme une mouche. La vie n’est qu’un pied à terre. [phrase ajoutée, de même à la copie] Quand je pense que Henry Bowes Howard, comte de Berkshire, a dans ses écuries vingt-quatre carrosses ["dorés dont" barré en correction cursive] de gala, dont un à harnais d’argent et un autre à harnais d’or ! ["Déclamez tant que vous voudrez, c'est beau." barré] Mon Dieu, je sais bien que tout le monde n’a pas vingt-quatre carrosses de gala, mais il ne faut point [corrige "pas"] déclamer. [deux faux départs: "Parce que tu as" puis "Tu as l'air"] Parce que tu as eu froid une nuit, ne voilà-t-il pas ! Il n’y a pas que toi. D’autres aussi ont froid et faim. [faux départ: "Si tout le monde se"] ["Si tous les gens qui sont épars se plaignaient, ce serait un beau vacarme." barré et déplacé] Sais-tu que sans ce froid, Dea ne serait pas aveugle, et que si Dea n’était pas aveugle, elle ne t’aimerait pas ! raisonne, buse [corrige "marouffle" qui corrige "goîtreux"] ! Et puis, si tous les gens qui sont épars se plaignaient, ce serait un beau vacarme. Silence, voilà [corrige "telle est"] la règle. Je suis convaincu que le bon Dieu ordonne aux damnés de se taire, sans quoi ce serait Dieu qui serait damné, d’entendre un cri éternel. Le bonheur de l’Olympe [corrige "du bleu"; à la copie, les deux variantes sont écrites à la suite et VH barre "du bleu"] est au prix du silence du Cocyte [corrige +, qui corrige "noir" en sc. sur "enfer"(?); à la copie "noir" et "cocyte" sont écrits à la suite et VH barre "noir"]. Donc, peuple, tais-toi. Je fais mieux, moi, j’approuve et j’admire. ["Imite-moi." barré] ["Et" barré] Tout à l’heure, j’énumérais [en sc. cursive sur "en énumérant"] les lords, mais il faut y ajouter ["Après cela quand il y aurait quelques haillons...": addition] deux archevêques et vingt-quatre [corrige "-cinq"; de même à la copie de la main de la copiste] évêques ! En vérité, je suis attendri quand j’y songe. Je me rappelle avoir vu, chez le dîmeur du révérend doyen de Raphoë, ["fils de lord, une meule de foin" barré; au-dessus, addition surchargée et de lecture incertaine : "lequel doyen fait partie de la seigneurie et de l'église" barré pour être repris immédiatement] lequel doyen fait partie de la seigneurie et de l’église, une vaste [ajouté] meule du plus beau blé [en sc. sur "foin"] prise aux paysans d’alentour et que le doyen n’avait pas eu la peine de faire pousser. Cela lui laissait le temps de prier Dieu ["Dieu" corrige "dans son presbytère"] . Sais-tu que lord Marmaduke mon maître était lord ["trésorier" barré en correction cursive] grand trésorier d’Irlande, et [ajouté] haut sénéchal de la souveraineté de Knaresburg dans le comté d’York ? Sais-tu que le lord haut-["haut-" ajouté] chambellan, qui est un office héréditaire dans la famille des ducs d’Ancaster, habille le roi le jour du couronnement, et reçoit pour sa peine quarante aunes de velours cramoisi, plus le lit où le roi a dormi [en sc. sur +] [point d'interrogation barré] et que l’huissier de la verge noire est son député? [le point d'interrogation, très pâle, semble biffé; à la copie, VH corrige le point d'interrogation de la copiste en point d'exclamation] Je voudrais bien te voir faire résistance à [f° 280, E11. Trait d'interruption.] ceci, que le plus ancien vicomte d’Angleterre est le sire Robert Brent, créé vicomte par Henri V. Tous les titres des lords indiquent une souveraineté sur une terre, le comte Rivers excepté, qui a pour titre son nom de famille. Comme c’est admirable ce droit qu’ils ont de taxer les autres, et de prélever, par exemple, comme en ce moment-ci, quatre shellings par livre sterling de rente, ce qu’on vient de continuer pour un an, et tous ces beaux impôts sur les esprits distillés, sur les accises du vin et de la bière, sur le tonnage et le pondage, sur le cidre, le poiré, le mum, le malt, et l’orge préparé, et sur le charbon de terre, et cent autres choses semblables ! ["Tous les titres...": addition] [faux départ: "L'église"] Vénérons ce qui est. [faux départ: "L'église elle-même"] Le clergé lui-même relève [remplace "qui est notre seigneur, + + [corrigé en "vassal"] " le tout barré] des lords. L’évêque de Man est le sujet du comte de Derby. Les lords ont des bêtes féroces à eux qu’ils mettent dans leurs armoiries. Comme Dieu n’en a pas fait assez, ils en inventent. ["Les lords ont...": ébauche en 15 812, f° 104] Ils ont crée le sanglier héraldique qui est autant au dessus du sanglier que le sanglier est au dessus du porc, et que le seigneur est au dessus du prêtre. Ils ont créé le griffon qui est aigle aux lions et lion aux aigles, et qui fait peur aux lions par ses ailes et aux aigles par sa crinière. Ils ont la guivre, ["la serpente" barré en correction cursive] la licorne, la serpente, la salamandre, ["le dragon" barré en correction cursive] la tarasque, la drée, le dragon, l’hippogriffe. Tout cela, terreur pour nous, leur est ornement et parure. Ils ont une ménagerie qui s’appelle le blason, et où rugissent les monstres inconnus. Pas de forêt comparable pour l’inattendu des prodiges ["à leur orgueil" barré en correction cursive] ["à l'orgueil des lords" barré en correction cursive] à leur orgueil. Leur vanité est pleine de fantômes qui s’y promènent comme dans une nuit sublime, armés, [ajouté] casqués, cuirassés, éperonnés, le bâton d’empire à la main, et disant d’une voix sinistre [variante sans choix: "grave" préférée à la copie] : nous sommes les aïeux ! Les scarabées mangent les racines [corrige "l'herbe"; même correction de la main de la copiste] et les panoplies mangent le peuple. Pourquoi pas ? allons-nous changer les lois ? la seigneurie fait partie de l’ordre. [plusieurs mots ("+ lords savent immoler"?) barrés, sans doute en correction cursive] Sais-tu qu’il y a un [oublié et ajouté] duc en Écosse qui galope trente lieues sans sortir de chez lui ? sais-tu que le lord archevêque de Canterbury a deux millions [corrigé à la copie: "un million"] de France de revenu ? sais-tu que sa majesté a par an sept cent mille livres sterling [ajouté] de liste civile, sans compter les châteaux, forêts, domaines, ["forêts...": ajouté] fiefs, tenances, ["fiefs,..." remplace "prébendes, redevances,"] alleux, prébendes, dîmes et redevances, [virgule corrige point d'exclamation] confiscations et amendes, qui dépassent un million sterling ! ["confiscations...." ajouté] Ceux qui ne sont pas contents sont difficiles.
— Oui, murmura Gwynplaine pensif, c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. [Cette réplique, déjà notée au f° 274, est écrite d'une autre plume.]
[Trait d'interruption au bas du folio.]
[f° 281, F11. Blanc au haut du folio avant les additions.]
Puis Dea entra ; il la regarda, et ne vit plus qu’elle. L’amour est ainsi ; on peut être envahi un moment par une obsession de pensées quelconques ["obsession..." corrige "rêverie quelconque"; de même à la copie] ; [point-virgule (inutilement) ajouté; de même à la copie] ["comme par une dissipation de fumée" barré; de même à la copie] ; la femme qu’on aime arrive, et fait brusquement évanouir tout ce qui n’est pas sa présence, sans se douter qu’elle efface [en sc. sur "éclipse"] peut-être en nous un monde. [ Ce paragraphe est ajouté. La rédaction initiale du folio commençait par " «L'Homme qui rit ». Telle était".]
Disons ici un détail. Dans Chaos vaincu, un mot, monstro, adressé à Gwynplaine, déplaisait à Dea. [faux départ: "Elle faisait"] Quelquefois, avec le peu d’espagnol que tout le monde savait dans ce temps là, elle faisait le petit [ajouté] coup de tête de le remplacer par quiero [virgule au texte autographe de la copie] qui signifie je le veux. Ursus tolérait, avec [variante: "sans" ; à la copie, "non sans"] quelque impatience, ces altérations du texte. Il eût volontiers dit à Dea, ["à Dea," ajouté, intégré d'emblée à la copie] comme de nos jours Moëssard à Vissot : Tu manques de respect au répertoire. ["Disons ici...": addition; de même à la copie]
« L’Homme qui rit ». Telle était la forme qu’avait ["qu’avait": en sc. sur +] prise la célébrité [corrige "renommée"] de Gwynplaine. [faux départ: "Sa célébrité +, + sa face, une sorte de pétrification."] Son nom, Gwynplaine, à peu près ignoré, avait disparu sous ce sobriquet de même que sa face [corrige "son visage"] sous le rire. ["Il y avait un masque" barré en correction curssive] Sa popularité était comme son visage, un masque.
Son nom pourtant se lisait sur un large écriteau placardé à l’avant de la Green-Box, lequel offrait à la foule cette rédaction due à Ursus :
— Ici l’on voit Gwynplaine, abandonné à l’âge de dix [en sc. sur "neuf"] ans, la nuit du 29 ["la nuit..." corrige "une nuit de"] janvier 1690, par les scélérats [ajouté] comprachicos, ["sur la plai" barré en correction cursive] au bord de la mer à Portland, de petit devenu grand, et aujourd’hui appelé [" «l'Homme qui rit» " barré]
« L’HOMME QUI RIT. » — ["Son nom pourtant...": addition.
Elle se substitue à un paragraphe de rédaction initiale: "Parmi les amateurs de bizarreries foraines, les fureteurs de curiosités triviales et les coureurs de bas spectacles, on savait qu'il y avait quelque part, à l'état de vie errante, tantôt ici, tantôt là, un vivant(?) extraordinaire" Ces lignes sont reprises à la fin du chapitre]
L’existence de ces saltimbanques était une existence de lépreux dans une ladrerie et de bienheureux ["de bienheureux" corrige "d'ombres"; de même à la copie d'une main qui n'est pas celle de VH, ni de Julie Chenay] dans une atlantide. C’était chaque jour un brusque passage de l’exhibition foraine ["l'exhibition..." corrige "la promiscuité triviale"] la plus bruyante à l’abstraction la plus complète. Tous les soirs ils faisaient leur sortie de ce monde. C’étaient comme des morts qui s’en allaient, quittes à renaître le lendemain. Le comédien est un phare à éclipses, apparition, puis disparition, et il n’existe guères pour le public que comme fantôme et lueur dans cette vie à feux tournants.
Au carrefour succédait la claustration. Sitôt le spectacle fini, pendant que l’auditoire se désagrégeait et que le brouhaha de satisfaction de la foule se dissipait dans la dispersion des rues, ["se désagrégeait..." remplace, d'une autre plume ", + faite et fermée, s'évanouissait"] ["L'existence de ces saltimbanques...": addition de second niveau, ajoutée, mais plus tard, à la précédente. Elle procède à la réfection d'un paragraphe écrit au-dessus d'un texte préparatoire au crayon: "La vie de ces saltimbanques était une vie de lépreux dans une ladrerie et d'ombres dans une atlantide. C'était chaque jour un brusque passage de la promiscuite [corrige "foule"] la plus bruyante à la claustration la plus étroite ["à la claustration...": variante ultérieure: "à la solitude la plus complète. Chaque soir ils faisaient leur sortie de ce monde, comme des morts, quitte à renaître ["le lendemain" barré] pour la foule le lendemain."] . Au carrefour succédait la cellule. Sitôt le spectacle fini, pendant que la multitude + s'évanouissait"] la Green-Box ["relevait" barré en correction cursive] redressait son panneau comme une forteresse son pont-levis, et la communication avec le genre humain était coupée. ["Il y avait" barré] D’un côté l’univers, et de l’autre cette baraque ; et dans cette baraque il y avait la liberté, [", la probité," barré] ["la dignité" [correction ou ajout: "la vérité"] le tout barré] la bonne conscience, le courage, ["la philosophie, la sagesse, la reconnaissance," barré] le dévouement, [ajouté] [", la bonté," ajout abandonné] [", la foi, la vérité," barré] l’innocence, [ajouté] [", la vérité," ajouté et barré une seconde fois] le bonheur, l’amour, toutes les constellations.
La cécité voyante et la difformité aimée s’asseyaient côte à côte, la main pressant la main, le front touchant le front, et, ivres, se parlaient tout bas.
Le compartiment du milieu ["de la Green-Box": ajout abandonné; intégré à la copie, où il est barré par VH] était à deux fins ; pour le public théâtre, pour les acteurs salle à manger. ["Le compartiment...": addition; elle se substitue à "Le théâtre devenait la salle à manger."] ["Diversité de destination" barré en correction cursive] Ursus, toujours satisfait [corrige "heureux"] de placer une comparaison, profitait de cette diversité de destination pour assimiler le compartiment central de la Green-Box à l’arradash d’une hutte abyssinienne. [comparaison notée en 24 747, f° 240.] ["Ursus, toujours...": addition de second niveau, ajoutée, dans un second temps, à la précédente; de même à la copie]
[signe d'alinéa ajouté à la copie] Ursus comptait la recette, puis l’on soupait. Pour l’amour tout est de l’idéal, et boire et manger ensemble quand on aime, cela admet [f° 282, G11. Mise au net. Trait d'interruption.] toutes sortes de douces promiscuités furtives qui font qu’une bouchée devient un baiser. On boit l’ale ou le vin au même verre comme on boirait la rosée au même lys. Deux âmes, dans l’agape, ont la même grâce que deux oiseaux. Gwynplaine servait Dea, lui coupait les morceaux, lui versait à boire, s’approchait trop près. — Hum ! disait Ursus, et il détournait son grondement achevé malgré lui en sourire.
Le loup, sous la table, soupait, inattentif à ce qui n’était point son os [correction abandonnée: "aux amoureux"] .
Vinos et Fibi partageaient le repas, mais gênaient peu. Ces deux vagabondes, à demi sauvages et restées effarées, parlaient brehaigne entre elles.
Ensuite [corrige "Puis"] Dea rentrait au gynécée avec Fibi et Vinos. Ursus allait mettre [corrige "mettait"] Homo à la chaîne sous la Green-Box, et Gwynplaine s’occupait des [corrige "allait aux"] chevaux, et d’amant devenait palefrenier, comme s’il eût été un héros d’Homère ou un paladin de Charlemagne. A minuit, tout dormait, le loup excepté, qui de temps en temps, ["ouvrait un oeil" barré en correction cursive] pénétré de sa responsabilité, [", pénétré...": encadré de barres verticales ensuite biffées] ouvrait un œil.
["Sa besogne de hackney teminée(?) pendant que les tavernes se vidaient et s'éteignaient ["et s'éteignaient" ajouté], que le bouling-green se faisait désert et que dans un coin de ["l'aub(erge)" barré en correction cursive] la salle basse de l'auberge une dernière chandelle éclairait un dernier buveur, Gwynplaine" : aucun filet n'implante dans le texte ces lignes écrites en marge en vue d'une addition possible et inachevée. Elles sont encadrées et barrées à grands traits.]
Le lendemain ["matin" barré en correction cursive], au réveil, on se retrouvait ; on déjeunait ensemble, habituellement de jambon et de thé ; le thé, en Angleterre date de 1678. Puis Dea, à la mode espagnole et par le conseil d’Ursus qui la trouvait délicate, dormait quelques heures, pendant que Gwynplaine et Ursus faisaient tous les petits travaux du dehors et du dedans qu’exige la vie nomade. [paragraphe en addition; ajouté, à la copie, de la main de la copiste]
Il était rare que Gwynplaine rôdât hors ["rôdât hors" corrige "sortît"] de la Green-Box, excepté dans les routes désertes et les lieux solitaires. Dans les villes, il ne sortait qu’à la nuit, ["avec un large chapeau" barré en correction cursive] caché par un large chapeau rabattu, afin de ne point user son visage dans la rue.
On ne le voyait à face découverte que sur le théâtre. [paragraphe
en addition]
Du reste la Green-Box avait peu fréquenté les villes. Gwynplaine, à vingt-quatre ans, [une ligne et demi barrée en correction immédiate et partiellement reprise plus loin; on distingue, à la fin: "fort suffisante renommée d'homme horrible"] n’avait guère vu de plus grandes cités que les Cinq Ports ["qui sont Hastings, Douvres, Sandwich, Hyeth [le nom est surmonté d'un petit point d'interrogation], et New-Rumney (ancienne orthographe).": addition abandonnée. Elle est écrite au dessus d'une note au crayon: "+ + des Cinq Ports". A la copie, elle est ajoutée par la copiste en interligne.] . Sa renommée [corrigé par "notoriété" puis rétabli] cependant croissait [corrige "grandissait"] . Elle commençait à déborder la populace, et elle montait plus haut. [changement d'écriture; ce qui suit a vraisemblablement été ajouté] Parmi les amateurs de bizarreries foraines et les coureurs de curiosités et de prodiges, on savait qu’il existait quelque part, à l’état de vie errante, tantôt ici, tantôt là, un masque extraordinaire. ["Parmi les amateurs...": déplacé du folio précédent] On en parlait, on le cherchait, on se demandait [corrige "on disait"] : où est-ce ? L’Homme qui Rit devenait décidément fameux. Un certain lustre en rejaillissait sur Chaos vaincu. [phrase ajoutée; de même à la copie]
Tellement qu’un jour Ursus, ambitieux, dit : — Il faut aller à Londres. [même formule à la fin du f° 263, qui conclut la présentation de la Green-Box, où elle est précédée, en marge, de la consigne: "l'écriteau de Gwynplaine". Il y a donc eu un état de la conception du récit où la matière des chapitres II, 2, 9 à II, 2, 12 compris n'existait pas ou était destinée à prendre place plus loin.]
[Trait d'interruption au bas du folio.]
[f° 283. Page de titre, papier blanc]
2e partie
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[f° 284 blanc; f° 285, H11. Grand blanc au haut de la page. Au coin supérieur droit: "17 juin. La reprise d'Hernani est annoncée pour aujourd'hui." Au dessous: "Elle n'aura lieu que le 20." J. Gaudon observe que la fin du folio, barrée, s'enchaîne évidemment avec le f° 295. Mais il a, selon nous, tort de le considérer comme une rédaction ultérieure à celle du f° 294, car, le f° 285 entrant en continuité logique et chronologique avec toute la rédaction depuis, au moins, le f° 237, il faudrait penser que ce folio 294 leur est antérieur. Quoi qu'il en soit, et même si le f° 294 appartient à une rédaction antérieure mais provisoirement abandonnée, les f° 286-294 sont intercalés. Le f° 285 porte la date du 17 juin et le f° 297 celle du 20 juin cohérente avec les deux traits d'interruption des f° 295 et 296. Confirmation de l'intercalation, la copie est écrite sur papier gris, d'emploi plus tardif que le papier blanc habituel.]
["A quelques temps de là, dans les derniers mois de l'hiver 1705 ["dans les..." corrige "comme l'hiver de 1705 finissait"] , la Green-Box vint s'établir à Southwark, qu'on prononçait alors Soudric ; aujourd'hui on prononce sousouorc; à peu près. Du reste une excellente manière de prononcer les mots anglais, c'est de ne pas les prononcer du tout. Ainsi Southampton, dites: Stpntn." Paragraphe encadré et barré à grands traits. Mais un filet isole la partie inférieure depuis "qu'on prononçait alors" et inclut l'indication "bon" -le texte est effectivement repris plus loin.]
Londres n’avait à cette époque ["à cette époque" corrige "en ce temps-là"] qu’un pont, le Pont de Londres, avec des maisons dessus. Ce pont reliait à Londres Southwark, faubourg pavé et caillouté avec des galets de la Tamise, ["pavé et caillouté..." ajouté] tout en ruettes et ruelles, ayant des lieux fort serrés et [", comme la cité,": ajouté à la copie] quantité de ["logis de bois" barré en correction cursive] bâtisses, logis et cahutes de bois, pêle-mêle combustible où l’incendie a ses aises. 1666 l’avait prouvé.
["Southwark alors se prononçait Soudric ; aujourd’hui on prononce Sousouorc, à peu près. Du reste une excellente manière de prononcer les noms anglais, c’est de ne pas les prononcer du tout. Ainsi, Southampton, dites : Stpntn." addition autographe à la copie]
["C’était le temps où Chatam se prononçait Je t’aime.": addition autographe à la copie ajoutée à la précédente.]
Le Southwark de ce temps là ressemble au Southwark d’aujourd’hui comme Vaugirard ressemble à Marseille. C’était un bourg ; c’est une ville. Pourtant il s’y faisait un ["grand" biffé puis réécrit après l'abandon d'une correction en "très beau"] mouvement de navigation. Dans un ["Dans un" corrige "Un grand et"] long vieux mur cyclopéen sur la Tamise étaient scellés des anneaux où s’amarraient les coches de rivière. Ce mur s’appelait le mur d’Effroc ou Effroc-Stone. [faux départ: "Effr"] York, quand elle était saxonne, s’appelait Effroc. La légende contait qu’un duc d’Effroc s’était noyé au pied de ce mur. L’eau en effet y était assez profonde pour un duc. ["assez profonde..." plusieurs corrections reconduisent à peu près la rédaction initiale: "assez profonde pour un duc et même un roi."] A mer basse il y avait encore six bonnes brasses. L’excellence [corrige "Le bon"(?)] de ce petit mouillage attirait les navires de mer, et la vieille panse de Hollande, dite la Vograat, venait s’amarrer à l’Effroc-Stone. La Vograat faisait directement une fois par semaine la traversée de Londres à Rotterdam et de Rotterdam à Londres. D’autres coches partaient [corrige "se rendaient" qui corrige "allaient"] deux fois par jour, soit pour [corrige "à"] Deptford, soit pour [corrige "à"] Greenwich, soit pour [corrige "à"] Gravesend, descendant par une marée et remontant par l’autre. Le trajet jusqu’à Gravesend, quoique de vingt milles, se faisait en six heures. ["Le trajet..." addition intercalée. Hugo numérote à l'encre rouge pour les placer correctement les nombreuses additions de cette page; celle-ci a le numéro 2. Sa place sur la feuille montre en elle une des dernières, sans qu'on puisse préciser. Toutes les additions relatives à l'Effroc-Stone et à la Vograat préparent évidemment le dernier épisode et sont donc tardives.]
La Vograat était d’un modèle qu’on ne voit plus aujourd’hui que dans les musées de marine. Cette panse était un peu une jonque. En ce temps-là, pendant que la France copiait la Grèce, la Hollande copiait la Chine. La Vograat, lourde coque à deux [corrige "trois"(?); même correction de la main de la copiste] mâts ["à deux..." ajouté] , était cloisonnée [la copie fait défaut désormais jusqu'à "Il y avait dans l'Inn Tadcaster un maître et un boy."] étanche perpendiculairement, avec une chambre très creuse au milieu du bâtiment ["du bâtiment" ajouté] , et deux tillacs, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière, pontés ras, comme les vaisseaux de fer à tourelle d’aujourd’hui, ce qui avait l’avantage de diminuer la prise du flot sur le navire dans les gros temps, et l’inconvénient d’exposer l’équipage aux coups de mer, à cause de [corrige "vu"] l’absence de parapet. Rien n’arrêtait au bord celui qui allait tomber. De là de fréquentes chutes et des pertes d’hommes qui ont fait abandonner ce gabarit. ["La Vograat était d’un modèle...": addition à l'encre rouge, intercalée au sein de l'addition de premier niveau; elle porte le numéro 3.] La panse Vograat allait droit en Hollande et ne [un mot barré en correction cursive] faisait même pas escale à Gravesend. ["Le Southwark de ce temps là...": addition de premier niveau, numérotée 1.]
Une antique corniche de pierre, roche autant que maçonnerie, longeait le bas de l’Effroc-Stone, et praticable à toute mer, facilitait l’abord des bateaux amarrés au mur. Le mur était de distance en distance coupé d’escaliers. Il marquait la pointe sud de Southwark. ["Du côté de Southwark" barré] Un ["haut" barré] remblai permettait aux passants de s’accouder au haut de l’Effroc-Stone comme au parapet d’un quai. De là on voyait la Tamise. De l’autre côté de l’eau, Londres cessait. Il n’y avait plus que des champs. [Noté en 24 747, f° 180] ["Une antique corniche...": addition ajoutée à la précédente; elle est antérieure à celles intercalées dans la première, mais postérieure à l'addition "en France cultures..."]
En amont de ["En amont de" corrige "Plus haut que"] l’Effroc-Stone, ["En amont...": addition postérieure au tracé du filet des deux additions qui précèdent] au coude de la Tamise, presque vis-à-vis le palais de Saint-James [+ + + + barré], ["presque vis à vis..." ajouté et, pour les derniers mots, barré] derrière Lambeth-house, non loin de la promenade appelée alors Foxhall (vaux-hall probablement), il y avait, entre une poterie où l’on faisait de la porcelaine et une verrerie où l’on faisait des bouteilles peintes, un de ces vastes [en sc. sur "grands"] terrains vagues où l’herbe pousse ["où l'herbe pousse" ajouté] , appelés autrefois ["cultures." barré pour être corrigé dans l'addition qui suit] en France cultures et mails, ["et mails," ajouté] et en Angleterre bowling[en sc. sur "bouling"]-greens. De bowling[en sc. sur "bouling"]-green, tapis vert à rouler une boule, nous avons fait boulingrin. ["C'est le pré pris pour billard." barré et repris dans l'addition de second niveau qui suit] ["en France cultures..." addition de premier niveau] On a aujourd’hui ce pré-là dans sa maison ; seulement on le met sur une table, ["on le met..." déplacé et ajouté] il est en drap au lieu d’être en gazon, ["on le met sur une table," barré pour déplacement] et on l’appelle billard.
["Le bowling-green de Southwark." barré; faisait le lien avec le texte initial "était une sorte de champ..." avant l'extension de l'addition.] ["On a aujourd'hui...": addition de second niveau]
Au reste, on ne voit pas pourquoi, ayant boulevard (boule-vert), qui est le même mot que bowling [en sc. sur "bouling"]-green, nous nous sommes donné boulingrin. ["+ + la grammaire [variante: "le dictionnaire"] en ces luxes inutiles.
Le bowling-green de Southwak" biffé et remplacé par le prolongement de l'addition qui suit] ["Au reste on ne voit pas pourquoi...": addition de troisième niveau]
Il est surprenant qu’un personnage grave comme le dictionnaire ait de ces luxes inutiles.
Le bowling-green de Southwark s’appelait Tarrinzeau-field pour avoir appartenu jadis aux barons [corrige "marquis"] ["d'" barré] Hastings qui sont barons Tarrinzeau and Mauchline. Des lords Hastings le Tarrinzeau-field avait passé aux lords Tadcaster, lesquels l’avaient exploité [corrige "l'exploitaient"] en lieu public, ainsi que plus tard un duc d’Orléans a exploité le Palais-Royal. Puis le Tarrinzeau-field était devenu vaine pâture et propriété paroissiale. [phrase ajoutée] ["Il est surprenant qu'un personnage...": addition de quatrième niveau, ajoutée à celle qui précède]
Le Tarrinzeau-field [corrige "C' "] était une sorte de champ de foire permanent, encombré d’escamoteurs, d’équilibristes, ["d’escamoteurs,..." corrige et complète "de saltimbanques et"] de bateleurs, et de musiques sur des tréteaux, ["et de musiques..." ajouté] et toujours plein ["de" biffé en correction cursive] « d’imbéciles qui viennent regarder le diable », comme [ajouté] disait l’archevêque Sharp. Regarder le diable, c’est aller au spectacle.
Plusieurs inns, qui prenaient et envoyaient du public aux saltimbanques, s’ouvraient sur cette place fériée toute l’année, et y prospéraient. Ces inns étaient de simples échoppes, habitées seulement le jour. Le soir le tavernier mettait dans sa poche la clef de la taverne et s’en allait. Un seul de ces inns était une maison. Il n’y avait pas d’autre logis dans tout le Bowling-Green ["Bowling-Green" en sc. sur +] , les baraques du champ de foire ["du champ..." corrige "de banlieues(?)"] pouvant toujours disparaître d’un moment à l’autre, ["vu la vie errante" barré en correction cursive] [faux départ: [alinéa] "Cette cour des miracles"] vu l’absence d’attache et le vagabondage de tous ces saltimbanques. Les bateleurs ont une vie déracinée. ["Ces inns étaient de simples...": addition; elle est postérieure à la rédaction de la cascade d'addition qui précède.]
Cet inn appelé l’inn Tadcaster, du nom des anciens seigneurs ["Cet in appelé..." complète et corrige "Un de ces inns"] , plutôt auberge que taverne et plutôt hôtellerie qu’auberge, avait une porte cochère et une grande cour. [point corrige virgule] ["et fixa le choix d'Ursus. La Green-Box semblait prévue par cette cour. C'était un théâtre tout construit [en sc. sur "bâti"] . Cette cour [corrige "Elle"] était carrée et bâtie de trois côtés avec un mur faisant vis à vis aux étages, et auquel on adossa ["et auquel..." corrige "+ adoss+ +"] la Green-Box. Un grand balcon de bois couvert d'un auvent ["d'un auvent" ajouté] et porté sur poteaux, lequel desservait les chambres du premier étage," : ces lignes sont encadrées et barrées; elles se rattachent à la rédaction initiale du folio 295 et tous les folios 286-294 sont intercalés.]
[f° 286, I11. Ce folio sans correction ni faux départ est une mise au net probablement à la suite d'une réfection. Le nom de l'inn Tadcaster et la nomination de l'aubergiste et de son boy indiquent le caractère tardif de l'intercalation.]
La porte cochère, ouvrant de la cour sur la place, était la porte légitime de l’auberge Tadcaster, et avait à côté d’elle une porte bâtarde par où l’on entrait. Qui dit bâtarde dit préférée. Cette porte basse était la seule par où l’on passât. Elle donnait sur le cabaret proprement dit, qui était un large galetas enfumé, garni de tables et bas de plafond. Elle était surmontée d’une fenêtre du premier étage aux ferrures de laquelle était ajustée et pendue l’enseigne de l’inn. La grande porte, barrée et verrouillée à demeure, restait fermée.
Il fallait traverser le cabaret pour entrer dans la cour.
Il y avait dans l’inn Tadcaster un maître et un boy. Le maître s’appelait maître Nicless. Le boy s’appelait Govicum. Maître Nicless, — Nicolas sans doute, qui devient par la prononciation anglaise Nicless; [point-virgule au lieu de virgule par inadvertance; à la copie, qui a deux virgules, Hugo rétablit les tirets omis par la copiste] — était un veuf avare et tremblant, et ayant le respect des lois. Du reste, poilu aux sourcils et sur les mains. Quant au garçon de quatorze ans qui versait à boire et répondait au nom de Govicum, c’était une grosse tête joyeuse avec un tablier. Il était tondu ras, signe de servitude.
Il couchait au rez-de-chaussée dans un réduit où l’on avait jadis mis un chien.
Ce réduit avait pour fenêtre une lucarne ouvrant sur le bowling-green. [à la copie, ces deux paragraphes sont écrits de la main de VH, mais peut-être en raison de la gestion du papier]
[grand blanc jusqu'au bas du folio]
[f° 287, I [en sc. sur +]11 bis. Ce folio est la mise au net, sans doute très tardive, du folio suivant.]
Un soir qu’il faisait grand vent, et assez froid, et qu’on avait toutes les raisons du monde de se hâter dans la rue, un homme qui cheminait dans le Tarrinzeau-field [corrige "Bowling-green"; de même à la copie] sous le mur de l’auberge Tadcaster, s’arrêta brusquement. On était dans les derniers mois de l’hiver de 1704 à ["1704 à" ajouté] 1705. Cet homme, dont les vêtements indiquaient un matelot, était de ["belle" biffé en correction cursive] bonne mine et de belle taille, ce qui est prescrit [corrige "ordonné"] aux gens de cour et n’est pas défendu aux gens du peuple ["ce qui est..." variante "ce qui est permis aux gens du peuple comme aux gens de cour": de même à la copie où la variante, d'abord ajoutée par la copiste avec "ordonné" est réécrite par VH avec "prescrit"] . Pourquoi s’était-il arrêté ? Pour écouter. Qu’écoutait-il ? ["Qu’écoutait-il ?" corrige "Quoi? Des paroles dites d'"] Une voix qui parlait probablement dans une cour, de l’autre côté du mur, voix [qui parlait...": addition] un peu sénile, mais pourtant si haute, qu’elle venait [corrige "elles venaient"] jusqu’aux passants dans la rue. En même temps ["que cette voix" barré] , on entendait, dans l’enclos où la voix pérorait, un bruit de foule. Cette voix disait : ["En même temps..." addition qui corrige et complète "Cette voix disait:" qui corrige " Qu'était-ce que ces paroles? Les voici ["Les voici" corrigé en + +] :" ]
— Hommes et femmes de Londres, me voici. ["Je suis celui qui avertit." barré] Je vous félicite cordialement d’être anglais. Vous êtes un grand peuple. Je dis plus. Vous êtes une grande populace. Vos coups de poing sont encore plus beaux que vos coups d’épée. Vous avez de l’appétit. Vous êtes la nation qui mange les autres. Fonction magnifique. [virgule corrigée en point en même temps qu'est barré un mot, peut-être "car", qui continuait la phrase] Cette succion du monde classe à part l’Angleterre. Comme politique et philosophie, et maniement des colonies, populations, et industries, et comme volonté de faire aux autres du mal qui est pour soi du bien, vous êtes particuliers et surprenants. ["Comme politique et philosophie..." : addition. Elle se substitue à "Le moment approche que la volonté de Dieu soit faite. Il ne faut pas avoir de préventions bêtes. J'avoue franchement que je cois en Dieu. Même quand il a tort. + + + + + + +." barré] Le moment approche où il y aura sur la terre deux écriteaux ; sur l’un on lira : Côté des hommes ; sur l’autre on lira : Côté des anglais. Je constate [corrige "dis"] ceci à votre gloire, moi qui ne suis ni anglais, ni homme, ayant l’honneur d’être un ours. De plus, je suis docteur. Cela va ensemble. Gentlemen, j’enseigne. Quoi ? Deux espèces de choses : celles que je sais, et celles que j’ignore. Je vends des drogues et je donne des idées. Approchez, [f° 288, I11 ter. Tout le début du folio, beaucoup corrigé et augmenté, est refait au folio précédent.] [Pour simplifier la transcription, on porte en bleu, mais sans crochets ni guillemets, le texte résultant des modifications, qui, elles, sont notées avec guillemets et crochets.]
Un soir qu’il faisait grand vent, et assez froid, et qu’on avait toutes les raisons du monde de se hâter dans la rue, un homme [corrige "homme de ++ "] qui cheminait dans le Bowling-green ["dans le ..." ajouté] sous le mur de l’auberge Tadcaster, s’arrêta brusquement. On était dans les derniers mois de l’hiver 1705. Cet homme, dont les vêtements indiquaient un matelot, était de bonne mine et de belle taille, ce qui est permis aux gens du peuple comme aux gens de cour. Pourquoi s’était-il arrêté ? Pour écouter. Quoi? Des ["Un soir...": addition. Elle se substitue au texte de première rédaction, qui commence après un grand blanc: " Il était dit qu'un jour quelqu'un qui cheminait(?) [corrigé: "cheminait fortuitement"] derrière le mur de l'inn + + + arrêté pour écouter des"] paroles dites d'une voix ["haute" barré en correction cursive] un peu sénile, mais pourtant si haute, qu’elles venaient jusqu’aux passants dans la rue. Qu'était-ce que ces paroles? Les voici:
— Gentlemen, je suis professeur. Ecoutez. [corrige +] La science vous y convie. J'enseigne la Pseuodoxia Epidemica. Je suis la mortification des crieurs populaires. Mon camarade + fait rire, moi je
[En marge, deux addition, comprises dans l'encadrement qui supprime tout le haut du folio, dont les filets sont si enchevêtrés qu'ils ne permettent pas de distinguer les implantations prévues. Celle du haut, de même écriture que l'addition "Un soir qu'il faisait gros temps... aux gens du peuple comme aux gens de cour", est la suivante:
"— Mylords et messieurs, peuple de Londres, je vous félicite cordialement d'être anglais. Les anglais sont une grande nation qui mange les autres. Noble appêtit. Ceci classe à part l'Angleterre. Le moment approche où il y aura sur la terre deux écriteaux [+ + barré] Sur l'un, on lira: côté des anglais. Sur l'autre on lira: côté des hommes. Je dis ceci à votre gloire, moi qui ne suis ni anglais, ni homme, ayant l'honneur d'être un ours. De plus, je suis docteur. Cela va ensemble."
La seconde addition, de même écriture que la partie droite de la page, est la suivante:
"Si l'on tient à avoir une idée de l'éloquence d'Ursus, en voici un échantillon [corrige "spécimen"]. C'est un discours prononcé dans un carrefour quelconque d'un ville [correction abandonnée: +] quelconque. Du temps de Bossuet, cela s'appelait une oraison; aujourd'hui cela s'appellerait un boniment."]
["Un docteur enseigne." sustitué à " — Gentlemen, je suis professeur" le tout barré] et [ajouté; VH oublie de corriger la majuscule à "Ecoutez"] écoutez. La science vous y convie. Ouvrez votre oreille; si elle est petite, elle tiendra peu de vérité ; si elle est grande, beaucoup de stupidité [corrige "sottise" lui-même en sc. sur "bêtise"] y entrera. Donc, attention. J’enseigne la Pseudodoxia Epidemica. J’ai un camarade qui fait rire, moi je [depuis "et écoutez", y compris la correction qui précède: addition] fais penser. Nous habitons la même boîte, le rire étant d’aussi bonne famille que le savoir. Quand on demandait à Démocrite : Comment savez-vous ? il répondait : Je ris. [virgule corigée en point et minuscule suivante en majuscule] Et moi si l’on me demande [corrige "demandait", de même à la copie] : Pourquoi riez-vous ? je répondrai : Je sais. Du reste, je ne ris pas. Je suis le rectificateur des erreurs populaires. J’entreprends le nettoyage de vos intelligences. [deux ou trois mots barrés] Elles sont assez malpropres. Dieu permet que le peuple se trompe et soit trompé. [trois ou quatre mots barrés] Il ne faut pas avoir de pudeurs bêtes ; j’avoue franchement que je crois en Dieu, même quand il a tort. Seulement, quand je vois des ordures, — les erreurs sont des ordures, — je les balaie. Comment sais-je ce que je sais ? Cela ne regarde que moi. Chacun prend la science où il peut. ["J'entreprends le nettoyage...": addition. Elle se substitue à "Elien dit avoir vu un éléphant écrire des sentences et Oppien affirme avoir entendu un hippopotame discuter un problème philosophique ["discuter..." corrige "parler"]." Ces lignes, utilisées en II, 3, 6, ont une addition, dont on ne lit que "ne regarde que moi. Chacun prend la science où il peut."] Lactance faisait des questions à une tête de Virgile en bronze qui lui répondait ; Sylvestre II dialoguait avec les oiseaux ; les oiseaux parlaient-ils ? le pape gazouillait-il ? Questions. L’enfant mort du rabbin Éléazar causait avec saint Augustin. Entre nous, ["Entre nous," ajouté] je doute de tous ces faits, excepté du dernier. L’enfant mort [deux mots barrés en correction cursive] parlait, soit ; mais il avait sous la langue une lame d’or où étaient gravées diverses constellations. Donc il trichait. Le fait s’explique. [phrase ajoutée] Vous voyez ma modération. Je sépare le vrai du faux. Tenez, voici d’autres erreurs que vous partagez sans doute, pauvres gens du peuple, et dont je désire vous dégager. ["Vous voyez ma modération...": addition, postérieure à celle qui précède] ["Gentlemen," barré] Dioscoride croyait qu’il y avait un dieu dans la jusquiame, Chrysippe dans le cynopaste, Josèphe dans la racine bauras, Homère dans la plante moly. Tous se trompaient. Ce qui est dans ces herbes, ce [f° 289, J11] n’est pas un dieu, c’est un démon. Je l’ai vérifié. [phrase ajoutée] Il n’est pas vrai que le serpent qui tenta Ève eût, comme Cadmus, une face humaine. ["La bataille de Pharsale n'a pas été perdue parce que Brutus et Cassius avaient rencontré un nègre. Ce fut une simplicité à Scipion quand il voulut ouvrir les portes de Carthage, de prendre pour clef l'herbe Æthiopis qui rompt les serrures. Il perdit son temps. Il aurait mieux fait de se servir de l'herbe Lunaria" barré et réutilisé en II, 3, 6] ["Cadamoste" barré et déplacé; de même à la copie] Garcias de Horto, Cadamosto [déplacé et ajouté; de même à la copie] et Jean Hugo, archevêque de Trèves, ["archevêque..." ajouté] nient qu’il suffise de scier un arbre pour prendre un éléphant. J’incline à leur avis. Citoyens [corrige +], les efforts de Lucifer [corrige "Satan"] sont la cause des fausses opinions. Sous le règne d’un tel prince, il doit paraître des météores d’erreur et de perdition. Peuple [corrige "Gentlemen +] , Claudius Pulcher ne mourut pas parce que les poulets refusèrent de sortir du poulailler, la vérité est que Lucifer ayant prévu la mort de Claudius Pulcher, prit soin d’empêcher ces animaux de manger. Que Belzébuth ait donné à l’empereur Vespasien la vertu de redresser les boiteux et de rendre la vue aux aveugles en les touchant, c’était une action louable en soi, mais dont le motif était coupable. Gentlemen, ["je le dis, un chrétien qui se fait juif sent de loin mauvais. Un juif qui se fait chrétien ne sent pas bon. [repris en II, 3, 6] Ne tombez pas dans les crédulités puériles. N'acceptez pas tous les mensonges qu'on vous débite." barré et majuscule qui suit corrigée] défiez-vous des faux savants qui exploitent la racine de brioine et la couleuvrée blanche et qui font des collyres avec du miel et du sang de coq. Sachez voir clair dans les mensonges. ["Il est faux que le basilic soit roi des serpents sous le nom de [ajouté] cocatrix, mais il est certain qu'il a quelquefois une tête d'homme. Pierius en a vu un qui avait une tête de faucon. Il n'est [f° 290, K11] pas sûr [corrige "vrai"] que la mandragore crie, mais elle chante. Il faut pour cela qu'elle soit sous un gibet." barré] [assertions reprises en II, 3, 6] Il n’est point exact qu’Orion soit né d’un besoin naturel [variante sans choix: "de l'urine", abandonnée à la copie] de Jupiter ; la vérité est que ce fut Mercure qui produisit cet astre de cette façon. ["L'herbe qui fait tomber les fers des chevaux n'est point la securiduca, c'est la sferra-cavallo." barré et réutilisé en II, 3, 6] Il n’est pas vrai qu’Adam eût un nombril. Quand saint Georges a tué un dragon, il n’avait pas près de lui la fille d’un saint. Saint Jérôme dans son cabinet n’avait pas sur sa cheminée une pendule ; pour trois raisons; ["pour trois raisons;" manque à la copie fautive] premièrement, parce qu’étant dans une grotte, il n’avait pas de cabinet , deuxièmement, parce qu’il n’avait pas de cheminée, troisièmement, parce que les pendules n’existaient pas. Rectifions. Rectifions. ["Le sureau guérit l'esquinancie, non parce qu'il a dans sa racine une excroissance fée, mais tout simplemnt parce que Judas s'est pendu à un sureau." barré et repris en II, 3, 6] ["Ce n'est pas là une mauvaise conjecture obscure. +." addition barrée] O Gentils qui m’écoutez, si l’on vous dit que quiconque flaire l’herbe valériane, il lui naît un lézard dans le cerveau, que dans la putréfaction le bœuf se change en abeilles et le cheval en frélons, ["que le quatrième doigt de la main gauche a une vertu cordiale," barré et réutilisé en II, 3, 6] que l’homme pèse plus mort que vivant, que le sang de bouc dissout l’émeraude, qu’une chenille, une mouche et une araignée aperçues sur le même arbre annoncent la famine, la guerre et la peste, qu’on guérit le mal caduc au moyen d’un ver qu’on trouve dans la tête du chevreuil, n’en croyez rien, ce sont des erreurs. Mais voici des vérités : ["la peau du veau + + " barré en correction cursive] la peau de veau marin garantit du tonnerre ; le crapaud se [f° 291, L11] ["se" répété par inadvertance (signe d'une mise au net) et non barré] nourrit de terre, ce qui lui fait venir une pierre dans la tête ; la rose de Jericho fleurit la veille de Noël ; ["éternuer à gauche est un signe malheureux;" barré et réutilisé en II, 3, 6] les serpents ne peuvent supporter l’ombre du frêne ; ["le cristal est de la glace sublimée, le diamant est du cristal sublimé; la glace devient cristal en mille ans, le cristal devient diamant en mille siècles;" barré et réutilisé en II, 3, 6] l’éléphant n’a pas de jointures et est forcé de dormir debout appuyé contre un arbre ; faites couver par un crapaud un œuf de coq, vous aurez un scorpion qui vous fera une salamandre ; un aveugle recouvre la vue en mettant une main sur le côté gauche de l’autel et l’autre main sur ses yeux ; la virginité n’exclut pas la maternité. Braves gens, nourrissez-vous de ces évidences. Sur ce, vous pouvez croire en Dieu de deux façons, ou comme la soif croit à l’orange, ou comme l’âne croit au fouet. [changement d'écriture] Maintenant je vais vous présenter mon personnel.
Ici un coup de vent assez violent ["et très prolongé" barré] secoua les chambranles [corrige +] et les volets de l’inn, qui était une maison isolée. Cela fit une espèce de long murmure céleste. L’orateur attendit un moment, puis reprit le dessus. ["Il s'écria:" barré]
— Interruption. Soit. Parle, aquilon. Gentlemen, je ne me fâche pas. Le vent est loquace, comme tous les solitaires. Personne ne lui tient compagnie la haut. Alors il bavarde. Je reprends mon fil. Vous contemplez ici des artistes associés. Nous sommes quatre. [Ces deux phrases sont en additions; elles se substituent peut-être à une phrase de quelques mots, non lue] ["Premièrement, le loup." barré en correction cursive] A lupo principium. Je commence par mon ami ["Homo," barré] qui est un loup, [virgule corrigée en point et majuscule à la copie] il ne s’en cache pas. Voyez-le. Il est instruit, grave et sagace. La providence [corrige "Dieu"] a probablement eu un moment l’idée d’en faire un docteur d’université ; mais il faut pour cela être un peu bête, et il [corrige "Homo"] ne l’est pas. J’ajoute qu’il est sans préjugés, et point aristocrate. Il cause dans l’occasion avec une chienne, lui qui aurait droit à une louve. Ses dauphins, s’il en a eu, mêlent probablement avec grâce le [f° 292, M11. Mise au net.] jappement de leur mère au hurlement de leur père. Car il hurle. Il faut hurler avec les hommes. Il aboie aussi, par condescendance pour la civilisation. Adoucissement magnanime. Homo est un chien perfectionné. Vénérons le chien. Le chien [copie autographe: virgule] — quelle drôle de bête ! — a sa sueur sur sa langue et son sourire dans sa queue. Gentlemen, Homo égale en sagesse et surpasse en cordialité le chien [inadvertance à la copie autographe: "loup"] sans poil du Mexique, l’admirable Xoloïtzeniski. ["Gentlemen, Homo est un chien...": addition déplacée du f° 432, de même à la copie. Elle se substitue à "Tels sont ses mérites." barré et déplacé] J’ajoute qu’il est humble. Il a la modestie d’un loup utile aux humains. Il est secourable et charitable, silencieusement. Sa patte gauche ignore la bonne action qu’a faite sa patte droite. Tels sont ses mérites. [phrase déplacée et ajoutée; de même à la copie] De cet autre ["cet autre" corrige "celui-ci"; de même à la copie] , mon deuxième ami, je ne dis qu’un mot : c’est un monstre. Vous l’admirerez. Il fut jadis abandonné par des pirates ["par des..." ajouté] sur les bords [correction abandonnée: "le bord"] du sauvage océan. Celle-ci est une aveugle. Est-ce une exception ? Non. Nous sommes tous des aveugles. L’avare est un aveugle ; il voit l’or et ne voit pas la richesse. Le prodigue est un aveugle ; il voit la jouissance [variante sans choix préférée à la copie: "le commencement"] et ne voit pas la misère [variante sans choix préférée à la copie: "la fin"] . La coquette est une aveugle ; elle ne voit pas ses rides. Le savant est un aveugle ; il ne voit pas son ignorance. L’honnête homme est un aveugle ; il ne voit pas le coquin. Le coquin est un aveugle, il ne voit pas Dieu. [à hauteur de cette ligne en marge: "Dieu est un aveugle; le jour où il a créé le monde, il n'a pas vu que le diable se fourrait dedeans." Cette addition, sans filet de placement, ne figure pas dans la copie.] Moi, je suis un aveugle, je parle, et je ne vois pas que vous êtes des sourds. Cette aveugle-ci, qui nous accompagne, est une fille [variantes sans choix: "prophétesse" et "prêtresse", préférée à la copie] mystérieuse. Vesta lui eût confié son tison. Elle a dans le caractère des obscurités douces comme les hiatus qui s’ouvrent dans la laine d’un mouton. Je la crois fille de roi, sans l’affirmer. Une louable défiance est l’attribut du sage. Quant à moi, je ratiocine et je médicamente. Je pense et je panse. Chirurgus sum. Je guéris les fièvres, miasmes et pestes. Presque toutes nos phlegmasies et souffrances sont des exutoires, et, bien soignées, nous débarrassent gentiment d’autres maux qui seraient pires. Nonobstant [corrige "Pourtant"] , je ne vous conseille pas d’avoir un anthrax, autrement dit carbuncle. C’est une maladie bête qui ne sert à rien. On en meurt, mais c’est tout. Je ne suis pas inculte ni rustique. ["Quant à moi, je ratiocine...": addition; elle se subsitue à "Quant à moi, j'en ai dit assez pour que vous me connaissiez."] J’honore l’éloquence et la poésie et je vis avec ces déesses dans une intimité innocente. Et je termine par un avis [corrige "conseil"]. Gentlemen et gentlewomen, ["si vous êtes d'honnêtes gens, vous cultiverez" barré et corrigé] en vous, du côté d’où vient la lumière, cultivez [corrige et déplace "cultiverez"] la vertu, la modestie, ["la modestie," ajouté] la probité, la justice et l’amour. Chacun ici-bas peut, comme cela, avoir son petit pot de fleurs sur sa fenêtre. Mylords et messieurs, j’ai dit. Le spectacle va commencer.
L’homme, matelot probable, qui écoutait [virgule barrée] [f° 293, N11 masqué par le collage du folio] du dehors, ["du dehors," ajouté] entra dans la salle basse de l’inn, la traversa, paya quelque monnaie qu’on lui demanda, pénétra [en sc. sur "entra"] dans une cour pleine de public, aperçut au fond de la cour ["de la cour" ajouté] une baraque ["roulante et ouverte" barré en correction cursive] à roues, toute grande ouverte, et vit sur ce tréteau, un homme vieux vêtu d’une peau d’ours, un homme jeune qui avait l’air d’un masque, une fille aveugle, et un loup.
— Par le ciel, s’écria-t-il ! voilà d’admirables gens.
[grand blanc au bas du folio]
[f° 294, O11-P11. Ce folio contient, selon J. Gaudon, la rédaction initiale de l'épisode et serait repris au f° 285. Il ne porterait pas de tiret d'interruption parce que l'interruption se serait faite avant ou après. Il serait la mise au net du même texte dans le «f° 83v des copeaux», écrit J. Gaudon sans préciser le numéro du manuscrit ainsi qualifié. Nous l'avons donc retrouvé; c'est le manuscrit NAF 15812; le f° 83v porte bien le texte que dit J. Gaudon mais il est incontestablement de la main de Julie Chenay qui y copie le début du folio 294 en rédaction initiale. Ce n'est pas la seule raison qui nous conduit à ne pas partager cette conjecture excessivement coûteuse en hypothèses et sans bénéfice. Mieux vaut penser que, une fois la rédaction initiale acquise (282, 285, 295 et suivants jusqu'à 303) Hugo a voulu développer cette charnière du récit selon trois directions -description plus fouillée de l'inn, première visite de lord David et discours d'Ursus- et que, comme les additions du f° 285 ou le discours d'Ursus, ce folio 294 participe à cette stratégie qui multiplie les additions en 285 et intercale les folios 286-294 dans le récit continu antérieur.
Nous voyons la preuve de l'antériorité du f° 285 sur le f° 294 dans le fait que 294 enregistre en rédaction initiale une correction de 285: "A quelque temps de là, dans les derniers mois de l'hiver de 1705, [corrige "comme l'hiver 1705 finissait"] , la Green-Box..."]
[Blanc important au haut de la feuille, occupé par l'addition et, au-dessus, par le numéro du chapitre et par son titre.]
La Green-Box, – [tiret manquant à la copie autographe] on vient de la reconnaître [corrige "voir" à la copie autographe qui est mise au net au ms.], – [tiret manquant à la copie autographe] était arrivée à Londres. Elle s’était établie à Southwark. [copie autographe: faux départ: "Le B"] Ursus avait été attiré par le bowling-green, lequel avait cela d’excellent, que la foire n’y chômait jamais, pas même l'hiver. [au ms, VH ajoute la variante sans choix "en" (hiver) qui ne figure pas à la copie autographe qui est antérieure. On ne sait quand et par qui le choix a été tranché.] ["La Green-Box...": addition; addition autographe à la copie, antérieure au ms où elle est recopiée sans les corrections et faux départs]
[Rédaction initiale barrée; de même à la copie: "A quelque temps de là, dans les derniers mois de l'hiver de 1705, la Green-Box vint s'établir à Southwark qu'on prononçait alors Soudric; aujourd'hui on prononce Sousouorc; à peu près. Du reste une excellente manière de prononcer les noms anglais, c'est de ne pas les prononcer du tout. Ainsi, Southampton, dites: Stpntn." [Première copie de ce texte en 15 812, f° 83v.]
Voir le dôme de Saint-Paul avait été [corrige "fut"; de même à la copie] agréable à Ursus.
Londres, à tout prendre, [", à tout..." ajouté] est une ville qui a du bon. Avoir dédié une cathédrale à saint Paul, c’est de la bravoure. Le vrai saint cathédral est saint Pierre. Saint Paul est suspect d’imagination, et, en matière ecclésiastique, imagination signifie hérésie. St Paul n’est saint qu’avec des ["n'", "qu'" et "des": ajoutés] circonstances atténuantes. Il n’est entré au ciel que par la porte des artistes.
["Saint Pierre indique Rome, la ville du dogme. St" : faux départ]
Une cathédrale est une enseigne. Saint Pierre [en sc. sur +] indique Rome, la ville du dogme ; saint Paul signale Londres, la ville du schisme.
Ursus, dont la philosophie avait [en sc. sur +] de si grands bras qu’elle contenait tout, était homme à apprécier ces nuances, et son attrait pour Londres venait peut-être d’un certain goût pour saint Paul.
[A la copie, les lignes suivantes correspondent au texte, partiellement corrigé, du f° 285 : "Cet in, appelé l'Inn Tadcaster, plutôt auberge que taverne et plutôt hôtellerie qu'auberge, avait une porte cochère et une grande cour qui fixa le choix d'Ursus." Elles sont barrées et remplacées, de la main de VH par la phrase qui suit. Ecrites sur une bande de papier collée à la feuille portant le texte qui précède, elles subsiste d'une copie antérieure, conforme au texte existant avant l'intercalation des folios 286-294.]
La grande cour de l’inn Tadcaster avait fixé le choix d’Ursus. La Green-Box semblait prévue par cette cour ; c’était un théâtre tout construit. Cette cour était carrée, et bâtie de trois côtés, avec un mur faisant vis-à-vis aux étages, et auquel on adossa la Green-Box, introduite grâce aux vastes dimensions de la porte cochère [", introduite...": addition; elle manque à la copie et a peut-être été ajoutée aux épreuves et reportée sur le ms.] . Un grand balcon de bois, couvert d’un auvent et porté sur poteaux, lequel desservait les chambres du premier étage, ["La gande cour...": addition. Elle reprend et corrige le texte barré du f° 285 et assure la jonction avec 295.] [f° 295, Q11. En rédaction initiale, ce folio la suite du f° 285.] s’appliquait [addition abandonnée de trois ou quatre mots] sur les trois pans de la façade intérieure de cette cour ["de cette cour" ajouté] , avec deux retours en équerre. ["Ce balcon fit le balcon; dessous,": barré et déplacé plus loin en addition] Les fenêtres du rez-de-chaussée firent les baignoires; ["et" barré] le pavé de la cour fit le parterre, et le balcon fit le balcon [", et le balcon..." ajouté]. La Green-Box, rangée contre le mur, avait devant elle cette salle de spectacle. [A la copie, le texte "étage, s'appliquait..." est écrit sur un morceau de papier blanc, collé sur la feuille grise. C'est la récupération d'une copie antérieure à celle en cours.] Cela ressemblait beaucoup au Globe, où furent joués Othello, le Roi Lear et la Tempête. [ms: phrase écrite d'une autre plume mais à la suite; copie: ajoutée par VH]
Dans un recoin en arrière de la Green-Box, il y avait une écurie. ["Dans un recoin..." : addition de troisième niveau; addition également à la copie]
Ursus avait pris [corrige "prit"; de même à la copie] ses arrangements avec le ["digne" corrigé "honorable", le tout barré] tavernier maître Nicless, qui, vu son respect des lois, n’admit le loup qu’en payant plus cher ["qui, vu..." addition] . L’écriteau « GWYNPLAINE. — L’HOMME QUI RIT », décroché de la Green-Box, avait été [corrige "fut"; de même à la copie] accroché près de l’enseigne de l’inn. La salle-cabaret avait, on le sait, [", on le sait," ajouté; de même à la copie] une porte intérieure qui donnait sur la cour. A côté de cette porte fut improvisée, au moyen d’un tonneau éventré, une logette pour ["Ursus avait pris...": addition de deuxième niveau. Elle se substitue à un texte corrigé, barré, repris en 285-286. On distingue:
"Ursus prit des arrangements avec l'hôtellerie [correction ou variante: "l'inn Tadcaster"]. L'écriteau « GWYNPLAINE. — L’HOMME QUI RIT », décroché de la Green-Box, fut accroché près de l’enseigne de l'auberge + + + + + + + +" Ici, le texte initial n'est plus lisible, raturé qu'il est au profit de corrections en interligne: "La salle-cabaret avait une porte qui donnait sur la cour. A côté de cette porte fut improvisée, au moyen d'un tonneau éventré, une logette pour"
Ce texte, avant d'être remplacé par la seule addition de deuxième niveau l'a été par une addition de premier niveau, encadrée et barrée en croix. On y lit l'invention du nom de maître Nicless:
"+ + + + de la cour sur la place, était la porte légitime de l'auberge Tadcaster et avait à côté d'elle une porte bâtarde par où l'on entrait dans la salle basse. Qui dit bâtarde dit préférée. Cette porte basse était la seule par où l'on passât. ["Qui dit bâtarde..." corrige "Cette porte bâtarde était la préférée."] Elle donnait dans le cabaret. Elle était surmontée d'une fenêtre du premier étage aux ferrures de laquelle était ajustée et pendue l'enseigne de l'inn. La grand porte restait fermée.
Il y avait dans l'inn Tadcaster un maître et un boy. Le maître s'appelait maître Nicless [corrige "P+"] . Le boy s'appelait Govicum. [" Ce" barré] Maître Nicless [en sc. sur "Niclesse"], Nicolas sans doute, qui devient par la prononciation anglaise Nicless ["Nicolas sans doute...." corrige "car Nicolas se prononce Nicless [en sc. sur +] et nous l'écrirons comme on le prononce"] était un veuf [en sc. sur "homme" qui corrige "bonhomme"] avare et tremblant et ayant le respect des lois. Au reste, poilu aux sourcils et sur les mains. Quant au garçon de quatorze ans qui versait à boire et répondait au nom de Govicum, c'était une grosse tête joyeuse avec un tablier. Il était tondu ras, signe de [lacune du papier] ["+ + + couchait au rez de chaussée + + +" cette phrase en addition] ] Hugo a abandonné ce texte avant de l'achever pour le déplacer en II, 3, 1, f° 286, puis a repris au-dessous la rédaction initiale "Ursus prit les arrangements..."]
« la buraliste » qui était tantôt Fibi, tantôt Vinos. C’était à peu près comme aujourd’hui. Qui entre paie. Sous l’écriteau L’HOMME QUI RIT fut pendue à deux clous une planche peinte en blanc portant, charbonné en grosses lettres, le titre de la grande pièce d’Ursus, Chaos vaincu. ["«la buraliste»...": ajouté, écrit dans les interlignes du texte initial dont on distingue quelques mots: "à la porte de l'inn qui + + + + + côté de cette porte + + affiché + + + ["Chaos vaincu," barré en correction cursive] la grande pièce d'Ursus Chaos vaincu."] [A la copie, fin de l'emploi du papier gris, retour au papier blanc.]
Au centre du balcon, précisément en face de la Green-Box, ["deux cloisons, l'une à droite, l'autre à gauche, isolaient" barré en correction cursive] un compartiment qui avait pour entrée principale une porte-fenêtre, avait été [corrige "était"; de même à la copie] réservé entre deux cloisons « pour la noblesse ».
Il était assez large pour contenir, sur deux rangs, dix spectateurs. [paragaphe ajouté]
— Nous sommes à Londres, avait dit Ursus. Il faut s’attendre à de la gentry.
Il avait fait meubler cette « loge » des meilleures chaises de l’inn, et placer au centre un grand fauteuil ["grand fauteuil" en sc. sur + +] de velours d’Utrecht [ajouté] bouton d’or à dessins cerise ["bouton..." corrige "rouge"; de même à la copie] pour le cas où quelque femme d’alderman viendrait.
[trait qui est peut-être un trait d'interruption très mal dessiné. Hypothèse rendue vraisemblable par le fait que le paragraphe suivant est écrit au-dessus d'autant de lignes préparatoires au crayon.]
["Mais le compartiment pour la noblesse resta vide." barré, repris plus loin en ajout]
Les représentations avaient commencé [corrige "commencèrent"; de même à la copie]. [paragraphe ajouté de la même écriture que la rédaction initiale]
Tout de suite, ["Tout de suite," ajouté; de même à la copie] la foule vint.
Mais le compartiment pour la noblesse resta vide. ["Tout de suite...": ajout avec déplacement partiel.]
A cela près, le succès fut tel ["A cela..." corrige "Ce n'est pas que le succès fit défaut, loin de là. Il fut tel"] que de mémoire de saltimbanque on n’en avait pas vu de pareil. Tout Southwark accourut [corrige "vint"] en cohue admirer [corrige "pour applaudir"(?)] l’Homme qui Rit.
Les baladins [corrige "Tous les saltimbanques"] et bateleurs du Tarrinzeau-field [corrige "bowling [en sc. sur "bouling"]-green"; de même à la copie] furent effarés de Gwynplaine. Un épervier s’abattant dans une cage de ["dans une cage de" corrige "parmi des"] chardonnerets [+: variante abandonnée] et leur becquetant leur mangeoire, tel fut l’effet. Gwynplaine leur dévora leur public.
Outre le menu peuple des avaleurs de sabres et des grimaciers, il y avait sur le bowling-green de vrais spectacles. Il y avait un circus à femmes retentissant du matin au soir d’une sonnerie magnifique de toutes sortes d’instruments, psaltérions, tambours [corrige + ], rubèbes, micamons, timbres, chalumelles [remplace "cornets d'Allemagne" déplacé], dulcaynes, gingues, chevrettes, cornemuses, cornets d’Allemagne, eschaqueils d’Angleterre, pipes, fistules, flajos et flageolets. Il y avait ["des sauteurs", barré en correction cursive] sous une large [corrige "grande"] tente ronde des sauteurs que n’eussent point égalés nos coureurs actuels des Pyrénées, Dulma, Bordenave et Meylonga, lesquels du pic de Pierrefitte descendent au plateau du [+ barré en correction cursive] Limaçon, ce qui est presque tomber. Il y avait une ménagerie ambulante où l’on voyait un tigre bouffe [corrige "très farce" qui corrige "comique"] , qui [corrige "lequel"] , fouaillé par un belluaire, tachait de lui happer son fouet et d’en avaler la mèche. Ce comique [corrige "bouffe"; même correction à la copie de la main de la copiste] à gueule et à griffes fut lui-même éclipsé.
Curiosité, applaudissements, recettes, foule, l’Homme qui Rit prit tout. En un clin d’œil ce fut fait. Il n’y eut plus que la Green-Box.
— Chaos vaincu est Chaos vainqueur, disait Ursus se mettant de moitié dans le succès de Gwynplaine, et tirant la nappe à lui ["se mettant..." corrige ["s'associant au succès de Gwyplaine et" ajouté] "tirant un peu la nappe à lui"; même corrections de la main de la copiste], comme on dit en langue cabotine.
Le succès de Gwynplaine fut prodigieux. Pourtant il ["Outre le menu peuple...": addition. Elle se subsitue à "En un clin d'oeil ce fut fait. Il ne resta plus que la Green Box. / Pourtant ce succès"] resta local. Passer l’eau est difficile pour une renommée. Le nom de Shakespeare a mis cent trente ans à venir ["en France" barré en correction cursive] [f° 296, R11. Trait d'interruption.] d’Angleterre en France ; l’eau est une muraille, et si Voltaire, ce qu’il a bien regretté plus tard, [", ce qu'il a bien...": addition] n’avait pas fait à Shakespeare la courte échelle, Shakespeare [", à l’heure qu’il est,": ajouté à la copie] serait peut-être encore de l’autre côté du mur, en Angleterre, captif d’une gloire insulaire.
La gloire de Gwynplaine ne passa point ["d'emblé" addition abandonnée] le pont de Londres. Elle ne prit point ["d'emblé" addition abandonnée] les dimensions d’un écho de grande ville. Du moins dans les premiers temps. [phrase ajoutée, de même de la main de la copiste] Mais Southwark peut suffire à l’ambition d’un clown. Ursus disait : — La sacoche des recettes, comme une fille qui a fait une faute, grossit à vue d’œil.
[Trait d'interruption. Les six lignes suivantes ("On jouait ... A chaque rêprésentation... leur solde en ripailles et en filles.") sont écrites au-dessus de notes préparartoires au crayon.]
On jouait Ursus Rursus, puis Chaos vaincu.
Dans les entractes, Ursus justifiait sa qualité d’engastrimythe et faisait de la ventriloquie transcendante [ajouté; de même de la main de la copiste] . [addition abandonnée: "Il se déclarait l'+ successeur de + + + + +"] Il imitait toute voix qui s’offrait dans l’assistance [corrige "l'auditoire"(?)] , un chant, un cri, à ébahir [corrige "étonner"; de même de la main de la copiste] par la ressemblance le chanteur ou le crieur lui-même, et parfois il copiait le brouhaha du public, et il soufflait comme s’il eût été à lui seul un tas de gens ["s'il eût été..." corrige "une foule"; de même de la main de la copiste] . Talents remarquables ["que son âge avait à peine affaiblis" barré] . ["Dans les entractes...": addition de premier niveau]
["En outre il haranguait, on vient de le voir, [", on vient..." ajouté] comme Cicéron, vendait des drogues, soignait les maladies ["soignait..." ajouté] et même [ajouté] guérissait les malades." paragraphe ajouté de la main de VH à la copie]
Southwark était captivé.
Ursus était satisfait des applaudissements de Southwark, mais n’en était point étonné.
— Ce sont les anciens trinobantes, disait-il.
Et il ajoutait :
— Que je ne confonds point, pour la délicatesse du goût, avec les atrobates qui ont peuplé Bercks, les belges qui ont habité le Somerset, et les parisiens qui ont fondé York. ["Southwark était..." addition. Elle est postérieure à celle qui précède et à celle qui suit.]
A chaque représentation, la cour [un mot barré en correction cursive] de l’inn, transformée en parterre, s’emplissait [en sc. sur "se remplissait"] d’un auditoire déguenillé et enthousiaste. C’étaient des bateliers, des porte-chaises, des charpentiers de bord ["charpentiers..." corrige un mot] , des cochers de coches de rivière, des matelots frais débarqués dépensant leur solde en ripailles et en filles. Il y avait des estafiers, des ruffians et des gardes noirs, qui sont des soldats condamnés pour quelque faute disciplinaire à porter leur habit rouge retourné du côté de la doublure noire, et nommés pour cela blackguards, d’où nous avons fait blagueurs. ["Il y avait des estafiers..." addition] Tout cela affluait de la rue dans le théâtre et refluait du théâtre dans la salle à boire. Les chopes bues ne nuisaient point au succès.
Parmi ces gens qu’on est convenu d’appeler « la lie », ["qu’on est convenu..." corrige "du peuple"] il y en avait un plus haut que les autres, plus grand, plus fort, moins pauvre, plus carré d’épaules, vêtu comme le commun du peuple ["le commun..." corrige "la foule"] , mais pas déchiré, ["enthou" barré en correction cursive] admirateur à tout rompre, se faisant place à coups de poing, ayant une perruque à la diable, jurant, criant, gouaillant, ["ayant une perruque..." ajouté] point malpropre, et au besoin ["et au besoin" ajouté] pochant un œil et payant bouteille.
Cet habitué était le passant dont on a entendu tout à l’heure le cri d’enthousiasme. [paragraphe ajouté; de même à la copie; cet ajout confirme l'intercalation du chapitre II, 3, 2]
Ce connaisseur immédiatement fasciné ["immédiatement..." ajouté de la même écriture que le paragraphe précédent] avait tout de suite adopté l’Homme qui Rit. Il ne venait pas à toutes les représentations. Mais quand il venait, ["la perrformance"(?) barré en correction cursive] il était le « traîner » du public, les applaudissements se changeaient en acclamations, le succès allait, non aux frises, il n’y en avait pas, mais aux nues, il y en avait. ( Même ces nues, vu l’absence de plafond, pleuvaient quelquefois sur le chef-d’œuvre d’Ursus. )
Si bien qu’Ursus remarqua cet homme et que Gwynplaine le regarda.
C’était un fier ami inconnu qu’on avait là !
Ursus et Gwynplaine voulurent le connaître, ou du moins savoir qui c’était.
Ursus un soir, de la coulisse, qui était la porte de la cuisine de la Green-Box, [faux départ: "demanda à"] ayant par hasard maître Nicless ["maître Nicless" ajouté; ajouté par la copiste] l’hôtelier près de lui, lui montra l’homme mêlé à la foule, et lui demanda :
— Connaissez-vous cet homme ?
[f° 297, S11. Date en marge: 20 juin]
— Sans [en sc. sur "Oui."] doute.
— Qu’est-ce ?
— Un matelot.
— Comment s’appelle-t-il ? dit Gwynplaine, intervenant.
— Tom-Jim-Jack, répondit l’hôtelier.
Puis, tout en redescendant l’escalier marchepied de l’arrière de la Green-Box pour rentrer dans l’inn, maître Nicless [corrige "l'hotelier"; même correction de la main de la copiste] ["reprit" barré en correction cursive] laissa tomber cette réflexion, profonde à perte de vue :
— Quel dommage qu’il ne soit pas lord ! ce serait une fameuse [corrige "fière"] canaille. [après cette ligne, au crayon: "(finir ici un chapitre)". Un numéo de chapitre "IV" est effectivement inscrit au dessus de l'addition "Du reste, quoique installé...". Il est barré mais la coupe de chapitre se fera bien juste avant le texte qui suit ici en première rédaction: "Le succès n'est pas aimé, surtout par ceux dont il est la chute....". ]
[En marge cette note, encadrée d'abord à l'encre noire, puis à l'encre rouge : "20 juin. On reprend ce soir Hernani. J'ai passé ma matinée à écrire une lettre à Juarez pour Maximilien."]
[En partie droite de la page le texte initial, avec additions marginales, s'enchevêtre dans une intercalation en interligne. Les deux textes sont repris dans les additions marginales ultérieures. Rédaction initiale:
"Le succès n'est pas aimé, surtout par ceux dont il est la chute. Un succès de théâtre est un siphon, pompe la foule et fait le vide autour de lui. ["La boutique en face est éperdue.": addition] A la hausse des recettes de la Green-Box correspondit tout de suite [corrigé en: "avait tout de suite correspondu, nous l'avons dit,"] une baisse dans les recettes environnantes. ["Brusquement tous les spectacles + ["jusqu'alors fêtés": ajout ou correction] chômèrent.": addition] "] Ce texte est encore corrigé, de la même écriture qui inscrit le texte en interligne, avant d'être repris dans l'addition qui suit.
Texte intercalé en interligne:
"Du reste quoique installé dans une hôtellerie, le groupe de la Green-Box n'avait rien changé à ses habitudes, ils ne se mêlaient point aux habitants, permanents ou passagers de l'auberge, et ils continuaient de vivre entre eux."]
Du reste, quoique installé dans une hôtellerie, le groupe de la Green-Box n’avait rien modifié [en sc. sur "changé] de ses mœurs [corrige "habitudes"] , et maintenait son isolement [", et maintenait..." ajouté] . A cela près de quelques mots échangés ça et là avec le tavernier, ils ne se mêlaient point aux habitants, permanents ou passagers, de l’auberge, et ils continuaient de vivre entre eux. [ces lignes sont écrites au-dessus d'une note au crayon de plusieurs lignes; on distingue: "+ mais le compartiment"; les mêmes mots se lisent, toujoiurs au crayon, dans la parte droite de la page, au même niveau.]
Depuis qu’on était à Southwark, Gwynplaine avait pris l’habitude, après le spectacle, après le souper des gens et des chevaux, d’aller, pendant qu’Ursus et Dea se couchaient [corrige "s'ndormaient"] chacun de son [en sc. sur "leur"] côté, respirer un peu le grand air dans le bowling [en sc. sur "bouling"]-green entre onze heures et minuit. Un certain vague qu’on a dans l’esprit pousse aux promenades nocturnes et aux flâneries étoilées ; [point corigé en point-vigule pour l'ajout qui suit] la jeunesse est une attente mystérieuse ; c’est pourquoi on marche volontiers la nuit, sans but. ["la jeunesse...": addition] A cette heure-là, il n’y avait plus personne dans le champ de foire, tout au plus quelques titubations d’ivrognes faisant des silhouettes chancelantes dans les coins obscurs ; les tavernes vides se fermaient, la salle basse de l’auberge [corrige "inn"] Tadcaster s’éteignait, ayant à peine [corrige "tout au plus"] dans quelque angle une dernière chandelle éclairant un dernier buveur, une lueur indistincte sortait entre les chambranles ["entre les..." corrige "par l'huis"] de l’inn entr’ouvert, et Gwynplaine, pensif, content, songeant, heureux d’un divin [corrige "profond"] bonheur trouble, allait et venait devant cette porte entrebâillée. A quoi pensait-il ? à Dea, à rien, à tout, aux profondeurs. Il s’écartait peu de l’auberge, retenu, comme par un fil, près de Dea. Faire quelques pas dehors lui suffisait. ["Il s'écartait peu...": ajouté]
Puis il rentrait, ["ne faisait pas de bruit," barré] trouvait toute la Green-Box endormie, et s’endormait.
Le succès n’est pas aimé, surtout par ceux dont il est la chute. Il est rare que les mangés adorent les mangeurs. [faux départ: "La popularité"] L’Homme qui Rit décidément faisait événement. Les bateleurs d’alentour étaient indignés. Un succès de théâtre est un siphon, pompe la foule, et fait le vide autour de lui. La boutique en face est éperdue. A la hausse des recettes de la Green-Box avait tout de suite correspondu, nous l’avons dit, une baisse dans les recettes environnantes. Brusquement, les spectacles, jusqu’alors fêtés, chômèrent. ["Du reste, quoique installée...": addition. Elle se substitue aux textes en partie droite de la feuille transcrits ci-dessus] [La copie emploie des bandes de papier gris, collées aux folios blancs, depuis "Du reste, quoique installée..." jusqu'ici.] Ce fut comme un étiage se marquant en sens inverse, mais avec une concordance parfaite, la crue ici, la diminution là. Tous les théâtres connaissent ces effets de marée ; elle n’est haute chez celui-ci [corrige "l'un"] qu’à la condition d’être basse chez ["l'autre." barré] celui-là. ["Toute" barré] La fourmilière foraine, qui exhibait ses talents et ses fanfares sur les tréteaux circonvoisins, se voyant ruinée par l’Homme qui Rit, entra en désespoir, mais fut éblouie. Tous les grimes, tous les clowns, tous les bateleurs enviaient Gwynplaine. ["Le regard"(?) barré en correction cursive] En voilà un qui est heureux d’avoir un mufle de bête féroce ! Des mères baladines et danseuses de cordes, qui avaient de jolis enfants, les regardaient avec colère en [faux départ: "disant"] montrant Gwynplaine et en disant : Quel dommage que tu n’aies pas une figure comme cela ! Quelques-unes battaient leurs petits de fureur de les trouver beaux. [phrase ajoutée] Plus d’une, si elle eût su le secret, eût arrangé son fils « à la Gwynplaine ». Une tête d’ange qui ne rapporte rien ne vaut pas [en sc. sur "rien"(?)] une face de diable [corrige "gnome"] lucrative. On entendit un jour la mère d’un petit qui était un chérubin de gentillesse et qui jouait les cupidons, s’écrier : On nous a manqué nos enfants [corrige "Tous nos enfants sont manqués"] . Il n’y a que ce Gwynplaine de réussi. Et, montrant le poing à son fils, elle ajouta : — Si je connaissais ton père, je lui ferais une scène ! ["On entendit...": addition; à la copie, addition de la main de la copiste] [marque d'alinéa à faire]
Gwynplaine était une poule aux œufs d’or. Quel merveilleux phénomène ! Ce n’était qu’un cri dans toutes les baraques. ["Les saltimbanques +" barré en correction cursive] ["La boutique en face était éperdue." barré et déplacé en addition plus haut.] Les saltimbanques, enthousiasmés et exaspérés, contemplaient Gwynplaine en grinçant des dents. La rage admire; cela s’appelle l’envie. Alors elle hurle. Ils essayèrent de troubler Chaos vaincu, firent cabale, sifflèrent, [ajouté] grognèrent, huèrent. Cela fut pour Ursus un motif de harangues hortensiennes [corrige "ciceroniennes"; de même à la copie] à la populace, et ["Ursus un motif...": ajouté] pour l’ami Tom-Jim-Jack [f° 298, T11. Trait d'interruption. La répétition de "l'ami Ton-Jim-Jack", à la première ligne s'explique par l'addition qui précède.] une occasion de donner quelques-uns de ces coups de poing qui rétablissent l’ordre. [additions abandonnées; rayées à la copie: "Autre genre d'éloquence." et "Gourmades de haute école." ] [un ou deux mots, de rédaction initiale, barrés en correction cursive] Ces coups de poing [correction abandonnée: "raclées administrées généreusement"] de Tom-Jim-Jack achevèrent de le faire ["estimer par"(?) barré en correction cursive] remarquer par Gwynplaine et estimer par Ursus. De loin, du reste ; car le groupe de la Green-Box se suffisait à lui-même et se tenait à distance de tout, et quant à Tom-Jim-Jack, ce leader de la canaille faisait l’effet d’une sorte d’estafier suprême, sans liaison, sans intimité, casseur de vîtres, meneur d’hommes, paraissant, disparaissant, camarade de tout le monde et compagnon de personne.
[En marge, encadré de deux traits, cette note: "Hernani a réussi". Au manuscrit est joint (f° 299) un télégramme adressé à "Hugo, 4 place barricades, Bruxelles", posté à Paris le 21 juin 1867 à 7h 25, reçu à Bruxelles à 8h25: "Succès sans précédent / Acteurs deux fois rappelés après 5ème acte enthousiasme ardent pour auteur / Allix"]
Ce déchaînement d’envie contre Gwynplaine ne se tint pas pour battu, pour quelques giffles de Tom-Jim-Jack. Les huées ayant avorté, les saltimbanques du Tarrinzeau-field [corrige "Bowling-green"; de même à la copie. Première bonne orthographe de "bowling" en rédaction initiale] rédigèrent une supplique. Ils s’adressèrent à l’autorité. [corrige "La jalousie s'adresse volontiers à l'autorité."] C’est la marche ordinaire. Contre un succès qui nous gêne, on ameute la foule, puis on implore le magistrat.
Aux bateleurs se joignirent les révérends [rétabli après correction en "prédicateurs"] . L’Homme qui Rit [corrige "Le succès(?) + par Gwynplaine"] avait porté coup aux prêches. Le vide ne s’était pas fait seulement dans les baraques, mais dans les églises. Les chapelles des cinq paroisses de Southwark n’avaient plus d’auditoire. On délaissait [corrige "désertait"(?)] le sermon pour aller à Gwynplaine. Chaos vaincu, la Green-Box, l’Homme qui Rit, toutes ces abominations de Baal l’emportaient sur l’éloquence de la chaire. La voix qui harangue [corrige "prêche"] dans le désert, vox clamantis in deserto, [quatre ou cinq mots barrés] n’est pas contente, et adjure [corrige "se plaint"] volontiers le [corrige "au"] gouvernement. Les pasteurs des cinq paroisses se plaignirent à l’évêque de Londres, lequel se plaignit à sa majesté.
[Trait d'interruption]
La plainte des bateleurs se fondait sur la religion. Ils la déclaraient outragée. Ils signalaient Gwynplaine comme sorcier et Ursus comme impie.
Les révérends, eux, invoquaient l’ordre social. Ils [f° 301, U11.]
prenaient fait et cause pour les ["prenaient..."
corrige "s'indignaient au nom des"] actes du parlement violés,
laissant l’orthodoxie de côté. C’était plus malin. Car on était à [corrige "c'était"] l’époque de M. Locke,
mort depuis six mois à peine, le 28 octobre 1704, et le scepticisme, que
Bolingbroke allait [corrige "devait
depuis"(?)] insuffler à Voltaire, commençait. Wesley devait
plus tard venir restaurer la Bible comme Loyola a restauré le papisme. [phrase ajoutée]
De cette façon, la Green-Box était battue en brèche des deux côtés, par les bateleurs [corrige "montreurs d'ours" qui corrige "saltimbanques" qui corrige "révérernds" barré en correction cursive] au nom du Pentateuque [corrige "de l'Ancien Testament" qui corrige "de la Bible"] , par les chapelains au nom des règlements de police. D’une part le ciel, d’autre part la voirie, les révérends tenant pour la voirie, et les saltimbanques [corrige "histrions"] pour le ciel. La Green-Box [corrige "Elle"] était dénoncée par les prêtres comme encombrante [corrige "illégale"; même correction de la main de la copiste] , et par les baladins [variante sans choix "histrions" barrée à la copie] comme sacrilége.
Y avait-il prétexte ? Donnait-elle prise ? Oui. ["Y avait-il prétexte..." ajouté] Quel était son crime ? Ceci : elle avait un loup. ["Le loup donnait prise." barré et déplacé] Un loup en Angleterre est un proscrit. Le dogue, soit ; le loup, point. L’Angleterre admet le chien qui aboie et non le chien qui hurle ; nuance entre la basse-cour et la forêt. ["Les pasteurs" barré, sans doute en correction cursive] Les recteurs et vicaires des ["Cinq" (Ports?) barré en correction cursive] cinq paroisses de Southwark rappelaient dans leur requête les nombreux statuts royaux et parlementaires mettant les loups hors la loi ["mettant les loups..." corrige "ordonnant [correction abandonnée: "des battues"] l'abattage des loups"]. Ils concluaient à quelque chose comme l’incarcération de Gwynplaine, et la mise en fourrière du loup, ou tout au moins l’expulsion. Question d’intérêt public, de risque pour les passants, ["de morsure et de bave, d'hydrophobie possible," barré] etc. Et là-dessus ils faisaient appel à la Faculté. Ils citaient le verdict du collége des quatre-vingts médecins de Londres, corps docte qui date de Henri VIII, qui a un sceau comme l’état, qui élève les malades à la dignité de justiciables, ["qui élève..." ajouté] qui a le droit d’emprisonner ceux qui enfreignent ses lois et contreviennent à ses ordonnances, et qui, entr’autres constatations utiles à la santé des citoyens, a mis hors de doute ce fait acquis à la science : — Si un loup voit un homme le premier, l’homme est enroué pour la vie. De plus, on peut être mordu. [En marge, et écrit en tournant la feuille à 180°: "s'indignaient au nom des actes"]
Donc Homo était le prétexte. ["De plus, on peut...": addition; de même à la copie, où VH met le tiret nécessaire à la fin de la phrase précédente.]
Ursus, par l’hôtelier, avait vent de ces menées. Il était ["perp"(lexe), barré en correction cursive] inquiet. Il craignait ces [f° 302, V11. Mise au net. Trait d'interruption et date reconstituable.] deux griffes, police et justice. Pour avoir peur de la magistrature, il suffit d’avoir peur ; il n’est pas nécessaire d’être coupable. Ursus souhaitait peu le contact des shériffs, prévôts, baillis et coroners. Son empressement de contempler de près ces visages officiels était nul. Il avait de voir des magistrats la même curiosité que le lièvre de voir des chiens d’arrêt. ["Il commen" barré en correction cursive]
Il commençait à regretter d’être venu à Londres.
— Le mieux est ennemi du bien, murmurait-il en aparte ["en aparte" ajouté] . Je croyais ce proverbe déconsidéré, j’ai eu tort. Les vérités bêtes sont les vérités vraies. ["— Le mieux...": addition]
Contre tant de puissances coalisées, saltimbanques prenant en main la cause de la religion [variante sans choix: "l'église", éliminée à la copie] , chapelains s’indignant au nom ["de la loi et" barré; de même à la copie] de la médecine, la pauvre Green-Box, suspecte de sorcellerie en Gwynplaine et d’hydrophobie en Homo, n’avait pour elle qu’une chose, mais qui est une grande force en Angleterre, l’inertie municipale. C’est du laisser-faire local qu’est sortie la liberté anglaise. La liberté en Angleterre se comporte comme la mer autour de l’Angleterre. C’est une marée. Peu à peu les mœurs montent sur les lois. Une épouvantable législation engloutie, l’usage dessus, un code féroce encore visible sous la transparence de l’immense liberté, c’est là l’Angleterre.
[en marge, entre deux traits, cette note: "La nouvelle arrive que Maximilien a été fusillé." La chronologie Massin date entre le 23 et le 25 juin; le compte des tirets d'interruption indiquerait plutôt le 22 ou le 23.]
L’Homme qui Rit, Chaos vaincu, Homo [", et Ursus" barré] , pouvaient avoir contre eux les bateleurs, les prédicans, les évêques, la chambre des communes, la chambre des lords, ["la chambre des communes..." ajouté] sa majesté, et Londres, et toute l’Angleterre, et rester tranquilles tant que Southwark serait pour eux. La Green-Box était l’amusement préféré du ["l’amusement..." corrige "populaire dans le"] faubourg, et l’autorité locale semblait indifférente. En Angleterre, indifférence, c’est protection. Tant que le shériff du comté de Surrey, à qui ressortit ["du comté..." corrige "de"] Southwark, ne bougerait pas, Ursus ["pouvait" barré en correction cursive; de même à la copie] respirait, et Homo [rétabli après correction en "le loup"; de même à la copie] pouvait dormir sur ses deux oreilles de loup ["de loup" ajouté; de même à la copie] .
[Trait d'interruption.]
A la condition de ne point aboutir au coup de pouce, ces haines servaient le succès [corrige cursivement "la Green-Box"] . La Green-Box pour l’instant ne s’en portait pas plus mal. Au contraire. Il transpirait dans le public qu’il y avait des intrigues. L’Homme qui Rit en devenait plus populaire. La foule a le flair des choses dénoncées, et les prend en bonne part. Être suspect recommande. Le peuple adopte d’instinct ce que ["l'autorité" barré en correction cursive] l’index menace. [f° 303, X11. Mise au net. Trait d'interruption au bas du folio.] La chose dénoncée, c’est un commencement de fruit défendu ; on se hâte d’y mordre. Et puis un applaudissement qui taquine quelqu’un, surtout quand ce quelqu’un est l’autorité, c’est doux. Faire, en passant une soirée agréable, acte d’adhésion à l’opprimé et d’opposition à l’oppresseur, cela plaît. On protége en même temps qu’on s’amuse. Ajoutons que les baraques théâtrales du Bowling-Green continuaient de huer et ["de huer et" ajouté] de cabaler contre l’Homme qui Rit. Rien de meilleur pour le succès. Les ennemis font un bruit efficace qui aiguise et avive le triomphe. Un ami est plus vite las de louer qu’un ennemi d’injurier. Injurier n’est pas nuire. Voilà ce que les ennemis ignorent. Ils ne peuvent pas ne point insulter, et c’est là leur utilité. Ils ont une impossibilité de se taire qui entretient l’éveil public. La foule grossissait [corrige "De là un grossissement de foule"] à Chaos vaincu.
Ursus gardait pour lui ce que lui disait maître Nicless [corrige "l'hotelier"; même correction de la copiste] des intrigues et des plaintes en haut lieu, et n’en parlait pas à Gwynplaine, pour ne point troubler la sérénité des représentations par des préoccupations. S’il arrivait malheur, on le saurait toujours assez tôt.
["La foule faubourienne de Southwark était si drue à ces représentations que, sitôt le rideau levé, c'est à dire sitôt le panneau de la Green-Box abaissé, il était impossible de trouver une place ["que, sitôt le rideau...." remplace "qu'on ne voyait plus un seul des pavés de la cour, tous remplacés par des visages"] . Les fenêtres regorgeaient de spectateurs; le balcon était envahi. On ne voyait plus un seul des pavés de la cour, tous remplacés par des visages. ["On ne voyait..." déplacé et ajouté]
Seulement le compartiment « pour la noblesse » restait [corrige "était"] toujours vide.
Il y avait à cet endroit, qui était le centre du balcon, ["à cet endroit..." remplace "là"] un trou noir, ce qu'on appelle en métaphore d'argot « un four ». Personne. Foule partout, excepté là.
["+ + qu' " barré] Un [en sc. sur "un"] soir, il y eut quelqu'un." Ces quatre paragraphes sont barrés d'une grande croix. Ils sont repris, dans leur vesion corrigée à la fin du chapitre II, 3, 7 -f° 316. Cest la trace de l'intercalation des chapitres II,3, 5 et II, 3, 6, effectuée en plusieurs temps et confirmée par l'usage de papier gris pour leur copie.]
[Trait d'interruption. Blanc au bas du folio. Au bas du folio, en marge, quelques mots fortement raturés.]
[f° 304, Y11. Ce chapitre est intercalé en deux temps. D'abord le f° 304 qui se continuait au f° 316 ("...imprimer les noms des / membres des communes..."), puis les folios 305 et 306. Voir au f° 316]
Une fois pourtant il crut devoir déroger à cette prudence, par prudence même, et il jugea utile de tâcher d’inquiéter Gwynplaine ["de tâcher..." corrige "de mettre Gwynplaine en éveil"] . Il est vrai qu’il s’agissait d’une chose beaucoup plus grave encore, dans la pensée d’Ursus, que les cabales de foire et d’église. Gwynplaine, en ramassant un farthing tombé à terre dans un moment où l’on comptait la recette, s’était mis l’examiner, et, en présence de l’hôtelier, avait tiré du contraste entre le farthing, représentant la misère du peuple, et l’empreinte représentant, sous la figure d’Anne, ["l'opulence royale" barré en correction cursive] la magnificence parasite du trône, un propos mal sonnant. Ce propos, répété par maître Nicless ["sonnant..." corrige "sonnant, qui redit par l'hotelier"] , avait fait tant de chemin qu’il était revenu à Ursus par Fibi et Vinos. Ursus en eut la fièvre ["en eut..." corrige corrige "eut un tremblement [corrigé "fort +"] . Paroles séditieuses. ["Délit grave." barré] Lèse-majesté. Il admonesta rudement Gwynplaine.
— Veille sur ton abominable [corrige "horrible"] gueule. Il y a une règle [corrige "loi"] pour les grands, ne rien faire ; et une règle pour les petits, ne rien dire. Le pauvre n’a qu’un ami, le silence. Il ne doit prononcer qu’un monosyllabe : oui. Avouer et consentir, c’est tout son droit. Oui, au juge. Oui, au roi. Les grands, si bon leur semble, nous donnent des coups de bâton, j’en ai reçu, c’est leur prérogative [corrige "droit"] , et ils ne perdent nullement de leur grandeur en nous rompant les os. L’ossifrage est une espèce d’aigle. Vénérons [en sc. sur +] le sceptre qui est le premier des bâtons. ["Les grands, si bon...": addition ajoutée à l'addition qui suit] Respect, c’est prudence, et platitude, c’est égoïsme. Qui outrage son roi se met en même danger qu’une fille coupant témérairement la jube à un lion. On m’informe que tu as jasé sur le compte du farthing, qui est la même chose que le liard, et que tu as médit de cette médaille auguste moyennant laquelle on nous octroie au marché le demi-quart d’un hareng salé. Prends garde. Deviens sérieux. ["Respect, c'est prudence...": addition] Apprends qu’il existe des punitions [en sc. sur + et corrige "pénalités"] . Imprègne-toi des vérités législatives. Tu es dans un pays où celui qui scie un petit arbre ["scie..." corrige "coupe un peuplier"] de trois ans est paisiblement mené au gibet ["paisiblement..." corrige "pendu"] . Les jureurs, on leur met les pieds aux ceps. L’ivrogne est enfermé [corrige "mis"] dans une barrique [corrige "un tonneau"] défoncée [mis au féminin] par en bas pour qu’il marche [corrige "puisse marcher"] , avec un trou en haut du tonneau par où passe sa tête et deux trous dans la bonde par où passent ses mains, de sorte qu’il ne peut se coucher. Qui frappe quelqu’un dans la salle de Westminster est en prison pour sa vie, et ses biens confisqués. Qui frappe quelqu’un dans le palais du roi a la main droite tranchée [corrige "coupée"] . Une chiquenaude sur un nez qui saigne, et te voilà manchot. Le convaincu d’hérésie en cour d’évêque est brûlé vif. C’est pour pas grand chose que Cuthbert Simpson a été écartelé au tourniquet. Voilà trois ans, en 1702, ce n’est pas loin, comme tu vois, on a tourné au pilori un scélérat appelé Daniel de Foë lequel avait eu l’audace d’imprimer les noms des [Le texte se poursuit initialement au f° 316r.] [f° 305, Z11.] membres des communes qui avaient parlé la veille au parlement. Celui qui est félon à sa majesté, on l’éventre vivant, et on lui arrache le cœur dont on lui soufflette les deux joues. Inculque-toi ces notions de droit et de justice. Ne jamais se permettre un ["se permettre un" corrige "souffler"] mot, et, à la plus petite inquiétude, prendre sa volée ; telle est la bravoure que je pratique et que je conseille. En fait de témérité, imite les oiseaux, et en fait de bavardage, imite les poissons. Du reste, l’Angleterre a cela d’admirable que sa législation est fort douce.
Son admonition faite, Ursus fut inquiet quelque temps encore ; Gwynplaine point. L’intrépidité de la jeunesse se compose de défaut d’expérience. Toutefois il sembla que Gwynplaine avait eu raison d’être tranquille, car les semaines s’écoulèrent pacifiquement [en sc. sur "paisiblement"; corrigé VH à la copie] , et il ne parut pas que le propos sur la reine eût des suites.
Ursus, on le sait, manquait d’apathie, et, comme le chevreuil [corrige "lièvre"] au guet, était en éveil de tous les côtés. ["membres de communes..." est écrit en addition sur la partie gauche de la feuille. Ce texte-ci effectue le raccord de la première intercalation (f°304 et 316) avec la seconde: le dialogue à propos du Wapentale. Mais comme ce raccord est fait en addition, il faut croire que la rédaction initiale du folio 305 était acquse avant qu'il soit inséré ici.]
Un jour, peu de temps après sa semonce à Gwynplaine, ["Un jour..." remplace "Une autre fois, ["Ursus" barré en correction cursive] "] en regardant par la lucarne du mur qui avait vue sur le dehors, Ursus [rétabli après correction en "il"] devint pâle.
— Gwynplaine ?
— Quoi ?
— Regarde.
— Où ?
— Dans la place.
— Et puis [corrige "Eh bien"] ?
— Vois-tu ce passant ?
— Cet homme en noir ?
— Oui.
— Qui a une espèce de masse au poing ["espèce de..." corrige "chose à la main"] ?
— Oui.
— Eh bien ?
— Eh bien, Gwynplaine, cet homme est le wapentake.
— Qu’est-ce que c’est que le wapentake ?
— C’est le bailli de la centaine.
— Qu’est-ce que c’est que le bailli de la centaine ?
— C’est le præpositus hundredi.
— Qu’est-ce que c’est que le præpositus hundredi ? [Ces deux répliques sont ajoutés.]
— C’est un officier terrible.
— Qu’est-ce qu’il a à la main ?
— C’est l’iron-weapon [corrige "le weapon"].
— Qu’est-ce que l’iron-weapon [corrige "le weapon"] ?
— C’est une chose en fer.
— Qu’est-ce qu’il fait de ça ?
— D’abord il jure dessus. Et c’est pour cela qu’on l’appelle le wapentake.
— Ensuite ?
— Ensuite il vous touche avec.
— Avec quoi ?
— Avec l’iron-weapon [corrige "le weapon"] .
— Le wapentake vous touche avec l’iron-weapon [corrige "le weapon"] ?
— Oui.
— Qu’est-ce que cela veut dire ?
— Cela veut dire : suivez-moi.
— Et il faut le suivre ?
— Oui.
— Où ?
— Est-ce que je sais, moi ? [en sc. sur "Où il veut."]
[f° 306, A12.]
— Mais il vous dit où il vous mène ?
— Non.
— Mais on peut bien le lui demander ?
— Non.
— Comment ?
— Il ["lève son" barré en correction cursive] ne vous dit rien, et vous ne lui dites rien.
— Mais…
— Il vous touche de l’iron-weapon [corrige "du weapon"] . Tout est dit. Vous devez marcher.
— Mais où ?
— Derrière lui.
— Mais où ?
— Où bon lui semble, Gwynplaine.
— Et si l’on résiste ?
— [faux départ: "Gwynpla"] On est pendu.
Ursus remit la tête à la lucarne, respira largement, et dit :
— Dieu merci, le voilà passé ! Ce n’est pas chez nous qu’il vient.
Ursus s’effrayait probablement plus que de raison des indiscrétions et des rapports possibles [ajouté] au sujet des paroles inconsidérées [corrige "séditieuses"(?) qui corrige "irrévérentes"] de Gwynplaine.
Maître Nicless [corrige "L'hotelier"] , qui les avait entendues, n’avait aucun intérêt à compromettre les pauvres gens de la Green-Box. [faux départ: "Chaos vaincu avait"] Il tirait latéralement ["Il tirait..." écrit au-dessus d'un faux départ: "Chaos vaincu avait"] de l’Homme qui Rit une bonne petite fortune. Chaos vaincu avait deux réussites ; en même temps qu’il faisait triompher l’art dans la Green-Box, il faisait prospérer l’ivrognerie dans la taverne. [Ce paragraphe a été écrit en addition au f° 316 avant d'être déplacé ici.]
[Le grand espace blanc au bas de la feuille est barré en croix, autre indice de l'intercalation.]
[f° 307 blanc; f° 308, B12. Chapitre intercalé. Il réutilise plusieurs éléments retirés du chapitre II, 3, 2 (f° 287-292), qui lui-même est une intercalation. Au coin supérieur gauche, cette note: " A intercaler entre l'ivrognerie dans la taverne et L'inn Tadcaster était de plus en plus"]
Ursus eut encore une autre alerte, assez terrible. Cette fois, c’était
["Cette fois..." en sc. sur + + +] lui
qui était en question ["était en question"
corrige "pouvait être considéré comme ayant l'air d'être le coupable"]
. ["Effroi profond." barré] Il fut ["un beau jour" barré] mandé à Bishopsgate
devant une commission composée de trois visages désagréables. Ces trois
visages étaient trois docteurs, qualifiés préposés, l’un était un
docteur en théologie, délégué du doyen de Westminster, l’autre était un
docteur en médecine, délégué du Collège des Quatre-Vingts, l’autre était
un docteur en histoire et droit civil, délégué du Collège de Gresham. ["Trois faces" barré en correction cursive]
Ces trois experts in omni re scibili ["in
omni..." corrige "en toute chose"(?)] avaient la police
des paroles prononcées en public dans tout le territoire des cent trente
paroisses de Londres, des soixante [corrige
"quatrevingt"]-treize de Middlesex, et, par extension, des cinq
de Southwark. Ces juridictions théologales subsistent encore en
Angleterre, et sévissent utilement [", et
sévissent..." ajouté] . Le 23 décembre 1868, par sentence de la
cour des Arches confirmée par arrêt des lords du conseil privé, le
révérend Mackonochie a été condamné au blâme, plus aux dépens, pour
avoir allumé des chandelles sur une table. La liturgie ne plaisante pas.
["Ces juridictions...": addition ajoutée à
l'addition qui suit; addition autographe à la copie. Cette addition
très tardive fait allusion au fait relaté par une coupure de presse
jointe au ms (f°
309) et annotée par VH: "1868. Comme quoi on peut êre condamné à
l'amende pour avoir allumé des chandelles sur une table. Gaz[ette] de
Guernesey 2 janvier 1869" Précisons que ces chandelles allumées
l'avaient été sur la table de communion et ne sont que l'une des
quatres innovations liturgiques minimes (on a vu bien mieux depuis)
dont il est fait grief au révérend Mackonochie.] [L'épisode est
mentionné comme l'une des "choses à ajouter" au f° 117 de 24 747]
Ursus donc un beau jour reçut des docteurs délégués ["Ursus donc..." corrige "Ursus reçut d'eux un beau jour" qui remplace "Ils envoyèrent à Ursus"] un ordre de comparution qui, heureusement, lui fut remis en mains propres ["pendant une absence de Gwynplaine" barré] et qu’il put tenir secret. Il se rendit, sans mot dire, [", sans mot dire," ajouté] à la sommation, frémissant à la pensée qu’il pouvait être considéré comme donnant prise jusqu’au point d’avoir l’air de pouvoir être soupçonné d’être peut-être, dans une certaine mesure, ["incorrect et" barré] téméraire. ["Les trois docteurs préposés": jonction avec le texte initial barrée pour continuer l'addition] ["Ursus donc un beau jour...": addition] Lui qui recommandait tant [ajouté] le silence aux autres, il avait là une rude leçon. Garrule, sana te ipsum. ["Lui qui...": addition ajoutée à l'addition qui précède]
[Au haut de la page, en marge, un texte encadré et barré prépare ces lignes: "Il s'y rendit + + + parce qu'il pouvait être considéré comme donnant prise jusqu'au point ["de pouvoir être" barré] d'avoir l'air de pouvoir être soupçonné d'être peut-être, dans une certaine mesure, coupable [variantes: "accusable", suspect", "téméraire"] "]
Les trois docteurs préposés et délégués ["Les trois..." corrige "Ils" sans alinéa] siégeaient à Bishopsgate ["à Bishopsgate" ajouté] au fond d’une salle de rez-de-chaussée, sur trois chaises à bras en cuir noir, avec les trois [un mot ou le début d'un mot, rayé en correction cursive] bustes de Minos, d’Éaque et de Rhadamante au dessus de leur tête dans la muraille, une table devant eux, et à leurs pieds une sellette.
Ursus, introduit par un estafier paisible et sévère, entra, les aperçut, et, sur le champ, dans sa pensée, donna à chacun d’eux le nom du juge d’enfer que le personnage avait au-dessus de sa tête.
Minos, le premier des trois, le préposé à la théologie, lui fit signe de s’asseoir sur la sellette.
Ursus salua correctement, c’est-à-dire jusqu’à terre ["correctement..." corrige "profondément"] , et sachant qu’on enchante les ours [corrige "Cerbère"] avec du miel et les docteurs avec du latin, dit, en restant à demi courbé par respect [", en restant..." corrige en sc. et addition deux formulations d'un ou deux mots, dont la seconde est "+ respectueusement"]:
— Tres faciunt capitulum.
[f° 310, C12.]
Et, tête basse, la modestie désarme, ["tête basse..." addition où "tête basse" corrige + + et "la modestie" corrige "l'humilité"] il vint s’asseoir sur le tabouret. [première rédaction du paragraphe: "Et il vint s'asseoir sur le tabouret."]
Chacun des trois docteurs avait devant lui sur la table un dossier de notes qu’il feuilletait. [paragraphe en addition]
Minos commença [en sc. sur "reprit"] :
— Vous parlez en public ?
— Oui, répondit [en sc. sur "dit"] Ursus.
— De quel droit ?
— Je suis philosophe.
— Ce n’est pas là un droit.
— Je suis aussi saltimbanque, fit Ursus.
— C’est différent.
Ursus respira, mais humblement. Minos reprit : ["— Vous parlez...": addition. Elle se substitue à
"— Vous parlez en public. De quel droit ?
Ursus répondt humblement:
— Je suis saltimbanque philosophe.
Minos + + + + + "]
— Comme saltimbanque, vous pouvez [en sc. sur "devez"?] parler, mais comme philosophe, vous devez vous taire.
— Je tâcherai, dit Ursus.
Et il songea en lui-même : — Je puis parler, mais je dois me taire. Complication.
Il était fort effrayé.
Le préposé à Dieu continua :
— Vous dites des choses mal sonnantes. Vous outragez la religion. [phrase ajoutée; elle remplace, peut-être en correction cursive, "Vous propagez +"] Vous niez les vérités les plus évidentes. Vous propagez de révoltantes erreurs. Par exemple, vous avez dit que la virginité excluait la maternité.
Ursus leva doucement les yeux. [paragraphe ajouté]
— Je n’ai pas dit cela [", fit Ursus" barré] . J’ai dit que la maternité excluait la virginité.
[faux départ: "— Au fait c'est"]
Minos fut pensif et grommela :
— Au fait, c’est le contraire.
C’était la même chose. Mais Ursus avait paré le premier coup.
Minos, méditant la réponse d’Ursus, s’enfonça dans la profondeur de son imbécillité, ce qui fit un silence.
["Rhadamante, " barré] Le préposé à l’histoire, celui qui pour Ursus était Rhadamante, ["celui qui..." ajouté] [deux ou trois mots ("en profita pour"?) barrés en correction cursive] masqua la déroute de Minos par cette interpellation ["à Ursus" barré] :
— Inculpé, [ajouté] vos hardiesses [corrige "audaces" lui-même en sc. sur +] et vos erreurs sont de toutes sortes. Vous avez nié que la bataille de Pharsale eût été perdue parce que Brutus et Cassius avaient rencontré un nègre.
— J’ai dit, murmura Ursus, que cela tenait aussi à ce que César était un meilleur capitaine.
["Rhadamante pouruivit
— A propos des accidents arrivés à la cavalerie de Mithridate, vous avez contesté les" : suite et fin, barrée pour déplacement, de l'addition initiale] ["Vous avez nié que la bataille...": addition initiale]
L’homme de l’histoire passa sans transition à la mythologie:
— Vous avez excusé les infamies d’Actéon.
— Je pense, insinua [corrige "dit"; de même à la copie] Ursus, qu’un homme n’est pas déshonoré pour avoir vu une femme nue.
— Et vous avez tort, dit le juge sévèrement. [réplique ajoutée]
Rhadamante rentra dans l’histoire.
— A propos des accidents arrivés à la cavalerie de Mithridate,["L’homme de l’histoire passa...": addition de second niveau, déplacée et ajoutée à l'addition qui précède] vous avez contesté [corrige "nié"] les vertus des herbes et des plantes. Vous avez nié qu’une herbe, comme la securiduca, put faire tomber les fers des chevaux.
— Pardon, répondit Ursus [", répondit Ursus" ajouté] . J’ai dit que cela n’était possible qu’à l’herbe sferra-cavallo. [déplacé du f° 290] [Noté en 24 747, f° 134r] Je ne nie la vertu d’aucune herbe.
Et il ajouta à demi-voix :
— Ni d’aucune femme.
Par ce hors d’œuvre philosophique ajouté à sa réponse ["Par ce..." corrige "Par cet épiphonème mental"] , Ursus se prouvait à lui-même que, si inquiet qu’il fût, il [f° 311, D12.] n’était pas désarçonné. Ursus était composé de terreur et de présence d’esprit.
— J’insiste, reprit Rhadamante [", l'oeil sur son dossier": addition abandonnée] . Vous avez déclaré que ce fut une simplicité à Scipion, quand il voulut ouvrir les portes de Carthage, de prendre pour clef l’herbe Æthiopis, parce que l’herbe Æthiopis n’a pas la propriété de rompre les serrures.
— J’ai simplement dit qu’il eût mieux fait de se servir de l’herbe Lunaria. [texte déplacé du f° 289]
— C’est une opinion, murmura Rhadamante touché à son tour.
[faux départ: "Minos, le théologien"]
Et l’homme de l’histoire se tut.
L’homme de la théologie, Minos, revenu à lui, questionna de nouveau ["questionna de nouveau" en sc. sur "interpella de nouveau" qui corrige "apostropha"] Ursus. Il avait eu le temps de consulter le cahier de notes.
— Vous avez classé l’orpiment parmi les produits arsenicaux, et vous avez dit qu’on pouvait empoisonner avec de l’orpiment. La Bible le nie.
— La Bible le nie, soupira Ursus, mais l’arsenic l’affirme.
Le personnage en qui Ursus voyait Éaque, qui était le [en sc. sur "docteur"] préposé à la médecine et qui n’avait pas encore parlé, intervint, et, les yeux superbement [en sc. sur "orgueilleusement"(?)] fermés à demi ["les yeux..." corrige "tout en fronçant le sourcil"] , appuya Ursus de très haut. Il dit :
— La réponse n’est pas inepte.
Ursus remercia de son sourire le plus avili [corrige "plat" qui corrige "attendri"] .
Minos fit une moue affreuse [corrige "inquiétante"; copie: même correction de la main de la copiste] ["fit une moue..." en sc. sur "fronça le sourcil"].
— Je continue, reprit Minos. ["Je
continue..." addition; "reprit Minos" ajout autographe à la copie]
["Vous avez" barré en correction cursive]
Répondez. Vous avez dit qu’il était faux que le basilic soit roi des
serpents sous le nom de Cocatrix. [déplacé de
II, 3, 2]
— Très révérend, dit Ursus, j’ai si peu voulu nuire au basilic que j’ai dit qu’il était certain qu’il avait une tête d’homme.
— Soit, répliqua [corrige "reprit"; de même à la copie] sévèrement Minos, mais vous avez ajouté que Poerius en avait vu un qui avait une tête de faucon. [ces trois assertions sont déplacées du f° 289] Pourriez-vous le prouver ?
— [le tiret barre "Ursus" en correction cursive] Difficilement, dit Ursus.
Ici il perdit un peu de terrain.
Minos, ressaisissant l’avantage, poussa.
— Vous avez dit qu’un juif qui se fait chrétien ne sent pas bon. [déplacé du f° 289]
— Mais [", très révérend," barré] j’ai ajouté qu’un chrétien qui se fait juif sent mauvais.
Minos jeta un regard [corrige "les yeux"] sur le dossier dénonciateur ["jeta..." corrige "redevint pensif"] .
— Vous affirmez et propagez des choses invraisemblables. [phrase ajoutée; de même à la copie] Vous avez dit qu’Elien avait vu un éléphant écrire des sentences.
— [faux départ: "Très révérend,"] Non pas, très révérend. J’ai [f° 312, E12.] simplement dit qu’Oppien avait entendu un hippopotame discuter un problème philosophique.
— Vous avez déclaré [en sc. cursive sur "dit qu' "] qu’il n’est pas vrai qu’un plat de bois de hêtre se couvre de lui-même de tous les mets qu’on peut désirer.
— J’ai dit, que pour qu’il ait cette vertu, il faut qu’il vous ait été donné par le diable.
— Donné à moi [correction de "A moi"] !
["Ursus se troubla." barré]
— Non, à moi. Révérend ! — Non ! à personne ! à tout le monde ! ["— Non ! à personne...": ajouté]
Et, à part, Ursus songea : Je ne sais plus ce que je dis. Mais son trouble intérieur [copie fautive: "extérieur"], bien qu’extrême, n’était pas trop visible. Ursus luttait ["trop visible..." corrige et complète "visible"] .
— Tout ceci, repartit Minos, implique une certaine foi [corrige "croyance"] au diable.
Ursus tint bon.
— Très révérend, je ne suis pas impie au diable. La foi au diable est l’envers de la foi en Dieu. L’une prouve l’autre. Qui ne croit pas un peu au diable ne croit pas beaucoup en Dieu. [phrase ajoutée] Qui croit au soleil doit croire à l’ombre. Le Diable est la nuit de Dieu. Qu’est-ce que la nuit ? la preuve du jour.
Ursus improvisait [corrige "faisait"] ici une insondable combinaison ["insondable..." corrige "profonde +"] de philosophie et de religion [corrections abandonnées: "théologie" et "+"]. Minos redevint pensif et refit un plongeon dans le silence ["pensif et..." corrige "pensif. Ce docteur rentra [correction abandonnée: "se replongea"] dans le silence"] .
Ursus respira de nouveau. [paragraphe ajouté]
Une brusque attaque eut lieu. Éaque, le délégué de la médecine, qui venait de protéger dédaigneusement [ajouté] Ursus contre le préposé à la théologie, se fit subitement d’auxiliaire assaillant. Il posa son poing fermé ["Il posa..." corrige "Il posa ses cinq doigts ouverts" qui corrige "Il posa sa main à plat" qui corrige "Il posa sa main"; copie: correction VH de "ses cinq doigts ouverts à plat ["à plat" ajouté par la copiste]" en "son poing fermé"] sur son dossier, qui était épais et chargé. [la phrase corrige une rédaction initiale commençant par "Il apostropha" et s'achève par "comparant"] Ursus reçut de lui en plein torse [corrige "pleine poitrine"] cette apostrophe :
— Il est prouvé que le cristal est de la glace sublimée, et que le diamant est du cristal sublimé ; il est avéré que la glace devient cristal en mille ans, et que le cristal devient diamant en mille siècles. [déplacé du f° 291] [f° 313, F12.] Vous l’avez nié.
— Point, répliqua [corrige "dit"] Ursus avec mélancolie. J’ai seulement dit qu’en mille ans la glace avait le temps de fondre, et que mille siècles c’était malaisé à compter.
L’interrogatoire continua, les demandes et les réponses faisant comme un cliquetis d’épées. [Un trait vertical en marge du paragraphe le signale pour une correction éventuelle.]
— Vous aviez [copie: "avez"] nié que les plantes pussent parler.
— Nullement [en sc. cursive sur "Pas"] . Mais il faut pour cela qu’elles soient sous un gibet.
— Avouez-vous que la mandragore crie ?
— Non, mais elle chante. [déplacé du f°
290]
— Vous avez nié que le quatrième doigt de la main gauche eût une vertu cordiale. [déplacé du f° 290]
— J’ai seulement dit qu’éternuer à gauche était un signe malheureux. [déplacé du f° 290]
— Vous avez témérairement et injurieusement parlé du phénix.
— Docte juge, j’ai simplement dit que, lorsqu’il a écrit que le cerveau du phénix était un morceau délicat, mais qui causait des maux de tête, Plutarque s’était fort avancé, attendu que le phénix n’a jamais existé.
— Parole [en sc. sur +] détestable. Le cinnamalque qui fait son nid avec des bâtons de cannelle, le rhintace que Parysatis employait à ses empoisonnements, le manucodiate qui est l’oiseau de paradis, et le semenda dont le bec a trois tuyaux, ont passé à tort pour le phénix ; mais le phénix a existé.
— Je ne m’y oppose pas.
— Vous êtes une bourrique [en sc. sur +] .
— Je ne demande pas mieux [en sc. sur "J'y consens"] .
[f° 314, G12.]
— Vous avez confessé que le sureau guérissait l’esquinancie, mais vous avez ajouté que ce n’était pas parce qu’il avait dans sa racine une excroissance fée.
— J’ai dit que c’était parce que Judas s’était pendu à un sureau. [repris du folio 290]
— Opinion plausible, grommela le théologien Minos, satisfait de rendre son coup d’épingle au médecin Éaque.
L’arrogance froissée est tout de suite colère. Éaque s’acharna.
— Homme nomade, vous errez par l’esprit autant que par les pieds. Vous avez des tendances suspectes ["suspectes." corrige "à la sorcellerie."] et surprenantes. Vous côtoyez la sorcellerie ["et surprenantes...": addition après rature du point qui précède] . Vous êtes en relation avec des animaux inconnus. Vous parlez aux populaces d’objets qui n’existent que pour vous seul, et qui sont d’une nature ignorée, tels que l’hœmorrhoüs [corrige un autre mot, non lu] .
— L’hœmorrhoüs [même correction] est une vipère qu’a vue Tremellius.
Cette riposte [corrige "réplique"] produisit un certain désarroi dans la science irritée du ["préposé à la médecine" barré en correction cursive] docteur Éaque.
Ursus ajouta :
— L’hœmorrhoüs est tout aussi réel que l’hyène odoriférante et que la civette décrite par Castellus.
Éaque s’en tira par ["s'en tira par" corrige "fit"] une charge à fond.
— Voici des paroles textuelles de vous, et très diaboliques. Écoutez.
L’œil [corrige "Le poing"] sur le dossier, Éaque lut :
— « Deux plantes, la thalagssigle et l’aglaphotis, sont lumineuses le soir. Fleurs le jour, étoiles la nuit. »
Et, regardant fixement Ursus :
— Qu’avez-vous à dire ?
Ursus répondit :
— Toute plante est lampe. Le parfum est de la lumière.
Éaque feuilleta d’autres pages. ["— Voici des paroles textuelles...": addition]
— Vous avez nié que les testicules [variante sans choix: "vésicules" préférée à la copie] de loutre fussent équivalentes au castoreum.
— Je me suis borné à dire qu’il fallait peut-être se défier d’Aëtius sur ce point.
[f° 315, H12.]
Éaque devint farouche.
— Vous exercez la médecine ?
— Je m’exerce à la médecine, soupira timidement Ursus.
— Sur les vivants [en sc. sur "malades"] ?
— Plutôt que sur les morts [en sc. sur "bien portants"] , fit Ursus.
Ursus ripostait avec fermeté [variantes sans choix: "adresse", "sagacité", "solidité" choisi à la copie] , mais avec platitude, mélange admirable où la suavité dominait. Il parlait avec tant de douceur que le docteur Éaque sentit le besoin de l’insulter.
— Que nous roucoulez-vous là, dit-il rudement?
Ursus fut ébahi et se borna à répondre :
— Le roucoulement est pour les jeunes et le gémissement pour les vieux. Hélas ! je gémis.
Éaque répliqua : ["Ursus ripostait...": addition. Elle remplace "Ursus faisait attention à + + + ["faisait..." correction ou addition: + + + + ]]
— Soyez averti de ceci : si un malade [corrige "homme"] est soigné par vous, et s’il meurt, vous serez puni de mort.
Ursus hasarda une question. [paragraphe ajouté]
— Et s’il guérit [", fit [correction abandonnée: "demanda"] Ursus", le tout barré] ?
[faux départ: "Le docteur"]
— En ce cas-là, répondit le docteur, adoucissant sa voix, vous serez puni de mort.
— C’est peu varié, dit Ursus.
Le [en sc. cursive sur un tiret de dialogue suivi de "E"(aque).] docteur reprit :
— S’il y a mort, on punit l’ânerie. S’il y a guérison, on punit l’outrecuidance [corrige "l'audace"] . La potence [en sc. sur "Le gibet"] dans les deux cas.
— J’ignorais ce détail, murmura Ursus. Je vous remercie de me renseigner. On ne connaît pas toutes les beautés des législations [en sc. sur "de la législation"] .
— Prenez garde à vous.
— Amoureusement [variante sans choix retenue à la copie: "Religieusement"] , dit Ursus.
— Nous savons ce que vous faites.
— Moi, pensa Ursus, je ne le sais pas toujours.
— Nous pourrions vous envoyer en prison.
— Je l’entrevois, messeigneurs.
— Vous ne pouvez nier vos contraventions et vos empiétements.
— Ma philosophie demande pardon.
— On vous attribue des audaces.
— On a énormément tort. [ces deux répliques sont ajoutées]
— On dit que ["On dit que" ajouté; la majuscule au "V" n'est pas corrigée] vous guérissez les malades.
— Je suis victime des calomnies.
La triple paire de sourcils horrifiques [corrige "farouches"] braquée sur Ursus se fronça ; les trois savantes faces ["savantes faces" en sc. sur "+ bouches"] se rapprochèrent et chuchotèrent. Ursus eut la vision d’un vague bonnet d’âne s’esquissant dans une auréole au-dessus de ces trois [trois lignes barrées, commençant par "têtes" et où on distingue "minos" et, à la fin après alinéa: "— Allez-vous-en." Ces lignes achèvent l'addition commençant à "Prenez garde à vous"] têtes autorisées [ajouté; de même à la copie] . Le bougonnement intime et compétent ["et compétent" ajouté; de même à la copie] de cette trinité ["compétente": addition abandonnée; intégré au texte à la copie et rayé par VH] dura quelques minutes, pendant lesquelles ["pendant..." ajouté] Ursus sentit toutes les glaces et toutes les braises de l’angoisse , enfin Minos, qui était le præses, se tourna vers lui [oublié et ajouté] et lui dit d’un air furieux :
— Allez-vous-en.
Ursus eut un peu la sensation de Jonas sortant du ventre de la baleine. ["têtes autorisées..." addition de deuxième niveau qui corrige et complète la précédente]
Minos continua [corrige "reprit" et repartit"] :
— On vous relaxe ! ["Minos continua...": addition de quatrième niveau]
Ursus se [ces deux mots en sc. sur + +] dit :
— Si l’on m’y reprend ! Bonsoir la médecine ! ["Bonsoir...": ajouté; ajouté à la copie avec un tiret initial]
Et il ajouta dans son for intérieur :
— Désormais je laisserai soigneusement crever les gens. ["Ursus se dit...": addition de troisième niveau. L'ensemble de ces trois additions se substitue au texte initial:
"— Allez-vous en + dit Eaque.
Minos et Rhadamante adhérèrent d'un hochement de tête à ce renvoi."]
["Ursus," barré] Ployé en deux, il [ajouté] salua tout, les docteurs, les bustes, la table et les murs, et se dirigea ["se dirigea" en sc. cursive sur "sortit à"] vers la porte à reculons, disparaissant presque comme de l’ombre qui se dissipe [", disparaissant..." ajouté] .
Il sortit de la salle lentement, comme un innocent, et de la rue rapidement, comme un coupable. Les gens de justice sont d’une approche si singulière et si obscure que, même absous, on s’évade.
Tout en s’enfuyant [corrige "En rentrant à la Green-Box"] , il grommelait :
— Je l’ai échappé belle. Je suis le savant sauvage, eux sont les savants domestiques. [phrase ajoutée] Les docteurs tracassent les doctes. La fausse science est l’excrément de la vraie ; [corrige virgule; "c'est pourquoi elle la persécute." barré] et on l’emploie à la perte des philosophes. Les philosophes, en produisant les sophistes, produisent leur propre malheur. ["et on l'emploie...": addition correctrice de "c'est pourquoi on la persécute"] De la fiente de la grive naît le gui, avec lequel on fait la glu, avec laquelle on prend la grive. Turdus sibi malum cacat.
Nous ne donnons pas Ursus pour un délicat. ["Il se servait effrontément", barrés en correction cursive] Il avait l’effronterie de se servir des mots qui rendaient sa pensée. Il n’avait pas plus de goût que Voltaire.
Ursus rentra à la Green-Box, raconta [corrige "dit"] à maître Nicless qu’il s’était attardé à suivre une jolie [entre barres verticales d'hésitation] femme, et ne souffla mot de son aventure.
— Seulement le soir il dit tout bas à Homo :
— Sache ceci. J’ai vaincu les trois têtes de Cerbère.
[f° 316, I12. Les deux premiers paragraphes du folio prennent la suite du texte du f° 304 et sont repris en addition au folio 305. Par ailleurs, la fin de ce folio "Un soir, il y eut quelqu'un." est aussi celle du folio 303. Enfin, le début, barré, de l'addition -"L'hôtelier n'avait aucun intérêt à dénoncer [corrigé "compromettre"] Gwynplaine..." est repris à la fin de II, 3, 5 (f° 306). On aurait donc la chronologie suivante: rédaction de 304 et 316 addition comprise, rédaction de 305 et 306 où sont repris et complétés les deux premiers paragraphes et le début de l'addition de 316 avec leurs corrections, intercalation enfin de 308-315 signalée en marge de 308 et par la mention "ici l'intercalation" portée en 316. Mis il n'est pas exclu que l'ordre d'insertion des deux derniers éléments soit l'inverse: d'abord Ursus au tribunal des docteurs, puis le Wapentale. Au reste, ces deux épisodes anticipent semblablement, sur le mode mineur, l'arrestation de Gwynplaine et l'interrogatoire de la cave pénale.]
["membres des communes qui avaient parlé la veille au parlement. Celui qui est félon à sa majesté, on l’éventre vivant, et on lui arrache le cœur dont on lui soufflette les deux joues. Inculque-toi ces notions de droit et de justice. Ne jamais souffler mot, et, à la plus petite inquiétude prendre sa volée ; telle est la bravoure que je pratique et que je conseille. En fait de témérité, imite les oiseaux, et en fait de bavardage, les poissons. Du reste l’Angleterre a cela d’admirable que sa législation est fort ["que sa législation" variante sans choix d'une autre encre ou au crayon: "la pénalité y est fort"] douce. [addition d'une autre encre ou au crayon: " "Les lois sont [variante sans choix: "Ce sont des lois"] paternelles.
Son admonition faite, Ursus fut inquiet quelque temps encore ; Gwynplaine point. L’intrépidité de la jeunesse se compose de défaut d’expérience. Toutefois il sembla que Gwynplaine avait eu raison d’être tranquille, car les semaines s’écoulèrent paisiblement, et il ne parut pas que le propos sur la reine ["sur la reine" corrige "risqué(?) par Gwynplaine"] eût des suites." Ces deux paragraphes, encadrés et barrés en croix à grands traits, sont repris, dans leur version corrigée, au f° 305.]
Une diversion survint. [addition ajoutée à l'addition qui suit après suppression du paragraphe par laquelle elle commençait - "L'hôtelier n'avait aucun intérêt..."- reporté au f° 306; addition de la main de VH à la copie. Celle-ci, pour le début de ce chapitre, est faite sur deux morceaux de papier gris collés, peut-être découpés dans les ensembles où ils se trouvaient et rapportés.]
["L'hotelier n’avait aucun intérêt à
compromettre [corrige "dénoncer"] Gwnplaine. Il tirait latéralement de
l’Homme qui Rit une bonne petite fortune. Chaos vaincu avait
deux réussites : en même temps qu’il faisait triompher l’art dans la
Green-Box, il faisait prospérer l’ivrognerie dans la taverne." encadré
et barré. Ce paragraphe est repris à la fin du f° 306.] [Une croix complexe, tracée dans l'espace entre
l'addition et le texte principal, est légendée: "ici l'intercalation".
Il s'agit de l'intercalation du chapitre II, 3, 6 (f°
308-315) dont l'emplacement est indiqué au coin supérieur
gauche du f° 308.]
L’inn Tadcaster [ajouté] était de plus en plus une fournaise de joie et de rire. Pas de plus gai tumulte. L’hôtelier et son boy ne suffisaient pas à verser l’ale, le stout et le porter. Le soir, la salle basse, toutes vitres éclairées, n’avait pas une table vide. On chantait, on criait, ["On chantait..." corrige quatre ou cinq mots non lus] le grand vieil âtre en cul de four, grillé de fer et gorgé [corrige "plein"] de houille, flambait. Le rayonnement de l'inn Tadcaster emplissait le champ de foire. C’était comme [corrige "On eût dit"] une maison de feu et de bruit ["et de bruit" ajouté] .
Dans la cour, c’est-à-dire dans le théâtre, plus de foule encore.
Tout le public de faubourg que pouvait donner Southwark abondait à tel point [["L'hotelier n’avait aucun intérêt..."]...": addition. Elle se substitue à "La foule faubouienne de Souhwark était si drue". En marge un dessin de crochets entrecroisés et la mention "ici l'intercalation".] aux représentations de Chaos vaincu que, sitot le rideau levé, c’est à dire sitôt le panneau de la Green-Box abaissé, il était impossible de trouver une place. Les fenêtres regorgeaient de spectateurs ; le balcon était envahi. On ne voyait plus un seul des pavés de la cour, tous remplacés par des visages.
Seulement le compartiment pour la noblesse restait toujours vide.
["Il y avait +" barré en correction cursive] Cela faisait, à cet endroit, qui était le centre du balcon, un trou noir, ce qu’on appelle en métaphore d’argot « un four ». Personne. Foule partout, excepté là.
Un soir, il y eut quelqu’un. [Ces quatre paragraphes reprennent, en intégrant d'emblée les corrections, la fin du f° 303.]
[f° 317, J12. A la copie, retour au papier blanc. La rédaction initiale, qui commence à "Une vision en pleine foule et en pleine lumière", prend la suite du f° 303.]
C’était un samedi, jour ["de sabbat." barré] où les anglais se dépêchent de s’amuser, ayant à s’ennuyer le dimanche. ["où les anglais...": ajouté, sans doute après l'addition qui suit] La salle était comble.
Nous disons salle. Shakespeare aussi n’a eu longtemps pour théâtre qu’une cour d’hôtellerie, et il l’appelait salle. Hall. [paragraphe en addition]
Au moment où la triveline s’écarta sur le prologue de Chaos vaincu, Ursus, Homo et Gwynplaine étant en scène, Ursus jeta, comme d’habitude, ["jeta, comme..." corrige "ayant jeté"] un coup d’œil sur l’assistance, et eut ["l'assistance, et eut" corrige "la salle eut"] une commotion. ["C'était un samedi...": addition. Après un assez grand blanc, le texte initial commence par:
"Une apparition [corrige "vision"] en pleine foule et en pleine lumière, telle fut la commotion qu'eurent un soir Ursus et Gwynplaine." Ce paragraphe est barré à grand traits en même temps qu'une addition dont on ne saurait dire si elle devait succéder à ce paragraphe ou le remplacer:
"Chaos vaincu étant plutôt un songe qu'une pièce, habituellement l'effet de vision était produit par eux sur la salle [en sc. sur "le public"]; ce soir là l'effet de vision sortait de la salle et ce fut sur eux qu'il se produisit."
Au-dessous, en partie droite de la page et peut-être écrit après abandon du paragraphe qui précède et de son addition:
"Au moment où la triveline s’écarta sur le prologue de Chaos vaincu, Ursus, Homo et Gwynplaine étant en scène," barré et repris dans la réfection du début du chapitre] [marque d'alinéa à faire; pas de majuscule à "le" qui suit] Le compartiment « pour la noblesse » était occupé.
["Disons mieux, il était rempli.
Et pourtant il n'y avait qu'une personne." Ces deux paragraphes sont barrés.]
Une femme était assise, seule, au milieu de la loge, sur le fauteuil ["rouge" barré, de même à la copie] de velours d’Utrecht [", sur le fauteuil..." ajouté] .
Elle était seule, et elle emplissait la loge. [paragraphe ajouté, réfection des deux lignes au-dessus]
De certains êtres ont de la clarté. Cette femme, comme Dea, avait sa lueur à elle, mais autre. Dea était pâle [corrige "blanche"] , cette femme était vermeille. Dea était l’aube, cette femme était l’aurore. Dea était belle [corrige + en sc. sur + " (l'un des deux mots est peut-être "clarté")] , cette femme était superbe. Dea était l’innocence, la candeur, la blancheur, [ajouté] l’albâtre ; cette femme était la pourpre, et l’on sentait qu’elle ne craignait pas la rougeur. Son irradiation ["non seulement emplissait mais" barré; de même à la copie] débordait la loge, et elle siégeait au centre, immobile, dans on ne sait quelle plénitude d’idole.
Au milieu de cette foule sordide elle avait le rayonnement supérieur de l’escarboucle, elle inondait ce peuple de tant de lumière qu’elle le noyait d’ombre, et toutes ces faces obscures subissaient son éclipse. Sa splendeur [corrige "beauté"] était l’effacement de tout.
Tous les yeux la regardaient. [paragraphe ajouté]
Tom-Jim-Jack était mêlé à la cohue. Il disparaissait comme les autres dans ["la clarté" barré en correction cursive] le nimbe [corrige "l'éblouissement"] de cette personne [corrige "présence"; de même à la copie] éclatante.
Cette femme absorba d’abord l’attention du public, fit concurrence au spectacle, et nuisit un peu aux premiers effets de Chaos vaincu.
Quel que fût son air de rêve, ["et si majestueux que fût son nimbe," barré] pour ceux qui étaient près [f° 318, K12. Trait d'interruption.] d’elle, elle était réelle. C’était bien une femme. C’était peut-être même trop une femme. Elle était grande et ["grande et" corrige "grande, grasse,"] forte, et se montrait magnifiquement le plus nue qu’elle pouvait. Elle portait de volumineux [corrige "grands"] pendants d’oreilles en perles où étaient mêlés ces bijoux bizarres dits ["ces bijoux..." corrige "ce bijou du temps dit"] clefs d’Angleterre. Sa robe de dessus était de mousseline de Siam [en sc. sur +] brodée en or passé, grand luxe, car telle de ces robes de mousseline valait alors six cents écus. Une large agrafe de diamants fermait sa chemise ["dont on voyait" barré en correction cursive] qu’on voyait à fleur de gorge, mode lascive du temps, et qui était de cette toile de Frise dont Anne d’Autriche avait des draps si fins qu’ils passaient à travers une bague. Cette femme avait comme une cuirasse de rubis, quelques-uns cabochons, et des pierreries cousues partout à son corps de jupe. De plus, les deux sourcils noircis à l’encre de Chine, et ["Une large agrafe...": addition; elle se substitue à "Elle avait comme une cuirasse de pierreries cousues ["pierreries..." corrige "pierreries et de diamants cousus"] partout à son corps de jupe. De plus,"] les bras, les coudes, les épaules, le menton, le dessous des narines, le dessus des paupières [corrige "sourcils"] , le lambeau des oreilles, la paume des mains, le bout des doigts, touchés avec le fard et ayant on ne sait quelle pointe rouge et provoquante. Et sur tout cela une implacable volonté d’être belle. [Trait d'interruption.] Elle l’était au point d’être ["au point d'être" corrige "à tel point qu'elle était"] farouche. C’était la panthère, pouvant être chatte, et caresser. Un de ses yeux était bleu, l’autre était noir.
Gwynplaine, comme Ursus, considérait [corrige "voyait"] cette femme.
La Green-Box était un peu un spectacle [corrige "théâtre"] fantasmagorique [corrige "visionnaire"; les deux corrections ne sont pas simultanées] , Chaos vaincu était plutôt un songe qu’une pièce, ils étaient habitués [corrige "accoutumés"] à faire sur le public un effet de vision ; cette fois l’effet de vision revenait sur [oublié et ajouté] eux, la salle renvoyait au théâtre la surprise [corrige "l'éblouissement" qui corrige "l'effarement"; copie: "la surprise" corrige "l'effarement" de la main de la copiste] , et c’était leur tour d’être effarés [corrige "fascinés" en sc. sur +]. Ils avaient le ricochet de la fascination. [phrase ajoutée; ajout à la copie de la main de la copiste]
Cette femme les regardait, et ils la regardaient. ["La Green-Box était...": addition; elle reprend une addition barrée au f° précédent.]
Pour eux, à la distance où ils étaient, et dans cette brume lumineuse [ajouté] que fait la pénombre théâtrale, les détails s’effaçaient, et c’était comme une hallucination ["comme une hallucination" corrige + qui corrige "une forme splendide" qui corrige "une apparition"] . C’était une femme sans doute, mais n’était-ce pas aussi une chimère ? Cette entrée d’une lumière dans leur obscurité ["dans leur obscurité" ajouté; ajouté par la copiste] les stupéfiait. [phrase en addition] C’était comme l’arrivée d’une planète inconnue. Cela venait du monde des heureux. L’irradiation amplifiait cette figure. [phrase ajoutée] Cette femme avait sur elle [", comme une voie lactée," addition barrée pour déplacement] des scintillations nocturnes, [virgule corrige point] comme une voie lactée. [", comme une..." déplacé et ajouté ici] Ces [en sc. sur "ces"(?)] pierreries semblaient des étoiles. Cette agrafe de diamants était peut-être une pléïade. ["Toute une révélation." barré en correction cursive] Le modelé splendide de son sein semblait surnaturel. [phrase ajoutée] On sentait, en voyant cette créature astrale [ajouté] , l’approche momentanée et glaciale des régions de félicité [en sc. sur "l'abîme"]. C’était des profondeurs d’un paradis que se penchait sur la chétive Green-Box et sur son misérable public [corrige "public misérable"] cette face de sérénité inexorable [corrige "glaciale" qui corrige "terrible" en sc. sur +] . Curiosité suprême qui se satisfaisait, et qui, en même temps, donnait pâture à la curiosité populaire [variante sans choix: "triviale" abandonnée à la copie] . En haut permettait à En bas de le regarder.
Ursus, Gwynplaine, Vinos, Fibi, ["l'hotelier, toute" barré] la foule, [voyaient" barré en correction cursive] tous, ["voyaient" barré en correction cursive] avaient la secousse de cet éblouissement [corrige "cette apparition"] , excepté Dea, ignorante dans sa nuit.
Il y avait ["de l'apparition" barré en correction cursive] , dans cette présence, de l’apparition, mais aucune des idées qu’éveille ordinairement ce mot n’était réalisée par cette figure ; elle n’avait rien de diaphane, rien d’indécis, rien de flottant ; aucune vapeur ; c’était une apparition rose [corrige "blanche"] et fraîche, bien portante ["bien portante" remplace "sortant probablement de manger et de boire, en pleine santé"] . Et pourtant, dans les conditions d’optique où étaient placés Ursus et Gwynplaine, c’était visionnaire. Les fantômes gras, qu’on nomme les vampires, existent. Telle belle reine qui, elle aussi est pour la foule une vision, et qui mange trente millions par an au peuple des pauvres, a cette santé-là. [phrase ajoutée] ["Il y avait dans cette présence...": addition en deux temps: la dernière phrase dans le second]
[f° 319, L12.]
Derrière cette femme [corrige "elle"] , dans la pénombre, ["debout et reculé aussi loin que le permettait la porte fermée, [à laquelle la + +" barré en correction cursive] adossé à cette porte dans l'immobilité comme par de +" barré] on apercevait son mousse, el mozo, [", el mozo," ajouté] un petit homme ["blanc, joli," barré en correction cursive] enfantin, blanc et joli, à l’air sérieux. Un groom très jeune et très grave était la mode de ce temps-là. Ce mousse était vêtu, chaussé ["un petit homme..." remplace "blanc, joli, petit, vêtu, chaussé"] et coiffé de velours couleur feu, et avait [corrige "ayant"] sur sa calotte galonnée d’or un bouquet de plumes de tisserin, ce qui est le signe d’une haute domesticité, et indique qu’on est le valet d’une très grande dame.
Le laquais fait partie du seigneur, et il était impossible de ne pas remarquer dans l’ombre de cette femme, ce page porte-queue. La mémoire prend des notes souvent à notre insu , et, sans que Gwynplaine s’en doutât ["et prît garde" barré] , les joues rondes, la mine sérieuse, ["les joues rondes..." ajouté] la calotte galonnée [ajouté] et le bouquet de plumes du mousse de la dame laissèrent une trace quelconque ["laissèrent..." corrige "s'imprimèrent"] dans son esprit. Ce groom du reste ne faisait rien pour se faire regarder ; attirer l’attention, c’est manquer de respect ; il se tenait debout et passif [corrige "immobile", même correction par la copiste; variante sans choix absente de la copie: "inerte"] ["comme une sculpture" barré] au fond de la loge, et [rétabli après suppression] reculé aussi loin que le permettait la porte fermée.
Quoique son muchacho-portequeue fût là, cette femme n’en était pas moins seule dans le compartiment ["dans le compartiment" ajouté] , attendu qu’un valet ne compte pas. ["Derrière cette femme...": addition. A la copie, le texte est écrit sur une bande de papier gris collée au papier blanc.]
[La rédaction initiale du folio commence ici.] Si puissante que fût la diversion produite par cette personne qui faisait l’effet d’un personnage ["produite.." corrige et complète "faite par cette présence"] , le dénoûment de Chaos vaincu fut plus puissant encore. L’impression fut, comme toujours, irrésistible. [Cette phrase remplace "Il produisit son effet accoutumé."] Peut-être même y eût-il dans la salle ["dans la salle" ajouté] , à cause de la radieuse spectatrice [corrige "inconnue"] ["qui était dans la salle [addition ou correction: +]" barré; correction "présente" barrée], car quelquefois le spectateur s’ajoute au spectacle, [", car quelquefois...": addition] un surcroît d’électricité. [première rédaction de la phrase: "Peut-être même y eût-il, à cause de la radieuse inconnue qui était dans la salle, un surcroît d'électricité."] La contagion du rire de Gwynplaine fut plus triomphante [corrige "formidable"] que jamais. Toute ["la foule"(?) barré en correction cursive] l’assistance se pâma dans ["se pâma dans" corrige "eut"] une indescriptible épilepsie d’hilarité, [addition abandonnée de quelques mots dont le dernier est "irrésistible"] où l’on distinguait le rictus sonore et magistral [rétabli après correction de "souverain" qui corrige "triomphale"] de Tom-Jim-Jack.
Seule, la [en sc. sur "cette"] femme [correction en "spectatrice" abandonnée] inconnue qui regardait ce spectacle dans une immobilité de statue [corrige "morte"] et avec des yeux de fantôme, ne rit pas.
Spectre, mais solaire.
La représentation finie [corrige "Le spectacle fini"; même correction par la copiste] , le [en sc. sur +] panneau relevé, l’intimité refaite dans la Green-Box, Ursus ouvrit et vida sur la table du souper le sac de la recette. C’était une cohue de gros sous parmi laquelle ruissela subitement une once d’or d’Espagne.
— Elle ! s’écria Ursus.
Cette once d’or [un mot barré, sans doute en correction cursive] au milieu de ces sous vertdegrisés c’était en effet cette femme au milieu de ce peuple.
— Elle a payé sa place un quadruple ! reprit Ursus enthousiasmé [réécrit après avoir été écrit en surcharge sur +] .
En ce moment l’hôtelier entra dans la Green-Box ["dans la Green-Box" ajouté] , ["ouvrit silencieusement +" barré en correction cursive] passa son bras par ["une des ouvertures" barré en correction cursive] la fenêtre de l’arrière ["de la Green-Box" barré] , ouvrit dans le mur auquel la Green-Box s’adossait ["auquel..." ajouté] un vasistas dont nous avons parlé, ["dont nous..." ajouté; de même à la copie] qui permettait de voir dans la place ["au dehors" barré immédiatement] et qui était à la hauteur de cette fenêtre, puis fit silencieusement signe à Ursus de regarder dehors. Un carrosse empanaché de laquais à plumes ["et magnifiquement attelé" barré en correction cursive] portant des torches, et magnifiquement attelé, s’éloignait au grand trot.
Ursus prit respectueusement le quadruple entre son pouce et son index, ["et" barré] le montra à maître Nicless, [corrige "à l'hotelier"; même correction par la copiste] ["comme on montrerait l'hostie:" barré] et dit : ["et dit:" ajouté]
— C’est une déesse.
Puis ses yeux tombèrent sur le carrosse prêt à tourner le coin de la place, ["tourner..." corrige "disparaître"] et sur l’impériale duquel [f° 320, M12. Tiret d'interruption au bas du folio.] les torches des valets éclairaient une couronne d’or à huit fleurons. [un mot barré] Et il s’écria [variante sans choix: "ajouta" barrée à la copie] :
— C’est plus. C’est une duchesse.
Le carrosse disparut. Le bruit du roulement s’éteignit.
Ursus demeura quelques instants extatique, faisant entre ses deux doigts, devenus ostensoir, l’élévation du quadruple ["d'or" barré] comme on ferait l’élévation de l’hostie.
Puis il le posa sur la table, et tout en le contemplant, se mit à parler de « la madame ». L’hôtelier lui donnait la réplique. ["Le carrosse disparut...": addition de deuxième niveau, ajoutée à la suivante. Elle se substitue aux premières lignes du texte initial:
"["Le carosse disparut. Le bruit du roulement s'éteignit." addition]
["Dea était là." barré et déplacé en correction immédiate] Ursus, ["Gwyn" barré en correction cursive] et l'hotelier se mirent à parler de ["l'apparition" barré en correction cursive] cette vision."] C’était une duchesse. Oui. On savait le titre. Mais le nom ? on l’ignorait. Maître Nicless [corrige "L'hotelier"; de même à la copie de la main de la copiste] avait vu de près le carrosse, tout armorié, et les laquais tout galonnés. Le cocher avait une perruque à croire voir un ["à croire voir un" corrige "de"] lord-chancelier. Le carrosse était de cette forme rare nommée en Espagne coche-tumbon, variété splendide qui a un ["plafond en" addition abandonnée] couvercle de tombe, ce qui est un support magnifique pour une couronne. Le mousse était un échantillon d’homme si mignon qu’il pouvait se tenir assis sur l’étrier du carrosse en dehors de la portière. On emploie ces jolis êtres là à porter les queues des dames ; ils portent aussi leurs messages. Et avait-on remarqué le bouquet de plumes de tisserin de ce mousse ? Voilà qui est grand. On paie l’amende si l’on porte ces plumes-là sans droit. [" Le carrosse était de cette forme...": addition de troisième niveau, insérée dans l'addition de premier niveau. Elle est ajoutée à la copie de la main de la copiste.] Maître Nicless [corrige "L'hotelier" qui corrige "Il"; copie: correction de "L'hotelier" de la main de la copiste.] avait aussi regardé la dame de près. Une espèce de reine. Tant de richesse donne de la beauté. La peau est plus blanche, l’œil est plus fier [en sc. sur +] , la démarche est plus noble, la grâce est plus insolente. Rien n’égale l’élégance impertinente de ces mains qui ne travaillent pas. Maître Nicless [corrige "Il"; de même à la copie] racontait cette magnificence de la chair blanche avec des veines bleues, ce cou, ces épaules, ces bras, ce fard partout, ["ce fard..." ajouté] ces pendeloques de perles, cette coiffure poudrée d’or, ces profusions de pierreries, ces rubis, ces diamants.
— Moins brillants que les yeux, murmura Ursus.
Gwynplaine se taisait.
Dea écoutait [en sc. sur "était là"]. ["C'était une duchesse. ...": addition de premier niveau. Elle se substitue au texte initial: "Gwynplaine se taisait. Dea était là."]
— Et savez-vous, dit le tavernier ["dit le tavernier" corrige "["demanda" barré en correction cursive] dit l'hotelier"; même correction par la copiste] , le plus étonnant ?
— Quoi ? demanda Ursus.
— C’est que je l’ai vue monter en carrosse.
— Après ?
— Elle n’y est pas montée seule.
— Bah !
— Quelqu’un est monté avec elle.
— Qui ? [en sc. cursive sur "Le roi!"]
— Devinez.
— Le roi, dit Ursus.
— D’abord, fit maître Nicless [corrige "l'hotelier"; même correction par la copiste] , il n’y a pas de roi pour le moment. Nous ne sommes pas sous un roi. Devinez qui est monté dans le carrosse de cette duchesse.
— Jupiter, dit Ursus. [en sc. sur "+ + + Je vous le demande. + + +]
L’hôtelier répondit : [paragraphe ajouté]
— Tom-Jim-Jack.
[faux départ: "— Tom"]
Gwynplaine, qui n’avait pas articulé [corrige "dit"] un mot, rompit le silence.
— Tom-Jim-Jack, s’écria-t-il!
Il y eut une pause d’étonnement pendant laquelle on put entendre Dea dire à voix basse :
— Est-ce qu’on ne pourrait pas empêcher cette femme-là de venir ?
[Trait d'interruption. Blanc au bas de la page]
["Dea fut exaucée," mis entre barres verticales puis barré] « L’apparition » ne revint pas.
Elle ne revint pas dans la salle, mais elle revint dans l’esprit de Gwynplaine [en sc. sur +] .
Gwynplaine fut, dans une certaine mesure, [", dans une certaine..." ajouté] troublé.
Il lui sembla que pour la première fois de sa vie il venait de voir une femme. [ces deux paragraphes écrits au-dessus de trois lignes au crayon]
Il fit, tout de suite, cette demi chute de songer étrangement. Il faut prendre garde à la rêverie qui s’impose. La rêverie a le mystère et la subtilité d’une odeur. Elle est à la pensée ce que le parfum est à la tubéreuse [corrige "fleur"] . Elle est parfois la dilatation d’une [en sc. sur "péné"] idée vénéneuse, et elle a la pénétration d’une fumée. On peut s’empoisonner avec des rêveries comme avec des fleurs. Suicide enivrant, exquis et sinistre.
[faux départ: "L'am"] Le suicide de l’âme, c’est de penser mal. C’est là l’empoisonnement. La rêverie attire, enjôle, leurre, enlace, puis ["peu à peu" barré] fait de vous son complice. Elle vous met de moitié dans les tricheries qu’elle fait à la conscience. [Cette phrase se substitue à "Elle + + + vous charme et finit par vous gâter."] Elle vous charme. Puis vous corrompt. On peut dire de la rêverie ce qu’on dit du jeu. On commence par être dupe, on finit par être fripon. [paragraphe en addition]
["Donc " barré] Gwynplaine songea.
Il n’avait jamais vu la Femme.
Il en avait vu l’ombre [en sc. cursive sur +] dans toutes les femmes du peuple, et il en avait vu l’âme dans Dea.
Il venait d’en voir la réalité.
Une peau tiède et vivante sous laquelle on sentait couler un sang passionné, des contours ayant la précision du marbre et l’ondulation de la vague, ["des contours...": addition] un visage hautain et impassible, mêlant le refus à l’attrait, et se résumant en un resplendissement [", mêlant le refus...": addition substituée à "mais jetant des éclairs"] , des cheveux colorés comme d’un reflet d’incendie, une galanterie de parure ayant et donnant le frisson des voluptés [en sc. sur un autre mot ("désirs"?)] , la nudité ébauchée trahissant le souhait dédaigneux d’être possédée à distance par la foule, ["la nudité...": addition de premier niveau] une coquetterie inexpugnable, l’impénétrable ayant du charme, la tentation assaisonnée de perdition entrevue ["assaisonnée..." remplace "employée + + + possibles"] , ["une coquetterie...": addition de deuxième niveau; elle se subsitue à "une coquetterie inexpugnable, une énigme et une gouffre, une gorge de sirène et un regard de sphynx,"] une promesse aux sens et une menace à l’esprit; double anxiété, l’une qui est le désir, l’autre qui est la crainte. Il venait de voir cela. Il venait de voir une femme.
Il venait de voir plus et moins qu’une femme, une femelle.
Et en même temps une olympienne.
Une femelle de dieu.
Ce mystère [corrige + + qui corrige "Cette +"] , le sexe, venait de lui apparaître.
[f° 322, O12.]
Et où ? dans l’inaccessible.
A une distance infinie.
Destinée ironique, l’âme, cette chose céleste, il la tenait, il l’avait dans sa main, c’était Dea ; le sexe, cette chose terrestre, il l’apercevait au plus profond du ciel, c’était cette femme.
Une duchesse.
Plus qu’une déesse, avait dit Ursus.
Quel escarpement ! [paragraphe ajouté; il corrige le suivant, supprimé]
["Rien de plus terrible." barré]
Le rêve lui-même reculerait devant une telle escalade. [paragraphe ajouté]
Allait-il faire la folie de songer à cette inconnue [corrige "femme"] ? Il se débattait. ["la folie..." corrige "la folie d'y songer? Il se débattait."]
Il se rappelait tout ce qu’Ursus lui avait dit de ces hautes existences quasi royales ; les divagations du philosophe, qui lui avaient semblé inutiles, devenaient pour lui des jalons de méditation ["devenaient pour lui..." corrige "reprenaient un relief étrange dans sa mémoire"] ; ["Les divagations...": addition de premier niveau] nous n’avons souvent dans la mémoire qu’une couche d’oubli très mince, laquelle, dans l’occasion, laisse tout à coup voir ce qui est dessous ; ["nous n'avons souvent...": addition ajoutée à la précédente] il se représentait ce monde auguste, la seigneurie, dont était cette femme, inexorablement superposé au monde infime, le peuple, dont il était. Et même était-il du peuple ? N’était-il pas, lui bateleur, [", lui ..." ajouté] au dessous de ce qui est au dessous ? Pour la première fois, depuis qu’il avait l’âge de réflexion, [", depuis qu'il..." corrige "de sa vie"] il eut vaguement [ajouté] le cœur serré de sa bassesse, que nous appellerions aujourd’hui abaissement. ["La révolution française est dans la nuance qui sépare ces deux mots.": la phrase est mise entre barres verticales, puis barrée.] Les peintures et les énumérations d’Ursus, ses inventaires lyriques, ses dithyrambes de chateaux, de parcs, de jets d’eau et de colonnades, ses étalages de la richesse et de la puissance, revivaient dans la pensée de Gwynplaine avec le relief d’une réalité mêlée aux nuées [corrige "nuages"] . Il avait l’obsession de ce zénith [corrige "de cet olympe" qui corrige "de cet empyrée"; copie: VH corrige "olympe" en "zénith"] . Qu’un homme pût être [corrige "fût"] un lord, cela lui semblait chimérique [corrige "impossible"] . Cela était pourtant. Chose incroyable ! [phrase déplacée et ajoutée] il y avait des lords ! [point d'exclamation corrige virgule] ["chose incroyable!" barré et déplacé] Mais étaient-ils de chair et d’os, comme nous ? c’était douteux. Il se sentait, lui, au fond de l’ombre, avec de la muraille tout autour lui, et il apercevait dans un lointain suprême ["dans un lointain...": addition] , au dessus de sa tête, comme par l’ouverture d’un puits au fond duquel il serait, cet éblouissant pêle-mêle d’azur, de figures et de rayons qui est l’olympe [corrige "une apothéose"; copie: corrigé par laa copiste] . Au milieu de cette gloire resplendissait la duchesse.
Il sentait de cette femme on ne sait quel besoin bizarre compliqué d’impossible.
Et ce contresens poignant se retournait ["poignant..." corrige "bizarre lui revenait"] sans cesse [f° 323, P12. Trait d'interruption.] malgré lui dans son ["dans son" corrige "à l' "] esprit : voir auprès de lui, à sa portée, dans la réalité étroite et tangible, l’âme, et dans l’insaisissable, au fond de l’idéal, la chair.
Aucune de ces pensées ne lui arrivait ["pensées..." corrige "idées n'arrivait dans son cerveau": copie: corrigé par la copiste] à l’état de précision [corrige "formation"; de même à la copie] . C’était du brouillard [corrige "nuage"; de même à la copie] qu’il avait en lui. Cela changeait à chaque instant de contour et flottait [en sc. sur +]. ["Cela changeait..." corrige "Cela se décomposait [correction: désagrégeait"] puis se recomposait." La copiste corrige également mais sans passer par la correction "désagrégeait", qui lui est donc ultérieure.] Mais c’était un profond obscurcissement [en sc. sur "trouble"] .
Du reste, l’idée qu’il y eût là quoi que ce soit d’abordable [corrige "de possible"; de même à la copie] n’effleura [corrige "approcha"; de même à la copie] pas un instant ["de" barré; de même à la copie] son esprit. Il n’ébaucha, pas même en songe, aucune ascension vers la duchesse. Heureusement. [marque d'alinéa à faire ajoutée; de même à la copie]
Le tremblement de ces échelles là, une fois qu’on a mis le pied dessus, peut vous rester à jamais dans le cerveau ; on croit monter à l’Olympe, et l’on arrive [corrige "descend"] à Bedlam. Une convoitise distincte, qui eût pris forme en lui, l’eût terrifié [variante sans choix: "consterné", barrée à la copie en même temps qu'un "captivé" qui enregistre sans doute une hésitation à la lecture de "consterné"] . Il n’éprouva rien de pareil. ["Du reste, l'idée...": addition de second niveau ajoutée à la suivante. Elle se substitue au texte initial: "Il ne formait(?) aucun scenario [correction: +]. Il n'y avait pas même en lui l'ébauche distincte d'une convoitise. L'idée qu'il y eût là quoi que ce soit de possible ["qu'il y euût là..." corrige "qu'une femme pût vouloir de lui monstre, qu'une duchesse pût vouloir de lui saltimbanque"], n'approcha pas un instant de son esprit. Heureusement. Il fût devenu fou."]
D’ailleurs reverrait-il jamais cette femme ? probablement non. S’éprendre d’une lueur qui passe à l’horizon, la démence [correction abandonnée: "l'absurde"] ne va point jusque-là. Faire les yeux doux à une étoile, à la rigueur cela se comprend, on la revoit, elle reparaît, elle est fixe. Mais est-ce qu’on peut être amoureux d’un éclair ? ["D'ailleurs reverrait-il...": addition de premier niveau]
Il avait un va et vient de rêves. L’idole au fond de la loge, majestueuse et galante, s’estompait lumineusement dans la diffusion de ses idées, puis s’effaçait. Il y pensait [en sc. sur "songeait"] , n’y pensait pas, s’occupait d’autre chose, y retournait. Il subissait un bercement, rien de plus.
Cela l’empêcha de dormir plusieurs nuits. L’insomnie est aussi pleine de songes que le sommeil.
[Trait d'interruption.]
Il est presque impossible d’exprimer dans leurs limites exactes les [correction de "certaines] évolutions abstruses [corrige "obscures"] qui se font dans le cerveau [corrige "l'esprit"] . L’inconvénient des mots c’est d’avoir plus de contour que les idées. Toutes les idées se mêlent par les bords ; les mots, non. Un certain côté diffus de l’âme [corrige "du for intérieur"] leur échappe toujours. L’expression a des frontières, la pensée n’en a pas.
["Ce qui se passait en Gwynplaine" barré en correction cursive]
Notre sombre [corrige "ténébreuse", qui corrige "obscure"] immensité intérieure est telle que ce qui se passait en Gwynplaine touchait à peine, dans sa pensée, à Dea. Dea était au centre de son esprit, sacrée. Rien ne pouvait approcher d’elle.
Et pourtant, ces contradictions sont toute l’âme humaine, il y avait en lui un conflit. En avait-il conscience ? tout au plus.
Il sentait ["confusément" barré] dans son for intérieur, à l’endroit des fêlures possibles ["des fêlures possibles" corrige "réservé" en sc. sur +], nous avons tous cet endroit-là, [f° 324, Q12. Trait d'interruption.] un choc de velléités. Pour Ursus c’eût été clair, pour Gwynplaine [corrige "lui"] c’était indistinct [corrige "trouble"] . [signe d'aliéa à faire ajouté]
Deux instincts, l’un l’idéal [en sc. sur "le sexe"] , l’autre le sexe [en sc. sur "l'idéal"] , ["luttaient"(?) barré en correction cursive] combattaient en lui. Il y a de ces luttes entre l’ange blanc et l’ange noir sur le pont de l’abîme.
Enfin l’ange noir fut précipité.
Un jour, tout à coup, Gwynplaine ne pensa plus à la femme inconnue [corrige "«l'apparition»"].
Le combat entre les deux principes [en sc. sur "instincts"] , le duel entre son côté terrestre et son côté céleste, s’était passé au plus obscur de lui-même, et à de telles profondeurs, qu’il ne s’en était que très confusément aperçu.
Ce qui est certain, c’est qu’il n’avait pas cessé une minute d’adorer Dea.
Il y avait eu [oublié et ajouté; de même à la copie] en lui, et très avant, un désordre, son sang avait eu une fièvre, mais c’était fini. Dea seule demeurait.
On eût même bien étonné Gwynplaine si on lui eût dit que Dea avait pu être un moment en danger.
En une semaine ou deux le fantôme qui avait semblé menacer ces âmes, s’effaça.
Il n’y eut plus dans Gwynplaine que le cœur, foyer, et l’amour, flamme. [paragraphe en addition]
Du reste, nous l’avons dit, ["il + + + +" barré] « la ["mystérieuse" ajouté et barré] duchesse » n’était pas revenue.
Ce qu’Ursus trouva tout simple. « La dame au quadruple » est un phénomène. Cela entre, paie, et s’évanouit. Ce serait trop beau si cela revenait.
Quant à Dea, elle ne fit même pas allusion à cette femme qui avait passé. Elle écoutait probablement, et était suffisamment renseignée par des soupirs d’Ursus, et ["par" barré en correction cursive] , ça et là, par quelque exclamation significative comme : on n’a pas des onces d’or tous les jours ! Elle ne parla plus de « la femme » [guillemets ajoutés]. C’est là un instinct profond. L’âme prend de ces précautions obscures, dans le secret desquelles elle n’est pas toujours elle-même. Se taire sur quelqu’un, il semble que c’est l’éloigner. En s’informant on craint d’appeler. On met du silence de son côté comme on fermerait une porte.
L’incident s’oublia.
Était-ce même quelque chose ? Cela avait-il existé ? Pouvait-on dire qu’une ombre eut flotté [corrige "passé"] entre Gwynplaine et Dea ? Dea ["l'ignorait" barré en correction cursive] ne le savait pas, et Gwynplaine ne le savait plus. Non. Il n’y avait rien eu. La duchesse elle-même [" + + dans" barré en correction cursive] s’estompa dans la perspective lointaine ["la perspective..." corrige "le passé"] comme une illusion. Ce ne fut rien qu’une minute de songe traversée par Gwynplaine, et dont il était hors. Une dissipation de rêverie, comme [", comme" corrige cursivement "ne laisse pas plus trace qu' "] une dissipation de brouillard [graphiquement variante sans choix: "brume"; à la copie "brume" est une correction autographe: soit la copiste a oublié la variante, soit, plus probablement, VH reporte au ms une correction faite à la copie] , ne laisse point trace, et, le nuage passé, l’amour n’est pas plus diminué dans le cœur que le soleil dans le ciel.
[Trait d'interruption. En marge "interrompu le 10 juillet 1867". Voir 24 747, f° 20 et carnet 13 465, f° 75.]
[f° 325, R12. Trait d'interruption. Au coin supérieur droit:"repris le 4 décembre 1867".]
Une autre figure disparue, ce fut Tom-Jim-Jack. Brusquement il cessa de venir ["il cessa..." en sc. sur "on cessa de le voir"] dans l’inn Tadcaster [première mention du nom en rédaction initiale].
Les personnes situées de façon à voir les deux versants de la vie élégante des grands seigneurs de Londres auraient noté [en sc. sur "remarqué"] [variante sans choix: "purent ["remarquer" barré] noter" préférée à la copie] peut-être qu’à la même époque la Gazette de la Semaine, entre deux extraits de registres de paroisses, annonça le « départ de lord David Dirry-Moir, sur l’ordre de sa majesté d’aller reprendre, dans l’escadre blanche en croisière sur les côtes de Hollande, [", dans l'escadre..." ajouté] le commandement de sa frégate. » ["en croisière" barré, soit en correction cursive pour déplacement, soit en correction simple. La ponctuation est ajoutée.]
[Trait d'interruption]
Ursus s’aperçut que Tom-Jim-Jack ne venait plus. Il en fut très préoccupé. Tom-Jim-Jack n’avait point [oublié et ajouté] reparu depuis le jour où il était parti dans le même carrosse que la dame au quadruple. C’était, certes, une énigme que ce Tom-Jim-Jack qui enlevait des duchesses à bras tendu ! Quel approfondissement intéressant faire ! ["Quel approfondissement...": ajout] que de questions à poser ! que de choses à dire ! C’est pourquoi Ursus ne dit pas un mot. [Ce paragraphe a subi plusieurs transformations dont nous n'avons pas réussi à démêler la chronologie. La rédaction initiale est: "Ursus s’aperçut que Tom-Jim-Jack ne venait plus, mais ne se sentait(/) pas le moins du monde curieux. Il savait, lui qui avait vécu, quelles cuissons donnent les curiosités téméraires. ["la + de l'hôtelier, l'asc" barré en correction cursive] L'ascension, vue par l'hôtelier, de Tom-Jim-Jack dans le carrosse de la duchesse [correction: "de la dame au quadruple"] avait un aspect de prodige qui rendait Ursus prudent. Quelle énigme que ce Tom-Jim-Jack qui enlevait des duchesses à bras tendu! Que de questions à poser [en sc. sur "faire"] ! que de choses à dire. C'est pourquoi Ursus ne dit pas un mot." Le texte initial se poursuivait par "— Savez-vous, lui dit un jour l'hôtelier...".]
Ursus, qui avait vécu, savait quelles cuissons donnent les curiosités téméraires. [phrase reprise de la rédaction initiale et ajoutée à l'addition qui suit] La curiosité doit toujours être proportionnée au curieux. [phrase ajoutée à l'addition qui précède; addition autographe à la copie] À écouter, on risque l’oreille ; à guetter, on risque l’œil. Ne rien entendre et ne rien voir est prudent [corrige "sensé" qui corrige "prudent" qui corrige "sage"] . Tom-Jim-Jack était monté dans ce carrosse princier ["ce carosse..." corrige "le carrosse de la dame au quadruple"] ; l’hôtelier avait été témoin de cette ascension. Ce matelot s’asseyant à côté de cette lady [un filet, ensuite raturé, relie ce début de phrase -et tout ce qui précède- à la rédaction initiale: " avait un aspect de prodige qui rendait Urus prudent. Quelle énigme..." mais la continuité de l'écriture fait douter que le début de cette addition ait été écrit en plusieurs fois.] avait un aspect de prodige qui rendait Ursus circonspect [corrige "prudent"] . Les caprices de la vie d’en haut doivent être sacrés pour les personnes basses. Tous ces reptiles qu’on appelle les pauvres n’ont rien de mieux à faire que de se tapir dans leur trou quand ils aperçoivent quelque chose d’extraordinaire. Se tenir coi est une force. [phrase ajoutée] Fermez vos yeux, si vous n’avez pas le bonheur d’être aveugle ; bouchez vos oreilles, si vous n’avez pas la chance d’être sourd ; paralysez votre langue, si vous n’avez pas la perfection d’être muet. ["Faites le mort, on ne vous tuera pas. Telle est la sagesse de l'insecte. Ursus la pratiquait." barré et déplacé] Les grands sont ce qu’ils veulent, les petits sont ce qu’ils peuvent, laissons passer l’inconnu. ["A écouter, on risque l'oreille...": addition de premier niveau. Le filet la place initialement avant "énigme que ce Tom-Jim-Jack" et elle se substitue à la rédaction initiale depuis "mais ne se tint pas le moins du monde" jusqu'à "avait un aspect de prodige qui rendait Ursus prudent". Elle est ensuite déplacée après "C'est pourquoi Ursus ne dit pas un mot" une fois augmentée de l'addition de second niveau qui suit.] N’importunons point la mythologie ; [phrase ajoutée: quatrième niveau d'addition] n’ennuyons point les apparences ; ayons un profond respect pour les simulacres. ["n'ennuyons point...": addition de troisième niveau] Ne dirigeons pas [corrige "point"] nos commérages vers les rapetissements ou les grossissements qui s’opèrent dans les régions supérieures [corrige le singulier; le "s" est oublié pour "régions"] pour des motifs que nous ignorons. Ce sont la plupart du temps, pour nous chétifs, des illusions d’optique. Les métamorphoses sont l’affaire des dieux. Les transformations et les désagrégations [corrige "décompositions"] des grands personnages éventuels [corrige "possibles"] qui flottent au dessus de nous sont des nuages impossibles à comprendre et périlleux à étudier. Trop d’attention impatiente les olympiens ["impatiente..." corrige "importune les puissants"] dans leurs évolutions d’amusement et de fantaisie, et un coup de tonnerre pourrait bien vous apprendre [variante sans choix "avertir" barrée à la copie] [deux ou trois mots, le dernier probablement inachevé, barrés en correction cursive] que ce taureau trop curieusement examiné [corrige "regardé", la correction "consid"(éré) est également barrée] par vous est Jupiter. N’entrebâillons pas les plis du manteau couleur de muraille des puissants terribles ["des puissants terribles" -oublié?- est ajouté de la même écriture et sans doute presque immédiatement] . Indifférence, c’est intelligence. Ne bougez point, cela est salubre. Faites le mort, on ne vous tuera pas. Telle est la sagesse de l’insecte. Ursus la pratiquait. ["Ne dirigeons pas nos commérage...": addition de second niveau; sa présence détermine le déplacement de tout l'ensemble des additions depuis "Ursus, qui avait vécu..." -voir ci-dessus.]
L’hôtelier, intrigué de son côté, interpella un jour Ursus. [paragraphe ajouté]
— Savez-vous [", lui dit un jour l'hôtelier," barré] qu’on ne voit plus Tom-Jim-Jack ?
— Tiens, dit Ursus, je ne l’avais pas remarqué.
Maître Nicless [corrige "L'hôtelier"; de même à la copie] fit à demi voix une réflexion, sans doute sur la promiscuité du carrosse ducal avec Tom-Jim-Jack, observation probablement irrévérente et dangereuse, qu’Ursus eut soin de ne pas écouter.
[trait d'interruption raturé et déplacé plus bas]
Ursus néanmoins [ajouté] était trop artiste pour ne point regretter Tom-Jim-Jack. Il eut un certain désappointement. Il ne fit part de son impression qu’à Homo, seul confident de la discrétion duquel il fût sûr. Il dit tout bas à l’oreille du loup : — Depuis que Tom-Jim-Jack ne vient plus, je sens un vide [en sc. sur "froid"] comme homme [en sc. sur "poëte"] et un froid [le mot est écrit dans un blanc trop grand pour lui] comme poëte [en sc. sur "homme"] . [Hugo a d'abord écrit "je sens un froid comme poëte" et, comprenant que l'attribution du froid et du vide ferait problème, il a fini la phrase en laissant un blanc: " et un comme homme". Il a ensuite remplacé de froid initial par "vide" et rempli le blanc; cela donnait "un vide comme poëte et un froid comme homme" ; enfin il a permuté les affectations.] — Cet épanchement dans le cœur d’un ami soulagea Ursus.
[trait d'interruption.]
Il resta muré vis à vis de Gwynplaine qui, de son côté, ["très absorbé par son amour pour Dea," barré pour déplacement partiel immédiat] ne fit aucune allusion à Tom-Jim-Jack.
Au fait, Tom-Jim-Jack de plus ou de moins importait peu à Gwynplaine, absorbé en Dea.
[f° 326, S12. Trait d'interruption et date.]
L’oubli s’était fait de plus en plus dans Gwynplaine. Dea, elle, ne se doutait même pas qu’un vague ébranlement eût eu lieu. En même temps on n’entendait plus parler de cabales [corrige "d'intrigues"; de même à la copie] et de plaintes contre l’Homme qui Rit. ["Les choses humaines [corrige, avant l'insciption du verbe "ont", "La destinée"] ont de ces apaisements subits." barré pour reprise immédiate plus loin] Les haînes semblaient avoir lâché prise. ["Les haines...": ajout ou substitution liée à la suppression qui précède] Tout s’était apaisé dans la Green-Box et autour de la Green-Box. [Plusieurs prases de ce début notées en 15 812, f° 35] Plus de cabotinage, ni des cabotins, ni des prêtres. [phrase ajoutée] Plus de grondement extérieur. On avait le succès sans la menace. La destinée a de ces sérénités subites. La splendide [corrige "profonde"] félicité de Gwynplaine et de Dea était, pour l’instant, absolument sans ombre ["était, pour l'instant..." corrige "n'avait même plus un point noir"] . Elle était peu à peu montée jusqu’à ce point où rien ne peut plus croître. Il y a un mot qui exprime ces situations-là, l’apogée. Le bonheur, comme la mer, arrive à faire son plein. Ce qui est inquiétant pour les parfaitement heureux, c’est que la mer redescend.
[Trait d'interruption. En face, en marge, "8 décembre. La nouvelle m'arrive que Ruy Blas est interdit."]
Il y a deux façons d’être inaccessible, c’est d’être très haut et d’être très bas. Au moins ["Plus +": correction ou addition abandonnée] autant peut-être [ajouté; cette addition a peut-être été faite en même temps que la correction qui précède et survécu à son abandon] que la première, la deuxième est souhaitable. Plus sûrement que l’aigle n’échappe à la flèche, l’infusoire ["le ciron": correction abandonnée] échappe à l’écrasement. Cette sécurité de la petitesse, ["certes," barré] nous l’avons dit déjà, ["nous l'avons...": addition] si quelqu’un l’avait sur la terre, c’étaient ces deux êtres, ["ces deux...": ajouté] Gwynplaine et Dea ; mais jamais elle n’avait été si complète. Ils vivaient de plus en plus l’un par l’autre, l’un en l’autre, extatiquement. Le cœur se sature d’amour comme d’un sel divin qui le conserve ; de là l’incorruptible adhérence ["l'incorruptible..." corrige "l'éternelle adhérence" qui corrige "cette éternelle jeunesse intérieure"] de ceux qui se sont aimés dès l’aube de la vie, ["dès l'aube..." corrige "jeunes"] et la [corrige "cette"] ["jeune" (peut-être "jeunesse" interrompu) barré en correction cursive] fraîcheur des vieilles amours prolongées. ["C'est de Daphnis et Chloë." : faux départ] Il existe [corrige "Il y a"] un embaumement d’amour. C’est de Daphnis et Chloé que sont faits Philémon et Baucis. Cette vieillesse-là, ressemblance du soir avec l’aurore, était évidemment réservée à Gwynplaine et à Dea. En attendant, ils étaient jeunes. ["Cette vieillesse-là..." ajouté]
Ursus regardait cet amour comme un médecin fait sa clinique. Du reste il ["Du reste il" corrige "Il"] avait [", du reste," barré] ce qu’on appelait en ce temps-là [corrige "alors"] « le regard hippocratique ». Il attachait sur [f° 327, T12. Deux traits d'interruption. Collée au folio, une feuille imprimée (f° 328) intitulée "RUY BLAS", rend compte de l'interdiction: "L'empire vient de prendre son parti sur Ruy Blas...", reproduit la lettre du directeur de l'Odéon, du 5 décembre, l'annonçant à Hugo, ainsi que celle de l'auteur à M. Louis Bonaparte, aux Tuileries du 8 décembre.] Dea, frêle et pâle, sa prunelle sagace, [en marge, addition de "presque féline" encadrée de barres verticales et finalement rayée] et il grommelait : — C’est bien heureux qu’elle soit heureuse ! — D’autres fois il disait : — Elle est heureuse pour sa santé. [Formules notées en 15 812, f° 79.]
Il hochait la tête, et parfois lisait attentivement Avicenne, traduit par Vopiscus Fortunatus, Louvain, 1658, un bouquin qu’il avait, à l’endroit des « troubles cardiaques ». [paragraphe en addition, de même à la copie où le "8" mal formé laisse lire un "0"]
Dea, aisément fatiguée, avait des sueurs et des assoupissements, et faisait, on s’en souvient, sa sieste ["et des assoupissements..." complète et corrige "et [addition abandonnée ou correction: +] s'assoupissait [correction cursive de "s'endormait"] quelquefois"] dans le jour. Une fois qu’elle était ainsi endormie [corrige "assoupie"] , étendue sur la peau d’ours, et que Gwynplaine n’était pas là, Ursus se pencha doucement et appliqua son oreille contre la poitrine de Dea, du côté du cœur. Il sembla écouter quelques instants, et en se redressant il murmura : — Il ne lui faudrait pas une secousse. La fêlure grandirait bien vite.
La foule continuait d’affluer [corrige "d'abonder"(?)] ["continuait..." corrige "croissait"] aux représentations de Chaos vaincu. Le succès de l’Homme qui Rit paraissait inépuisable. Tout accourait ["de pl(us)" barré en correction cursive] . Ce n’était plus seulement Southwark ; c’était déjà un peu Londres. Le public commençait même à se mélanger ; ce n’était plus de purs matelots et cochers ; dans l’opinion de maître Nicless [corrige "l'hôtelier"; de même à la copie] , connaisseur en canaille, il y avait maintenant dans cette populace [corrige "foule"] des gentilshommes et des lords, déguisés en gens du peuple ["en gens du peuple" ajouté]. Le déguisement est un des bonheurs de l’orgueil, et c’était la grande mode d’alors. [faux départ: "Ce commencement d' "] Cette aristocratie mêlée à la mob était bon signe et indiquait [un mot ou le commencement d'un mot barré en correction cursive] une extension de succès gagnant Londres. La gloire de Gwynplaine avait décidément fait son entrée dans le grand public. ["Tout accourait...": addition de premier niveau.] Et le fait était réel. Il n’était plus question dans Londres que de l’Homme qui Rit. On en parlait jusque chez la reine. ["Et le fait...": addition de second niveau]
Dans la Green-Box on ne s’en doutait pas ; on se contentait d’être heureux. L’enivrement de Dea, c’était de toucher tous les soirs le front crépu et fauve de Gwynplaine. En amour, rien n’est tel qu’une habitude. Toute la vie s’y concentre. ["Dans la Green-Box..." corrige et complète la rédaction initiale: "L'enivrement de Dea c'était [addition ou correction d'une ligne, non lue] de poser tous les soirs sa main sur la tête de Gwynplaine. En amour, rien n'est tel qu'une habitude. Toute la vie s'y concentre."] La réapparition de l’astre est une habitude de l’univers. La création n’est pas autre chose qu’une amoureuse, et le soleil est un amant.
La lumière est une cariatide éblouissante qui porte le monde. [phrase ajoutée] Tous les jours, pendant une minute sublime [corrige "sacrée"] , la terre couverte de nuit [corrige "ténèbres"] s’appuie sur le soleil levant. Dea, aveugle, sentait la même rentrée de chaleur et d’espérance en elle dans le moment où elle posait sa main sur la tête de Gwynplaine.
Être deux ténébreux [corrige "réprouvés"(?)] qui s’adorent; s’aimer dans la plénitude du silence ["du silence" corrige "de la nuit(?)"] ["Etre deux..." corrige "S'adorer à deux dans l'ombre"] ; on s’accommoderait de l’éternité passée ainsi.
[Trait d'interruption.]
Un soir, Gwynplaine, ayant en lui cette surcharge de félicité qui, pareille à l’ivresse des parfums, cause une sorte de divin malaise, rôdait, comme il faisait d’ordinaire ["comme il..." corrige "selon son habitude"] après le spectacle ["fini" barré en correction cursive] terminé, dans le pré [corrige "bowling Green"] , à quelques [ajouté] cent pas de la Green-Box. On a de ces heures de dilatation où l’on dégorge le trop plein de son cœur. [phrase ajoutée] La nuit était noire et transparente ; il faisait clair d’étoiles. Tout le champ de foire était désert, et il n’y avait que du sommeil et de l’oubli [corrige "du silence"] dans les baraques éparses autour du Tarrinzeau-field [corrige "bowling-Green"; de même à la copie] .
Une seule lumière n’était pas éteinte ; c’était [ligne ajoutée. La suite du texte, dans la rédaction initiale, se trouve au f° 332.]
[Trait d'interruption.]
[f° 329, U12. Folio intercalé, réfection du début du f° 331 qui lui-même, réfection du folio 332, est intercalé.]
la lanterne de l’inn Tadcaster, entrouvert et attendant la rentrée de Gwynplaine.
Minuit venait de sonner aux cinq paroisses de Southwark avec les intermittences et les différences de voix d’un clocher à l’autre. [paragraphe ajouté]
Gwynplaine songeait à Dea. A quoi eût-il songé ? Mais ce soir-là, singulièrement [corrige "étrangement"; de même à la copie] confus, plein d’un charme où il y avait de l’angoisse, il songeait à Dea comme un homme songe à une femme. Il se le reprochait. C’était une diminution. La sourde attaque de l’époux commençait en lui. Douce et impérieuse impatience. Il franchissait la frontière invisible ; en deçà il y a la vierge, au delà il y a la femme. Il se questionnait avec anxiété ; il avait ce qu’on pourrait nommer la rougeur intérieure. Le Gwynplaine des premières années s’était peu à peu transformé dans l’inconscience d’une croissance mystérieuse. [quelques mots dont la rature décale la phrase suivante, alinéa annulé à la copie] L’ancien adolescent pudique [corrige "chaste"] se sentait devenir trouble et inquiétant. Nous avons l’oreille de lumière où parle l’esprit, et l’oreille d’obscurité [corrige "de ténèbres"] où parle l’instinct. Dans cette oreille amplifiante des voix inconnues [corrige "basses" qui corrige "obscures"] lui faisaient des offres. Si pur que soit le jeune homme qui rêve d’amour, un certain épaississement de chair finit toujours par s’interposer entre son rêve et lui. Les intentions perdent leur transparence. L’inavouable voulu par la nature fait son entrée dans la conscience. Gwynplaine éprouvait on ne sait quel appétit [corrige "besoin"] de cette matière où sont toutes les tentations, et qui manquait presque à Dea. Dans sa fièvre, qui lui semblait malsaine, il transfigurait Dea, du côté périlleux peut-être, et il tâchait d’exagérer cette forme séraphique jusqu’à la forme féminine. C’est de toi, femme, que nous avons besoin.
[f° 330 blanc; f° 331, V12.]
[Ce f° est intercalé après ajout de la dernière ligne du f° 327. Tout le début du folio est rayé à grands traits et réécrit au folio 329, qui est une intercalation de 2ème niveau. La première rédaction du f° 331 est la suivante:
"la lanterne de l'Inn Tadcaster, entrouvert et attendant la rentrée de Gwynplaine.[la lanterne..." ajouté]
Gwynplaine songeait à Dea. A quoi eût-il songé? Mais ce soir là, plein de trouble, profondément [correction: "étrangement"] confus, il songeait en homme, en fiancé, en époux. ["en homme...": correction 1: "songeait qi'il était un homme"; correction 2: "Il songeait comme un homme songe à une femme. + + + +"] Il se le reprochait. C'était une diminution. La sourde attaque de l'époux commençait en lui. [phrase ajoutée] Il fanchissait la frontière invisible; en deçà il y a la vierge, au delà, la femme. Il se questionnait avec anxiété; [phrase ajoutée; elle entraîne la minuscule qui suit] il avait ce qu'on pourrait nommer la rougeur intérieure. Le Gwynplaine des premières années s'était peu à peu transformé. [phrase inscrite après un faux départ en "L'ancien adolescent"] L'ancien adolescent chaste se sentait devenir trouble et inquiétant. Nous avons l'oreille de lumière où parle la conscience et l'oreille de ténèbres où parle l'instinct. Dans cette oreille sombre [ces quatre mots sont ajoutés] des voix obscures lui faisaient des offres. ["Le Gwynplaine des permières années...": addition] Si pur que soit le jeune homme qui rêve d'amour, un certain épaississement de chair finit toujours par s'interposer entre son rêve ["son rêve" corrige "l'idéal"] et lui. [phrase ajoutée à l'addition qui précède] Gwynplaine [corrige "Il"] sentait [corrigé en: "éprouvait"] on ne sait quel besoin de cette matière où sont toutes les tentations, et qui manquait presque à Dea. Dans sa fièvre, qui lui semblait, et qui était peut-être ["et qui était peut-être": barré] malsaine, il transfigurait Dea, du côté périlleux [corrige "du mauvais côté] peut-être, et ["il transfigurait...": ajouté] il tâchait d'exagérer cette forme séraphique jusqu'à la forme féminine [ici une addition d'une ligne abandonnée -et non lue], il amplifiait témérairement ce contour de Dea, ["de Dea,": ajouté] trop céleste et pas assez édénique; car Eve est une femme ["car Eve...": correction: "car d'Eden c'est Eve, et Eve est une femme," la rédaction initiale se poursuit par "une mère charnelle, une nourrice..."]
Trop de paradis, l’amour en arrive à [corrige "finit par"] ne pas vouloir cela. Il lui faut la peau fébrile [corrige "tiède"; variante sans choix, par oubli de la rature sur "fébrile": "fiévreuse", qui, à la copie est une correction autographe] [+ addition abandonnée], la vie émue ["et tremblante" barré] , le baiser électrique et irréparable ["le baiser..." corrige "le baiser fiéveux" qui est, lui-même, une addition] , les cheveux dénoués, [la lèvre ardente du baiser": addition abandonnée et déplacée avec modification] [Il est impossible d'établir la chronologie complète de ces transformations. La rédaction initiale est: "il lui faut la peau tiède, la vie émue et tremblante, les cheveux dénoués"; on voit que l'érotisation de la phrase progresse jusqu'à un léger retour en arrière] l’étreinte ayant un but. Le sidéral gêne [corrige "opprime"(?)] . L’éthéré pèse. [phrase ajoutée de la même plume que la correction qui précède] L’excès de ciel dans l’amour, c’est l’excès de combustible dans le feu [corrige "d'huile dans la lampe"; de même à la copie] ; la flamme en souffre. Dea saisissable et saisie, la ["sainte approche" barré en correction cursive] vertigineuse approche qui mêle en deux êtres l’inconnu de la création ["en deux êtres..." corrige "plus que les âmes"] , Gwynplaine, éperdu, avait ce cauchemar exquis ["avait ce cauchemar exquis" corrige "faisait ce rêve"] . Une femme ! il entendait en lui ce profond cri de la nature. [" Trop de paradis...": addition. Avant d'être elle-même augmentée, elle est implantée avant "Il amplifiait témérairement..."] [faux départ: "Il faisait témérairement"] Comme un Pygmalion du rêve [+ + barré en correction cursive] modelant une Galatée de l’azur, il faisait témérairement, au fond de son âme, des retouches à ce contour chaste de Dea ; contour trop céleste et pas assez édénique ; car l’Éden, c’est Ève ; et Ève était une femelle, [depuis le faux départ "Il faisait témérairement": addition de second niveau ajoutée à la précédente; elle reprend et augmente la version initiale "Il amplifait témérairement... Eve est une femme," et se substitue à elle.] une mère charnelle, une nourrice terrestre, le ventre sacré des générations, la mamelle du lait inépuisable, la berceuse du monde nouveau-né ; et le sein exclut les ailes. La virginité n’est que l’espérance de la maternité. Pourtant, dans les mirages [corrige "la pensée"] de Gwynplaine, Dea jusqu’alors [+ barré en correction cursive] avait été au dessus de la chair [corrige, en correction cursive, "du sexe"] . En ce moment, égaré [corrige "éperdu"] , il essayait dans sa pensée de ["essayait..." corrige "faisait effort pour"] l’y faire redescendre, et il tirait ce fil, le sexe, qui tient toute jeune fille liée à la terre. Pas un seul de ces oiseaux n’est lâché. Dea, pas plus qu’une autre, n’était hors de [oublié à la copie, ajouté par VH] la loi, et Gwynplaine, tout en ne se l’avouant qu’à demi, avait une vague volonté qu’elle s’y soumît [corrige "y rentrât"] . Il avait cette volonté malgré lui, et dans une rechute continuelle. Il se figurait Dea humaine. Il en était à concevoir une idée inouïe : Dea ["la tête sur l " barré en correction cursive] , créature, [ajouté] non plus seulement d’ [ajouté] extase, mais de [ajouté; la rédaction initiale est "Dea, non plus seulement extase, mais volupté"] volupté ; Dea la tête sur l’oreiller ["Dea la tête sur l’oreiller" est rétabli en ajout, après oubli ou censure] . Il avait honte de cet empiétement visionnaire ; c’était comme un effort de profanation ; il résistait à cette obsession ; il s’en détournait, puis il y
[f° 332, X12. Trait d'interruption. Ce folio prend initialement la suite du f° 327, avant l'ajout de la dernière ligne du folio. Le f° 331 est intercalé et son début est refait au f° 329, lui-même objet, donc, d'une intercalation de 2ème niveau.] [Rédaction initiale, barré à grands traits du folio 332 :
"Gwnplaine songeait à Dea. A quoi eût-il songé? Mais ce soir là ["ce soir là" corrige "cette fois"] , plein de trouble, profondément [corrige "presque"] confus, il y songeait en homme, en fiancé, en mari. Il se le reprochait; il sentait on ne sait quel besoin de cette matière où sont toutes les tentations [corrige "fautes"] , et qui manquait presque à Dea. Dans sa fièvre, qui lui semblait, et qui était peut-être, malsaine ["qui lui semblait..." corrige "dont il avait un peu honte"] , il tâchait d'exagérer cette forme séraphique jusqu'à la forme féminine ["cette forme séraphique..." corrige "jusqu'à la forme féminine le contour paradisiaque de cette forme angélique."] Il amplifiait le contour trop céleste et pas assez édénique; car Eve était une femme, une mère humaine, une nourrice terrestre, et le sein exclut les aîles. ["Il amplifait...": addition de troisième niveau] Gwnpmaine en était à vouloir le sexe en Dea. [cette phrase est en sc. sur une autre, non lue] Il avait cette pensée ["Il avait cette pensée" en sc. sur + + +] malgré lui, et dans une rechute continuelle. Il avait honte de cet empiètement visionnaire. ["Gwynplaine en était à vouloir...": addition de deuxième niveau; elle corrige le début de l'addition de premier niveau: "Il avait honte de ce +."] C'était comme un effort de profanation. Il résistait à cette obsession" ["Il avait honte de ce +..." : addition de premier niveau. Elle se poursuit dans les lignes qui suivent, maintenues dans le texte définitif.] ]
puis il y revenait ; il lui semblait commettre un attentat à la pudeur. Dea était pour lui dans un nuage. Frémissant [en sc. sur +] , [plusieurs mots barrés, peut-être en correction cursive] il écartait ce nuage comme il eût relevé une jupe. [variante sans choix, enregistrée à la copie: "soulevé une chemise."] [à la copie trois points sont ajoutés après "nuage" et "comme il eut..." est barré. Il est probable que le texte du ms a été rétabli aux épreuves.] On était en avril.
La colonne vertébrale a ses rêveries. ["Il avait honte...": addition de premier niveau. Elle se substitue au texte initial qui suit "le contour paradisiaque de cette forme angélique." : "+ + + un effort de profanation. Il y a + + + de ces réveils de la colonne vertébrale. On était en avril."]
Il faisait des pas au hasard avec cette oscillation distraite ["cette oscillation distraite" corrige "ce va et vient mécanique(?)"] qu’on a dans la solitude. N’avoir personne autour de soi, cela aide à divaguer. Où allait sa pensée [corrige "son rêve"] ? ["dans les" barré en correction cursive] il n’eût osé se le dire à lui-même. Dans le ciel ["Dans le ciel" rétabli après correction en "dans l'empyrée"] ? Non. Dans un lit. Vous le regardiez, astres [corrige "étoiles"] . [la phrase est ajoutée de la même écriture]
Pourquoi dit-on un amoureux ? on devrait dire un possédé. Être possédé du diable, c’est l’exception ; être possédé de la [corrige "d'une"; de même à la copie] femme, c’est la règle. Tout homme subit cette aliénation de soi-même [corrige "nous-mêmes"] ["cette aliénation..." corrige "cet ensorcellement"] . Quelle sorcière qu’une jolie femme ! [phrase ajoutée de la même écriture que la correction qui précède] Le vrai nom de l’amour, c’est captivité.
On est fait prisonnier par l’âme d’une femme. [Les lignes qui suivent sont écrites au-dessus de 7 lignes au crayons qui probablement les préparent.] Par sa chair aussi. Quelquefois plus encore par la chair que par l’âme. L’âme est l’amante ; la chair est la maîtresse.
[Trait d'interruption.]
On calomnie le démon [corrige "Satan"] . Ce n’est pas lui qui a tenté Ève. C’est Ève qui l’a tenté. La femme a commencé.
Lucifer passait tranquille. Il a aperçu la femme. Il est devenu Satan.
La chair, c’est le dessus de l’inconnu. Elle provoque, chose étrange, par la pudeur. Elle a honte, cette effrontée. [phrase ajoutée; à la copie, ajoutée par la copiste qui la place, à tort, après "Rien de plus troublant."] Rien de plus troublant.
En cet instant-là, ce qui agitait Gwynplaine et ce qui le tenait,
c’était cet effrayant amour de surface. Moment redoutable [corrige
"dangereux"] que celui où l’on veut la nudité. Un glissement
dans la faute est possible. Que de ténèbres dans cette blancheur de
Vénus ! ["On calomnie le démon...": addition.
Elle se substitue au texte initial: "En cet instant là, ce qui
troublait Gwynplaine, c'était cet effrayant amour de surface. + + + +
Dea, il faisait ce rêve. Moment orageux [corrige "redoutable"] que
celui où l'on veut la nudité. Un glissement dans la faute ["dans la
faute" ajouté par déplacement] est possible ["dans la faute" corrige
"dans +" corrigé en +; le tout barré] Que de ténèbres dans cette
blancheur + de Vénus!"]
Quelque chose en Gwynplaine appelait à grands cris Dea, Dea fille [corrige "femme"] , Dea moitié d’un homme, [plusieurs mots barrés dont le premier est "Dea"] Dea chair et flamme, ["et flamme" corrige ", Dea frisson et volupté."] Dea gorge nue. ["Dea gorge nue." ajouté] Il chassait presque l’ange. [correction abandonnée: "Il en venait presque à chasser l'ange."] Crise mystérieuse [corrige "profonde"] que tout amour traverse, et où l’idéal est en danger. Ceci est la préméditation de la création. [Cette phrase en corrige une autre, commençant par "L'amour de" et dont le dernier mot est corrigé en "création".]
Moment de corruption céleste. [paragraphe ajouté]
L’amour de Gwynplaine pour Dea devenait nuptial. L’amour virginal n’est qu’une transition. Le moment était arrivé [corrige "venu"] . Il fallait à Gwynplaine cette femme.
Il lui fallait une femme.
["Pente + + redoutable.
Tout le + quel gouffre!" Ces deux lignes sont barrées et reprises, transformées, plus loin, la première dans une addition, la seconde en rédaction initiale.]
[f° 333, Y12. Trait d'interruption.]
["La solitude dans le bowling-Green autour de Gwynplaine était si profonde que, par instants, il parlait haut.
Se sentir pas écouté fait qu'on parle.
Il marchait à pas lents, la tête baissée, les mains derrière le dos, la gauche dans la doite, les doigts ouverts." Ces trois paragraphes sont barrés dans le cours de la rédaction du folio et leur matière est reportée plus bas.]
Pente dont on ne voit que le premier plan. [paragraphe
ajouté; il reprend et corrige celui rayé à la fin du f° précédent et
la rédaction initiale de celui-ci: "L'appel indistinct de la nature
est inexorable./ Toute la femme, quel gouffre!".] ["Où ira-t-on?":
addition abandonnée]
L’appel indistinct de la nature est inexorable. [Cette ligne et les trois qui suivent, jusqu'à "vitale de l'infini" sont écrites au-dessus d'un texte préparatoire au crayon.]
Toute la femme, quel gouffre ! ["Pente dont on ne voit...": addition ajoutée à la suivante; du même coup le filet les place ensemble après "...les doigts ouvert."]
Heureusement, pour Gwynplaine, il n’y avait d’autre femme que Dea. La seule dont il voulût. La seule qui voulût [variante sans choix: "pût vouloir", préférée à la copie] de lui. [paragraphe en addition de premier niveau]
Gwynplaine avait ce grand frisson vague qui est la réclamation vitale de l’infini.
Ajoutez l’aggravation du printemps. Il aspirait les effluves sans nom de l’obscurité sidérale. Il allait devant lui, délicieusement ["allait..." corrige "marchait presque"] hagard. Les parfums errants de la sève en travail, ["les constellations, les nuées," barré] les ["vagues" barré] irradiations capiteuses qui flottent dans l’ombre, l’ouverture lointaine des fleurs nocturnes, la complicité des petits nids cachés [corrige + +] , ["la complicité...": ajouté] les bruissements d’eaux et de feuilles, [une addition de plusieurs mots barrée] les soupirs sortant des choses, la fraîcheur, la tiédeur, ["les soupirs..." ajouté en deux temps: les soupirs d'abord, la fraîcheur ensuite] tout ce mystérieux éveil d’avril et de mai, c’est l’immense sexe épars proposant à voix basse la volupté, provocation vertigineuse qui fait bégayer l’âme. L’idéal ne sait plus ce qu’il dit. [phrase ajoutée; première rédaction: "L'âme ne sait plus ce qu'elle dit."]
Qui eût vu marcher Gwynplaine [deux ou trois mots barrés] eût pensé [corrige "dit"; de même à la copie] : Tiens ! un ivrogne !
Il chancelait presque en effet sous le poids de son cœur, du printemps [", du pintemps" ajouté] et de la nuit.
La solitude dans le bowling-green était si paisible [corrige "profonde"; de même à la copie] que, par instants, il parlait haut.
Se sentir pas écouté fait qu’on parle.
Il se promenait à pas lents, la tête baissée, les mains derrière le dos, la gauche dans la droite, les doigts ouverts.
[Trait d'interruption.]
Tout à coup, ["dans l'entrebaillement inerte de ses doigts," barré et déplacé] il sentit comme le glissement de quelque chose ["qu'on lui mettait dans la main" barré] dans l’entrebâillement inerte de ses doigts ["dans l'entrebaillement...": déplacé et ajouté] .
Il se retourna vivement.
Il avait dans la main un papier et devant lui un homme.
[f° 334, pas de numérotation par lettre; elle a sans doute été oubliée car il n'y a pas d'autre signe que le folio ait été intercalé et s'il l'avait été après la numérotation, très tardive, la copie en aurait trace.]
C’était cet homme, venu jusqu’à lui par derrière avec la précaution d’un ["la précaution d'un" corrige "un(e) + de"] chat, qui lui avait mis [corrige "posé"] ce papier entre les doigts.
Le papier était une lettre ["pliée et cachetée" barré] .
L’homme, suffisamment éclairé par la pénombre stellaire [corrige "les étoiles"] , était petit, ["joli, jeune," barré] joufflu, jeune, grave, ["jeune..." ajouté; de même à la copie. L'addition se continuait par "peut-être un enfant, peut-être un vieillard," qui est barré; de même à la copie] et vêtu d’une livrée couleur feu, visible du haut en bas par la fente verticale ["de la cape grise'" barré en correction cursive] d’un long surtout gris [corrige "une longue cape grise"; Hugo a oublié de corriger "une"] qu’on appelait alors capenoche, mot espagnol contracté qui veut dire ["manteau" barré en correction cursive] cape-de-nuit. Il était coiffé d’une gorra cramoisie [corrige "écarlate"] , pareille à une calotte de cardinal où la domesticité serait accentuée par un galon. Sur cette calotte on apercevait [corrige "distinguait"] un bouquet de plumes de tisserin.
Il était immobile devant Gwynplaine. On eût dit une silhouette de rêve [corrige "la silhouette d'un espit"] .
Gwynplaine reconnut le mousse de la duchesse.
Avant que Gwynplaine ["+," barré, sans doute en correction cursive] eût pu jeter un cri de surprise, il entendit la voix grêle, à la fois enfantine et ["à la fois..." corrige "et presque"] féminine, du mousse qui lui disait :
— Trouvez-vous demain à pareille heure à l’entrée du pont de Londres. J’y serai. Je vous conduirai. ["J'y serai..." corrige un dialogue:
— + + + + + +[peut-être: "Pourquoi? dit Gwynplaine stupéfait."]
— J'y serai.
— Et puis?
—Je vous conduirai."]
— Où ? demanda Gwynplaine ["stupéfait" corrigé en "étonné" lui-même barré, réécrit, et de nouveau barré; un ajout de deux ou trois mots est également barré.] .
— Où vous êtes attendu.
Gwynplaine abaissa ses yeux sur la lettre qu’il tenait machinalement dans sa main.
Quand il les releva, le mousse n’était plus là.
On distinguait dans la profondeur du champ de foire une vague forme obscure qui décroissait rapidement. C’était le petit laquais [corrige "homme"; de même à la copie] qui s’en allait. Il tourna un coin de rue, et il n’y eut plus personne.
[f° 335, Z12. Trait d'interruption à la fin du folio.]
["Gwynplaine eût cru presque à une vision s'il n'eût eu la lettre dans la main. Il la regarda sans la décacheter [corrige "déplier"] . Puis, sans l'ouvrir, il l'approcha de ses yeux, comme s'il pouvait la lire fermée ["fermée" corrige "de la sorte"] et dans la nuit. Il fut quelque temps avant de se rendre" Cette rédaction initiale du début du folio est barrée à grands traits et remplacée dans la marge par le texte qui suit.]
Gwynplaine regarda le mousse disparaître, puis il regarda la lettre. Il est des moments dans la vie où ce qui vous arrive ne vous arrive pas ; la stupeur vous maintient quelque temps à une certaine distance du fait. [Ebauche en 15 812, f° 118v] Gwynplaine approcha la lettre de ses yeux comme quelqu’un qui veut lire ; alors, il s’aperçut qu’il ne pouvait la lire pour deux raisons ; premièrement, parce qu’il ne l’avait ["il ne l'avait" corrige "elle n'était"] pas décachetée ; deuxièmement, parce qu’il faisait nuit. Il fut plusieurs minutes avant de se rendre [retour à la rédaction initiale en partie droite] compte qu’il y avait une lanterne [corrige "de la lumière"] dans l’inn. Il fit quelques pas ["Il fit..." corrige "Alors il se mit à marcher"] , mais de côté, et comme s’il ne savait où aller ["où aller" corrige "ce qu'il devait faire"] . Un somnambule a qui un fantôme a remis une lettre marche de la sorte.
Enfin il se décida, courut plutôt qu’il n’avança vers l’inn, ["regarda encore une fois +" barré en correction cursive] se plaça dans le rayon ["le rayon" en sc. sur "la lumière"(?)] de la porte entrouverte, et considéra ["et considéra" corrige "regarda"] encore une fois, à cette clarté, la lettre fermée. On ne voyait aucune empreinte sur le cachet et sur l’enveloppe il y avait : a Gwynplaine [Noté en 24 747, f° 241]. ["On ne voyait aucune..." corrige "Il n'y avait aucune adresse, rien sur l'enveloppe, rien sur le cachet."] Il brisa le cachet, déchira l’enveloppe, déplia la lettre, la mit en plein sous la lumière, et voici ce qu’il lut :
« Tu es horrible, et je suis belle. Tu es histrion [corrige "saltimbanque"] et je suis duchesse. Je suis la première et tu es le dernier. Je veux de toi. ["Viens + +»" barré] Je t’aime. Viens. » ["Je t’aime. Viens. » est ajouté; "Je t'aime." est placé entre barres verticales au crayon précédées d'un point d'interrogation.]
["Sans"(?) signature." barré]
[Trait d'interruption.]
[f° 336, papier blanc. Au coin supérieur droite, "2e partie".]
______
[f° 337, A13. Trait d'interrupion.]
[Tout le début du folio est barré. De là qu'on discerne mal ce qui était barré pour correction avant la suppression complète.
["Il y a des étincelles énormes.
Celles qui allument les incendies.
Vous les croyez petites comme les autres, mais regardez derrière elles. [paragraphe en addition marginale]
Un billet de femme qu'est-ce que cela?
Rien et tout. [ces deux paragraphes amplifient l'addition précédente.]
+ + + de mesure à ce qu'elles font +"]["Il y a des étincelles...": ces quatre lignes en partie droite de la page sont encadrées de grosses parenthèses, assorties, de chaque côté, d'un point d'interrogation.]
[début probable de la rédaction initiale, vraisemblablement abandonné puis rétabli au-dessus et en marge avant d'être rayé de nouveau:
"Il y a des étincelles fatales [rétabli après avoir été corrigé en "redoutables"].
Celles qui allument les incendies."]
Tel jet de flamme fait à peine une piqûre aux ténèbres ; tel autre met le feu à un volcan.
Il y a des étincelles énormes. [paragraphe déplacé et ajouté]
Gwynplaine lut la lettre, puis il la relut. Il y avait bien ce mot : Je t’aime ! ["Il y avait bien...": addition; elle se substitue à "Le papier sentait bon. Tout cela était terrible."]
[Dans la marge, commençant à hauteur de "Tel jet..." une dizaine de lignes, chacune fortement barrée.]
[Trait d'interruption. Au dessous du trait, à cheval entre la marge et l'espace d'écriture, cette note au crayon, préparatoire pour le lendemain: "Sa première idée, ce fut de se croire fou."]
Les épouvantes se succédèrent dans son esprit.
La première, ce fut de se croire fou.
Il était fou. C’était certain. Ce qu’il venait de voir n’existait pas. [La phrase corrige "Rien de tout cela n'existait."] Les simulacres crépusculaires [corrige "de la nuit"] jouaient de lui, misérable. Le petit homme écarlate était une lueur de vision. Quelquefois, la nuit, rien condensé en une flamme vient rire de vous. Après s’être moqué, l’être illusoire [corrige "le laquais" qui corrige "l'homme"] avait disparu, laissant derrière lui Gwynplaine fou. L’ombre fait de ces choses-là.
La seconde épouvante, ce fut de constater [corrige "penser"(?)] qu’il avait toute sa raison.
Une vision ? mais non. Eh bien ! et cette lettre ? Est-ce qu’il n’avait pas une lettre entre les mains ? Est-ce que ne voilà pas une enveloppe, un cachet, du papier, une écriture ? [addition déplacée: "Cette chose a été faite avec de l'encre et une plume?"] Est-ce qu’il ne sait pas de [en sc cursive sur "d'où"] qui cela vient ? Rien d’obscur dans cette aventure. On a pris une plume et de l’encre, et l’on a écrit. On a allumé une bougie et l’on a cacheté avec de [corrige "à"] la cire. ["On a pris...": ajouté] Est-ce que son nom n’est pas écrit sur la lettre ? A Gwynplaine. ["Est-ce que..." ajouté dans un second temps] Le papier sent bon. [phrase ajoutée dans un troisième temps; ajoutée à la copie par la copiste.] Tout est clair. Le petit homme, Gwynplaine [corrige "il"; de même à la copie de la main de la copiste] le connaît. Ce nain [corrige "groom"] est un groom [corrige "page"] . Cette lueur est une livrée. Ce groom [corrige "page"] a donné rendez-vous à Gwynplaine pour le lendemain à la même heure à l’entrée du pont de Londres. Est-ce que le pont de Londres est une illusion ? Non, non, tout cela se tient. Il n’y a là-dedans aucun délire. ["Ce n'est pas du nuage." barré; de même à la copie] Tout est réalité. Gwynplaine est parfaitement lucide. Ce n’est pas une fantasmagorie tout de suite décomposée au-dessus de sa tête, et dissipée en évanouissement ; c’est une chose qui lui arrive. Non ! Gwynplaine n’est pas fou. Gwynplaine ne rêve pas. Et il relisait [f° 338, B13] la lettre.
Eh bien, oui. Mais alors ?
Alors c’est formidable [rétabli après correction en "effrayant"; à la copie "formidable" et "effrayant" sont barrés et "formidable" écrit de la main de VH] .
Il y a une femme qui veut de lui.
Une femme veut de lui ! En ce cas que personne ne prononce plus jamais ce mot : incroyable. Une femme veut de lui ! ["que personne..." corrige "l'impossible est possible. Il n'y a plus de chimère. Quelle femme?"] une femme qui a vu son visage ! une femme qui n’est pas aveugle ! Et qui est cette femme ? une laide ? non. Une belle. Une bohémienne ? non. Une duchesse. [signe d'alinéa à faire; de même à la copie]
Qu’y avait-il là dedans, et qu’est-ce que cela voulait dire ? Quel péril [corrige "Quelle obscurité" qui corrige "Quel précipice"; la copiste corrige "précipice" en "péril"; signe que l'hésitation de Hugo et sa correction se produisent entre la copie et son récollement] qu’un tel triomphe ! mais comment ne pas s’y jeter à tête perdue ?
Quoi ! cette femme ! la sirène [corrige "la lady" qui corrige "la duchesse"] , l’apparition, [addition abandonnée: "la chimère,"] la lady, la ["la lady, la" corrige "la +"] spectatrice de la loge visionnaire, la ténébreuse éclatante ! Car c’était elle. C’était bien elle. [paragraphe ajouté]
Le pétillement de l’incendie commençant éclatait en lui de toutes parts. C’était cette étrange inconnue ["étrange inconnue" corrige "femme"] ! la même qui l’avait tant troublé ! Et ["toutes"(?) barré] ses premières pensées tumultueuses [ajouté] sur cette [un mot barré, peut-être "fascinante"] femme reparaissaient, comme chauffées à tout ce feu sombre. L’oubli n’est autre chose qu’un palimpseste. Qu’un accident survienne, et ["Qu'un incident..." ajouté] tous [majuscule corrigée en minuscule] les effacements revivent dans les interlignes de la mémoire étonnée. Gwynplaine croyait avoir retiré cette figure [corrige "femme" (ou "face"?)] de son esprit, et il l’y retrouvait, et elle y était empreinte, et elle avait fait son creux dans ce cerveau inconscient, coupable d’un songe. A son insu, la profonde gravure de la rêverie avait mordu très avant. Maintenant un certain mal était fait. Et toute cette rêverie, désormais peut-être irréparable [corrige "irrésistible"] , il la reprenait avec emportement.
Quoi ! on voulait de lui ! Quoi ! la princesse descendait de son trône, l’idole de son autel [corrige "sa niche"; la copiste corrige; entendons la niche d'une statue mais l'ambiguité serait fâcheuse.] , la statue de son piédestal, le fantôme de sa nuée ! Quoi ! du fond de l’impossible, la chimère arrivait ! Quoi, [virgule corrige point d'exclamation] cette déité [en sc. sur "déesse"] du plafond, quoi, cette irradiation, ["quoi ! cette irradiation," ajouté] quoi , cette néréide ["du gouffre +" barré] toute mouillée de pierreries, quoi , cette beauté inabordable et suprême, [f° 339, C13. Le fait que le texte s'arrête assez loin avant le bas de la page, laissant un grand blanc, suggère que ce folio est une réfection.] du haut de son escarpement de rayons [corrige "lumière"] , elle se penchait vers Gwynplaine ! Quoi , son char d’aurore, attelé à la fois de tourterelles [corrige "colombes"] et de dragons, elle l’arrêtait au dessus de Gwynplaine, et elle disait à Gwynplaine : viens ! Quoi , lui Gwynplaine, il avait cette gloire terrifiante d’être l’objet d’un tel abaissement de l’empyrée ! Cette femme, si l’on peut donner ce nom à une forme sidérale [corrige "constellée"] et souveraine, cette femme se proposait, se donnait, se livrait ! Vertige ! L’Olympe [corrige "Junon"] se prostituait ! [faux départ: "sans souillure"] à qui ? à lui, Gwynplaine ! ["sans souillure, une constellation ne noircit pas.": barré et repris dans l'addition plus bas] Des bras de courtisane s’ouvraient dans un nimbe pour le serrer contre un sein de déesse ! Et cela sans souillure. Ces majestés-là [corrige "constellations"] ne noircissent pas. La lumière lave les dieux. Et cette déesse qui venait à lui savait ce qu’elle faisait. Elle n’était pas ignorante de l’horreur incarnée en Gwynplaine ["l'horreur incarnée..." corrige "son horreur"; la copiste effectue la même correction] . ["Et cela sans souillure...": addition. Elle est écrite au-dessus de son ébauche en une ligne, au crayon] Elle [remplace "Car cette déesse"] avait vu ce masque, qui ["avait vu..." corrige "avait vu le masque [addition abandonnée: "affreux"] qui"] était le visage de Gwynplaine ! et ce masque ne la faisait pas reculer. Gwynplaine était aimé quoique !
Chose qui dépassait tous les songes, il était aimé parce que ! Loin de faire reculer la déesse, ce masque l’attirait ! Gwynplaine était plus qu’aimé, il était désiré. Il était mieux qu’accepté, il était choisi. Lui choisi !
Quoi ! là où était cette femme, dans ce royal milieu du resplendissement irresponsable et de la puissance [corrige "majesté"] en plein libre arbitre, il y avait des [f° 340, D13] princes, elle pouvait prendre un prince ; il y avait des lords, elle pouvait prendre un lord ; il y avait des hommes beaux, charmants, superbes; elle pouvait prendre Adonis. Et qui prenait-elle ? Gnafron [corrige "Caliban" qui corrige +] ! Elle pouvait choisir au milieu des météores [en sc. sur "astres"] et des foudres l’immense séraphin à six ailes, et elle choisissait la larve rampant dans la vase ["la larve..." corrige "le bateleur de carrefour" qui corrige "le ver de terre"; la copiste corrige ""le ver de terre" par "la larve...". La correction "le bateleur de carrefour" est donc faite et abandonnée entre la copie et son collationnement.] . D’un côté, les ["seigneu" barré en correction cursive] altesses et les seigneuries, toute la grandeur, toute l’opulence [corrige "la +" lui-même en sc. sur +] , toute la gloire , de l’autre, un saltimbanque. Le saltimbanque l’emportait ! Quelle balance y avait-il donc dans le cœur de cette femme ? à quel poids pesait-elle son amour ? ["à quel poids..." ajouté; ajouté par la copiste] Cette femme ôtait de son front le chapeau ducal et le jetait sur le tréteau ["ôtait..." corrige "prenait la couronne [corrigé en +] ducale et la jetait sur le front"] du clown [corrige "bateleur"; de même à la copie] ! Cette femme ôtait de sa tête ["sa tête" barré puis rétabli] l’auréole olympienne et la posait sur le crâne hérissé ["le crâne..." corrige "la tête"] du gnome ! ["Pourquoi? parce qu'il était abject. Pourquoi? parce qu'il était difforme." barré. En marge, "Junon, elle prenait Vulcain; Cléopâtre, elle prenait Congrio." (cf. Les Misérables, III, 1, 10: "Aulu-Gelle ne s'arrêtait pas plus longtemps devant Congrio que Charles Nodier devant Polichinelle;") est écrit par dessus le même texte écrit au crayon et barré. A la copie, "Pourquoi? parce qu'il était abject. Pourquoi? parce qu'il était difforme. Junon, elle prenait Vulcain; Cléopâtre, elle prenait Congrio." est barré.] On ne sait quel renversement du monde, le fourmillement d’insectes ["fourmillement..." corrige "fumier"] en haut, les constellations en bas, engloutissait Gwynplaine éperdu sous un écroulement de lumière, et lui faisait un nimbe [corrige "une apothéose"; de même à la copie] dans le cloaque [corrige "dans l'abîme"] . Une toute-puissante en révolte contre la beauté et la splendeur, se donnait au damné de ["au damné de" corrige "à"] la nuit, préférait Gwynplaine à Antinoüs [corrige "Apollon"] , entrait en accès de curiosité devant les ténèbres, et y descendait, et de [en sc. cursive sur "dans"] cette abdication de la déesse sortait, couronnée et prodigieuse, la royauté [correction abandonnée: "souveraineté"] du misérable. « Tu es horrible. Je t’aime » ces mots atteignaient Gwynplaine à l’endroit hideux de l’orgueil. [Ebauche de la phrase en 15 812, f° 25] L’orgueil, c’est là le talon où tous les héros sont vulnérables. [phrase ajoutée] [idée notée en 24 747, f° 246] Gwynplaine [corrige "Il"] était flatté [", chose terrible," est mis entre barres verticales avant d'être rayé] dans sa vanité de monstre. C’était comme être difforme qu’il était aimé. Lui aussi, ["le saltimbanque, le monstre, il était surhumain," barré et déplacé en correction immédiate] autant et plus peut-être [ajouté] que les Jupiters et les Apollons, il était l’exception ["il était l'excepion" ajout immédiat. Hugo a d'abord écrit "Lui aussi, le saltimbanque, le monstre, il était surhumain, autant et plus que les Jupiters et les Apollons. Il se sentait..." et a corrigé la phrase qui précède, peut-être avant même d'avoir achevé celle-ci.] . Il se sentait surhumain; et tellement monstre qu’il [en marge, en face des quatre dernières lignes, au crayon: "Hélas! disons-le". Au-dessous de la dernière ligne, au crayon, cette note péparatoire pour la suite de la rédaction: " Gwynplaine rentre dans l'Inn puis dans la G Box. Tous dorment."] [f° 341, E13. Trait d'interruption.] était dieu. Éblouissement épouvantable.
[Trait d'interruption.]
[Les trois lignes qui suivent sont écrites au-dessus d'autant de lignes préparatoires, au crayon; on distingue "cette créature. Maintenant qui était cette créature"] Maintenant, qu’était-ce que [corrige "qui était"] cette femme ? que savait-il d’elle ? Tout, et rien. [faux départ: "Il savait qu'elle"] C’était une duchesse; il le savait ; il savait qu’elle était belle, qu’elle était riche, qu’elle avait des livrées, des laquais, des pages, et des coureurs à flambeaux autour de son carrosse ["+ d'or" barré en correction cursive] à couronne. [faux départ: "Le reste, il l'ign"] Il savait qu’elle était amoureuse de lui ["était amoureuse..." corrige "qu'elle l'aimait"] , ou du moins qu’elle le lui disait. Le reste, il l’ignorait. Il savait son titre, et ne savait pas son nom. Il savait sa pensée, et ne savait pas sa vie. Était-elle mariée, veuve, fille ? était-elle libre ? était-elle sujette à des devoirs quelconques ? à quelle famille appartenait-elle ? Y avait-il autour d’elle des piéges, des embûches, des écueils [corrige "périls"; même correction de la main de la copiste] ? Ce qu’est la galanterie dans les ["régions hautes, qu'il y ait sur" barré en correction cursive] hautes régions oisives, qu’il y ait sur ces sommets des antres où rêvent des charmeuses féroces ayant pêle-mêle autour d’elles des ossements d’amour déjà dévorés, à quels essais tragiquement [en sc. sur "cyniques"] cyniques ["essais tragiquement..." corrige "effrayants essais"] peut aboutir l’ennui d’une femme qui se croit au-dessus de l’homme, Gwynplaine ne soupçonnait rien de cela, il n’avait pas même dans l’esprit de quoi échafauder une ["de quoi échafauder une" corrige "de quoi faire [corrige "avoir"] une" qui corrige "le linéament [corrige "l'ébauche"] d'une"] conjecture, on est mal renseigné dans le sous-sol social où il vivait ; pourtant il voyait de l’ombre. Il se rendait compte que toute cette clarté était obscure. ["Il se sentait confusément l'objet d'une impudeur plutôt que d'un amour.": phrase mise entre barres verticales avant d'être rayée] Comprenait-il ? non. Devinait-il ? encore moins. Qu’y avait-il derrière cette lettre ? une ouverture à deux battants; et en même temps une fermeture inquiétante [corrige "sinistre"(?)] . D’un côté l’aveu. De l’autre l’énigme.
[faux départ: "L'énig"] L’aveu et l’énigme, ces [en sc. sur "les"] deux bouches, l’une provoquante [corrige "riante"] , l’autre menaçante [corrige + qui corrige "sombre"] , prononcent la même parole : Ose ! [corrige "Oseras-tu?"]
Jamais la perfidie du hasard n’avait ["fait" barré; la phrase se poursuivait au folio suivant: "arriver mieux à point..."] mieux pris ses mesures, et n’avait fait arriver ["mieux pris...": ligne ajoutée en même temps qu'est corrigé le début du folio suivant] [f° 342, F13. Trois traits d'interruption.] plus [en sc. sur "mieux"] à point une tentation. ["Précisément," barré] Gwynplaine, remué [corrige "étonné"] par le printemps et par la [corrige "cette"] montée de la séve universelle ["et par la montée..." corrige une rédaction initiale elle-même corrigée: "+ [corrigé +] par le travail profond de la nature et par ["cette" barré en correction cursive] le mouvement de la sève universelle, qui est un engrenage ["un engrenage" corrigé par "le nécanisme du monde"]] , était en train de faire le rêve de la chair [corrige +, qui corrige +]. [En marge, une addition ou une correction abandonnée en deux lignes: "Gwynplaine, mis en mouvement" et "impétueux de l'organisme". Elle n'est pas implantée, dans le texte en partie droite.] [A la copie, le texte antérieur aux corrections de la copiste est: "Gwynplaine, étonné par le printemps, Gwynplaine, mis en mouvement par le travail impétueux de l'organisme et par cette montée de la sève universelle qui est un engrenage, était en train de faire le rêve de la chair."] Le vieil homme insubmersible dont aucun de nous ne triomphe, s’éveillait en cet éphèbe attardé, resté adolescent à vingt-quatre [corrige "cinq"] ans. [phrase ajoutée] C’est à ce moment-là, c’est à la minute la plus trouble de cette crise que l’offre lui était faite, et que se dressait devant lui, éblouissante, la gorge nue du sphinx. La jeunesse est un plan incliné. [phrase ajoutée] Gwynplaine [corrige "Il"] penchait, on le poussait. Qui ? la saison [corrige "le printemps"] . Qui ? la nuit. Qui ? cette femme.
[Trait d'interruption.]
S’il n’y avait pas le mois d’avril, on serait bien plus vertueux. Les buissons en fleur, tas de [corrige "quels"] complices ! l’amour est le voleur, le printemps est le recéleur.
Gwynplaine était bouleversé [en sc. sur "éperdu"] . [Ces deux paragraphes sont ajoutés à l'addition qui suit.]
Il y a une certaine fumée du mal qui précède la faute, et qui n’est pas respirable à la conscience. L’honnêteté [corrige "innocence"] tentée a la nausée obscure de l’enfer. Ce qui s’entrouvre dégage [corrige + d'abord mis entre barres verticales puis barré] une exhalaison qui avertit les forts et étourdit les faibles. Gwynplaine avait ce mystérieux malaise.
Des dilemmes, à la fois fugaces et opiniâtres, [",
à la fois..." corrige "indistincts"] flottaient devant lui. [Toute la fin de cette addition est écrite
au-dessus d'un texte préparatoire au crayon. on distingue "lendemain"
et "oui, criait la chair Non disait l'âme"] [deux
ou trois mots barrés en correction cursive] La faute, obstinée
à s’offrir, prenait forme. Le lendemain, minuit, le Pont de Londres, le
page ? Irait-il ? Oui ! criait la chair. Non ! criait l’âme. ["Il
ya une certaine fumée...": addition de premier niveau]
Pourtant, disons-le, si singulier que cela semble au premier abord, cette question : — Irait-il ? — il ne se l’adressa pas une seule fois tout à fait distinctement ["tout à fait..." corrige "nettement"] . Les actions reprochables [la correction en "mauvaises actions" est barrée puis réécrite en variante sans choix, barrée à la copie] ont des endroits réservés. Comme les eaux-de-vie trop fortes, on ne les boit pas tout d’un trait ["on ne les boit..." corrige "le premier venu ne les déguste pas d'emblée"; de même à la copie] . [à la copie, VH ajoute "On approche de ses lèvres" puis le barre] ["Que fallait-il faire?": paragraphe écrit et barré en correction cursive] On pose le verre, ["on ne boit pas tout," barré; de même à la copie] on verra plus tard, la première goutte est déjà bien étrange. ["Pourtant, disons-le...": addition de second niveau]
Ce qui est sûr, c’est qu’il se sentait poussé par derrière vers l’inconnu. [paragraphe ajouté]
Et il frémissait [corrige "était éperdu"] . Et il entrevoyait un bord d’écroulement [corrige "de précipice" qui corrige "d'abîme"; la copiste corrige "de précipice"] . Et il se rejetait en arrière, ressaisi de tous côtés [corrige "toutes parts"; de même à la copie] par l’effroi. Il fermait les yeux [", il prenait sa tête dans ses mains" barré] . Il faisait effort pour se nier à lui-même cette aventure, et ["pour se nier...": ajouté] pour se remettre à douter de sa raison. Évidemment c’était le mieux [corrige "la sagesse"; de même à la copie] . Ce qu’il avait de plus sage [corrige "de mieux"; de même à la copie] à faire, c’était de se croire fou.
[Tait d'interruption.]
Fièvre fatale. Tout homme, surpris par l’imprévu, [copie: f° 301, désormais, le papier employé est gris] a eu dans sa vie de ces pulsations tragiques. L’observateur écoute toujours avec anxiété le retentissement [mise au pluriel abandonnée] des sombres coups de bélier du destin contre une conscience.
Hélas ! Gwynplaine s’interrogeait. [Cette phrase, ajoutée, se substitue à une addition abandonée: "Gwnplaine s'interrogeait, que devait-il faire?" Une autre addition, postérieure à celle-ci, est barrée; on distingue "+ + + + se poser ce point d'interrogation: que fallait-il faire? + + "] Là où le devoir est net, se poser des questions, c’est déjà la défaite ["la défaite" [en sc. sur +] variante sansd choix à "la chute", lui-même en sc. sur + qui corrige la première rédaction: "tomber". Une autre version encore, en addition ou correction abandonnée: "avoir failli"; à la copie, VH corrige "chute" en "défaite"] .
[Trait d'interruption]
[Les cinq premières lignes du pagraphe sont écrite au-dessus d'un texte préparatoire au crayon. On distingue au début "l'effronterie de l'aventure" et, à la fin: "une étoile de la mer"] Du reste, détail ["caractéristique" barré] à noter, ["détail...": ajouté et corrige "Disons-le"] l’effronterie de l’aventure ["n'était pas distincte pour lui.": rédaction initiale barrée et remplacée par l'addition qui suit] qui peut-être eût choqué un homme corrompu, ne lui apparaissait point. Ce que c’est que le cynisme, il l’ignorait. ["qui peut-être...": addition correctrice] L’idée de prostitution, indiquée plus haut, ne l’approchait pas. Il n’était pas de force à la concevoir. Il était trop pur pour admettre les hypothèses compliquées. De cette femme, il ne voyait que la grandeur. [faux départ: "Qu’il fût l’objet d’une impudeur"] Hélas ! il était flatté. Sa vanité [un mot barré en correction cursive] ne constatait [corrige "n'apercevait"] que sa victoire. Qu’il fût l’objet d’une impudeur plutôt que d’un amour, il lui eût fallu, pour conjecturer cela, beaucoup plus d’esprit que n’en a l’innocence. Près [en sc. sur "A côté"] de : Je t’aime, il n’apercevait pas ce correctif [en sc. sur +] effrayant : Je veux de toi.
Le côté bestial de la déesse lui échappait. [copie: fin d'une première bande de papier gris; une seconde, collée, prend la suite]
[f° 343, G13]
L’esprit peut subir des invasions. L’âme a ses vandales, les mauvaises pensées, qui viennent dévaster notre vertu. ["L'esprit..."; addition. Elle met au net des additions successives et leurs corrections. "L'esprit peut subir des irruptions. Une invasion de mauvaises pensées ["mauvaises pensées" corrige "pensées violentes" qui corrige + +] cela existe. ["Une invasion...": ajouté] Alors tout notre cerveau frissonne." A la copie, VH corrige "L'esprit peut subir des irruptions. Une invasion de mauvaises pensées, cela existe. Alors tout notre cerveau frissonne."] Mille idées en sens inverse se précipitaient sur Gwynplaine ["se précipitaient..." corrige "soufflaient en lui"] l’une après l’autre, quelquefois toutes ensemble. ["Un vaste(?) frémissement intérieur le bouleversait," barré] [dans l'interligne, cette addition barrée et non implantée dans le texe: "dedans de l'âme convulsée"] Puis [Après avoir supprimé le début de la phrase, Hugo n'a pas corrigé ici la minuscule.] il se faisait en lui ["en lui" ajouté] des silences. Alors il prenait sa tête entre ses mains, dans une sorte d’attention [corrige "égarement"(?)] lugubre [barré puis rétabli pour corriger "sinistre"] , pareille [corrige "pareil"] à la contemplation d’un paysage de la nuit.
[Ce paragraphe est écrit sur trois lignes préparatoires au crayon. on distingue les derniers mots: "ne rentrait pas".] Tout à coup il s’aperçut d’une chose, c’est qu’il ne pensait [en sc. sur "comprenait"; même correction par la copiste] plus. Sa rêverie [corrige "Son orage" qui corrige "Sa tempête" qui corrige "Sa tempête intérieure"] était arrivée à ce moment noir où tout disparaît.
Il remarqua aussi qu’il n’était pas rentré. Il pouvait être deux [en sc. cursive sur "trois"] heures du matin.
Il mit la lettre apportée par le page ["apportée..." corrige "de la duchesse"] dans sa poche de côté, mais s’apercevant qu’elle était sur son cœur, il l’ôta de là, et la fourra toute froissée dans le premier gousset venu de son haut de chausses, puis ["Il mit la lettre...": addition] il se dirigea vers ["l'inn" barré en correction cursive] l’hôtellerie, y pénétra silencieusement ["y pénétra..." corrige "entra"] , ne réveilla pas le petit Govicum ["le petit..." corrige "le boy de l'inn"; même correction par la copiste] qui l’attendait tombé de sommeil sur une table avec ses deux bras pour oreiller, referma la porte, alluma une chandelle à la lanterne de l’auberge, tira les verroux, donna un tour de clef à la serrure, ["donna...": ajouté] prit machinalement les précautions d’un homme qui rentre tard [ajouté; de même à la copie] ["alluma..." augmente et corrige "tira les verroux, fit les actions machinales qu'il y avait à faire"] , remonta l’escalier de la Green-Box, se glissa dans l’ancienne cahute qui lui servait de chambre, ["se glissa...": ajouté] regarda Ursus qui dormait, souffla sa chandelle, [", souffla...": ajouté] et ne se coucha pas.
[Le texte initial des deux premières lignes du pagraphe qui suit est écrit au-dessus d'un texte préparatoire au crayon. On distingue "l'insomnie"] Une heure passa ainsi. [phrase ajoutée] Enfin, las, se figurant que le lit c’est le sommeil, il posa sa tête sur son oreiller, sans se déshabiller, et il fit à l’obscurité [corrige "la nuit"] la concession de fermer les yeux ; ["Enfin, las...": addition] [Les deux additions qui pécèdent remplacent la rédaction initiale : " + + + + il s'étenbdit sur son lit"] mais l’orage d’émotions qui l’assaillait n’avait pas discontinué un instant [corrige "une minute"] . L’insomnie est un sévice de la nuit sur l’homme. Gwynplaine souffrait beaucoup. Pour la première fois de sa vie, il n’était pas content de lui. Intime douleur ["Intime douleur" corrige "Poignante anxiété" qui corrige "Profonde angoisse"] mêlée à sa vanité satisfaite. Que faire ? Le jour [rétabli après correction en "petit jour"] vint. Il entendit Ursus se lever, et n’ouvrit pas les paupières. Aucune trêve cependant. Il songeait à cette lettre. Tous les mots lui revenaient [corrige "apparaissaient"] dans une sorte de chaos [corrige "bouleversement"; de même à la copie] . ["Il était en pleine tempête intérieure." barré; répétition enregistrée à la copie où elle est supprimée par VH] Sous de certains souffles violents [en sc. sur +, qui corrige "profonds"] du dedans de l’âme, la pensée est un liquide. Elle entre en convulsions [d'abord au singulier] , elle se soulève, et il en sort quelque chose [corrige "on ne sait quoi"] de semblable au rugissement sourd de la vague. Flux, reflux, secousses, tournoiements, hésitations [un mot barré, sans doute en correction cursive] du flot devant l’écueil, grêles et pluies, ["dispersions de lueurs," barré en correction cursive] nuages avec des trouées où sont des lueurs, [f° 344, H13. Trait d'interruption.] arrachements misérables d’une écume inutile, folles ascensions tout de suite écroulées, immenses efforts perdus, apparition du naufrage de toutes parts, ["apparition...": ajouté] ombre et dispersion, tout cela, qui est dans l’abîme, est dans l’homme [en sc. sur +] . Gwynplaine était [oublié et ajouté] en proie à cette tourmente.
[Trait d'interruption.]
Au plus fort de cette angoisse, les paupières toujours fermées, ["Au plus fort...": addition; elle se substitue à "Tout à coup"] il entendit une voix exquise [corrige "douce"] qui disait : — Est-ce que tu dors [corrige "Est-ce que tu ne dors pas"] , Gwynplaine ? — Il ouvrit les yeux en sursaut et se leva ["Il ouvrit..." corrige "Il se dressa"] sur son séant, la porte de la cahute vestiaire ["de la cahute vestiaire" ajouté] était entrouverte, Dea apparaissait dans l’entrebaillement. Elle avait dans les yeux et sur les lèvres son ineffable [corrige "divin"] sourire. Elle [deux ou trois mots barrés en correction cursive, peut-être "se dressait dans"] se dressait charmante, dans la sérénité inconsciente de son rayonnement. Il y eut une sorte de minute sacrée. Gwynplaine la contempla, tressaillant, ébloui, ["la contempla..." corrige " [",+ + +, " barré en correction cursive] la regarda, éperdu [corrigé en "ébloui"(?)] et" ] réveillé ; [le texte de rédaction initiale se poursuit sur dix lignes barrées à grands traits, sans doute dans le cours de la rédaction du folio: "[+ + + + regard rayonnant [corrigé en "radieux"] + barré peut-être en correction cursive], toute sa tempête s'évanouit subitement, le rideau de nuages fut tiré, emporté, dissippé, ["le rideau...": addition] il sentit dans son âme ["éblouie" barré] comme une rentrée d'azur, et tout à coup il n'y eut plus rien en lui que la paix ineffable de l'adoration, ce fut une minute sacrée, et au dessus du coeur orageux de Gwynplaine, Dea resplendissait avec on ne sait quel inexprimable effet d'étoile de mer." La suite du folio et le folio suivant sont une réfection, peut-être immédiate de ces dix lignes.] réveillé de quoi ? du sommeil ? non, de l’insomnie. ["réveillé de quoi..." addition de second niveau destinée à raccorder la suite au texte précédent, après suppression des dix lignes ci-dessus] C’était elle, c’était Dea ; et tout à coup il [addition de premier niveau: "et tout à coup il" est écrit de la même écriture que le texte en premièrer rédaction qui suit] sentit [en sc. sur "sentant"] au plus profond de son être l’indéfinissable évanouissement de la tempête et la sublime descente du bien sur le mal ; le prodige [en sc. sur "miracle"] du regard d’en haut ["d'en haut" corrige "céleste"] s’opéra, la douce aveugle lumineuse, sans autre effort que sa présence, dissipa toute l’ombre en lui, le rideau de nuages [corrige "ténèbres"] s’écarta de cet [en sc. sur "son"] esprit comme tiré par une main invisible, et Gwynplaine, enchantement céleste, eut dans la conscience ["Gwnplaine, enchantement..." corrige "il eut dans l'âme [correction ou variante: "la conscience"]"] une rentrée d’azur. ["Ce fut une minute sacrée." déjà utillisé plus haut par deux fois et barré] ["L'âme": faux départ, à moins que les deux dernières lignes -"il redevint subitement..." n'aient été ajoutés, ce qui est plus probable] Il redevint subitement, par la vertu de cet ange ["par la vertu..." remplace "enlèvement céleste"] , le grand et bon Gwynplaine innocent. L’âme, [f° 345, I3] comme la création, a de ces confrontations mystérieuses ; tous deux se taisaient, elle la clarté, lui le gouffre, elle divine [en sc. sur "céleste"(?)] , lui apaisé, et au-dessus du cœur orageux de Gwynplaine, Dea resplendissait avec on ne sait quel inexprimable effet [à la copie VH rétablit "effet" après l'avoir corrigé en "aspect"] d’étoile de la mer.
[grand blanc jusqu'au bas du folio]
[f° 346, J13. Trait d'interruption.]
Comme c’est simple un miracle ! C’était, dans la Green-Box l’heure du déjeuner [corrige "luncheon" qui corrige +, qui corrige "déjeuner" qui corrige "luncheon"!] , et Dea venait tout bonnement savoir pourquoi Gwynplaine n’arrivait pas à leur petite table du matin ["n'arrivait pas..." corrige "n'arrivait pas." qui corrige "tardait." qui corrige "ne venait pas prendre le thé"] .
— Toi ! cria Gwynplaine, [corrige "Dea, cria Gwynplaine!"] et tout fut dit. Il n’eut plus d’autre horizon et d’autre vision ["d'autre horizon..." corrige "au dessus de lui"] que ce ciel où était Dea.
Qui n’a pas vu, après l’ouragan, le sourire immédiat de la mer, ne peut se rendre compte de ces apaisements là. Rien ne se calme plus vite que les gouffres. Cela tient à leur facilité d’engloutissement. Ainsi est le cœur humain. Pas toujours, pourtant. [phrase ajoutée]
Dea n’avait qu’à se montrer, toute la lumière qui était en Gwynplaine sortait et allait à elle ["sortait...": en sc. sur le même nombre de mots, à moins que VH ait repassé la plume sur le même texte], et il n’y avait plus derrière Gwynplaine ébloui qu’une fuite de fantômes [correction abandonnée en +] . Quelle pacificatrice que l’adoration !
[Trait d'interruption. Changement d'écriture.]
Quelques instants après, tous deux étaient assis l’un devant [corrige "près de"] l’autre, Ursus entre eux [corrige "vis à vis"] , Homo à leurs pieds. [addition déplacée: "Leurs genoux se touchaient."] La théïère, sous laquelle flambait une petite lampe, était sur la table. Fibi et Vinos étaient dehors et vaquaient au service. [phrase ajoutée]
Le déjeuner, comme le souper, se faisait dans le compartiment du centre. De la façon dont la table, très étroite, [", très étroite," ajouté, corrige + ajouté] était placée, Dea tournait le dos à la baie de la cloison qui répondait à la porte d’entrée de la Green-Box.
Leurs genoux se touchaient. Gwynplaine versait le thé à Dea.
Dea ["Le déjeuner comme...": addition. Elle se substitue à "Déa, son épaule touchant l'épaule de Gwnplaine,"] soufflait gracieusement sur sa tasse. Tout à coup, elle éternua. Il y avait en ce moment-là, ["Tout à coup..." remplace "A un certain moment, + +, elle vit", qui est inopportun, Dea étant aveugle] au-dessus de la flamme de la lampe, une fumée qui se dissipait, et quelque chose comme du papier qui tombait en cendre. Cette fumée avait fait éternuer Dea. [phrase ajoutée]
— Qu’est cela ? demanda-t-elle.
— Rien, répondit Gwynplaine.
Et il se mit à sourire.
Il venait de brûler la lettre de la duchesse.
[f° 347, K13. Trait d'interruption.]
L’ange gardien de la femme aimée, c’est la conscience de l’homme qui aime.
Cette lettre de moins sur lui le soulagea étrangement, et Gwynplaine sentit son honnêteté comme l’aigle [corrige "l'oiseau"] sent ses ailes.
Il lui sembla qu’avec cette fumée la tentation s’en allait [corrige "se dissipait"] , et qu’en même temps [oublié et ajouté] que ce papier, la duchesse tombait en cendre.
[Trait d'interruption.]
["Tout en se touchant du coude, du front, de l'épaule," barré; signe d'alinéa ajouté; majuscule à "tout"] Tout en mêlant leurs tasses, buvant l’un après l’autre dans la même, ils parlaient [correction en "devisaient" abandonnée] . Babil d’amoureux, caquetage de moineaux. Enfantillages dignes de la Mère l’Oie et d’Homère. ["Enfantillages..." remplace "On dirait que c'est le baiser qui parle." Correction peut-être immédiate puisque la suite développe.] Deux cœurs qui aiment, n’allez pas chercher plus loin la poésie ; et deux baisers qui dialoguent, n’allez pas chercher plus loin la musique.
— Sais-tu une chose ?
— Non.
— Gwynplaine, j’ai rêvé que nous étions ["des + + que nous étions" barré, peut-être en correction cursive] des bêtes, et que nous avions des aîles.
— Aîles, cela veut dire oiseaux, murmura Gwynplaine.
— Bêtes, cela veut dire anges, grommela Ursus.
La causerie continuait ["La causerie..." corrige "Dea reprenait"] :
— Si tu n’existais pas, Gwynplaine…
— Eh bien ?
— C’est qu’il n’y aurait pas de bon Dieu.
— Le thé est trop chaud. Tu vas te brûler, Dea.
— Souffle sur ma tasse.
— Que tu es belle ce matin !
— Figure-toi qu’il y a toutes sortes de choses que je veux te dire.
— Dis.
— Je t’aime !
— Je t’adore !
Et Ursus faisait cet aparte :
— Par le ciel, voilà d’honnêtes gens.
[Changement d'écriture.]
Quand on s’aime, ce qui est exquis, ce sont les silences. Il se fait comme des amas d’amour, qui éclatent ensuite doucement.
Il y eut une pause après laquelle Dea s’écria : [phrase ajoutée]
— ["Oh! s'écria Dea, " barré. La minuscule qui suit n'est pas corrigée.] Si tu savais ! [corrige une virgule] le soir, quand nous jouons la pièce, à l’instant [corrige "au moment"] où ma main touche ton front [corrige "tes cheveux"] … — Oh ! tu as une noble tête, Gwynplaine ! [corrige une virgule] — … à l’instant [corrige "au moment"] où je sens tes cheveux sous [corrige "dans"] mes doigts, c’est un frisson, [f° 348, L13. Trait d'interruption.] j’ai une joie du ciel, je me dis : Dans tout ce monde de noirceur ["ce monde..." corrige "cet immense [correction: "méchant"] monde de ténèbres [correction "d'obscurité"] "] qui m’enveloppe, dans cet univers de solitude, dans cet immense écroulement obscur où je suis, dans cet effrayant tremblement de moi et de tout, j’ai un point d’appui, le voilà. C’est lui. — C’est toi. ["— C’est toi." ajouté]
— Oh ! tu m’aimes, dit Gwynplaine. Moi aussi je n’ai que toi sur la terre. Tu es tout pour moi. Dea, que veux-tu que je fasse ? Désires-tu quelque chose ? que te faut-il ?
Dea répondit :
— Je ne sais pas. Je suis heureuse.
— Oh ! reprit Gwynplaine, nous sommes heureux !
[Trait d'interruption.]
Ursus éleva la voix sévèrement :
— Ah ! vous êtes heureux. C’est une contravention. Je vous ai déjà avertis. Ah ! vous êtes heureux ! ["Je vous ai déjà...": addition] Alors, tâchez qu’on ne vous voie pas. ["Alors, tâchez..." corrige "Alors tâchez qu'on ne vous voie pas." qui corrige "["Eh bien" barré en correction cursive] Alors, cachez-vous."] Tenez le moins de place possible. Ça doit se fourrer dans des trous, le bonheur. Faites-vous encore plus petits que vous n’êtes, si vous pouvez. [Le texte initial se poursuit par: "Et, en arrière, il essuya une larme.
— Père, dit Dea, comme vous faites votre grosse voix!
— C'est que je n'aime pas qu'on soit heureux, répondit Ursus." Ce dialogue est barré dans le cours de la rédaction et déplacé. Le texte qui le remplace est d'abord écrit en interligne puis, à partir de "petitesse des heureux", prend la suite du texte initial abandonné.]
Dieu mesure la grandeur du bonheur à la petitesse des heureux. Les gens contents doivent se cacher comme des malfaiteurs. ["Qu'ils sont peut-être." addition abandonnée] Ah ! vous rayonnez, méchants vers luisants que vous êtes, morbleu, on vous marchera dessus, et l’on fera bien. Qu’est-ce que c’est que toutes ces mamours-là ? Je ne suis pas une duègne, moi, dont l’état est de regarder les amoureux [corrige "gens"] se becqueter. Vous me fatiguez ["corrige "Vous m'ennuyez"; même correction par la copiste] , à la fin ! Allez au diable ! [phrase ajoutée; ajoutée par la copiste]
Et sentant que son accent revêche [corrige "sévère" qui corrige "grondeur"] mollissait jusqu’à l’attendrissement, il noya cette émotion dans un fort souffle de bougonnement. [Ce paragraphe en addition se substitue à "Et en arrière, furtivement, ["furtivement, " ajouté] il essuya une larme." La copiste opère les mêmes changements.]
— Père, dit Dea, comme vous faites votre grosse voix !
— C’est que je n’aime pas qu’on soit trop heureux, répondit Ursus.
Ici Homo fit écho à Ursus. On entendit un grondement sous les pieds des amoureux ["les pieds..." corrige "la table"].
Ursus se pencha et mit la main sur le crâne d’Homo [corrige "la tête du loup"] .
— C’est cela, toi aussi, tu es de mauvaise humeur. Tu grognes ["comme moi" barré]. ["Tu grognes." rétabli, au-dessus de "comme moi" barré, après correction en "bougonnes". A la copie, "Tu bougonnes, tu grognes." est corrigé, par VH ou par la copiste, par la rature de "Tu bougonnes," ] Tu hérisses ta mèche sur ta caboche de loup. [phrase ajoutée] Tu n’aimes pas [f° 349, M13. Trait d'interruption.] les amourettes. C’est que tu es sage. C’est égal, tais-toi. Tu as parlé, tu as dit ton avis; soit ; ["soit;" se substitue à "cela suffit au philosophe,"] maintenant silence.
Le loup gronda de nouveau. ["Ursus" barré]
[faux départ: "— Paix donc," ]
Ursus le regarda sous la table.
— Paix donc, Homo ! Allons, n’insiste pas, philosophe ! ["Allons,..." ajouté]
[Trait d'interruption. Jusqu'à quelques lignes avant la fin du folio, le texte à l'encre recouvre un texte préparatoire écrit au crayon. Il commence par "En ce moment apparaît derrière Dea". En partie gauche de la feuille, à hauteur des premières lignes, une ébauche au crayon qui n'a pas été reprise: "Bien lui en prit, car Homo allait s'élancer [variante après un petit blanc: "se fût élancé"]"] .
Mais le loup se dressa et montra les dents du côté de la porte.
— [le tiret barre "Urs"] Qu’est-ce que tu as donc, dit Ursus?
Et il empoigna Homo par la peau du cou.
[Avant d'être barrée dans le cours de l'écriture du folio et reprise ensuite, la rédaction initiale se poursuit ainsi :
"Pendant qu'Urus baissait la tête, Gwynplaine avait levé les yeux.
Il tenait à la main sa tasse de thé qu'il allait boire, il la posa sur la table avec la lenteur d'un ressort qui se détend, ses doigts restèrent ouverts, et il demeura immobile, l'oeil fixe, ne respirant plus.
Un homme était debout derrière Dea dans l'encadrement de la porte.
Dea, inattentive aux grincements [corrige "grognements" qui corrige " bougonnements"] du loup, toute à sa pensée et savourant en elle-même le son de voix ["inattentive..." corrige "toute à sa pensée et écoutant en elle-même le retentissement de la voix"] de Gwynplaine, se taisait, dans cette sorte d'extase propre aux aveugles, qui semble parfois ["les mettre de l'aute côté d'une cloison, hors de ce monde" barré en correction cursive] leur donner intérieurement [ajouté] un chnat" deux lignes, l'une corrigeant peut-être l'autre, non lues]
[En marge, à la même hauteur, une addition barrée à grands traits, sans trait d'implantation dans le texte mais reprise plus loin: "Cet homme était vêtu de noir avec une cape de justice. Il avait sur le front une perruque jusqu'aux sourcils, et il tenant à la main un baton de fer scuplté en couronne aux deux bouts."]
Dea, inattentive aux grincements du loup, toute à sa pensée, et savourant en elle-même le son de voix de Gwynplaine, se taisait, dans cette sorte d’extase propre aux aveugles, qui semble parfois leur donner intérieurement un chant à écouter et leur remplacer par on ne sait quelle musique idéale la lumière qui leur manque. La cécité est un souterrain d’où l’on entend la profonde harmonie éternelle. [Réécrit en marge, ce paragraphe reprend et développe la rédaction initiale qui précède.]
Pendant qu’Ursus, apostrophant Homo, [", apostrophant Homo," ajouté] baissait le front [en sc. sur "la tête"; correction autographe à la copie], Gwynplaine avait levé les yeux.
Il allait boire une tasse de thé, et ne la but pas, ["Il allait..." corrige "Il tenait à la main la tasse de thé qu'il allait boire," ] il la posa sur la table avec la lenteur d’un ressort qui se détend, ses doigts restèrent ouverts, et il demeura immobile, l’œil fixe, ne respirant plus.
Un homme était debout derrière Dea, dans l’encadrement de la porte.
Cet homme était vêtu de noir avec une cape de justice. Il avait ["sur le front" barré; de même à la copie] une perruque jusqu’aux sourcils, et il tenait à la main un bâton de fer sculpté en couronne aux deux bouts.
Ce bâton était court et massif. [paragraphe ajouté]
Qu’on se figure Méduse passant sa tête entre deux branches du paradis. [paragraphe en addition; de même à la copie]
Ursus, qui avait senti la commotion d’un nouveau venu et qui avait dressé la tête sans lâcher Homo [en sc. sur +] , reconnut ce personnage redoutable ["ce personnage..." corrige la rédaction initiale: "le wapentake"; au-dessous une correction abadonnée, plus longue, se terminant aussi par "redoutable"] .
Il eut un tremblement de la tête aux pieds.
Il dit bas à l’oreille de Gwynplaine :
— C’est le wapentake.
Gwynplaine se souvint. [faux départ: "Un cri de sur"]
Une parole de surprise allait lui échapper. Il la retint. [paragraphe ajouté dans l'interligne]
Le bâton de fer terminé en couronnes aux deux extrémités était l’iron-weapon [corrige "le weapon"].
C’était de l’iron-weapon [corrige "du weapon"] , sur lequel les officiers de justice urbaine ["justice urbaine" corrige "police"] prêtaient serment en entrant en charge, que les anciens wapentakes de la police anglaise tiraient leur qualification. ["Ce mot Wapentake s'appliquait aussi aux circonscriptions territoriales et signifiait canton." barré; de même à la copie] ["Il eut un tremblement...": addition. Elle se substitue à la première rédaction:
"Le baton de fer, d'où le Wapentake tire sa qualification, était ce redoutable Weapon ["+ + que touchaient en entrant en charge les officiers de police et" addition] sur lequel les + + + urbaine prêtaient serment."]
Au delà de l’homme à la perruque, dans la pénombre, on entrevoyait l’hôtelier consterné [corrige "terrifié"] .
L’homme, sans dire une parole, et personnifiant cette muta Themis des vieilles chartes, abaissa [f° 350, N13. Deux traits d'interruption.] son bras droit par dessus Dea rayonnante [corrige "souriante"; de même de la main de la copiste] , et toucha du bâton de fer l’épaule [correction abandonnée: "le front"(?)] de Gwynplaine, pendant que, [oublié et ajouté] du pouce de sa main gauche, il montrait derrière lui la porte de la Green-Box. Ce double geste, d’autant plus impérieux qu’il était silencieux, voulait dire [corrige "signifiait"] : Suivez-moi.
Pro signo exeundi, sursum trahe, dit le cartulaire normand. [paragraphe ajouté]
[Le texte initial qui se poursuivait ici avec plusieurs additions, allant de "Les arrestations silencieuses..." à "Restez tous où vous êtes.", a été entièrement barré à grands traits et est ensuite l'objet d'une réfection qui s'étend aux premières lignes du folio suivant. Les additions, elles, sont employées au chapitre suivant.
"Les arrestations silencieuses, recommandées dans certains cas, [", recommandées..." ajouté] étaient un coutume germanique née probablement de la Sainte-Wœhme. La loi [corrige "coutume"] normande les admettait aussi: canes latrant, sergentes silent. Et ailleurs: ["nil dicas nisi necesse." barré; la formule est sans doute de VH, dans l'attente de documentation; elle est claquée sur l'adage de mortuum nil dicas nisi bona] [blanc ménagé pour d'autres formules de la loi normande; elles viennent, plus tard, en addition]
[Trait d'interruption.]
Et ailleurs Sergenter agere, hoc est tacere. Les textes abondaient: — multos tenebimus bastonerios qui, obmutescentes, sergentare valeant. (Charte du roi Philippe. 1307) Facit imperator silentium (Landulphus Sagax. 16.) Surgere signo jussus mos est. — Taciturnior esto. ["Taciturnior esto" ajouté] ["Surgere..." corrige "+ + + trahe sursum."] — Hoc est esse in captione regis. (charte de Henri Ier d'Angleterre. cap. 53) ["Et ailleurs Sergenter...": addition]
Les arrestations silencieuses [corrige "Elles" après l'addition qui précède] étaient le contraire de la clameur de haro, et indiquaient [rétabli après correction en "signifiaient"] ["à tous" barré] qu'il convenait de se taire jusqu'à ce que certaines obscurités [mêlées à l'affaire" barré] fussent éclaircies. Elles signifiaient: questions réservées. ["certaines obscurités..." corrige "les questions soulevées par la police du comté fussent résolues." ] C'est de cette manière [corrige "façon"] qu'Edouard III fit saisir Mortimer dans le lit da sa mère Isabelle de France. Warwick, le faiseur de rois, usait volontiers de ce mode «d'attraire les gens.» [" «d'attraire les gens.» " corrige "d'arrestations." qui corrige "de prise de corps."] ["C'est de cette manière...": addition]
Ces prises de corps par le simple geste de justice [corrige "Elles" après l'addition qui précède] représentaient plutôt le mandat de comparution que le mandat d'arrêt.
Elles n'étaient parfois qu'un procédé d'infomation. [paragraphe ajouté]
Pour le peuple, peu au fait de ces nuances, elles étaient particulièrement terrifiantes [corrige "inquiétantes"].
L'Angleterre ["d'alors" barré en correction cursive] n'était pas alors ce qu'elle est aujourd'hui. Qu'on se souvienne du gazetier cuirassé. [phrase ajoutée] En plein dix-huitième siècle, Louis XV [corrige "le roi de France"] faisait enlever dans Picadily [corrige "Londres"] les écrivains qui lui déplaisaient; il est vrai que Georges II [corrige "le roi d'Angleterre"] [", bras non moins long," barré] empoignait en France [corrige "à Paris"] le prétendant au beau milieu de la salle de l'opéra ["le prétendant..." corrige ", et dans la salle de l'opéra, tel prince qui lui était désagréable, le prétendant, par exemple"] . C'étaient deux bras très longs; celui du roi de France allait jusque dans Londres et celui du roi d'Angleterre jusque dans Paris. Telles étaient les libertés." Depuis "L'Angleterre n'était pas alors...": addition barrée à gands traits. Englobée dans la grande addition qui va jusqu'à "Il tremblait profondément.", elle s'insère d'abord entre "...elles étaient particulièrement terrifiantes." et la rédaction initiale du paragraphe "Ni Gwynplaine ni Ursus ne prononcèrent...", puis est déplacée avant le paragraphe "Dea souriait."]
[+ corrigé en +, le tout barré] L'individu sur lequel venait se poser l'iron-Wapon ["sur lequel..." corrige "touché du Weapon"] n'avait d'autre droit que le droit ["le droit" corrige "celui"] d'obéir. Nulle réplique à cet ordre muet. [Un filet de raccord, raturé, aboutissant ici laisse penser que cette grande addition s'arrêtait ici dans un premier temps. Elle est alors placée après "...elles étaient particulièrement terrifiantes." et avant la rédaction initiale du paagraphe "Ni Gwynplaine ni Ursus ne prononcèrent...".] Les rudes pénalités anglaises menaçaient le réfractaire. ["C'est à elles que Daniel de Foë qui avait tâté du pilori + + + + allusion.": addition, barrée, à l'addition qui précède] ["Les rudes pénalités...": addition]
Sous ce rigide attouchement de la loi, Gwynplaine eut une secousse, puis fut [correction abandonnée: "demeura un instant"] comme pétrifié.
["Du reste" barré; de même à la copie] Au lieu d'être simplement effleuré ["sur l'épaule" barré en correction cursive] du baton de fer sur l'épaule, il en eût été violemment frappé sur la tête, qu'il n'eût pas été plus étourdi. Il se voyait [corrige "sentait"; de même à la copie] sommé de suivre l'officier de police. Mais pourquoi? il ne comprenait pas.
Ursus, jeté lui aussi de son côté dans un trouble poignant ["trouble poignant" corrige "profond trouble"] entrevoyait quelque chose d'assez [corrige "de plus"] distinct. Il songeait aux bateleurs et aux prédicateurs, ses concurrents, à la Green-Box dénoncée, au loup, ce délinquant, ["au loup..." corrige "à Homo, ce proscrit"] à son propre démêlé avec les trois inquisiteurs de Bishop's Gate; ["à son popre démêlé....": addition à l'addition en cours; addition autographe à la copie] et qui sait? peut-être, mais ceci était effrayant, aux bavardages malséants et factieux de Gwynplaine touchant [corrige "sur"] l'autorité royale. Il tremblait pofondément. [Depuis "L'indiviu sur lequel venait se poser": suite et fin de la grande addition commençant à "L'Angleterre n'était pas alors...". Elle s'insère d'abord entre "...elles étaient paticulièrement terrifiantes." et la rédaction initiale du paragraphe "Ni Gwynplaine ni Ursus ne prononcèrent..." qu'on transcrit maintenant.]
[Suite de la rédaction initiale barrée à grands traits et reprise ensuite:
"Ni Gwynplaine ni Ursus ne prononcèrent une parole. Tous deux eurent la même pensée, ne pas inquiéter Dea. Le loup l’eut peut-être aussi, car il cessa de gronder. Il est vrai qu’Ursus ne le lâchait point.
Du reste, aucune question n'était faisable, aucune résistance n'était possible.
Gwynplaine se leva.
Le wapentake lui retira le weapon de dessus l’épaule, et ramena à lui le bâton de fer qu’il tint droit, pantomime de police ["pantomime..." corrige "geste de justice"] comprise [mis au féminin] de tous, et qui intimait l’ordre que voici : — Que cet homme me suive et personne autre. Restez tous où vous êtes."]
[Trait d'interruption. C'est ssans doute une fois arrivé ici que VH décide de séparer le récit de l'arrestation de Gwynplaine des développements consacrés à l'histoire et aux formes de cette prise de corps silencieuse qui ont d'abord trouvé place ici en addition puis seront repris aux f° 354-355.]
Dea souriait [corrige "continuait de sourire"] . [paragraphe ajouté]
Ni Gwynplaine ni Ursus ne prononcèrent une parole. Tous deux eurent la même pensée : ne pas inquiéter Dea. Le loup l’eut peut-être aussi, car il cessa de gronder. Il est vrai qu’Ursus ne le lâchait point.
D’ailleurs Homo, dans l’occasion, avait ses prudences. Qui n’a remarqué certaines anxiétés intelligentes des animaux ? [phrase notée en 24 747, f° 147r]
Peut-être, dans la mesure de ce qu’un loup peut comprendre des hommes, se sentait-il proscrit.
Gwynplaine se leva.
[faux départ: "Nous venons de le dire, aucune"] Aucune résistance n’était possible, Gwynplaine le savait, [faux départ: "aucune ques"] il se rappelait les paroles d’Ursus ["il se rappelait..." corrige "pour avoir vu parfois ces arrestations"] , et aucune question n’était faisable.
Il demeura [corrige "resta"] debout devant le wapentake.
Le wapentake lui retira le weapon de dessus
[tout au bas du f° deux lignes préparatoires au crayon écrites sans doute à la seconde interruption de la rédaction de ce folio. Elles portent sur la conduite d'Homo, élément narratif dont l'insertion explique la réécriture du segment " Ni Gwynplaine ni Ursus ne prononcèrent... Restez tous où vous êtes." On distingue "Homo lui-même sembla comprendre, et il est vrai fermement tenu par Ursus, se taisait".]
[f° 351: blanc. f° 352, O13.]
l’épaule, et ramena à lui le bâton de fer qu’il tint droit dans la posture [corrige "l'attitude"] du commandement, attitude [corrige "posture" qui corrige "p+"] de police comprise alors de tout le peuple, et qui intimait l’ordre que voici :
— Que cet homme me suive, et personne autre. Restez tous où vous êtes. Silence.
Pas de curieux. La police a, de tout temps, eu le goût de ces clôtures-là.
Ce genre de saisie était qualifié « sequestre de la personne ».
Le wapentake, d’un seul mouvement, et comme une pièce mécanique qui pivote sur elle-même, tourna le dos et se dirigea d’un pas magistral [corrige "lent"] et grave vers l’issue [corrige "la sortie"] de la Green-Box.
Gwynplaine regarda Ursus.
Ursus eut cette pantomime composée d’un haussement d’épaules, des deux coudes aux hanches avec les mains écartées, et des sourcils froncés en chevrons, laquelle signifie : soumission à l’inconnu ["à l'inconnu" est l'objet d'une correction abandonnée: "sans comprendre"] .
["Puis" barré] Gwynplaine regarda Dea. Elle songeait. [phrase ajoutée; de même à la copie] Elle continuait de sourire.
Il posa l’extrémité de ses doigts sur ses lèvres, et lui envoya ["silencieusement" barré] un inexprimable baiser. [paragraphe ajouté]
Ursus, soulagé d’une certaine quantité de terreur par le dos tourné du wapentake, saisit ce moment pour glisser dans l’oreille de Gwynplaine ce murmure : — Sur ta vie, ne parle pas avant qu’on t’interroge ! [paragraphe en addition]
[un mot ou un début de mot, peut-être "Pass(ant)", barré en correction cursive] Gwynplaine, [déplacé en tête de phrase] avec ce soin de ne pas faire de bruit qu’on a dans la chambre d’un malade, ["Gwynplaine" barré et déplacé] décrocha de la cloison son chapeau et son manteau, s’enveloppa du manteau jusqu’aux yeux, et [ajouté] se rabattit le chapeau sur le front ; ne s’étant pas couché, il avait encore ses vêtements de travail et au cou son esclavine de cuir ; il [faux départ: "se mit en marche derrière le wapentake"] regarda encore une fois Dea ; le wapentake, arrivé à la porte extérieure [corrige "de sortie"] de la Green Box, éleva son bâton et commença [corrige "se mit"] à descendre le petit escalier de sortie ; alors Gwynplaine se mit en marche comme si cet homme le tirait avec une chaîne invisible ; Ursus regarda Gwynplaine sortir de la Green-Box ["regarda..." corrige "le regarda disparaître"] ; le loup, à ce moment là, ébaucha un grondement [corrige "râle"] plaintif [rétabli après avoir été barré], mais Ursus le tint en respect, et lui dit tout bas : Il va revenir.
Dans la cour, maître Nicless [corrige "l'hôtelier"; la copiste corrige] , d’un geste servile et impérieux ["d'un geste..." corrige "un doigt sur ses lèvres [corrige "sa bouche"]"; de même à la copie qui donne initialement "ses lèvres"] , refoulait les cris d’effarement dans les bouches de Vinos et de Fibi qui considéraient avec détresse [corrige "épouvante" qui corrige "stupeur"; la copiste corrige "épouvante"] Gwynplaine emmené, et les vêtements couleur deuil et le baton de fer du wapentake.
Deux pétrifications, c’étaient ces deux filles. Elles avaient des attitudes de stalactites.
Govicum, abasourdi, écarquillait [corrige "passait"] sa face dans une fenêtre entrebâillée. [Ces deux paragraphes sont en addition; ils le sont aussi à la copie de la main de la copiste.]
Le wapentake précédait Gwynplaine de quelques pas sans se retourner et sans le regarder, avec cette tranquillité [f° 353, P13.] glaciale que donne la certitude d’être la loi.
Tous deux, dans un silence de sépulcre, franchirent [corrige "traversèrent"; de même à la copie] la cour, traversèrent [", traversèrent" corrige "et"] la salle obscure du cabaret [corrige "de l'auberge"; de même à la copie] et débouchèrent sur la place. Il y avait là quelques passants groupés devant la porte de l’auberge ["quelques passants..." corrige "quelque foule"] , et le justicier-quorum à la tête d’une escouade de police. Ces curieux, stupéfaits ["Ces curieux..." corrige "Cette foule, stupéfaite"] , et sans souffler mot, s’écartèrent et se rangèrent ["s'écartèrent..." corrige "s'écarta et fit la haie"] avec la discipline anglaise devant le bâton du constable ; le wapentake prit la direction des petites rues, dites alors Little [ajouté] Strand, qui longeaient la Tamise ["des petites rues..." corrige "de la prison de Southwark"] ; et Gwynplaine, ayant à sa droite et à sa gauche les gens du justicier-quorum alignés en double haie ["alignés..." corrige "s'avançant en double haie" qui corrige "faisant la haie"] , pâle, sans un geste, sans autre mouvement que les pas qu’il faisait, couvert de son manteau ainsi que d’un suaire, s’éloigna lentement de l’inn ["Tad" barré en correction cursive] , marchant muet derrière l’homme ["noir" barré en correction cursive] taciturne, comme une statue qui suit un spectre [Formule notée en 24 747, f° 242].
[grand blanc jusqu'au bas du folio]
[f° 354, Q13. Trait d'interruption. Ce folio et le suivant sont une réfection postérieure aux additions du folio 350, ici reprises. Mais la présence d'un trait d'interruption suggère la précocité de cette réfection.]
L’arrestation [corrige "La prise de corps"] sans explication [corrige "silencieuse"; ces deux corrections ne sont pas simultanées], qui étonnerait fort un anglais d’aujourd’hui, était un procédé de police fort usité alors dans la Grande-Bretagne. On y eut [oublié, ajouté] recours, particulièrement pour les choses délicates [ajouté] auxquelles pourvoyaient en France les lettres de cachet, ["pour les choses..." addition; elle se substitue à "pour les choses délicates," et est l'objet d'une correction abandonnée] et en dépit de l’habeas corpus, jusque sous Georges II, et une des accusations dont Walpole eut à se défendre, ce fut d’avoir fait ou laissé arrêter Neuhoff de cette façon. L’accusation était probablement peu fondée, car Neuhoff, roi de Corse, [", roi..." ajouté] fut incarcéré par ses créanciers.
Les ["arrest" barré en correction cursive] prises de corps silencieuses, dont la Sainte-Vœhme en Allemagne avait fort usé, étaient ["recommandées" barré en correction cursive] admises par la coutume germanique qui régit une moitié des vieilles lois anglaises, et recommandées ["par" barré en correction cursive] , en certain cas, par la coutume normande qui régit l’autre moitié. Le maître de police du palais de Justinien s’appelait « le silentiaire impérial », silentiarius imperialis. Les magistrats anglais qui pratiquaient cette sorte de prise de corps, s’appuyaient sur de nombreux textes normands : — Canes latrant, sergentes silent. — Sergenter agere, id est tacere. — Ils citaient Lundulphus Sagax, paragraphe 16 : —Facit imperator silentium. — Ils citaient la charte du roi Philippe, de 1307 : — Multos tenebimus bastonerios qui, obmutescentes [corrige le même mot sans doute, mal calligraphié ou orthographié] , sergentare valeant. — Ils citaient les statuts de Henri Ier d’Angleterre, chapitre 53 : — Surge signo jussus. Taciturnior esto. Hoc est esse in captione regis. — Ils se prévalaient spécialement de ["Ils se prévalaient..." corrige plusieurs mots: "Ils + + spécialement + +", ces deux derniers mots eux-mêmes corrigés] cette prescription considérée comme faisant partie des antiques franchises féodales de l’Angleterre : — « Sous les viscomtes sont les serjans de l’espée, lesquels doivent justicier vertueusement à l’espée tous [corrige +] ceux qui suient malveses compagnies, gens diffamez d’aucuns crimes, et gens fuitis et forbannis,… et les doivent si vigoureusement et discrètement appréhender, que la bonne gent qui sont paisibles soient gardez paisiblement, et que les malfeteurs soient espoantés. » Être arrêté de la sorte, c’était être saisi « ô le glaive de l’espée » (Vetus Consuetudo Normanniæ, MS. I. part. Sect. I, cap. II). Les jurisconsultes invoquaient en outre, ["Les jurisconsultes..." corrige "["Du reste" ajouté] Aucun de ces textes n'est formellement aboli ["formellement aboli" corrige "abrogé"], et un jurisconsulte barrister pourrait même fort bien à l'heure où nous sommes ["où nous sommes" corrige "qu'il est"] citer"] in Charta Ludovici Hutini pro normannis, le chapitre servientes spathæ. Les servientes spathæ, dans l’approche graduelle ["l’approche graduelle" corrige "le progrès"] de la basse latinité [virgule barrée] jusqu’à nos idiomes, [" jusqu'à..." ajouté] sont devenus sergentes spadæ.
[f° 355, R13.Trait d'interruption.]
Les arrestations silencieuses étaient le contraire de la clameur de haro, et indiquaient qu’il convenait de se taire jusqu’à ce que de certaines obscurités fussent éclaircies.
Elles signifiaient : Questions réservées.
Elles indiquaient, dans l’opération de police, une certaine quantité de raison d’état.
Le terme de droit private, qui veut dire à huis clos, s’appliquait à ce genre d’arrestations. [paragraphe ajouté]
C’est de cette manière qu’Edouard III avait [faux départ: "fait saisir"] , selon quelques annalistes, fait saisir Mortimer dans le lit de sa mère Isabelle de France. Ici encore on peut douter, car Mortimer soutint un siège dans sa ville ["dans sa ville" ajouté] avant d’être pris.
Warwick, le Faiseur de rois, pratiquait [en sc. sur "se servait"] volontiers ["de" barré] ce mode « d’attraire les gens ».
Cromwell l’employait [corrige + qui corrige "en usait"] , surtout dans le Connaught, et ce fut, avec cette précaution du silence, que Trailie-Arcklo, parent du comte [corrige "duc"] d’Ormond, fut arrêté dans Kilmacaugh. [paragraphe en addition]
Ces prises de corps par le simple geste de justice représentaient plutôt le mandat de comparution que le mandat d’arrêt.
Elles n’étaient parfois qu’un procédé d’information, et impliquaient même, par le silence imposé à tous, un certain ménagement pour la personne saisie [", et impliquaient...": ajouté] .
Pour le peuple, peu au fait de ces nuances, elles étaient particulièrement terrifiantes.
L’Angleterre, qu’on ne l’oublie point, n’était pas en 1705, ni même beaucoup plus tard, ce qu’elle est de nos jours [corrige "aujourd'hui"] . L’ensemble était ["L'ensemble était" corrige "C'était un ordre social", repris plus loin] très confus et parfois très oppressif ; ["et" barré] Daniel de Foë, qui avait tâté du pilori, ["le" barré] caractérise quelque part l’ordre social anglais ["l’ordre..." ajouté, corrige "le"] par ce mot : « les mains de fer de la loi ». ["L'Angleterre, qu'on...": addition de second niveau] Il n’y avait pas seulement la loi, il y avait l’arbitraire. [Cette phrase est une addition de troisième niveau.] Qu’on se rappelle Steele chassé du parlement, ["Hobb" barré en correction cursive] Locke chassé de sa chaire ; Hobbes et [ajouté au-desus de "Hume," barré] Gibbon, forcés de fuir ; ["Qu'on se rappelle...": addition de premier niveau] ["Et apès eux" barré] Charles Churchill, Hume [remplace "John Wilkes"] , Priestley, persécutés ; John Wilkes mis à la Tour. ["John..." ajouté] Qu’on énumère, le compte sera long, les victimes du statut seditious libel. ["Enfin + ["+" ajouté] qu'on se souvienne" barré avec l'ajout de l'addition suivante] ["Et après eux Charles Churchill...": addition de deuxième niveau] L’inquisition avait un peu fusé par toute l’Europe ; ses pratiques [corrige "procédés"] de police faisaient école. Un attentat monstrueux à tous les droits était possible en Angleterre ; ["L'inquisition...": addition de troisième niveau] qu’on [en première rédaction: "Qu'on"] se souvienne du Gazetier cuirassé. En plein dix-huitième siècle, Louis XV faisait enlever dans Picadily les écrivains qui lui déplaisaient. Il est vrai que Georges II empoignait en France le prétendant au beau milieu de la salle de l’opéra. C’étaient deux bras très-longs ; celui du roi de France allait jusque dans Londres, et celui du roi d’Angleterre jusque dans Paris. Telles étaient les libertés.
[Trait d'interruption.]
Ajoutons qu’on exécutait volontiers les gens dans l’intérieur des prisons ; escamotage mêlé au supplice ; expédient hideux ["expédient..." corrige "procédé hideux"] ["escamotage..." corrige "procédé hideux qui complique le supplice d'un assassinat(?)"] , auquel l’Angleterre revient en ce moment ; donnant ainsi au monde le singulier [ajouté] spectacle d’un grand peuple, qui voulant améliorer, choisit le pire, et qui [", qui voulant améliorer..." remplace "qui en plein jour"] ayant devant lui, d’un côté le passé, de l’autre le progrès, se trompe de visage, et prend la nuit pour le jour. [paragraphe ajouté; également ajouté par la copiste]
[f° 356, S13. Trait d'interruption.]
Ainsi que [corrige "Comme"] nous l’avons dit, selon les très rigides [corrige "sévères"] lois de la police d’alors ["Ainsi que..." : ajout. VH a d'abord écrit: "Comme nous l'avons dit, la sommation de suivre ..." puis barré "Comme nous l'avons dité" et réécrit au-dessus: "Comme nous l'avons dit, selon les très sévères lois de la police d'alors, la sommation..." et enfin corrigé "Comme" et "sévères".] , la sommation de suivre le wapentake, adressée à un individu, impliquait pour toute autre personne présente le commandement [corrige "l'ordre"] de ne point bouger.
Quelques ["obstinés" : addition abandonnée] curieux pourtant s’obstinèrent [corrige "se risquèrent"] , et accompagnèrent de loin le cortège qui emmenait Gwynplaine.
Ursus fut du nombre.
Ursus avait été pétrifié autant qu’on a le droit de l’être. Mais, [virgule mal placée] Ursus tant de fois assailli [corrige "harcelé"] par les surprises de la vie errante [correction abandonnée: "nomade"] et par les méchancetés de l’inattendu, avait, comme un navire de guerre, son branlebas de combat qui appelle au poste de bataille tout l’équipage, c’est à dire toute l’intelligence.
Il se dépêcha de n’être plus pétrifié, et se mit à réfléchir. [changement d'écriture] Il ne s’agit pas d’être ému, il s’agit de faire face.
Faire face à l’incident, c’est le devoir de quiconque n’est pas imbécile.
Ne pas chercher à comprendre, mais agir. [la phrase se substitue à "Gwynplaine parti,"] Tout [majuscule corrige minuscule] de suite, Ursus s’interrogea.
Qu’y avait-il à faire ?
Gwynplaine parti, Ursus se trouvait ["Ursus avait été pétrifié...": addition; elle se substitue au texte initial: "Quand Gwynplaine fut parti, Usus se trouva"; à la copie: addition, de la main de la copiste, sur une bande de papier collée entre les deux morceaux de la feuille initiale] placé entre deux craintes : la crainte pour Gwynplaine, qui lui disait de suivre ; la crainte pour lui-même, qui lui disait de rester.
Ursus avait l’intrépidité d’une mouche [corrige "un lièvre"; de même à la copie] et l’impassibilité d’une sensitive. Son tremblement fut [corrige "était"; de même à la copie] indescriptible. Pourtant il prit héroïquement son parti, et se décida à braver la loi et à suivre le wapentake, tant il était inquiet ["était inquiet [en sc. sur "épouvanté"] " corrige "frémissait"; à la copie, la copiste corrige "épouvanté" en "inquiet"] de ce qui pouvait arriver a Gwynplaine.
Il fallait qu’il eût bien peur pour avoir tant de courage.
[Trait d'interruption; changement d'écriture.]
A quels actes de vaillance ["de vaillance" corrige "d'audace"] l’épouvante peut pousser un lièvre ! [paragraphe ajouté; ajouté par la copiste]
Le chamois éperdu saute les précipices. Être effrayé jusqu’à l’imprudence, c’est une des formes de l’effroi. [paragraphe ajouté, en deux temps; ajouté, en deux temps également, par VH à la copie]
[Les huit premières lignes du paragraphe qui suit, par lequel commence la rédaction après l'interruption, sont écrits au-dessus d'un texte préparatoire au crayon.] Gwynplaine avait été enlevé plutôt qu’arrêté. L’opération de police s’était exécutée [corrige "faite"] si rapidement que le champ de foire, d’ailleurs peu fréquenté à cette heure matinale, avait été à peine ému. [corrige virgule] Presque [ajouté] personne ne se doutait dans les baraques du Tarrinzeau-field [corrige "bowling-green"; de même à la copie] que le wapentake était [correction abandonnée: "fût"] venu chercher l’Homme qui Rit. De là le peu de foule.
Gwynplaine, grâce à son manteau et à son feutre, qui se rejoignaient presque sur son visage, ne pouvait être reconnu des passants.
Avant de sortir à la suite de Gwynplaine, Ursus eut une précaution. Il prit à part maître Nicless [corrige "l'hôtelier"] , le boy Govicum [substitué à "de l'inn"] , Fibi et Vinos, et leur prescrivit [corrige "recommanda"] le plus absolu silence vis à vis de Dea, ignorante de tout ; qu’on eût soin de ne pas souffler un mot ["pas souffler..." corrige "rien dire ni faire"] qui pût lui faire soupçonner ce qui s’était passé ; qu’on lui expliquât par les soins de ménage de la Green-Box l’absence de Gwynplaine et d’Ursus, ["qu’on lui expliquât...": addition] que d’ailleurs c’était bientôt l’heure de son sommeil du milieu du jour, et qu’avant que Dea fût éveillée, il serait de retour, lui Ursus, avec Gwynplaine; tout cela n’étant qu’un malentendu, un mistake, comme on dit en Angleterre ; qu’il leur serait bien facile d’éclairer les magistrats et la police , qu’ils feraient ["sentir" barré] toucher du doigt ["qu'il leur serait..." corrige "qu'on s'expliquerait avec la police, qu'on éclairerait"] la méprise, et que tout à l’heure, Gwynplaine et lui, allaient revenir. Surtout que personne ne dît rien à Dea. Ces recommandations faites, il partit. [paragraphe en addition; ajouté aussi par la copiste sur une bande de papier supplémentaire collée.]
Ursus put, sans être remarqué, suivre Gwynplaine ["et savoir où il allait" barré] . Quoi qu’il se tînt à la plus grande distance possible, il s’arrangea de façon à ne pas le perdre de vue ["s'arrangea..." corrige "ne perdit pas de vue Gwnplaine un seul instant"] . La hardiesse dans le guet, c’est la bravoure des timides [corrige "poltrons" lui-même en sc. sur +] . [phrase ajoutée; ajoutée par la copiste]
[f° 357, T13.]
Après tout, et si solennel [corrige "tragique"; même correction par la copiste] que fût l’appareil, Gwynplaine n’était peut-être ["n’était peut-être" oublié et ajouté] que cité à comparaître devant le magistrat de simple police ["simple police" corrige + qui corrige "municipal"] pour quelque infraction sans gravité.
Ursus se disait que cette question allait être tout de suite résolue.
L’éclaircissement se ferait, sous ses yeux mêmes, par la direction que prendrait l’escouade ["d'+" barré] emmenant Gwynplaine au moment où, parvenue [corrige "arrivée"] aux limites du Tarrinzeau-field [corrige "bowling green"; de même à la copie] , elle atteindrait l’entrée des ruelles [corrige "petites rues"] du Little-Strand ["du Little-Strand" ajouté].
Si elle tournait à gauche, c’était qu’elle conduisait Gwynplaine à la maison de ville de Southwark. ["En ce cas"(?) barré en correction cursive] Peu [majuscule corrige minuscule] de chose à craindre alors : quelque méchant [en sc. sur +, qui corrige "petit"] délit municipal, une admonition du magistrat, deux ou trois [corrige "quelques"] shellings d’amende, puis Gwynplaine serait lâché, et la représentation de Chaos vaincu aurait lieu le soir même comme à l’ordinaire. Personne ne se serait aperçu de rien. [phrase ajoutée; ajoutée par la copiste]
Si l’escouade tournait à droite, c’était sérieux.
Il y avait de ce côté-là des lieux sévères.
[Le paragraphe qui suit est écrit au dessus d'un texte préparatoire, inscrit au crayon dans le tiers droit de la partie droite de la page.] A [en sc. sur "Dans"] l’instant où le wapentake [corrige "justicier quorum"] , menant les deux files d’argousins entre lesquelles marchait [corrige "marchaient le wapentake et"] Gwynplaine, arriva aux petites rues, [A cette hauteur, la suite de la copie est écrite sur une autre feuille collée à la précéente.] Ursus, haletant, regarda [corrige "regarda, haletant"] . Il existe [corrige "y a"] des moments où tout l’homme passe dans les yeux.
De quel côté allait-on tourner ?
On tourna à droite.
Ursus, chancelant d’effroi [corrige "épouvante"; même correction par la copiste] , [", chancelant..." ajouté] s’appuya contre un mur pour ne point [en sc. sur "pas"] tomber.
Rien d’hypocrite comme ce mot qu’on se dit à soi-même : Je veux savoir à quoi m’en tenir. Au fond on ne le veut pas du tout. On a une peur profonde. L’angoisse se complique d’un effort obscur pour ne point conclure. On ne se l’avoue pas, mais on reculerait volontiers, et quand on a avancé, on se le reproche.
C’est ce que fit Ursus. Il pensa avec frisson :
— Voilà qui tourne mal. [faux départ: "Qu’est-ce que je fais là à suivre Gwynplaine ?"] J’aurais toujours su cela assez tôt. Qu’est-ce que je fais là à suivre Gwynplaine ?
Cette réflexion faite, comme l’homme n’est que contradiction , il doubla le pas, et, maîtrisant son anxiété, il se hâta, ["Rien d'hypocrite...": addition; de même à la copie, de la main de la copiste. Cette addition est postérieure à la suivante. Elle se substitue à la rédaction initiale: "Pourtant, il maîtrisa cette anxiété et doubla le pas," qui, elle-même avait été d'abord corrigée en "+ +, il doubla le pas, l'inquiétude n'étant que contradiction, et, maîtrisant son anxiété, il se hâta" ; à la copie, la copiste corrige par le texte définitif le texte initial "Pourtant, il maîtrisa cette anxiété et doubla le pas"] afin de se rapprocher de l’escouade et de ne pas ["se la" barré en correction cursive] laisser se rompre dans le dédale des rues [en sc. sur "ruelles"] de Southwark le fil entre Gwynplaine et lui Ursus.
Le cortége de police ne pouvait aller vite, à cause de sa solennité.
Le wapentake l’ouvrait.
Le justicier-quorum le fermait.
Cet ordre impliquait une certaine lenteur.
Toute la majesté possible au recors éclatait [corrige "resplendissait"] dans le justicier-quorum. ["C'était un bonhomme tragique." barré et déplacé] Son costume tenait le milieu entre le splendide accoutrement du docteur en musique d’Oxford et l’ajustement sobre et noir du docteur en divinité de Cambridge. Il avait des habits de gentilhomme sous un long godebert qui est une mante fourrée de dos de lièvre de Norvége ["un long godebert..." corrige "une longue mante funèbre fourréee d'une toison grise"; même correction par la copiste] . Il était mi-parti gothique et moderne, ayant [en sc. sur "avec"] une perruque comme Lamoignon et des manches-mahoîtres comme Tristan l’Hermite. Son gros œil rond couvait Gwynplaine avec une fixité de hibou. Il marchait en cadence. Impossible de voir un bonhomme plus farouche. [La phrase, peut-être ajoutée, en tout cas déplacée, corrige une phrase de même longueur s'achevant par "tragique". A la copie, VH corrige "tragique" en "farouche"; à peu près à cette hauteur une bande de papier collée recouvre la fin du folio initialement utilisé.]
Ursus, un moment dérouté dans l’écheveau brouillé ["écheveau brouillé" corrige "enchevêtrement"] des ruelles, ["Le cortège de police...": addition. Elle est antérieure à la précédente, mais postérieure à la suivante.] parvint à rejoindre [rédaction initiale: "Il rejoignit"] , près de Sainte-Marie Over-Ry le cortége qui, heureusement, avait été ["arrêté"(?) barré en correction cursive] retardé dans le préau de l’église par une batterie d’enfants et de chiens, incident habituel des rues de Londres, dogs and boys, disent les vieux registres de police, lesquels [en sc. sur "qui"] font passer les chiens avant les enfants.
Un homme conduit au magistrat par les gens de police étant, après tout, un événement fort vulgaire, et chacun ayant ses affaires, les curieux s’étaient dispersés [corrige "se dispersèrent"] . Il n’était resté [corrige "ne resta"] , sur la piste de Gwynplaine, qu’Ursus. ["Un homme...": addition; elle est antérieure à la précédente.]
On passa devant les deux chapelles, qui se faisaient face, des Recreative Religionists et de la Ligue Halleluiah, deux sectes d’alors qui subsistent encore aujourd’hui. [Ce paragraphe est une addition de second niveau ajoutée à la précédente. Addition, à la copie, de la main de la copiste.]
Puis [ajouté] le cortége serpenta de ruelle en ruelle, choisissant de préférence les roads non encore bâtis, les rows où poussait l’herbe et les lanes déserts, et ["les roads..." corrige "les lieux déserts, et"] fit force zigzags.
Enfin il s’arrêta.
On était dans une ruette exiguë. [faux départ: "Cette rue était +] Pas de maisons, si ce n’est à l’entrée, deux ou trois masures ["si ce n'est..." ajouté]. Cette ruette était composée de deux murs, l’un à gauche, bas ; l’autre à droite, haut. La muraille haute était noire et [en sc sur une virgule] maçonnée à la ["ruette..." addition; elle se substitue à "ruelle obscure et tortue(?); tout un côté de cette ruette [en sc. sur "rue"] était bordée par une haute muraille noires maçonnée à la saxonne"; même correction à la copie de la main de la copiste] [f° 358, U13. Trait d'interruption.] saxonne, [ajouté pour le raccord après la réfection qui précède] avec des créneaux, des scorpions et des carrés de grosses grilles sur des soupiraux [inscrit après deux autres corrections de "trouées"(?)] étroits [corrige "étroites"] . Aucune fenêtre ; ça et là seulement des fentes, qui étaient d’anciennes embrasures de pierriers et d’archegayes. On voyait, ["On voyait," ajouté] au pied de ce grand mur, comme le trou au bas de la ratière, un tout petit guichet, très surbaissé [corrige "bas"; même correction par la copiste] ["un tout petit..." corrige "une toute petite porte très basse"] .
Ce guichet, emboîté dans un lourd plein cintre de pierre, avait un judas grillé, un marteau massif, une large serrure, des gonds noueux et robustes, un enchevêtrement de clous, une cuirasse de plaques et de pentures, et était fait de fer plus que de bois. [paragraphe ajouté]
Personne dans la ruette. Pas de boutiques. Pas de passants. Mais on entendait tout près un ["grand", barré] bruit continu [ajouté] comme si la ruette [corrige "elle"] eût été parallèle à un torrent. C’était un vacarme de voix et de voitures. Il était [corrige "est"] probable qu’il y avait de l’autre côté de l’édifice noir une grande rue, sans doute la rue principale de Southwark, laquelle [corrige "qui"] se reliait d’un bout à la route de Cantorbery et de l’autre bout au pont de Londres. [Ce paragraphe et la première ligne du suivant sont écrits au-dessus d'un texte préparatoire au crayon.]
Dans toute la longueur de la ruette un guetteur, en dehors du cortège enveloppant [en sc. sur "entourant"] Gwynplaine, n’eût vu d’autre face humaine que le blême profil ["de Gwynpl" barré en correction cursive] d’Ursus, risqué et ["risqué et" ajouté] à demi avancé dans la pénombre ["la pénombre" corrige "l'ombre au dehors"; même correction par la copiste] d’un coin de mur, regardant et ayant peur de voir. Il s’était posté dans le repli que faisait un zigzag de la rue. [phrase ajoutée; même ajout par la copiste]
L’escouade se groupa devant le guichet.
Gwynplaine était au centre, mais avait maintenant derrière lui ["derrière lui" ajouté] le wapentake et son bâton de fer ["derière lui" barré et déplacé] .
Le justicier-quorum leva le marteau et frappa trois coups.
Le judas s’ouvrit.
Le justicier quorum dit :
— De par sa majesté.
La pesante porte de chêne et de fer tourna sur ses gonds et une ouverture livide et froide ["livide..." corrige "ténébreuse"] s’offrit, pareille à une bouche d’antre. Une voûte hideuse se prolongeait dans l’ombre.
Ursus vit Gwynplaine disparaître là-dessous.
[Trait d'interruption.]
[La rédaction initiale se poursuit au f° 362.]
[f° 359, V13. Comme l'indiquent les additions au début du f° 362, les folios 359-361 n'appartiennent pas à la rédaction initiale.]
Le wapentake entra après Gwynplaine.
Puis le justicier-quorum.
Puis toute l’escouade.
Le guichet se referma. [au bas de la feuille en partie gauche, et écrites au haut droit de la feuille retournée, ces mêmes quatre paragraphes, avec un faux départ en seconde ligne pour "Puis toute l'escouade". Comme Hugo écrit sur une double feuille pliée, il est probable qu'il a commencé le texte en orientant mal sa feuille, s'en est apeçu et l'a retournée.]
La pesante porte revint s’appliquer hermétiquement sur ses chambranles de pierre sans qu’on vît qui l’avait ouverte ni qui la refermait [corrige "fermait"]. Il sembla que les verroux rentrassent d’eux mêmes dans leurs alvéoles. Quelques-uns de ces mécanismes inventés par l’antique intimidation [corrige "terreur"; même correction de la main de la copiste] existent encore dans les très vieilles ["dans les..." corrige "dans quelques vieilles"] maisons de force ["existent..." corrige "sont encore visibles dans les [variante: "quelques"] très anciennes prisons"] . Porte dont on ne voyait pas le portier. Cela faisait ressembler le seuil [corrige "l'entrée"] de la prison au seuil [corrige "à l'entrée"] de la tombe.
Ce guichet était la porte basse de la geôle [corrige "prison"] de Southwark.
Rien dans cet édifice vermoulu et revêche ne démentait la mine discourtoise propre à une prison. [paragraphe en addition; il se substitue dans le cours de la rédaction à une première rédaction inachevée, immédiatement reprise plus bas: "D'+ + + + d'autrefois +, d'un temple payen consacré aux mogons qui sont d'anciens dieux anglais, d'une sorte de palais bâti [correction "construit"] par les vieux cattieuchlans +"]
Un temple payen [oublié et ajouté] , construit par les vieux cattieuchlans pour les mogons, qui sont d’anciens dieux anglais, devenu palais pour Ethelulfe et forteresse pour saint Édouard, puis élevé ["puis élevé" corrige "élevé enfin"] à la dignité de prison en 1199 par Jean sans terre, c’était là la geôle de Southwark. Cette geôle, d’abord traversée par une rue, comme Chenonceaux l’est par une rivière, avait été pendant un siècle ou deux ["un siècle..." corrige "quelque temps"] une gate, c’est à dire une porte de faubourg ; puis on avait muré le passage. Il reste en Angleterre quelques prisons de ce genre ; ainsi, à Londres, Newgate ; à Cantorbery, Westgate ; ["à Cantorbery..." ajouté] à Édimbourg, Canongate. En France la Bastille a d’abord été une porte.
[début d'un ensemble d'additions jusqu'à "...près l’abbaye de Woburn."]
Presque toutes les geôles d’Angleterre offraient le même aspect; ["Presque toutes..." ajouté à l'addition qui suit, laquelle commençait par "La geôle de Southwark," barré] grand mur au dehors, ["était" barré] au dedans une ruche de cachots. Rien de funèbre comme ces ["vieilles" barré en correction cursive] gothiques prisons où l’araignée et la justice tendaient leurs toiles, et où John Howard, ce rayon, [deux mots barrés ("de jour"?)] n’avait pas encore pénétré. Toutes, comme l’antique géhenne de Bruxelles, eussent pu être appelées Treurenberg, maison des pleurs.
On éprouvait, en présence de [corrige "devant" à la copie autographe] ces constructions inclémentes et sauvages, la même angoisse que ressentaient les navigateurs antiques devant les enfers d’esclaves dont parle Plaute, îles ferricrépitantes, ferricrepiditæ insulæ, lorsqu’ils passaient assez près pour entendre le bruit des chaînes. [paragraphe ajouté à l'addition en cours; ajouté à la copie de la main de VH]
La geôle de Southwark, ancien lieu d’exorcismes et de tourments, avait d’abord eu pour spécialité les sorciers, ainsi que l’indiquaient ces deux vers gravés sur une pierre fruste [corrige "vermoulue"] au-dessus du guichet ["bas" barré]:
Sunt arreptitii vexati dæmone multo.
Est energumenus quem dæmon possidet unus*.
[* Dans le démoniaque un enfer se démène.
Avec un simple diable [variante sans choix: "Si l'on n'a qu'un seul diable"] , on n’est qu’énergumène.] [ Cette note est ajoutée en marge après rotation de la feuille de 90° en sens inverse des aiguilles d'une montre, précédée de la mention "ou: (mieux)" qui se réfère à une autre version, à côté, à l'encre rouge: "Est-on démoniaque? On a, sous son linceul, / Plusieurs diables au corps. Energumène? un seul." Les deux versions sont reportées, avec la variante pour la première, par la copiste; VH les barre et réécrit celle retenue.]
Vers qui fixent la nuance délicate entre le démoniaque et l’énergumène. ["Presque toutes les geôles d’Angleterre...": addition de pemier niveau]
Au dessus de cette inscription était clouée à plat contre le mur, signe de haute justice, une échelle de pierre, laquelle avait été de bois jadis, mais changée en pierre par l’enfouissement dans la terre pétrifiante du lieu nommé Aspley-Gowis, près l’abbaye de Woburn. [paragraphe en addition de second niveau]
La prison de Southwark, aujourd’hui démolie, [", aujourd'hui..." ajouté] donnait sur deux rues, auxquelles, comme gate, elle avait autrefois servi de communication, et avait deux portes [en sc. sur "entrées"] : sur la grande rue, la porte [corrige "l'entrée"] d’apparat [corrige "monumentale"; de même à la copie] , destinée aux autorités, et sur la ruette, la porte [corrige "l'entrée"] de souffrance, destinée au [en sc. cursive sur "aux"] reste des vivants. Et aux trépassés aussi ; car lorsqu’il mourait un prisonnier dans la geôle, c’était par là que le cadavre sortait. Une libération comme une autre.
La mort, c’est l’élargissement dans l’infini.
C’est par l’entrée de souffrance que Gwynplaine venait d’être introduit dans la prison.
[f° 360, X13. Le fait que, à la copie, le texte de ce folio soit écrit sur une bande de papier ajoutée et collée rend très probable son intercalation. Le changement d'écriture, au ms, le confirme.]
La ruette, nous l’avons dit, n’était autre chose qu’un petit chemin caillouté, serré entre deux murs se faisant face ["se faisant face" ajouté] . Il y a en ce genre à Bruxelles ["la rue" barré en correction cursive] le passage dit : Rue d’une personne. Les deux murs étaient inégaux ; le haut mur [ajouté; de même à la copie] était la prison, le mur [ajouté; de même à la copie] bas était le cimetière. Ce mur bas, cloture du pourrissoir mortuaire de la geôle, ne dépassait guère la stature d’un homme. Il était percé d’une porte presque [ajouté] vis-à-vis le guichet de la geôle. Les morts n’avaient que la peine de traverser la rue. Il suffisait de longer le mur une vingtaine de pas pour entrer au cimetière. [phrase ajoutée] Sur la muraille haute était appliquée une [en sc. sur "l' "] échelle patibulaire, en face sur la muraille basse était sculptée une tête de mort. L’un de ces murs n’égayait pas l’autre.
[blanc jusqu'au bas du folio]
[f° 361, Y13. Grand blanc au haut du folio. Les folios 359-361 n'appartiennent pas à la rédaction initiale.]
Quelqu’un qui, en ce moment-là, eût regardé de l’autre côté de la prison, du côté de la façade, eût aperçu ["eût aperçu" ajouté; de même à la copie] la grande rue de Southwark, et [ajouté; de même à la copie] eût pu remarquer, en station ["en station" ajouté] devant la porte ["d'apparat de la geôle" barré en correction cursive] monumentale et officielle de la geôle, une voiture de voyage, reconnaissable à sa « loge de carrosse » qu’on appellerait aujourd’hui cabriolet. Un cercle de curieux entourait cette voiture. Elle était ["voyage..." corrige "poste arrêtée et entourée d'un cercle de curieux. Cette voiture, bien attelée, était"] armoriée, et l’on en avait vu descendre un personnage qui était entré dans la prison ; probablement un magistrat, conjecturait la foule ; les magistrats en Angleterre étant souvent nobles et ayant presque toujours ["le" barré] « droit d’écuage ». En France, blason et robe s’excluaient presque ; ["en Angleterre point." barré. La rédaction initiale du folio s'arrêtait là; ce qui suit est en addition] le duc de St Simon dit en parlant des magistrats : « les gens de cet état. » ["le duc..." addition de premier niveau] En Angleterre un gentilhomme n’était point déshonoré parce qu’il était juge. [La phrase est une addition de troisième niveau, postérieure à celle qui suit.]
Le magistrat ambulant existe en Angleterre ; il s’appelle juge de circuit, et rien n’était [corrige "n'est"] plus simple que de voir dans ce carrosse le véhicule d’un magistrat en tournée ["que de voir..." ajouté] . Ce qui était moins simple, c’est que le personnage supposé magistrat était descendu, non de la voiture même, mais de la loge de devant, place qui n’est pas habituellement celle du maître. Autre particularité : on voyageait à cette époque en Angleterre, de deux façons, par « le carrosse de diligence » à raison d’un shelling tous les cinq milles, et en poste à franc-étrier moyennant trois sous par mille et quatre sous au postillon après chaque poste; une voiture de maître, qui se passait la fantaisie de ["passait la fantaisie de" corrige + + + +] voyager par relais, payait par cheval et par mille autant de shellings que le cavalier courant la poste payait de sous ; or, la voiture arrêtée devant la geôle de Southwark était attelée de quatre chevaux et avait deux postillons, luxe de prince. Enfin, ce qui achevait ["d'+" barré en correction cursive] d’exciter et de déconcerter les conjectures, cette voiture était minutieusement fermée. Les panneaux pleins étaient levés. Les vitres étaient bouchées avec des volets. ["bouchées..." corrige "aveuglées"; de même à la copie où VH écrit "volets;"] ["étaient levés..." remplace "des portières étaient levés,"] Toutes [d'abord minuscule] les ouvertures par où l’œil eût pu pénétrer étaient masquées ; du dehors on ne pouvait rien voir dedans, et il était probable que, du dedans, on ne pouvait rien voir dehors. Du reste, il ne semblait pas qu’il y eût quelqu’un dans cette voiture. [Ce paragraphe est une addition de deuxième niveau.]
[f° 362, Z13. Trait d'interruption. Le folio prend la suite du f° 358. Son début, additions comprises, ici encadré et barré à grands traits, est l'objet d'une réfection aux folios 359-361.]
["Le wapentake entra après Gwynplaine.
Puis toute l'escouade.
Puis le justicier-quorum..
Le guichet se referma. [Ces quatre paragraphes sont ajoutés au-dessus du texte initial avant l'addition marginale qui suit.]
Ce guichet était l'entréee basse de la prison de Southwak.
La prison de Southwark, donnant sur deux rues, avait deux entrées: sur la gande rue, l'entrée monumentale, destinée [corrige "réservée"] aux autorités, et sur la ruette, l'entrée de souffrance, destinée [ajouté] au reste des vivants. Et aux trépassés [en sc. sur "morts"] ausssi; car lorsqu'il mourait un prisonnier dans la geôle, c'était [corrige "c'est"] par là que le cadavre sortait. Une libération comme une autre. [phrase ajoutée]
C'est par l'entrée de souffrance que Gwnplaine venait d'être introduit [corrige "de pénétrer"] dans la prison.
ici l'inscription [note de régie, au crayon ou d'une autre encre]
L'ancienne [ "prison" barré en correction cursive] maison de force de Souhwark, aujourd'hui démolie était" ["Ce guichet était l'entrée basse...": addition en marge, postérieure à la précédente. La dernière phrase corrige la rédaction initiale du folio qui commence ici: ]
L'ancienne prison de Southwark, aujourd'hui démolie, [", aujourd'hui..." ajouté] était, comme beaucoup de prisons d'alors, une gate, c'est à dire une porte. Il reste en Angleterre deux prisons de ce genre; à Londres, Newgate; à Edimbourg, Canongate. En France, la Bastille a d'abord été une porte. Les portes de faubourg, murées, ont fait des geôles. [phrase ajoutée]
Rien de funèbre comme ces vieilles prisons anglaises où John Howard, ce rayon, n’avait pas encore pénétré. Toutes, comme l’antique géhenne de Bruxelles, eussent pu être appelées Treurenberg, maison des pleurs." [ce paragraphe est ajouté à la rédaction initiale] ]
[suite, conservée, de la rédaction initiale] Southwark étant dans le Surrey, c’est au shériff du comté de Surrey que ressortissait la prison de Southwark.
[faux départ (voir plus loin): "Le shériff d’une province était très considérable. Il était toujours + +, et quelquefois chevalier."]
Ces juridictions distinctes étaient très fréquentes ["Ainsi la", barré en correction cursive] en Angleterre. Ainsi, par exemple, [", par exemple," ajouté] la Tour de Londres n’était supposée située dans aucun comté ; c’est à dire que, légalement, elle était en quelque sorte en l’air. La Tour [corrige "Elle"] ne reconnaissait d’autre autorité juridique que son constable, qualifié custos turris. La Tour avait [corrige "a"] sa juridiction, son église, sa cour de justice et son gouvernement à part. L’autorité du custos, ou constable, s’étendait hors de Londres sur vingt-et-un hamlets, traduisez : hameaux. ["La Tour avait...": addition en marge; de même à la copie. Tardive, elle est postérieure à l'addition "Comme en Grande-Bretagne..." mais antérieure à l'addition "D'autres habitudes légales...".] Comme en Grande-Bretagne les singularités légales se greffent les unes sur les autres, l’office de maître-canonnier d’Angleterre relevait de la Tour de Londres. [Cette phrase est une addition.]
D’autres habitudes légales semblent plus bizarres encore. Ainsi la cour de l’amirauté anglaise consulte et applique les lois de Rhodes et d’Oleron (île française qui a été anglaise). [Ce paragraphe est une addition; de même à la copie, à l'encre rouge; contemporaine de l'addition des titres, elle est postérieure à l'addition "La Tour avait sa juridiction..."]
[retour ici à la rédaction initiale] Le shériff d’une province était très considérable. Il était toujours écuyer, et quelquefois chevalier. Il était qualifié spectabilis dans les vieilles chartes ; « homme à regarder ». [phrase ajoutée; addition de deuxième niveau] Titre intermédiaire entre illustris et clarissimus, moins que le premier, plus que le second. [phrase ajoutée; addition de troisième niveau] Les shériffs des comtés étaient jadis ["élus" barré en correction cursive] choisis par le peuple, mais Edouard II, et après lui Henri VI, ayant repris cette nomination pour la couronne, les shériffs étaient devenus une émanation royale. Tous recevaient leur commission de sa majesté, excepté le shériff du Westmoreland qui était héréditaire, et les shériffs de Londres et de Middlesex qui étaient élus par la livery dans le Common-hall. Les shériffs de Galles et de Chester possédaient [corrige "avaient"] de certaines prérogatives fiscales. ["Les shériffs des comtés...": addition de premier niveau] Toutes ces charges subsistent encore en Angleterre, mais, usées peu à peu au frottement des mœurs et des idées, elles n’ont plus la même physionomie qu’autrefois. [phrase ajoutée; addition de deuxième niveau] Le shériff du comté [corrige "Il" en raison de l'ajout qui précède] avait la fonction d’escorter et de protéger les « juges itinérants ». Comme on a deux bras, il avait deux officiers, son bras droit, le sous-shériff, et son bras gauche, le justicier-quorum. Le justicier-quorum, assisté du bailli de la centaine, qualifié wapentake, [un mot barré, peut-être remplacé par une addition abandonnée: "et aussi + + + bras droit"] appréhendait, ["saisissait," barré, peut-être en en correction cursive] interrogeait, et, sous la responsabilité du shériff, [", sous la..." ajouté] emprisonnait, pour être jugés par les juges de circuit, les voleurs, meurtriers, séditieux, vagabonds, et tous gens de félonie. La nuance entre le sous-shériff et le justicier-quorum, dans leur service hiérarchique [ajouté] vis à vis du shériff, c’est que le sous-shériff accompagnait, et que le justicier-quorum assistait. Le shériff tenait deux cours, une cour sédentaire et centrale ["et centrale" ajouté] , la County-court, et une cour voyageante [corrige "de tournée"] , la Shériff-turn. Il représentait ainsi l’unité et l’ubiquité. [phrase ajoutée] Il pouvait comme juge, se faire aider et renseigner, dans les questions litigieuses, par un sergent de la coiffe, dit sergens coifæ, ["dit..." ajouté] qui est un sergent en droit et qui porte, sous sa calotte noire, une coiffe de toile blanche de Cambray. Le shériff désencombrait les maisons de justice [maisons..." corrige "cachots" qui corrige "prisons"] ; quand il arrivait dans une ville de sa province, il avait le droit d’expédier [corrige "de juger"] sommairement les prisonniers, ce qui aboutissait soit à leur renvoi, soit à leur pendaison, et ce qui s’appelait « délivrer la geole ». Goal deliver [en sc. sur "delivery" que VH rétablit à la copie] . ["Le shériff désencombrait...": addition] Le shériff présentait le bill de mise en cause aux vingt-quatre jurés d’accusation ; s’ils l’approuvaient, ils écrivaient dessus : billa vera, s’ils le désapprouvaient, ils écrivaient : ignoramus ; alors l’accusation était annulée, et le shériff avait le privilége de déchirer le bill. Si ["un juré mourait" barré en correction cursive] , pendant la délibération, un juré mourait, ce qui, de droit, acquittait l’accusé et le faisait innocent, le shériff, qui avait eu le privilége d’arrêter l’accusé, avait le privilége de le mettre en liberté. ["Le shériff présentait...": addition de deuxième niveau] Ce qui faisait singulièrement estimer et craindre le shériff ["Ce qui faisait..." corrige "Ce qui le faisait fort estimer et craindre"] , c’est qu’il avait pour charge d’exécuter « tous les ordres de sa majesté » ; latitude redoutable. L’arbitraire se loge dans ces rédactions-là. Les officiers qualifiés verdeors, et ["L'arbitraire..." addition. même addition par la copiste] les [initialement majuscule] coroners faisaient cortége au shériff ["faisaient..." corrige "lui faisaient cortége"] , et les clercs du marché lui prêtaient main-forte, et il avait une très belle suite de gens à cheval et de livrées. Le shériff, dit Chamberlayne, est « la vie de la Justice, de la Loi et de la Comté .»
[Trait d'interruption. Sous le trait quelques mots notés au crayon pour préparer la suite de la rédaction.]
["Quand Gwnplaine entendit le guichet grinçant de tous ses verroux se refermer" ces deux lignes sont barrées. La phrase se poursuivait, en rédaction initiale, au f° 364, où elle est réécrite en ajout après avoir été barrée ici. Le folio 363 est intercalé.]
[f° 363, A14; folio intercalé. A la copie, le texte est écrit sur une bande de papier ajoutée et collée.]
En Angleterre, une démolition insensible pulvérise et désagrége ["En Angleterre, une..." corrige "La désuétude modifie"] perpétuellement les lois et les coutumes. De nos jours ["De nos jours" corrige " Au siècle [corrige "A l'époque" qui corrige "Au temps"] où nous sommes"] , insistons-y, ["insistons-y," ajouté] ni le shériff, ni le wapentake, ni le justicier-quorum, ne pratiqueraient leurs charges [corrige "fonctions"] comme ils les pratiquaient en ce temps-là ["en ce temps-là" corrige "il y a deux cents ans"] . Il y avait dans l’ancienne ["Il y avait..." corrige "Il y avait alors en"] Angleterre une certaine confusion de pouvoirs, et les attributions mal définies se résolvaient en empiétements, qui seraient impossibles aujourd’hui. La promiscuité de la police et de la justice a cessé. [faux départ: "Pendant +"] [faux départ: "Nous croyons même que"] Les noms sont restés, les fonctions se sont modifiées. Nous croyons même que le mot wapentake a changé de sens. Il signifiait une magistrature, maintenant il signifie une division territoriale ; il spécifiait le centenier, il spécifie le canton (centum). [première rédaction de ce paragraphe en MVH_ah515]
Du reste, à cette époque, ["à cette époque," ajouté] le [corrige "les fonctions de"] shériff [+ + barré] de comté ["de comté" ajouté] combinait [corrige le pluriel] , [un ou deux mots barrés; on n'a pas réussi à reconstituer la première rédaction de la phrase] avec quelque chose de plus et quelque chose de moins, et condensait dans son autorité, à la fois royale et municipale, les deux magistrats qu’on appelait jadis en France Lieutenant civil et Lieutenant de police. Le lieutenant civil de Paris est assez bien qualifié par cette vieille note de police : « M. le lieutenant civil ne hait pas les querelles domestiques, parce que le pillage est toujours pour lui. » (22 juillet 1704). Quant au lieutenant de police, personnage inquiétant, multiple et vague, il se résume en l’un de ses meilleurs types, René d’Argenson, qui, au dire de Saint-Simon, avait sur son visage les trois juges d’enfer mêlés.
Ces trois juges d’enfer étaient, on l’a vu, à la Bishop’s gate de Londres. [paragraphe ajouté; de même à la copie]
[f° 364, B14. Deux traits d'interruption. Ce folio prend la suite du f° 362.]
Quand Gwynplaine entendit le guichet, grinçant de tous ses verroux, se refermer, il tressaillit. [phrase ajoutée pour raccorder le texte après l'insertion du f° 363. La rédaction initiale commençait par "derrière lui, il tressaillit." qui est barré.] Il lui sembla que cette porte, qui venait de se clore, était la porte de communication de la lumière avec les ténèbres, donnant d’un côté sur le fourmillement terrestre ["fourmillement" corrige "monde vivant"; même correction par la copiste] et de l’autre sur le monde mort, et que maintenant toutes les choses qu’éclaire le soleil étaient derrière lui, qu’il avait franchi la frontière de ce qui est la vie, ["de ce qui est..." corrige "du genre humain"; même correction par la copiste] ["qu'il avait franchi..." ajouté] et qu’il était dehors. Ce fut un profond [corrige "lugubre" en sc. sur +] serrement de cœur. Qu’allait-on faire de lui ? Qu’est-ce que tout cela voulait dire ? ["Il pensa à Dea." barré; de même à la copie]
[Trait d'interruption. Les seize lignes qui suivent sont écrites par-dessus un texte préparatoire au crayon. On distingue "des étranglements", "de fortes grilles"]
Où était-il ? ["Il l'ignorait." barré]
Il ne voyait rien autour de lui ; il se trouvait dans du noir. La porte en se fermant l’avait fait momentanément aveugle. Le vasistas était fermé comme la porte. Pas de ["pas de" remplace, en correction cursive, "Aucune lumière n'était"] soupirail, pas de [corrige "aucune"] lanterne. [faux départ: "Il était"] C’était une précaution des vieux temps. Il était défendu d’éclairer l’abord intérieur ["l’abord..." corrige "le dedans"] des geôles afin que les nouveaux venus ne pussent faire aucune remarque.
Gwynplaine étendit les mains, et toucha le mur à sa droite et à sa gauche ; il était dans un couloir [deux mots rayés, peut-être "très étroit"] . Peu à peu, ce jour de cave qui suinte on ne sait d’où et qui flotte dans les lieux obscurs, et auquel s’ajuste [corrige "se proportionne"] la dilatation des pupilles, lui fit distinguer çà et là un linéament, et le couloir s’ébaucha vaguement devant lui ["s'ébaucha..." corrige "prit vaguement forme"] .
[deux ou trois mots, barrés, peut-être en correction cursive]
Gwynplaine, qui n’avait jamais entrevu les sévérités pénales qu’à travers les grossissements d’Ursus, se sentait saisi [corrige "pris"] par une sorte de main énorme et obscure ["énorme..." corrige, peut-être en deux temps, "terrible"] . Être manié par l’inconnu de la loi, c’est effrayant. [phrase ajoutée] On est brave en présence de [corrige "devant"] tout, et l’on se déconcerte ["se déconcerte" corrige "+" qui corrige "tremble"; la copiste corrige "tremble"] en présence de [corrige "devant"] la justice. Pourquoi ? c’est que [faux départ: ", dans ce que l'homme appelle"] la justice de l’homme n’est que crépusculaire, et que le juge ["et que le juge" corrige "et qu'on"] s’y meut à tâtons. Gwynplaine se rappelait ce qu’Ursus lui avait dit de la nécessité du silence ; [deux faux départs: "il voulait" puis "il y avait"] il voulait revoir Dea ; il y avait dans sa situation on ne sait quoi de discrétionnaire ["on ne sait..." corrige "une énigme" qui corrige "un inconnu"] qu’il ne voulait pas irriter ["voulait pas irriter": correction cursive de + +]. Parfois, vouloir éclaircir, c’est empirer. [phrase ajoutée] Pourtant, d’un autre côté, la pesée ["la pesée" corrige "l'étreinte" qui corrige "toute la pression"] de cette aventure était si forte, qu’il finit par y céder, et ["qu'il finit..." ajouté] qu’il ne put retenir une question.
— Messieurs, demanda-t-il, où me conduisez-vous ?
On ne lui répondit pas.
C’ [corrige "Telle"] était la loi des prises de corps silencieuses, et le texte normand est formel : a silentiariis ostio prœpositis introducti sunt.
[Trait d'interruption.]
[f° 365, C14. Folio probablement intercalé; sa rédaction ne va pas jusqu'au bas de la feuille et, à la copie, il est écrit sur une bande de papier rapportée et collée.]
Ce silence glaça Gwynplaine. ["Il se sentit faiblir [corrigé en "tituber"]." le tout barré] Jusque-là il s’était cru fort ; il se suffisait ; se suffire, c’est être puissant. [Ebauche pour cette phrase en 15 812, f° 29] Il avait vécu isolé, s’imaginant qu’être isolé, c’est être inexpugnable. Et voilà que tout à coup il se sentait sous la pression de la hideuse force collective. De quelle façon se débattre avec cet anonyme horrible, la loi ? Il défaillait sous l’énigme. ["Il défaillait..." corrige "Il se sentait ["Il se..." corrigé en "Il défaillait"] défaillir [corrigé en "défaillant"]."] Une peur d’une espèce inconnue avait trouvé le défaut de son armure. [phrase en addition; de même à la copie] Et puis il n’avait pas dormi, il n’avait pas mangé ; à peine avait-il trempé ses lèvres dans une tasse de thé. Il avait eu toute la nuit une sorte de délire, et il lui restait de la fièvre. Il avait soif, il avait faim peut-être. L’estomac mécontent dérange tout. Depuis la veille il était assailli d’incidents. Les émotions qui le tourmentaient le soutenaient ; sans l’ouragan la voile [Le bas du folio portant la copie est déchiré à hauteur de cette phrase.] serait chiffon. Mais cette faiblesse profonde du haillon que le vent gonfle jusqu’à ce qu’il le déchire, il la sentait en lui. Il sentait venir l’affaissement. Allait-il tomber sans connaissance ["tomber..." corrige "perdre connaissance et tomber"] sur le pavé ? Se trouver mal, c’est la ressource de la femme et l’humiliation de l’homme. [addition abandonnée: "Quoique ce fût un héros, et qu'il l'eût prouvé, "] Il se roidissait, mais il tremblait. [Ici finit la rédaction initiale; les lignes qui suivent sont ajoutées d'une autre écriture.]
["Il n'était pas un héros plus que cela." mis entre barres verticales puis barré et repris dans l'addition ci-dessus, elle même abandonnée.]
["Que celui-là qui se sent plus fort lui jette la première pierre." barré]
Il avait la sensation de quelqu’un qui perd pied.
[Une ligne non lue, commençant par "Il".]
[Grand blanc au bas du folio.]
[f° 366, D14]
On se mit en marche.
[faux départ: "Aucun greffe" A la suite un mot au crayon, non lu.]
On avança [en sc. sur +] dans le couloir.
Aucun greffe [un mot ou une partie de mot barré en correction cursive, peut-être "pap"(erassier)] préalable. Aucun bureau avec registres. Les prisons de ce temps là n’étaient point paperassières. Elles se contentaient de se fermer sur vous, souvent sans savoir pourquoi ["savoir pourquoi" corrige "chercher à savoir qui vous étiez"] . Être une prison, et avoir des prisonniers, cela leur suffisait.
Le cortége avait dû s’allonger et prendre la forme du corridor [corrige "boyau"] . On marchait presque un à un ; ["le wa" barré en correction cursive] d’abord le wapentake, ensuite Gwynplaine, ensuite le justicier-quorum ; puis les gens de police, avançant en bloc et bouchant le corridor derrière Gwynplaine comme un tampon. Le couloir se resserrait ["se resserrait" corrige "semblait se rétrécir"] ; [point-virgule ajouté] ["peu" barré en correction cursive] maintenant Gwynplaine touchait le mur de ses deux coudes ; ["maintenant...": ajouté] la voûte ["faite"(?): addition abandonnée] en caillou noyé de ciment, avait d’intervalle en intervalle, des voussures de granit en saillie faisant étranglement ; il fallait baisser le front ["baisser le front" corrige "courber la tête"] pour passer ; pas de course possible dans ce corridor ; la fuite eût été forcée de marcher lentement ; ce boyau faisait des détours ; toutes les entrailles sont tortueuses, celles d’une prison comme celles d’un homme ; ["ce boyau faisait...": addition] ça et là, tantôt à droite, tantôt à gauche, des coupures dans le mur, carrées et closes de grosses ["de grosses" corrige "d'épaisses"] grilles, laissaient apercevoir [corrige "voir"] des escaliers, ceux-ci montant, ceux-là plongeant. On arriva à une porte ["toute en fer" barré en correction cursive] fermée. [virgule corrigée en point] ["toute en fer." barré, la rature s'étend au point.] La rédaction initiale est: "On arriva à une porte toute en fer" corrigé d'abord en "On arriva à une porte fermée, toute en fer." puis en "On arriva à une porte fermée." La copie respecte la suppression du point avant "elle s'ouvrit", mais ne place aucune ponctuation entre "fermée" et "elle s'ouvrit". Le point s'impose, il a été deux fois inscrit et la fermeture syntaxique convient, pour cette phrase comme pour la suivante, à celle de la porte.] Elle s’ouvrit, on passa, elle se referma. Puis on rencontra une deuxième porte, qui livra passage, puis une troisième, qui tourna de même sur ses gonds. Ces portes s’ouvraient et se refermaient ["dans l'obscurité" barré; de même à la copie] comme toutes seules. On ne voyait personne. En même temps que le couloir [rétabli après avoir été remplacé par "boyau"] se rétrécissait, la voute s’abaissait, et l’on en était venu à ne pouvoir plus marcher que la tête courbée [corrige "baissée"] . ["Tout" barré] Le mur suintait ; il tombait de la voute des gouttes d’eau ; le dallage [faux départ: "dont le corridor"] qui pavait le corridor avait la viscosité d’un intestin ["avait..." corrige "était mouillé"] . L’espèce de pâleur ["de pâleur" correction cursive par surcharge de "d'indis(tinct(e))"] diffuse qui tenait lieu de clarté devenait de plus en plus opaque ; l’air manquait. Ce qu’il y avait de singulièrement lugubre, c’est que cela descendait.
Il fallait y faire attention pour s’apercevoir qu’on descendait. [La phrase corrige "La descente était insensible." ] Dans les ténèbres, une pente [en sc. sur "descente"(?)] douce, c’est sinistre ["c'est sinistre" est rétabli apès une correction abandonnée en "c'est redoutable"] . ["La descente était insensible...": addition de premier niveau. Elle est alors implantée après "Descendre, c'est l'entrée dans l'ignoré terrible."] ["Dans l'ordre des faits matériels comme dans l'ordre des faits moraux," barré] Rien [d'abord minuscule] n’est redoutable comme les choses obscures auxquelles on arrive par des pentes insensibles. ["Dans l'ordre des faits matériels...": addition de second niveau] [Une fois complété, au-dessus et en-dessous, le bloc des trois additions est déplacé avant "Descendre, c’est l’entrée dans l’ignoré terrible." A la copie, la copiste écrit d'abord " Descendre, c’est l’entrée dans l’ignoré terrible. / La descente était insensible. Dans les ténèbres, une pente douce, c'est redoutable." puis barre ces deux dernières phrases, écrit le texte définitif en marge et l'implante par un filet au-dessus de "Descendre, c'est l'entrée..." ]
Descendre, c’est l’entrée dans l’ignoré terrible.
Combien de temps marcha-t-on ainsi ? Gwynplaine n’eût pu le dire. ["L'angoisse est un laminoir qui allonge les minutes et leur [f° 367, E14. Deux trait d'interruption.] donne des dimensions effrayantes." phrase barrée et réécrite à la suite.] [A la copie, "Gwynplaine n'eût pu le dire." est suivi, au bas du folio, de deux lignes barrées à grands traits: "Il voyait s'obscurcir de plus en plus la sombre énigme légale sous laquelle il se sentait pris." qui est la phrase initiale du f° 371. La réfection de l'ensemble des folios allant jusque là est peu probable; il est vraisemblable que la copiste a pris la première feuille à copier sur une pile où elle aurait dû être la dernière.] Passées à ce laminoir, l’angoisse, les minutes s’allongent ["Passées... corrige le singulier: "Passée à ce laminoir, l'angoisse, une minute..." sans doute pour éviter la mauvaise lecture rapportant "Passée" à l'angoisse.] démesurément.
[Trait d'interruption. A la suite, deux lignes préparatoires au crayon sur lesquelles le texte est écrit.]
Subitement [corrige "Brusquement"] on fit halte.
L’obscurité était épaisse [corrige "profonde"] .
Il y avait un certain élargissement du corridor. [paragraphe ajouté; il est d'abord noté au crayon]
Gwynplaine entendit tout près de lui un bruit dont le gong chinois pourrait seul donner une idée ; quelque chose comme un coup frappé [ajouté] sur le diaphragme ["du +" barré en correction cursive] de l’abîme.
C’était le wapentake qui venait de heurter de son baton une lame de fer.
Cette lame était une porte.
Non une porte qui tourne, mais une porte qui se lève et s’abat. A peu près comme une herse.
Il y eut un [première rédaction: "une sourde +" corrigée en correction cursive] froissement strident dans une rainure, et Gwynplaine eut subitement devant les yeux un morceau de jour carré.
C’était la lame qui venait de se hisser dans une fente de la voûte, de la façon dont se lève le panneau d’une souricière.
Une ouverture s’était faite. [paragraphe ajouté]
Ce jour n’était pas du jour ; c’était de la lueur. Mais pour la prunelle très dilatée de Gwynplaine, cette clarté pâle [en sc. sur +], et brusque, ["et brusque," se substitue à "+ mais pur(?)"] fut d’abord comme le choc d’un éclair ["comme..." corrige "un éblouissement"] .
Il fut quelque temps avant de rien voir [corrige "distinguer" qui corrige "apercevoir"] .
Discerner [corrige "Distinguer"] dans l’éblouissement est aussi difficile que dans la nuit [correction abandonnée: "que voir dans l'obscurité"] . [paragraphe en addition]
Puis, par degrés, sa pupille ["prit la mesure de la lumière comme elle avait pris la mesure de l'obscurité, il finit par" barré]
[Trait d'interruption. Au-dessous au crayon huit lignes préparatoires sur lesquelles le texte est ensuite écrit. Le premier mot, "distinguer" achève la phrase. Au-dessous: "qu'il aperçut. Et + ce qu'il aperçut / Dire que le wapentake et le justicier quorum + + + + + + les sergents derrière + + + + +"]
se proportionna à la lumière comme elle s’était proportionnée à l’obscurité , il finit par distinguer, la clarté, qui lui avait d’abord paru trop vive, s’apaisa dans sa prunelle et se refit livide, il hasarda [corrige "jeta" qui corrige "enfonça"] son regard dans l’ouverture béante devant lui, et ce qu’il aperçut était effroyable [en sc. sur "tragique" et corrige "fomidable" qui corrige "farouche"; à la copie, la copiste écrit "farouche tragique" et VH barre les deux mots qu'il remplace par "effroyable".] ["ce qu'il aperçut..." corrige "il aperçut on ne sait quoi de formidable"] .
A ses pieds, une vingtaine de marches hautes, étroites, frustes, ["hautes..." ajouté] presque à pic, sans rampe à droite ni à gauche, sorte de crête de pierre pareille à un pan de mur biseauté [corrige "taillé"] en escalier, entraient et s’enfonçaient [corrige "plongeaient"] dans une cave très creuse ["très creuse" corrige "profonde"; de même à la copie] . Elles allaient jusqu’en bas. [phrase ajoutée]
Cette cave [addition abandonnée: ", assez vaste,"] était ronde, à voute ogive en arc-rampant, à cause du défaut de niveau des impostes, dislocation propre à tous les souterrains sur lesquels se sont tassés de très lourds édifices.
L’espèce de coupure tenant lieu de porte que la [f° 368, F14. Trait d'interruption.] lame de fer venait de démasquer et à laquelle aboutissait l’escalier, était entaillée dans la voute, de sorte que de cette hauteur l’œil plongeait dans la cave comme dans un puits.
[Trait d'interruption. A sa hauteur, en marge et au crayon, un dessin donne le plan de la cave pénale; il représente, dans un cercle, l'escalier, le supplicié au centre lié aux quatre piliers, la table des juges et il est légendé: "terre nue", "concavation" l'une à droite l'autre à gauche, "dalle". A côté, au crayon: "un seul siège / un fauteuil à bras +/ + + /+ + /+ . / Celui du sheriff"]
[ faux départ sur deux lignes: "+ + + un puits cyclopéen qu'il faudrait se figurer, car la cave était vaste."]
La cave était vaste, et si c’était le fond d’un puits, c’était le fond d’un puits cyclopéen. L’idée qu’éveille l’ancien mot « cul-de-basse-fosse » ne pouvait s’appliquer à cette cave qu’à la condition de se figurer une fosse à lions ou à tigres.
La cave n’était pas dallée ni pavée. Elle avait pour la [corrige "cette"] terre mouillée et froide des lieux profonds.
Au milieu de la cave quatre colonnes basses et difformes soutenaient un porche [rétabli après correction en "massif"] lourdement ogival [un mot barré] dont les quatre nervures en se rejoignant à l’intérieur du porche ["à l’intérieur..." ajouté] dessinaient à peu près le dedans d’une mitre. Ce porche, pareil aux pinacles sous lesquels jadis on mettait des sarcophages [en sc. sur "tombeaux"] , [", pareil aux..." ajouté] montait jusqu’à la voute et faisait dans la cave une sorte de chambre centrale, si l’on peut appeler du nom de chambre un compartiment ouvert de tous les côtés ayant au lieu de quatre murs, quatre piliers.
[A hauteur de ce texte, en marge, au crayon: "la geôle de S. / a été démolie / démolir les édifices / de supplice embellit / les villes + / l'histoire + / embellissement". Cette note semble programmer une addition qui n'a pas été rédigée.]
A la clef de voute du porche pendait une lanterne de cuivre, ronde, et grillée comme une fenêtre de prison. Cette lanterne jetait autour d’elle sur les piliers, sur les voûtes, et sur le mur circulaire entrevu vaguement en arrière des piliers, une clarté blafarde, coupée de barres d’ombre. [Ce paragraphe a une ébauche en 24 747, f° 67v qui note aussi quelques autres détails utilisé dans ce chapitre.]
C’était cette clarté qui avait d’abord ébloui Gwynplaine. Maintenant ce n’était plus pour lui qu’une rougeur presque confuse.
Pas d’autre jour [corrige "lumière"] dans cette cave. Ni fenêtre, ni porte, ni soupirail.
Entre les quatre piliers, précisément ["Entre les quatre..." ajouté] au dessous de la lanterne, à l’endroit où il y avait le plus de lumière, était appliquée à plat sur le sol une silhouette [corrige "forme"(?)] blanche et terrible.
C’était couché sur le clos. On voyait une tête dont les yeux étaient fermés, [f° 369, G14] un corps dont le torse disparaissait sous on ne sait quel monceau informe, quatre membres se rattachant au ["se rattachant au" corrige "partant du"] torse en croix de saint André et [un mot barré, sans doute en correction cursive, peut-être "liés"] tirés vers les quatre piliers par quatre chaînes liées aux pieds et aux mains. Ces chaînes aboutissaient à un anneau de fer au bas de chaque colonne. Cette [réécrit ou corrige +] forme, immobilisée dans l’atroce [corrige "effrayante"] posture de l’écartèlement, avait la lividité glacée du cadavre. C’était nu. [point corrige virgule ou l'inverse] C’était un homme.
Gwynplaine, pétrifié, debout au haut de l’escalier, ["debout..." ajouté] regardait.
Tout à coup il entendit un râle.
Ce cadavre était vivant.
Tout près [corrige "A côté"] de ce spectre, dans une des ogives du porche, ["sur un grand fauteuil à bras exhaussé par une large dalle de pierre" barré en correction cursive] des deux côtés d’un grand fauteuil à bras exhaussé par une large pierre plate ["pierre plate" corrige "dalle de pierre"] , se tenaient droits [ajouté] ["debout" barré] deux hommes ["blêmes" qui corrige "pâles" le tout barré] vêtus de longs suaires noirs, et dans le fauteuil ["était assis" barré et déplacé] un vieillard enveloppé d’une robe rouge était assis, blême ["était assis..." ajouté] , immobile, sinistre, un bouquet de roses à la main.
Ce bouquet de roses eût renseigné un moins ignorant que Gwynplaine. Le droit de juger en tenant une touffe de fleurs caractérisait [corrige le présent] le magistrat à la fois royal et municipal. Le lord-maire de Londres juge encore ainsi. Aider les juges à juger, c’était la fonction des premières roses de la saison. [Cette phrase est la dernière de plusieurs rédactions enchevêtrées: 1. "Les premières roses de la saison étaient ["destinées" barré en correction cursive] affectées à cette fonction. 2. "Les premières roses de la saison avaient de droit cette fonction."] ["Elles avaient ce droit." barré; de même à la copie]
Le vieillard [en sc. sur "L'homme"] assis dans le fauteuil était le shériff du comté de Surrey.
[Trait d'interruption. Le paragraphe qui suit est écrit au-dessus d'une dizaine de lignes préparatoires au crayon.]
Il avait la rigidité majestueuse d’un romain revêtu de l’augustat. [paragaphe en addition]
Le [en sc. sur "Ce"] fauteuil était le seul siége qu’il y eût dans la cave. [Cette phrase corrige "Pas d'autre siège dans la cave que ce fauteuil."]
A côté du fauteuil, on voyait [corrige "il y avait"] une table couverte de papiers et de livres et sur laquelle était posée la longue baguette blanche du shériff.
Les ["deux" barré, sans doute en correction immédiate] hommes debout à gauche et à droite du shériff étaient deux docteurs, l’un en médecine, l’autre en lois ; celui-ci reconnaissable ["; celui-ci reconnaissable" corrige ", reconnaissable"] à sa coiffe de sergent en droit sur sa perruque. Tous deux ["Tous deux" rétabli après correction en + +] avaient la robe [f° 370, H14] noire, l’un de juge, l’autre de médecin. Ces deux sortes d’hommes portent le deuil des morts qu’ils font.
Derrière le shériff, au rebord de ["au rebord de" corrige "sur"] la marche que faisait la pierre plate, se tenait accroupi, avec une [en sc. sur "un"] écritoire près de lui sur la dalle, ["et" barré] un dossier de carton sur ses genoux, et une feuille de parchemin sur le dossier, un greffier en perruque ronde, la plume à la main, dans l’attitude [corrige "la posture"] d’un homme prêt à écrire. [Ce paragraphe est une addition de premier niveau]
Ce greffier était de l’espèce dite greffier garde-sacs ; ce qu’indiquait une sacoche qui était devant lui à ses pieds. ["Ce greffier..." corrige "Ce geffier avait ["devant" barré en correction cursive] à ses pieds devant lui une de"; même correction par la copiste] Ces [d'abord minuscule] sacoches, jadis employées dans les procès, étaient [remplace "et"; même correction par la copiste] qualifiées « poches [corrige "sacs"] de justice ». [Ce paragraphe est une addition de deuxième niveau.]
A l’un des piliers était adossé, croisant les bras, un homme tout vêtu de cuir. C’était un valet de bourreau. [Ce paragraphe est une addition de quatième niveau. Addition de la main de la copiste.]
Ces hommes semblaient enchantés dans leur posture funèbre [corrige "tragique"; même correction par la copiste] autour de l’homme enchaîné. Pas un ne remuait [corrige "bougeait"] ni ne parlait.
Il y avait sur tout cela un calme monstrueux. ["Ces hommes semblaient...": addition de troisième niveau.]
Ce que Gwynplaine voyait là, c’était une cave pénale. Ces caves abondaient en Angleterre. La crypte de la Beauchamp Tower a longtemps servi à cet usage, de même que le souterrain de la Lollard’s Prison. Il y avait, et l’on peut voir [", et l'on peut voir" ajouté] encore Londres, en ce genre, le lieu bas dit « Les Vaults de Lady Place ».
[faux départ: "La forme humaine couchée à terre râla une deuxième fois." repris plus loin]
Dans cette dernière chambre, il y a une cheminée en-cas [ajouté] pour la chauffe des fers. [paragraphe en addition]
Toutes les prisons du temps du King-John, et la geôle de Southwark en était une, avaient leur [en sc. sur "une"] cave pénale. [Ce paragraphe est une addition, postérieure à la précédente. Il est ajouté aussi par la copiste.]
Ce qui va suivre se pratiquait alors fréquemment en Angleterre, et pourrait, à la rigueur, en procédure criminelle, ["en procédure..." ajouté] s’y exécuter même [corrige "encore"(?)] aujourd’hui ; car toutes ces lois là existent toujours [corrige "encore"] . L’Angleterre offre ce curieux spectacle d’un code barbare [corrige "monstrueux"] vivant en bonne intelligence avec la liberté. Le ménage, disons-le, est excellent.
Quelque défiance pourtant ne serait pas hors de propos. Si une crise survenait, un réveil pénal n’est pas impossible. La législation anglaise est un tigre apprivoisé. Elle fait patte de velours, mais elle a toujours ses griffes.
Couper les ongles aux lois, cela est sage.
La loi ignore presque le droit. Il y a d’un côté la pénalité, de l’autre l’humanité. Les philosophes protestent ; mais il se passera du temps encore avant que la justice des hommes ait fait sa jonction avec la justice ["de Dieu" mis entre barres verticales puis barré] .
Respect de la Loi ["de la Loi" corrige "des lois"] ; c’est le mot Anglais. En Angleterre on vénère tant les lois [corrige "la loi"] qu’on ne les [en sc. sur "l'"] abroge jamais. On se tire de cette vénération en ne les exécutant point. Une vieille loi tombe en désuétude comme une vieille femme ; mais on ne tue pas plus l’une de ces vieilles que l’autre. On cesse de les pratiquer, voilà tout. Libre à elles de se croire toujours belles et jeunes. On les laisse rêver qu’elles existent. Cette politesse s’appelle respect.
La coutume normande est bien ridée ; cela n’empêche pas plus d’un juge anglais de lui faire encore les yeux doux ["; cela n'empêche pas..." corrige ", plus d’un juge anglais lui fait encore les yeux doux"] . On conserve amoureusement une antiquaille atroce, si elle est normande. Quoi de plus féroce que la potence ! ["On conserve..." addition en deux temps; la seconde phrase a été ajoutée la première. Addition par la copiste.] En 1866 on a condamné un homme* [*Le fenian Burke, mai 1866. [note ajoutée en marge et d'abord écrite au crayon; ajoutée par la copiste]] à être coupé en quatre quartiers qui seraient offerts à une femme, ["une femme, " ajouté] la reine.
Du reste, la torture n’a jamais existé en Angleterre. C’est l’histoire qui le dit. L’aplomb de l’histoire est beau. ["Du reste...": addition]
Mathieu de Westminster ["Mathieu..." corrige un autre nom] prend acte de ce que « la loi saxonne, fort clémente et débonnaire », ne punissait pas de mort les criminels [mis au pluriel], et il ajoute : « On se bornait à leur couper le nez, à leur crever les yeux, et à leur arracher les parties qui distinguent le sexe ». Seulement ! ["Mathieu...": addition; elle est postérieure à la précédente; ajoutée par la copiste]
Gwynplaine, hagard [virgule barrée] au haut de l’escalier, commençait à trembler de tous ses membres. Il avait toutes sortes de frissons. [phrase ajoutée] Il cherchait à se rappeler quel crime il pouvait avoir commis. Au silence du wapentake venait de succéder la vision d’un supplice. C’était un pas de fait, mais un pas tragique [corrige "effroyable"; de même à la copie] . [f° 371, I14. Trait d'interruption (?).] Il voyait s’obscurcir de plus en plus la sombre énigme légale sous laquelle il se sentait pris.
La forme humaine couchée à terre râla une deuxième fois.
Gwynplaine eut l’impression qu’on lui poussait doucement l’épaule.
Cela venait du wapentake.
Gwynplaine comprit qu’il fallait descendre.
Il obéit. [paragraphe ajouté]
Il s’enfonça de marche en marche dans l’escalier. Les degrés avaient un plat bord très mince, et ["degrés avaient..." corrige "degrés, d'un plat-bord très mince, avaient" VH a oublié de raturer les deux virgules] huit ou neuf pouces de haut. Avec cela pas de rampe. [phrase ajoutée] On ne pouvait descendre qu’avec précaution ["qu’avec..." corrige "que très lentement"] . Derrière Gwynplaine [les deux lignes qui suivent sont écrites par-dessus des notes préparatoires au crayon] descendait [corrige le pluriel] , le suivant à la distance de deux degrés, le wapentake, tenant droit l’iron-weapon ["tenant..." corrige "son baton sur l'épaule"] , et ["le justicier" barré en correction cursive] derrière le wapentake, descendait, à la même distance, le justicier-quorum.
Gwynplaine en descendant ces marches sentait on ne sait quel engloutissement de l’espérance. C’était une sorte de mort pas à pas. Chaque degré franchi éteignait en lui de la lumière. Il arriva, de plus en plus pâlissant, au bas de l’escalier. [Ce paragraphe a connu une succession de remaniements. 1. "Gwynplaine + chaque degré. Il arriva, de plus en plus pâlissant, au bas de l'escalier." 2. Descendre de telles marches, c'est on ne sait quel engloutissement de l'espérance [en sc. sur +]. Chaque degré franchi éteignait [en sc. sur +] en lui [corrige +] de la lumière. Gwynplaine arriva, de plus en plus pâlissant, au bas de l'escalier."]
["Quand il fut là, il sentit qu'on lui ôtait par derrière son chapeau et son manteau." barré et déplacé au f° 378 en rédaction initiale]
[Trait d'interruption. Très pâle et de graphie atypique, il n'est pas certain.]
L’espèce de larve terrassée et [ces deux mots ajoutés] enchaînée aux quatre piliers continuait de râler.
Une voix ["dit" barré] dans la pénombre [deux-points barré] dit :
— Approchez.
C’était le shériff qui s’adressait à Gwynplaine.
Gwynplaine fit un pas.
— Plus près, dit la voix.
Gwynplaine fit encore un pas.
— Tout près, reprit le shériff!
Le justicier-quorum murmura à l’oreille de Gwynplaine, si gravement que ce chuchottement était solennel ["murmura..." corrige "dit à Gwynplaine d'une voix grave"]:
— Vous êtes devant le shériff du comté de Surrey.
Gwynplaine avança jusqu’au supplicié ["terrible" barré] qu’il voyait étendu au centre de la cave. Le wapentake et le justicier-quorum restèrent où ils étaient et laissèrent Gwynplaine avancer seul.
Quand Gwynplaine, parvenu jusque sous le porche, vit de près cette chose misérable qu’il n’avait encore aperçue qu’à distance [corrige "que de loin"] , et qui était un homme vivant, son effroi devint ["son effroi devint" corrige "il sentit son effroi devenir"] épouvante.
[f° 372 blanc; f° 373, J14]
L’homme lié sur le sol était absolument nu, à cela près de ce haillon hideusement [rétabli après correction en +] pudique qu’on pourrait nommer la feuille de vigne du supplice, et qui était ["et qui était" ajouté] le succingulum des romains et le christipannus des gothiques, duquel notre vieux jargon [ajouté] gaulois a fait le cripagne. Jésus, nu sur la croix, n’avait que ce lambeau. [phrase ajoutée]
L’effrayant patient que considérait Gwynplaine semblait un homme de cinquante à soixante ans ["de cinquante..." corrige "vieux"]. Il était chauve. Des poils blancs de barbe lui hérissaient le menton. Il fermait les yeux et ouvrait la bouche. On voyait toutes ses dents. Sa face maigre et osseuse était voisine de la tête de mort. ["L'effrayant patient...": addition. Elle se substitue au texte initial —"Il avait les cheveux gris et tout hérissés. Il fermait les yeux et ouvrait la bouche."— au terme d'une cascade de corrections et d'additions: 1. addition de "On voyait toutes ses dents." 2. ajout de "Sa face + + maigre et osseuse était voisine de la tête de mort." 3. réfection du début: "L'effrayant patient que considérait Gwnplaine semblait un homme vieux; il était chauve; des poils blancs de barbe lui hérissaient le menton."] Ses bras et ses jambes assujettis par les chaînes aux quatre poteaux de pierre, faisaient [corrige "dessinaient"(?)] un X. Il avait sur la poitrine et le ventre une plaque de fer, et sur cette plaque étaient posées en tas cinq ou six grosses pierres. Son râle était tantôt un souffle, tantôt un rugissement. [addition abandonnée: "Un filet de sang suintait du coin de ses lèvres."]
Le shériff, sans quitter son bouquet de roses, prit sur la table, de la main qu’il avait libre, sa verge blanche et la dressa en disant :
— Obédience à sa majesté.
Puis il reposa [corrige "remit"] la verge sur la table.
Ensuite, avec la lenteur d’un glas, ["avec la lenteur..." ajouté] sans un geste, ["sévère," barré] aussi immobile que le patient, le shériff éleva la voix.
Il dit :
— Homme qui êtes ici lié de chaînes, écoutez pour la dernière fois la voix de justice. Vous avez été extrait de votre cachot et amené dans cette geôle. Dûment [corrige "Régulièrement"] interpellé et dans les formes voulues, formaliis verbis pressus [en sc. sur + (peut-être le même mot réécrit)] , sans égard aux lectures et communications qui vous ont été faites et qui vous vont être renouvelées, inspiré par un esprit de ténacité mauvaise et perverse, ["formaliis..." ajouté] vous vous êtes enfermé dans le ["enfermé..." corrige "obstiné au"] silence, et vous avez refusé de répondre au juge. Ce qui est un libertinage détestable, et [Ce qui est..." corrige, en cours de rédaction, une première rédaction déplacée plus bas: "C'est pourquoi, aux termes de la loi vous avez été appliqué à l'épreuve du tourment communément dit "la peine forte et dure"] ce qui constitue, parmi les faits punissables du cashlit, le crime et délit d’oversenesse [", parmi les faits..." corrige "le crime et délit de cashlit et d'oversenesse [en sc. au-dessus du même mot mal orthographié] "].
Le sergent de la coiffe debout à droite du shériff interrompit et dit avec
[La fin du folio est corrigée, augmentée, puis entièrement barrée à grands traits et remplacée par sa réfection au folio suivant, intercalé. On lit:
"Le sergent de la coiffe debout à droite du shériff interrompit et dit, avec une indifférence funèbre:
— Overhernessa. Lois d’Alfred et de Godrun. Chapitre six.
Le sheriff continua [en sc. sur "poursuivit"] :
— Pour des cas semblables, les anglais ont de tout temps joui du droit de fosse, de fourche et de chaînes.
— Anglica [corrige +] charta, année 1088, dit le sergent.
Et, avec la même gravité mécanique, le sergent ajouta [" Et, avec..." corrige "Et il ajouta"] :
— Voici le texte : Ferrum, et fossam, et furcas, cum aliis libertatibus. ["Le sheriff continua..." addition]
Le shériff reprit :
— C’est pourquoi, homme, étant réfractaire à sa majesté, vous avez été, aux termes de la loi, mis à l’épreuve du ["mis à l'épreuve du" corrige "appliqué au"] tourment dit « la peine forte et dure .» Vous avez été amené dans cette basse-fosse, vous avez été dépouillé de vos vêtements, vous avez été [oublié et ajouté] couché tout nu à terre sur le dos, vos quatre membres" Le folio 375 prend la suite de la rédaction initiale.]
[f° 374, K14. Ce folio est intercalé.] une indifférence qui avait on ne sait quoi de funèbre :
— Overhernessa. Lois d’Alfred et de Godrun. Chapitre six. [ces deux lignes ajoutées, pour la clarté de l'articulation, et barrées au folio précédent]
Le shériff reprit :
— La loi est vénérée de tous, excepté des larrons qui infestent les bois où les biches font leurs petits.
Comme une cloche après une cloche, le sergent dit ["dit" corrige "haussa [corrige "éleva"] la voix et dit" qui corrige "répondit au shéiff"] :
— Qui faciunt vastum in foresta ubi damœ solent founinare.
— Celui qui refuse de répondre au magistrat [corrige "juge"] , dit le shériff, est suspect de tous les vices. Il est réputé capable de tout le mal.
Le sergent intervint :
— Prodigus, devorator, profusus, salax, ruffianus, ["salax..." ajouté] ebriosus, luxuriosus, simulator, consumptor patrimonii, elluo, ambro, et gluto.
— Tous les vices, dit le shériff, supposent tous les crimes. Qui n’avoue rien confesse tout. Celui qui ["refuse" barré en correction cursive] se tait devant les questions du juge est de fait [en sc. sur "droit"(?)] menteur et parricide.
— Mendax et parricida, fit le sergent.
Le shériff dit [corrige "répondit" qui corrige "reprit"(?)] :
— Homme, il n’est point permis de se faire absent par le silence. Le faux contumace fait une blessure à la loi. Il ressemble à Diomède blessant une déesse. [phrase ajoutée] La taciturnité devant la justice [en sc. sur "le juge"] est une forme de la rébellion. Lèse-justice, c’est lèse-majesté. Rien de plus haïssable [en sc. sur "détestable"(?) qui corrige "grave"] et de plus téméraire. Qui se soustrait à l’interrogatoire vole la vérité. [faux départ: "Pour des cas s"] La loi y a pourvu. Pour des cas semblables, les anglais ont de tout temps ["de tout temps" corrige "toujours"] joui du droit de fosse, de fourche et de chaînes.
— Anglica charta, année 1088, dit le sergent.
Et toujours avec la même gravité mécanique, le sergent ajouta :
— ["nostris libertatibus" barré en correction cursive] Ferrum, et fossam, et furcas, cum aliis libertatibus.
Le shériff continua :
— C’est pourquoi, homme, puisque vous n’avez ["puisque vous n'avez" corrige "n'ayant"] pas voulu vous départir du silence ["vous départir": ajouté] , bien que sain d’esprit et parfaitement informé de ce que vous demande la justice, puisque vous êtes ["puisque vous êtes" corrige "étant"] diaboliquement réfractaire, vous avez dû [en sc. sur +] être géhenné, et vous avez été, aux termes ["de la loi," barré en correction cursive] des statuts criminels, mis à l’épreuve du tourment dit « la peine forte et dure ». Voici ce qui vous a été fait. La loi exige que je vous en informe authentiquement. [phrase ajoutée; elle se substitue à une phrase ou un membre de phrase mis entre barres verticales puis rayé: " + + ensuite ce qui reste à faire"; ajout autographe à la copie] Vous avez été amené dans cette basse-fosse, vous avez été dépouillé de vos vêtements, vous avez été couché tout nu à terre sur le dos, vos quatre membres [f° 375, L14. Deux traits d'interruption. Retour à la rédaction initiale.] ont été tendus et liés aux quatre colonnes de la loi, une planche [corrige "lame"(?)] de fer vous a été appliquée au ventre, et l’on vous a mis sur le corps autant de pierres que vous en pouvez porter. « Et davantage », dit la loi.
— Plusque [corrige "Et magis"] , affirma [en sc. sur "interrompit"] le sergent.
[Trait d'interruption.]
Le shériff poursuivit [en sc. sur "continua"] :
— En cette situation, et avant de prolonger l’épreuve, il vous a été fait, par moi shériff du comté de Surrey, sommation itérative de répondre et de parler, et vous avez sataniquement [corrige "diaboliquement"] persévéré [en sc. sur "persisté"] dans le silence, bien qu’étant au pouvoir des gênes [corrige "géhennes"(?)] , chaînes, ceps, [ajouté] [un mot barré] entraves et ferrements.
— Attachiamenta legalia, dit le sergent.
— Sur votre refus et endurcissement [corrige "persistance"] , dit le shériff, [faux départ: "l'épreuve a continué ["comme le veut" barré en correction cursive] telle que la commande la loi"] étant équitable [corrige "juste"] que l’obstination de la loi soit égale à l’obstination du criminel, l’épreuve a continué, telle que la commandent les édits et textes ["édits..." corrige "textes et statuts"] . ["En cette situation...": addition] Le premier jour on ne vous a donné ni à boire ni à manger.
— Hoc est superjejunare, dit le sergent.
Il y eut un silence. On entendait l’affreuse respiration sifflante de l’homme sous le tas de pierres. [Ce paragraphe en remplace deux dans la rédaction initiale: "Le shériff fit silence. / Le patient râla."]
Le sergent en droit compléta son interruption ["son interruption" corrige "sa citation"] ["en droit..." corrige "["ajouta" barré en correction cursive] de la coiffe ajouta"] :
— Adde augmentum abstinentiæ ciborum diminutione. Consuetudo britannica, article cinq cent quatre.
Ces deux hommes, le shériff et le sergent, alternaient ; rien de plus sombre [corrige "glaçant" qui corrige "tragique"] que cette monotonie imperturbable ; la voix lugubre répondait à la voix sinistre ; on eût dit le prêtre et le diacre du supplice, célébrant la messe féroce de la loi ["célébrant..." remplace "cette + féroce de la loi"] . ["Ces deux hommes...": addition]
Le shériff recommença [corrige "reprit"] :
— Le premier jour on ne vous a donné ni à boire ni à manger. Le deuxième jour on vous a donné à manger et pas à boire ; on vous a mis entre les dents trois bouchées ["bouchées" corrige "petits morceaux"(?)] de pain d’orge. Le troisième jour on vous a donné à boire et pas à manger. On vous a versé dans la bouche, en trois fois et en trois verres, une pinte d’eau prise au ruisseau d’égout ["d’égout" ajouté] de la prison. Le quatrième jour est venu. C’est aujourd’hui. Maintenant si vous continuez à ne pas répondre, vous serez laissé là jusqu’à ce que vous mouriez. Ainsi le veut justice [corrige "la loi"] .
Le sergent, toujours à sa réplique, approuva [, toujours..." corrige "de la coiffe dit"] :
— Mors rei homagium est bonæ legi.
— Et tandis que vous vous sentirez trépasser lamentablement, repartit ["vous sentirez..." corrige ""agoniserez, dit [corrigé "repartit"]"] le shériff, nul ne vous assistera, quand même le sang vous sortirait de la gorge, de la barbe et des aisselles, et de toutes les ouvertures du corps depuis la bouche jusqu’aux reins.
— A throtebolla, dit le sergent, et pabu et subhircis, et a grugno usque ad crupponum. ["— Et tandis que vous ..." addition]
Le shériff continua [corrige "poursuivit"] :
— Homme, faites attention. Car les suites vous regardent. Si ["Homme, faites attention..." remplace "Homme," lui-même ajouté] si vous renoncez à votre silence exécrable ["silence exécrable" corrige "rébellion opiniâtre" qui corrige "silence [corrige "obstination"] détestable"] , et si vous avouez, [faux départ: "vous aurez droit au meldefeoh, qui est une somme d’argent, et"] vous ne serez que pendu, et vous [un ou deux mots barrés en correction cursive] aurez droit au meldefeoh, qui est une somme d’argent.
— Damnum [corrige "Scelus"] confitens, dit le sergent, habeat le meldefeoh. Leges Inæ, chapitre vingt.
[Trait d'interruption.]
[f° 376, M14]
— Laquelle somme, ["reprit" barré en correction cursive] insista [corrige "continua"] le shériff, vous sera payée en ["doitkins et galihalpens" barré en correction cursive] doitkins, suskins et galihalpens, seul cas où cette monnaie puisse être employée, aux termes du statut d’abolition, an troisième de Henri cinquième, et aurez le droit et jouissance de scortum ante mortem, et serez ensuite étranglé au gibet. Tels sont les avantages de l’aveu. Vous plaît-il répondre à justice ?
Le shériff [en sc. sur "pati"] se tut, et attendit. Le patient demeura sans mouvement.
Le shériff reprit [en sc. sur "recommença"] :
— Homme, le silence est un refuge où il [y] a plus de risque que de salut. L’opiniâtreté est damnable et scélérate. [phrase ajoutée] Qui se tait devant justice est félon à la couronne. Ne persistez point dans cette désobéissance ["Ne persistez..." corrige "La désobéissance est scélérate, et"] non filiale. Songez à sa majesté. Ne résistez pas à ["pas à" en sc. sur "pas"] notre gracieuse reine. [faux départ: "Soyez loyal sujet."] Quand je vous parle, répondez-lui. Soyez loyal sujet.
Le patient râla.
Le shériff repartit :
— Donc, ["Donc," ajouté] après les soixante-douze premières heures de l’épreuve ["de l’épreuve" rétabli après correction en "du tourment"] , nous voici au quatrième jour. Homme, c’est le jour décisif. C’est au quatrième jour que la loi fixe la confrontation.
— Quarta die, frontem ad frontem adduce, grommela [corrige "dit"] le sergent.
— La sagesse de la loi, refit le shériff, a choisi cette heure extrême, afin d’avoir ce que nos ancêtres [corrige +] appelaient « le jugement par le froid mortel », attendu que c’est le moment où les hommes sont crus sur leur oui et sur leur non.
Le sergent en droit appuya :
— Judicium pro frodmortell, quod homines credendi sint per suum ya et per suum na. Charte du roi Adelstan. Tome premier. page cent soixante-treize.
Il y eut un instant d’attente, puis le shériff [faux départ: "interpella"] inclina ["sa face sév" barré en correction cursive] vers le patient sa face sévère. ["— La sagesse de la loi...": addition]
— Homme qui êtes là couché à terre! ["Homme qui êtes..." corrige "Homme qui êtes là couché à terre, dit le shériff !" qui corrige "Homme, dit le shériff !"]
Et il fit une pause ["une pause" corrige "silence"] .
— Homme, cria-t-il, m’entendez-vous ?
L’homme ne bougea pas.
— Au nom de la loi, dit le shériff, ouvrez les yeux.
Les paupières de l’homme [corrige "du patient"] restèrent closes [corrige "fermées"] .
Le shériff se tourna vers le médecin debout à sa gauche.
— Docteur, donnez votre diagnostic.
— Probe, da diagnosticum, dit le sergent.
Le médecin descendit de la dalle avec la roideur magistrale, ["arriv" barré en correction cursive] s’approcha de l’homme, se pencha, ["se pencha," ajouté] mit son oreille près de la bouche du patient, lui tâta le pouls au poignet, à l’aisselle et à la cuisse ["à la cuisse" corrige "au cou"] , ["au poignet...": ajouté] et se redressa.
— Eh bien, dit [corrige "demanda"] le shériff?
["Le médecin répondit:" barré]
— Il entend encore, dit le médecin [", dit le médecin" peut-être ajouté] .
— Voit-il, demanda le shériff?
Le médecin [en sc. cursive sur "— Il p"] répondit :
— Il peut voir.
[f° 377, N14]
Sur un signe du shériff, le justicier-quorum et le wapentake s’avancèrent. Le wapentake se plaça près de la tête du patient ; le justicier-quorum s’arrêta derrière Gwynplaine.
Le médecin recula d’un pas entre les piliers.
Alors le shériff, [quatre ou cinq mots barrés, sans doute en correction cursive] élevant le bouquet de roses comme un prêtre son goupillon, interpella [correction abandonnée: "se mit à parler"] le patient d’une voix haute, et devint formidable [", et devint..." corrige "et sinistre" rétabli après correction en "et formidable"] :
— O misérable, parle ! la loi te supplie avant de t’exterminer [corrige "te foudroyer"] . Tu veux sembler [corrige "être"] muet, songe à la tombe qui est muette ; tu veux paraître sourd, songe à la damnation qui est sourde. Pense à la mort, qui est pire que toi. [faux départ: "Ecoute! Ecoute! Ecoute! Tu vas être abandonné"] Réfléchis [corrige "Songes-y"] , tu vas être abandonné dans ce cachot ["corrige "cette cave"] . Écoute, mon semblable, car je suis un homme ! Écoute, mon frère, car je suis un chrétien ! Écoute, mon fils, car je suis un vieillard ! Prends garde à [en sc. sur +] moi, car je suis le maître de ta souffrance, et je vais tout à l’heure être horrible. L’horreur de la loi fait la majesté du juge. Songe que moi-même je tremble devant moi. Mon propre pouvoir me consterne. [phrase en addition de troisième niveau] Ne me pousse pas à bout. [phrase en addition de deuxième niveau] Je me sens plein de la sainte méchanceté du châtiment. [phrase en addition de premier niveau] Aie donc, ô infortuné, la salutaire [corrige + qui corrige +] et honnête crainte de la justice [corrige "du juge"] , et obéis-moi. [une addition abandonnée de plusieurs mots] [faux départ: "Pense que l'achèvement est mon droit. Cadavre commencé + + moins qu'il ne te plaise"] L’heure de la confrontation est venue et tu dois répondre. Ne t’obstine point dans la résistance. [phrase ajoutée] N’entre pas dans l’irrévocable. Pense que l’achèvement est mon droit. Cadavre commencé, écoute ! A moins qu’il ne te plaise expirer ici pendant des heures, des jours et [ajouté] des semaines, et ["expirer ici...": addition; elle est postérieure à l'addition correctrice qui suit] agoniser longtemps d’une épouvantable agonie affamée et fécale ["agoniser..." corrige "d'agoniser longtemps d'une agonie affamée et fécale" qui corrige la première rédaction: "+ longtemps sous le poids d'une agonie affamée et fécale"] sous le poids de ces pierres, seul dans ce souterrain, délaissé, oublié, aboli [corrige "rayé de la vie"] , ["délaissé, oublié...": ajouté] donné à manger aux rats et aux belettes ["et aux belettes" ajouté] , mordu par les bêtes des ténèbres, tandis [en sc. sur "pendant"] qu’on ira et viendra et ["tandis...": addition de second niveau] ["pendant" barré] qu’on achètera et qu’on vendra et que les voitures rouleront dans la rue au-dessus de ta tête ; ["pendant qu'on achètera...": addition de premier niveau] à moins qu’il ne te convienne de râler sans rémission au fond de ce désespoir, ["à moins...": addition] grinçant, pleurant, blasphémant, sans un médecin pour apaiser tes plaies, sans un prêtre pour offrir [en sc. sur +] le verre d’eau divin à ton âme, oh ! à moins que tu ne veuilles [à moins que..." corrige "si tu ne veux pas"] sentir lentement éclore à tes lèvres l’écume affreuse du sépulcre, ["entends-moi!" barré et déplacé] oh ! je t’adjure et je te conjure, entends-moi ! ["entends-moi!" ajouté] je t’appelle à ton propre secours, aie pitié de toi-même, fais ce qui t’est demandé, [f° 378, O14] cède à la justice, obéis, tourne la tête, ouvre les yeux, et dis si tu reconnais cet homme !
[Ce qui suit est écrit au-dessus de trois lignes préparatoires au crayon: "Le patient ne tourna point la tête et n'ouvrit point les yeux + + + + + "] Le patient ne tourna pas la tête et n’ouvrit pas les yeux.
Le shériff jeta un coup d’œil tour à tour au justicier-quorum et au wapentake ["jeta un coup..." corrige "regarda le justicier-quorum et le wapentake"] .
Le justicier-quorum ôta à Gwynplaine son chapeau et son manteau, le prit par les épaules et lui fit faire face à la lumière du côté de l’homme enchaîné. Le visage de Gwynplaine se détacha dans toute cette ombre, avec son relief étrange, ["se détacha..." corrige "se trouva [corrige "apparut"] "] pleinement éclairé.
En même temps le wapentake se courba, saisit par les tempes entre ses deux mains la tête du patient, tourna cette tête inerte vers Gwynplaine, et de ses deux pouces et de ses deux index écarta les paupières fermées. Les yeux farouches [corrige "sanglants"] de l’homme apparurent. [phrase ajoutée]
Le patient [corrige "L'homme"] vit Gwynplaine.
Alors, soulevant lui-même sa tête et ouvrant ses paupières toutes grandes, il le regarda.
Il tressaillit autant qu’on peut tressaillir quand on a une montagne sur la poitrine, et il cria :
— ["Oui!" barré, sans doute en correction cursive] C’est lui ! oui ! c’est lui !
Et, terrible, il éclata de rire.
— C’est lui , [point-virgule corrigé en virgule] répéta-t-il!
Puis il laissa retomber sa tête sur le sol, et ["Puis il laissa..." corrige "Puis il cessa de rire, sa tête retomba sur le sol, et" qui corrige "Puis sa tête retomba sur le sol, et +" La copiste corrige "Puis il cessa de rire, sa tête retomba sur le sol, et"] il referma les yeux.
— Greffier, écrivez, dit le shériff.
Gwynplaine, quoique terrifié, avait fait jusqu’à ce moment là à peu près bonne contenance. Le cri du patient : C’est lui ! le bouleversa [corrige "glaça"] . Ce : Greffier, écrivez, le glaça. Il lui sembla comprendre qu’un scélérat [", sans qu'il pût dire pourquoi," barré en correction cursive et déplacé] l’entraînait dans sa destinée, sans que lui Gwynplaine pût deviner pourquoi, et que l’inintelligible aveu ["l'inintelligible aveu" corrige "l'incompréhensible +" qui corrige "l'inexplicable [qui corrige +] + "] de cet homme se fermait [corrige "serrait"] sur lui comme la charnière d’un carcan ["la charnière..." corrige "l'écrou d'un étau"] . Il se figura cet homme et lui attachés au même pilori à deux poteaux jumeaux. [phrase ajoutée] Gwynplaine perdit pied dans cette épouvante, et se débattit. Il [ "éclata" barré; le folio 24 747, 61bis prend la suite] se mit à balbutier des bégaiements incohérents, avec le trouble profond de l’innocence, et ["il" barré en correction cursive] , ["se mit à balbutier..." ajouté]
[f° 379, P14. Ce folio est la réfection d'une rédaction antérieure que Hugo a conservée: le f° 61v du ms 24 747, qui porte le même trait d'interruption à la fin de la page.]
frémissant, effaré, éperdu, il jeta [variante sans choix: "articula" rayée à la copie] au hasard les premiers cris qui lui vinrent et toutes ces paroles de l’angoisse qui ont l’air de projectiles insensés.
— Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas moi. Je ne connais pas cet homme. Il ne peut pas me connaître puisque je ne le connais pas. J’ai ma représentation de ce soir qui m’attend. Qu’est-ce qu’on me veut ? Je demande ma liberté. Ce n’est pas tout ça. Pourquoi m’a-t-on amené dans cette cave ? Alors il n’y a plus de lois. Dites tout de suite qu’il n’y a plus de lois. [phrase ajoutée] Monsieur le juge, je répète que ce n’est pas moi. Je suis innocent de tout ce qu’on peut dire. Je le sais bien, moi. Je veux m’en aller. Cela n’est pas juste. Il n’y a rien entre cet homme et moi. On peut s’informer. [faux départ: "J'ai un écriteau."] Ma vie n’est pas une chose cachée. On est venu me prendre comme un voleur. Pourquoi est-on venu comme cela ? ["On est venu..." se substitue à "Il y a assez de monde qui sont venus voir l'Homme qui Rit." déplacé plus bas] Cet homme-là, est-ce que je sais ce que c’est ? [faux départ: "Je suis l'Homme qui Rit."] Je suis un garçon ambulant qui joue des farces dans les foires et les marchés. Je suis l’Homme qui Rit. Il y a assez de monde qui sont venus me voir! [faux départ: "Je loge à l'inn Tadcaster, j'ai"] Nous sommes dans le Tarrinzeau-field. [phrase ajoutée, de même à la copie] Voilà quinze ans que je fais mon état honnêtement. [faux départ: "Je loge à l'inn"] J’ai vingt-cinq ans. Je loge à l’inn Tadcaster. Je m’appelle Gwynplaine. Faites-moi la grâce de me faire mettre hors d’ici, monsieur le juge. Il ne faut pas abuser de la petitesse des malheureux. Ayez ["pitié d'un" barré en correction cursive] compassion d’un homme qui n’a rien fait, et qui est sans protection et sans défense. Vous avez devant vous un pauvre saltimbanque.
— J’ai devant moi, dit le shériff, lord Fermain Clancharlie, baron Clancharlie et Hunkerville, marquis de Corleone en Sicile, pair d’Angleterre.
Et se levant, et montrant son fauteuil à Gwynplaine, le shériff ajouta :
— Mylord, que Votre seigneurie daigne s’asseoir.
[Trait d'interruption.]
[f° 380, non paginé par VH; papier blanc.]
[au coin supérieur droit: "Suite du manuscrit" / D'une écriture diférente: "2e partie l'Homme qui Rit"]
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[En partie droite de la feuille, sur cinq lignes, barrées: "Vérifier la véritable / orthographe" suit trois fois, orthographié sans doute différemment, le nom du juge Jeffreys, ponctué d'un point d'interrogation. Au-dessous: "19 juin 1868 - vérification faite, l'orthographe est Jef+"]
[f° 381, Q14. Au coin supérieur droit de la feuille, la date "14 février 1868".
Une rédaction antérieure (24 747, f° 93-97) adopte un ordre, des tonalités et des proportions différents : l’incompréhension initiale de Gwynplaine qui s’obstine à demander qu’on le laisse partir tourne presque au comique ; le texte tire en longueur l’interrogatoire de Gwynplaine par le juge où lui reviennent des souvenirs de sa captivité chez les comprachicos ; cet interrogatoire devait précéder la lecture de la lettre contenue dans la bouteille jetée à la mer au lieu de la suivre. VH abandonne dès la première ligne, mais récupère nombre d'éléments de la première rédaction pour la seconde -voir l'avant-texte. On y observe un trait d'interruption douteux au f° 93, deux, certains, au f° 94, deux encore au f° 96.
Le folio 381 lui-même est une réfection de second niveau puisqu'il ne se raccorde pas directement à la réfection de premier niveau du f° 382.]
La destinée nous tend parfois un verre de folie à boire. Une main sort du nuage et nous offre brusquement la coupe sombre où est l’ivresse inconnue.
Gwynplaine ne comprit pas.
Il regarda derrière lui pour voir à qui l’on parlait. [paragraphe ajouté]
Le son trop aigu n’est plus perceptible à l’oreille ; l’émotion trop aigue n’est plus perceptible à l’intelligence. Il y a une limite pour comprendre comme pour entendre. ["Le + ("trop"?) assourdit." mis entre barres verticales puis barré.]
Le wapentake et le justicier-quorum s’approchèrent de Gwynplaine et le prirent sous les bras, et il sentit qu’on l’asseyait dans le fauteuil d’où le shériff s’était levé. Il se laissa faire, [VH écrit d'abord "Il se laissa faire." le barre, écrit "Hébété, il se laissa faire," puis encadre "Hébété" de barres verticales avant de le rayer. A la copie, VH raye "Hébété" et ajoute le signe d'un alinéa à faire avant "Il se laissa".] sans s’expliquer comment cela se pouvait.
Quand Gwynplaine fut assis, le justicier-quorum et le wapentake reculèrent de quelques pas et se tinrent droits et immobiles en arrière du fauteuil.
Alors le shériff posa son bouquet de roses sur la dalle, mit des lunettes que lui
[f° 382, R14. La rédaction initiale du folio ne se raccorde pas au précédent qui est une réfection au 2° degré puisque tout ce début du chapitre a une première version aux folios 93-97 du ms 24 747.]
[Début du folio barré à grands traits: "Alors, tandis que Gwynplaine hébété regardait ["stupidement" mis entre barres verticales, puis rayé] le shérif et que, pris sous les bras par le justicier-quorum et le wapentake, il sentait qu'on l'asseyait dans le fauteuil, le shériff [addition correctrice: "le vieux magistrat posa son bouquet de roses sur la dalle,"] mit des lunettes que lui"]
présenta le greffier, tira de dessous les dossiers qui encombraient la table, une feuille de parchemin tachée, [ajouté] jaunie, verdie, rongée et cassée ["à divers endroits" barré en correction cursive] par places [corrige "par endroits"] , qui semblait avoir été pliée à plis très étroits, et [faux départ: "qui était"] dont un côté était couvert d’écriture, et, debout sous la lumière de la lanterne, rapprochant ["cette feuille" barré en correction cursive] de ses yeux cette feuille ["cette feuille" ajouté] , ["le shériff," barré] de sa voix la plus solennelle, ["et la plus grave, + + magistrale, " barré] il lut ceci : ["il lut..." est ajouté; la première rédaction: "lut ceci:" a été surchargé par "magistrale"]
« Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit,
« Ce jourd’hui [en sc. su "huy"] vingt neuvième de ["vingt neuvième de" corrige "vingt neuf"] janvier mil six cent quatre-vingt-dix ["quatre-vingt-dix" en sc. sur "cinquante six"; même correction à la copie] de Notre-Seigneur,
« A été méchamment abandonné, sur la côte déserte de Portland, dans l’intention de l’y laisser périr de faim, de froid et de solitude, un enfant âgé de dix ans.
« Cet enfant a été vendu à l’âge de deux ans par ordre de sa très gracieuse majesté le roi Jacques deuxième. [La phrase se poursuivait dans deux lignes qui suivent, l'une en addition ou correction à l'autre. Nous ne lisons que leurs derniers mots: "la présente déclaration est faite." et "soussignés, qui venons de l'abandonner aujourd'huy"]
« Cet enfant est lord Fermain Clancharlie, fils légitime unique de lord Linnœus Clancharlie, baron Clancharlie et Hunkerville, marquis de Corleone en Italie, pair ["d'Ang" barré en correction cursive] du royaume d’Angleterre, défunt, et d’Ann Bradshaw, son épouse, défunte.
« Cet enfant est héritier des biens et titres de son père. C’est pourquoi il a été vendu, mutilé, défiguré et disparu par la volonté de sa très gracieuse majesté.
« Cet enfant a été élevé et dressé pour être bateleur dans les marchés et foires.
« Il a été vendu à l’âge de deux ans après la mort du seigneur son père, et ["dix livres" barré en correction cursive] dix [en sc. sur "cinq"] livres sterling ont été données au roi pour l’achat de cet enfant, [f° 383, S14. Trait d'interruption. Ce folio a l'aspect d'une mise au net.] ainsi que pour diverses concessions, tolérances et immunités [corrige "privilèges"] .
« Lord Fermain Clancharlie, âgé de deux ans, a été acheté par moi soussigné qui écris ces lignes, et mutilé et défiguré par un flamand de Flandre nommé Hardquanonne, lequel est seul en possession des secrets et procédés du docteur Conquest.
[Trait d'interruption.]
« L’enfant était destiné par nous à être un masque de rire. Masca ridens.
« A cette intention, Hardquanonne lui a pratiqué ["sur la face" barré] l’opération Bucca fissa usque ad aures, qui met sur la face un rire éternel [", qui met..." ajouté] .
« L’enfant, ["ayant été," barré en correction cursive] par un moyen [corrige "procédé"] connu de Hardquanonne seul [ajouté] , ["et +" barré en correction cursive] ayant été endormi et fait insensible ["et fait insensible" ajouté] pendant ce travail, ignore l’opération qu’il a subie.
« Il ignore qu’il est lord Clancharlie.
« Il répond au nom de Gwynplaine.
« Cela tient à la bassesse de l’âge et à la petitesse de mémoire qu’il avait quand il a été vendu et acheté, étant à peine âgé de deux ans. [paragraphe en addition]
« Hardquanonne est le seul qui sache faire l’opération Bucca fissa, et ["l'enf" barré en correction cursive] cet enfant est le seul vivant [ajouté] à qui elle ait été faite.
« Cette opération est ["tellement" barré] unique et singulière à ce point ["à ce point" ajouté] que, même après de longues années, cet enfant, fût-il un vieillard au lieu d’être un enfant, et ses cheveux noirs [en sc. sur "blancs"] fussent-ils devenus des cheveux blancs, serait immédiatement reconnu par Hardquanonne.
« [faux départ: "Hardquanonne," ] A l’heure où nous écrivons ceci, Hardquanonne, lequel sait pertinemment ["sait..." corrige "connaît"] tous ces faits et y a participé comme auteur principal, est détenu dans les prisons de son altesse le prince d’Orange, vulgairement appelé le roi Guillaume III. Hardquanonne a été appréhendé et saisi comme étant un de ceux dits les Comprachicos ou Cheylas. Il est enfermé dans le donjon de Chatham.
[faux départ: "Ce jour d'huy"]
« C’est en Suisse, près du lac de Genève, entre Lausanne et Vévey, dans la maison même où son père et sa mère étaient morts, que l’enfant nous a été ["vendu et livré" barré en correction cursive] , conformément aux commandements du roi, vendu et livré par le dernier domestique du feu lord Linnœus, lequel domestique a trépassé peu après comme ses maîtres, de sorte que cette affaire délicate et secrète n’est plus connue à cette heure de personne ici bas, si ce n’est de Hardquanonne, qui est au cachot dans Chatham, et de nous, qui allons mourir. [paragraphe en addition]
« Nous soussignés, avons élevé et gardé huit ans, pour en tirer parti dans notre industrie, le petit seigneur ["le petit..." corrige "l'enfant Gwynplaine, qui est lord Fermain Clancharlie"] acheté par nous au roi.
[f° 384, T14. Ce folio a l'aspect d'une mise au net.]
« Ce jour ["Ce jour en sc. sur +] d’huy, fuyant l’Angleterre pour ne point partager le mauvais sort de Hardquanonne [au-dessus une correction ou une addition d'un mot, abandonnée] , nous avons [en sc. sur ""venons"] , par timidité et crainte, à cause des inhibitions et fulminations pénales édictées en parlement, abandonné [corrige "d'abandonner"] , à la nuit tombante, sur la côte de Portland, [un mot barré, sans doute en correction cursive] ledit [corrige "l' "] enfant Gwynplaine, qui est lord Fermain Clancharlie.
« Or, avons juré le secret au roi, mais pas à Dieu.
« Cette nuit, en mer, assaillis d’une sévère tempête par la volonté de la Providence, en [en sc. sur +] plein désespoir et détresse, agenouillés devant celui qui peut sauver nos vies et qui voudra peut-être sauver nos âmes, n’ayant plus rien à attendre des hommes et tout à craindre de Dieu, ayant pour ancre et ressource le repentir de nos actions mauvaises, résignés à mourir et contents si la justice d’en haut se satisfait, humbles et pénitents et nous frappant la poitrine, faisons cette déclaration et la confions et remettons à la mer furieuse pour qu’elle en use selon le bien à l’obéissance de Dieu. [point corrige virgule] Et [en sc. sur +, peut-être "et"] que la Très Sainte Vierge nous soit en aide. Ainsi soit-il. Et avons signé. »
Le shériff, s’interrompant, dit :
— Voici les signatures. Toutes d’écritures diverses. [phrase ajouté]
Et il se remit à lire :
— « Doctor Gernardus Geestemunde. — Asuncion. — Une croix, et à côté : Barbara Fermoy, de l’île Tyrryf, dans les Ebudes. — Gaïzdorra, captal. — Giangirate. — Jacques Quatourze, dit le Narbonnais. — Luc-Pierre Capgaroupe, du bagne de Mahon. —
Le shériff, s’arrêtant encore, dit :
— Note écrite ["écrite" répété et barré] de la même main que le texte et que la première signature:
Et il lut :
— « De trois hommes d’équipage, le patron ayant été enlevé par un coup de mer, il ne reste que deux. Et ont signé. — Galdeazun. [f° 385, V14. Trait d'interruption.] — Ave-Maria, voleur. »
Le shériff, mêlant la lecture et les interruptions, continua :
— Au bas de la ["Au bas..." en sc. sur un faux départ: "En bas du +"] feuille est écrit : — « En mer. A bord de la Matutina, ourque de Biscaye, du golfe ["du golfe": en sc. cursive puis correction de "port" puis "du port"] de Pasages. »
— Cette feuille, ajouta le sheriff, est un parchemin de chancellerie qui porte le filigrane du roi Jacques deuxième. En marge de la déclaration, et de la même écriture, il y a cette note [correction en "ceci" abandonnée] : — « La présente déclaration est écrite par nous au verso de l’ordre royal qui nous a été remis pour notre décharge d’avoir acheté l’enfant. Qu’on retourne la feuille, on verra l’ordre. »
Le shériff retourna le parchemin, et l’éleva [faux départ: "en l'exposant à la"] dans sa main droite en l’exposant à la lumière. On [en sc. cursive sur + +] vit une page blanche, si le mot page blanche peut s’appliquer à une telle moisissure, et au milieu de la page ["étaient écrits" barré] trois mots écrits [ajouté] : deux mots latins, [faux départ: "et une signature"] jussu regis; et une signature, Jefferies [en sc sur "Jeffries"; de même à la copie] .
— Jussu regis. Jefferies [en sc sur "Jeffries"; de même à la copie] , dit le shériff ["d'une voix grave" barré en correction cursive] passant de la voix grave à la voix haute ["passant..." correction cursive de "d'une voix grave"].
Un homme à qui il vient de tomber sur la tête une tuile du palais des rêves, c’était là Gwynplaine.
[Trait d'interruption. Les huit lignes qui suivent sont écrite au-dessus d'un texte préparatoire au crayon dont la premières ligne -"Il se mit à parler comme on parle dans l'inconscience."- est exactement repassée à l'encre.]
Il se mit à parler comme on parle dans l’inconscience :
— Gernardus. Oui. Le docteur. Un homme vieux et triste. J’en avais peur. Gaïzdorra. Captal. Cela veut dire ["Captal..." ajouté] le [d'abord majuscule] chef. Il y avait des femmes. Asuncion; et l’autre. Et puis le provençal. C’était Capgaroupe. Il buvait dans une ["gourde" barré en correction cursive] bouteille plate sur laquelle il y avait un nom écrit en rouge.
— La voici, dit le shériff.
Et il posa sur la table une chose [corrige "un objet"] que le greffier venait de tirer du sac de justice.
C’était une gourde à oreillons, ["plate, et" barré] revêtue d’osier. [corrige virgule] ["et toute moisie." barré] Cette bouteille avait visiblement [placé entre deux barres verticales ensuite raturées; elles le sont aussi par VH à la copie] eu des aventures. Elle avait dû [f° 386, V14] séjourner dans l’eau. Des coquillages et des conferves y adhéraient. Elle était incrustée et damasquinée de toutes les rouilles de l’océan [corrige "la mer"] . Le goulot avait un collet de goudron indiquant qu’elle avait été hermétiquement bouchée. Elle était décachetée et ouverte. On avait toutefois replacé dans le goulot une sorte de tampon de funin goudronné qui avait été le bouchon.
— C’est dans cette bouteille, dit le shériff, qu’avait été enfermée ["la déclar" barré en correction cursive] par les gens qui allaient mourir la déclaration dont il vient d’être donné lecture. Ce message adressé à la justice lui a été fidèlement remis [corrige "apporté"] par la mer.
Le shériff augmenta la majesté de son intonation, et continua :
— De même que la montagne Harrow est excellente au blé et fournit la fine fleur de farine dont on cuit le pain pour la table royale, de même la mer rend à l’Angleterre tous les services qu’elle peut, et quand un lord se perd, elle le retrouve et le rapporte.
Puis [", il reprit + + + (trois ou quatre mots encadrés de barres verticales avant d'être barrés)"] il reprit ["Puis...corrige la rédaction initiale "Et le shériff ajouta"] : ["Le shériff augmenta...": addition]
— Sur cette gourde il y a ["Sur cette..." corrige "Cette gourde porte"] en effet un nom écrit en rouge.
Et, haussant la voix, il se tourna [", il se touna" corrige "et se tournant"] vers le patient ["redevenu" barré] immobile [", il ajouta" barré] :
— Votre nom à vous, malfaiteur [en sc. sur "misérable"] qui êtes ici. Car telles sont les voies obscures par où la vérité ["arrive du fond d'un crime [correction abandonnée: "des choses"] à la surface" barré en correction cursive] , engloutie dans le gouffre [correction ébauchée et abandonnée: "la prof(ondeur)"] des actions humaines, arrive du fond à la surface.
Le shériff [addition ébauchée et abandonnée: "nettoya la gourde"] prit la gourde et présenta à la lumière un des côtés de l’épave ["de l’épave" ajouté] qui avait été nettoyé, probablement pour les besoins de la justice. On y voyait serpenter dans les entrelacements de l’osier, un mince ruban de jonc rouge, devenu noir par endroits, travail de l’eau et du temps. Ce jonc, malgré quelques cassures, [", malgré..." ajouté] traçait distinctement dans l’osier ces douze lettres : Hardquanonne.
Alors le shériff, reprenant ce son de voix particulier [corrige + qui corrige "péremptoire"] qui ne ressemble à rien et ["ce son de voix..." corrige "cette intonation inexorable"] qu’on pourrait qualifier [corrige "appeler"] l’accent de justice, se tourna vers le patient :
— Hardquanonne ! quand, par nous shériff, cette gourde, sur laquelle est votre nom, vous a été, pour la première fois, montrée, exhibée et ["montrée..." ajouté] présentée, vous l’avez tout d’abord et de bonne grâce reconnue comme vous ayant appartenu ; puis lecture vous ayant été faite, en sa teneur, [", en sa teneur," corrige "de la déclaration"] du parchemin qui y était ployé et enfermé ["qui y était..." corrige "qu'elle contenait"] , [f° 387, X14] vous n’avez pas voulu en dire davantage, et, dans l’espoir sans doute que l’enfant perdu ["l’enfant perdu" corrige "votre victime"] ne serait pas retrouvé [féminin corrigé] et que vous échapperiez au châtiment, vous avez refusé de répondre. A la suite duquel refus, vous avez été appliqué à la peine forte et dure, et deuxième lecture dudit parchemin ["contenant la confession" barré] où est consignée [corrige "écrite"] la déclaration et confession [VH écrit d'abord "contenant la confession et", barre "confession et" et poursuit en inversant l'ordre des termes: "déclaration et confession"; puis, ultérieurement, barre "contenant la" et le corrige, en marge, par "où est écrite/consignée la"] de vos complices, vous a été donnée. Inutilement. Aujourd’hui, qui est le jour quatrième et le jour légalement voulu ["légalement voulu" ajouté] de la confrontation, ayant été mis en présence de celui qui a été abandonné à Portland le vingt-neuf janvier mil six cent quatrevingt dix, l’espérance diabolique s’est évanouie en vous, et vous avez rompu le silence et reconnu votre victime…
Le patient ouvrit les yeux, dressa la tête, et, d’une voix où il y avait la sonorité étrange de l’agonie, avec on ne sait quel calme mêlé à son râle, prononçant tragiquement sous cet amas de pierres des mots pour chacun desquels il lui fallait soulever l’espèce de ["l’espèce de" corrige "le"] couvercle de tombe posé sur lui, ["prononçant...": addition] il se mit à parler :
— J’ai juré le secret et je l’ai gardé le plus que j’ai pu. Les hommes sombres sont les hommes fidèles, et il existe [corrige "y a"] une honnêteté dans l’enfer. Aujourd’hui [", soit, " barré en corection cursive; les virgules ne sont pas barrées] le silence est devenu inutile. Soit. C’est pourquoi je parle. Eh bien oui. C’est lui. [trois mots barrés, peut-être "Je l'ai fait" rayé en correction cursive] ["Il est mon chef d'oeuvre. Je l'ai fait." placé entre barres verticales puis rayé] Nous l’avons fait à nous deux le roi , le roi par sa volonté, moi par mon art ["mon art" en sc. sur "ma science"] .
Et, regardant ["fixement" barré] Gwynplaine, il ajouta :
— Maintenant ris à jamais.
Et lui-même, ["comme une fois déjà," barré] il se mit à rire.
Ce second rire, plus farouche [en sc. sur + qui corrige "formidable"] encore que le premier, aurait pu être pris pour un sanglot.
Le rire cessa, et [ajouté] l’homme se recoucha. Ses paupières se refermèrent ["se refermèrent" corrige "étaient refermées"] . Le shériff, qui avait laissé la parole au supplicié, poursuivit [en sc. sur "reprit"] :
— De tout quoi il est pris acte.
Il donna [corrige "laissa"] au greffier le temps d’écrire, puis il dit : ["— De tout quoi..." corrige "— Prenons acte. ["Hardquanonne" barré en correction cursive] / Et il apostropha [en sc. sur "interpella"] le patient:"]
— Hardquanonne, aux termes de la loi, [f° 388, Y14. Trait d'interruption.] après confrontation suivie d’effet, après troisième lecture de la déclaration de vos complices, ["de vos..." ajouté] désormais confirmée par votre reconnaissance [en sc. cursive sur "aveu,"] et confession, après votre aveu itératif, vous allez être dégagé de ces entraves, et remis au bon plaisir de sa majesté pour être pendu comme plagiaire.
[Trait d'interruption.]
— Plagiaire, fit le sergent de la coiffe. C’est à dire acheteur et vendeur d’enfants. Loi visigothe, livre sept, titre trois, paragraphe Usurpaverit ; et ["Usurpaverit..." corrige +] Loi salique, titre quarante et un, paragraphe deux ; et Loi des Frisons, titre vingt et un, de Plagio. Et ["livre sept, titre trois...": écriture différente; il est possible que VH ait laissé un blanc, ensuite rempli par les références] Alexandre Nequam dit :
Qui pueros vendis, plagiarius est tibi nomen(1). ["Qui pueros...": écriture différente; ici également un blanc a sans doute été menagé et la citation inscrite ultérieurement] [(1)Toi qui vends des enfants, ton nom est plagiaire.] [Note ajoutée en marge; même ajout par la copiste]
Le shériff posa le parchemin sur la table, ôta ses lunettes, ressaisit [corrige "reprit"] le bouquet ["de roses" barré] , et dit :
— Fin de la peine forte et dure. Hardquanonne, remerciez sa majesté.
D’un signe, le justicier-quorum mit en mouvement l’homme habillé de cuir. ["D'un signe..." corrige "Le justicier-quoum avertit d'un [corrige "fit un"] signe ["à" barré] l'homme habillé [en sc. sur "vêtu"] de cuir qui, jsque là, n'avait pas fait un mouvement."]
Cet homme, qui était un valet de bourreau, « groom du gibet », disent les vieilles chartes, alla au [corrige "s'approcha du"] patient, lui [ajouté] ôta l’une après l’autre les pierres qu’il avait sur le ventre, enleva la plaque de fer qui laissa voir les côtes déformées du misérable, puis lui défît des poignets et des chevilles les quatre carcans qui le liaient aux piliers.
Le patient, déchargé des pierres et délivré des chaînes, resta [corrige "demeura"] à plat sur la terre, les yeux fermés, ["les yeux..." ajouté] les bras et les jambes écartés, comme un crucifié décloué.
— Hardquanonne, dit le shériff, levez-vous.
Le patient ne remua point.
Le groom du gibet ["groom..." corrige "valet de bourreau"] lui prit une main et la lâcha ; la main retomba. L’autre main soulevée, retomba de même. Le valet de bourreau ["Le valet..." corrige "Puis il"] saisit un pied, puis l’autre, les talons revinrent frapper le sol. Les doigts restèrent inertes et les orteils immobiles. Les pieds nus d’un corps gisant ont on ne sait quoi de hérissé. ["retomba de même..." corrige et complète la rédaction initiale: "puis un pied, puis l'autre, retombèrent de même."]
Le médecin s’approcha, tira d’une poche de sa robe un petit miroir d’acier, et le mit devant la bouche béante de Hardquanonne ; puis du doigt il lui ouvrit les paupières. Elles [f° 389, Z14] ne s’abaissèrent point. Les prunelles vitreuses demeurèrent fixes.
Le médecin se redressa, et dit :
— Il est mort.
Et [ajouté; la majuscule à "Il" n'est pas corrigée] il ajouta :
— Il a ri; cela l’a tué.
["Et il salua le shériff." barré]
— Peu importe, dit le shériff. Après l’aveu, vivre ou mourir n’est plus qu’une formalité.
Puis, désignant Hardquanonne d’un geste de son bouquet de roses, le shériff jeta cet ordre au ["le shériff..." corrige "le shériff interpella le" qui corrige "il s'adressa au"] wapentake :
— Carcasse à emporter d’ici cette nuit.
[faux départ: "Le greffier écrivait."]
Le wapentake adhéra d’un hochement de tête. Et le shériff ajouta :
— Le cimetière de la prison est en face. ["Et le shériff ajouta...": addition]
["Le greffier écrivait." barré]
Le wapentake fit un nouveau signe d’adhésion.
Le greffier écrivait. ["Le wapentake fit..."addition de la même écriture que la précédente]
Le shériff, ayant [en sc. sur "portant" ou "prenant"] dans sa main gauche le [corrige "son"] bouquet, prit dans l’autre main ["l’autre main" corrige "sa main droite"] sa baguette blanche, se plaça droit [en sc. sur "debout"] devant Gwynplaine toujours assis [ces deux mots ajoutés] , lui fit une révérence profonde [corrige "jusqu'à terre"] , puis, autre attitude de [corrige "forme de la"] solennité, renversa sa tête en arrière, et regardant Gwynplaine en face, lui dit :
— A vous qui êtes ici présent, nous Philippe Denzill Parsons, chevalier, shériff du comté de Surrey, assisté d’Aubrie Docminique, écuyer, notre clerc et ["clerc et" ajouté] greffier, et de nos officiers ordinaires, dûment pourvu de commandements [corrige "d'ordres"] directs et spéciaux de sa majesté, en vertu de notre commission et des droits et devoirs de notre charge, et avec le congé du lord chancelier d’Angleterre, Procès-verbaux dressés et actes pris, vu les pièces communiquées par l’amirauté [en sc. sur +] , après vérification des attestations et signatures, ["après vérification..." ajouté] après déclarations lues et ouïes, après confrontation faite, toutes les constatations et informations ["et informations" ajouté] légales étant complétées, ["et" barré, virgule ajoutée] épuisées et menées à bonne et juste fin ["et menées..." ajouté] , nous vous signifions et déclarons, afin qu’il en advienne ce que de droit, que vous êtes Fermain Clancharlie, baron Clancharlie et Hunkerville, marquis de Corleone en Sicile, pair d’Angleterre, et que Dieu garde votre seigneurie.
[addition abandonnée: "Il referma"(?); faux départ: "Tous les assistants, excepté le bourreau]
Et il salua.
Le sergent en droit [ces deux mots ajoutés], le docteur, le justicier-quorum, le wapentake, le greffier, tous les assistants, excepté le ["le wapentake...": ligne ajoutée; la rédaction se poursuit, initialement, au f° 211v°; il comporte un trait d'interruption et est abandonné pour une raison qu'on ne devine pas.] [f° 390, A15. Mise au net.] bourreau, répétèrent ce salut plus profondément encore, et s’inclinèrent jusqu’à terre devant Gwynplaine.
— Ah ça, cria Gwynplaine, réveillez-moi !
Et il se dressa debout, tout [corrige "égaré et"] pâle.
[Un interligne légèrement plus grand indique que VH a recopié à la fin du folio précédent et ici le texte du folio 211v°. La rédaction initiale du folio 390 commençait à ce qui suit.]
— Je viens vous réveiller en effet, dit une voix qu’on n’avait pas encore entendue.
Un homme sortit de derrière un des piliers. Comme personne n’avait pénétré dans la cave depuis que la lame de fer ["de fer" ajouté] avait livré passage à l’arrivée du ["avait livré..." corrige "s'était ouverte devant le"] cortège [corrige "cortége"] de police, il était visible que cet homme était dans cette ombre avant l’entrée de Gwynplaine, qu’il avait un rôle régulier d’observation, et qu’il avait mission et fonction de se tenir là. Cet homme était gros et replet [en sc. sur "court"(?)] , ["plutôt vieux que jeune," barré et déplacé] en perruque de cour et en manteau de voyage [correction abandonnée: "ville"] , plutôt vieux que jeune, et très correct.
Il salua Gwynplaine avec respect et aisance, avec l’élégance d’un gentleman domestique, et sans gaucherie de magistrat.
— Oui, dit-il, je viens vous réveiller. Depuis vingt-cinq ans, vous dormez. Vous faites un songe, et il faut en sortir. Vous vous croyez Gwynplaine, vous êtes Clancharlie. Vous vous croyez du peuple, vous êtes de la seigneurie. [corrige virgule] Vous vous croyez au dernier rang, vous êtes au premier. Vous vous croyez histrion, vous êtes sénateur. Vous vous croyez pauvre, vous êtes opulent. Vous vous croyez petit, vous êtes grand. Réveillez-vous, mylord ! [En marge à hauteur de cette ligne: "Le cauchemar est fini." mis entre barres verticales et rayé]
Gwynplaine, d’une voix très basse, et où il y avait une certaine terreur, murmura :
— Qu’est-ce que tout cela veut dire ?
— Cela veut dire, mylord, répondit le gros homme, que je m’appelle Barkilphedro; que je suis officier de l’amirauté, ["de l'amirauté," est encadré de barres verticales raturées] que cette épave, la gourde de Hardquanonne, a été [f° 391, B15. Mise au net. Le défaut de raccord de ce folio avec le précédent ("a été" est répété ici) indique que l'un ou l'autre -ou les deux- est probablement issu d'une réfection.] ["a été" non barré] trouvée au bord de la mer, qu’elle m’a été apportée pour être décachetée [corrige "ouverte"] par moi, [faux départ: "les épaves"] comme c’est la sujétion et la prérogative de ma charge, que je l’ai ouverte en présence des deux jurés assermentés de l’office Jetson, lesquels sont tous deux membres du parlement, William Blathwaith, pour la ville de Bath, et Thomas Jervoise pour Southampton, que les deux jurés ont décrit et ["ont décrit et" au-dessus de deux ou trois mots barrés] certifié le contenu de la gourde et signé le procès-verbal d’ouverture, conjointement avec moi, que j’ai fait mon rapport à sa majesté, que, par l’ordre de la reine, [", par l'ordre..." ajouté] toutes les formalités légales nécessaires ont été remplies avec la discrétion que commande une si délicate matière, et [ajouté] que la dernière, la confrontation, vient d’avoir lieu ; cela veut dire que vous [faux départ: "êtes"] avez un million de rentes ; cela veut dire que vous êtes lord du Royaume-Uni de la Grande Bretagne, législateur et juge, juge suprême, législateur souverain, vêtu de la pourpre et de l’hermine, ["vêtu..." ajouté] égal aux princes, semblable aux empereurs, que vous avez sur la tête la couronne de pair, et que vous allez épouser une duchesse, fille d’un roi.
[ "Gwnplaine s'évanouit." barré; peut-être s'agit-il d'un faux départ]
["Sous tous ces coups de tonnerre de la transfiguration inexorable, Gwynplaine s'évanouit." barré; idem: faux départ ou correction?]
Sous cette transfiguration croulant sur lui [correction abandonnée: "faite"] à coups de tonnerre, Gwynplaine s’évanouit.
[blanc au bas de la page]
[f° 392 blanc]
[f° 393, C15]. Une autre version, antérieure, de l'histoire de la gourde et de ses conséquences, centrée, elle, non sur la reine mais sur Barkilphedro, se trouve aux f° 398 et suiv. Les folios 393-397 sont intercalés.]
Toute cette aventure était venue d’un soldat qui avait trouvé une bouteille au bord de la mer.
Racontons le fait. [corrige une virgule] ["expliquons l'engrenage." barré et repris tout de suite] ["Toute cette aventure...": addition]
A tout fait se rattache un engrenage. [paragraphe ajouté à l'addition qui précède]
[début de la rédaction initiale, barré et remplacé par les additions qui précèdent : "Disons + + ce qui était arrivé.
Le château de Calshor est au bord de la mer." ] Un jour un des quatre canonniers composant la garnison du [rétabli après correction en "de ce"] château de Calshor ["de Calshor," rétabli pour la seconde fois après deux suppressions] avait ramassé dans le sable à marée basse une gourde d’osier [addition abandonnée et déplacée: "toute moisie"] jetée là par le flux. Cette gourde, toute moisie, était bouchée d’un bouchon goudronné. [phrase ajoutée] Le soldat avait porté [rétablit après correction en "remis"] l’épave au colonel du château, et le colonel l’avait transmise à l’amiral d’Angleterre. L’amiral, c’était l’amirauté ; pour les épaves, l’amirauté, c’était Barkilphedro. Barkilphedro avait ouvert ["la gour" barré en correction cursive] et débouché la gourde, et l’avait portée à la reine. La reine avait immédiatement avisé. Deux conseillers considérables avaient été informés et consultés : le lord-chancelier, qui est, de par la loi, « gardien de la conscience du roi d’Angleterre », et le lord-maréchal, qui est « juge ["d'armes de la noblesse" barré en correction cursive] des armes et de la descente de la noblesse ». Thomas Howard, duc de Norfolk, pair catholique, ["pair..." ajouté] qui était héréditairement haut [corrige "lord"] -maréchal d’Angleterre, avait fait dire [corrrige "déclarer"] par son député-comte-maréchal Henri Howard, comte de Bindon, qu’il serait de l’avis du lord-chancelier. Quant au lord [corrige +]-chancelier, c’était William Cowper. Il [". Il" corrige ", qu'il"] ne faut point confondre ce chancelier ["ce chancelier" ajouté] avec son homonyme et son contemporain William Cowper, l’anatomiste commentateur de Bidloo, qui publia en Angleterre ["en Angleterre" ajouté] le Traité des muscles presque au moment où Étienne Abeille publiait en France ["en France" ajouté] l’Histoire des os ; ["celui-" barré; le mot, avant prolongation de l'addition, la reliait au texte initial: "ci était un chirurgien..."] ["l'anatomiste commentateur..." addition de premier niveau] un chirurgien est distinct d’un lord ["un chirurgien...": addition ajoutée à l'addition qui précède]. ["l'anatomiste commentateur...": les deux additions se substituent au texte initial: "l'anatomiste, auteur du Traité des muscles et commentateur de Bidloo; celui-ci était un chirurgien, celui-là était un lord."] Lord William Cowper était célèbre pour avoir ["déclaré" barré] , à propos de l’affaire de Talbot Yelverton, vicomte Longueville, émis cette sentence ["émis..." ajouté] : « qu’au respect de la constitution d’Angleterre, la restauration d’un pair importait plus que la restauration d’un roi ». La gourde trouvée à Calshor avait éveillé au plus haut point son attention. L’auteur d’une maxime aime les occasions de l’appliquer. C’était un cas de restauration d’un pair. ["La gourde trouvée...": addition] Des recherches avaient été faites. Gwynplaine, ayant écriteau sur rue, était facile à trouver. Hardquanonne aussi. Il n’était pas mort. La prison pourrit l’homme, mais le conserve. Si garder c’est conserver. ["conserve..." corrige "garde du dépérissement [f° 394] comme + + +."] [f° 394, D15] Les gens confiés [corrige "qu'on mettait"] aux bastilles y étaient rarement [corrige "peu"] dérangés. On ne changeait guère plus de cachot qu’on ne change de cercueil. Hardquanonne était encore dans le donjon de Chatham. On n’eut qu’à mettre la main dessus. On le transféra de Chatham à Londres. En même temps on s’informait en Suisse. Les faits [", vérifiés, " rayé] furent reconnus exacts. On leva, dans les greffes locaux, à Vévey, à Lausanne, l’acte de mariage de lord Linnœus en exil, ["son acte de décès," barré en correction cursive; à la copie, cette correction ne figure pas dans l'ajout autographe, signe que, cette fois-ci, l'ajout a été écrit au ms et recopié sur la copie] l’acte de naissance de l’enfant, les actes de décès du père et de la mère, et l’on en eut « pour servir ce que de besoin » de doubles expéditions [virgule au texte autographe de la copie] dûment certifiées. ["On leva...": addition; de même à la copie] Tout cela s’exécuta dans le plus sévère secret, ["dans le plus..." ajouté] avec ce qu’on appelait alors la promptitude royale, et avec le « silence de taupe » recommandé et pratiqué par Bacon, et plus tard érigé en loi par Blackstone [fait l'objet d'une correction orthographique] pour les affaires de chancellerie et d’état, et pour les choses qualifiées [corrige "dites"] sénatoriales.
Le jussu regis et la signature Jefferies [corrige "Jeffries"; en marge cette note: "écrire partout Jefferies" est d'abord encadrée de points d'interrogation, rayés ensuite] furent ["reconnus exacts" barré en correction cursive] vérifiés. Pour qui a étudié pathologiquement les cas ["pathologiquement..." corrige "les variétés"] de caprice dits [corrige "dites"] « bon plaisir » [guillemets ajoutés] , ce jussu regis est tout simple. Pourquoi Jacques II, ["intéressé" barré sans doute en correction cursive] qui, ce semble, eût dû cacher de tels actes, en laissait-il, au risque même de [en sc. sur "d'en"] compromettre la réussite, des traces écrites ? Cynisme. Indifférence hautaine. ["Indifférence hautaine.": ajout] Ah ! vous croyez qu’il n’y a que les filles d’impudiques ! la raison d’état l’est aussi. Et se cupit ante videri. Commettre un crime et s’en blasonner, c’est là toute l’histoire. ["Ah! vous croyez...: addition; de même à la copie] Le roi se tatoue, comme le forçat. On a ["tout" corrigé en "certes"(?), corrigé en +, le tout barré] intérêt à échapper au gendarme et à l’histoire, on en serait bien fâché, on tient à être connu et reconnu. Voyez mon bras, remarquez ce dessin, un temple de l’amour et un cœur enflammé percé d’une flèche, c’est moi qui suis Lacenaire. Jussu regis. C’est moi qui suis Jacques II. On commet une mauvaise action, on met sa marque dessus. Se compléter par l’effronterie, se dénoncer soi-même, faire imperdable son méfait, c’est la bravade [corrige "l'habitude"] insolente du malfaiteur. Christine saisit Monaldeschi, le fait confesser et assassiner, et dit : Je suis reine de Suède chez le roi de France. ["Se compléter...": addition] ["Se compléter...": addition; elle se substitue à " Signer son crime, c'est royal. " barré et déplacé] Il y a le tyran qui se cache, comme Tibère, et le tyran qui se vante, comme Philippe II. L’un est plus scorpion, l’autre est plus léopard [corrige "tigre"] . Jacques II était de cette dernière variété. Il avait, on le sait, le visage ouvert et gai ["ouvert..." corrige "bon enfant"] ; différent en cela de Philippe II [", mais, comme Philippe II, il avait la tranquillité de ses forfaits" barré et déplacé] . Philippe était lugubre, Jacques était jovial. On [en sc. sur "-, on"] est tout de même féroce [corrige "terrible"] . Jacques II était le tigre bonasse. Il avait, comme Philippe II, la tranquillité de ses forfaits. Il était monstre ["de droit divin" barré en correction cursive et déplacé] par la grâce de Dieu. Donc il n’avait rien à dissimuler et à atténuer, et ses assassinats étaient de droit divin. Il eût volontiers, lui aussi, [addition abandonnée et déplacée: "numéroté les [corrige "ses"] attentats de sa façon ["de sa façon ajouté] et"] laissé derrière lui ses archives de Simancas avec tous ses attentats numérotés ["tous ses attentats..." corrige "toutes ses actions criminelles notées"] , datés, classés, étiquetés et mis [féminin pluriel corrigé pour ces quatre mots] en ordre, chacun [féminin corrigé] dans son compartiment, comme les poisons dans l’officine d’un pharmacien. Signer ses crimes, c’est royal.
Toute action commise est une traite tirée sur le grand payeur ignoré.
Celle-ci venait d’arriver à échéance avec l’endos sinistre Jussu
regis. [paragraphe ajouté]
[f° 395, E15]
La reine Anne [en sc. sur "La Reine"]
, point femme d’un côté, en ce qu’elle excellait à garder un secret,
avait demandé ["au lord-chancelier" barré en
correction cursive] , sur cette grave affaire, au
lord-chancelier, un rapport confidentiel du genre qualifié « rapport à
l’oreille royale ». Les rapports de cette sorte ont toujours été usités
dans les monarchies. A Vienne, il y avait le conseiller de
l’oreille, personnage aulique. C’était une ancienne dignité
carlovingienne, l’auricularius des vieilles chartes palatines.
Celui qui parle bas à l’empereur. ["Les
rapports...": addition; de même à la copie]
[signe d'alinéa à faire ajouté; de même à la copie] William, baron Cowper, chancelier d’Angleterre, que la reine croyait [corrige "aimait"; de même à la copie] , parce qu’il était myope comme elle et plus qu’elle, ["que la reine croyait...": addition] avait rédigé un mémoire commençant ainsi : « Deux oiseaux étaient aux ordres de Salomon, une huppe, le hudbud, qui parlait toutes les langues, et un aigle, le simourganka, qui couvrait d’ombre avec ses ailes une caravane de vingt mille hommes. De même, sous une autre forme, la providence, etc, [", etc," se substitue à "aide, dans le bon gouvernement de son état, la reine d'Angleterre »] etc. Le lord-chancelier constatait le fait d’un héritier de pairie enlevé et mutilé, puis retrouvé [", puis retrouvé" ajouté]. Il ne blâmait point Jacques II, père de la reine après tout. Il donnait même des raisons. Premièrement : il y a les anciennes maximes monarchiques. E senioratu eripimus. In roturagio cadat. Deuxièmement : ["Premièrement...": addition] le [d'abord majuscule] droit royal de mutilation [un mot barré en correction cursive] existe. Chamberlayne l’a constaté.* [*« La vie et les membres des sujets dépendent uniquement du roi. » (Chamberlayne. 2e partie. chap. IV. page 76.)] [note ajoutée.] Corpora et bona [corrige "membra"; mais la traduction n'est pas modifiée] nostrorum subjectorum nostra sunt, a dit Jacques Ier, de glorieuse et docte mémoire. Il a été crevé les yeux à des ducs de sang royal pour le bien du royaume. [corrige "de l'état,"] Certains [rétabli après correction en "Aucuns"] princes [faux départ: "ont été"] , trop voisins du trône, ont été [faux départ: "étouffés"] utilement étouffés entre deux matelas, ce qui a passé pour apoplexie. Or étouffer, c’est plus que mutiler. ["Certains princes...": addition de second niveau] Le ["fils de Muley-Assem," barré; même suppression à la copie] roi de Tunis [virgule rayée] a arraché les yeux à son père, Muley-Assem [", Muley-Assem" ajouté] , et ses ambassadeurs n’en ont pas moins été reçus par l’empereur. Donc le roi [un mot ébauché barré en correction cursive] peut ordonner une suppression de membre comme une suppression d’état, etc., c’est légal, ["Le roi de Tunis..." addition de premier niveau] etc. Mais une légalité ne détruit pas l’autre: « Si le noyé revient sur l’eau et n’est pas mort, c’est Dieu qui retouche l’action du roi. Si l’héritier se retrouve, que la couronne lui soit rendue. Ainsi il fut fait pour lord Alla, roi de Northumbre, qui lui aussi avait été bateleur. Ainsi il doit être fait pour Gwynplaine, qui lui aussi est roi, c’est-à-dire lord. [+ barré] La bassesse du métier [corrige "de l'état"] , traversé et subi ["et subi" ajouté] par force majeure, [", traversé..." addition] ne ternit point le blason ; témoin Abdolonyme, qui était roi, et qui fut jardinier ; ["témoin Abdolonyme...": addition] témoin Joseph, qui était saint, et qui fut menuisier ; témoin Apollon, qui était dieu, et qui fut berger. » Bref, le savant chancelier concluait à la réintégration [faux départ: "de Fermain"] en tous ses biens et dignités, de Fermain, lord Clancharlie, faussement appelé Gwynplaine, « à la seule condition qu’il fût confronté avec ["Hardquanonne et reconnu" barré en correction cursive] le malfaiteur Hardquanonne, et reconnu par ledit ». Et sur ce, le chancelier, [f° 396, F15] garde constitutionnel [ajouté] de la conscience royale, rassurait cette conscience.
Le lord-chancelier rappelait en postscriptum ["en postscriptum" ajouté] que, au cas où ["au cas où" corrige "si"] Hardquanonne refuserait [corrige "refusait"] de répondre, il devait être appliqué à « la peine forte et dure », auquel cas, pour atteindre la période dite de frodmortell voulue par la charte du roi Adelstan, la confrontation devait avoir lieu le quatrième jour ; ce qui a bien un peu l’inconvénient que si le patient meurt le second ou le troisième jour, la confrontation devient difficile ; mais la loi ["est la loi +" barré sans doute en correction cursive] doit être exécutée. L’inconvénient de la loi fait partie de la loi. [phrase ajoutée; de même à la copie]
Du reste dans l’esprit du lord-chancelier la reconnaissance de Gwynplaine par Hardquanonne ne faisait aucun doute. ["Le lord-chancelier rappelait...": addition]
Anne, très [corrige "bien"(?)] informée de la difformité [en sc. sur "défiguration" qui corrige "monstruosité"] de Gwynplaine, ne voulant point faire ["Anne, très informée..." complète et corrige "Anne, ne voulant faire aucun"] tort à sa sœur, ["décida avec bonheur qu'elle" barré et déplacé]
["La monstruosité de Gwynplaine était noto(ire)": ligne barrée. VH l'a vraisemblablement écrite en prévoyant de supprimer pour le déplacer ce qui précède: "La monstrosité de Gwynplaine était notoire; Anne, ne voulant faire aucun tort...".]
à laquelle avaient été substitués les biens des
Clancharlie, décida avec bonheur que la duchesse Josiane serait épousée
par le nouveau lord, c’est à dire par Gwynplaine. ["la
duchesse Josiane...": rétablit, en marge, la rédaction initiale, dont
les corrections sont toutes abandonnée: "serait épousée par" corrigé
en "épouserait"; "c'est à dire par Gwynplaine" corrigé en "c'est à
dire Gwynplaine" puis en "c'est à dire un mari hideux."]
La réintégration de lord Fermain Clancharlie était, du reste, un cas très simple, l’héritier étant légitime et direct ["légitime..." corrige "légitime, direct, et évident"]. Pour les filiations douteuses ou pour les pairies « in abeyance » revendiquées [en sc. sur +] par des collatéraux, la chambre des lords doit être consultée ["doit..." oublié et ajouté] . Ainsi, sans remonter plus haut, elle le fut, en 1782, pour la baronnie de Sidney, réclamée par Élisabeth Perry, en 1798, pour la baronnie de Beaumont, réclamée par Thomas Stapleton, en 1803, pour la baronnie de Chandos réclamée par le [en sc. sur +] révérend Tymewell Brydges, en 1813, pour la ["baronnie" barré en correction cursive] pairie-comté de Banbury, réclamée par le lieutenant général Knollys; etc. , mais ici rien de pareil. Aucun litige ; une légitimité évidente ; un droit clair et certain ; il n’y avait point lieu à saisir la chambre ["il n'y avait point..." corrige le même nombre de mots, non lus] , et la reine, assistée du lord-chancelier, suffisait pour reconnaître et admettre le nouveau lord. ["La réintégration...": paragraphe ajouté; de même à la copie; cette addition est postérieure aux autres du folio.]
Barkilphedro mena tout.
L’affaire, grâce à lui, resta tellement souterraine, ["L'affaire...": ajouté] le [d'abord majuscule] secret fut si hermétiquement gardé que ni Josiane, ni lord David, n’eurent vent du prodigieux fait qui se creusait sous eux. Josiane, très altière, avait un escarpement qui la rendait aisée à bloquer. Elle s’isolait d’elle-même. Quant à lord David, on l’envoya en mer, sur les côtes de Flandre [", sur les côtes..." ajouté] . Il allait perdre la lordship [corrige "pairie"] et ne s’en doutait pas. Notons ici un détail. [phrase ajoutée] Il advint [en sc. sur + (peut-être le même mot, mal écrit)] ["qu'un capi" barré en correction cursive] qu’à dix lieues du mouillage de la station navale commandée par lord David ["par lord David" corrige "par lord David Dirry-Moir"] ["de la station..." corrige "de lord David Dirry-Moir"] , un capitaine nommé Halyburton força la flotte française. Le comte de Pembroke, président du conseil, porta [corrige +] sur une proposition de promotion de contre-amiraux ce capitaine Halyburton. Anne raya Halyburton et mit lord David Dirry-Moir à sa place, ["raya..." corrige "+, refusa, mais fit lord David Diry-Moir conte-amiral."] afin [corrige "de façon"] que lord David eût au moins, lorsqu’il apprendrait qu’il n’était plus pair, la consolation d’être contre-amiral. ["afin que..." ajouté de la même encre que la correction précédente]
[début d'une cascade d'additions] Anne se sentit [en sc. sur "disait"(?)] contente. Un mari horrible à sa sœur, un beau grade à lord David. Malice et bonté.
Sa majesté [corrige "Elle"] allait se
donner la comédie. En outre, elle se disait que c'était équitable,
qu’elle réparait un abus de pouvoir de son auguste [ajouté]
père, qu’elle restituait un membre à la pairie, qu’elle [quatre
ou cinq mots barrés, sans doute en correction cursive] agissait
en grande reine, qu’elle protégeait l’innocence selon la volonté de
Dieu, que la providence dans ses saintes et impénétrables voies, etc.
C’est bien doux de faire une action juste qui est désagréable à
quelqu’un qu’on n’aime pas. ["Anne se sentit
contente...": addition de troisième niveau. Elle reprend et développe
une addition de deuxième niveau: " Anne + + se sentit contente. + un
mari horrible [corrige + qui corrige +] à sa soeur, un beau grade à
lord David. Malice et bonté."]
[f° 397: bande de papier collée au folio. Ce texte est, à la copie, l'objet d'une feuille séparée (f° 361/374), reliée plus loin dans le volume.] Du reste, savoir que le futur mari de sa sœur était difforme, avait suffi à la reine. De quelle façon ce Gwynplaine était-il difforme, quel genre de laideur était-ce ? Barkilphedro n’avait pas tenu à en informer la reine, et Anne n’avait pas daigné s’en enquérir. Profond dédain royal. Qu’importait d’ailleurs ? La chambre des lords ne pouvait qu’être reconnaissante [corrige "satisfaite", de même à la copie] . Le lord-chancelier, l’oracle, [réécrit ou corrige +] avait parlé. Restaurer un pair, c’est restaurer toute la pairie. La royauté, en cette occasion, se montrait bonne et respectueuse gardienne du privilège de la pairie. Quel que fût le visage du nouveau lord [corrige "de Gwynplaine"] , un visage ["n'empêche pas un droit" barré en correction cursive] n’est pas une objection contre un droit. Anne se dit plus ou moins tout cela, et alla simplement [corrige "droit" qui n'est pas corrigé à la copie] à son but, à ce grand but ["royal [corrigé "féminin"], se satisaire" barré en correction cursive] féminin et royal, se satisfaire. [Ce texte reprend et corrige une première rédaction, ajoutée tout au bas du folio, donc après les autres additions, et qui rend compte de la conduite de la reine par des considérations différentes, lesquelles seront employées un peu plus loin:
"Du reste, savoir bien positivement que Gwnplaine ["était" barré en correction cursive] le futur mari de sa sœur, était difforme avait suffi à la reine. [faux départ: "Barkilphedro n'avait pas tenu à l'infomer de"] Quel genre de laideur était-ce ? Barkilphedro n’avait pas tenu à l'en informer, et sa majesté [corrige "elle"] n’avait pas daigné s’en enquérir. Profond dédain royal, et profonde bêtise, royale, aussi. Ajoutons qu'en aucun cas, Anne [en sc. sur "elle"] n'eût été arrêtée, dans un capice de reine et de femme, par la crainte de déplaire à la chambre des lords. La royauté en ce temps-là [corrige "alors"] , pour des raisons qu'on verra déduites plus tard, mortifiait volontiers l'aristocratie. [faux départ: "Quelle ironie, par exemple, et quel + d'offrir"] La couronne ["montrait" barré en correction cursive] laissait volontiers voir en mainte occasion, les [non corrigé] hautain désir d'humilier la pairie. C'était de la revanche, mais cette revanche était souvent amère. [phrase ajoutée] Quelle ironie, par exemple, que la corde de soie octoyée à lord Ferrers!"]
La reine était alors à Windsor, ce qui mettait une certaine distance entre les intrigues de cour et le public.
Les personnes seules d’absolue nécessité furent dans le secret de ce qui allait se passer ["dans le secret..." correction abandonnée: "instruites de ce qui s'ourdissait"] .
Quant à Barkilphedro, il fut joyeux, ce qui ajouta à son visage une expression lugubre [corrige "difforme"; de même à la copie] ["ce qui ajouta..." se substitue à trois ou quatre mots : "et eut bonne mine"(?)] .
La chose en ce monde qui peut le plus être hideuse, c’est la joie.
Il eut cette volupté de déguster le premier la gourde de Hardquanonne. Il eut l’air peu ["Il eut l'air peu" corrige "Il sembla peu" qui corrige "Il fut peu"] surpris, l’étonnement étant d’un petit esprit. D’ailleurs, n’est-ce pas ? [", n'est-ce pas?" remplace "il trouvait que"] cela lui était bien dû, à lui qui depuis si longtemps faisait faction à la porte du hasard. Puisqu’il attendait, il fallait bien que quelque chose arrivât.
Ce nil mirari faisait partie de sa contenance. Au fond,
disons-le, ["disons-le," ajouté] il
avait été émerveillé. Quelqu’un qui eût pu lui ôter le masque qu’il
mettait sur sa conscience devant Dieu même, eût trouvé ceci :
Précisément, en cet instant-là, Barkilphedro commençait à être convaincu
["La reine était alors à Windsor...": addition
de premier niveau. Elle se substitue au texte initial, barré à grands
traits: [f° 396bis]
"Quant à Barkilphedro, impossible de dire avec quelle volupté ["impossible..." ajouté] il savourait cette trouvaille de lord Clancharlie. Pour la reine, amusement. Pour Bakilphedro, hideuse joie.
Il se sentait pris d'enthousiasme pour la gourde.
Précisément, en cet instant là, Barkilphedro commençait à être convaincu"]
[blanc au bas de la page. Ce blanc indique que le folio vise un raccord à faire avec une suite antérieure. Effectivement, le folio suivant, 398, offre une autre version, très ramassée et assez différente de l'épisode couvert par les folios 393-397, intercalés, selon l'IN (p. 574), pour tenir compte des observations de Vacquerie critiquant l'absence de motivation à la conduite de la reine et du chancelier.]
[f° 398, G15. Grand blanc au haut de la page.]
["Il était arrivé ceci:
Un jour un des quatre cononniers composant la garnison du château de Calshor, [au-dessus de "composant..." une addition abandonnée d'une ligne] ["qui + + + + +" barré] avait trouvé dans le sable à marée ["à marée" en sc. sur + +] basse une gourde d'osier jetée là par le flux [en sc. sur "flot"] . Le soldat avait remis [en sc. sur "porté"] l'épave au colonel du chateau [", qui s'appelait Ha+," barré] et le colonel l'avait transmise à l'amiral d'Angleterre. De cette façon elle était arrivée, comme mollement portée par le flot lui-même, à Barkilphedro.
Barliphedro, cet instant [corrige "en ce moment"(?)] là, commençait" Ce début du folio est encadré et barré en croix.]
à être convaincu ["à être convaincu" n'est pas barré] qu’il lui serait décidément impossible, à lui ennemi intime et ["intime et" ajouté] infime, de faire une fracture à cette haute existence de la duchesse ["la duchesse" ajouté] Josiane. De là un accès frénétique d’animosité latente ["frénétique...": "animosité" corrige +; "frénétique" et "latente" sont ajoutés ensemble mais après la correction en "animosité"] . Il était parvenu à ce paroxysme qu’on appelle le découragement. D’autant plus furieux qu’il désespérait. Ronger son frein, ["quelle" barré] expression tragique et vraie ! un méchant rongeant l’impuissance. Barkilphedro était peut-être [ajouté] au moment de renoncer, non à vouloir du mal à Josiane, mais à lui en faire ; ["non à vouloir..." ajouté] non à la rage [en sc. sur "haine"] , mais à la morsure [corrige "vengeance"] . Pourtant, quelle chute, lâcher prise ! garder désormais sa haine dans le fourreau, comme un poignard de musée ! Rude humiliation ["Rude humiliation" corrige "Humiliation profonde"] .
Tout à coup, à point nommé, — [tiret ajouté] l’immense [corrige "obscure"] aventure universelle se plaît à ces coïncidences, — [tiret ajouté] la gourde de Hardquanonne vient, de vague en vague, se placer entre ses mains. Il y a dans l’inconnu on ne sait quoi d’apprivoisé qui semble être aux ordres du mal. Barkilphedro, assisté des deux témoins quelconques, jurés indifférents de l’amirauté, débouche [corrige "ouvre"] la gourde, trouve le parchemin, le déploie, lit… — Qu’on se représente cet épanouissement monstrueux [en sc. sur +] !
Il est étrange de penser ["que peut-"(être) barré en correction cursive] que la mer, le vent, les espaces [correction immédiate de "souffles"] , ["les écumes," barré] les flux et les reflux, les orages, les calmes, les souffles, peuvent se donner beaucoup de peine [f° 399, H15] pour arriver à faire le bonheur d’un méchant [corrige "serpent"; de même à la copie] . Cette complicité [corrige "Ce travail"] avait duré quinze ans. Œuvre mystérieuse. [phrase ajoutée] Pendant ces quinze années, l’ ["l'" corrige "le farouche" qui corrige "l'immense"(?)] océan n’avait pas été une minute sans y travailler. ["Ce va et vient farouche [en sc. sur +] avait su ce qu'il faisait.": addition abandonnée] Les flots s’étaient transmis de l’un à l’autre la bouteille surnageante, les écueils avaient esquivé le choc du verre, aucune fêlure n’avait lésardé la gourde, aucun frottement n’avait usé le bouchon, les algues [corrige "conferves"] n’avaient point pourri l’osier, les coquillages n’avaient point rongé le mot Hardquanonne, l’eau n’avait pas pénétré dans l’épave, la moisissure n’avait pas dissous le parchemin, l’humidité n’avait pas effacé l’écriture, que de soins l’abîme avait dû se donner ! Et de cette façon, ce que Gernardus avait jeté [rétabli après correction en "confié"] à l’ombre, l’ombre l’avait remis à Barkilphedro, et le message envoyé à Dieu était parvenu au démon. Il y avait eu abus de confiance dans l’immensité, et l’ironie obscure mêlée aux choses s’était arrangée de telle sorte qu’elle avait compliqué ce triomphe ["ce triomphe" en sc. sur "cette victoire"] ["compliqué..." corrige "fait de ce dénouement"] loyal, l’enfant perdu [corrige "abandonné"] Gwynplaine redevenant lord Clancharlie, d’une victoire ["d'une victoire..." corrige "un miracle"] venimeuse [corrige "satanique" qui corrige infernale" qui corrige "infernal"] , ["qu'elle avait consciencieusement aidé un traître [corrige + qui corrige +], et qu’elle avait ["mis la justice" barré en correction cursive] composé avec de la justice une iniquité" barré en correction cursive. En marge, trois lignes dont on comprend mal comment elles se relient au texte: "de mauvais +" / "en sens inverse" / + + +] qu’elle avait fait méchamment une bonne action, et qu'elle avait mis la justice au service de l’iniquité. [corrige un point d'exclamation] Retirer sa victime à Jacques II, c’était donner une proie à Barkilphedro. Relever Gwynplaine, c’était livrer Josiane. [phrase ajoutée] Barkilphedro réussissait , et c’était pour cela que pendant tant d’années les vagues, les lames [corrige "houles"] , les rafales, avaient ["secoué," barré et déplacé] ballotté, secoué, [ajouté] poussé, jeté, tourmenté [en sc. sur +] et respecté cette bulle de verre où il y avait tant d’existences mêlées ["d'existences..." corrige "de destinées"] ! c’était pour cela qu’il y avait eu entente cordiale entre les vents, les marées [corrige "courants"] et les tempêtes ! ["Sévères [en sc. sur "Sombres"(?)] énigmes." barré] La vaste agitation du prodige complaisante pour un misérable ! l’infini collaborateur d’un ver de terre ! la destinée a de ces volontés sombres. [phrase ajoutée]
["Telles sont les munificences infernales de l'imprévu." barré et déplacé, en addition, au f° 401]
Barkilphedro ["se dit tout cela. Il" barré] eut un éclair d’orgueil titanique [en sc. sur "satanique"]. Il se dit que tout cela avait été exécuté à son intention ["exécuté..." corrige "fait pour lui"] . Il se sentit centre et but. [paragraphe ajouté: l'"orgueil satanique/titanique" appartient à une phrase de première rédaction au folio suivant]
[f° 400, I15]
Il se trompait. Réhabilitons ["Il se..." corrige "Mais réhabilitons"] le hasard. Ce n’était point là le vrai sens du fait remarquable ["du fait remarquable" corrige "du fait singulier" qui corrige "du fait extraordinaire" qui corrige "du fait étrange" qui corrige "de l'aventure." qui corrige "de l'événement." A la copie, VH corrige dans les mêmes termes le "étrange" inscrit par la copiste.] dont profitait la haine de Barkilphedro ["dont profitait..." corrige "qui + + + +"] la relative, dans les deux cas, est une addition] . ["Il se trompait..." ce début du folio est une addition; elle se substitue à la rédaction initiale: "En tout cela, Barkilphedro se leurrait. Il eût pu considérer [corrige "voir"] cette aventure par son vrai sens, et par le côté qui justifiait l'abîme."] L’océan se faisant père et mère d’un orphelin, envoyant la tourmente [corrige "tempête"] à ses bourreaux, brisant la barque qui a repoussé l’enfant, engloutissant les mains jointes des naufragés, refusant toutes leurs supplications et n’acceptant d’eux que leur repentir, la tempête recevant un dépôt des mains de la mort, le robuste navire où était le forfait [corrige "crime"] remplacé par la fiole fragile où est la réparation, la mer changeant de rôle, comme une panthère [corrige "tigresse"] qui se ferait nourrice, et se mettant à bercer, non l’enfant, mais sa destinée, pendant qu’il grandit ignorant ["de l'aventure" barré en correction cursive] de tout ce que le gouffre fait pour lui, les vagues, à qui a ["les vagues..." corrige "la vague, à laquelle"; la correction a dû être immédiate puisque le "a" de "a été" aurait manqué] été jetée la gourde, veillant sur ce passé dans lequel il y a un avenir, l’ouragan soufflant dessus avec bonté, les courants dirigeant la frêle épave à travers l’insondable itinéraire de l’eau, les ménagements des algues, des houles, des rochers, toute la vaste écume de l’abime prenant sous sa protection un innocent, l’onde imperturbable comme une conscience, ["l'onde..." ajouté à l'addition] le chaos rétablissant l’ordre, le monde des ténèbres aboutissant à une clarté, [l'onde imperturbable" barré en correction cursive et déplacé] toute l’ombre employée à cette sortie d’astre, la vérité ; ["l'onde imperturbable...": additions] le proscrit consolé dans sa tombe, l’héritier rendu à l’héritage, le crime du roi cassé, la préméditation divine obéie, le petit, le faible, l’abandonné, ayant l’infini pour tuteur ; voilà ce que Barkilphedro eût pu voir dans l’événement dont il triomphait ; voilà ce qu’il ne vit pas. Il ne se dit point que tout avait été fait pour Gwynplaine ; il se dit que tout avait été fait pour Barkilphedro ; et qu’il en valait la peine. ["Il eut un éclair d'orgueil titanique (ou "titanique")." barré et déplacé au folio précédent en addition] Tels sont les Satans.
Du reste, pour s’étonner qu’une épave fragile ait pu nager [corrige "flotter"] quinze ans sans être avariée, il faudrait peu connaître la profonde [ajouté] douceur de l’océan. Quinze ans, ce n’est rien [corrige "cest peu"] . Le 4 octobre 1867, dans le Morbihan, entre l’île de Groix, la pointe de la presqu’île de Gavres et le rocher des Errants, des pêcheurs de Port-Louis ont trouvé une amphore romaine du quatrième siècle, couverte d’arabesques par les incrustations de la mer. Cette amphore avait flotté quinze cents ans. [paragraphe en addition]
[f° 401, J15. Ce folio et le suivant ont la même formule, à la fin: "La confrontation de Hardquanonne avec Gwynplaine avait eu lieu; Barkilphedro y avait assisté. On vient d'en voir le résultat." et elle figure de nouveau, par deux fois et en rédaction initiale, au f° 403. Ceci, joint au raccord problématique du début du folio avec le précédent, pourrait y faire voir un développement latéral, d'abord abandonné puis inséré ici, s'il ne remplissait une fonction diégétique indispensable en expliquant comment Barkilphedro a tout de suite fait le lien entre le contenu de la gourde trouvée, le monstre de foire du Tarrinzeau field et Josiane.]
Quelque apparence flegmatique que voulût garder Barkilphedro, [début de phrase ajouté] sa stupéfaction avait égalé [corrige "égala"] sa joie.
Tout s’offrait ; tout était comme ["prévu" barré en correction cursive] préparé. Les tronçons de l’aventure qui allait satisfaire sa haine étaient d’avance épars à sa portée. Il n’y avait qu’à les rapprocher, et à faire les soudures. Ajustage amusant à exécuter. Ciselure. [paragraphe en addition de second niveau]
Gwynplaine ! il connaissait ce nom. Masca ridens ! Comme tout le monde, il avait été voir l’Homme qui Rit. Il avait lu l’enseigne-écriteau ["enseigne-écriteau" corrige "l'écriteau", correction antérieure à l'addition qui suit] accrochée à ["accrochée à" corrige "de"] l’inn Tadcaster ainsi qu’on ["ainsi..." corrige "comme on"] lit une affiche de spectacle qui attire [en sc. sur "attirait"(?)] la foule ; il l’avait remarquée ; il se la rappela sur le champ dans les moindres détails, quitte d’ailleurs à vérifier ensuite ; cette affiche, dans l’évocation électrique qui se fit en lui, reparut devant son œil profond, et vint ["il l'avait remarquée..." addition; elle se substitue à "cette affiche reparut [corrige "s'illumina"] devant son oeil pensif [corrige "profond"] et vint, dans l'évocation électrique qui se fit en lui [", dans l'évocation..." ajouté] ["se placer à côté dans sa pensée" barré en correction cursive] "] se placer à côté du parchemin des naufragés, comme la réponse à côté de la question, comme le mot à côté de l’énigme; ["comme le mot..." ajouté] et ces lignes « Ici l’on voit Gwynplaine abandonné à l’âge de dix ans la nuit du 29 janvier 1790 [inadvertance corrigée par VH à la copie] au bord de la mer, à Portland » prirent brusquement sous son regard un resplendissement d’apocalypse. Il eut cette ["eut cette" en sc. sur +] vision: le flamboiement de Mane Thecel Pharès sur un boniment de la foire. C’en était fait de tout cet échafaudage qui était l’existence de Josiane. Écroulement subit. [phrase ajoutée] L’enfant perdu était retrouvé. Il y avait un lord Clancharlie. David Dirry-Moir était vidé. La pairie, la richesse, ["les hôtels, les palais, les domaines," barré et déplacé] la puissance, le rang, tout cela sortait de lord David, et entrait dans Gwynplaine. Tout, ["maintenant, fêtes, palais," barré] châteaux, chasses, forêts, hôtels [en sc. sur +], palais, domaines, [ajouté] y compris Josiane, était à Gwynplaine. Et Josiane, quelle solution [corrige "joie"] ! qui maintenant avait-elle devant elle ? illustre et hautaine, un histrion [en sc. sur "bateleur"] ; belle et précieuse, un monstre. [faux départ: "Barkilphedro ét(ait)"] Eût-on jamais espéré cela ? La vérité est que Barkilphedro était dans l’enthousiasme. Toutes les combinaisons les plus haineuses [corrige "perverses" qui corrige "hostiles"] peuvent être dépassées par la munificence infernale de l’imprévu. ["La vérité est que...": addition; elle se substitue à "Barkilphedro était émerveillé. L'imprévu a des munificences infernales. ["L'imprévu..." ajouté] "] Quand la réalité veut, elle fait des chefs d’œuvre. Barkilphedro [corrige "Il"] trouvait bêtes tous ses rêves. Il avait mieux. [phrase ajoutée]
["La confrontation de Hardquanonne avec Gwynplaine avait eu lieu; Barkilphedro y avait assisté. On vient d'en voir le résultat." barré. Cette phrase est peu compatible avec tout ce qui précède, qui retace l'émerveillement de Barkilphedro aux premiers instants de la découverte de la bouteille, bien avant les suites que lui donnent la reine et Barkilphedro lui-même.]
[f° 402, K15. Trait d'interruption.]
Le changement qui allait se faire par lui se fût-il fait contre lui, il ne l’eût pas moins voulu. Il existe de féroces insectes désintéressés qui piquent sachant qu’ils mourront de la piqûre. Barkilphedro était cette vermine-là.
Mais cette fois, il n’avait pas le mérite du désintéressement. Lord David Dirry-Moir ne lui devait rien, et lord Fermain Clancharlie allait lui devoir tout. De protégé, Barkilphedro allait devenir protecteur. Et protecteur de qui ? d’un pair d’Angleterre. Il aurait un lord à lui ! un lord qui serait sa créature ! le premier pli, Barkilphedro comptait bien le lui donner. ["Il aurait un lord...": addition; elle se substitue à "Un lord qui est votre créature, quelle + magnifique + +" qui corrige "Cela peut mener loin."] Et ce lord ["ce lord" en sc. sur "+ prot"] serait le beau-frère morganatique de la reine ! Étant si laid, il plairait à la reine de toute la quantité dont il déplairait à Josiane. Poussé par cette faveur, [faux départ: "Barkilphedro pouvait devenir un pers"] et en mettant des habits graves et modestes, Barkilphedro pouvait devenir un personnage. Il s’était toujours destiné à l’église. Il avait une vague envie d’être ["avait une..." corrige "était vaguement résolu à être"] évêque.
En attendant, il était heureux.
Quel beau succès [corrige "Quelle réussite"] ! et comme toute cette quantité de ["quantité de" ajouté] besogne du hasard était bien faite ! Sa vengeance, car il appelait cela sa vengeance, lui était mollement apportée par le flot. Il n’avait pas été vainement embusqué ["dans des ténèbres" barré] . ["Il n'avait pas été vainement...": ajouté]
[faux départ: "L'écueil +"]
L’écueil, c’était lui. L’épave, c’était Josiane. Josiane venait s’échouer sur Barkilphedro ! Profonde extase [corrige "joie"] scélérate.
["La confrontation de Hardquanonne avec Gwynplaine avait eu lieu; Barkilphedro y avait assisté. On vient d'en voir le résultat." barré. Voir le même paragraphe déjà barré à la fin du folio précédent.]
[Trait d'interruption.]
Il était habile à cet art qu’on appelle la suggestion, et qui consiste à faire ["une p" barré en correction cursive] dans l’esprit des autres une petite incision où l’on met une idée à soi ; tout en se [f° 403, L15. Au bas du folio en marge, cette note: "31 mars 1868. Aujourd'hui mon Georges a un an."] tenant à l’écart, et sans avoir l’air de s’en mêler, il s’arrangea de façon à ce que Josiane allât à la baraque Green-Box ["Green-Box" corrige "des saltimbanques"] et vît Gwynplaine. Cela ne pouvait pas nuire. ["Bon ingrédient" barré] Le saltimbanque vu en sa bassesse, bon ingrédient dans la combinaison. [phrase ajoutée] Plus tard, cela assaisonnerait. [phrase en addition de second niveau; addition autographe à la copie]
[faux départ: "La justice + avait"]
["Les formalités ["prescrites et légales" barré en correction cursive] voulues avaient été accomplies selon les fomes légales; la confrontation de Hardquanonne avec Gwynplaine avait eu lieu; Barkilphedro y avait assisté. On vient d'en voir le résultat." : paragraphe encadré et barré à grands traits. Voir le même paragraphe déjà barré à la fin des deux folios précédents.]
Il avait silencieusement [corrige "soigneusement"] tout apprêté d’avance. Ce qu’il voulait, c’était on ne sait quoi de soudain. [faux départ: "Il était de ces fourbes + qui savent ["construire un coup de foudre" éliminé en correction cursive] exécuter cet obscur et effrayant chef d'oeuvre, la construction d'un coup de foudre."] Le travail qu’il avait ["fait" barré en correction cursive] exécuté ne pourrait être exprimé que par ces mots étranges : construire un coup de foudre.
Les préliminaires achevés, il avait veillé à ce que toutes les formalités voulues fussent accomplies dans les formes légales. Le secret n’en avait point souffert, le silence faisant partie de la loi.
La confrontation de Hardquanonne avec Gwynplaine avait eu lieu ; Barkilphedro y avait assisté. On vient d’en voir le résultat. [La quatrième fois est la bonne. Les paragraphes qui précèdent dissimulent, sous un habile plus que parfait, la rupture de continuité chronologique du récit entre la découverte de la gourde et l'exécution du projet de Barkilphedro.]
Le même jour, un carrosse de poste de la reine vint [faux départ: "chercher"] brusquement, de la part de sa majesté, chercher lady Josiane à Londres pour la conduire à Windsor où Anne en ce moment passait la saison. Josiane, pour quelque chose qu’elle avait dans l’esprit, eût bien souhaité [corrige "voulu"] désobéir, ou du moins retarder d’un jour son obéissance et remettre ce départ au lendemain, mais la vie de cour ne comporte point ces résistances là. Elle dut se mettre immédiatement en route, et abandonner sa résidence de Londres, Hunkerville-house, pour sa résidence de Windsor, Corleone-lodge.
["La duchesse Josiane avait quitté [corrige "quittait"] Londres au moment même où le wapentake était venu quérir Gwynplaine à la Green-Box pour le conduire ["le wapentale..." corrige [" ["la confrontation" barré en correction cursive] avait lieu la confrontation de Gwnplaine avec Hardquanonne"] dans la cave pénale de Southwark." Ce paragraphe, peut-être ajouté, est encadré et barré à grands traits, et réécrit au folio suivant]
[f° 404, M15. Le début du folio réécrit le dernier paragraphe du folio précédent. A la copie, le texte de ce folio est écrit sur une bande de papier rapportée et collée. Il est très probable que ce folio, qui ajuste la préparation des détails de l'intrigue -en particulier l'absence, mais l'arrivée prochaine, de lors David-, soit une réfection tardive, en tout cas postérieure à la remise initiale du ms pour copie.]
La duchesse Josiane avait quitté Londres au moment même où le wapentake se présentait à l’inn Tadcaster pour enlever [corrige "saisir"] Gwynplaine et le mener à la cave pénale de Southwark.
Quand elle arriva à Windsor, l’huissier de la verge noire, qui garde la porte de la chambre de présence ["garde la porte..." se susbtitue à "l'attendait"] , [", qui..." addition] l’informa que sa majesté était enfermée avec le lord chancelier, et ne pourrait la recevoir que le lendemain ; qu’elle eût en conséquence à se tenir ["se tenir" corrige "attendre"] , à Corleone-lodge, à la disposition ["à la disposition" corrige "le bon plaisir"] de sa majesté, et que sa majesté lui enverrait directement ses ordres le lendemain matin [ajouté] à son réveil [", et que sa majesté...": addition] [formulé en 24 747, f° 249] . Josiane rentra chez elle fort dépitée, soupa de mauvaise humeur, eut la migraine, congédia tout le monde, son mousse excepté, puis le congédia lui-même, et se coucha qu’il faisait encore jour [corrige "plein jour"] .
En arrivant elle avait appris [corrige "reçu l'avis(?)"] [En arrivant..." remplace "Elle ignorait"] que, ce même lendemain ["ce même lendemain" corrige "le lendemain même" qui corrige "le lendemain matin"] , lord David Dirry-Moir, ayant reçu en mer l’ordre de venir immédiatement prendre les ordres de la reine [corrige "sa majesté"] , était attendu à Windsor.
[f° 405, N15. Grand blanc initial, occupé par l'ajout des titres.]
[Deux versions antérieures du réveil de Gwynplaine, en 24 747, f° 98-99 et 100-102, le placent non pas à Corleone Lodge mais dans le carrosse qui le conduit de Londres à Corleone Lodge. Elles comportent des indications qui prennent place dans d'autres chapitres.]
L’évanouissement d’un homme, même le plus ferme et le plus énergique [corrige "vaillant"] , sous un brusque coup de massue de la fortune, n’a rien qui doive surprendre [corrige, à l'encre rouge, "étonner"; de même à la copie] ["n'a rien qui...": addition correctrice de deuxième niveau] . Un homme s’assomme par l’imprévu comme un bœuf par le merlin. [phrase ajoutée; addition de troisième niveau] François d’Albescola, le même qui arrachait aux ports turcs leur chaîne de fer, demeura, quand on le fit pape, un jour entier sans connaissance. Or du cardinal au pape l’enjambée est moindre que du saltimbanque des rues au pair d’Angleterre. ["François d'Albescola...": addition de premier niveau; elle se plaçait initialement après "dure quelquefois longtemps."] ["n'a rien qui doive surprendre...": ces additions se substituent au texte initial: "dure quelquefois longtemps. + + + + + lorsqu'on le nomma pape, demeura [corrige "fut"] , dit-on, un jour entier sans connaisssance ["sans connaissance" rétabli après correction cursive en "comme pétrifié"] ."] [en marge, l'esquisse de la fin de l'addition n'est pas formellement rattachée au texte: "Or un cardinal nommé pape ne fait pas une si [variante sans choix: "aussi"] grande enjambée qu'un saltimbanque nommé pair."]
Rien de violent comme les ruptures d’équilibre. [paragraphe ajouté]
Quand Gwynplaine revint à lui et rouvrit les yeux, il était nuit. Gwynplaine était ["nuit. Gwynplaine était": ajouté; la réaction initiale est: "rouvrit les yeux, il était dans un fauteuil"] dans un fauteuil au milieu d’une vaste ["et haute" barré] chambre toute tendue de velours pourpre, murs, plafond et plancher. On marchait sur du velours. Près de lui se tenait debout, tête nue, ["tête nue," ajouté] l’homme au gros ventre et au manteau de voyage qui était sorti de derrière un pilier dans la cave de Southwark. [Cette phrase simplifie l'identification prévue en 15 812, f° 31] Gwynplaine était seul dans cette chambre avec cet homme. [phrase ajoutée] De son fauteuil, en étendant le bras, il pouvait toucher deux tables, portant chacune une girandole de six [corrige "trois"] chandelles de cire allumées. ["De son fauteuil..." reprend et corrige le texte initial: "Des deux côtés de son fauteuil, ["étaient" barré] se dressaient [correction abandonnée: "deux tables, chacune + + +"], toutes chargées de bougies allumées, deux tables dorées."] Sur l’une de ces tables, ["de ces tables," ajouté] il y avait des papiers et une cassette ; sur l’autre un en-cas, volaille froide, vin, brandy, [addition abandonnée, peut-être "thé,"] servi sur un plateau de vermeil ["sur un plateau..." corrige "dans des + en vaisselle plate"] . [signe d'alinéa à faire ajouté]
Par ["une large porte" barré en correction cursive] le vitrage d’une longue fenêtre ["longue fenêtre" corrige "large porte-fenêtre"] allant du plancher au plafond ["allant..." ajouté] , un clair ciel nocturne [corrige "étoilé"] d’avril ["montrait" barré en correction cursive] faisait entrevoir au dehors ["au dehors" ajouté] un demi-cercle de colonnes ["de marbre" barré] autour d’une ["large" barré] cour d’honneur ["un clair ciel nocturne...": ébauche en 15 812, f° 34] fermée d’un portail [corrige "haut portail", "portail monumental" et "portail seigneurial"] à trois ["baies"(?) rayé en correction cursive] portes, une fort large ["fort large" corrige "haute"] , et deux basses : la porte cochère, très grande, au milieu [corrige "centre"] ; ["la porte" barré cursivement] à droite, la porte chevalière, moindre ; à gauche, la porte piétonne, petite. [La rédaction des premières lignes du paragraphe donne lieu à de nombreuses corrections, dont plusieurs abandonnées; pour éviter la multiplication des croix, on n'indique que celles qu'on a pu lire.] Ces portes étaient fermées de grilles dont les pointes brillaient ; une haute sculpture couronnait la porte centrale. Les colonnes [correction abandonnée: "La colonnade"] étaient probablement en marbre blanc, ainsi que le pavage de la cour qui faisait un effet de neige, et qui encadrait de sa nappe de lames plates une ["gigantesque" barré] mosaïque confusément distincte [corrige "dessinée"] dans l’ombre. [corrige virgule] Cette mosaïque ["Cette mosaïque" corrige "qui"] , sans doute, vue le jour, eût offert au regard, avec tous ses émaux et toutes ses couleurs, [", avec tous..." ajouté] un gigantesque blason, selon la mode florentine. ["Au dessus" barré, sans doute faux départ] Des zigzags de balustres montaient et descendaient, indiquant des escaliers de terrasses. Au dessus de la cour se dressait une immense architecture brumeuse et vague à cause de la nuit ["et vague..." est placé entre barres verticales] . Des intervalles de ciel, pleins d’étoiles, découpaient une silhouette de palais. [Cette phrase est probablement ajoutée] ["Ces portes étaient fermées...." résulte de plusieurs corrections et additions succesives. Texte initial: "Au dehors de la cour se dressait une silhouette de palais" Ce texte est abandonné pour une seconde rédaction: "Des grilles dont luisaient les pointes dorées fermaient ces portes. Au-dessus de la cour se dressait une silhouette de palais; on apercevait [en sc. sur + +] . Le troisième état est formé de deux additions, l'une interlinéaire: "Ces portes étaient fermées de grilles dont les pointes brillaient; une haute sculpture couronnait la porte centrale.", l'autre –"Ces colonnes... découpaient une silhouette de palais"– est écrite en marge et intègre des éléments du début du folio suivant.]
[f° 406, O15]
On apercevait un toit démesuré ["toit démesuré" corrige "grand toit"] , des pignons à volutes, des mansardes à visières comme des casques, ["des mansardes..." ajouté] des cheminées pareilles à des tours, et des entablements couverts de dieux et de déesses immobiles. [Cette phrase et la transition avec le folio précédent ont subi, comme si Flaubert les avait écrites, une série de corrections imbriquées dont on n'a pas réussi à reconstituer la succession. La rédaction initiale se rattache au dernier mot du texte initial du folio précédent: "et des intervalles ["de ciel" ajouté], pleins d'étoiles, découpaient les lignes ["et les reliefs" ajouté] d'une immense architecture vague et brumeuse avec ["à perte de vue" ajouté] des entablements couverts de dieux et de déesses immobiles."] A travers la colonnade, jaillissait dans la pénombre une de ces fontaines de féerie doucement bruyantes, ["doucement..." ajouté] qui se versent de vasque en vasque, mêlent la pluie à la cascade, ["mêlent la pluie..." ajouté] ressemblent à une dispersion d’écrin, ["ressemblent...": addition] et font au vent une ["et font au vent une" reprend et corrige la rédaction initiale "et qui font au vent une +"] folle [corrige "belle"] distribution de leurs diamants et de leurs perles comme pour désennuyer les statues qui les entourent. ["On distinguait" barré] De longues rangées de fenêtres se profilaient ["se profilaient" ajouté] , séparées par des panoplies en ronde-bosse, et par [ajouté] des bustes sur des piédouches ["sur des..." corrige "dans des niches"] . ["["On distinguait" barré] De longues..." : addition; elle est d'abord implantée après la phrase qui vient: "Sur les acrotères... avec les dieux."] Sur les ["hautes terrasses" barré] acrotères, des trophées et des morions [corrige "casques"] à panaches de pierre alternaient avec les dieux. ["Sur ["les + + +" peut-être barré en correction cursive] les toits se tenaient toutes droites de grandes cheminées, pareilles à des tours." barré et déplacé plus haut] [signe d'alinéa à faire]
Dans la chambre où était Gwynplaine ["où était Gwynplaine" ajouté] , au fond, en face de la fenêtre, on voyait, d’un côté une cheminée aussi haute que la muraille ["aussi haute..." corrige "s'élevant [corrige "montant"] jusqu'au plafond"] , et de l’autre, sous un dais [", sous un dais" ajouté] un de ces spacieux [corrige "vastes"] lits féodaux où l’on ["peut se coucher en travers" barré en correction cursive et déplacé] monte avec une échelle et où l’on peut se coucher en travers. ["Le lit était fait" barré en correction cursive] L’escabeau de lit était à côté. Un rang de fauteuils au bas des murs et un rang de chaises en avant des fauteuils complétaient l’ameublement. Le plafond était de forme tumbon ; un grand feu de bois à la française flambait dans la cheminée ; ["Le plafond était...": addition de deuxième niveau] à la richesse des flammes, et à leurs stries roses et vertes, un connaisseur eût constaté que ce feu était de bois de frêne, très grand luxe. ["à la richesse des...": addition de quatrième niveau; addition autographe à la copie] La chambre était si grande [en sc. sur +] que les deux [en sc. sur +] girandoles la laissaient obscure. ["La chambre était...": addition de troisième niveau] Çà et là, ["Çà et là," déplacé et ajouté] des [en sc. sur "Les"] portières, baissées et flottantes, [baissées...": ajouté] ["ça et là" barré et déplacé] indiquaient des communications avec d’autres chambres. ["Ca et là...": addition de premier niveau] Cet [corrige "Tout cet"] ensemble avait l’aspect carré et massif du temps de Jacques Ier, mode vieillie et superbe [corrige "magnifique"] . Comme le tapis et la tenture de la chambre, ["tout," barré et déplacé] le dais, ["le bald" en sc. sur "le lit," puis barré] ["les rideaux," barré] le baldaquin, le lit, ["le baldaquin, le lit," ajouté. VH a d'abord écrit: "le dais, le lit, les rideaux" puis "le bald" en surcharge sur "le lit" et, voyant qu'il n'aurait pas la place, il a ajouté en marge "le baldaquin, le lit"; la suppression des rideaux, reportés après l'escabeau intervient à un moment quelconque du processus.] l’escabeau, les rideaux, la cheminée, les housses des tables, les fauteuils, les chaises, tout était velours cramoisi. Pas d’or, si ce n’est au plafond. Là, à égale distance des quatre angles ["à égale..." corrige "au centre"] , luisait [en sc. sur + et corrige "resplendissait"] , appliqué à plat, un énorme [corrige "large"] bouclier rond de métal repoussé, où étincelait ["où étincelait" corrige "offrant à l'oeil" qui corrige "entièrement couvert d' "] [en marge, addition abandonnée compatible avec les deux dernières corrections, "+ au-dessus de la tête de Gwynplaine"] un éblouissant [corrrige "splendide"] relief d’armoiries ; [corrige virgule] dans ces armoiries, ["dans ces..." corrige "dans lesquelles"] sur [corrige "au dessus de"] deux blasons accostés, on distinguait ["on distinguait" corrige "un connaisseur eût distingué"] un tortil de baron et une couronne de marquis [mêmes éléments d'un plafond, mais de voiture, en 24 747, f° 98] ; était-ce du cuivre doré ? était-ce du vermeil ? on ne savait. Cela semblait de l’or. Et au centre de ce plafond seigneurial, magnifique ciel obscur, ce flamboyant écusson [corrige "blason"] avait le sombre resplendissement d’un soleil dans de la nuit.
[f° 407, P15. Trait d'interruption.]
Un homme sauvage dans lequel est amalgamé un homme libre est à peu près aussi inquiet [corrige "mal à l'aise"] dans un palais que dans une prison. Ce lieu superbe était troublant. Toute magnificence dégage de l’effroi. ["Ce lieu...": addition; elle se substitue à "Toute cette magnificence [correction abandonnée: "splendeur"] dégageait de l'effroi."] [addition abandonnée: "A qui tout cela pouvait-il appartenir?"] Quel pouvait être l’habitant de cette demeure auguste ["de cette demeure..." corrige "de ce lieu superbe"] ? A quel colosse toute cette grandeur appartenait-elle ? De quel lion ce palais était-il l’antre ? Gwynplaine, encore mal éveillé, avait le cœur serré.
— Où est-ce que je suis, dit-il ?
L’homme qui était [corrige "se tenait"] debout devant lui, répondit :
— Vous êtes dans votre maison, mylord.
[Trait d'interruption. Grand blanc jusqu'au bas du folio.]
[f° 408, Q15]
II faut du temps pour revenir à la surface. [paragraphe déplacé et ajouté]
Gwynplaine avait été jeté [corrige "précipité"] au fond de la stupéfaction [corrige "stupeur"] . ["II faut du temps pour revenir à la surface." barré et déplacé]
On ne prend pas tout de suite pied dans l’inconnu.
[paragraphe ajouté de la même plume que le déplacement]
Il y a des déroutes d’idées comme il y a des déroutes d’armées ; [corrige point] le ralliement ne se fait point immédiatement ["point..." corrige "pas tout de suite"] .
[début d'une longue cascade d'additions] On se sent en quelque sorte épars. On assiste à une bizarre [corrige "étrange"] dissipation de soi-même. ["On se sent...": addition de troisième niveau]
Dieu est le bras, le hasard est la fronde, l’homme est le caillou [corrige "la pierre"]. Résistez donc, une fois lancé.
Gwynplaine, qu’on nous passe le mot, ricochait d’un étonnement sur l’autre. ["Gwynplaine..." se substitue à "Aller d'un étonnement(?) à l'autre, c'est une enjambée difficile + +". Phrase notée en 24 747, f° 202] Après la lettre d’amour de la duchesse, la révélation de la cave de Southwark.
[addition ou correction inachevée et
abandonnée: "D'étonnement en étonnement, Gwynplaine ne faisait plus
d'autre enjambée"]
["Aller d'un étonnement à l'autre, c'est une enjambée difficile. L'homme y est souvent +" barré] [signe d'alinéa à faire]
Dans une destinée, quand l’inattendu commence, préparez-vous à ceci : coup sur coup. Cette farouche [corrige + qui corrige "fatale"] porte une fois ouverte, les surprises s’y précipitent. La brèche faite à votre mur, le pêle-mêle des événements s’y engouffre. L’extraordinaire [correction abandonnée: +] ne vient pas pour une fois.
L’extraordinaire, c’est une obscurité. Cette obscurité était sur Gwynplaine. Ce qui lui arrivait lui semblait inintelligible. ["Dieu est le bras...": addition de deuxième niveau. Elle se substitue à la rédaction initiale:
"Gwynplaine ["était dans une obscurité extraordinaire. Il" barré et déplacé] reprenait possession de lui-même lentement. ["Ce qui lui arrivait lui semblait inintelligible." barré et déplacé] Il était dans une obscurité extraordinaire. Ce qui lui arrivait lui semblait inintelligible."]
Il percevait [corrige "voyait"] tout à travers ce brouillard qu’une commotion profonde laisse dans l’intelligence [corrige "la conscience" qui corrige "l'esprit"] comme la poussière d’un écroulement. La secousse avait été de fond en comble. [phrase ajoutée] Rien de net ne s’offrait à lui ["ne s'offrait..." corrige "ne lui apparaissait"] . Pourtant la transparence se rétablit toujours peu à peu. ["Il percevait..." addition de premier niveau. Elle est implantée après le paragraphe "Gwnplaine...semblait inintelligible." jusqu'à ce que ce pagraphe soit remplacé par l'addition de deuxième niveau qui précède.] La poussière tombe. [phrase ajoutée] D’instant en instant [corrige "Progressivement"] , la densité de l’étonnement ["finit par décroître" barré en correction cursive] décroît. Gwynplaine était comme quelqu’un qui aurait l’œil ouvert et fixe dans un songe, et qui tâcherait de voir ce qu’il y a dedans. Il décomposait ce nuage, puis le recomposait. Il avait des intermittences d’égarement. Il subissait cette oscillation de l’esprit dans l’imprévu, laquelle, tour à tour vous pousse du côté où l’on comprend, puis vous ramène du côté où l’on ne comprend plus. A qui n’est-il pas arrivé d’avoir ce balancier dans le cerveau ["ce balancier..." corrige "dans le crâne ce balancier"] ? ["La poussière tombe. D'instant...": addition de deuxième niveau. Il y a donc deux additions de deuxième niveau, l'une au-dessus de l'addition initiale, l'autre en-dessous. Impossible de leur assigner un ordre chronologique.]
Par degré la dilatation se faisait en sa pensée dans les ténèbres de l’incident comme elle s’était faite en sa pupille dans les ténèbres [corrige "la nuit" qui corrige "l'obscurité"] du souterrain de Southwark. Le difficile, c’était de parvenir à mettre un certain espacement entre tant de sensations accumulées. Pour que cette combustion des idées troubles, dite compréhension, puisse s’opérer, il faut de l’air entre les émotions. Ici l’air manquait. L’événement, pour ainsi dire, n’était pas respirable. En entrant dans la terrifiante cave de Southwark, Gwynplaine s’était attendu au carcan du forçat ; on lui avait mis sur la tête la couronne de pair. Comment était-ce possible ? Il n’y avait point assez de place entre ce que Gwynplaine avait redouté, et ce qui lui arrivait, cela s’était succédé trop vite, ["cela s'était succédé..." ajouté] son effroi se changeait en autre chose trop brusquement pour que ce fût clair. Les deux contrastes étaient trop serrés l’un contre l’autre. Gwynplaine faisait effort pour retirer son esprit de cet étau.
["Il n'était pas rassuré.": addition, mise entre barres verticales avant dêtre barrée] Il se taisait. C’est l’instinct des grandes stupeurs qui sont sur la défensive plus qu’on ne croit. Qui ne dit rien fait face à tout. Un mot qui vous échappe, saisi par l’engrenage inconnu, peut vous tirer tout [f° 409, R15. Trait d'interruption.] entier sous on ne sait quelles roues ["sous on..." corrige "dans on ne sait quel gouffre [corrige "abîme"]"] .
L’écrasement, c’est la peur des petits. La foule craint toujours qu’on ne lui mette le pied dessus. Or Gwynplaine avait été de la foule bien longtemps. [paragraphe ajouté]
Un état singulier de l’inquiétude ["l'angois": variante abandonnée] humaine se traduit par ce mot : voir venir. Gwynplaine était dans cet état. On ne se sent pas encore [ajouté] en équilibre avec une situation qui surgit. On surveille quelque chose qui doit avoir une suite. On est vaguement attentif. On voit venir. Quoi ? on ne sait. Qui ? on regarde.
[Un court trait, peut-être trait d'interruption.]
L’homme au gros ventre répéta [corrige "reprit"] :
— Vous êtes dans votre maison, mylord.
Gwynplaine se tâta. Dans les surprises, on regarde, pour s’assurer que les choses existent, puis on se tâte, pour s’assurer qu’on existe soi-même. ["Dans les surprises...": addition à l'addition en cours] C’était bien à lui [ajout abandonné: "Gwyn"] qu’on parlait ; mais lui-même était autre. Il n’avait plus son capingot et son esclavine de cuir. Il avait un gilet de drap d’argent, et un habit de satin qu’en le touchant, il sentait brodé . Il sentait une grosse bourse pleine dans la poche du gilet. [phrase ajoutée; de même à la copie] Un large haut de chausses de velours recouvrait son étroite culotte collante [ajouté] de clown . [phase ajoutée] Il avait des souliers à hauts talons rouges. [phrase ajoutée après l'ajout qui précède] De même qu’on l’avait transporté dans ce palais, on lui avait changé ses vêtements.
L’homme reprit : ["Vous êtes dans votre maison...": addition]
— Que votre seigneurie daigne se souvenir de ceci : C’est moi qui ["suis Bar" barré en correction cursive] me
nomme Barkilphedro. Je suis clerc de l’amirauté. C’est moi qui ai ouvert
la gourde de Hardquanonne et qui en ai fait sortir votre destinée.
Ainsi, dans les contes arabes, un pêcheur fait sortir d’une bouteille un
géant. [phase ajoutée]
Gwynplaine fixa ses yeux sur le visage souriant qui lui parlait. Barkilphedro continua :
— Outre ce palais, mylord, vous avez Hunkerville-house, qui est plus grand. Vous avez Clancharlie-castle, où est assise votre pairie, et qui est une forteresse du temps d’Édouard le Vieux. Vous avez dix-neuf baillis à vous, avec leurs villages et leurs paysans. Ce qui met sous votre bannière de lord et de nobleman ["met sous votre..." corrige "constitue à votre seigneurie"] environ quatre vingt mille vassaux et fiscalins ["et fiscalins" ajouté; de même à la copie] . A Clancharlie, vous êtes juge, juge de tout, des biens et des personnes, ["A Clancharlie, vous..." corrige "Vous êtes le juge [", juge des personnes," addition barrée] de tout,"] et vous tenez votre cour de baron. Le roi n’a de plus que vous que le droit de frapper monnaie. Le roi, que la loi normande qualifie chief-signor, a justice, cour et coin. Coin, c’est monnaie. A cela près, vous êtes roi dans votre seigneurie comme lui dans son royaume. ["Ce qui met sous votre bannière...": addition de premier niveau] Vous avez droit, comme baron, à un gibet de quatre piliers en Angleterre, et, comme marquis, à une potence de sept poteaux en Sicile ["et, comme marquis..." corrige "et à un gibet de sept [", en Sicile," ajouté] comme marquis"] ; la justice du simple seigneur ayant [corrige "étant à"] deux piliers, celle du châtelain trois, et celle du duc huit. ["Vous avez droit, comme baron...": addition de troisième niveau, insérée dans celle en cours; elle manque à la copie et a dû être opérée aux épreuves.] Vous êtes qualifié prince dans les anciennes chartes de Northumbre. Vous êtes allié aux comtes d’Umfraville en Écosse, qui sont Angus, [", qui sont Angus," ajouté] et aux vicomtes Valentia en Irlande, qui sont Power. [", qui sont Power." ajouté] ["aux comtes d'Umfraville..." l'addition autographe de la copie intervertit l'ordre de ces deux alliances] Vous êtes chef de clan comme Campbell, Ardmannach, et Mac-Callummore. ["Vous êtes qualifié...": addition de deuxième niveau; autographe à la copie] Vous avez huit chatellenies, Reculver, Buxton, Hell-Kerters, Homble, Moricambe, Gumdraith, Trenwardraith et d’autres [corrige "cœtera", qui doit être la huitième] . Vous avez un droit sur les tourbières de Pillinmore et sur les carrières d’albâtre de Trent ; de plus vous avez ["; de plus vous avez" corrige ", plus"] tout le pays de Penneth-chase; et vous avez une montagne avec une ancienne ville qui est dessus. La ville s’appelle Vinecaunton ; la montagne s’appelle Moil-enlli. Tout cela vous fait un revenu de quarante [corrige "trente"(?)] mille livres sterling, c’est-à-dire quarante [corrige "trente"] fois les vingt-cinq mille francs de rente dont se contente un [variante sans choix barrée à la copie: "contentent les"] français.
Pendant que Barkilphedro parlait, Gwynplaine, dans un crescendo de stupeur, se souvenait. Le souvenir est un engloutissement qu’un mot peut remuer ["qu'un mot..." corrige "que la moindre chose remue"] jusqu’au fond. Tous ces noms prononcés par Barkilphedro, Gwynplaine les connaissait. Ils étaient inscrits aux dernières lignes de ces deux placards qui tapissaient la cahute où s’était écoulée son enfance, et à force d’y avoir laissé ["avoir laissé" corrige "laisser"] machi-[f° 410, S15] nalement errer ses yeux, il les savait par cœur. [faux départ: "Ce fastueux inventaire"] En arrivant, orphelin abandonné, dans la baraque roulante de Weymouth, il y avait trouvé son héritage inventorié [rétablit le mot antérieurement barré en correction cursive] qui l’attendait, ["tout inventorié," barré. VH a écrit: "héritage inventorié qui l'attendait" barré "inventorié" et poursuivi: "qui l'attendait, tout inventorié, et"; puis, à un moment quelconque, il a barré "tout inventorié" et rétabli le "inventorié" initial] et le matin, quand le pauvre petit ["le pauvre..." corrige "il"] s’éveillait, la première chose qu’épelait son regard inconscient et distrait, c’était sa seigneurie et sa pairie ["sa seigneurie..." remplace "ce fastueux inventaire"] . Détail étrange qui s’ajoutait à toutes ses [correction abandonnée: "ces"] surprises, pendant [substitué à "il avait voyagé" qui est repris plus loin] quinze ans, [faux départ: "clown sur"] rôdant de carrefour en carrefour, clown d’ [en sc. sur "sur"] un tréteau nomade, gagnant son pain au jour le jour, ramassant des liards et vivant de miettes, il avait voyagé avec sa fortune affichée sur sa misère.
Barkilphedro toucha de l’index [corrige "du doigt"] la cassette qui était sur la table ["et dit" barré] :
— Mylord, [rédaction initiale: "il y a dans" ; "il y a" est barré puis rétabli avant d'être finalement abandonné.] cette cassette contient [ajouté] deux mille guinées que sa gracieuse [ajouté] majesté la reine vous envoie pour vos premiers besoins.
Gwynplaine fit un mouvement.
— Ce sera ["Ce sera" aujouté] pour [d'abord majuscule] mon père Ursus, dit-il.
— Soit, mylord, fit Barkilphedro. Ursus. A l’inn Tadcaster. ["Ursus..."
ajouté en deux temps; "A l'inn..." en premier] Le sergent de la
coiffe, qui nous a accompagnés jusqu’ici et qui va repartir tout à
l’heure, les lui portera. Peut-être irai-je Londres. En ce cas, ce
serait moi. ["Peut-être..." ajouté] Je
m’en charge. [phrase ajoutée; de même à la
copie]
— Je les lui porterai moi-même, repartit Gwynplaine.
Barkilphedro cessa de sourire, et dit [", et dit" corrige ". Il dit d'une voix grave"] :
— Impossible [", mylord" barré en correction immédiate] .
Il y a une inflexion de voix qui souligne. Barkilphedro eut cet accent. Il s’arrêta comme pour mettre un point après le mot qu’il venait de dire. Puis il continua, avec ce ton respectueux et particulier du valet qui se sent le maître. ["Il y a une inflexion..." reprend et corrige la rédaction initiale: "+ + + + [ces mots peut-être barrés en correction cursive] le maître a un son de voix particulier. Ce fut presque l'intonation de Barkilphedro. Il s'arrêta comme pour mettre un point après le mot qu'il venait de dire, puis il continua:"] [Ces cinq lignes et les sept suivantes sont écrites au-dessus d'un texte préparatoire au crayon.]
— Mylord, vous êtes ici à vingt-trois [corrige "cinq"] milles de Londres, ["à vingt-trois..." ajouté] à Corleone-lodge, dans votre résidence de cour, contigue au château royal de Windsor. Vous ["êtes" barré en correction cursive] y êtes sans que personne le sache. Vous y avez été transporté [corrige "conduit" qui corrige "amené"] dans une voiture fermée qui vous attendait ["portant mes"(?) ordres" placé entre barres verticales puis barré] à la porte de la geôle de Southwark. Les gens qui vous ont introduit dans ce palais ignorent qui vous êtes, mais me connaissent, et cela suffit. Vous avez pu être amené jusqu’à cet appartement, au moyen d’une clef secrète que j’ai. Il y a dans la maison des personnes [f° 411, T15] endormies, et ce n’est pas l’heure de réveiller les gens. C’est pourquoi nous avons le temps d’une explication, qui sera courte d’ailleurs. Je vais vous la faire. J’ai commission de sa majesté. [cette phrase en sc. sur une phrase non lue]
Barkilphedro se mit à feuilleter ["de l'index" barré] tout en parlant ["tout en parlant" ajouté] une liasse de dossiers qui était près de la cassette. ["cassette." corrige "cassette, et poursuivit:"]
— Mylord, voici votre patente de pair. Voici le brevet de votre marquisat sicilien. Voici les parchemins et diplômes de vos huit baronnies avec les sceaux de onze rois, depuis Baldret, roi de Kent, jusqu’à Jacques VI et ["VI et" ajouté] Ier, roi d’Angleterre et d’Écosse. Voici vos lettres de préséance. Voici vos baux [en sc. sur "beaux"] à rentes, et les titres et descriptions de vos fiefs, alleux, mouvances, [ajouté] pays et domaines. Ce que vous avez au dessus de votre tête dans ce blason qui est au plafond, ce sont vos deux couronnes, le tortil ["de baron" barré en correction cursive] à perles de baron et le cercle à ["le cercle à" corrige "les"] fleurons de marquis. Ici, à côté, dans votre vestiaire, est votre robe de pair de velours rouge à bandes ["à bandes" corrige "doublé" qui est barré, rétabli et finalement corrigé en "à bandes"] d’hermine. ["Ce que vous avez...": addition] Aujourd’hui [virgule barrée] même, il y a quelques heures, le lord-chancelier, et le député-comte-maréchal d’Angleterre, informés du résultat de votre confrontation avec le comprachicos [corrige +] Hardquanonne, ont pris les ordres de sa majesté. Sa majesté a signé selon son bon plaisir qui est la même chose que la loi. Toutes les formalités sont remplies. Demain, pas plus tard que demain, [", pas plus tard..." ajouté] vous serez admis à la chambre des lords, on y délibère depuis quelques [en sc. sur +] jours ["depuis..." corrige "en ce moment"] sur un bill présenté par la couronne ayant pour objet d’augmenter de cent mille livres sterling, qui sont ["qui sont" ajouté] deux millions cinq cent mille livres de France, la dotation annuelle du duc de Cumberland, mari de la reine [en sc. sur "sa maj"] ; vous pourrez prendre part à la discussion.
Barkilphedro s’interrompit, ["puis reprit" barré en correction cursive] respira lentement, et reprit :
— Pourtant rien n’est fait encore. On n’est pas pair d’Angleterre malgré soi. Tout peut s’annuler et disparaître ["s’annuler et disparaître" corrige "s'annuler et se dissiper" qui corrige "s'évanouir"] , à moins que vous ne compreniez. Un événement qui se dissipe avant d’éclore, cela se voit dans la politique. [phrase ajoutée] Mylord, le silence à cette heure est encore sur vous. La chambre des lords ne sera mise au fait ["mise au fait" corrige "informée"] que demain. Le secret de toute votre affaire a été gardé, par raison d’état, laquelle est d’une conséquence tellement considérable ["laquelle est d'une..." corrige "et la raison d'état est telle"] que les personnes graves, seules informées en ce moment de votre [f° 412, U15] existence et de vos droits, les ["votre existence..." corrige "cet événement considérable, l' "] oublieront immédiatement, si la raison d’état leur commande de les ["commande..." corrige "dit de l' "] oublier. Ce qui est dans la nuit peut rester dans la nuit. [phrase ajoutée antérieurement à l'addition qui suit] Il est aisé de vous effacer. Cela est d’autant plus facile [corrige "aisé"] que vous avez un frère, fils naturel de votre père et d’une femme qui depuis, pendant l’exil de votre père, a été la maîtresse ["l'exil de votre père..." barré en correction cursive et presque immédiatement réécrit parce que la phrase aboutissait à "pendant l'exil de votre père a été la maîtresse de votre père"] du roi Charles II; [copie autographe: virgule] [faux départ: "or ce frère" corrigé en "or c'est à ce frère"] ce qui fait que votre frère est bien en cour ; or c’est à ce frère ["ce qui fait..." addition; elle se substitue au faux départ corrigé "or c'est à ce frère"] , tout bâtard qu’il est, que reviendrait votre pairie. Voulez-vous cela ? je ne le suppose pas. Eh bien, ["Il est aisé de vous effacer...": addition; de même à la copie où VH recopie l'addition du ms une fois corrigée] tout [d'abord majuscule] dépend de vous. Il faut obéir à la reine. Vous ne quitterez cette résidence que demain, dans une voiture de sa majesté, et pour aller à la chambre des lords. Mylord, voulez-vous être pair d’Angleterre, oui ou non ? La reine a des vues sur vous. Elle vous destine à une alliance quasi royale ["à une alliance..." corrige "en mariage une duchesse, sa soeur" qui corrige "à l'alliance d'une duchesse, sa soeur"] . Lord Fermain Clancharlie, ceci est l’instant décisif. Le destin n’ouvre point [en sc. sur "pas"; de même à la copie] une porte sans en fermer une autre. Après de certains pas en avant, un pas en arrière n’est plus possible. Qui entre dans la transfiguration a derrière lui un évanouissement. Mylord, Gwynplaine est mort. Comprenez-vous ?
Gwynplaine eut un tremblement de la tête aux pieds, puis il se remit.
— Oui, dit-il.
Barkilphedro sourit, salua, prit la cassette sous son manteau, et sortit.
[blanc jusqu'au bas du folio]
[f° 413 blanc]
[f° 414, V15]
["La Fatalité a parfois un sourire" probablement ajouté, barré et déplacé]
Qu’est-ce que ces étranges changements à vue qui se font dans l’âme humaine ?
["La Destinée [en sc. sur "Fatalité"] a parfois un sourire. Rien de plus terrible." : addition abandonnée]
Gwynplaine avait été en même temps [faux départ: "précipité dans un abîme"] enlevé sur un sommet et précipité dans un abîme.
Il avait le vertige.
Le vertige double.
Le vertige de l’ascension et le vertige de la chute.
Mélange fatal [en sc. sur +] .
Il s’était senti monter et ne s’était pas senti tomber.
["Il avait eu le saisissement [corrige "l'éblouissement"] d'un nuage qui se déchire et qui montre l'inattendu.": texte initial barré et récupéré dans l'addition qui suit]
Voir un nouvel horizon, c’est ["quelquefois" barré] redoutable [en sc. sur "traître"(?)] .
Une perspective, cela donne des conseils. Pas toujours bons.
Il avait eu devant lui la trouée féerique [corrige "lumineuse"] , piége peut-être, ["Il avait eu..." un trait indique que VH avait d'abord rattaché cette addition au texte initial: "Il avait eu le saisissement d'un nuage qui se déchire et qui montre l'inattendu", avant de compléter l'addition et de la placer après les paragraphes "Voir un nouvel horizon... Une perspective..."] d’un nuage qui se déchire et qui montre le bleu profond.
Si profond qu’il est obscur.
Il était sur la montagne d’où l’on ["d’où l’on" correction cursive de "qu'on"] voit les royaumes de la terre.
Montagne d’autant plus terrible qu’elle n’existe pas. Ceux qui sont sur cette cime sont dans un rêve.
La tentation y est gouffre, et si puissante que l’enfer sur ce sommet espère corrompre le paradis, et que le diable y apporte Dieu.
Fasciner l’éternité, quelle étrange espérance !
Là où Satan tente Jésus, comment un homme lutterait-il ["lutterait-il" rétabli après avoir été barré en vue d'une correction qui n'a jamais été exécutée] ? ["Il avait eu devant lui...": addition de premier niveau. Elle se substitue au texte initial barré:
" + + + + . + + + nous tend parfois un verre + + une main sort ["brusq" barré en correction cursive] des ténèbres ["des ténèbres " ajouté] et nous offre brusquement la coupe sombre où + + +
Après la lettre d'amour de la duchesse la révélation stupéfiante de la cave de Southwark."]
Des palais, des châteaux, la puissance, l’opulence, toutes les félicités [corrige "jouissances"] humaines [+ barré, sans doute en correction cursive] à perte de vue autour de soi, une mappemonde des jouissances étalées à l’horizon, [une mappemonde...": ajouté] une sorte de géographie radieuse dont on est le centre ["géographie radieuse..." corrige "géographie [rétabli après correction en "mappemonde"] radieuse + + où l'on voit partout sa gloire"] , mirage périlleux. ["Des palais, des châteaux...": addition de second niveau]
Et qu’on se figure le trouble d’une telle vision pas amenée, [cinq ou six mots barrés qui achevaient la phrase. La suite est ajoutée mais de la même plume et sans doute immédiatement.] sans échelons préalables franchis, sans précaution, sans transition.
Un homme qui s’est endormi dans un trou de taupe et qui se réveille sur la pointe du clocher de Strasbourg ; c’était là Gwynplaine. ["Et qu’on se figure...": addition de troisième niveau]
Le vertige est une espèce de ["espèce [corrige "sorte"] de" ajouté] lucidité formidable. Surtout celui qui, vous emportant à la fois vers le jour et vers la nuit, [", vous emportant...": ajouté] se compose de deux tournoiements en sens inverse.
On voit trop, et pas assez. [Ebauche pour ces deux paragraphes en 15 812, f° 42]
On voit tout, et rien. [paragraphe ajouté]
On est ce que l’auteur de ce livre a appelé quelque part « l’aveugle ébloui ».
Gwynplaine, resté seul, se mit à marcher à grands pas. Un bouillonnement précède l’explosion.
[f° 415, X15]
A travers cette agitation, dans cette impossibilité de se tenir en place, il méditait. Ce bouillonnement était une liquidation [corrige +] . Il faisait l’appel de ses souvenirs. ["A travers...": addition de second niveau; elle est postérieure au déplacement de l'ensemble des deux additions en début de folio] Chose surprenante qu’on ait toujours si bien écouté ce qu’on croit à peine avoir entendu, la déclaration ["lue par le sher" barré en correction cursive] des naufragés lue par le shériff dans la cave de Southwark, lui revenait ["à l'esprit" supprimé après avoir été corrigé en + +] parfaitement nette et intelligible ; il s’en rappelait chaque mot ; il revoyait dessous toute son enfance. ["Jusqu'à ce jour il n'avait pas compris sa vie [corrige "son passé"] . Maintenant il se l'expliquait. [correction: "Il avait enfin l'explication." barré] ["Chose surprenante...": addition de premier niveau. Les filets l'implantent initialement après le paragraphe "Il fut comme celui qui... saisissement d'une clarté subite."]
Brusquement [corrige "Tout à coup"] il s’arrêta, les mains derrière le dos, regardant le plafond, le ciel, n’importe, ce qui est en haut.
— Revanche ! dit [en sc. sur "cria-t"] -il.
Il fut comme celui qui met [en sc. sur +] sa tête hors de l’eau. Il lui sembla qu’il voyait tout, le passé, l’avenir, le présent, dans le saisissement d’une clarté subite.
— Ah, cria-t-il! — car il y a des cris au fond de la pensée — Ah ! c’était donc cela ! j’étais lord. [un mot, précédé d'un tiret et corrigé, le tout mis entre barres verticales et barré] Tout se découvre. Ah ! l’on m’a volé, trahi, ["vendu"(?), barré] perdu, déshérité, abandonné, assassiné ! le cadavre de ma destinée a flotté quinze ans sur la mer, et tout à coup il a touché la terre, et il s’est dressé debout et vivant ! Je renais. Je nais [en sc. sur "vis"; de même à la copie] ! Je sentais bien sous mes haillons palpiter autre chose qu’un misérable, et quand je me tournais du côté des hommes, je sentais bien qu’ils étaient le troupeau, et que je n’étais pas le chien, mais le berger ! Pasteurs des peuples, conducteurs d’hommes, guides et maîtres, ["guides..." ajouté] c’est là ce qu’étaient mes pères, et ce qu’ils étaient, je le suis ! Je suis gentilhomme, et j’ai une épée ; je suis baron, et j’ai un casque ; je suis marquis, et j’ai un panache ; je suis pair, et j’ai une couronne. Ah ! l’on m’avait pris tout cela ! J’étais l’habitant de la lumière, et l’on m’avait fait l’habitant des ténèbres! [trois lignes, corrigées, le tout barré, ce qui rend difficile la distinction entre ce qui a été corrigé et ce qui ne l'était pas jusqu'à la suppression de l'ensemble: "Oui, [ajouté] je me rends compte de ["je me rends compte de" corrige "je m'explique"] tout. Ce parchemin qu'a lu le shériff, j'en retrouve chaque mot dans ma pensée. [addition ou correction: "Toute cette déclaration me revient, chaque mot a un sens. Je comprends" ["Je comprends" corrigé en "Ah! je comprends enfin!"] ] Ceux qui avaient proscrit le père"] Ceux qui avaient proscrit le père ont vendu l’enfant. Quand mon père a été mort, ils lui ont retiré de dessous la tête la pierre de l’exil qu’il avait pour oreiller, et ils me l’ont [f° 416, Y15] mise au cou, et ils m’ont jeté dans l’égout [corrige "le cloaque"] ! Oh ! ces bandits qui ont torturé mon enfance, oui, ils remuent et se dressent ["se dressent" en sc. sur + + qui corrige "existent"] au plus profond de ma mémoire, oui, ["oui, ils remuent..." addition; elle se substitue à "oui, je les + +" qui corrige "les voilà tous,"] je les revois. J’ai été le morceau de chair ["vivante +": addition abandonnée] becqueté sur une tombe ["dans + +" correction abandonnée de "sur une tombe"] par une troupe de corbeaux. J’ai saigné et crié sous toutes ces silhouettes horribles. Ah ! c’est donc là qu’on m’avait précipité, sous l’écrasement de ceux qui vont et viennent ["ceux qui..." corrige "la foule"] ["sous l'écrasement..." corrige immédiatement "au fond de la disparition" employé plus bas] , sous le trépignement de tous, au dessous du dernier dessous du genre humain, plus bas que le serf, plus bas que le valet, plus bas que le goujat, plus bas que l’esclave, ["plus bas que l’esclave," ajouté] à l’endroit où le chaos devient le cloaque, au fond de la disparition ! Et c’est de là que je sors ! c’est de là que je remonte ! c’est de là que je ressuscite ! Et me voilà. Revanche ! [ajouté] Il s’assit, se releva, prit sa tête dans ses mains, se remit à marcher, et ce monologue d’une tempête continua en lui : ["Il s'assit...": addition]
Où suis-je ? sur le sommet ! Où est-ce que je viens m’abattre ? sur la cîme ! Ce faîte, la grandeur, ce dôme du monde, la toute-puissance, c’est ma maison. Ce temple en l’air, je suis un des dieux ! l’inaccessible, j’y loge. Cette hauteur que je regardais d’en bas, et d’où il tombait tant de rayons que j’en fermais les yeux, cette seigneurie inexpugnable, cette forteresse imprenable des heureux, j’y entre. J’y suis. J’en suis. ["Ah! revanche!" barré] Ah ! tour de roue définitif ! J’étais en bas, je suis en haut. En haut, à jamais ! me voilà lord, j’aurai un manteau d’écarlate ["d’écarlate" corrige "de pourpre"] , j’aurai des fleurons sur la tête, j’assisterai au couronnement [corrige "sacre"] des rois, ils prêteront serment entre mes mains, je jugerai les ministres et les princes, j’existerai [", j’existerai" ajouté] . [deux lignes barrées qu'on regrette de ne pas parvenir à lire car les quelques mots qu'on y déchiffre : "qui m'aime"; "Aimer [qui corrige "Etre aimé" qui corrige "Aimer"; "épouser" qui corrige "épousé", rangent sans doute au nombre des grandeurs atteintes par Gwynplaine l'union quasi-royale que vient de lui promettre Barkilphedro; et Dea est ici entièrement oubliée.] Des profondeurs où l’on m’avait jeté, je rejaillis jusqu’au zénith. J’ai ["des châteaux, des chasses," barré; de même à la copie] des palais de ville et de campagne, des hôtels, ["des palais..." ajouté] [f° 417, Z15. Ce folio est la mise au net du début du folio suivant.] des jardins, des chasses, ["des jardins...": addition] des forêts, des carrosses, des millions; je donnerai des fêtes, je ferai des lois, j’aurai le choix des bonheurs et des joies, et le saltimbanque [variante sans choix préférée à la copie: "vagabond"] Gwynplaine, qui n’avait pas le droit [en sc. sur +] de prendre [corrige "cueillir"] une fleur dans l’herbe, pourra cueillir des astres [correction abandonnée: "étoiles"] dans le ciel ! —
Funèbre rentrée de l’ombre dans une âme. Ainsi s’opérait, en ce Gwynplaine, qui avait été un héros, et qui, disons-le, n’avait peut-être [ajouté] pas cessé de l’être, le remplacement de la grandeur morale par la grandeur matérielle. Transition lugubre. Effraction d’une vertu par une troupe de démons qui passe. Surprise faite au côté faible de l’homme. Toutes ces choses d'en bas [variante sans choix "inférieures"; à la copie, c'est une correction autographe] qu’on appelle les choses d'en haut [variante sans choix: "supérieures"; à la copie, c'est une correction autographe] , les ambitions, [ajouté] les volontés louches de l’instinct, les passions, ["les ambitions," rayé et déplacé] les convoitises, chassées loin de Gwynplaine [corrige "lui"] par l’assainissement du malheur, reprenaient tumultueusement possession de ce généreux cœur. [faux départ: "La trouv"] Et à quoi cela avait-il tenu ? à la trouvaille d’un parchemin dans une épave charriée ["épave..." corrige "gourde apportée"] par la mer. Le viol d’une conscience par un hasard, cela se voit.
Gwynplaine buvait à pleine gorgée l’orgueil, ce qui lui faisait l’âme obscure ["ce qui lui faisait..." corrige "et devenait insensé"] . Tel est ce vin tragique.
[f° 418, A16. Ce folio prend, en première rédaction, la suite du f° 416. Le folio 417 est la mise au net de toute la première moitié du folio, encadrée et barrée à grands traits:
"des forêts, des carrosses, des jardins, des millions, je donnerai des fêtes, je ferai des lois, ["je ferai...": ajouté] ["j'éblouirai Londres," barré] j’aurai le choix des bonheurs et des joies, ["j'aurai le choix...": ajouté] et le saltimbanque Gwynplaine, qui n’avait pas le droit de cueillir une fleur dans l’herbe, pourra cueillir des astres [corrige "étoiles"] dans le ciel. —
Funèbre [corrige "Lugubre" qui corrige "Sombre"] rentrée de l’ombre ["rentrée..." corrige "entrée(?) des démons"] dans une âme. Ainsi s’opérait, en ce Gwynplaine qui avait été un héros, le remplacement de la grandeur morale par la grandeur matérielle. Transition lugubre [corrige +] Toutes ces choses d'en bas qu'on croit les choses d'en haut, ["les +" barré] les volontés de l'instinct, les passions, les ambitions, les convoitises, ["Toutes ces choses...": addition correctrice de "Les désirs"(?)] chassées loin de lui par l’assainissement du malheur, reprenaient tumultueusement [corrige "impétueusement" qui corrige + qui corrige "violemment"] possession de ce généreux [corrige "grand"] cœur. Le viol d’une conscience par un hasard, cela se voit. [phrase ajoutée] Il buvait à pleine gorgée l’orgueil, ce qui lui faisait l’âme trouble ["ce qui lui faisait..." corrige une ligne non lue]."]
Cet étourdissement l’envahissait ; il faisait plus qu’y consentir, il ["s'en assouvissait" barré en correction cursive] le savourait. Effet d’une longue soif. Est-on complice de la coupe où l’on perd [corrige "noie"] la [variante sans choix de "sa" non reproduite à la copie; en corrigeant "noie" VH a bien écrit "la" au-dessus de "sa" mais oublié de le barrer et la copiste de le transcrire] raison ? Il avait toujours vaguement désiré cela. Il regardait sans cesse du côté des grands ; regarder, c’est souhaiter. L’aiglon ne naît pas impunément dans l’aire.
Être lord. Maintenant, [ajouté] à de certains moments, il trouvait cela tout simple.
Peu d’heures s’étaient écoulées, comme le passé d’hier était déjà loin ! ["Cet étourdissement...": addition]
Gwynplaine [corrige "Hélas, il"] avait rencontré l’embuscade du mieux, ennemi du bien.
Malheur à celui dont on dit : A-t-il du bonheur ! [paragraphe ajouté]
["du bonheur. Bonheur. C'est ainsi que cela s'appelle." barré. L'interprétation de la ligne est difficile; on peut y voir une variante de "du mieux ennemi du bien" : "Hélas, il avait rencontré l'embuscade du bonheur. Bonheur. C'est ainsi que cela s'appelle." Cette variante aurait été éliminée en même temps qu'était insérée la ligne "Malheur à celui..."]
On résiste à l’adversité mieux [correction abandonnée: "plus"] qu’à la prospérité. On se tire de la mauvaise fortune plus entier que de la bonne. Charybde est la misère, mais Scylla est la richesse. Ceux qui se dressaient ["se dressaient" corrige "restaient debout"] sous la foudre sont terrassés par l’éblouissement. Toi qui ne t’étonnais pas du précipice, crains d’être emporté sur les légions d’ailes de la nuée et du songe. L’ascension t’élèvera et t’amoindrira. L’apothéose a une sinistre puissance d’abattre.
["Vous figurez-vous quelque chose de plus terrible que ceci: le sourire de la Fatalité?
Que la Fatalité puisse avoir [variante sans choix: "ait"] un sourire, c'est terrible." Ces deux paragraphes sont barrés; l'idée du sourire de la Fatalité est immédiatement reprise et de nouveau reportée plus loin.]
Se connaître en bonheur, ce n’est pas facile. Le hasard n’est autre chose qu’un déguisement. Rien ne trompe comme ce visage-là. Est-il la Providence ? Est-il la Fatalité ? ["Est-il la Providence...": addition]
["Qu'il soit possible à la Fatalité d'avoir un sourire, c'est terrible." Ce paragraphe est barré et l'addition qui suit s'y substitue.]
Une clarté peut ne pas être une clarté. Car la lumière est vérité, et une lueur peut être une perfidie. Vous croyez qu’elle éclaire [corrige "brille"] , non, elle incendie [corrige "brule"] .
Il fait nuit ; [faux départ: "quelqu'un"] une main pose une chandelle, vil suif devenu étoile, au bord d’une ouverture dans les ténèbres. Le phalène y va.
Dans quelle mesure ["Dans quelle mesure" ajouté] est-il responsable ?
Le regard du feu fascine le phalène de même que le regard du serpent fascine l’oiseau.
Que le phalène et l’oiseau n’aillent point là, cela leur est-il possible ? Est-il possible à la feuille de refuser obéissance au vent ? Est-il possible ["cela leur est-il..." corrige "cela ne leur est pas possible, pas plus qu' à la feuille de refuser obéissance au vent, pas plus qu' "] à la pierre de refuser obéissance à la gravitation ? ["Une clarté peut ne pas être...": addition]
Questions matérielles, qui sont aussi des questions morales. [paragraphe en addition de second niveau]
Après la lettre de la [en sc. sur +] duchesse, Gwynplaine s’était redressé. Il y avait en lui de profondes attaches qui avaient résisté. Mais les bourrasques, après avoir épuisé le vent d’un côté de l’horizon, recommencent de l’autre, ["les bourrasques...": addition, elle se substitue à "un ouragan, quand il commence, n'est pas près de s'épuiser,"] et la destinée, comme la nature, a ses acharnements. Le premier coup [en sc. sur +] ébranle, le second déracine.
Hélas ! comment tombent les chênes ?
[f° 419, B16. Au bas de la feuille, en marge, cette note: "16 avril. Mon doux petit Georges est mort avant hier 14 avril 1868. Je reçois la nouvelle aujourd'hui. Reviens, doux ange!"]
Ainsi, celui qui, enfant de dix ans, seul sur la falaise de Portland, prêt à livrer bataille, regardait fixement les combattants à qui il allait avoir affaire, la rafale [corrige "vague", lui-même en sc. sur "mer"] qui emportait ["la planche de salut," barré en correction cursive] le navire où il comptait s’embarquer, le gouffre [corrige "l'ombre"] qui lui dérobait cette planche de salut, le vide béant dont la menace est de reculer, ["le vide...": ajouté] la terre qui lui refusait un abri, le zénith [en sc. sur "ciel"] qui lui refusait une étoile, la solitude sans pitié, l’obscurité [en sc. sur "immensité"] sans regard, l’océan, le ciel, toutes les violences ["l'océan..." corrige "tout le +"] dans un infini et toutes les énigmes [en sc. sur +] dans l’autre ; celui qui n’avait pas tremblé ni défailli [corrige "reculé"] devant l’énormité hostile de l’inconnu ; ["celui qui n’avait pas tremblé...": ajouté] celui qui, tout petit, avait tenu tête à ["tenu..." corrige "vaincu"] la nuit comme l’ancien Hercule avait tenu tête à ["tenu..." corrige "vaincu"] la mort ; celui qui, dans ce conflit démesuré ["conflit..." corrige "combat effrayant"] , avait fait ce défi de mettre toutes les chances contre lui en adoptant un enfant, lui enfant, et en s’embarrassant d’un fardeau, lui fatigué [corrige "faible"] et fragile, rendant ainsi plus faciles les morsures à sa faiblesse, et ["rendant ainsi..." ajouté] otant ["ainsi" supprimé] lui-même les muselières aux monstres de l’ombre embusqués autour de lui ; celui qui, belluaire avant l’âge, avait, tout de suite, dès ses premiers pas hors du berceau, pris corps à corps la destinée ; celui que sa disproportion avec la lutte n’avait pas empêché de lutter ; ["celui que sa disproportion...": addition ajoutée à l'addition qui suit] celui qui, voyant tout à coup se faire autour de lui une occultation effrayante du genre humain, avait accepté cette éclipse et continué superbement sa marche, ["celui qui, voyant...": addition de premier niveau] celui qui avait su avoir froid, avoir soif, avoir faim, vaillamment ; celui qui, pygmée par la stature, avait été colosse par l’âme [correction abandonnée: "le courage"] ; ce Gwynplaine [correction abandonnée: "celui"] qui avait vaincu l’immense vent de l’abîme sous sa double forme, tempête et misère, chancelait sous ce souffle, une vanité !
Ainsi, quand elle a épuisé les détresses, les dénûments, les orages, les rugissements, ["les rugissements," ajouté] les catastrophes, les agonies, sur un homme resté debout, la Fatalité se met à sourire, et l’homme, brusquement [ajouté] devenu ivre, trébuche.
Le sourire de la Fatalité. S’imagine-t-on [corrige "Il n'est rien"] rien de plus terrible ? C’est la dernière ressource de l’impitoyable essayeur d’âmes qui éprouve les hommes. Le tigre qui est dans le destin fait parfois patte de velours. Préparation redoutable. Douceur hideuse [en sc. sur "rampante"(?)] du monstre. [phrase ajoutée] [paragraphe en addition. Elle se susbstitue à "Le tigre qui est dans le destin fait parfois patte de velours; rien de plus terrible."]
La [corrige "Cette"] coïncidence d’un affaiblissement [corrige cursivement "agrandissement"] avec un ["effroyable" barré] agrandissement, tout homme a pu l’observer en soi. Une croissance soudaine disloque, et donne la fièvre.
[f° 420, C16]
["Et puis, songea Gwynplaine, je serai éloquent." barré et déplacé]
Gwynplaine avait dans le cerveau le tourbillonnement vertigineux d’une foule de nouveautés, tout le ["tourbillonnement..." ajouté] clair-obscur ["vertigineux" barré et déplacé] de la métamorphose, on ne sait quelles confrontations étranges, le choc du passé contre l’avenir, deux Gwynplaines, lui-même double ["Gwynplaines..." corrige "fantômes qui étaient lui"; de même à la copie] , en arrière, un enfant en guenilles, sorti de la nuit, rôdant, grelottant, affamé, faisant rire, en avant, un seigneur éclatant, fastueux [corrige "opulent"] , ["splendide," barré] superbe, éblouissant Londres. Il se dépouillait de l’un et s’amalgamait à l’autre. Il sortait du saltimbanque et entrait dans le lord. Changements de peau qui sont parfois des changements d’âme. Par instants cela ressemblait trop au songe. [phrase en addition de premier niveau; elle est réécrite au début de l'addition de second niveau qui la complète.] C’était complexe. Mauvais et bon. Il ["songeait" barré en correction cursive] pensait à son père. Chose poignante, un père qui est un inconnu. Il essayait de se le figurer. Il pensait à ce frère dont on venait de lui parler. Ainsi, une famille ! Quoi ! une famille, à lui Gwynplaine ! ["C'était complexe...: addition de deuxième niveau] Il se perdait ["en rêveries" barré] dans des échafaudages fantastiques. [phrase ajoutée -troisième niveau- à l'addition qui précède] [A la copie, ces deux additions sont ajoutées ensemble de la main de VH.] Il avait des apparitions de magnificences ; des solennités inconnues ["passaient" barré en correction cursive] s’en allaient en nuage devant lui ; il entendait des fanfares.
— Et puis, se disait-il, je serai éloquent.
Et il se représentait [corrige "figurait"] une entrée splendide à la chambre des lords. Il arrivait gonflé de choses nouvelles. Que n’avait-il pas à dire ? Quelle provision il avait faite ! Quel avantage [faux départ: "de pouvoir"] d’être au milieu d’eux l’homme qui a vu, touché, subi, souffert, et de pouvoir leur crier : j’ai été près de tout ce dont vous êtes loin ! à ces patriciens repus d’illusions ["repus...": addition] , il leur jettera la réalité à la face, et ils trembleront, car il sera vrai, et ils applaudiront, car il sera grand. Il surgira parmi ces tout-puissants, [un mot ("mais"?) ou un début de mot barré en correction cursive] plus puissant qu’eux ; il leur apparaîtra comme le porte-flambeau, car il leur montrera la vérité, et comme le porte-glaive, car il leur montrera la justice. Quel triomphe ! [Ce paragraphe enregistre, mais dans une tonalité toute différente, le projet de "parler pour les muets" développé dans une rédaction antérieure (24 747, f° 181v) abandonnée pour ce chapitre-ci mais dont les éléments ont été redistribués, partie dans le discours à la chambre des lords partie dans le chapitre "Résidu", conformément à une note de régie ajoutée au texte.]
Et tout en faisant ces constructions dans son esprit ["constructions..." corrige "échafaudages"; de même à la copie] , ["a + +," barré] lucide et trouble à la fois, il avait des mouvements de délire, des accablements dans le premier fauteuil [oublié et ajouté] venu, des sortes d’assoupissements, des sursauts. Il allait, venait, regardait le plafond, examinait les couronnes, étudiait vaguement [f° 421, D16] les hiéroglyphes du blason, palpait [corrige "touchait"] le velours du mur, remuait les chaises, retournait les parchemins, lisait les noms, épelait les titres, Buxton, Homble, Gumdraith, Hunkerville, Clancharlie, comparait les cires des cachets, tâtait les tresses de soie des sceaux royaux, s’approchait de la fenêtre écoutait le jaillissement de la fontaine, constatait les statues, comptait avec une patience de somnambule les colonnes de marbre, et disait : Cela est.
Et il touchait son habit de satin, et il s’interrogeait : — Est-ce que c’est moi ? oui. ["Et il touchait...": addition] Il était en pleine tempête intérieure. [phrase ajoutée à l'addition qui précède]
Dans cette tourmente, sentit-il sa défaillance et sa fatigue ? But-il, [en sc. sur point d'interrogation] mangea-t-il, dormit-il ? S’il le fit, ce fut sans le savoir. Dans de certaines situations violentes, les instincts se satisfont comme bon leur semble sans que la pensée s’en mêle. D’ailleurs sa pensée était moins une pensée qu’une fumée. Au moment où le flamboiement noir de l’éruption se dégorge à travers son puits plein de tourbillons, le cratère a-t-il conscience des troupeaux qui paissent l’herbe au pied de sa [corrige à l'encre rouge "la"] montagne ["de sa montagne" corrige "du volcan"] ?
Les heures passèrent.
L’aube parut, et fit le jour. Un rayon blanc pénétra dans la chambre et en même temps entra dans l’esprit [corrige "le cerveau"; de même à la copie] de Gwynplaine.
— Et Dea, lui dit la clarté!
[blanc jusqu'au bas du folio]
[f° 422, non numéroté par VH; papier blanc. Le folio correspondant de la copie, f° 360/375, présente des données dignes d'être signalées. Au coin supérieur droit, "copie" en sc. sur +; au-dessous "3e partie [en sc. sur 2e - ou l'inverse] / l'H. q. R." Au coin supérieur gauche, quatre lignes au crayon, barrées à l'encre et peu lisibles. On distingue : + de la 3e partie + + + titres sont provisoires. Au dessous, centré, le titre "Livre Sixième" est écrit en sc. sur "Livre II". Au-dessous, au crayon, "14 doubles pages" est barré à l'encre. Enfin, le titre "Aspects variés d'Ursus" est écrit au-dessus d'un autre titre rayé: "La raison d'état +". Le tout de la main de VH.]
2e partie
_________
______
[f° 423, E16. Grand blanc au haut du folio.]
Après qu’Ursus eut vu Gwynplaine s’enfoncer sous la porte ["basse"
rayé] de la geôle de Southwark, il demeura ["longtemps"
corrigé +, le tout barré] , [virgule
ajoutée] hagard, [virgule ajoutée]
dans le recoin ["d'où il guettait." barré en
correction cursive] où il s’était mis en observation. Il eut
longtemps dans l’oreille ce grincement de serrures et de verroux qui
semble le hurlement de joie de la prison dévorant un misérable. ["Il
resta là. Pourquoi?" barré] Il attendit. Quoi ? Il épia. Quoi ?
Ces inexorables [corrige "funèbres"]
portes, une fois fermées, ne se rouvrent pas tout de suite, elles sont
ankylosées par leur stagnation dans les ténèbres et elles ont les
mouvements difficiles, surtout lorsqu’il s’agit de délivrer ; Entrer,
soit ; sortir, c’est différent [en sc. sur
"autre chose"] . Ursus le savait. Mais attendre est une chose
qu’on n’est pas libre de cesser à volonté ; on attend malgré soi ; [six ou sept mots barrés] ["elles sont
ankylosées...": addition; elle se substitue à "Ursus le savait.
[phrase ajoutée avant l'addition qui précède] ] les actions [corrige "choses"] que nous faisons dégagent
["les actions..." corrige "mais il y a dans
toutes les actions humaines", correction antérieure à l'addition qui
précède] une force acquise qui persiste même lorsqu’il n’y a
plus d’objet, qui nous possède et nous tient, [",
qui nous possède...": ajouté] et qui nous oblige [corrige
"force"] pendant quelque temps à continuer ce qui est désormais
sans but. [Le texte qui suit, jusqu'à la fin
du folio, est écrit au-dessus d'un texte préparatoire au crayon.]
Le guet inutile, posture inepte ["en sc. sur
"idiote"] que nous avons tous eue dans l’occasion, ["posture...":
addition] perte de temps que fait machinalement ["fait
machinalement" ajouté] tout homme attentif à une chose disparue
["a faite machinalement" barré et déplacé].
Personne n’échappe à ces fixités-là. On s’obstine avec une sorte
d’acharnement distrait. [phrase ajoutée]
On ne sait pourquoi l’on reste à cet endroit ["pourquoi
l'on reste..." corrige "ce qu'on fait à cette place"] où l’on
est, mais on y reste. Ce qu’on a commencé activement, on le continue
passivement. Ténacité épuisante [remplace à
l'encre rouge une autre addition; ajouté à l'encre rouge à la copie]
d’où l’on sort accablé. Ursus, différent des autres hommes, fut
pourtant, comme le premier venu, cloué [en sc.
sur +] sur place par cette rêverie mêlée de surveillance ["de surveillance" corrige "de surveillance +" qui
corrige "d'espionnage" qui corrige "d'attente"] où nous plonge
un événement qui peut tout sur nous et sur lequel nous ne pouvons rien.
["Il y avait dans cette rue évitée + " barré et
déplacé au folio suivant] Il considérait tour à tour les deux
murailles noires, tantôt la basse, tantôt la haute, [f° 424,
F16] tantôt la porte [corrige
"le guichet"] où il y avait ["où il y
avait" corrige cinq ou six mots] une échelle de potence, tantôt
la porte où il y avait une tête de mort ; il était comme pris dans cet
étau composé d’une prison et d’un cimetière.
["Il considérait...": addition] Cette rue évitée et impopulaire
avait ["Cette rue...": ajout par déplacement]
si peu de passants qu’on ne ["le" barré à
l'encre rouge; de même à la copie] remarquait point [en
sc. sur "pas"] Ursus [ajouté à
l'encre rouge; de même à la copie] . [signe
d'alinéa à faire ajouté à l'encre rouge; de même à la copie]
Enfin il sortit de l’encoignure quelconque qui l’abritait, espèce de guérite de hasard où il était en vedette, et il s’en alla à pas lents. Le jour baissait, tant sa faction avait été longue. [phrase ajoutée] De temps en temps il tournait le cou ["tournait..." corrige "se retournait"] et regardait l’affreux guichet bas où était entré Gwynplaine ["l'affreux..." corrige "la porte de la geôle"; correction en deux temps: d'abord "l'affreux guichet bas"] . Il avait l’œil vitreux et stupide. Il arriva au ["arriva au" corrige "+ à"] bout ["bout de" ajouté] de la ruelle ["où était la prison" barré] , prit une autre rue, puis une autre, retrouvant vaguement l’itinéraire par où il avait passé quelques heures ["quelques heures" en sc. sur + +] auparavant ["quelques heures..." ajout correctif de "en allant"]. Par intervalles il se retournait, [un mot ou un début de mot barré en correction cursive] comme s’il pouvait encore voir la porte de la prison, quoiqu’il ne fût plus dans la rue où était la geôle. Peu à peu il se rapprochait du Tarrinzeau-field [corrige "Bowling-Green"; de même à la copie] . Les lanes qui avoisinaient le champ de foire étaient des sentiers déserts entre des clotures de jardins. Il marchait courbé le long des haies et des fossés [en sc. sur "murs"] . Tout à coup il fit halte, et se redressa, et il cria : — Tant mieux !
En même temps ["En même temps": en sc. sur + +] il se donna deux coups de poing sur la tête, puis deux coups de poing sur les cuisses, ce qui indique l’homme qui ["prend son parti" barré en correction cursive] juge les choses comme il faut les juger.
Et il se mit à grommeler entre cuir et chair, par moments avec des éclats de voix :
— C’est bien fait ! Ah ! le gueux ! le brigand ! le chenapan ! le vaurien ! le séditieux ! ce sont ses propos sur le gouvernement qui l’ont mené là. C’est un rebelle. J’avais chez [en sc. sur + et correction abandonnée en +] moi un rebelle. ["Bon." barré] J’en suis délivré. J’ai de la chance. Il nous compromettait. ["C’est un rebelle...": addition de premier niveau] Fourré au bagne ! Ah ! tant mieux ! Excellence des lois. ["Fourré au bagne...": addition de deuxième niveau] Ah ! l’ingrat ! moi qui l’avais élevé ! Donnez-vous donc de la peine ! [phrase ajoutée -quatrième niveau] Quel besoin avait-il de parler et de raisonner ? ["Ah ! l’ingrat...": addition de troisième niveau] Il s’est mêlé des questions d’état ! Je vous demande un peu ! [phrase ajoutée] En maniant des sous, il a déblatéré [corrige "bavardé"] sur l’impôt, sur les pauvres, ["sur les pauvres," ajouté] sur le peuple, sur ce qui ne le regardait pas ! il s’est permis des réflexions sur les pence ! il a commenté méchamment et malicieusement le ["commenté..." corrige "blasphêmé le" qui corrige "manqué de respect au"] cuivre de la monnaie du royaume ! il a insulté les liards de sa majesté ! un farthing, c’est la même chose que la reine ! l’effigie sacrée, morbleu, l’effigie sacrée. [f° 425, G16] A-t-on une reine, oui ou non ? respect à son vert-de-gris [corrige "cuivre"] . ["A-t-on une reine..." addition de troisième niveau] Tout se tient dans le gouvernement. Il faut connaître cela. ["Tout se tient...": addition de deuxième niveau] J’ai vécu, ["J’ai vécu," corrige "Je suis un sage"] moi. Je sais les choses. On me dira : Mais vous renoncez donc à la politique ? La politique, mes amis, je m’en soucie autant que du poil bourru d’un âne. J’ai reçu un jour un coup de canne d’un baronnet. Je me suis dit, cela suffit, je comprends la politique ["la politique" corrige "le +] . ["J'ai vécu...": addition de premier niveau. Ces additions se substituent au texte initial barré: "Tout se tient dans le gouvernement. Le voilà au bagne. C'est bien fait. C'est juste. C'est équitable, excellent, mérité et légitime. C'est sa faute. Tant pis pour lui, tant mieux pour moi." Il n'est pas exclu que ce texte, repris plus loin, ait été barré avant l'addition qui prend sa place.] Le peuple n’a qu’un liard, il le donne, la reine le prend, le peuple remercie. Rien de plus simple. ["Rien de plus simple." remplace "Voilà la politique."] Le reste regarde les lords. Leurs seigneuries les lords spirituels et temporels. Ah ! Gwynplaine est sous clef ! ["Leurs seigneuries...": addition] ["Bavarder est défendu. Es-tu un lord, imbécile?" barré et repris plus loin] Ah ! il est aux galères [corrige "au bagne"] ! c’est juste. C’est équitable, excellent, mérité et légitime. C’est sa faute. ["Parler est suspect." au-dessus de "Tant pis pour lui." le tout barré] Bavarder est défendu. Es-tu un lord, imbécile ? Le wapentake l’a saisi, le justicier-quorum l’a emmené, le shériff le tient. Il doit être en ce moment-ci épluché par quelque sergent de la coiffe. Comme ça vous plume les crimes, ces habiles gens là ! Coffré, mon drôle ! Tant pis pour lui, tant mieux pour moi ! [" ["Donc on m'en a" corrige + + + qui corrige "M'en voilà"] débarrassé!" le tout barré] Je suis, ma foi, bien content. J’avoue ingénûment que j’ai ["J'avoue..." corrige "J'ai"] de la chance. Quelle extravagance [corrige "sottise"] j’avais faite de ramasser ce petit et cette petite ! Nous étions si tranquilles auparavant, Homo et moi ! ["de ramasser..." corrige et complète "de + + ce petit et cette petite!"] Qu’est-ce qu’ils venaient faire dans ma baraque, ces gredins [corrige "deux"(?)]-là ! Les ai-je assez couvés quand ils étaient mioches [corrige "petits"] ! les ai-je assez traînés avec ma bricole ! joli sauvetage ! lui sinistrement laid, elle borgne des deux yeux ! Privez-vous donc de tout ! Ai-je assez tetté pour eux les mamelles de la famine ! Ça grandit, ça fait l’amour ! Des flirtations d’infirmes, c’est là que nous en étions. Le crapaud et la taupe, idylle. J’avais ça dans mon intimité. ["Les ai-je assez couvés...": addition] Tout cela devait finir par la justice. Le crapaud a parlé politique. C’est bon. ["C’est bon." corrige "Soit."] M’en voilà délivré. ["Tout cela devait finir...": addition ajoutée à l'addition qui précède] ["Les ai-je assez couvés...": ces additions se substituent à une ensemble d'additions marginales qui corrige le texte initial, déjà abondamment corrigé en interligne. Le texte initial se réduit à: "Nous étions si tranquilles auparavant Homo et moi." Les corrections et additions aboutissent à "Des amourettes d'infirmes, c'est là que nous en étions. Le crapaud et la taupe, idylle. J'avais ça dans mon intimité. Des bêtises et des sottises. Tout cela devait finir par la police. M'en voilà débarrassé."] Quand le wapentake est venu ["le wapentake est venu" corrige "les gens de police sont venus"] , j’ai d’abord été bête [rétabli après correction en "imbécile"] , on doute toujours du bonheur, j’ai cru que je ne voyais pas ce que je voyais, ["que je ne voyais pas..." ajouté] que c’était impossible, que c’était un cauchemar, ["un + , une vision," barré] que c’était une farce que me faisait le rêve. Mais non, il n’y a rien de plus réel. C’est plastique. [phrase ajoutée] Gwynplaine est bellement en prison. ["Gwynplaine est bellement..." corrige "Le voilà sous clef. Le voilà parti."] C’est un coup de la Providence. Merci, bonne madame. ["Et il y a des gens qui ne croient pas en Dieu! Je me sens léger maintenant. ["phrase ajoutée] Quelle délivrance." barré] C’est ce monstre [+ correction abandonnée] ["C'est ce..." corrige "C'est lui"] qui, avec le tapage qu’il faisait, a attiré [corrige "attirait"] l’attention sur mon établissement [corrige "mon habitacle" qui corrige "ma baraque"] , et a dénoncé mon ["loup" barré en correction cursive] pauvre loup ! Parti, le Gwynplaine ! ["bon voyage!" barré et déplacé] Et me voilà débarrassé des deux. D’un caillou deux bosses. [phrase ajoutée] Car Dea en mourra. Quand elle ne verra plus Gwynplaine — elle le voit, l’idiote ! — elle n’aura plus de raison d’être, elle se dira : qu’est-ce que je fais en ce monde ? ["elle se dira...": addition] et elle partira, elle aussi. Bon voyage. Au diable tous les deux. Je les ai toujours détestés, ces êtres ! Crève, Dea. Ah ! que je suis content !
[f° 426, H16]
Il rejoignit l’inn Tadcaster.
["Sept heures" barré en correction cursive] Six heures et demie sonnaient; la demie passé six, comme disent les anglais. C’était un peu avant le crépuscule. [paragraphe en addition]
["Il rejoignit l’inn Tadcaster." début, barré, du folio en première rédaction]
Maître Nicless [corrige "Le tavernier"] était sur le pas de sa porte. Sa face consternée n’avait [point en sc. sur "pas"] réussi depuis le matin à se détendre, et l’effarement y était resté figé.
Du plus loin qu’il aperçut Ursus :
— Eh bien, cria-t-il?
— Eh bien quoi ?
— Gwynplaine va-t-il revenir ? Il serait grand temps. ["la représentation" barré en correction cursive] Le public ne tardera pas à arriver. Aurons-nous ce soir la représentation de l’Homme qui Rit ?
— L’Homme qui Rit, c’est moi, dit Ursus.
Et il regarda le tavernier [corrige "l'hotelier"] avec un ricanement éclatant.
["L'hotelier recula étonné." paragraphe barré]
Puis il ["Puis il" en sc. sur + et corrige "Ursus"] monta droit au premier, ouvrit la ["porte-" barré] fenêtre voisine de l’enseigne de l’inn ["voisine..." corrige "du balcon de l'inn sur la place"] , se pencha, allongea [en sc. sur +] le poing, ["allongea...": ajouté] fit une pesée sur l’écriteau de Gwynplaine - l’Homme-qui-Rit et sur le panneau-affiche de Chaos vaincu, décloua l’un, arracha l’autre, mit ces deux planches sous son bras, et redescendit.
["Gwynplaine" barré en correction cursive] Maître Nicless le suivait des yeux. [paragraphe ajouté]
— Pourquoi décrochez-vous ça ? [point d'interrogation corrige virgule] ["demanda l'hotelier?" barré et, à la suite, "+ Gwynpl", également barré]
["— Je rentre dans la vie privée, répondit" barré en correction cursive]
Ursus partit d’un second éclat de rire.
— Pourquoi riez-vous, reprit l’hôtelier?
Ursus répondit:
— Je rentre dans la vie privée.
["Un moment après, il remontait dans la Green-Box." paragraphe barré en correction cursive]
Maître Nicless [corrige "l'hotelier"] comprit, et donna ordre à son lieutenant, le boy Govicum, ["à son..." corrige "au boy de la taverne"] d’annoncer à quiconque se présenterait ["à quiconque..." corrige "aux habitués"] qu’il n’y aurait pas de représentation le soir. Il ôta de la porte la futaille-niche où se faisait la recette et la rencogna dans un angle de la salle basse. [phrase ajoutée]
Un moment après, Ursus montait [corrige + qui corrige "remontait"] dans la Green-Box.
[f° 427, I16]
Il posa dans un coin ["dans un coin" corrige "au sol"(?)] les deux écriteaux, et pénétra [en sc. sur "entra"] dans ce qu’il appelait « le pavillon des femmes ».
Dea dormait.
Elle était sur son lit, tout habillée et son corps de jupe défait, comme dans les siestes.
Près d’elle, Vinos et Fibi, assises, l’une sur un escabeau, l’autre à terre, songeaient.
Malgré l’heure avancée, elles n’avaient point revetu leur tricot de déesses, signe de profond découragement. Elles étaient restées empaquetées dans leur guimpe de bure et dans leur ["longue"(?) barré] robe de grosse toile. [paragraphe en addition]
Ursus considéra Dea.
— Elle s’essaie à un plus long sommeil, murmura-t-il.
Il apostropha Fibi et Vinos.
— Vous savez, vous autres. C’est fini la musique. Vous pouvez mettre vos trompettes dans votre tiroir. Vous avez bien fait de ne pas vous harnacher en déités ["harnacher..." corrige +] . Vous êtes bien laides comme ceci ["comme ceci" corrige "dans vos robes de grosse": correction abandonnée de "comme cela"] , mais vous avez bien fait. Gardez vos cotillons de torchon. [phrase ajoutée] ["Vous avez bien fait de ne pas...": addition] Pas de représentation ce soir. ["Plus [en sc. sur "Pas"] de Gwynplaine." barré et déplacé] Ni demain, ni après-demain, ni après après-demain. ["Ni demain...": addition] Plus de Gwynplaine. Pas plus de Gwynplaine que sur ma patte.
Et il se remit à regarder Dea.
— Quel coup ça va lui donner ! Ce sera comme une chandelle qu’on souffle.
Il enfla ses joues. ["Il enfla..." corrige "Et il imita le soufflement avec sa bouche:"]
— Fouhh ! — Plus rien.
Il eut un petit rire sec.
— Gwynplaine de moins, c’est tout de moins. Ce sera comme si je perdais Homo. Ce sera pire. Elle sera plus seule qu’une autre. Les aveugles, ça patauge dans plus de tristesse que nous.
Il alla à la lucarne du fond. [paragraphe ajouté à l'addition qui suit]
— Comme les jours allongent ! on y voit encore à sept heures. Pourtant allumons le suif.
Il battit le briquet et ["Il battit..." corrige "Et il"] alluma la lanterne du plafond de la Green-Box. ["Ce fut l'affaire d'un clin d'oeil." au-dessus de "Il se pencha sur Dea" le tout barré]
Il se pencha sur Dea.
— Elle va s’enrhumer. Les femmes, vous lui avez trop délacé son capingot. Il y a le proverbe français :
On est en avril,
N’ôte pas un fil.
Il vit briller à terre une épingle, la ramassa et la piqua sur sa manche. Puis il arpenta la Green-Box en gesticulant.
["Deux destinées qui renttrent dans la coulisse + + + +": addition marginale initiale, non placée et barrée. L'addition en cours lui est postérieure et s'inscrit de pat et d'autre ou dans l'interligne.]
— Je suis en pleine possession de mes facultés. Je suis lucide, archilucide. ["suis lucide..." ajouté ou corrige + + + + +] Je trouve cet événement-ci très correct, et j’approuve ce qui se passe. Quand elle va se réveiller, je lui dirai tout net l’incident. La catastrophe ne se fera pas attendre. [phrase ajoutée] Plus de Gwynplaine. Bonsoir Dea. ["Il alla à la lucarne...": additions. Elles sont postérieures à l'addition, plus bas, de "Deux destinées qui rentrent dans la coulisse."] Comme tout ça est bien arrangé ! Gwynplaine dans la prison. Dea au cimetière. Ils vont se faire vis-à-vis. Danse macabre. [phrase ajoutée] Deux destinées qui rentrent dans la coulisse. [phrase ajoutée après l'addition précédente] ["J'aime les choses finies." barré et déplacé, en addition au folio suivant.] Serrons les costumes. Bouclons la valise [corrige "les valises"] . Valise, lisez cercueil. ["Bouclons...": addition] C’était manqué ces deux créatures-là. Dea sans yeux, Gwynplaine sans visage. Là-haut, ["Là-haut," ajouté] le bon Dieu rendra la lumière à Dea et la beauté à Gwynplaine. ["Car il aurait dû être beau, ce garçon [correction: "ce monsieur"] ." le tout barré] La mort est une mise [rétabli après correction en "remise"] en ordre. Tout est bien. Fibi, Vinos, accrochez vos tambourins au clou. ["Cette Dea dort toujours. A sa place je ne me": texte initial barré pour l'aisser place à l'addition qui suit] Vos talents pour le vacarme vont se rouiller, mes belles. [phrase ajoutée, première addition] ["Cette Dea dort toujours. A sa place, je ne me" barré pour l'aisser place à l'addition qui suit] On ne jouera plus, on ne trompettera plus. Chaos vaincu est vaincu. L’Homme qui rit est flambé. Taratantara est mort. Cette Dea dort toujours. ["A sa place, je ne me" barré pour laisser place à une autre jonction avec le folio suivant.] ["On ne jouera plus...": addition, deuxième niveau] [f° 428, J16] Elle fait aussi bien. A sa place, je ne me ["Elle fait aussi bien...": addition destinée à corriger la jonction avec le folio précédent en ajoutant "Elle fait aussi bien." Elle est préparée, en marge, par la notation "Elle fait aussi bien". La rédaction initiale du folio commence par "réveillerais pas" qui achève au folio précédent la phrase de première rédaction et ses deux reprises dans les additions successives. Autrement dit, VH a d'abord écrit aux folios 427 et 428: "...vos tambourins au clou. Cette Dea dort toujours. A sa place je ne me réveillerais pas. Bah!...". A un moment quelconque ultérieur, il a rayé, au folio 427, "Cette Dea dort..." et écrit la première addition. Le texte est alors: "vos tambourins au clou. Vos talents pour le vacarme vont se rouiller, mes belles. Cette Dea dort toujours. A sa place, je ne me réveillerais pas. Bah!...". Il a ensuite de nouveau rayé "Cette Dea..." et écrit la seconde addition. Le texte devient: "vos tambourins au clou. Vos talents pour le vacarme vont se rouiller, mes belles. On ne jouera plus, on ne trompettera plus. Chaos vaincu est vaincu. L'Homme qui rit est flambé. Taratantara est mort. Cette Dea dort toujours. A sa place je ne me réveillerais pas. Bah!..." Enfin il a barré, au folio 427 "A sa place je ne me" et ajouté l'addition du haut du folio 428: "Elle fait aussi bien. A sa place, je ne me".] réveillerais pas. Bah ! elle sera vite rendormie. C’est tout de suite mort, une mauviette comme ça. Voilà ce que c’est que de s’occuper de politique. Quelle leçon ! et comme les gouvernements ont raison ! Gwynplaine au shériff, Dea au fossoyeur. C’est parallèle. Symétrie instructive. J’espère bien que le tavernier a barricadé la porte. Nous allons mourir ce soir entre nous, en famille. Pas moi, ni Homo. Mais Dea. Moi, je continuerai de faire rouler le berlingot. J’appartiens aux méandres de la vie vagabonde. Je congédierai les deux filles. Je n’en garderai pas même une. J’ai de la tendance à être un vieux [ajouté] débauché. Une servante chez un libertin, c’est du pain sur la planche. Je ne veux pas de tentation. Ce n’est plus de mon âge. Turpe senilis amor. Je poursuivrai ma route tout seul avec Homo. C’est Homo qui va être étonné. Où est Gwynplaine ? où est Dea ? Mon vieux camarade ["Mon vieux..." corrige "Mon bon ami"] , nous revoilà ensemble. ["Moi, je continuerai...": addition] Par la peste, ["Par la..." corrige "Peste" qui corrige +] je suis ravi. [addition abandonnée: "Je me frotte les mains."] Ça m’encombrait, leurs bucoliques ["leurs bucoliques" corrige "ces bucoliques-là"]. Ah ! ce garnement de Gwynplaine qui ne revient même pas ! Il nous plante là. C’est bon. Maintenant c’est le tour de Dea. [faux départ: "Je ne do"] Ça ne sera pas long. J’aime les choses finies. [phrase ajoutée, déplacée du folio précédent] Je ne donnerais pas une chiquenaude sur le bout du nez du diable pour ["l’ " barré] empêcher Dea [ajouté] de crever. Crève, [virgule corrige point d'exclamation] entends-tu ! [ajouté et peut-être en sc. sur +] Ah ! elle se réveille ! ["Ah ! elle se réveille !" ajouté]
Dea ouvrit les paupières ; car beaucoup d’aveugles ferment les yeux pour dormir. Son doux visage ignorant avait tout son rayonnement.
— Elle sourit, murmura Ursus, et moi je ris. Ça va bien.
Dea appela.
— Fibi ! [corrige virgule] Vinos ! Il doit être l’heure de la représentation. Je crois avoir dormi longtemps. [phrase ajoutée] Venez m’habiller.
Ni Fibi, ni Vinos ne bougèrent. ["Elles [addition abandonnée ou variante de ce qui suit: "étaient + + +"] avaient l'oeil fixe d' ["fixe d' " corrige "fixé sur"] Ursus." le tout barré]
Cependant cet ineffable regard d’aveugle qu’avait Dea venait de
rencontrer la prunelle d’Ursus. Il tressaillit. [phrase
ajoutée. De la même plume: "et se retourna furieux vers Fibi et
Vinos." placé entre barres verticales puis barré; barré à la copie]
— Eh bien, cria-t-il! qu’est-ce que vous faites donc ? Vinos [VH a d'abord écrit le "F" de Fibi] , Fibi, vous n’entendez pas votre maîtresse ? Est-ce que vous êtes sourdes ? Vite ! la représentation va commencer.
Les deux femmes regardèrent [corrige "se tournèrent vers"] Ursus, stupéfaites.
Ursus vociféra.
— Vous ne voyez pas le public qui [f° 428bis, K16] entre? Fibi, habille Dea. Vinos, tambourine [corrige "tape du tambour"] .
Obéissance, c’était Fibi. Passive, c’était Vinos. A elles deux elles personnifiaient la soumission. Leur maître Ursus avait toujours été pour elles une énigme. N’être jamais compris est une raison pour être toujours obéi. Elles pensèrent simplement qu’il devenait fou, et ["Leur maître Ursus...": addition; elle se substitue à "Sans essayer de comprendre, elles"] exécutèrent l’ordre. Fibi décrocha le costume et Vinos le tambour.
Fibi commença à habiller Dea. Ursus baissa la portière du gynécée et, de derrière le rideau, continua :
— Regarde donc, Gwynplaine ! la cour est déjà plus qu’à moitié remplie de multitude ["remplie..." corrige "pleine"] . On se bouscule dans les vomitoires. Quelle foule ! ["On se bouscule...": addition] Que dis-tu de Fibi et de Vinos qui n’avaient pas l’air de s’en apercevoir ? que ces femmes brehaignes sont stupides ! qu’on est bête en Égypte ! Ne soulève pas la portière. ["Ne soulève..." corrige "N'écarte pas le rideau."] Sois pudique. ["Sois pudique." ajouté] Dea s’habille.
["Ici il contrefit la voix de" barré en correction cursive]
Il fit une pause ["une pause" en sc. sur ++] , et tout à coup on entendit cette exclamation :
— Que Dea est belle !
C’était la voix de Gwynplaine. Fibi et Vinos eurent une secousse et se retournèrent. C’était la voix de Gwynplaine, mais dans la bouche d’Ursus.
Ursus, d’un signe, par l’entrebaillement de la portière [corrige "du rideau"] , leur fit défense de s’étonner.
Il reprit avec la voix de Gwynplaine :
— Ange !
Puis il répliqua avec la voix d’Ursus :
— Dea, un ange ! tu es fou, Gwynplaine. Il n’y a de mammifère volant que la chauve-souris.
Et il ajouta :
— Tiens, Gwynplaine, va détacher Homo. Ce sera plus raisonnable.
Et il descendit l’escalier d’arrière de la Green-Box, très vite, à la façon leste de Gwynplaine. Tapage imitatif que Dea put entendre. [phrase ajoutée]
Il avisa dans la cour le boy ["de l'inn." barré] que toute cette aventure faisait oisif et curieux. ["que toute cette..." ajouté] ["Il lui vida une poignée de sous dans les mains.", barré et remplacé par l'addition qui suit]
— Tends tes deux mains, lui dit-il tout bas.
Et il lui vida dedans une poignée de sous. [A la copie; ces deux lignes sont ajoutées par VH.]
[f° 429, L16]
Govicum [corrige "Le boy"] fut attendri de cette munificence.
Ursus lui chuchota à l’oreille : ["Govicum..." addition]
— Boy, ["fit Ursus," barré] installe-toi dans la cour, saute, danse, [ajouté] cogne, gueule, braille, ["gueule..." ajouté] ["crie," barré] siffle, ["addition abandonnée: "hurle,"] ["applaudis," ; au-dessus, + en addition ou correction, le tout barré] roucoule, ["+," barré] hennis [corrige "rugis"; de même à la copie] , applaudis, ["roucoule...": addition] trépigne, éclate de rire, ["hurle, aboie, rugis," barré] casse quelque chose. [La rédaction initiale est donc: "saute, cogne, crie, siffle, applaudis, trépigne, éclate de rire, hurle, aboie, rugis, casse quelque chose."]
["faux départ: "Il remonta dans la Green-Box et dit au loup :
— Parle le plus que tu pourras."]
Maître Nicless [corrige "L'hotelier"] , [+ + + + barré] humilié et ["humilié et" ajouté] dépité de voir les gens venus pour l’Homme qui Rit rebrousser chemin et refluer vers les autres baraques du champ de foire ["du champ..." ajouté] , avait fermé la porte de l’inn ; il avait même renoncé à donner à boire ce soir là, afin d’éviter l’ennui des questions ; ["il avait même...": addition] et, dans le désœuvrement de la représentation manquée, une chandelle au poing [en sc. sur "à la main"], ["une chandelle..." ajouté] il regardait dans la cour du haut du balcon. Ursus, avec la précaution de mettre sa voix entre parenthèses dans les paumes de ses deux mains ajustées à sa bouche, lui cria :
— Gentleman, [ajouté] faites comme votre boy, glapissez, jappez, ["glapissez...": addition; elle se substitue à "aboyez,"] hurlez. [point corrige virgule; "rugissez." barré]
Il remonta dans la Green-Box et dit au loup :
— Parle le plus que tu pourras.
Et, haussant la voix :
— Il y a trop de foule. Je crois que nous allons avoir une représentation cahotée [corrige "orageuse"] .
Cependant Vinos tapait du tambour.
Ursus poursuivit :
— Dea est habillée. Nous aussi. On va pouvoir commencer. Je regrette qu’on ait laissé entrer tant de public. Comme ils sont tassés ! ["Je regrette...": addition] Mais vois donc, Gwynplaine ! y en a-t-il de la tourbe [corrige "populace"] effrénée ! ["Mais vois donc..." remplace "Que de monde. Regarde donc cette populace."] je gage que nous ferons notre plus grosse [en sc. sur "belle"; à la copie les deux mots se suivent et "belle" est barré] recette aujourd’hui. Allons, drôlesses, toutes deux à la musique ! Arrive ici, Fibi, saisis ton clairon. Bon, Vinos, rosse ton tambour. Flanque-lui une raclée. [phrase ajoutée] Fibi, prends une pose de renommée. Mesdemoiselles, je ne vous trouve pas assez nues comme cela. Otez-moi ces jaquettes. Remplacez la toile par ["Remplacez..." corrige "Mettez de"] la gaze. Le public aime les formes de la femme. Laissons tonner les moralistes. [phrase ajoutée] Un peu d’indécence, morbleu. Soyons voluptueuses. Et ruez-vous dans des mélodies éperdues: [f° 430, M16] ["soufflez," barré] ronflez, cornez, buccinez, crépitez, [ajouté] fanfarez, tambourinez ! Que de monde [corrige "Quelle foule"] , mon pauvre Gwynplaine !
["Et il se mit à souffler comme plusieurs
boeufs.": paragraphe en addition, barré; également barré à la copie.
Il est donc antérieur aux additions qui suivent."]
Il s’interrompit :
— Gwynplaine, [ajouté; de même à la copie] aide-moi. Baissons le panneau. ["Il s'interrompit...": réécrit, en addition de troisième niveau, pour déplacement]
Cependant il déploya son mouchoir.
— Mais d’abord laisse-moi mugir dans mon haillon.
Et il se moucha énergiquement, ce [à la copie, corrige "précaution préalable"] que doit toujours faire [à la copie, en sc. sur "prendre"] un engastrimythe.
Son mouchoir remis dans sa poche, ["Cependant il déploya...": addition de deuxième niveau; addition autographe à la copie, et recopiée sur le ms]
["Il s'interrompit:
— Gwynplaine, aide-moi. Baissons le panneau." barré et déplacé dans l'addition de troisième niveau]
il retira les clavettes du [corrige "Il mit en mouvement le"] jeu de poulies qui fit son [au-dessus de ces trois mots, une correction abandonnée] grincement ordinaire. Le panneau s’abaissa.
— Gwynplaine, il est inutile d’écarter la triveline. Gardons le rideau jusqu’à ce que la représentation commence. Nous ne serions pas chez nous. Vous, venez sur l’avant-scène toutes deux. ["Vous, venez...": addition; elle est écrite en deux temps: d'abord "Vous, venez sur l'avant-scène." Et elle remplace trois ou quatre mots barrés, peut-être "Que de populace"] Musique, mesdemoiselles ! Poum ! Poum ! Poum ! La chambrée est bien composée. C’est la lie du peuple. ["La chambrée..." ajouté] Que de populace, mon Dieu !
Les deux brehaignes, abruties d’obéissance, [", abruties..." ajouté] s’installèrent avec leurs instruments à leur place habituelle aux deux angles du panneau abaissé. [ depuis ["Il s'interrompit..."]: addition de premier niveau. Ses deux premiers paragraphes figurent à la copie de la main de la copiste et il a suffi à VH d'y insérer à la place convenable l'addition "Cependant il déploya son mouchoir..." pour aboutir au texte qui demande, sur le manuscrit, rature et déplacement de ces deux paragraphes.]
["Et il se mit à souffler comme plusieurs
boeufs." addition en interligne, barrée]
Alors Ursus devint extraordinaire. Ce ne fut plus un homme, ce fut une foule. Forcé de faire la plénitude avec [corrige "dans"] le vide, il appela à son secours une ventriloquie prodigieuse. Tout l’orchestre de voix humaines et bestiales qu’il avait en lui entra en branle à la fois. Il se fit Légion. Quelqu’un qui eût fermé les yeux eût cru être dans une place publique un jour de fête ou un jour d’émeute. Le tourbillon de bégaiements et de clameurs ["bégaiements..." corrige "souffles et de syllabes" qui corrige "paroles et de clameurs"] qui sortait d’Ursus chantait, clabaudait, causait, toussait, crachait, ["chantait..." corrige "criait, toussait, crachait," et une addition de plusieurs mots non lue] éternuait, ["se mouchait, questionnait, répondait," barré en deux temps: à la copie "se mouchait," est rayé] prenait du tabac, ["prenait..." ajouté] dialoguait, faisait les demandes et les réponses, [faisait les..." ajouté] tout cela à la fois. Les syllabes ébauchées rentraient les unes dans les autres. [phrase ajoutée] [faux départ: "On entendait"] Dans cette cour où il n’y avait rien, on entendait des hommes, des femmes, des enfants. C’était la confusion claire du brouhaha. [phrase ajoutée à l'addition qui suit: addition de deuxième niveau] A travers ce fracas, serpentaient, comme dans une fumée, ["A travers..." corrige "Dans ce tohubohu serpentaient"] des cacophonies étranges, des gloussements d’oiseaux, des jurements de chats, des vagissements d’enfants qui tettent ["des vagissements...": ajouté] . On distinguait l’enrouement des ivrognes. ["A travers de fracas...": addition de premier niveau] Le mécontentement des dogues sous les pieds des gens ["sous les pieds..." ajouté; de même à la copie] bougonnait. [phrase ajoutée: addition de deuxième niveau et de troisième pour "sous les pieds des gens"] Les voix venaient de loin et de près, d’en haut et d’en bas, du premier plan et du dernier. L’ensemble était une rumeur, le détail était un cri. [faux départ: "Ursus passait du murm"(?)] Ursus cognait du poing, frappait du pied, jetait sa voix tout au fond de la cour, puis la faisait venir [corrige "jaillir" lui-même en sc. sur +] de dessous terre. C’était orageux et familier. [phrase ajoutée] Il passait du murmure au bruit, du bruit au tumulte, du tumulte à l’ouragan. Il était lui et tous. Soliloque polyglotte. [pharse ajoutée] De même qu’il y a le trompe-l’œil, il y a le trompe-l’oreille. Ce que Protée faisait pour le regard, Ursus le faisait pour l’ouïe. [phrase ajoutée] Rien de merveilleux comme ce fac-simile de la multitude. De temps en temps ["en temps" est oublié au ms; la copiste y supplée de sa propre initiative] il écartait la portière du gynécée ["la portière..." corrige "le rideau"] et regardait Dea. Dea écoutait.
De son côté dans la cour ["dans la cour" ajouté] le boy faisait rage.
["Il + + comédie, et cela l'amusait. De plus il gagnait ses sous." : addition de deuxième niveau, barrée pour déplacement]
Vinos et Fibi s’essoufflaient consciencieusement [ajouté] dans les trompettes et se démenaient sur les tambourins. Maître Nicless [corrige "L'hotelier"] , spectateur unique, ["pensait" barré en correction cursive] se donnait, comme elles, l’explication tranquille qu’Ursus était fou, ce qui du reste n’était qu’un détail grisâtre ajouté à sa mélancolie. ["Il + pensif." barré] ["Vinos et Fibi...": addition de premier niveau] Le brave hôtelier grommelait : Quel désordre ! Il était sérieux [corrige "pensif" de même à la copie] comme quelqu’un qui se souvient qu’il y a des lois. [phrase ajoutée, troisième niveau; addition autographe à la copie]
Govicum, ravi d’être utile à du désordre, se démenait presque autant qu’Ursus. Cela l’amusait. De plus, il gagnait ses sous.
Homo était pensif. [paragraphe rétabli après avoir été barré] ["Le brave hotelier...": addition de deuxième niveau]
A son [en sc. sur "ce"] vacarme Ursus mêlait des [en sc. sur "ces"] paroles.
— C’est comme à l’ordinaire, Gwynplaine [ajouté] . Il y a de la cabale. Nos concurrents sapent nos succès. La huée, assaisonnement du triomphe. [phrase ajoutée] Et puis les gens sont trop nombreux. Ils sont mal à leur aise ["mal à leur aise" corrige "gênés"] . L’angle des coudes du voisin ne dispose pas à la bienveillance. [phrase ajoutée] Pourvu qu’ils ne cassent pas les banquettes ! Nous allons être en proie à une population [correction cursive de "populace"] insensée. Ah ! si notre ami Tom-Jim-Jack était là ! mais il ne vient plus. Vois donc toutes ces têtes les unes sur les autres. [virgule corrige point; le texte se poursuivait par : "Gwynplaine, on ne peut [f° 431] pas continuer comme ça."] [Ajouté à la suite, puis barré et repris en addition au folio suivant: "Comme il n'y a que Chaos vaincu d'affiché, nous ne jouerons pas Ursus. Rursus C'est toujours ça de gagné. Quel hourvari."] Ceux qui sont debout n’ont pas l’air contents, quoique se tenir debout soit, selon Galien, un mouvement, que ce grand homme ["que ce grand homme" corrige "qu'il"] appelle « le mouvement tonique » [Noté en 24 747, f° 134r]. Nous abrégerons le spectacle. ["Ceux qui sont debout...": addition] [f° 431, N16] Comme il n’y a que Chaos vaincu d’affiché, nous ne jouerons pas Ursus rursus. C’est toujours ça de gagné. Quel hourvari ! ["Comme il n'y a...": addition; elle est postérieure à la suivante] O turbulence aveugle des masses ! Ils nous [ajouté] feront quelque dégât ! ["O turbulence...": addition] Ça ne peut pourtant [Ce début de phrase est ajouté; la rédaction initiale du folio : "pas continuer", se raccorde à la rédaction initiale du folio précédent.] pas continuer comme ça. Nous ne pourrions pas jouer. On ne saisirait [corrige "n'entendrait"] pas un mot de la pièce. Je vais les haranguer. Gwynplaine, écarte un peu la triveline. [phrase ajoutée] Citoyens… [en face de ces lignes, en marge, ces notations aide mémoire barrées qui sont exécutées dans les additions du folio précédent: "baisse le panneau" / "Ursus mit en mouvement le jeu de poulies qui fit son grincement ordinaire"]
Ici Ursus se cria à lui-même d’une voix fébrile et pointue :
— A bas le vieux !
Et il reprit, de sa voix à lui :
— Je crois que le peuple m’insulte [mot retracé ou écrit en sc. sur +] . Cicéron a raison : plebs, fex [corrige "fex, plebs"] urbis. N’importe, admonestons la mob. ["Quelle + " barré] J’aurai beaucoup de peine à me faire entendre. [point corrige point d'exclamation] [depuis "Quelle +": addition] Je parlerai pourtant. Homme, fais ton devoir. ["Je parlerai...": ajouté à l'addition qui précède] [deux mots barrés, sans doute en correction cursive] Gwynplaine, vois donc cette mégère qui grince [corrige "hurle"] la bas.
Ursus fit une pause où il ["Ursus fit... corrige "Ici Ursus"] plaça un grincement [corrige "hurlement"] . Homo, ["qui éta" barré en correction cursive] provoqué, en ajouta un second, et Govicum un troisième [", et Govicum..." ajouté] .
Ursus poursuivit.
— Les femmes sont pires que les hommes. Moment peu propice. [phrase ajoutée] C’est égal, essayons le pouvoir d’un discours ["essayons..." corrige "parlons"] . Il est toujours l’heure d’être disert [corrige "éloquent"] . ["Citoyennes et citoyens," barré: les tiret qui suivent, convenables à une incise, empêchent de conclure à un faux départ.] — Écoute ça, Gwynplaine, exorde insinuant. — Citoyennes ["et ladies, gentlemen" barré] et citoyens, c’est moi qui suis l’ours. J’ôte ma tête pour vous parler. ["c'est moi qui suis..." ajouté] Je réclame humblement le silence.
Ursus prêta à la foule ce cri :
— Grumphll !
Et continua :
— Je vénère mon auditoire. Grumphll est un épiphonème comme un autre. Salut, population grouillante. ["Grumphll est..." ajouté] Que vous soyez tous de la canaille, je n’en fais nul doute. Cela n’ôte rien à mon estime. Estime réfléchie. J’ai le plus profond respect pour messieurs les sacripants qui m’ [en sc. sur "nous"] honorent de leur pratique. Il y a parmi vous des êtres difformes, je ne m’en offense point. Messieurs les boiteux et messieurs les bossus sont dans la nature. Le chameau est gibbeux ; le bison est enflé ["Le chameau..." corrige "Le chameau et le bison sont enflés"] du dos ; le blaireau a les jambes plus courtes à gauche qu’à droite ; le fait est déterminé par Aristote dans son traité du marcher des animaux. Ceux d’entre vous qui ont deux chemises en ont une sur le torse [corrige "dos"] , et l’autre chez l’usurier. Je sais que cela se fait. Albuquerque mettait en gage ["chez les juifs": addition abandonnée] sa moustache et saint-Denis son auréole. Les juifs prêtaient, même sur l’auréole. Grands exemples. Avoir des dettes, c’est avoir quelque chose. Je révère en vous des gueux. ["Ceux d'entre vous...": addition]
Ursus se coupa par cette interruption [faux départ: "qu'il"] en basse profonde ["en basse profonde" corrige "en faux bourdon", le tout en addition] :
— Triple baudet [en sc. sur +; de même à la copie] !
Et il répondit de son accent le plus poli :
— D’accord. Je suis un savant. Je m’en excuse comme je peux. ["Je m'en excuse..." corrige "Je ne m'excuse pas." le tout en addition] Je méprise scientifiquement [corrige "convenablement" qui corrige "cordialement"(?), le tout ajouté] la science. L’ignorance est une réalité dont on se nourrit ; la science est une réalité dont on jeûne. En général on est forcé d’opter : ["En général..." ajouté à l'addition qui suit] Être un savant, et maigrir ; Brouter, et être un âne. ["Etre un savant...": addition] O citoyens, broutez ! [phrase ajoutée à l'addition qui précède] La science ne vaut pas une bouchée de quelque chose de bon. J’aime mieux manger de l’aloyau que de savoir qu’il s’appelle le muscle psoas. Je n’ai moi qu’un mérite. C’est l’œil sec. Tel que vous me voyez je n’ai jamais pleuré. Il faut dire que je n’ai jamais été content. Jamais content. Pas même de moi. ["Je n'ai moi qu'un mérite...": ajouté] [f° 432, O16 Au coin supérieur gauche, une note de deux lignes écrites en diagonale, barrée. Ce folio est la réfection du début du f° 434.] Je me dédaigne. Mais, je soumets ceci aux membres de l’opposition ici présents, ["Je me dédaigne..." reprend et corrige, en deux temps -d'abord "Je me dédaigne. Mais je soumets ceci"-, la rédaction initiale: "Je me dédaigne. Mais +,"] si Ursus n’est qu’un savant, Gwynplaine est un artiste.
Il renifla de nouveau : [ajouté]
— Grumphll !
et reprit : [ajouté]
— Encore Grumphll ! C’est une objection. Néanmoins je passe outre. ["Cest une..." ajouté, corrige "Mais il n'importe. Je poursuis [corrige "passe"(?)]."] Et Gwynplaine, o messieurs mesdames ! a près de lui un autre artiste; c’est ce personnage distingué et velu qui nous accompagne, le seigneur Homo, ancien chien sauvage, aujourd’hui loup civilisé, et fidèle sujet de sa majesté. Homo est un mime d’un talent fondu et supérieur. ["Il égale en sagesse et surpasse en cordialité le loup sans poil du Mexique, l’admirable xoloïtzeniski." barré et déplacé au f° 292 dans une addition postérieure à la remise à la copiste] ["Homo est un chien perfectionné. Vénérons le chien. [faux départ: "Quelle drôle"] Le chien, — quelle drôle de bête — a sa sueur sur sa langue et son sourire dans sa queue. Gentlemen," addition encadrée et barrée à grands traits, également déplacée au f° 292. Ces lignes figurent à la copie et y sont barrées.] Soyez attentifs et recueillis. Vous allez tout à l’heure voir jouer Homo, ainsi que Gwynplaine, et il faut honorer l’art. Cela sied aux grandes nations. Êtes-vous des hommes des bois ? J’y souscris. En ce cas, ["J'y souscris..." ajouté,se substitue à "soit"] sylvæ sint consule dignæ. Deux artistes valent [corrige "L'art vaut"] bien un consul. Bon. Ils viennent de me jeter un trognon de chou. Mais je n’ai pas été touché. Cela ne m’empêchera pas de parler. Au contraire. Le danger esquivé est bavard. Garrula pericula, dit Juvénal. ["Bon. Ils viennent...": addition] Peuple, il y a parmi vous des ivrognes, il y a aussi des ivrognesses. C’est très bien. Les hommes sont infects, les femmes sont hideuses. Vous avez toutes sortes d’excellentes raisons pour vous entasser ici sur ces bancs de cabaret, le désœuvrement, la paresse, l’intervalle entre deux vols, ["l'intervalle..." ajouté] le porter, l’ale, le stout, le malt, le brandy, le gin, et l’attrait d’un sexe pour l’autre sexe. A merveille. Un esprit tourné au badinage aurait ici un beau champ. Mais je m’abstiens. Luxure, soit. Pourtant il faut que l’orgie ait de la tenue. Vous êtes gais, mais bruyants. Vous imitez avec distinction les cris des bêtes [corrige "animaux"] ; mais que diriez-vous si, quand vous parlez d’amour avec une lady dans un bouge, je passais mon temps à aboyer après vous ? Cela vous gênerait. Eh bien, cela nous gêne. Je vous autorise à vous taire. L’art est aussi respectable que la débauche. Je vous parle un langage honnête.
Il s’apostropha :
— Que la fièvre t’étrangle avec tes sourcils en épis de seigle !
[f° 433 blanc. f° 434, O17. Au lieu du P16
attendu. Deux explications possibles: une erreur de VH qui numéroterait
par le chiffre au lieu de le faire par la lettre, ou l'élimination des
folios allant de P16 à O17, soit 25 folios. La
première hypothèse est préférable : on imagine mal quel texte aurait
occupé tant de pages.
Toute la première moitié du folio est encadrée et barrée à grands
traits. Elle contient de nombreuses additions enchevêtrées. La rédaction
initiale commence à "Mais si Ursus n'est qu'un savant, Gwynplaine est un
artiste. Vous allez le voir jouer tout à l'heure." Ces phrases et
d'autres éléments ajoutés ou de première rédaction sont repris au folio
précédent, 431, de sorte que le folio 432 apparaît
comme une réfection du début de celui-ci, devenu peu lisible à la
copiste à force d'ajouts et de corrections:
["Je me dédaigne." addition à l'addition qui suit] Mais, gentlemen, si Ursus n'est qu'un savant, Gwynplaine est un artiste. Et Gwynplaine ["Et Gwynplaine" corrige "Il"] a près de lui un autre artiste; c'est un personnage distingué et velu qui nous accompagne, le seigneur Homo, ancien chien sauvage aujourd'hui loup civilisé et fidèle sujet de sa majesté. Homo est un mime d'un talent fondu et supérieur. Il égale en sagesse et surpasse en cordialité le loup sans poil du Mexique, l'admirable [un blanc] ["Il égale en sagesse...": addition à l'addition en cours; elle reprend et développe un texte initial dont on ne lit que le début et la fin: "Il égale + + + + l'admirable" suivi d'un blanc] [Ces additions, depuis "Je me dédaigne.", se substituent au texte initial barré: "Mais si Ursus n'est qu'un savant, Gwynplaine est un artiste."] Soyez attentifs et recueillis. [la phrase corrige "Veuillez être recueillis et attentifs."] Vous allez tout à l'heure voir jouer Homo ainsi que Gwynplaine, et il faut honorer l'art. Cela sied aux grandes nations. Vous êtes des hommes des bois. Sylvae sint consule dignae. L'art vaut bien un consul. ["Soyez attentifs...": addition, en deux temps, qui se substitue au texte initial: "Vous allez le voir jouer tout à l'heure ainsi que Gwynplaine ["ainsi que Gwynplaine" ajouté]. Il faut honorer l'art."] [Les deux blocs d'additions qui précèdent sont postérieurs à l'ensemble d'additions retenues dans le texte définitif: "Il se répliqua... j'aperçois d'ici des fripons."] [suite de la rédaction initiale:] Peuple, il y a parmi vous des ivrognes, il y a aussi des ivrognesses. C'est très bien. Les hommes sont infects, les femmes sont hideuses. [phrase ajoutée] Vous avez toutes sortes d'excellentes [corrige "de bonnes"] raisons pour vous entasser ici, sur ces bancs de cabaret, ["sur ces bancs..." ajouté] le désoeuvrement, la paresse, l'intervalle entre deux vols, ["l'intervalle..." ajouté] ["le stout;" barré et déplacé] le porter, le stout, [ajouté] l'âle, le malt, le brandy, et l'attrait d'un sexe pour l'autre sexe. A merveille. Un esprit tourné au badinage aurait ici un beau champ. Mais je m'abstiens. Luxure, soit. ["Un esprit tourné...": addition] Pourtant il faut que l'orgie ait de la tenue. ["Pourtant..." corrige "+ + + orgie mais décence."] Vous êtes gais, mais bruyants. Vous imitez avec distinction les cris des bêtes; mais que diriez-vous si quand vous parlez d'amour avec une lady [corrige "miss"] dans un bouge [corrige +] je passais mon temps à aboyer après vous? Cela vous gênerait. Eh bien, cela nous gêne. Je vous autorise à vous taire. L'art est aussi respectable que la débauche [corrige +]. Je vous parle un langage honnête. J'aperçois d'ici des filous"]
["Il s'apostropha:
— Que la fièvre t'étrangle, avec tes sourcils jaunes en épis de seigle!" : addition de troisième niveau, ajoutée à l'addition qui suit. Elle est reprise au f° 432.]
Et il se répliqua :
— Honorables messieurs, laissons les épis de seigle tranquilles. C’est une impiété de faire violence aux végétables pour leur trouver une ressemblance humaine ou animale. En outre, la fièvre n’étrangle pas. Fausse métaphore. De grâce, faites [corrige "un peu de"] silence ! ["Et il se répliqua...": addition de deuxième niveau] Souffrez qu’on vous le dise, vous manquez un peu de cette majesté [en sc. sur + qui corrige "dignité" qui corrige "gravité"] qui caractérise le vrai gentilhomme anglais. Je constate [corrige "remarque"] que parmi vous, ceux qui ont des souliers à travers lesquels passent leurs ["pieds" barré en correction cursive] orteils en profitent pour poser leurs pieds sur les épaules des spectateurs qui sont devant eux ["des spectateurs..." corrige "de leurs voisins"] , ce qui expose les dames à faire la remarque que les semelles se crèvent toujours au point où est la tête des os métatarsiens. Montrez un peu moins vos pieds, et montrez un peu plus vos mains. J’aperçois d’ici des fripons ["Souffrez qu'on vous...": addition de premier niveau. Cette additions et les deux qui lui sont successivement ajoutées sont antérieures aux additions faites au texte initial depuis le début du folio jusqu'à ce point.] qui plongent leurs griffes ingénieuses dans les goussets [corrige "poches"] de leurs voisins imbéciles [ajouté] . Chers pick-pockets, de la pudeur. Boxez [corrige "Gourmez"] le prochain, si vous voulez, ne le dévalisez pas. Vous fâcherez moins les gens en leur pochant un œil qu’en leur chipant un sou. Endommagez les nez, soit. [phrase ajoutée] Le bourgeois tient à son argent plus qu’à sa beauté. ["Soufflons." barré] Du reste agréez mes sympathies. Je n’ai point le pédantisme de blâmer les filous. Le mal existe. Chacun l’endure, et chacun le fait. Nul n’est exempt de la vermine de ses péchés. Je ne parle que de celle-là. N’avons-nous pas tous nos démangeaisons ? Dieu se gratte à l’endroit du diable. Moi-même j’ai fait des fautes. Plaudite, cives. ["Du reste agréez...": addition]
Ursus exécuta un long groan qu’il domina par ces paroles finales :
— Mylords et messieurs, ["Mylords..." ajouté] je vois que mon discours a eu le bonheur de vous déplaire [corrige "satisfaire"; de même à la copie] . Je prends congé de vos huées pour un moment. Maintenant je vais remettre ma tête, et la représentation va commencer.
Il quitta l’accent oratoire [en sc. sur "solennel"] pour le ton intime [corrige "familier"] .
— Refermons la triveline. Respirons. J’ai été mielleux. J’ai bien parlé. Je les ai appelés mylords et messieurs. Langage velouté, mais inutile. ["J'ai été mielleux...": addition en deux temps: les deux premières phrases d'abord] Que dis-tu de toute [ajouté] cette crapule, Gwynplaine ? Comme on se rend bien compte des maux que l’Angleterre a soufferts depuis quarante ans par l’emportement de ces esprits aigres et malicieux ! Les anciens anglais étaient belliqueux, ceux-ci sont mélancoliques et illuminés, et ils se font gloire de mépriser les lois et de méconnaître l’autorité royale. J’ai fait tout ce que peut faire l’éloquence humaine. Je leur ai prodigué des ["paroles": correction abandonnée] métonymies gracieuses comme la joue en fleur d’un adolescent. [phrase en addition] Sont-ils adoucis ? J’en doute. Qu’attendre d’un peuple qui mange si extraordinairement, et qui se bourre [en sc. sur +] [f° 435, P17] de tabac, au point qu’en ce pays les gens de lettres eux-mêmes composent souvent leurs ouvrages avec une pipe à la bouche [en sc. sur "lèvre"(?)] ! C’est égal, jouons la pièce.
On entendit glisser sur leur tringle les anneaux de la triveline. Le tambourinage des brehaignes cessa. Ursus décrocha sa chiffonie, exécuta son prélude, dit à demi-voix : hein ! [ajouté] Gwynplaine, comme c’est mystérieux ! puis se bouscula avec le loup.
Cependant, en même temps que la chiffonie, il avait ôté du clou une perruque très bourrue ["et très hérissée" barré] qu’il avait, et il [ajouté] l’avait jetée ["à terre +" barré en correction cursive] sur le plancher dans un coin à sa portée.
La représentation de Chaos vaincu eut lieu presque comme à l’ordinaire, moins les effets de lumière bleue et les féeries [corrige "magies"] d’éclairage. Le loup jouait de bonne foi. Au moment voulu, Dea fit son apparition et de sa voix tremblante et divine évoqua Gwynplaine. Elle étendit le bras [en sc. sur "la main"] , cherchant cette tête…
Ursus se rua sur la perruque, l’ébouriffa, s’en coiffa, et avança [corrige "pencha"(?)] doucement, en retenant son souffle, sa tête ainsi hérissée sous la main de Dea.
Puis, appelant à lui tout son art et copiant la voix de Gwynplaine, il chanta avec un ineffable amour la réponse du monstre à l’appel de l’esprit.
L’imitation fut si parfaite que, cette fois encore, les deux brehaignes ["se retournèrent et" barré] cherchèrent des yeux Gwynplaine, effrayées [en sc. sur "effarées"] de l’entendre sans le voir.
Govicum [corrige "Le boy"] , émerveillé, trépigna, applaudit [correction abandonnée: +] , battit des mains, ["battit..." ajouté] produisit [corrige "fit"] un vacarme olympien, et rit à lui tout seul comme une troupe de dieux. Ce boy, disons-le, ["Ce boy..." corrige "Govicum"] ["électrisé par Ursus," barré] déploya un ["prodigi" barré en correction cursive] rare talent de spectateur. [phrase ajoutée]
Fibi et Vinos, automates dont Ursus poussait les ressorts, firent le tohubohu habituel [corrige +] d’instruments, cuivre et peau d’âne mêlés, qui marquait la fin de la représentation et accompagnait le départ du public.
Ursus se releva en sueur. [point corrige virgule; la suite de la phrase est barrée, sans doute dans le cours de la rédaction: ["regarda" barré en correction cursive] essoufflé, épuisé, las, et regarda de côté Dea immobile au fond du théâtre."]
Il dit tout bas à Homo . [inadvertance pour deux-points] — Tu comprends qu’il s’agissait de gagner du temps. Je crois que nous avons réussi. Je ne m’en suis point mal tiré, moi qui avais [en sc. sur "aurais"] pourtant le droit d’être assez éperdu. [phrase ajoutée] Gwynplaine peut encore revenir d’ici à demain. Il était inutile de tuer [f° 436, Q17] tout de suite Dea. Je t’explique la chose, à toi.
Il ôta la perruque et s’essuya le front. ["Il dit tout bas à Homo...": addition]
— Je suis un ventriloque de génie, murmura-t-il. Quel talent j’ai eu ! J’ai égalé Brabant, l’engastrimythe du roi de France François Ier. [phrase ajoutée] Dea est convaincue que Gwynplaine est ici.
— Ursus, dit Dea, où est Gwynplaine ?
Ursus se retourna, en sursaut.
Dea était restée au fond du théâtre, [faux départ: "elle était"] debout sous la lanterne du plafond. Elle était pâle, d’une pâleur d’ombre.
Elle reprit [corrige "ajouta"] avec un ineffable sourire désespéré :
— Je sais. Il nous a quittés. [phrase ajoutée] Il est parti. Je savais bien qu’il avait des aîles.
Et, levant vers l’infini ses yeux blancs, elle ajouta :
— A quand moi ?
[grand blanc jusqu'au bas du folio]
[f° 437, R17. Le texte de ce chapitre, où apparaît, en rédaction initiale, le nom de maître Nicless, semble plus tardif que celui du chapitre suivant auquel il se raccorde par une série d'additions. Il s'agit probablement d'une réfection. L'ajout, au f° 437, indiquant que l'hôtelier est sorti deux fois et non une seule laisse deviner une première rédaction où il ne reçoit qu'une visite: celle où sont rapportés les vêtements de Gwynplaine.]
Ursus demeura interdit.
Il n’avait pas fait illusion. [en marge, à la hauteur de cette ligne, deux lignes barrées: "Ce n'est pas qu'il + / lui vînt à l'esprit"]
Était-ce la faute de sa ventriloquie ? Non certes. Il avait réussi à tromper Fibi et Vinos qui avaient des yeux, et non à tromper Dea qui était aveugle. C’est que les prunelles seules de Fibi et de Vinos étaient lucides ["étaient lucides" corrige "voyaient"] , tandis que, chez Dea, c’était le cœur qui ["était" barré en correction cursive] voyait.
Il ne put répondre un mot. Et il pensa [en sc. sur "songea"] à part lui : Bos in lingua. L’homme interdit a un bœuf sur la langue.
Dans les émotions complexes, l’humiliation est le premier sentiment qui se fasse jour. Ursus songea :
— J’ai gaspillé mes onomatopées.
Et comme tout rêveur acculé au pied du mur de l’expédient, il s’injuria : ["s'injuria:" corrige "se dressa un point d'interrogation; de même à la copie]
— Chute à plat. J’ai épuisé en pure perte l’harmonie imitative. Mais qu’allons-nous devenir maintenant ? ["Dans les émotions...": addition -deuxième niveau]
Il regarda Dea. Elle se taisait, de plus en plus pâlissante, sans faire un mouvement. Son œil perdu restait fixé dans les profondeurs. [Ce paragraphe semble ajouté à l'addition qui précède, mais il n'est pas exclu que le changement d'écriture ait été provoqué par le manque de place. Car le tracé des deux dernières lignes chevauche une addition de premier niveau, entièrement barrée: deux lignes non lues, puis "j'ai été en pure perte un grand grimacier. J'ai gaspillé mes onomatopées. Mais qu'allons-nous devenir maintenant."]
Un incident [en sc. sur "Une diversion"; à la copie "Un incident" corrige, de la main de VH, "Une préoccupation" qui corrige "Une diversion"] vint à propos. [Cette ligne est écrite sur une notation préparatoire au crayon: "Diversion". A la ligne inférieure: "l'hôte apporte le manteau"]
[signe d'alinea à faire en raison de la correction qui suit] Ursus [en sc. sur "Il"] aperçut dans la cour maître Nicless [première apparition du nom en rédaction initiale] , sa chandelle en main, [", sa chandelle..." ajouté] qui lui faisait signe.
Maître Nicless n’avait point assisté à la fin de l’espèce de comédie [corrige "représentation"] fantôme jouée par Ursus. Cela tenait à ce qu’on avait frappé à la porte de l’inn [corrige "de la taverne"] . Maître Nicless était allé ouvrir. Deux fois on avait frappé, ce qui avait fait deux éclipses de maître Nicless. [phrase en addition] Ursus, absorbé par son monologue à cent [corrige "mille"] voix, ne s’en était point aperçu ["ne s'en était..." corrige "ne s'était pas aperçu de la disparition du tavernier"] .
[faux départ: "Urus descendit.
[Maître Nicless"]
Sur l’appel muet de maître Nicless, Ursus descendit.
Il s’approcha de l’hôtelier.
Ursus mit un doigt sur sa bouche.
Maître Nicless mit un doigt sur sa bouche.
Tous deux se regardèrent ainsi.
Chacun d’eux semblait dire à l’autre : [tache ou mot barré] Causons, mais taisons-nous.
Le tavernier [en sc. sur "Maître Nicless"] , silencieusement, ouvrit la porte de la salle basse de l’inn. ["Elle était fermée sur la rue et les volets étaient mis ["et ses volets..." ajouté]. Il posa la chandelle ["Il posa..." corrige "Une chandelle y était allumée"] sur une table.": le tout barré] Maître Nicless ["entra," barré] entra, Ursus entra. Il n’y avait personne qu’eux deux. La devanture sur la rue, porte et volets, était close. ["entra, Ursus entra..." ajouté: réfection de l'articulation avec le folio suivant, complétée par l'addition qui y est faite]
[f° 438, S17]
Le tavernier poussa derrière lui la porte de la cour, qui se ferma au nez de Govicum curieux.
Maître Nicless posa la chandelle sur une table. ["Le tavernier poussa..." addition; elle se substitue au texte initial, sans retrait d'alinéa: "le tavernier referma la porte."]
Le dialogue s’engagea. A demi-voix, comme un chuchotement.
— Maître Ursus…
— Maître Nicless ?
— J’ai fini par comprendre.
— Bah !
— Vous avez voulu faire croire à la pauvre aveugle que tout était ici comme à l’ordinaire.
— Aucune loi ne défend d’être ventriloque.
— Vous avez du talent.
— Non.
— C’est ["magnifique" barré en correction cursive] prodigieux à quel point vous faites ce que vous voulez faire.
— Je vous dis que non.
— Maintenant j’ai à vous parler.
— Est-ce de la politique ?
— Je n’en sais rien.
— C’est que je n’écouterais pas.
— Voici. Pendant que vous faisiez la pièce et le public à vous tout seul, on a frappé à la porte de la taverne.
— On a frappé à la porte ?
— Oui.
— Je n’aime pas ça.
— Moi non plus.
— Et puis ?
— Et puis j’ai ouvert.
— Qui est-ce qui frappait ?
— Quelqu’un qui m’a parlé.
— Qu’est-ce qu’il a dit ?
— Je l’ai écouté.
— Qu’est-ce que vous avez répondu ?
— Rien. Je suis revenu vous voir jouer.
— Et… ?
[f° 439, T17]
— Et l’on a frappé une seconde [en sc. sur "deux"] fois.
— Qui ? le même ?
— Non. Un autre.
— Quelqu’un encore qui vous a parlé ?
— Quelqu’un qui ne m’a rien dit. ["— Qui ? le même ?...": addition; elle remplace: "— Qui ? le même qui vous avait parlé ? / — Non. Un autre qui ne m'a rien dit."]
— Je le préfère.
— Moi pas.
— Expliquez-vous, maître Nicless.
— Devinez qui avait parlé la première fois.
— Je n’ai pas le temps d’être Œdipe.
— C’était le maître du circus.
— D’à côté ?
— D’à côté.
— Où il y a toute cette musique enragée ?
— Enragée.
— Eh bien ?
— Eh bien, maître Ursus, il vous fait des offres.
— Des offres ?
— Des offres.
— Pourquoi ?
— Parce que.
— Vous avez sur moi un avantage, maître Nicless. C’est que vous, ["C’est que vous," ajouté dans le cours de la rédaction] tout à l’heure, vous avez compris mon énigme, et que moi, maintenant, je ne comprends pas la vôtre.
— Le maître du circus m’a chargé de vous dire qu’il avait vu ce matin passer le cortége de police et que lui, le maître du circus, voulant vous prouver qu’il est votre ami, ["qu'il avait vu..." corrige "que, moyennant cinquante livres sterling payées comptant,"] il vous offrait de vous acheter, moyennant cinquante livres sterling payées comptant, [", moyennant..." déplacé et ajouté] votre berlingot, la Green Box, vos deux chevaux, vos trompettes avec les femmes qui y soufflent, votre pièce avec l’aveugle qui chante dedans, votre loup, et vous avec.
Ursus eut un hautain sourire.
— Maître de l’inn Tadcaster ["de l'inn..." corrige "Nicless"] , vous direz au maître du circus que Gwynplaine va revenir.
Le tavernier prit sur une chaise quelque chose qui était dans l’obscurité, et se [f° 440, U17] retourna vers Ursus, les deux bras levés, laissant pendre de l’une de ses mains un manteau et de l’autre une esclavine de cuir, un chapeau de feutre [", un chapeau de feutre" ajouté] et un capingot.
Et maître Nicless dit :
— L’homme qui a frappé la seconde fois, et qui était un homme de police, [", et qui était..." ajouté] et qui est entré et sorti sans prononcer une parole, a apporté ceci.
Ursus reconnut l’esclavine, le capingot, le chapeau [", le chapeau" ajouté] et le manteau de Gwynplaine.
[blanc jusqu'au bas de la feuille]
[f° 441, V17. Au coin supérieur gauche, cette note: "1er mai 1868".]
Ursus palpa le feutre du chapeau, le drap du manteau, la serge du capingot, le cuir de l’esclavine, ne put douter de cette défroque, ["Ursus palpa...": addition; elle corrige l'addition antérieure: "Ursus palpa le manteau, le capingot, l'esclavine, ne put douter de cette dégroque, et se précipîta hors de l'inn."] et, d’un geste bref et impératif sans dire un mot, désigna à maître Nicless [corrige "Ursus"!] la porte de l’inn.
Maître Nicless ouvrit.
Ursus se précipita hors de la taverne.
Maître Nicless le suivit des yeux, et vit Ursus ["et, d'un geste..." addition marginale à l'addition en cours; elle remplace deux lignes barrées fausant suite à "et se précipita hors de l'inn":
+ + + maître Nicless + + + + + de bref et d'évasif, lui ouvrit la porte, le vit courir"]
courir, autant que le lui permettaient ses vieilles jambes, dans la direction prise le matin par le wapentake emmenant Gwynplaine.
["Quelques instants" barré en correction cursive] Un quart d’heure après, Ursus essoufflé arrivait dans [les lignes de ce paragraphe et du précédent offrent un interligne et un tracé d'écriture qui font douter qu'elles aient été écrites en première rédaction. Il n'est pas exclu que VH ait laissé un blanc, rempli ensuite, entre "Ursus se précipita hors de l'inn." et "La peite rue où était...". Cependant, le plus probable est que, après un grand blanc, la rédaction initiale ait commencé ici: "La petite rue où était le guichet ..."] ["essoufflé...":addition; elle comble le retrait d'alinéa du paragraphe commençant, en première rédaction, par "La petite rue".] la petite rue où était l’arrière-guichet de la geôle de Southwark et où il avait passé déjà tant d’heures d’observation.
[signe d'alinéa à faire] Cette ruelle ["la petite rue..." corrige, en plusieurs opérations, la rédaction initiale qui commençait ici: "La petite rue où était le guichet de l'entrée(?) de la prison de Southwark". Le caractère laborieux du raccord avec le chapitre précédent confirme que celui-ci est une réfection.] n’avait pas besoin de minuit pour être déserte. Mais triste le jour, elle était inquiétante la nuit. Personne ne s’y hasardait ["volontiers" barré] passé une certaine heure ["passé..." ajouté] . Il semblait qu’on craignît [corrige "eût peur"] que les deux murs ne se rapprochassent, et qu’on eût peur, s’il prenait fantaisie à la prison et au cimetière de s’embrasser, d’être écrasé par l’embrassement. [changement de plume et/ou d'écriture] Effets nocturnes. Les saules tronqués [ajouté] de la ruelle [corrige "rue"] Vauvert à Paris étaient de la sorte mal famés. On prétendait que la nuit ces moignons d’arbres ["moignons..." corrige deux mots, le second lui-même corrigé] se changeaient en grosses mains et empoignaient les passants.
D’instinct le peuple de Southwark ["de Southwark" ajouté] évitait, nous l’avons dit, [", nous l’avons dit," ajouté] cette rue entre prison et cimetière. Jadis elle avait été barrée [corrige "fermée"] la nuit ["la nuit": ajouté avant la correction qui précède] d’une chaîne de fer ["de fer" ajouté] . Très [en sc. sur "Bien"; de même à la copie] inutile ; car la meilleure chaîne pour ["la" barré] fermer cette rue ["cette rue" ajouté] , c’était la peur qu’elle faisait.
Ursus y entra résolûment.
Quelle idée avait-il ? aucune.
Il venait dans cette rue aux informations. Allait-il frapper à la porte de la geôle [en sc. sur "prison"] ? Non certes. Cet expédient [corrige "Cette idée"] effroyable et vain [corrige le féminin] ne germait pas dans son cerveau. Tenter de ["Tenter de" ajouté] s’introduire là pour ["s'informer" barré en correction cursive] demander un renseignement ! Quelle folie ! Les prisons n’ouvrent pas plus à qui veut entrer qu’à qui veut sortir. Leurs gonds ne tournent que sur la loi. Ursus le savait. Que venait-il donc faire dans cette rue ? Voir. Voir quoi ? Rien. ["Quelque chose." barré] On ne sait pas. Le possible. Se retrouver en face de la porte où Gwynplaine avait disparu, c’était déjà quelque chose. Quelquefois ["le p" barré en correction cursive] le mur le plus noir [f° 442, X17] et le plus bourru ["et le plus bourru" ajouté] parle, et d’entre les pierres, une lueur sort. [faux départ: "Examiner l'enveloppe d'un fait"] Une vague transsudation de clarté se dégage parfois d’un entassement fermé et sombre. Examiner l’enveloppe d’un fait, c’est être utilement aux écoutes. Nous avons tous cet instinct de ne laisser, entre le fait qui nous intéresse et nous, que le moins d’épaisseur possible. C’est pourquoi Ursus était retourné dans la ruelle où était l’entrée basse de la maison de force.
Au moment où il s’engagea dans la ruelle, il entendit un coup de cloche, puis un second.
— Tiens, pensa-t-il! serait-ce déjà minuit ["serait-ce..." corrige "déjà minuit"] ?
["Et," barré] Machinalement, il se mit à compter :
— Trois, quatre, cinq.
["Et" barré] Il songea :
— Comme les coups [corrige cursivement "le son"] de cette cloche sont espacés ! quelle lenteur ! ["quelle lenteur !" ajouté] — Six. Sept. ["Huit. Neuf." barré immédiatement] —
Et il fit cette remarque :
— Quel son lamentable [corrige "funèbre"] ! — Huit, neuf. — Ah ! rien de plus simple. Être dans une prison, cela attriste une horloge. — Dix. — Et puis, le cimetière est là. Cette cloche sonne l’heure aux vivants et l’éternité aux morts. — Onze. — Hélas, sonner une heure à qui n’est pas libre, c’est aussi sonner une éternité ! — ["Hélas, ...": addition] Douze.
Il s’arrêta.
— Oui, c’est minuit.
La cloche sonna un treizième coup.
Ursus tressaillit [corrige "eut un frisson"] .
— Treize !
Il y eut un quatorzième coup. Puis un quinzième.
— Qu’est-ce que cela veut dire ?
Les coups continuèrent. A longs intervalles. Ursus écoutait.
— Ce n’est pas une cloche d’horloge. C’est la cloche Muta [minuscule corrigée] . ["Toute prison a sa cloche Muta [majuscule en sc] ." barré et déplacé dans l'addition qui suit] Aussi je disais : comme minuit sonne longtemps ! Cette cloche ne sonne pas, elle tinte. Que se passe-t-il ici de sinistre ?
Toute prison autrefois [corrige "alors"] , comme tout monastère, avait sa cloche dite muta, réservée aux occasions mélancoliques. La muta « la Muette », était une cloche tintant très bas, qui avait l’air de faire son possible pour n’être pas entendue.
Ursus avait regagné l’encoignure commode au guet, d’où il avait pu, [deux mots barrés en correction cursive]
pendant une grande partie de la journée, épier la prison. ["Toute
prison autrefois...": addition.]
["Le monologue d'Ursus s'enfonça
Les tintements se suivaient, cadence mélancolique [corrige "lugubre"] ." : ces deux paragraphes de première rédaction sont barrés et, repris dans les deux premiers paragraphe du folio suivant, constituent ici un faux départ.]
[f° 443, Y17]
["La rêverie indécise est une sorte de refuge.
Ursus tâchait d'y rester. L'arrestation de Gwynplaine, son absence
prolongée, ses vêtements rapportés, cette cloche en branle, tout cela
s'aggravait. Il faisait effort pour ne point [corrige "pas"] ébaucher
de conjectures. La peine que l'on se donne pour ne pas penser est déjà
de la pensée. Rien de sombre comme un monologue ponctué par un glas."
paragraphe encadré et barré à grands traits. Son contenu est récupéré
peu après. En marge, écrit au crayon, feuille tournée à 270°, et barré
à l'encre :" peut-être atténuer pour réserver l'effet final".]
Les tintements se suivaient, à une lugubre distance l’un de l’autre.
Un glas fait dans l’espace une vilaine ponctuation. Il marque, dans les préoccupations de tout le monde, des alinéas funèbres. Un glas de cloche ressemble à un râle d’homme. [la phrase corrige "Le glas est à la cloche ce que le râle est à l'homme."] Annonce d’agonie. Si, dans les maisons, ça et là, aux environs de cette ["Il marque dans les préoccupations...": addition; elle se substitue à "S'il y a [corrigé en "Si"] dans les environs de cette"] cloche en branle, il y a des rêveries éparses et en attente, ce glas les coupe en tronçons rigides ["et funèbres" barré et remplacé par "et y marque des alinéas funèbres" également barré et déplacé] . La rêverie indécise est une sorte de refuge ; on ne sait quoi de diffus dans l’angoisse permet à quelque espérance de percer ; le glas, désolant, précise. Cette diffusion, il la supprime, et dans ce trouble où l’inquiétude tâche de rester en suspens, ["où l'inquiétude..." se substitue à "où l'inquiétude + + + suspens" lui-même corrigé, le tout barré] il détermine des précipités [correction avortée ou ajout abandonné : "il marque des alinéas funèbres"] . Un glas parle à chacun dans le sens de son chagrin ou de son effroi ["son chagrin..." corrige "sa tristesse"] . Une cloche tragique [corrige "lugubre"] , cela vous regarde. Avertissement [en sc. cursive sur "Rien"] . Rien de sombre comme un monologue sur lequel tombe cette cadence. Les retours égaux [addition abandonnée: "des +] indiquent une intention. Qu’est-ce que ce marteau, la cloche, forge sur cette enclume, la pensée [corrige "l'âme"; de même à la copie] ?
Ursus, confusément, comptait, bien que cela n’eût aucun but [corrige "utilité"] , les tintements du glas. [phrase ajoutée; elle se substitue à "Ursus prêtait l'oreille." déjà corrigé en "Ursus ne pouvait s'empêcher de +"] Se sentant sur un glissement, il faisait effort pour ne point ébaucher de conjectures. Les conjectures sont un plan incliné où l’on va inutilement trop loin. [phrase ajoutée, peut-être en deux temps] Néanmoins que signifiait cette cloche ? [signe ajouté d'alinéa à faire]
Il regardait l’obscurité à l’endroit où il savait qu’était la porte de la prison.
Tout à coup, à cet endroit même, qui faisait une sorte de trou noir,
il y eut une rougeur ["il y eut..." corrige
"une rougeur apparut"] . Cette rougeur grandit et devint une
clarté. [phrase ajoutée]
Cette rougeur n’avait rien de vague. Elle eut tout de suite une forme et des angles. La porte de la geôle venait de tourner sur ses gonds. Cette rougeur en dessinait le cintre et les chambranles. ["La porte de la geôle...": addition; elle remplace "C'était la porte qui s'ouvrait." Trois ou quatre mots commençant par "tournait", placés entre "de la geole" et "venait de tourner", peuvent être soit une addition pour le texte initial "C'était la porte qui s'ouvrait" soit un faux départ après "la porte de la geôle".]
C’était plutôt un entrebâillement qu’une ouverture. Une prison, cela ne s’ouvre pas; cela bâille. D’ennui peut-être.
La porte [en sc. sur +] du guichet ["La porte..." corrige "Le guichet ouvrit et"] donna passage à un homme qui avait une torche à la main. ["C'était plutôt...": additions; elles se substituent à "Un homme en sortit une torche à la main."]
La cloche ne discontinuait pas. Ursus se sentit saisi par deux attentes ; il se mit en arrêt ["; il se mit en arrêt" : addition; elle en remplace une autre de même valeur: "il + +"] , l’oreille au glas, l’œil à la torche.
Après cet homme, la porte, qui n’était qu’entrebâillée, s’élargit tout à fait, et donna issue à deux autres hommes, puis à un quatrième. Ce quatrième était le wapentake, ["Après cet homme...": addition en deux temps: le premier ajoute "Après cet homme, la porte qui n'était qu'entrebâillée", le second "deux autres hommes sortirent". Ces additions successives corrigent un texte initial dont les corrections nous échappent: "Après + cet homme, deux sortirent, puis un quatrième. C'était le wapentake, parfaitement"] visible à la lumière de la torche. Il avait au poing son bâton de fer.
[f° 444, Z17]
["A la suite du wapentake, un cortége déboucha
+ de dessous le guichet, défilant en ordre ["en ordre" ajouté], deux
par deux, à pas lents.": rédaction initiale barrée et remplacée par
les additions correctrices qui suivent.]
A la suite du wapentake, défilèrent, débouchant de dessous le guichet, en ordre, deux par deux, avec la rigidité d’une série de poteaux [corrige "pieux"; de même à la copie] qui marcheraient, des hommes silencieux. [A la suite...": addition correctrice; elle remplace une addition correctrice antérieure:
"Ces hommes marchaient [corrigé "déflilaient"] en silence, aussi immobiles qu'on peut l'être en se déplaçant [corrigé "en changeant de place" qui corrige "en marchant"], avec la rigidité d'une série de pieux qui marcheraient, à pas lents et dans un tel silence qu'il semblaient mus(?) par des souffles."]
Ce cortége nocturne franchissait ["Ce cortége..." corrige "Ils franchissaient"] la porte basse couple par couple, comme les bini d’une procession [corrige +] [au-dessus de "les bini..." une addition inachevée, abandonnée et reprise plus loin: "les derniers faisant corps avec"] de pénitents, sans solution de continuité, ["les derniers faisant corps avec les premiers," barré] avec un soin lugubre de ne faire aucun bruit ["un soin..." corrige "une sorte de précaution sinistre [corrige "farouche"] "] , gravement, presque doucement. Un serpent [en sc. sur "crapaud"(?)] qui sort d’un trou a cette précaution [en sc. sur "prudence"] . ["Ce cortége...": addition de second niveau ajoutée à l'addition qui précède]
[signe ajouté d'alinéa à faire] La torche faisait saillir les profils et les attitudes. Profils farouches, attitudes mornes. [phrase ajoutée]
Ursus reconnut [correction ou addition abandonnée de deux ou trois mots] tous les visages de police qui, le matin, avaient emmené Gwynplaine.
Nul doute. C’étaient les mêmes. Ils reparaissaient. ["Ils reparaissaient": addition cursive]
Évidemment Gwynplaine aussi allait reparaître.
Ils l’avaient amené là ; ils le remmenaient.
C’était clair.
La prunelle d’Ursus redoubla de fixité. Mettrait-on Gwynplaine en liberté ? ["Mettrait-on..." corrige "Le mettrait-on en liberté?" qui corrige "Ils mettaient en liberté Gwynplaine. Enfin."]
La double file des gens de police s’écoulait [corrige "sortait"] de la voûte basse ["à pas lents" barré en correction cursive] très lentement, et comme goutte à goutte [", et comme..." ajouté] . La cloche [corrige "Le glas,"] qui ne s’interrompait point, semblait leur marquer le pas. En sortant de la prison, le cortège, montrant [corrige "tournant"] le dos à Ursus, tournait [corrige "tournerait"(?)] à droite dans le tronçon de la rue opposé à celui où il était posté ["il était posté" corrige + + +] .
Une deuxième torche brilla sous le guichet.
Ceci annonçait la fin du cortége.
Ursus allait voir ce qu’ils emmenaient. Le prisonnier. L’homme.
Ursus allait voir Gwynplaine!
Ce qu’ils emmenaient apparut.
C’était une bière.
Quatre hommes portaient une bière couverte d’un drap noir.
Derrière eux venait un homme ayant une pelle sur l’épaule. [paragraphe ajouté]
Une troisième torche allumée ["fermait" barré en correction cursive] , tenue par un personnage lisant dans un livre, ["personnage..." corrige "homme noir"] qui devait [en sc. sur "pouvait"] être ["devait être" corrige "semblait"] un chapelain, fermait le cortége.
La bière prit la file à la suite des ["à la suite des" corrige "derrrière les" qui lui-même vient en correction cursive de "derrière la police et devant + + +"] gens de police qui avaient tourné à droite.
En même temps la tête du cortége s’arrêta.
Ursus [corrige "On"] entendit le grincement d’une clef.
Vis à vis la prison, dans le mur bas qui longeait l’autre côté de la rue, ["Vis à vis...": ajouté] une [d'abord majuscule et retrait de paragraphe] deuxième ouverture de porte s’éclaira par une [en sc. sur "la"] torche qui passa dessous.
Cette porte, sur laquelle on distinguait une tête de mort, était la porte du cimetière.
[f° 445, A18]
Le wapentake s’engagea dans cette ouverture ["s'engagea..." corrige "entra sous cette porte"] , puis les hommes, puis la deuxième torche après la première ; le cortége y décrut comme le [corrige "un"] reptile rentrant ; la file entière des gens de police pénétra dans cette autre obscurité qui était au delà de cette porte, puis la bière, puis l’homme à la pelle, ["autre obscurité..." corrige "ombre, puis la bière(?),"; au-dessus, une addition ou correction abandonnée de quelques mots, dont "de l'autre côté de"] puis le chapelain avec sa torche et son livre, et la porte se referma.
Il n’y eut plus rien qu’une lueur au dessus d’un mur.
On entendit un chuchotement, puis des coups sourds.
C’étaient sans doute le chapelain et le fossoyeur qui jetaient sur le cercueil, l’un des versets de prière, l’autre des pelletées de terre.
Le chuchotement cessa, les coups sourds cessèrent.
Un mouvement se fit ["Un mouvement..." corrige "La porte du cimetière se rouvrit"] , les torches brillèrent, le wapentake repassa [corrige "passa"] ["sous la porte" barré] tenant haut le weapon, sous la porte rouverte du cimetière, ["sous la porte..." ajouté] le chapelain revint avec son livre, le fossoyeur avec sa pelle, ["le fossoyeur...": ajouté] le cortège reparut, sans le cercueil, la double file d’hommes refit le même trajet entre les deux portes avec la même taciturnité ["avec la même..." corrige "dans le même silence"] et en sens inverse, la porte du cimetière se referma, la porte de la prison se rouvrit, la voute sépulcrale du guichet se découpa en lueur, ["la voute..." corrige "la lumière disparut(?)"] l’ ["affreux c(orridor)" barré en correction cursive] obscurité du corridor devint vaguement visible, l’épaisse et profonde nuit [corrige "l'épaisseur profonde ++"] de la geôle s’offrit au regard, et toute cette vision rentra dans toute cette ombre.
Le glas s’éteignit. Le silence vint tout clore, sinistre serrure des ténèbres.
De l’apparition évanouie. Ce ne fut plus que cela.
Un passage de spectres qui se dissipe. ["De l'apparition..." se substitue à "Ce ne fut plus que de l'apparition évanouie."]
Des rapprochements qui coïncident [corrige "s'ajustent"] logiquement finissent par construire quelque chose qui ressemble à l’évidence. A Gwynplaine arrêté, au mode silencieux de son arrestation, à ses vêtements rapportés par l’homme de police ["par l'homme de police" se substitue à "chez lui"] , à ce glas de la prison où il avait été conduit, ["à ce glas...": ajouté] venait [f° 446, B18] s’ajouter, disons mieux, ["s'ajouter, disons mieux, " ajouté] s’ajuster cette chose tragique [en sc. sur "sinistre"; de même à la copie] , un cercueil porté en terre ["un cercueil..." corrige "le passage d'un cercueil"] .
— Il est mort, cria Ursus!
Il tomba assis sur une borne.
— Mort ! Ils l’ont tué ! Gwynplaine ! mon enfant ! mon fils !
Et il éclata en sanglots. [Voir 15 812, f° 35ter et 97]
["Ursus, l'homme qui n'avait jamais pleuré." ajouté puis barré; rayé à la copie]
[blanc jusqu'au bas du folio]
[f° 447, C18]
Ursus, il s’en vantait, hélas ! n’avait jamais pleuré. ["Ursus, il s'en..." corrige "Ursus de sa vie n'avait pleuré." A la copie, seule figure la correction, ajoutée de la main de VH, et, contrairement au ms, un retrait de paragraphe est fait devant "Le réservoir...". Il faut penser que le ms a été confié à la copiste alors que la phrase inititale était déjà barrée, mais pas encore remplacée.] Le réservoir des pleurs [en sc. sur "larmes"] était plein. Une telle plénitude, où s’est accumulée goutte à goutte, douleur à douleur, [", douleur..." ajouté] toute une longue existence, ne se vide pas en un instant ["en un instant" corrige "tout de suite"] . Ursus [corrige "Il"] sanglota longtemps.
La première larme est une ponction. [phrase ajoutée] Il pleura sur Gwynplaine, sur Dea, sur lui Ursus, sur Homo. Il pleura comme un enfant. Il pleura comme un vieillard. Il pleura de tout ce dont il avait ri. Il acquitta l’arriéré. Le droit de l’homme aux larmes ne se périme pas.
Du reste, ["Du reste," est encadré de barres verticales] le mort qu’on venait de mettre [corrige "porter"] en terre, c’était Hardquanonne ; mais Ursus n’était pas forcé de le savoir.
Plusieurs heures s’écoulèrent. [paragraphe en addition]
Le jour commença à poindre ; la pâle nappe du matin s’étala, vaguement plissée d’ombre, sur le bowling-green. L’aube vint blanchir la façade de l’inn Tadcaster. ["Le jour commença...": addition; elle enregistre les corrections apportées à la rédaction initiale: "+ + + soleil; [+++ soleil" est remplacé par "Le jour commença à poindre;"] la pâle aurore blanche [barré] du matin blanchissait [remplacé par "s'étala vaguement plissée d'ombre sur"] le Bowling-Green + + + [+++ corrigé en "+ blanchir"] la façade de l'Inn Tadcaster."] Maître Nicless ne s’était pas couché ; car parfois le même fait produit plusieurs insomnies. ["Il alla ouvrir." barré et remplacé par l'addition qui suit]
Les catastrophes rayonnent en tout sens. Jetez une pierre dans l’eau, et comptez les éclaboussures
Maître Nicless se sentait atteint [en sc. sur +]. C’est fort désagréable, des aventures chez vous. ["Maître Nicless se sentait...": addition] Maître Nicless, peu rassuré et entrevoyant [corrige "redoutant"] des complications, méditait. Il regrettait d’avoir reçu chez lui « ces gens-là ». — S’il avait su ! — Ils finiront ["peut-être" barré] par lui attirer [corrige "faire"] quelque mauvaise affaire ["lui attirer..." corrige "le compromettre"] . ["Ils finiront...": addition de deuxième niveau ajoutée à celle qui suit] — Comment les mettre dehors maintenant ? ["Comment les mettre...": addition de premier niveau; elle est précédée d'un tiret dont la copiste ne tient pas compte en raison de la position du filet insérant l'addition.] — Il avait bail avec Ursus. — Quel bonheur s’il en était débarrassé ! ["— Il avait bail...": addition de deuxième niveau ajoutée au-dessous de la précédente] — Comment s’y prendre ["Comment s'y prendre...": corrige "Comment faire"] pour les chasser ? ["Comment s'y prendre...": addition de troisième niveau]
Brusquement il y eut à la porte de l’inn un de ces frappements tumultueux [corrige "impérieux"] qui, en Angleterre, annoncent « Quelqu’un ». La gamme du frappement correspond à l’échelle de la hiérarchie. [phrase ajoutée]
Ce n’était point tout à [en sc. sur "à la", sans doute pour un "à la fois" selon l'idée sous-jacente d'un frappement combinant celui du lord et celui du maître] fait le frappement d’un lord, mais c’était le frappement d’un magistrat [corrige "maître"] .
Le tavernier, fort tremblant, entrebailla son vasistas.
Il y avait magistrat en effet. Maître Nicless aperçut à sa porte, dans le petit jour ["petit jour" corrige "crépuscule"] , un groupe de police, en tête duquel se détachaient ["se détachaient" corrige "il y avait"] deux hommes [rétabli après correction abandonnée en "personnages"] , dont l’un était le justicier-quorum.
Maître Nicless avait vu le matin le justicier-quorum, et il le connaissait.
Il ne connaissait pas l’autre homme [en sc. sur "personnage"] .
[f° 448, D18]
C’était un gentleman gras [en sc. sur "gros" à moins que le "a" ait seulement été redessiné] , au visage couleur cire, en perruque mondaine et en cape [en sc. sur "man"] de voyage. ["Sa lèvre relevée au coin laissait voir deux dents." barré; de même à la copie] ["Le justicier-quorum se tenait un peu en arrière de ce pers" barré en correction cursive. Sans la copie la succession de ces deux suppressions serait insoupçonnable et indécidable.]
Maître Nicless avait grand peur du premier de ces personnages, ["qui était" barré] le justicier-quorum. ["S'il eût su": faux départ] Si maître Nicless eût été de la cour, il eût eu plus peur encore du second, car c’était Barkilphedro.
Un des hommes du groupe ["du groupe" en sc. sur "de police"] cogna [en sc. sur "secoua"] une seconde fois la porte, violemment.
Le tavernier, avec une grosse sueur d’anxiété au front, ouvrit.
Le justicier-quorum, du ton d’un homme qui a charge de police et qui est très au fait du personnel des vagabonds, éleva la voix et demanda sévèrement :
— Maître Ursus ?
L’hôtelier, bonnet bas, répondit :
— Votre Honneur ["Votre..." en sc. sur "C'est ici."] , c’est ici.
— Je le sais, dit le justicier ["-quorum" barré] .
— Sans doute, votre Honneur.
— Qu’il vienne.
— Votre Honneur, il n’est pas là.
— Où est-il ?
— Je l’ignore.
— Comment ?
— Il n’est pas rentré.
— Il est donc sorti de bien bonne heure ?
— Non. Mais il est sorti bien tard.
— Ces vagabonds, reprit le justicier ["-quorum" barré] !
— Votre Honneur, dit doucement ["dit..." corrige "s'écria"] maître Nicless, le voila.
Ursus en effet venait de paraître à un détour de mur. Il arrivait [corrige "rentrait"] à l’inn ["à l'inn": ajouté; opération distincte de la correction qui précède] . Il avait passé presque toute la nuit entre la geôle où à midi il avait vu entrer Gwynplaine et le cimetière où à minuit il avait entendu combler une fosse. Il était pâle de deux pâleurs, de sa tristesse et du crépuscule. ["Le petit jour + + + + de spectre." barré]
[f° 449, E18. Le texte commence,
inhabituellement, tout au haut de la feuille. Quoique l'écriture et
les espacements ne le laissent pas immédiatement percevoir, tout ce
qui précède l'interpellation d'Ursus par maître Nicless peut avoir été
ajouté, en plusieurs temps. On s'expliquerait ainsi la suppression de
la dernière phrase du folio précédent, reprise et développée.]
Le petit jour, qui est de la lueur à l’état de larve, laisse les formes ["des choses" barré en correction cursive] , même celles qui se meuvent, mêlées à la ["laisse les formes..." corrige "fait à peine saillir les formes humaines dans la"] diffusion de la nuit. Ursus, blême et vague, marchant lentement, ressemblait à une figure ["à une figure" corrige "à un fou(?)" et la phrase devait alors s'arrêter là] de rêve ["rêve" est surchargé par "limbe"(?), mais la copie donne "rêve"] ["à une figure..." corrige "moins à un + [corrigé en "homme"] qu'à un rêve". VH a d'abord écrit "ressemblait moins à un + qu'à un rêve", puis corrigé + en "homme", puis corrigé le tout en "ressemblait à un fou" puis corrigé en "ressemblait à une figure de rêve" et enfin corrigé "rêve" en "limbe" ] .
Dans cette distraction farouche que donne l’angoisse, il s’en était allé de l’inn tête nue. Il ne s’était pas même aperçu qu’il n’avait point de chapeau. Ses quelques cheveux gris remuaient [corrige +] au vent. Ses yeux ouverts ne paraissaient pas ["ne paraissaient pas" corrige "n'avaient pas l'air de"] regarder. Souvent éveillé on est endormi, de même qu’il arrive qu’endormi on est éveillé. Ursus avait un air fou. [paragraphe en addition]
— Maître Ursus, cria le tavernier, venez. Leurs Honneurs désirent vous parler.
Maître Nicless, occupé uniquement d’amadouer l’incident, lâcha, et en même temps eût voulu retenir ce pluriel, Leurs Honneurs, respectueux pour le groupe, mais blessant peut-être pour le chef, confondu de la sorte avec ses subordonnés [", confondu...": ajouté] .
Ursus eut le sursaut d’un homme précipité ["corrige "jeté"] à bas d’un lit où il dormirait profondément. ["précipité..." corrige "réveillé."]
— Qu’est-ce ? dit-il.
Et il aperçut la police, et en tête de la police le magistrat.
Nouvelle et rude secousse. [la phrase corrige "Pas de +." qui corrige "Il + +."]
Tout à l’heure le wapentake, maintenant le justicier-quorum. L’un semblait le jeter à l’autre. Il y a de vieilles histoires d’écueils comme cela.
Le justicier-quorum lui fit signe d’entrer dans la taverne.
Ursus obéit.
Govicum [première apparition du nom en première rédaction], qui venait de se lever et qui balayait la salle, s’arrêta, se rencogna derrière les tables, mit son balai au repos ["mit son balais au repos" corrige "son balai à la main"] , et retint son souffle. Il plongea son poing dans ses cheveux et se gratta vaguement, ce qui indique l’attention aux événements. [phrase ajoutée]
Le justicier-quorum s’assit sur un banc, devant une table ; ["devant..." ajouté] Barkilphedro prit une chaise. Ursus et maître Nicless demeurèrent [corrige "restèrent"] debout. Les gens de police, laissés dehors, se massèrent devant la porte refermée. [La phrase corrige "La police se massa dans la porte entrebaillée."]
Le justicier-quorum fixa sa prunelle légale sur Ursus, et dit :
— Vous avez un loup.
Ursus répondit :
— Pas tout à fait.
— Vous avez un loup, reprit le justicier ["-quorum" barré; de même à la copie] , en soulignant « loup » d’un accent décisif [corrige "sévère"] .
Ursus répondit :
— C’est que…
Et il se tut.
— Délit, repartit le justicier ["-quorum" barré].
Ursus hasarda cette plaidoirie :
— C’est mon domestique.
Le justicier ["-quorum" barré] posa sa main à plat [f° 450, F18] sur la table les cinq doigts écartés, ce qui est un très [ajouté] beau geste d’autorité.
— Baladin [corrige "Saltimbanque"] , demain, à pareille heure, vous et votre loup, vous aurez quitté l’Angleterre. Sinon le loup sera saisi, mené au greffe, et tué.
Ursus songea : — Continuation des assassinats — mais il ne souffla mot et se contenta de trembler de tous ses membres.
— Vous entendez, reprit le justicier ["-quorum" barré] ?
Ursus adhéra d’un hochement de tête.
Le justicier ["-quorum" barré] insista.
— Tué.
Il y eut un silence.
— Étranglé, ou noyé.
Le justicier-quorum regarda Ursus. ["— Étranglé...": ajouté]
— Et vous en prison.
Ursus murmura :
— Mon juge…
— Soyez parti [corrige le pluriel] ["aujourd'hui" barré en correction cursive] avant demain matin. Sinon, tel est l’ordre. ["Ursus adhéra...": addition: elle se substitue au texte initial: "Ursus murmura:"]
— Mon juge…
— Quoi ?
— Il faut que nous quittions l’Angleterre, lui et moi ?
— Oui.
— Aujourd’hui ?
— Aujourd’hui. [point d'interrogation machinal corrigé]
— Comment faire ?
Maître Nicless était heureux. Ce magistrat, qu’il avait redouté, ["Ce magistrat...' corrige "Cette police, qui lui avait fait peur, était son amie. Elle"] venait à son aide. La police [corrige "Elle"] se faisait l’auxiliaire de lui Nicless. [La phrase corrige "Elle se faisait son auxiliaire."] Elle le délivrait de « ces gens-là ». Le moyen qu’il cherchait, elle le lui apportait. Cet Ursus qu’il voulait congédier, la police le chassait. Force majeure. Rien à objecter. Il était ravi. Il intervint.
[faux départ d'une ligne pour cette réplique: "Votre Honneur + + + vous demande"]
— Votre Honneur, cet homme…
Il désignait Ursus du doigt.
— … cet homme demande comment faire pour quitter l’Angleterre aujourd’hui ? Rien de plus simple. Il y a, tous les jours et toutes les nuits, aux amarrages de la Tamise, de ce côté-ci du pont de Londres [en sc. sur +] comme de l’autre côté, des bateaux qui partent pour les pays. On va d’Angleterre en Danemark [en sc. sur "Irlande"; de même à la copie] , en Hollande, en Espagne. Pas [majuscule en sc. de la minuscule mais VH oublie de corriger la virgule qui précède en point] en France, à cause de la guerre, mais partout. Cette nuit, plusieurs navires partiront, vers trois heures ["vers..." corrige "à une heure", mais VH ne barre pas "à"; copie: "à une heure" corrigé en "à trois heures" de la main de la copiste] du matin, qui est l’heure de la marée. Entr'autres, la panse Vograat de Rotterdam. [phrase ajoutée; de même à la copie] ["Il y a, tous les jours...": addition; elle se substitue à "C'est + + aujourd'hui jour de départ du bateau de Hollande. Ce soir [corrigé "Cette nuit"] à une heure du matin ["la panse Vograat" barré en correction cursive] à cause de la marée, la panse Vograat quittera Effroc-Stone où elle est amarrée, en deux jours d'ici + + droit à Rotterdam."]
Le justicier-quorum fit un mouvement d’épaule du côté d’Ursus :
— Soit. [ajouté] Partez par le premier bateau venu ["Partez..." en sc. sur + + ce bateau + Hollande"]. Par la Vograat. ["Par la Vograat": addition]
— Mon juge, fit Ursus...
— Eh bien ?
[f° 451, G18]
— Mon juge, si je n’avais, comme autrefois, que ma petite baraque à roues, cela se pourrait. [corrige virgule, majuscule tracée en sc. de la minuscule] Elle tiendrait sur un [en sc. sur "le"] bateau. Mais…
— Mais quoi ?
— Mais c’est que j’ai la Green-Box, qui est une grande machine avec deux chevaux, et, si large que soit un navire [", si large..." corrige "quoique la panse soit large"] , jamais cela n’entrera.
— Qu’est-ce que cela me fait , dit le justicier ["-quorum" barré] ? ["Le loup" barré en correction cursive] On tuera le loup.
Ursus, frémissant ["intérieurement" barré] , se sentait manié comme par une main de glace. — Les monstres, pensa-t-il! Tuer les gens ! c’est leur expédient.
Le tavernier sourit, et s’adressa à Ursus.
— Maître Ursus, vous pouvez vendre la Green-Box.
Ursus regarda Nicless.
— Maître Ursus, vous avez offre.
— De qui ?
— Offre pour la voiture. Offre pour les deux chevaux. Offre pour les deux femmes brehaignes. Offre…
— De qui, répéta Ursus?
— Du maître du circus voisin.
— C’est juste.
Ursus se souvint.
Maître Nicless se tourna vers le justicier-quorum.
— Votre Honneur, le marché peut être conclu aujourd’hui même. [faux départ: "Il y a + + , un circus dont"] Le maître du circus d’à côté désire acheter la grande [ajouté] voiture et les deux chevaux.
— Ce maître de ce circus ["Ce maître..." corrige "Il"] a raison, dit le justicier ["-quorum" barré] , car il va en avoir besoin. Une voiture et des chevaux, cela lui sera utile. Lui aussi partira aujourd’hui. Les révérends des paroisses de Southwark se sont plaints des vacarmes ["des vacarmes" corrige le singulier] obscènes [ajouté] du Tarrinzeau-field [corrige "Bowling-Green"; de même à la copie] . Le shériff a pris des mesures. Ce soir, il n’y aura plus une seule baraque de bateleur [corrige "baladin"] sur cette place. Fin des scandales. [phrase ajoutée] L’honorable gentleman qui daigne [f° 452, H18] être ici présent…
Le justicier-quorum s’interrompit par un salut à Barkilphedro que Barkilphedro lui rendit.
— … l’honorable gentleman qui daigne être ici présent est arrivé cette nuit de Windsor. Il apporte des ordres. Sa majesté a dit : il faut nettoyer cela.
Ursus, dans sa longue méditation de toute la nuit, n’avait pas été sans se poser quelques questions. Après [en sc. sans doute cursive sur +] tout, il n’avait vu qu’une bière. Était-il bien sûr que Gwynplaine fût dedans ? Il pouvait y avoir sur la terre ["sur la terre" ajouté] d’autres morts que Gwynplaine ["que Gwynplaine" ajouté] . Un cercueil qui passe n’est pas un trépassé [corrige "mort"] qui se nomme. ["Après" barré en correction cursive] A la suite de l’arrestation de Gwynplaine, il y avait eu un enterrement. Cela [en sc. sur "Qu"] ne prouvait rien. Post hoc, non propter hoc, etc. — Ursus [corrige "Il"] en était revenu à douter. ["Qui sait? Gwynplaine était peut-être encore vivant." barré et déplacé] L’espérance brûle et luit sur l’angoisse comme le naphte sur l’eau. Cette [en sc. sur "Une"] flamme surnageante flotte éternellement sur la douleur humaine. Ursus avait fini par se dire : ["certainement," barré en correction cursive] il est probable que c’est Gwynplaine qu’on a enterré, mais ce n’est pas certain. ["mais ce n'est pas certain." ajouté; de même à la copie] Qui ["que c'est Gwynplaine..." corrige "que Gwynplaine [+ + [corrigé + +, le tout barré] est trépassé, mais pourtant, qui"] sait ? Gwynplaine [corrige "il"] est peut-être encore vivant.
Ursus s’inclina devant le justicier ["-quorum" barré; de même à la copie] .
— Honorable juge, je partirai. Nous partirons. On partira. ["phrase ajoutée] Par la Vograat. Pour Rotterdam. J’obéis. ["Par la Vograat... ajouté; de même à la copie] Je vendrai la Green-Box, les chevaux, les trompettes, les femmes d’Égypte. Mais il y a quelqu’un qui est avec moi, un camarade, ["un camarade," ajouté] et que je ne puis laisser derrière moi. Gwynplaine…
— Gwynplaine est mort, dit une voix.
Ursus eut l’impression du froid d’un reptile sur sa peau ["sur sa peau" ajouté] . C’était Barkilphedro qui venait ["d'aff" barré en correction cursive] de parler.
[faux départ: "Plus de doute."] La dernière lueur s’évanouissait. Plus de doute. Gwynplaine était mort.
Ce personnage devait le savoir. Il était assez sinistre pour cela. [paragraphe en addition]
Ursus salua. [paragraphe en addition de deuxième niveau]
Maître Nicless était très bon homme en dehors de la lâcheté. ["en dehors de la lâcheté." corrige "en dehors de la peur," lui-même deux fois corrigé avant la rédaction définitive] Mais, effrayé, il était atroce. La suprême férocité, c’est la peur. ["Il se frotta les mains derrière Ursus," barré et déplacé au folio suivant] Il [en sc. sur "et"] grommela :
— Simplification.
[f° 453, I18]
Et il eut, derrière Ursus, [", derrière Ursus," ajouté] ce frottement de mains particulier aux égoïstes, qui signifie : m’en voilà quitte ! ["m'en voilà..." souligné à l'encre rouge] et qui semble fait au dessus de la cuvette de Ponce-Pilate. ["particulier..." corrige "qui ressemble à un lavage et que les ["hommes" barré en correction cursive] égoïstes qui murmurent : m'en voilà quitte! ont toujours l'air de faire au dessus de la cuvette de Ponce-Pilate."]
Ursus accablé baissait la tête. La sentence de Gwynplaine était exécutée, la mort ; et, quant à lui, son ["exil lui" barré en correction cursive] arrêt lui était signifié, l’exil. Il n’y avait plus qu’à obéir. Il songeait.
Il sentit qu’on lui touchait le coude. C’était l’autre personnage, l’acolyte du justicier-quorum [", l'acolyte...": ajouté] . Ursus [corrige "Il"] tressaillit.
La voix qui avait dit : Gwynplaine est mort, lui chuchota à l’oreille :
— Voici dix livres sterling que vous envoie quelqu’un qui vous veut du bien.
Et Barkilphedro posa une petite bourse sur une table devant Ursus.
On se rappelle la cassette que Barkilphedro avait emportée. [paragraphe ajouté; à la copie, VH ajoute d'abord "Ces dix livres sterling venaient de la cassette envoyéee par la reine à lord Fermain Clancharlie" puis corrige et reporte au ms]
Dix guinées sur deux mille, c’était tout ce que pouvait faire Barkilphedro. En conscience, c’était assez. S’il eût donné davantage [corrige "plus"] , il y eût perdu. Il avait pris la peine de faire la trouvaille d’un lord, il en commençait l’exploitation, il était juste que le premier rendement de la mine lui appartînt. Ceux qui verraient là une petitesse seraient dans leur droit, mais auraient tort de s’étonner. Barkilphedro aimait l’argent, surtout volé. Un envieux contient un avare. Barkilphedro n’était pas sans défauts. Commettre des crimes, cela n’empêche pas d’avoir des vices. Les tigres ont des poux. ["Il sentit qu'on lui touchait le coude...": addition]
D’ailleurs c’était l’école de Bacon. [ajouté à la copie de la main de la copiste; au ms, la phrase fait partie de l'addition qui précède.]
Barkilphedro se tourna vers le justicier-quorum, et lui dit :
— Monsieur, veuillez terminer. Je suis très pressé. [faux départ: 'Il faut que"] Une [en sc. sur "Ma"] chaise attelée des propres relais de sa majesté m’attend ["chaise attelée..." met au point une rédaction plusieurs fois corrigée: "chaise + + + [peut-être barré en correction cursive] de poste de la cour est attelée qui m'attend ["est attelée qui..." barré et corrigé en "attelée m'attend": à la copie, la copiste a écrit: "Une chaise attelée m'attend." et VH ajoute "des propres relais de sa majesté"] . Il faut que je reparte ventre à terre pour Windsor, et que j’y sois avant deux heures d’ici ["avant deux..." corrige " + + + de deux heures"] . J’ai des comptes à rendre et des ordres à prendre.
Le justicier-quorum se leva.
Il alla ["Barkilphedro se tourna...": addition de deuxième niveau. Sa fin corrige la rédaction initiale "Cependant le justicier-quorum s'était levé, était allé"] à la porte qui n’était fermée qu’au pène, l’ouvrit [corrige "l'avait ouverte"] , regarda [corrige "avait regardé"] , sans dire un mot, les gens de police, et il lui jaillit ["jaillit" corrige "était jailli"] de l’index un éclair d’autorité. Tout le groupe entra [corrige "était entré"] avec ce silence où l’on entrevoit ["qu'il va être" barré en correction cursive] l’approche de quelque chose de sévère.
Maître Nicless, satisfait [corrige "charmé"(?)] du dénoûment rapide qui ["supprimait les complications" barré en correction cursive] coupait court aux complications, charmé d’être hors de cet écheveau brouillé, craignit, en voyant ce déploiement d’exempts, qu’on n’appréhendât Ursus chez lui. Deux arrestations coup sur coup dans sa maison, celle de Gwynplaine, puis celle d’Ursus, cela pouvait nuire à la taverne, les buveurs n’aimant point les dérangements de police. C’était le cas d’une intervention convenablement suppliante et généreuse ["et généreuse" corrige ", généreuse et respectueuse"] . Maître Nicless tourna vers le justicier-quorum sa face [un mot barré, sans doute en correction cursive] souriante où la confiance était tempérée par le respect :
— Votre Honneur, je fais observer à votre Honneur que ces honorables [en sc. sur "respectables"] messieurs les sergents ["les sergents" en sc. sur "de la police"] ne sont point indispensables [corrige "nécessaires"] du moment que le loup coupable va être emmené hors d’Angleterre, et que ce nommé Ursus ne fait point de résistance, et que les ordres de votre Honneur sont ponctuellement suivis [en sc. cursive sur "exéc" et corrige "obéis"] . Votre Honneur considérera que les actions respectables de la police, si nécessaires au bien du royaume, font du tort à un établissement, et que ma maison est innocente. Les saltimbanques de la Green-Box étant nettoyés, comme dit [f° 454 blanc; f° 455, J18] sa majesté la reine, je ne vois plus personne ici de criminel, car je ne suppose pas que la fille aveugle et les deux brehaignes soient délinquantes, ["car je ne suppose pas..." ajouté] et ["si votre Honneur"barré en correction cursive] j’implorerais votre Honneur de daigner abréger son auguste visite et de congédier ces dignes messieurs qui viennent d’entrer, car ils n’ont rien à faire en ma maison ["en ma maison" corrige "ici"] et si votre Honneur me permettait ["une humble question, je demanderais" barré en correction cursive] de prouver la justesse de mon dire sous la forme d’une humble question, je rendrais évidente l’inutilité de la présence de ces vénérables [ajouté] messieurs en demandant à votre Honneur : Puisque [en sc. cursive sur "Qui"] le nommé Ursus s’exécute et part, qui peuvent-ils avoir ["qui peuvent-ils..." corrige "qui avez-vous"] à arrêter ici ?
— Vous, dit le justicier ["-quorum" barré] .
On ne discute pas avec un coup d’épée qui vous perce de part en part. Maître Nicless s’affaissa sur n’importe quoi, sur une table, sur un banc, sur ce qui se trouva là, atterré.
Le justicier ["-quorum" barré] haussa la voix, tellement que, s’il y avait des gens sur la place, ils pouvaient l’entendre.
— Maître Nicless Plumptre, tavernier de cette taverne, ceci est le dernier point à régler. Ce baladin et ce loup sont des vagabonds. Ils sont chassés. Mais le plus coupable, c’est vous. C’est chez vous, et de votre consentement, que la loi a été violée, et vous, homme patenté, investi d’une responsabilité publique, vous avez installé le scandale dans votre maison. Maître Nicless, ["Maître..." remplace "C'est pourquoi"] votre licence vous est [oublié et ajouté; de même à la copie, preuve que la copiste copie mot à mot et sans trop comprendre] retirée, vous paierez l’amende, et vous irez en prison.
Les gens de police entourèrent le tavernier.
Le justicier ["-quorum" barré] continua, désignant Govicum :
— Ce garçon, votre complice, est saisi.
["Un exempt +" barré en correction cursive]
Le poignet d’un exempt s’abattit sur le collet de Govicum, qui considéra l’exempt avec curiosité. Le boy, pas très effrayé, comprenait peu, avait déjà vu plus d’une chose singulière, et se demandait si c’était [f° 456, K18; les chiffres, mal dessinés sont retracés] la suite de la comédie.
Le justicier-quorum enfonça son chapeau sur son chef [corrige "sa tête"] , croisa ses deux mains sur son ventre, ce qui est le comble de la majesté, et ajouta :
— C’est dit, maître Nicless, vous serez [corrige "allez être"] attrait en prison, et mis en geôle. Vous et ce boy. Et cette maison, l’inn Tadcaster, demeurera fermée, condamnée et close. Pour l’exemple. Sur ce, vous allez nous suivre.
[grand blanc jusqu'au bas du folio; de même à la copie]
[f° 457, non numéroté par VH; papier blanc]
_____
_____
[A la copie, au coin supérieur droite "2e [en sc sur "3e"] partie". "Livre septième" est écrit, de la main de VH, en sc sur "Livre III". Au dessous, barré "11 nouvelles pages"]
[f° 458, L18]
["— Dea ! Dea ! Dea !" barré, soit en correction cursive déplacée plus loin, soit comme correction abandonnée]
— Et Dea !
[Il n'est pas impossible que la rédaction initiale commence ici et que les deux lignes supérieures aient été ajoutées] Il sembla à Gwynplaine, regardant poindre le jour à Corleone-Lodge pendant ["que +" barré en correction cursive] ces aventures de l’inn Tadcaster, que ce cri venait du dehors ; ce cri était en lui.
Qui n’a entendu les profondes clameurs de l’âme ?
D’ailleurs le jour se levait.
L’aurore ["L'aurore" en sc. sur + +] est une voix.
A quoi servirait le soleil si ce n’est à réveiller la sombre endormie, la conscience ?
La lumière [corrige "L'aurore"] et la vertu sont de même espèce.
Que le dieu s’appelle Christ ou qu’il s’appelle Amour, il y a toujours une heure où il est oublié, même par le meilleur ; nous avons tous ["besoin" barré en correction cursive] , même les saints, besoin d’une voix qui nous fasse souvenir, et l’aube fait parler en nous l’avertisseur sublime. La conscience crie devant le devoir comme le coq chante devant le jour.
[faux départ: "Gwynplaine fut comme ressuscité.
Il y avait en lui comme"]
Le cœur humain, ce chaos, entend le Fiat lux. [paragraphe ajouté; de même à la copie]
Gwynplaine — nous continuerons [", quoique promu," mis entre barres verticales et barré; VH le barre aussi à la copie] à le nommer ainsi ; Clancharlie est un lord, Gwynplaine est un homme ;— Gwynplaine fut comme ressuscité.
Il était temps que l’artère [en sc. sur +] fût liée.
Il y avait en lui une fuite d’honnêteté.
— Et Dea, dit-il!
Et il sentit dans ses veines comme une transfusion généreuse. Quelque chose de salubre [en sc. sur "vigoureux"(?)] et de tumultueux se précipitait en lui. L’irruption violente [ajouté] des bonnes pensées, c’est un retour au logis de quelqu’un qui n’a pas sa [en sc. sur "la"] clef, et qui force [corrige "escalade"] honnêtement son propre mur. Il y a escalade, mais du bien. [phrase ajoutée] Il y a effraction, mais du mal.
— Dea ! Dea ! Dea, répéta-t-il !
Il s’affirmait à lui-même son propre cœur.
Et il fit cette ["Et il fit cette" en sc. sur + + , peut-être un tiret de dialogue] question à haute voix :
— ["Dea, " barré] Où es-tu ?
Presque étonné qu’on ne lui répondit pas.
Il reprit, regardant le plafond et les murs, avec un égarement où la raison revenait :
— Où es-tu ? où suis-je ?
[f° 459, M18. Ce folio, qui intègre le début barré du folio suivant, est vraisemblablement la réfection d'un folio disparu.]
Et dans cette chambre, dans cette cage, il recommença sa marche de bête farouche enfermée. ["bête farouche..." remplace "lion pris. Effaré, convulsif, presque fauve."]
— Où suis-je ? à Windsor. Et toi ? à Southwark. Ah mon Dieu ! voilà la première fois qu’il y a une distance entre nous. Qui donc a creusé cela ? moi ici, toi là ! Oh ! cela n’est pas. Cela ne sera pas. Qu’est-ce donc qu’on m’a fait ?
Il s’arrêta. ["Il s'arrêta." remplace "Il eut une sorte de rugissement."]
— Qui donc m’a parlé de la ["de la" corrige
"d'une"] reine ? ["Qui donc m'a parlé
d'une duchesse?" barré] Est-ce que je connais cela ? Changé !
moi changé ! Pourquoi ? parce que je suis lord. Sais-tu ce qui se passe,
Dea ? tu es lady. ["Pourquoi?...": ces deux
phrases, ajoutées en deux temps, se substituent à cinq lignes
corrigées, barrées et partiellement reprises ensuite. On distingue "Ô
mon doux ange + + ["Où çà?" ajouté] La duchesse, c'est + + +, c'est +
+, il est très important que je me souvienne de tout [corrige "ce qu+
+ +"]. Il s'agit de retrouver mon chemin. Comme"] C [d'abord
minuscule] ’ est étonnant les choses qui ["vous"
barré] arrivent. Ah ça, il s’agit de retrouver mon chemin.
Est-ce qu’on m’aurait perdu ? [ces deux
phrases sont ajoutées en deux temps; elles se substituent à " ["Il y a
un homme." barré en correction cursive] Ah! On va voir!"] Il y
a un homme qui m’a parlé avec un air obscur. Je me rappelle les paroles
qu’il m’a adressées ["Je me rappelle..."
corrige "Il m'a dit"] : — Mylord, [ajouté]
une porte qui s’ouvre ferme une autre porte. Ce qui est derrière vous
n’est plus. — [tiret ajouté] Autrement
dit : Vous êtes un lâche ! ["Autrement
dit..." ajouté, remplace "L'imbécile! Oui, Dea, je suis lord, cela
fait que tu es lady."] Cet
homme-là, le misérable! [", le misérable!"
remplace "doit être un misérable."] ["Oui,
Dea, c'est un misérable!" addition abandonnée] il [en
rédaction initiale: majuscule] me disait cela pendant que je
n’étais pas encore ["év" barré en correction
cursive] réveillé. Il abusait de mon premier moment étonné.
J’étais comme un[e] proie qu’il avait. Où est-il, que je l’insulte ! il
me parlait avec le sombre sourire du rêve. Ah ! voici que je redeviens
moi ! C’est bon. [phrase ajoutée] On se
trompe si ["On se trompe si" ajouté pour le
raccord avec le folio suivant]
[f° 460, N18. Il y a lieu de croire que le folio précédent est la réfection d'une rédaction antérieure perdue puisqu'il reprend le contenu des premières lignes, barrées, de ce folio-ci:
"n'étais pas encore réveillé. Cet homme là doit être un misérable. Il abusait de mon premier moment étonné. [phrase ajoutée] Il me parlait avec le sombre sourire du rêve + +. On se trompe si" ["On se trompe si l'on croit": correction de la rédaction initiale barrée: "+ + + + + imagine"]
l’on croit qu’on fera de lord Fermain Clancharlie ["lord Fermain Clancharlie" corrige "moi"] ce qu’on voudra ? [Ce point d'interrogation subsiste sans doute de la rédaction antérieure] ["mais je ne suis pas absolument imbécile.", corrigé ou augmenté d'une ligne non lue, le tout barré] Pair d’Angleterre, oui, avec une pairesse, qui est Dea ["oui, avec..." corrige "voilà ce que je suis et ma pairesse, c'est toi, Dea"] . Des conditions ! Est-ce que j’en accepte ? ["Des conditions..." ajouté] La reine ? que m’importe la reine ! [corrige un point d'interrogation] je ne l’ai jamais vue. ["je ne l'ai..." ajouté] Je ne suis pas lord pour être esclave. J’entre libre dans la ["toute" barré] puissance. Est-ce qu’on se figure [corrige "s'imagine"] m’avoir déchaîné pour rien ? On m’a démuselé, voilà tout. [phrase ajoutée] Dea ! Ursus ! nous sommes ensemble. Ce que vous étiez, je l’étais. Ce [en sc. sur +] que je suis, vous l’êtes. Venez ! non. J’y vais. Tout de suite. Tout de suite ! J’ai déjà trop attendu. Que doivent-ils penser de ne pas me voir revenir ? Cet argent ! quand je pense que je leur ai envoyé de l’argent ! c’était moi qu’il fallait. Je me rappelle, cet homme, ["ce doit être un gredin," barré] il m’a dit que je ne pouvais pas sortir d’ici. Nous allons voir. Allons, une voiture ! une voiture ! qu’on attelle. Je veux aller les chercher. Où sont les valets ["les valets" en sc. sur "mes gens"] ? il doit y avoir des valets, puisqu’il y a un seigneur. [phrase ajoutée] Je suis le maître ici. C’est ma maison. Et j’en tordrai les verroux, et j’en briserai les serrures, ["Et j'en tordrai..." phrase ajoutée de la même plume que la précédente] et [corrige "Et"] j’en enfoncerai les portes à coups de pied. Quelqu’un qui me barre le passage, je lui passe mon épée au travers du ventre [variante sans choix de "corps" qui a d'abord été écrit en rédaction initiale, puis barré pour "ventre" puis rétabli et préféré à la copie] , car j’ai une épée maintenant. ["Quelqu'un qui me barre...": addition] Je voudrais bien voir qu’on me résistât. ["+ + devant moi, je + +." barré] J’ai une femme, qui est Dea. J’ai un père qui est Ursus. Ma maison est un palais et je le donne à Ursus. Mon nom est un diadème [rétabli après deux corrections, dont l'une doit être "une couronne"] et je le donne à Dea. ["Allons + + + +" barré, peut-être en correction cursive] Vite ! Tout de suite ! Dea, me voici ! Ah ! j’aurai vite enjambé l’intervalle, va ! ["Ah! j'aurai vite..." ajouté]
Et, levant ["devant lui" barré] la première portière venue, il sortit de la chambre impétueusement. [changement de plume]
Il se trouva dans un corridor.
Il alla devant lui.
Un deuxième ["Un deuxième" corrige cursivement "Il + un autre"] corridor se présenta.
Toutes les portes étaient ouvertes.
Il se mit à marcher au hasard, de chambre en chambre, de couloir en
couloir, cherchant la sortie ["cherchant la
sortie" corrige "cherchant une issue" dont la suppression a d'abord
déterminé la correction en point de la virgule après "en couloir".]
. [La copie porte à la suite le début de la
première phrase du chapitre suivant, signe d'un état du texte où les
deux chapitres n'étaient pas disjoints]
[f° 461, O18. Ce folio et le suivant ont probablement été intercalés, voir au f° 462.]
Dans les palais à l’italienne, Corleone-lodge était de cette sorte, il y avait très peu de portes. Tout était rideau, portière, tapisserie.
Pas de palais à cette époque qui n’eût, à l’intérieur, un singulier fouillis de chambres et de corridors où abondait le faste ; dorures, ["où abondait..." addition; elle se susbstitue à "; + +,"] marbres, boiseries ciselées [ajouté], soies d’orient, avec des recoins pleins de précaution et d’obscurité, d’autres pleins de lumière. [point corrige virgule et l'énumération se poursuivait: "des galetas riches et..."] C’étaient ["C’étaient" ajouté] des galetas riches et gais, des réduits [correction immédiate de "mansardes"] vernis, luisants, revêtus de faïences de Hollande ou d’azulejos de Portugal, ["des réduits...": addition] des embrasures de hautes fenêtres coupées en soupentes [corrige "étages"] , et des cabinets tout en vîtres, jolies lanternes logeables. Les épaisseurs de mur [corrige "des murs"] , évidées, étaient habitables. Ça et là, des bonbonnières, qui étaient des garde-robes. Cela s’appelait « les petits appartements ». C’est là qu’on commettait les crimes.
Si l’on avait à tuer le duc de Guise ou à fourvoyer la jolie présidente de Sylvecane, [faux départ: "c'était commode"] ou, plus tard, à étouffer les cris des petites ["que +" barré en correction cursive] qu’amenait Lebel, c’était commode. Logis compliqué, inintelligible à un nouveau venu. [une ligne barrée, peut-être ajoutée; les derniers mots sont "à rats"] Lieu des rapts ; fond ignoré où aboutissaient les disparitions. Dans ces élégantes cavernes les princes et les seigneurs déposaient [corrige "cachaient"] leur butin ; le comte de Charolais y cachait madame Courchamp, la femme du maître des requêtes ; M. de Monthulé y cachait la fille de Haudry, le fermier de la Croix-saint-Lenfroy ; le prince de Conti y cachait les deux belles boulangères de l’Ile-Adam ; [le prince de Conti..." ajouté] le duc de Buckingham y cachait la pauvre Pennywell; etc. Les choses qui s’accomplissaient là [ajouté] étaient de celles qui se font, comme dit la loi romaine, vi, clam et precario, par force, en secret, et pour peu de temps. ["Néanmoins," addition ou correction à "S'il plaisait au maître," le tout barré] Qui [d'abord minuscule] était là y restait selon le bon plaisir du ["selon..." corrige "tant qu'il plaisait au"] maître [addition abandonnée de deux mots] . C’étaient des oubliettes, dorées. Cela tenait du cloître et du sérail. [depuis la ligne barré et "Lieu de rapts...": addition] Des escaliers tournaient, montaient, descendaient. Une spirale de chambres s’emboîtant vous ramenait à votre point de départ. [phrase ajoutée] Une galerie s’achevait en oratoire. Un confessionnal se greffait sur une alcôve. Les ramifications des coraux et les percées des éponges avaient probablement servi de modèles aux architectes des « petits appartements » royaux et seigneuriaux. Les embranchements étaient inextricables. Des portraits pivotant sur des ouvertures offraient des entrées et des sorties. C’était machiné. Il le fallait bien ; ["Il le fallait bien;" corrige "Rien de plus naturel,"] ["Du reste, on +" addition abandonnée] il s’y jouait des drames. Les étages de cette ruche allaient des caves aux mansardes. Madrépore bizarre incrusté dans tous les palais, à commencer par Versailles, et qui était comme l’habitation des pygmées dans la demeure des titans. Couloirs, reposoirs [remplace "cellules"] , nids, [ajouté] alvéoles, cachettes. Toutes sortes de trous où se fourraient les petitesses ["fourraient..." corrige le singulier] des grands.
Ces lieux serpentants et murés éveillaient des idées de jeux, d’yeux bandés, de mains à tâtons, ["colin-maillard, de" barré en correction cursive] de rires ["étouffés" barré en correction cursive] contenus, colin-maillard, cache-cache ; et en même temps faisaient songer aux Atrides, aux Plantagenêts, aux Médicis, aux sauvages chevaliers d’Elz, à Rizzio, à Monaldeschi, aux épées poursuivant un fuyard de chambre en chambre.
L’antiquité [faux départ: "connaissait ce"] avait, elle aussi, de mystérieux logis ["de mystérieux..." corrige "des constructions"] de ce genre [virgule au texte autographe de la copie] où le luxe était approprié aux horreurs [corrige "crimes" au ms comme à l'addition autographe de la copie] . L’échantillon en a été conservé sous terre dans certains sépulcres d’Égypte, par exemple dans la crypte du roi Psamméticus, découverte par Passalacqua. On ["retrouve" barré en correction cursive] trouve dans les vieux poëtes l’effroi [corrige "l'horreur" au ms comme à l'addition autographe de la copie] de ces constructions suspectes. ["Circumflexus error" barré en correction cursive] Error circumflexus. [cf Prudence, Apothéosis, v203] Locus implicitus gyris. ["Ces lieux serpentants...": addition; addition autographe à la copie qui recopie le ms mais conserve l'hésitation en deux endroits.]
Gwynplaine était dans les petits appartements de Corleone-lodge.
Il avait la fièvre de partir, d’être dehors, de revoir Dea. Cet enchevêtrement de ["cellules" barré en correction cursive] corridors et de cellules, de portes dérobées, de portes imprévues, l’arrêtait et le ralentissait [corrige "l'embarrassait"] . Il eût voulu y courir, il était forcé d’y errer. Il croyait [corrige, d'abord par surcharge, "imaginait"] n’avoir qu’une porte à pousser, il avait un écheveau à débrouiller.
Après une chambre, une autre. Puis des carrefours de salons. [phrase ajoutée]
Il ne rencontrait rien de vivant. Il écoutait. Aucun mouvement [correction abandonnée: "bruit"] .
Il lui semblait parfois revenir sur ses pas.
Par moments il croyait voir quelqu’un venir à lui. Ce n’était personne. C’était lui, dans une glace, en habit de seigneur.
[f° 462, P18. Plusieurs lignes de ce
folio sont rédigées en marge du folio
464 auquel il est donc postérieur; ceci, joint à la graphie et à
la continuité du récit, rend probable l'intercalation des f° 461 et
462. Si tel est le cas, elle est antérieure à la copie.] [Il existe
une trace d'une rédaction antérieure en 24 747, f° 192]
C’était lui, invraisemblable. Il se reconnaissait, mais pas tout de suite.
Il allait, prenant tous les passages qui s’offraient. [ces deux paragraphes sont en addition]
Il s’engageait dans des méandres d’architecture intime ["des méandres..." corrige "un madrépore; ici un fouillis de salons,"] ; là un cabinet coquettement peint et sculpté, un peu obscène et très discret ; là une chapelle équivoque ["une chapelle..." corrige "un réduit"] tout écaillée [mis au féminin] de nacres [mis au pluriel] et d’émaux, avec des ivoires faits pour être vus à la loupe, comme ["faits pour..." corrige deux ou trois mots, eux-mêmes déjà corrigés] des dessus de tabatières ; là un de ces précieux retraits florentins accommodés [corrige "faits"] pour les hypocondries féminines, et ["un de ces précieux..." corrige et complète en deux temps "un de ces retraits exquis et florentins" [Voir notation en 15 812, f° 87v]] qu’on appelait dès lors boudoirs. Partout, sur les plafonds, sur les murs, sur les planchers même, il y avait des figurations veloutées ou métalliques ["ou métalliques" ajouté] d’oiseaux et d’arbres, des végétations extravagantes [corrige "en arabesques" qui corrige "étranges"] enroulées de perles, des bossages de passementerie, des nappes de jais, des guerriers, des reines [corrige "déesses"] , des tritonnes cuirassées d’un ventre ["de poisson" barré peut-être en correction cursive] d’hydre [corrige "d'or". On aurait 1. "de poisson"; 2. "d'or"; 3. "d'hydre". Mais il n'est pas exclu que les deux corrections soient simultanées: 1. "de poisson d'or"; 2. "d'hydre".] . Les biseaux des cristaux taillés ajoutaient [corrige "mêlaient"] des effets de prismes [mis au pluriel] à des effets de reflets. Les verroteries jouaient les pierreries. On voyait [en sc. sur +] étinceler des encoignures sombres. On ne savait si toutes ces facettes lumineuses, où des verts d’émeraude s’amalgamaient à des ors de soleil levant et où flottaient des nuées gorge de pigeon, étaient des miroirs microscopiques ou des aigues marines démesurées. Magnificence à la fois délicate [en sc. sur "mignonne"] et énorme. C’était le plus mignon [corrige "petit"] des palais, à moins que ce ne fût le plus colossal [corrige "grand"] des écrins. Une maison pour Mab ou un bijou pour Géo [en sc. sur +] . Gwynplaine cherchait l’issue.
Il ne la trouvait pas. Impossible de s’orienter. Rien de capiteux comme l’opulence quand on la voit pour la première fois. Mais en outre c’était un labyrinthe. A chaque pas, une magnificence lui faisait obstacle. ["Ou le fourvoyait." barré] Cela semblait résister à ce qu’il s’en allât. Cela avait l’air de ne pas vouloir le lâcher. Il était comme dans une glu de merveilles. ["En lui, au fond de son coeur, son pauvre amour effarouché et inquiet battait de l'aîle." barré] Il se sentait saisi et retenu.
— Quel horrible palais, pensait-il!
Il rôdait dans ce dédale, inquiet [corrige "troublé"] , se demandant ce que cela voulait dire, s’il était en prison, s’irritant ["par moments" barré] , aspirant à l’air libre. Il répétait : Dea ! Dea ! comme on tient le fil qu’il ne faut pas laisser rompre et qui vous fera sortir.
Par moments il appelait.
— Hé ! quelqu’un !
Rien ne répondait.
Ces chambres n’en finissaient pas. C’était désert, silencieux, splendide, sinistre.
On se figure ainsi les châteaux enchantés.
[f° 463, Q18]
Des bouches de chaleur cachées [corrige ", élégamment invisibles,"] entretenaient [corrige "faisaient partout"] , dans ces corridors et dans ces cabinets, une température d’été. Le [en sc. sur "Un"] mois de juin semblait avoir été pris par quelque magicien et enfermé dans ce labyrinthe ["pris par quelque..." corrige et complète "pris dans ce labyrinthe et enfermé"] . Par moments cela sentait bon. On traversait des bouffées de parfums [mis au pluriel] comme s’il y avait là des fleurs invisibles. On avait chaud. Partout des tapis. On eût pu se promener nu.["Des bouches...": addition]
Gwynplaine [corrige "Il"] regardait par les fenêtres. L’aspect changeait. Il voyait tantôt des jardins, remplis des fraîcheurs du printemps et du matin, ["remplis..." ajouté] tantôt de nouvelles façades avec d’autres statues, tantôt des patios à l’espagnole, qui sont de petites cours ["carrées +" barré en correction cursive] quadrangulaires entre de grands bâtiments, dallées, moisies et froides ; parfois une rivière qui était la Tamise, parfois une grosse tour qui était Windsor.
Dehors, de si grand matin, il n’y avait point de passants. [paragraphe en addition]
Il s’arrêtait. Il écoutait.
— Oh ! je m’en irai, disait-il! Je rejoindrai Dea. On ne me [oublié et ajouté] gardera pas de force. Malheur à qui voudrait m’empêcher de sortir ! Qu’est-ce que c’est que cette grande tour là ? [phrase ajoutée] S’il y a un géant, un dogue d’enfer ["un dogue..." en sc. sur + +] , ["un démon," barré] une tarasque, ["un dogue...": addition] pour barrer la porte dans ce palais ensorcelé, [+ + + +," barré] je l’exterminerai. Une armée, je la dévorerais. Dea ! Dea !
Tout à coup il entendit un petit bruit, très faible. Cela ressemblait à de l’eau qui coule.
Il était dans une galerie étroite, obscure, ["sans fenêtre," barré] fermée à quelques pas devant lui par un rideau fendu.
Il alla à ce rideau, l’écarta, entra.
Il pénétra dans de l’inattendu.
Une salle octogone, voûtée en anse de panier, sans fenêtres [mis au pluriel] , éclairée d’un jour d’en haut, toute revêtue, mur, pavage et voute, de marbre fleur de pêcher ; au milieu [corrige "centre"] de la salle un baldaquin pinacle en marbre drap mortuaire, à colonnes torses, dans le style pesant et charmant d’Élisabeth, couvrant d’ombre une vasque baignoire du même marbre noir ; au milieu [corrige "centre"] de la vasque un fin jaillissement d’eau odorante et tiède ["semblable à une souple verge d'airain fléchissant au moindre souffle": addition abandonnée mais utilisée plus loin] remplissant doucement et lentement la cuve ; c’est là [corrige "voilà"] ce qu’il avait devant les yeux.
Bain noir fait pour changer la blancheur ["fait
pour..." corrige "où une blancheur devait se changer"] en
resplendissement ["et la femme en naïade"
barré] . [paragraphe en addition]
C’était cette eau qu’il avait entendue. Une fuite ménagée dans la baignoire à un certain niveau ["à un certain..." ajouté; de même à la copie] ne la laissait pas déborder. La vasque fumait, mais si peu qu’il y avait à peine quelque buée sur le marbre. Le grêle jet d’eau était pareil à une souple verge d’acier fléchissante au moindre souffle. [phrase ajoutée et déplacée]
Aucun meuble. Si ce n’est, près de la baignoire, une de ces ["longues" barré en correction cursive] chaises-lits à coussins assez longues pour qu’une femme, qui y est étendue, puisse avoir à ses pieds son chien, ou [en sc. sur "et"] son amant ; d' [en sc. cursive sur "de là"] où can-al-pie, dont nous avons fait canapé.
C’était une chaise-longue [corrige "chaise"] d’Espagne, vu que le bois était en argent. Les coussins et le capiton étaient de soie glacée blanc.
De l’autre côté de la baignoire, se dressait, adossée au mur, une haute étagère de toilette [en sc. sur +] en argent massif, avec tous ses ustensiles, ayant à son milieu huit petites glaces de Venise ajustées dans un [un mot barré: "fin"(?)] chassis d’argent et figurant une fenêtre. [paragraphe en addition de second niveau]
Dans le pan coupé de muraille le plus voisin du canapé, était entaillée une baie carrée qui ressemblait à une lucarne et qui était bouchée d’un panneau fait d’une lame ["fait d’une lame" corrige "plain"] d’argent rouge. Ce panneau avait des gonds comme un volet. Sur l’argent rouge [ajouté; de même à la copie] brillait [corrige "était"] , niellée et dorée, une couronne royale. Au-dessus du panneau était suspendu et scellé au mur un timbre qui était en vermeil, à moins qu’il ne fût en or. [paragraphe en addition]
Vis à vis l’entrée de cette salle, en face de Gwynplaine qui s’était arrêté court [corrige "là"] ["de cette salle...": ajouté] , le pan coupé de marbre manquait. Il était remplacé par une [f° 464, R18] ouverture de même dimension [corrige "grandeur"] , allant jusqu’à la voute et fermée d’une large et haute toile d’argent.
Cette toile, d’une ténuité féerique, [", d'une ténuité..." ajouté] était transparente. On voyait au travers.
Au centre de la toile, à l’endroit où est d’ordinaire l’araignée, Gwynplaine aperçut une chose formidable, une femme nue.
Nue à la lettre, non. Cette femme était vêtue. Et vêtue de la tête aux pieds. Le vêtement était une ["longue" barré en correction cursive] chemise, ["mais" barré en correction cursive] très longue, ["mais si fine qu'elle" barré en correction cursive et déplacé] comme les robes d’anges dans les tableaux de sainteté, mais si fine qu’elle semblait mouillée. ["si fine ...": notation reprise de 15 812, f° 87v] De là un [en sc. sur "cet"(?)] à peu près de femme nue, plus traître et plus périlleux [en sc. sur + qui lui-même corrige "terrible"] que la nudité franche. L’histoire a enregistré des processions de princesses et de grandes dames ["et de grandes dames" ajouté] entre deux files de moines, ["de princesses...": addition] où, sous prétexte de pieds nus et d’humilité, la duchesse de Montpensier [", marchant entre deux files de moines," addition abandonnée et déplacée] se montrait ainsi à tout Paris dans une [en sc. sur "sa"] chemise de dentelle. Correctif : un cierge à la main. [phrase ajoutée]
La toile d’argent, diaphane comme une vitre, [Notation ébauchée en 15 812, f° 87v.] était un rideau. Elle n’était fixée que du haut, et pouvait se soulever ["pouvait..." corrige "flottait"] . Elle séparait la salle de marbre, qui était une salle de bain, d’une chambre, qui était une chambre à coucher. Cette chambre, très petite, était une espèce de grotte de miroirs. Partout des glaces de Venise, [un mot barré, "ajustées" peut-être, en correction cursive] contiguës, ajustées polyédriquement, reliées par des baguettes dorées, ["reliées...": addition] réfléchissaient le lit qui était au centre. Sur ce lit, d’argent [un mot en addition abandonnée] comme la toilette et ["la toilette et" ajouté] le canapé, était couchée la femme. Elle dormait. [". Elle dormait." ajouté en sc. sur "en chem" Hugo a d'abord écrit "la femme en chem" barré ces deux mots et placé un point, puis, à un moment quelqconque, écrit en surcharge "Elle dormait."]
Elle dormait la tête renversée, un de ses pieds refoulant ses couvertures, comme la succube au-dessus de laquelle le rêve bat des ailes.
Son oreiller de guipure était tombé à terre sur le tapis. ["Elle dormait la tête...": addition]
[A la hauteur de ces lignes, en marge, un texte encadré et barré à grands traits, qu'aucun filet ne relie au texte en partie droite. Il a été utilisé au folio 462 dont la rédaction est donc postérieure à celle de ce folio-ci:
"Il y avait des nappes de jais, des +, des perles, des bossages de passementerie. + + + + et d'oiseaux en broderie d'or et d'argent. ["Il y avait...": addition] Les biseaux des cristaux taillés mêlaient des effets de prisme à des effets de reflets. Les verroteries jouaient les pierreries. On ne savait si toutes ces facettes lumineuses, où des verts d'émeraude s'amalgamaient à des ors de soleil levant et où flottaient des nuées gorge de pigeon, étaient des + miroirs ou + aigues marines. Des baguettes de cuivre repoussé sertissaient mille morceaux de verre en cachaient les jointures et n'en faisaient qu'un cristal; + + + + + + + + + + + + + + + +."]
Entre sa nudité et le regard il y avait deux obstacles, ["deux obstacles" prend la place de "deux transparences," supprimé en correction cursive] sa chemise et le rideau de gaze d’argent, deux transparences. La chambre [au-dessus une correction ou une addition d'un mot, abandonnée] , ["crypte de Sirène, cave de fée," barré en correction cursive] plutôt alcôve que chambre, ["crypte de Sirène, cave de fée," barré] était éclairée avec une sorte de retenue par le reflet de la salle de bain. La femme peut-être [entre barres verticales que la copiste omet de reproduire] n’avait pas de pudeur, mais la lumière en avait.
Le lit n’avait ni colonnes, ni dais, ni ciel ["ni colonnes..." corrige "point [en sc. sur "pas"] de dais, de colonnes, ni de ciel"] , de sorte que la femme, quand elle [oublié et ajouté] ouvrait les yeux, pouvait se voir mille fois nue dans les miroirs au-dessus de sa tête.
Les draps avaient le désordre d’un sommeil agité. La beauté des plis indiquait la finesse de la toile. C’était l’époque [corrige "le temps"] où une reine, songeant [en sc. sur "pensant"] qu’elle serait damnée, se figurait l’enfer ainsi : un lit avec ["se figurait..." corrige "disait: Je coucherai dans"; de même à la copie] de gros draps. ["Les draps...": addition de deuxième niveau]
Du reste, cette mode du sommeil nu venait d’Italie et remontait aux romains. Sub clara nuda lucerna, dit Horace. [paragraphe en addition de troisième niveau; addition autographe à la copie]
Une robe de chambre en soie singulière [corrige "bizarre"] , de Chine sans doute car dans les plis on entrevoyait un grand lézard ["un grand lézard" corrige "une hydre"] d’or, était jetée sur le pied du lit. [paragraphe en addition, de premier niveau]
Au delà du lit [correction abandonnée: "Au chevet du lit était"], au fond de l’alcôve [en sc. sur "la chambre"] , il y avait probablement une porte, masquée et marquée par ["un grand miroir" barré en correction cursive] une assez grande glace sur laquelle [corrige "où"] étaient peints des paons et des ["oiseaux"(?) barré en correction cursive] cygnes. Dans cette chambre faite d’ombre ["chambre faite..." corrige "mystérieuse chambre"] tout reluisait [corrige "brillait" correction distincte de la précédente] . Les espacements entre les cristaux et les dorures étaient enduits de cette matière étincelante qu’on appelait à Venise « fiel de verre ».
Au chevet du lit était fixé un pupitre en argent à tasseaux tournants et à flambeaux fixes sur lequel on pouvait voir un livre ouvert portant au haut des pages ce titre en grosses lettres rouges : Alcoranus Mahumedis. [paragraphe en addition]
Gwynplaine [", pétrifié," barré] ne percevait aucun de ces détails. La femme, voilà ce qu’il voyait.
[f° 465, S18]. Ce folio, très vraisemblablement intercalé, est une réfection du texte qui occupe la première moitié du f° 466.
["Le + + + +, fait + + par la nudité(?).
Mais, pour Gwynplaine; il y avait là encore un autre saisissement." : addition, apparemment de second niveau. Le filet qui l'implante ne permet pas de savoir si elle précède, suit ou remplace cette autre addition:
"Qu'est ce que la nudité? C'est
l'éblouissement [corrigé en "la fascination"]."]
Il était à la fois pétrifié [rétabli après correction en +] et bouleversé, ce qui s’exclut, mais ce qui existe.
Cette femme, il la reconnaissait.
Elle avait les yeux fermés et le visage tourné vers lui.
C’était la duchesse.
Elle, cet être mystérieux en qui se mélangeaient tous les resplendissements de l’inconnu ["cet être mystérieux..." corrige "l'apparition, l'être inconnu [+: correction ou addition] , la clarté éblouissante [correction: "resplendissante"] "] , celle qui lui avait fait faire tant de songes inavouables ["tant de songes..." corrige "de si étranges songes"] , celle qui lui avait écrit une si étrange lettre ! [corrige point] La seule femme au monde dont il pût dire : Elle m’a vu, et elle veut de moi ! ["La seule...": ajouté] Il avait chassé les songes, il avait brulé la lettre. Il l’avait reléguée, elle, le plus loin qu’il avait pu hors de sa rêverie et de sa mémoire ; il n’y pensait plus ; il l’avait oubliée… [point converti en points de suspension] [deux mots, peut-être "Pari perdu.", placés entre barres verticales puis barrés]
Il la revoyait !
Il la revoyait terrible. ["Il la revoyait nue." barré]
La femme nue, c’est la femme armée.
Il ne respirait plus. Il se sentait soulevé comme dans un nimbe, et poussé. Il regardait. Cette femme devant lui ! ["Que devenir?" barré] Était-ce possible ? [phrase ajoutée]
Au théâtre, duchesse ["Au théâtre..." corrige "Duchesse au théâtre"] . Ici, néréide, naïade, fée. Toujours apparition [rayé, non remplacé, puis rétabli] .
Il essaya de fuir et sentit que cela ne se pouvait pas. Ses regards étaient devenus [ajouté] deux chaînes, et [", et" corrige "qui"] l’attachaient à cette vision.
Était-ce une fille ? Était-ce une vierge ? Les deux. Messaline, présente peut-être dans l’invisible, devait sourire, et Diane devait veiller. Il y avait sur cette beauté la clarté [un mot barré, peut-être "lointaine"] de l’inaccessible. ["Était-ce une fille ?..." corrige" C'était une fille. Messaline, [faux départ: "devait sourire"] présente dans l'invisible ["présente..." corrige "invisible dans l'ombre"] , devait sourire ; et Diane devait veiller, car [ajouté] c'était une vierge."] Pas de pureté comparable à cette forme chaste et altière [en sc. sur "hautaine"] . Certaines neiges qui n’ont jamais été touchées sont reconnaissables. Les blancheurs sacrées [ajouté] de la Yungfrau, cette femme les avait. Ce qui se dégageait de ce front inconscient, de cette vermeille chevelure éparse, ["de cette vermeille..." ajouté] de ces cils abaissés, de ces veines bleues vaguement visibles, de ces rondeurs sculpturales des seins, des hanches et des genoux modelant les affleurements roses de la chemise, c’était la divinité d’un sommeil auguste. Cette impudeur se dissolvait en rayonnement. Cette créature était nue avec autant de calme que si elle avait droit au cynisme divin, elle avait la sécurité d’une olympienne qui se sait fille du gouffre, et qui peut dire à l’océan : Père ! et elle s’offrait, ["superbe" barré en correction cursive] inabordable et superbe, à tout ce qui passe, aux regards, aux désirs, aux démences, ["aux démences," ajouté] aux songes, aussi fièrement assoupie [corrige "endormie"] sur ce lit de boudoir que Vénus dans l’immensité de l’écume.
["Gwynplaine avait peur." barré en correction cursive et déplacé]
Elle s’était endormie la nuit et prolongeait son sommeil au grand jour ; confiance commencée dans les ténèbres et continuée dans la lumière.
Gwynplaine frémissait. Il admirait. ["Il avait peur." barré et déplacé]
Admiration malsaine, et qui intéresse trop.
Il avait peur.
[f° 466, T18. Toute la première moitié du folio, encadrée et barrée à grands traits, est l'objet d'une réfection au folio précédent.]
["Il était à la fois pétrifié et bouleversé, ce qui s'exclut, mais ce qui existe. ["La commotion [corrige +] peut aboutir à l'immobilité." ajout abandonné]
Cette femme, il la reconnaissait.
Elle avait les yeux fermés et le visage tourné vers lui.
C'était la duchesse.
C'était cette femme [en sc. sur "créature"] éclatante et inconnue ["C'était cette femme..." corrige et complète "C'était l'inconnue, la duchesse"] , celle qui lui avait fait faire ["fait faire" corrige + qui corrige "jeté"] de si étranges songes [en sc. sur "rêves"] , celle qui lui avait écrit une si étrange lettre; il avait chassé les songes [en sc. sur "rêves"] , il avait brulé la lettre; Elle, il l'avait reléguée le plus loin qu'il avait pu hors de sa rêverie [corrige "pensée"] et de sa mémoire ["le plus loin..." corrige et complète "dans l'inaccessible"] ; il n'y pensait [en sc. sur "songeait"] plus; il l'avait oubliée.
Il la revoyait.
Il la revoyait terrible.
La femme nue, c'est la femme armée.
Rien de superbe [corrige "splendide"] comme cette créature dormante [ajouté] avec sa vermeille chevelure éparse, ses cils abaissés, ces veines bleues vaguement visibles et ces rondeurs ["ces veines..." corrige "et ce blanc et ce rose"] des seins, des hanches, des genoux apparaissant aux affleurements roses [ajouté] de la chemise, nue avec autant de calme que si elle avait droit au cynisme divin, et aussi fièrement assoupie [en sc. sur "endormie"] sur ce lit de boudoir que Venus dans l'immensité de l'écume.
Elle s'était endormie la nuit et prolongeait son sommeil après l'aurore, confiance commencée dans les ténèbres et continuée dans la lumière. [paragraphe ajouté]
Tout ce que le regard peut avoir d'inoui, l'oeil de Gwynplaine l'avait en ce moment.
Il admirait. ["Il s'effarait," rayé] Il
frémissait. Il avait peur." ["Il frémissait..." ajouté] ["Rien de
superbe...": addition]
Qu'allait-il devenir
maintenant?"]
La boîte à surprises du sort ne s’épuise point. [Ebauche en 15 812, f° 87v] Gwynplaine ["La boîte..." corrige "Quelquefois la surprise ne s'épuise pas. Il"] avait cru être au bout. Il recommençait. Qu’était-ce que tous ces éclairs ["éclairs" corrige "coups de tonnerre [corrige "foudre"]"; à la copie VH corrige "coups de foudre" en "éclairs"] , [virgule en sc. sur point d'interrogation] s’abattant sur sa tête sans relâche, et enfin, foudroiement suprême, lui jetant, ["dans un dernier éclair," barré; de même à la copie] à lui, homme frissonnant, ["sur sa tête..." corrige "sur lui l'un après l'autre, et finissant par lui jeter à lui, homme frissonnant,"] une déesse endormie ? Qu’était-ce que toutes ces ouvertures de ciel successives d’où finissait par sortir, ["éblouissant," ajout barré] désirable et redoutable, son rêve ["désirable..." remplace + + + +] ! ["sortir..." corrige "sortir on ne sait quelle vision d'un + + [corrigé en "d'un crime"] qui, un moment, hélas! avait été son rêve!"] Qu’était-ce que ces complaisances du tentateur inconnu lui apportant, l’une après l’autre, ses aspirations vagues, ses velléités confuses ["velléités..." corrige "souhaits confus"] , jusqu’à ses mauvaises pensées devenues chair vivante [corrige "et sang" qui corrige "et vie"] , et l’accablant sous une enivrante série de réalités tirées de l’impossible ? [" Cette femme! là! pourquoi? comment? Quel vertigineux + + [corrigé en autant de mots non lus non plus] Cette fois il se sentait irrémédiablement insensé. La chute que faisait son esprit dans un précipice d'éblouissement." le tout barré et réutilisé au folio suivant] Y avait-il conspiration de toute l’ombre contre lui, misérable, et qu’allait-il devenir avec tous ces sourires de la fortune sinistre autour de lui ? Qu’était-ce que ce [en sc. sur "tout ce"; à la copie, VH barre "tout"] vertige arrangé exprès ? Cette femme, [virgule corrige point d'exclamation, mais, à la copie, VH effectue la correction inverse] là ! Pourquoi ? comment ? Nulle explication. Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Était-il fait pair d’Angleterre exprès pour cette duchesse ? [phrase placée entre barres verticales, ensuite raturées]
["Que dirait-elle quand elle le saurait son égal!
Quel redoublement de passion et d'amour!" ajouté, placé entre barres verticales assorties d'un point d'interrogation, finalement barré à grands traits; rayé à la copie]
[f° 467, U18]
Qui les amenait ainsi l’un à l’autre ? qui était dupe ? qui était victime ? De qui abusait-on la bonne foi ? était-ce Dieu qu’on trompait ? Toutes ces choses, il ne les précisait [corrige "pensait"] pas, il les entrevoyait à travers une fuite de nuages noirs dans son cerveau. Ce logis magique [en sc. sur +] [un mot barré, peut-être en correction cursive] et malveillant ["et malveillant": peut-être ajouté] , ["Ce logis..." ajouté] cet [d'abord majuscule] étrange palais, tenace comme une prison, était-il du complot ? Gwynplaine subissait une sorte de résorption. Des forces obscures le garrottaient mystérieusement. Une gravitation l’enchaînait. ["Des forces..." se substitue à "Ce qu'on appelait jadis une possession, il éprouvait cela."] Sa volonté, soutirée, s’en allait de lui. A quoi se retenir ? Il était hagard et charmé. ["Gwynplaine subissait...": addition. Elle se substitue à une autre addition, non lue, d'une seule phrase, qui elle-même se susbstitue à "Il frémissait, palpitant, éperdu, charmé, hagard [", palpitant..." ajouté] . Cette fois, il se sentait devenir + insensé."] Cette fois, il se sentait ["devenir" barré] irrémédiablement insensé. [phrase notée en 15 812, f° 87v°] La sombre chute à pic dans le [en sc. sur "un"] précipice d’éblouissement continuait.
La femme dormait [correction abandonnée: "continuait de dormir"] . ["+ + +, + +" rayé; la phrase se poursuivait peut-être par "pour lui, ce n'était même plus..."]
[signe d'alinéa à faire, de même à la copie] Pour lui, l’état de trouble s’aggravant, ["l'état de trouble..." ajouté] ce n’était même plus la lady, la duchesse, la dame ; c’était la femme.
Les déviations sont dans l’homme ["dans
l’homme" corrige "en nous"] à l’état latent. Les vices ont dans
notre organisme un tracé invisible tout préparé. Même innocents, et en
apparence purs [corrige "sans reproche"]
, nous avons cela en nous. Être sans tache, ce n’est pas être sans
défaut. L’amour est une loi. La volupté est un piège. Il y a l’ivresse,
et il y a l’ivrognerie. L’ivresse, c’est de vouloir une femme ;
l’ivrognerie, c’est de vouloir la femme. [paragraphe
en addition]
Gwynplaine, hors de lui [corrige "éperdu"] , tremblait. [paragraphe en addition de second niveau]
Que faire contre cette rencontre [corrige
"vision"] [variante sans choix: "une
vision"; à la copie, elle est mal comprise, portée au-dessus de
"ampleurs" et VH la barre] ? Pas de flots d’étoffes, pas
d’ampleurs soyeuses, pas de toilette prolixe et coquette, ["pas
de toilette..." ajouté] pas d’exagération galante [corrige
"coquette"] cachant et montrant, pas de nuage. La nudité dans
sa concision redoutable. Sorte de sommation mystérieuse, effrontément
édénique [en sc. sur "céleste"; VH corrige à
la copie] [", effrontément édénique"
corrige "et tragique"] . Tout le côté ténébreux de l’homme mis
en demeure ["demeure" corrige "tempête"]
. Ève pire que Satan. [phrase ajoutée,
addition de troisième niveau] ["Je ne
sais quoi de brutal dans l'exquis(?)." : addition de deuxième niveau
barrée] L’humain et le surhumain amalgamés. Extase inquiétante
[corrige +] , aboutissant au triomphe
brutal [corrige "farouche" qui corrige
"flagrant"] de l’instinct sur le devoir [corrige
"la volonté"] . Le contour souverain de la beauté est
impérieux. Quand il sort de l’idéal et quand il daigne être réel, c’est
pour l’homme une proximité [corrige "félicité"
qui corrige "approche"; à la copie, VH corrige "félicité"]
funeste. ["Eve pire que Satan...": l'ensemble
des additions reprend et complète la rédaction initiale encadrée et
barrée à grands traits: "Eve pire que Satan. L'humain et le surhumain
amalgamés. [phrase ajoutée] + + + de la beauté est impérieux et veut
être obéi. Quand il sort de l'idéal et quand il daigne être réel,
c'est pour l'homme une approche fatale + + + + + +"
La suite, corrigée et barrée, est reprise en marge, où elle est de nouveau barrée: "et ce rayonnement splendide désagrége, et cette irradiation [plusieurs mots barrés] est fournaise comme le soleil ["comme le soleil" est barré et répété après alinéa.]"]
["La duchesse continuait de dormir [corrigé "sommeiller"] ." barré]
[signe d'alinéa à faire] Par instants la duchesse [corrige "elle"] se déplaçait mollement sur le lit, et avait les [corrige "de"] vagues mouvements d’une vapeur ["d'une vapeur" corrige "de nuée"; de même à la copie] dans l’azur, changeant d’attitude comme la nuée change de forme. Elle ondulait, composant et décomposant des courbes charmantes. Toutes les souplesses de l’eau, la femme les a. Comme l’eau, la duchesse [corrige "elle"] avait on ne sait quoi d’insaisissable. ["Elle ondulait...": addition] Chose bizarre [corrige +] à dire, elle était là, chair visible, et ["elle était là...": addition] elle restait chimérique. Palpable, elle semblait lointaine [corrige "évoluer(?) dans l'inaccessible"] . Gwynplaine, effaré [corrige "tremblant"] et pâle, contemplait. Il écoutait ce sein palpiter [corrige + qui corrige "se soulever"] et croyait entendre une respiration de fantôme. Il était attiré, il se débattait. Que faire contre elle [en sc. sur "lui"] ? que faire contre lui ?
Il s’était attendu à tout, excepté à cela. Un gardien féroce ["Un gardien..." corrige "Une garde farouche"] en travers de la porte, quelque furieux [corrige "terrible"] monstre geôlier à combattre, ["il avait compté" barré en correction cursive] voilà sur quoi il avait compté. Il avait prévu Cerbère ; il trouvait Hébé [correction abandonnée "Psyché"] . ["Il s'était attendu...": addition]
Une femme nue. Une femme endormie. [paragraphe en addition de deuxième niveau]
["La duchesse!" suite barrée de l'addition précédente]
Quel sombre combat ! [paragraphe en addition de troisième niveau; ajout autographe à la copie]
Il fermait les paupières. Trop d’aurore ["Trop d’aurore" corrige "Le soleil"] dans l’œil est une souffrance. Mais à travers ses paupières fermées, tout de suite, il la revoyait. Plus sombre. Aussi belle.
[f° 468, V18]
Prendre la fuite ["la fuite" corrige +] , ce n’est pas facile. Il avait essayé, et n’avait pu ["Il avait..." corrige "Il essayait, il ne pouvait"] . Il était enraciné comme on est dans le rêve. Quand nous voulons rétrograder [corrige "reculer"] , la tentation cloue nos pieds au pavé ["cloue..." corrige "fait ["nos pieds" barré] de plomb nos pieds"] . Avancer reste possible, reculer non. [phrase ajoutée] Les invisibles bras de la faute [corrige "volupté"] sortent de terre et nous ["tirent(?) dans la faute" barré en correction cursive] tirent dans le glissement ["le glissement" correction cursive de "la fange"(?)] .
Une banalité acceptée de tout le monde, c’est que l’émotion s’émousse. Rien n’est plus faux. C’est comme si l’on disait que, sous de l’acide nitrique tombant goutte à goutte, une plaie s’apaise et s’endort, [virgule corrige point] ["s'apaise et s'endort." corrige "se blase." ] et que l’écartèlement blase Damiens. [et que...": addition: elle est graphiquement à la suite de la correction "s'apaise et s'endort" mais les deux opérations ne sont pas de la même écriture]
[signe ajouté d'alinéa à faire] La vérité ["douloureuse" barré] est qu’à ["La vérité..." corrige "Le contraire est vrai. A"] chaque redoublement, la sensation est plus aiguë.
[signe ajouté d'alinéa à faire] D’étonnement en étonnement, Gwynplaine était arrivé au paroxysme. Ce vase, sa raison, sous cette stupeur [corrige "surprise"] nouvelle, débordait. Il sentait en lui un éveil effrayant. [phrase ajoutée, sans doute avant la cascade d'additions qui suit]
De boussole, il n’en avait plus. Une seule certitude était devant lui, cette femme. On ne sait quel irrémédiable [corrige "tragique"] bonheur s’entrouvrait, ressemblant à un naufrage. Plus de direction possible. Un courant irrésistible, et l’écueil. L’écueil ce n’est pas le rocher, c’est la sirène. Un aimant est au fond de l’abîme. S’arracher à cette attraction, Gwynplaine le voulait, mais comment faire ? Il ne sentait plus de point d’attache [en sc. sur "appui"] ["de point d'attache" remplace "sa conscience"] . La fluctuation humaine est infinie. Un homme peut être désemparé comme un navire. L’ancre, c’est la conscience. ["De boussole...": addition de premier niveau] Chose lugubre, la conscience peut casser. ["Chose lugubre...": addition de deuxième niveau]
Il n’avait même pas cette ressource : Je suis défiguré et terrible. Elle me repoussera. Cette femme lui avait écrit qu’elle l’aimait.
Il y a dans les crises un instant [corrige "moment"] de porte-à-faux. Quand nous débordons sur le mal plus que nous ne nous appuyons sur le bien, cette quantité de nous-même qui est en suspens sur la faute finit par l’emporter et nous précipite. Ce moment triste était-il venu pour Gwynplaine ?
Comment échapper ? ["Il n'avait même pas...": addition de troisième niveau, mais de même plume que la deuxième]
Ainsi c’était elle ! la duchesse ! cette femme ! Il l’avait devant lui, dans cette chambre, dans ce lieu désert, ["dans ce lieu désert," ajouté; à la copie, "dans ce lieu désert" est inscrit par la copiste en variante sans choix à "dans cette chambre et VH barre "dans cette chambre"] endormie, livrée, seule. Elle était à sa discrétion, et il était en son pouvoir !
La duchesse ! ["Ainsi c’était elle...":
addition de quatrième niveau. L'ensemble de ces additions se substitue
à la rédaction initiale, encadrée et barrée à grands traits et reprise
au folio 471:
"Tout à coup la dormeuse se réveilla [corrige "s'éveilla"] . Elle se dressa sur son séant avec une majesté brusque et douce, ses cheveux de blonde soie filoche se répandirent sur ses reins ["ses reins" corrige "son dos"] , ["ses cheveux...": ajouté] sa chemise tombante laissa voir toute son épaule très bas ["très bas" ajouté], ["elle regarda" barré en correction cursive] elle toucha et regarda quelques instants son pied nu, digne d'être copié par Phidias et adoré par Périclès, ["digne d'être...": ajouté] puis [+ + + en arrière," barré] elle s'étira et bâilla comme une tigresse au soleil levant.
["Il est probable que Gwynplaine resp" barré, puis réécrit]
Il est probable que Gwynplaine respirait, comme lorsqu'on retient son souffle, avec effort [", comme..." corrige "avec anxiété"] .
— Est-ce qu'il y a quelqu'un, dit-elle?
Elle dit cela tout en bâillant, et c'était plein de grâce. [paragraphe ajouté]
Gwynplaine entendit cette voix qu'il ne connaissait pas. Voix de charmeuse. Accent délicieusement [corrige un mot, ou deux dont le premier barré en correction cursive] hautain. L'intonation de la caresse tempérant l'habitude du commandement. [phrase ajoutée]
En même temps, se dressant sur ses genoux, elle tira à elle ["tira..." corrige "endossa"] [", se dressant..." corrige "elle se jeta au bas du lit, et passa", lui-même barré et déplacé] la robe de chambre et se jeta au bas du lit ["et se jeta..." ajouté] , nue et debout le temps de voir passer une flèche ["de voir..." corrige "d'un éclair"] , et tout de suite enveloppée. En un clin d'oeil la robe de chambre la couvrit. [phrase ajouté] Les manches très longues lui cachaient les mains. On ne voyait plus que le bout des doigts de ses pieds, blancs avec de petits ongles comme des orteils d'enfant.
Elle se retira du dos un flot de cheveux qu'elle rejeta sur sa robe, puis [Elle se retira...": addition] elle [d'abord majuscule] courut derrière le lit, au fond de"]
[f° 469, X18. Ce folio est intercalé -voir le folio 471. A la copie, la copiste ajoute une bande de papier collée à la feuille pour achever le texte, indice que la réfection a été opérée après la copie initiale.]
["La duchesse!" inscrit pour mémoire du raccord et barré]
On a aperçu une étoile au fond des espaces. On l’a admirée. Elle est si loin ! que craindre d’une étoile fixe ? Un jour, — une nuit, — on la voit se déplacer. On distingue un frisson de lueur autour d’elle. Cet astre, qu’on croyait impassible, remue. Ce n’est pas l’étoile, c’est la comète. C’est l’immense incendiaire du ciel. L’astre [+ barré en correction cursive] marche, ["avance," [corrigé en "court,"] vole," le tout barré] grandit, secoue une chevelure de pourpre, devient énorme. C’est de votre côté qu’il se dirige [corrige "avance"] . Ô terreur, il vient à vous ! La comète vous connaît, la comète vous désire, la comète vous veut. Épouvantable approche céleste. Ce qui arrive sur vous, c’est le trop de lumière, qui est l’aveuglement ; c’est l’excès de vie, qui est la mort. Cette avance que vous fait le zénith, vous la refusez. Cette offre d’amour du gouffre, vous la rejetez. [phrase ajoutée] Vous mettez votre main sur vos paupières, vous vous cachez, vous vous dérobez, vous vous croyez sauvé... — Vous rouvrez les yeux. L’étoile redoutable est là! Elle n’est plus étoile, elle est monde. Monde ignoré [en sc. sur "inconnu"] . [phrase ajoutée] Monde de lave et de braise. Dévorant prodige des profondeurs. [phrase ajoutée] Elle emplit le ciel. Il n’y a plus qu’elle. L’escarboucle du fond de l’infini, diamant de loin, de près est fournaise. Vous êtes dans sa flamme.
Et vous sentez commencer votre combustion par une chaleur de paradis.
[grand blanc jusqu'au bas du folio]
[f° 470, Y18. Folio intercalé; il reprend et modifie très peu la rédaction initiale du f° 468.]
Tout à coup la dormeuse se réveilla. Elle se dressa sur son séant avec une majesté brusque et harmonieuse [corrige "fière"] ; ses cheveux de blonde soie floche se répandirent avec un doux tumulte sur ses reins ; sa chemise tombante laissa voir son épaule très bas ; elle toucha de sa main délicate son ["pied nu" barré en correction cursive] orteil rose, et regarda quelques instants son pied nu, digne d’être adoré par Périclès et copié par Phidias ; puis elle s’étira et bâilla comme une tigresse au soleil levant.
Il est probable que Gwynplaine respirait, comme lorsqu’on retient son souffle, avec effort.
— Est-ce qu’il y a là quelqu’un, dit-elle?
Elle dit cela tout en bâillant, et c’était plein de grâce.
Gwynplaine entendit cette voix qu’il ne connaissait pas. Voix de charmeuse. Accent délicieusement hautain. L’intonation de la caresse tempérant l’habitude du commandement.
En même temps, se dressant sur ses genoux, il y a une statue antique ainsi agenouillée dans ["les" barré] mille plis transparents [en sc. sur + +] , elle tira à elle la robe de chambre et se jeta à bas du lit, nue et debout le temps de voir passer une flèche, et tout de suite enveloppée. En un clin d’œil la robe de soie la couvrit. Les manches très-longues lui cachaient les mains. On ne voyait plus que le bout des doigts de ses pieds, blancs avec de petits ongles, comme des pieds d’enfant.
Elle s’ôta du dos un flot de cheveux qu’elle rejeta sur sa robe, puis elle courut derrière le lit, au fond de
[f° 471, Z18. Le folio se raccorde à la fin du folio 468 dans sa rédaction initiale. Les folios 469 et 470 ont été intercalés. La configuration de la copie le confirme.]
l’alcove, et appliqua son oreille au miroir ["au miroir" corrige "au grand miroir" qui corrige "à la glace"] peint [ajouté, après les corrections qui précèdent] qui vraisemblablement [corrige "probablement"] recouvrait une porte.
Elle frappa ["doucement"(?) barré] contre la glace ["la glace" en sc. sur "le panneau(?)] avec le petit coude que fait l’index replié. ["Elle frappa...": paragraphe en addition en deux temps: d'abord: "Elle frappa contre la glace."]
— Y a-t-il quelqu’un ? ["Y a-t-il..." corrige "Y a-t-il quelqu'un, reprit-elle?" La question, effectivement, a déjà été déjà, non dans le texte définitif mais dans celui du folio 468.] Lord David ! est-ce que ["ce que" en sc. sur + +] ce serait déjà vous ? Quelle heure est-il donc ? ["Quelle heure..." corrige + + +] Est-ce toi, ["Est-ce toi," barré puis rétabli] Barkilphedro ?
Elle [corrige "Puis elle"] se retourna.
— Mais non. Ce n’est pas de ce côté-ci. ["Ce n'est pas de ce côté-ci." remplace trois lignes barrées : "Ce n'est pas de ce côté. Il me semble que c'est du côté de la chambre de bain que j'entends du bruit. Quelqu'un venu par là."] Est-ce qu’il y a quelqu’un dans la chambre [correction abandonnée: "le cabinet"] de bain ? Mais répondez donc ! Au fait non, personne ne peut venir par là.
Elle alla au rideau de toile d’argent, l’ouvrit du bout de son pied, l’écarta d’un mouvement d’épaule ["du bout de son pied..." corrige "et le rejeta [+: addition ou correction abandonnée] en arrière du bout de son pied"] , et entra dans la chambre de marbre.
Gwynplaine sentit comme un froid d’agonie. ["Que devenir?" barré] Nul abri. Il était trop tard pour fuir. D’ailleurs il n’en avait pas la force. Il eût voulu que le pavé se fendît, et tomber sous terre ["se fendît..." corrige "s'ouvrît"] . Aucun moyen de ne pas être vu.
Elle le vit.
Elle le regarda, prodigieusement étonnée, mais sans aucun tressaillement, avec une nuance de bonheur et de mépris :
— Tiens, dit-elle, Gwynplaine !
Puis, subitement, d’un bond violent [corrige + qui corrige "terrible"(?)] , car cette chatte était une panthère, elle se jeta à son cou.
Elle lui pressa [en sc. sur "atteignit"(?)] la tête entre [corrige "de"] ses ["deux" barré] bras nus dont les manches ["s'étaient relevées jusqu'à l'épaule" barré en correction cursive] , dans cet emportement, s’étaient relevées.
Et tout à coup le repoussant, abattant sur les deux épaules de Gwynplaine ses petites mains [un mot barré, peut-être en correction cursive] comme des serres, elle debout devant lui, lui debout devant elle, elle se mit à le regarder étrangement. ["comme des serres...": addition; elle remplace deux lignes de rédaction initiale, très corrigées et dont la seconde se réduit à "elle le regarda +"]
Elle le regarda, fatale, avec ses yeux d’Aldébaran. Rayon visuel mixte,
ayant on ne sait quoi de louche et de sidéral. [phrase
ajoutée] Gwynplaine [",
éperdu," barré en correction cursive] contemplait cette
prunelle bleue et cette prunelle noire, ["cette
prunelle bleue..." corrige "cette prunelle noire [en sc. sur bleue"]
et cette prunelle bleue [corrige "noire"], + +] éperdu sous la
double fixité de ce regard de ciel [corrige
"d'enfer"] et de ce regard d’enfer [corrige
"de ciel"] . Cette femme et cet homme ["Cette
femme..." corrige "Ils" qui corrige "Tous deux"] se renvoyaient
l’éblouissement sinistre. Ils se fascinaient l’un l’autre, lui par la
difformité, elle par la beauté, tous deux par l’horreur [un
mot encadré de barres verticales et barré] .
Il se taisait comme ["s'il eût été" barré] sous un poids impossible à soulever ["comme ..." corrige "sous une sorte de poids énorme"] . Elle s’écria : ["Elle le regarda, fatale...": addition]
— Tu as de l’esprit. Tu es venu. Tu as su que j’avais été forcée de partir de Londres. Tu m’as suivie. Tu as bien fait. ["Tu m'as suivie..." corrige " + + + + félicitations, je t'admire."] Tu es extraordinaire d’être ici.
["Et elle le mordit d'un baiser." paragraphe barré. Repris au folio 478. D'ici là, tout le discours de Josiane est l'objet de plusieurs réfections.]
[f° 472, A19 Ce folio, lié au f° 404 (fin du chapitre II, 5, 2) lui-même tardif, a toutes chances de ne pas appartenir à la rédaction initiale et de remplacer un folio désormais disparu. Au verso, une note barrée: "Et, comme si elle prenait possession de Gwynplaine, ses ongles convulsifs s'imprimèrent sur son épaule. Un brasier"]
Une prise de possession réciproque, cela jette une sorte d’éclair. Gwynplaine, confusément [en sc. cursive sur "averti"] averti par une vague crainte sauvage [corrige +, peut-être "farouche"] et honnête, recula, mais les ongles roses crispés sur son épaule le tenaient. Quelque chose d’inexorable s’ébauchait. Il était dans l’antre de la femme fauve, homme fauve lui-même.
Elle reprit : [en sc. sur "poursuivit:" qui lui-même corrige "reprit, lui parlant comme si elle n'avait que + + + + + + d'une conversation interrompue qu'on reprend" où "lui parlant..." est ajouté, encadré de barres verticales et barré]
— Anne, cette sotte, — tu sais, la reine? — elle m’a fait venir à Windsor sans savoir pourquoi. Quand je suis arrivée, elle était enfermée avec son idiot de chancelier. Mais comment as-tu fait pour pénétrer jusqu’à moi ? Voilà ce que j’appelle être un homme. Des obstacles. Il n’y en a pas. On est appelé, on accourt. Tu t’es renseigné ? Mon nom, la duchesse Josiane, je pense que tu le savais. [Tu t'es renseigné..." : addition] Qui est-ce qui t’a introduit ? C’est le mousse sans doute ["sans doute" corrige "probablement" qui corrige "n'est-ce pas?"]. Il est intelligent. Je lui donnerai cent guinées. Comment t’y es-tu pris ? dis-moi cela. Non, ne me le dis pas. Je ne veux pas le savoir. Expliquer rapetisse. Je t’aime mieux surprenant. [faux départ: "Tu tombes de l'empyrée, voilà"] Tu es assez monstrueux pour être merveilleux. Tu tombes de l’empyrée, voilà, ou tu montes du troisième dessous, à travers la trappe de l’Érèbe. Rien de plus simple, le plafond s’est écarté [correction cursive de "ouvert"] ou [en sc. sur "et"] le plancher s’est ouvert. Une [en sc. sur +] descente par les nuées ou une ascension dans un flamboiement [corrige "jet"] de soufre, c’est ainsi que tu arrives [corrige "C'est là ton entrée"] . Tu mérites d’entrer [corrige "arriver"] comme les dieux. ["C'est dit. Tu sais, je t'aime + + + + + +" barré en correction cursive] C’est dit, tu es mon amant.
Gwynplaine, égaré [corrige "haletant"] , écoutait, sentant de plus en plus sa pensée [corrige "tête"] osciller. C’était fini. Et impossible de douter. [ces deux phrases ajoutées] La lettre de la nuit, cette femme la confirmait. Lui, Gwynplaine, amant d’une duchesse, amant aimé ! l’immense orgueil aux mille têtes sombres remua dans ce cœur infortuné.
La vanité, force énorme en nous, contre nous. [paragraphe ajouté]
La duchesse [en sc. sur "Elle"] continua :
— Puisque tu es là, c’est que c’est voulu. Je n’en demande pas davantage. Il y a quelqu’un en haut, ou en bas, qui nous jette l’un à l’autre. Fiançailles du Styx et de l’Aurore. Fiançailles effrénées hors de toutes les lois ! Le [en sc. sur "Du"] jour où je t’ai vu, j’ai dit : — C’est lui. Je le reconnais. C’est le monstre [corrige "masque"] de mes rêves. Il sera à moi. — Il faut aider le destin. C’est pourquoi je t’ai écrit. Une question, Gwynplaine ? ["Une question..." ajouté] ["Gwynplaine," barré] crois-tu à la prédestination ? J’y crois, moi, depuis que ["J'y crois..." corrige "J'y ai cru, moi, quand"] j’ai lu le Songe de Scipion dans Cicéron. ["Une question...": addition] Tiens, je ne remarquais pas. Un habit de gentilhomme. ["gentilhomme." en sc. sur "seigneur?"] Tu t’es habillé en seigneur. ["Tu t'es..." corrige "+ habillé en gentilhomme + +"] Pourquoi pas ! Tu es saltimbanque. Raison de plus. Un bateleur vaut un lord. D’ailleurs, qu’est-ce que les lords ? des clowns. Tu as une noble taille, tu es très bien fait. C’est inouï que tu sois ici . [f° 473, B19. Le début du folio est formé d'une addition. La rédaction initiale, qui commence à "il est doux.' et ne se raccorde à aucun texte du ms., devait prendre la suite d'un folio détruit et manquant, remplacé par le f° 472.] Quand es-tu arrivé ? Depuis combien de temps es-tu là ? Est-ce que tu m’as vue nue ? je suis belle, n’est-ce pas ? j’allais prendre mon bain. Oh ! je t’aime. Tu as lu ma lettre ! L’as-tu lue toi-même ? Te l’a-t-on lue ? Sais-tu lire ? Tu dois être ignorant. Je te fais des questions, mais n’y réponds pas. Je n’aime pas ton son de voix. ["Quand es-tu arrivé...": addition] Il est doux. Un être incomparable comme toi ne devrait pas parler, mais grincer. Tu chantes, c’est harmonieux. Je hais cela. C’est la seule chose de toi qui me déplaise. Tout le reste est formidable, tout le reste est superbe [corrige "beau"] . Dans l’Inde, tu serais dieu. ["Dans l'Inde...": addition dont le début: "Tu es suprême." a été rayée; copie: addition de la main de la copiste. Cette addition se substitue à la rédaction initiale, reprise aux folios 472 et 477: "Il y a de la foudre dans ta difformité. Le jour où je t'ai vu, j'ai dit: voilà mon rêve."] Est-ce que tu es né avec ce rire épouvantable sur la face ? Non, n’est-ce pas ? C’est sans doute une mutilation pénale. J’espère bien que tu as commis quelque crime. [" + +, je t'aime!" barré] Viens dans mes bras.
[A la hauteur de ce paragraphe, en marge, ces lignes qu'aucun filet n'implante dans le texte et qui est employé au f° 477: "Ton visage a été dérangé par un coup de tonnerre. Ce qui est sur ta face, c'est la torsion irritée du grand poing de flamme. La vaste colère obscure t'a pétri, dans un accès de rage, cette effroyable figure surhumaine. L'enfer est un réchaud pénal où chauffe ce fer rouge qu'on appelle la destinée. Tu es marqué de ce fer-là."]
Elle se laissa tomber sur le canapé et le fit tomber près d’elle. Ils se trouvèrent l’un près de l’autre sans savoir comment. [faux départ: "Elle parlait"] Ce qu’elle disait passait sur Gwynplaine comme un grand vent. [faux départ: "Elle parlait"] Il percevait à peine ["à peine" corrige "confusément"] le sens [correction inachevée et abandonnée: "des mots forcenés qui lui"] de ce tourbillon de mots forcenés. Elle avait l’admiration [en sc. sur "l'amour"(?) qui corrige "l'idolâtrie"] ["de ce tourbillon..." corrige "de ce qu'elle disait. L'idolâtrie était"] dans les [en sc. sur "ses"] yeux. Elle parlait en tumulte, frénétiquement, d’une voix éperdue et tendre. Sa parole était une musique, mais Gwynplaine entendait cette musique comme une tempête.
Elle appuya de nouveau sur lui son regard fixe. ["Elle appuya..." remplace "Elle lui saisit les deux mains."]
— Je me sens dégradée près de toi, quel bonheur ! Être altesse, comme c’est fade [corrige "ennuyeux"] ! ["faux départ: "Je t'aime parce que"] Je suis auguste, rien de plus fatigant. Déchoir repose. ["Je suis auguste...": addition] Je suis si saturée de respect que j’ai besoin de mépris. [Ici, une addition barrée et déplacée: "Ah ! je respire ! [phrase ajoutée à l'addition] Être déclassée, c’est être délivrée. Tout rompre, tout braver, tout faire, tout défaire, c’est vivre. Je t’aime."] Nous sommes toutes un peu des extravagantes, à commencer par Vénus, Cléopâtre, mesdames ["des extravagantes..." corrige "folles, à commencer par ces dames"] de Chevreuse et de Longueville, et à finir par moi. Je t’afficherai, je le déclare. Voilà une amourette ["une amourette" corrige "un amour"] qui fera une contusion à la royale famille Stuart dont je suis. ["royale famille..." corrige "famille royale d'Angleterre. Ah!"] ["Je déborde de joie de te voir là. Ne parle pas. Je t'aime." barré] ["Nous sommes toutes un peu...": addition] Ah ! je respire ! J’ai trouvé l’issue. Je suis hors de la majesté. Être déclassée, c’est être délivrée. Tout rompre, tout braver, tout faire, tout défaire, c’est vivre. Écoute, je t’aime. ["Ah! je respire...": addition de second niveau]
Elle s’interrompit, et eut un effrayant sourire. [phrase en addition, sans doute antérieure à l'addition qui précède, mais postérieure à celle, au-dessus, qui a été barrée] — [tiret ajouté; dans la rédaction initiale, le discours n'est pas interrompu après "... besoin de mépris."] Je t’aime non seulement parce que tu es difforme [corrige "affreux"] , mais parce que tu es vil. J’aime le monstre, et j’aime l’histrion. Un amant humilié, bafoué, [ajouté] grotesque, ["difforme," ajouté et barré] hideux [corrige +] , exposé aux rires sur ce pilori qu’on appelle un théâtre [corrige "tréteau"] , cela a une saveur extraordinaire. C’est mordre au fruit de l’abîme. Un amant infamant, c’est exquis. [la phrase corrige "J'ai toujours eu cette soif."] Avoir sous la dent la pomme, non du paradis, mais de l’enfer, voilà ce qui me tente, [f° 474, C19 ; en première rédaction, la fin de ce folio se rattache au folio 477.] j’ai cette faim et cette soif, et je suis cette Ève-là. L’Ève du gouffre. [phrase ajoutée; de même à la copie] Tu es probablement, sans le savoir, un démon. Je me suis gardée à un masque du songe [corrige "rêve"] ["masque du songe" corrige "spectre"] . Tu es un pantin dont un spectre tient les fils. [phrase ajoutée] Tu es la vision du grand rire infernal. Tu es le maître que j’attendais. Il me fallait un amour comme en ont les Médées et les Canidies. J’étais sûre qu’il m’arriverait une de ces immenses aventures de la nuit. Tu es ce que je voulais. Je te dis là un tas de choses que tu ne dois pas comprendre. ["Ecoute," barré] Gwynplaine, ["je suis vierge," mis entre barres verticales avant d'être rayé] personne ne m’a possédée, je me donne à toi pure comme la braise ardente, tu ne me crois évidemment pas, mais si tu savais comme cela m’est égal !
Ses paroles avaient le pêle-mêle de l’éruption. Une piqûre au flanc de l’Etna donnerait l’idée de ce jet de flamme.
Gwynplaine balbutia :
— Madame…
Elle lui mit la main sur la bouche.
— Silence ! je te contemple ["! je te contemple" corrige ", +"] . ["Ses paroles avaient...": addition de second niveau] Gwynplaine, ["Gwynplaine," ajouté] je [d'abord majuscule] suis l’immaculée effrénée [corrige "immense"(?)] . Je suis la vestale bacchante. [phrase ajoutée] Aucun homme ne m’a connue, et je pourrais être Pythie à Delphes, et avoir sous mon talon nu ["mon talon nu" corrige "mes pieds"] le trépied de bronze où [corrige "au bas duquel"] les prêtres accoudés ["et avoir sous..." ces lignes sont corrigées à plusieurs reprises; l'épaisseur des ratures empêche de reconstituer la succession des rédactions, la première ne doit pas être très éloignée de "et monter nue sur le trépied de bronze où les prêtres accoudés"] sur la peau de Python, chuchotent des questions au dieu invisible ["au dieu..." correction cursive de: "à l'inconnu"] . Mon cœur est de pierre, mais il ressemble à ces cailloux mystérieux que la mer roule au pied du rocher Huntly Nabb, à l’embouchure de la Thees, et dans lesquels, si on les casse, on trouve ["Thees..." rétabli après correction en "Thees. Dedans, si on les casse, on trouve" et en "Thees. Si on les casse, on trouve dedans"] un serpent. Ce serpent, c’est mon amour. Amour tout-puissant, car il t’a fait venir. La distance impossible était entre nous. J’étais dans Sirius et tu étais dans Allioth. Tu as fait la traversée démesurée [corrige "effrayante"] , et te voilà. C’est bien. Tais-toi. Prends-moi. ["Tais-toi..." corrige "Prends-moi. Viens."]
Elle s’arrêta. Il frissonnait. Elle se remit à sourire.
— Vois-tu, Gwynplaine. Rêver, c’est créer. Un souhait est un appel. [un mot ("Et"?) dont la rature détermine la correction en majuscule de "construire"] Construire une chimère, c’est provoquer la réalité. L’ombre toute-puissante et terrible ne se laisse pas défier. Elle nous satisfait. Te voilà. Oserai-je me perdre ? oui. Oserai-je être ta maîtresse ["? avec joie. Gwynplaine, je suis la femme." barré] ["Je suis l'immaculée effrénée...": addition de premier niveau. VH la prolonge en barrant "? avec joie...." et en poursuivant la phrase] , ta concubine, ton esclave, ta chose ? avec joie. Gwynplaine, je suis la femme. ["ta concubine...": addition de second niveau. Cette addition se substitue à la première rédaction: "Vois-tu, je suis la femme."] La femme, c’est de l’argile qui désire être fange. J’ai besoin de me mépriser; cela assaisonne l’orgueil. L’alliage de la grandeur, c’est la bassesse. Rien ne se combine mieux. Méprise-moi, toi qu’on méprise. L’avilissement sous l’avilissement, quelle volupté ! ["Je cueille" ajouté et barré] la fleur double de l’ignominie ! je la cueille. ["la fleur...": ajouté] Foule-moi aux pieds, tu ne m’en aimeras que mieux. Je le sais moi. Sais-tu pourquoi je t’idolâtre ? parce que je te dédaigne. Tu es si au dessous de moi que je te mets sur un autel. Mêler le haut et le bas, c’est le chaos, et le chaos me plaît. Tout commence et finit par le chaos. Qu’est-ce que le chaos ? une immense souillure. Et avec cette souillure, Dieu a fait la lumière, et avec cet égout, Dieu a fait le monde. Tu ne sais pas à quel point je suis perverse. Pétris un astre dans de la boue, ce sera moi.
Ainsi parlait cette femme formidable, montrant nu, par ["montrant..." barré et rétabli] sa robe défaite, son torse de vierge. ["Elle pour" barré pour l'alinéa]
Elle poursuivit :
— Louve pour tous, chienne pour toi. ["Louve..." ajouté] Comme on va s’étonner ! l’étonnement des imbéciles est doux. Moi, je me comprends. Suis-je une déesse ? Amphitrite [corrige +] s’est donnée au Cyclope. Fluctivoma Amphitrite. ["Fluctivoma..." ajouté] Suis-je une fée ? Urgèle s’est livrée à Bugryx, l’androptère aux huit mains palmées. Suis-je une princesse ? Marie Stuart a eu Rizzio. Trois belles, trois monstres. Je suis plus grande qu’elles, car tu es pire qu’eux. [deux lignes barrées; on y distingue "Tu es ma prédestination. J'y crois depuis que j'ai lu le Songe de Scipion dans Cicéron."] Gwynplaine, nous sommes faits l’un pour l’autre. [phrase ajoutée en deux temps: "nous sommes..." d'abord] Le monstre que tu es dehors, je le suis dedans. De là mon amour. ["Nous sommes" barré, la suite de la phrase se trouve dans la rédaction initiale du f° 477] Caprice, soit. Qu’est-ce que l’ouragan ? un caprice. Il y a entre nous une affinité sidérale [corrige "profonde"] ; l’un et l’autre nous sommes de la nuit, toi par la face, moi par l’intelligence. ["Caprice...": ajouté] [f° 475 blanc; f° 476, D19. Ce folio, réfection du début du folio suivant, est donc intercalé.] A ton tour, tu me crées. Tu arrives, voilà mon âme dehors. Je ne la connaissais pas ["toute" barré] . Elle est surprenante [corrige "hideuse" qui corrige "affreuse" qui corrige "monstrueuse"] . Ton approche fait sortir l’hydre de moi, déesse. Tu me révèles ma vraie nature. Tu me fais faire la découverte de moi-même. ["Tu me révèles...": adddition de second niveau] Vois comme je te ressemble. Regarde dans moi comme dans un miroir. Ton [en sc. sur faux départ: "Mon"] visage, c’est mon âme. Je ne savais [en sc. sur "sais"] pas être à ce point terrible. [un mot barré] Moi aussi je suis donc [ajouté] un monstre ! O Gwynplaine, tu me désennuies. ["Vois comme je...": addition. Elle se substitue à la première rédaction: "Mon âme se regarde dans ton visage, il devient miroir. Je suis ta semblable, Gwynplaine. Comment! tu es là! quel chef d'oeuvre d'être venu! Tiens,veux-tu voir une femme folle?"]
Elle eut un étrange rire d’enfant, s’approcha de son oreille et lui dit tout bas :
— Veux-tu voir une femme folle ? ["Veux-tu..." ajouté] c [d'abord majuscule] ’est moi.
Son regard entrait dans Gwynplaine. Un regard est un philtre. Sa robe avait des dérangements redoutables. [phrase ajoutée] L’extase aveugle et bestiale ["aveugle..." ajouté] envahissait Gwynplaine. Extase où il y avait de l’agonie.
Pendant que cette femme parlait, il sentait comme des éclaboussures de feu [barré puis rétabli] . [ phrase ajoutée] Il sentait sourdre l’irréparable. [phrase ajoutée dans un second temps, au prix d'une répétition. Cette phrase et la précédente se substituent au texte initial: "Elle lui mettait la main sur la bouche; elle l'empêchait de parler. Il n'eût d'ailleurs ["Il n'eût d'ailleurs" barré en correction cursive] "] Il n’avait pas la force de dire un mot. Elle s’interrompait, elle le considérait [corrige "contemplait"] : O monstre, murmurait-elle! Elle était farouche.
Brusquement, elle lui saisit les mains.
— Gwynplaine, je suis le trône, tu es le tréteau. Mettons-nous de plain-pied. Ah ! je suis heureuse, me voilà tombée. Je voudrais que tout le monde pût savoir à quel point je suis abjecte, on s’en prosternerait davantage, car plus on abhorre, plus on rampe. Ainsi est fait le genre humain. Hostile, mais reptile. Dragon, mais ver. Oh ! je suis dépravée comme les dieux. On ne peut toujours pas m’ôter cela d’être la bâtarde d’un roi. J’agis en reine. Qu’était-ce que Rhodope ? une reine qui aima Phtèh, l’homme ["Phtèh, l’homme" réécrit pour lisibilité] à la tête de crocodile. Elle a bâti en son honneur la troisième pyramide. ["Qu'était-ce que Rhodope...": addition]
[f° 477, E19. Tout le début du folio, encadré et barré à grands traits, est l'objet d'une réfection au folio précédent qui est donc intercalé. La première rédaction du folio ("faits l'un pour l'autre.") prend la suite de celle du folio 474 ("Nous sommes").]
[" A ton tour tu me crées. Tu arrives, et
voilà mon âme dehors. ["Elle m'étonne et je l'admire." barré] Je ne la
connaissais pas toute. Elle est monstrueuse. C'est mon vrai moi. ["A
ton tour...": addition]
["faits l'un pour l'autre." barré; c'est le début de la rédaction initiale du folio et la fin de la dernière phrase, en rédaction initiale, du folio 474.] Ton approche fait sortir l'hydre de moi, déesse. ["J'ai pensé à ["pensé à" corrige "rêvé de"] toi les nuits, les jours, sans cesse [corrige + + + +] , et toi, rêvais-tu de moi?": addition barrée] Veux-tu voir une femme folle [corrige "insensée d'amour"] ?
Elle rit et dit: — ["Elle rit...":
ajouté] C'est moi.
Elle ["s'interrompait +" barré en correction cursive] lui mettait la main sur la bouche. Elle l'empêchait de parler. D'ailleurs [ajouté] Gwynplaine n'eut pas eu la force de dire un mot. Elle s'interrompait et le contemplait. — O monstre, disait-elle! Elle était farouche
Son regard entrait dans Gwynplaine. Un regard est un philtre. [la phrase remplace " Son expression était indomptable [corrige +]"]
— Gwynplaine! je suis le trône, tu es le tréteau. Mettons-nous de plain-pied. Ah! je suis heureuse, me voilà tombée. ["Elle lui mettait la main...": addition. Elle se substitue à la rédaction initiale: "J'ai rêvé de toi + des +. Je suis le trône + + + mettons de plain-pied nos + + + + + + + + + + + + + + +"] Je voudrais que tout le monde pût savoir à quel point je suis abjecte, on s’en prosternerait davantage; car plus on hait, plus on rampe. Ainsi est fait le genre humain. Hostile. Mais reptile. Dragon, mais ver. Oui, je suis dépravée comme les vestales et comme les dieux. [phrase ajoutée] On ne peut toujours pas m'ôter cela d’être la bâtarde d’un roi. J’agis en reine. [phrase ajoutée] "]
Penthésilée a aimé le centaure, qui s’appelle le Sagittaire, et qui est une constellation. [phrase en addition] Et que dis-tu d’Anne d’Autriche ? Mazarin était-il assez laid ! ["Toi," barré et déplacé] Tu [d'abord minuscule] n’es pas laid, toi, [ajouté] tu es difforme. Le laid est petit, le difforme est grand. Le laid, c’est la grimace du diable derrière le beau. Le difforme est l’envers du sublime. C’est l’autre côté. L’Olympe a deux versants, l’un, dans la clarté, donne Apollon [correction abandonnée: +] , l’autre, dans la nuit, donne Polyphème. Toi, tu es Titan. Tu serais Béhémoth dans la forêt, Léviathan dans l’océan, Typhon dans le cloaque. Tu es suprême. Il y a de la foudre dans ta difformité. Ton visage a été dérangé par un coup de tonnerre. Ce qui est sur ta face, c’est la torsion courroucée du grand poing de flamme. Il t’a pétri et il a passé. La vaste colère obscure a ["englué ton âme" barré et déplacé] , dans un accès de rage, englué ton âme ["englué...": ajouté] sous cette effroyable figure surhumaine. L’enfer est un réchaud pénal où chauffe ce fer rouge qu’on appelle la Fatalité , tu es marqué de ce fer-là. T’aimer, c’est comprendre le grand. J’ai ce triomphe. [phrase ajoutée] Être amoureuse d’Apollon, le bel effort ! La gloire se mesure à l’étonnement. ["Tu es suprême...": addition] Je t’aime. J’ai rêvé de toi des nuits, des nuits, des nuits ! ["Je t'aime...": ajouté à l'addition qui précède] C’est ici un palais à moi. Tu verras mes jardins. Il y a des sources sous les feuilles [en sc. sur "arbres"(?)] , des grottes où l’on peut s’embrasser, et de très beaux groupes de marbre qui sont du cavalier Bernin. Et des fleurs ! Il y en a trop. Au printemps, c’est ["comme" barré] un incendie de roses. ["Et des fleurs!..." ajouté] T’ai-je dit que la reine était ma sœur ? Fais de moi ce que tu voudras. ["Traite-moi comme une créature." barré et déplacé] Je suis faite pour que Jupiter baise mes pieds et pour que Satan me crache au visage. As-tu une religion ? Moi je suis papiste [corrige "catholique"] . Mon père Jacques II est mort en France avec un tas de jésuites autour de lui. Jamais je n’ai ressenti ce que j’éprouve auprès de toi. Oh ! je voudrais être le soir avec toi, pendant qu’on ferait de la musique, tous deux adossés [corrige +] au même coussin, sous le tendelet de pourpre d’une galère d’or, au milieu des douceurs infinies de la mer. Insulte-moi. [ajouté] Bats-moi. Paie-moi. ["Je t'adore." barré] Traite-moi comme une créature. Je t’adore. [ces deux phrases ajoutées]
[f° 478, F19. Le début du folio est encadré et barré à grands traits. L'addition initiale (la prédestination lue dans Cicéron) figure, en rédaction initiale, au folio 474 auquel celui-ci serait donc postérieur. Mais l'évocation de la nuit de musique sous les étoiles, présente au folio précédent, indique que ce dernier est sans doute postérieur à celui-ci.]
["Sais-tu + + mon père + + + qui est mort en France. [deux mots barrés] Tu étais dans ma prédestination. C'est une idée qui m'est venue en lisant le songe de Scipion dans Cicéron. Aimes-tu la musique? Je voudrais être le soir," [ces lignes en addition]
[La rédaction initiale du folio semble commencer ici:
["sous les étoiles," barré] avec toi, sous le tendelet de pourpre d'une galère d'or, au milieu des douceurs infinies de la mer. Tu es mon amant. [la phrase corrige "Je t'adore."] + moi. Paie-moi. Je t'adore!
Les caresses peuvent rugir. En doutez-vous?
entrez chez les lions. L'horreur ["tragique" barré] était dans cette
femme et se combinait avec la grâce. Rien de plus ['L'horreur..."
remplace "Cette femme était"] tragique. Son accent communiquait
[corrige "donnait"] à ses paroles furieuses et idolâtres on ne sait
quelle grandeur prométhéenne. Les fêtes de la Grande Déesse, chantées
par Eschyle, donnaient aux femmes cherchant les satyres sous les
étoiles cette sombre rage épique. Ses cheveux avaient des frissons de
crinière. Sa robe s'ouvrait, sa chemise défaite laissant voir son
torse de bacchante [correction: vierge"] , ["Les caresses..." ces
lignes de la rédaction initiale sont barrées et réécrites en addition]
]
Les caresses peuvent rugir. En doutez-vous ? entrez chez les lions. L’horreur était dans cette femme et se combinait avec la grâce. Rien de plus tragique. On sentait la griffe, on sentait le velours. C’était l’attaque féline, mêlée de retraite. Il y avait du jeu et du meurtre dans ce va et vient. Elle idolâtrait, insolemment. Le résultat, c’était la démence communiquée. ["Passion indomptée(?) [corrigé +] le tout barré] Fatal [corrige +] langage, inexprimablement violent et doux [", inexprimablement..." ajouté] . Ce qui insultait n’insultait pas. Ce qui adorait outrageait. Ce qui souffletait déifiait. Son accent imprimait à ses paroles ["égarées" barré en correction cursive] furieuses et amoureuses on ne sait quelle grandeur prométhéenne [ajouté; de même à la copie] . ["Les caresses...": addition de second niveau, réfection en marge de la première moitié du texte initial ci-dessus] Les fêtes de la Grande Déesse, chantées par Eschyle, donnaient aux femmes [un mot barré] cherchant [en sc. sur "poursuivant"] les satyres sous les étoiles cette sombre rage épique. Ces paroxysmes compliquaient les ["compliquaient les" corrige "se mêlaient aux"] danses obscures sous les branches de Dodone. Cette femme était comme transfigurée, s’il est possible qu’on se transfigure du côté opposé au ciel. Ses cheveux avaient des frissons de crinière ; sa robe se refermait, puis se rouvrait ; ["Les fêtes de la Grande Déesse...": addition de premier niveau; réfection, en marge, de la seconde moitié de la rédaction initiale ci-dessus. VH a d'abord réécrit la fin du texte initial avant de refaire également son début.] rien de charmant comme ce sein plein de cris sauvages, les rayons de son œil bleu se mêlaient aux flamboiements de son œil noir, elle était surnaturelle. Gwynplaine, défaillant, [corrige + ou faux départ sur "sentait"] se sentait vaincu [en sc. sur "envahi"] par la pénétration profonde d’une telle approche.
— Je t’aime, cria-t-elle!
Et elle le mordit d’un baiser.
Homère a des nuages qui peut-être allaient devenir nécessaires sur Gwynplaine et Josiane ["et Josiane" rétabli après avoir été corrigé en "et la duchesse"] comme sur Jupiter et Junon. Pour Gwynplaine, être aimé, ["être aimé," barré à la copie] être aimé par une femme qui avait un regard et ["qui avait un regard et" ajouté] qui le voyait, avoir [en sc. sur "sentir"(?)] sur sa bouche informe une pression de lèvres divines [correction abandonnée: "célestes"] , c’était exquis et fulgurant [corrige "foudroyant"; de même à la copie] . Il sentait devant cette femme pleine d’énigmes tout s’évanouir en lui [intervertit "en lui s'évanouir"; de même à la copie] . Le souvenir de Dea se débattait dans cette ombre avec de petits cris. Il y a un bas-relief antique qui représente le sphinx mangeant un amour ; les ailes du doux être céleste [corrige "divin"] saignent entre ces dents [semble réécrit en sc.] ["souriantes" barré en correction cursive] féroces et souriantes.
[faux départ: "Elle répéta : — Je t’aime !
Et, frénétique, elle l’étreignit + + contre sa poitrine.
Tout à coup"]
Est-ce que Gwynplaine aimait cette femme ? [f° 479, G19] Est-ce que l’homme a, comme le globe, deux pôles ? Sommes-nous, sur notre axe inflexible [corrige "fixe"] , la sphère tournante, astre de loin, boue de près, où alternent le jour et la nuit ? Le cœur a-t-il deux côtés, l’un qui aime dans la lumière, l’autre qui aime dans les ténèbres ? Ici la femme rayon ; là la femme cloaque [en sc. sur "fange"; de même à la copie] . ["Ici...": phrase ajoutée] L’ange est nécessaire. Est-ce qu’il serait possible que le démon, lui aussi, fut un besoin ? Y a-t-il pour l’âme l’aile de chauve-souris ? l’heure crépusculaire sonne-t-elle fatalement pour tous ? la chute [en sc. sur "faute"] fait-elle partie intégrante de notre destinée non refusable ? le mal, dans notre nature, est-il à prendre en bloc, avec le reste ? ["la chute...": addition] Est-ce que la faute est une dette à payer ? Frémissements profonds.
Et une voix pourtant nous dit que c’est un crime d’être faible [en sc. sur +] . Ce que Gwynplaine éprouvait était indicible [corrige "impensable"(?)] , la chair, la vie, l’effroi, la volupté [en sc. sur +] , une [corrige "l'"] ivresse accablée, et toute la quantité de honte qu’il y a dans l’orgueil. Est-ce qu’il allait ["Est-ce..." corrige "Où allait-il"] tomber ?
Elle répéta : — Je t’aime !
Et, frénétique, elle l’étreignit contre sa poitrine.
Gwynplaine [en sc. cursive sur "Tout à coup"] haletait.
Tout à coup, tout près d’eux, une petite sonnerie ferme et claire vibra. [faux départ: "La duchesse tourna la tête"] C’était le timbre ["d'or" barré] scellé dans le mur qui tintait. La duchesse tourna la tête, et dit :
— Qu’est-ce qu’elle me veut ?
Et [faux départ: "au même"] brusquement, avec le bruit d’une trappe à ressort, le panneau d’argent incrusté d’une ["incrusté d’une" corrige "rouge à" qui a été rayé, rétabli, à nouveau rayé puis corrigé; à la copie, VH corrige "argent à couronne"] couronne royale s’ouvrit.
L’intérieur d’un tour, tapissé de velours bleu prince ["bleu prince" corrige "bleu royal" qui corrige +; à la copie, VH corrige "bleu royal"] , apparut, avec une lettre sur une assiette d’or.
Cette lettre était volumineuse [corrige "large"] et carrée et posée de façon à montrer le cachet qui était une grande empreinte sur de la cire vermeille [corrige "rouge"] . Le timbre continuait de sonner.
Le panneau ouvert touchait presque au [f° 480, H19] canapé où tous deux étaient assis. La duchesse, penchée et se retenant d’un bras au cou de Gwynplaine, étendit l’autre bras, prit la lettre sur l’assiette ["sur l’assiette" ajouté] , et repoussa le panneau. Le tour se referma et le timbre se tut.
La duchesse cassa la cire entre ses doigts, ["et" barré] défit [un mot en addition abandonnée] l’enveloppe, en tira deux plis qu’elle contenait, et ["la" barré] [", en tira...": addition; elle se substitue à "qu'elle"] jeta l’enveloppe [ajouté] à terre aux pieds de Gwynplaine. [1. "l'enveloppe qu'elle jeta à terre aux pieds de Gwynplaine." 2. "l'enveloppe, en tira deux plis qu'elle contenait et la jeta à terre aux pieds de Gwynplaine."]
Le sceau de cire ["de cire" ajouté; de même à la copie] brisé restait déchiffrable, et Gwynplaine put y distinguer une couronne royale et au-dessous la lettre A ["la lettre A" corrige "ces deux lettre Q A"] .
L’enveloppe déchirée étalait ses deux côtés, de sorte qu’on pouvait en même temps lire la suscription : A sa Grâce la duchesse Josiane. [Ce paragraphe est une addition. Elle est d'abord implantée au-dessus puis au-dessous de la ligne barrée de rédaction initiale: "["L'enveloppe": faux départ] La duchesse vida l'enveloppe."]
Les deux plis qu’avait contenus l’enveloppe étaient ["Les deux..." corrige la rédaction initiale: "L'enveloppe contenait deux plis,"] un parchemin et un vélin. Le parchemin était grand, le vélin était petit. Sur le parchemin était empreint un large sceau de chancellerie, en cette cire verte, dite cire de seigneurie [", en cette cire verte...": addition] . La duchesse, toute palpitante et les yeux noyés d’extase, fit une imperceptible moue d’ennui.
— Ah ! dit-elle, qu’est-ce qu’elle m’envoie là ? Une paperasse ! Quel trouble-fête que cette femme ! ["Quel trouble-fête...": l'écriture différente indique une addition]
Et, laissant de [en sc. sur "à(?)"] côté le parchemin, elle entrouvrit le vélin.
— C’est de son écriture. [phrase ajoutée] C’est de l’écriture de ma sœur. Cela me fatigue. Gwynplaine, je t’ai demandé si tu savais lire. Sais-tu lire ?
Gwynplaine fit de la tête signe que oui.
Elle [faux départ: "lui tendit"] s’étendit sur le canapé, presque comme une femme couchée, cacha soigneusement [ajouté] ses pieds [en sc. cursive sur "son bras"] sous sa robe et ses bras sous ses manches avec une pudeur bizarre, tout en laissant voir son sein, et, ["laissant voir...": ajouté] couvrant Gwynplaine d’un regard passionné, ["et" barré] elle lui tendit le vélin.
— Eh bien, Gwynplaine, tu es à moi. Commence ton service. Mon bien-aimé, lis-moi ce que m’écrit ["ce que m'écrit" corrige "la lettre de"] la reine.
Gwynplaine prit le vélin, il [ajouté] défit le pli, et ["lut d' " barré en correction cursive] , d’une voix où il y avait toutes sortes de tremblements, il lut :
[« A sa Grâce la duchesse Josiane" barré]
« Madame, [ligne ajoutée]
« Nous vous envoyons gracieusement la copie, ci-jointe, ["la copie..." corrige ", ci-jointe, la copie"] d’un procès-verbal [f° 481, I19] certifié et signé par notre serviteur William Cowper, ["chancelier" barré en correction cursive] lord chancelier de ce royaume d’Angleterre, et duquel il résulte cette particularité considérable que le fils légitime de lord Linnœus Clancharlie vient d’être constaté et retrouvé, sous le nom de Gwynplaine, dans la bassesse d’une existence ambulante et vagabonde et parmi des saltimbanques et bateleurs. Cette [corrige "La"] suppression d’état remonte à son plus bas âge. En conséquence des lois du royaume, et en vertu de son droit héréditaire, lord Fermain Clancharlie, fils de lord Linnœus, sera, ce jourd’hui même, admis et réintégré dans la chambre des lords. C’est pourquoi, voulant vous bien traiter et vous conserver la transmission des biens et domaines des lords Clancharlie Hunkerville, nous le substituons dans vos bonnes grâces à lord David Dirry-Moir. Nous avons [en sc. sur "l'avons"] fait amener lord Fermain dans votre résidence de Corleone-lodge ; ["Nous avons fait...": ajouté] nous [d'abord majuscule] commandons et voulons, comme reine et sœur, que notre dit ["notre dit" ajouté] lord Fermain Clancharlie, nommé [en sc. sur "dit"] jusqu’à ce jour Gwynplaine, soit votre mari, et vous l’épouserez, et c’est notre plaisir royal. »
Pendant que Gwynplaine lisait, avec des intonations qui chancelaient presque à chaque mot, ["les yeux baissés comme un coupable," mis entre barres verticales et barré] la duchesse, soulevée du coussin du canapé, écoutait, l’œil fixe. Comme Gwynplaine achevait, elle lui arracha la lettre.
— ANNE, REINE, dit-elle, lisant la signature avec une intonation de rêverie [", avec une intonation...": ajouté] .
Puis elle ramassa à terre le parchemin qu’elle avait jeté, et y promena son regard. C’était la déclaration des naufragés de la Matutina, copiée sur un procès-verbal signé du shériff de Southwark et du lord chancelier.
Le procès verbal lu, elle relut le message [corrige "le billet"] de la reine. Puis elle dit :
— Soit.
[f° 482, J19]
Et, calme, montrant du doigt à Gwynplaine la portière de la galerie ["de la galerie" ajouté] par où il était entré . [corrigé en deux-points à la copie]
— Sortez, dit-elle.
Gwynplaine, stupéfié [corrige "pétrifié"; la copie ne corrige pas] , demeura immobile.
Elle reprit, glaciale :
— Puisque vous êtes mon mari, sortez. [scénario schématique en 24 747, f° 246bisv°]
Gwynplaine [faux départ: "ne bougeait pas"] , sans parole, [", sans parole," ajouté] les yeux baissés comme un coupable, ["et ne comprenant plus," encadré de barres verticales et barré] ne bougeait pas.
Elle ajouta :
— Vous n’avez pas le droit d’être ici. C’est la place de mon amant.
Gwynplaine était comme cloué.
— Bien, dit-elle. Ce sera moi. Je m’en vais. Ah ! vous êtes mon mari ! Rien de mieux. Je vous hais. ["Je m'en vais...": ajouté. A la copie, VH écrit d'abord "Je sors.", puis corrige, signe que la copie a été corrigée avant le ms]
Et se levant, jetant à on ne sait qui dans l’espace un hautain geste d’adieu, elle sortit.
La portière de la galerie se referma sur elle.
[blanc jusqu'au bas de la feuille]
[f° 483, K19]
Gwynplaine demeura seul.
Seul en présence de cette baignoire tiède et de ce [en sc. sur +] lit défait.
La pulvérisation des idées était en lui a son comble. Ce qu’il pensait ne ressemblait pas à de la pensée. C’était une diffusion, une dispersion, l’angoisse d’être dans l’incompréhensible. Il avait en lui quelque chose comme le sauve-qui-peut ["le sauve-qui-peut" corrige "la déroute" qui corrige "la fuite"; à la copie, VH corrige "la déroute"] d’un rêve.
L’entrée dans les mondes inconnus n’est pas une chose simple.
[faux départ d'une demi-ligne]
A partir de [corrige "du"] ["moment où le mousse lui avait remis" barré] la lettre de la duchesse, apportée par le mousse, ["apportée..." ajouté] une série d’heures surprenantes avait commencé pour Gwynplaine, de moins en moins intelligibles [", de moins en moins..." corrige "; mais elles s'aggravaient"] . Jusqu’à cet instant il était ["Jusqu'à cet..." corrige "Il avait été"] dans le songe, mais il y voyait clair. Maintenant il y tâtonnait. ["Qu'est-ce que tout cela voulait dire?" encadré de barres verticales, puis barré; barré par VH à la copie]
Il ne pensait pas. Il ne songeait même plus. Il subissait. ["Inerte, immobile, attendant." rayé; de même à la copie]
Il restait assis sur le canapé, à l’endroit où la duchesse l’avait laissé.
Tout à coup il y eut dans cette ombre un bruit de pas. C’était un pas d’homme. Ce pas ["Ce pas" corrige "Il"] venait du côté opposé à la galerie par où était sortie la duchesse. Il approchait, et on l’entendait sourdement, mais nettement. Gwynplaine, quelle que fût [virgule barrée] son absorption, prêta l’oreille.
Subitement, au delà du rideau de toile d’argent que la duchesse avait laissé entrouvert, derrière le lit, la porte qu’il était aisé de soupçonner sous la glace peinte, s’ouvrit toute grande, et une voix mâle et joyeuse, chantant à pleine gorge, jeta dans la chambre aux miroirs ce refrain d’une vieille chanson française :
Trois p'tits gorets sur leur fumier
Juraient comm' des porteurs de chaise.
[f° 484, L19]
Un homme entra.
Cet homme avait l’épée au côté et ["un chapeau" barré en correction cursive] à la main un chapeau à plumes avec ganse et cocarde ["avec ganse..." ajouté] et il [ajouté] était vêtu d’un magnifique habit de mer, galonné.
Gwynplaine se dressa, comme si un ressort le mettait debout ["comme si..." corrige "comme jeté debout par un ressort"] .
Il reconnut cet homme et cet homme le reconnut.
De leurs deux bouches stupéfaites s’échappa en même temps ce double cri :
— Gwynplaine !
— Tom-Jim-Jack !
L’homme au chapeau à plumes marcha sur Gwynplaine, qui croisa les bras.
— Comment es-tu ici, Gwynplaine ?
— Et toi, Tom-Jim-Jack, comment y viens-tu ?
— [faux départ: "Gwynpl"] Ah ! je comprends. Josiane ! un caprice. Un saltimbanque qui est un monstre, c’est trop beau pour qu’on y résiste. Tu t’es déguisé pour venir ici, Gwynplaine.
— Et toi aussi, Tom-Jim-Jack.
— Gwynplaine, que signifie cet habit de seigneur ?
— Tom-Jim-Jack, que signifie cet habit d’officier ?
— Gwynplaine, je ne réponds pas aux questions.
— Ni moi, Tom-Jim-Jack.
— Gwynplaine, je ne m’appelle pas Tom-Jim-Jack.
— Tom-Jim-Jack, je ne m’appelle pas Gwynplaine.
— Gwynplaine, je suis ici chez moi.
— Je suis ici chez moi, Tom-Jim-Jack. [ces
deux répliques en addition]
— Je te défends de me faire écho. Tu as l’ironie, mais j’ai ma canne. [f° 485, M19] Trêve à tes parodies [corrige "ironies"] , misérable drôle. ["Je m'appelle lord David Dirry-moir. [corrigé "Je suis contre-amiral."] " le tout barré en correction immédiate et reporté plus loin]
Gwynplaine devint pâle.
— Drôle toi-même ! et tu me rendras raison de cette insulte.
— Dans ta baraque, tant que tu voudras. A coups de poing.
— Ici, et à coups d’épée.
— L’ami Gwynplaine, l’épée est affaire de gentilshommes. Je ne me bats qu’avec mes pareils. Nous sommes égaux devant le poing, inégaux devant l’épée. A l’inn Tadcaster, Tom-Jim-Jack peut boxer Gwynplaine. A Windsor, c’est différent. Apprends ceci : je suis contre-amiral.
— Et moi, je suis pair d’Angleterre.
L’homme en qui Gwynplaine voyait Tom-Jim-Jack éclata de rire.
— Pourquoi pas roi ? Au fait, tu as raison. Un histrion est tous ses rôles. Dis-moi que tu es Theseus, duc d’Athènes.
— Je suis pair d’Angleterre, et nous nous battrons [", et nous nous battrons" ajouté; correction mise entre barres verticales et abandonnée: "et je te châtierai", reportée et barrée également à la copie] .
— Gwynplaine, ceci devient long. Ne joue pas avec quelqu’un qui peut te faire fouetter. Je m’appelle lord David Dirry-Moir.
— Et moi, je m’appelle lord Clancharlie.
Lord David eut un second éclat de rire. ["eut un second...": addition ou correction abandonnée: "cette fois + + + + + +"]
— Bien trouvé. Gwynplaine est lord Clancharlie. C’est en effet le nom qu’il faut avoir pour posséder Josiane. Écoute, je te pardonne. Et sais-tu pourquoi ? C’est que nous sommes les deux amants.
[faux départ: "— Vous êtes les deux maris"]
La portière de la galerie s’écarta [corrige "s'ouvrit"] , et une voix dit :
— Vous êtes les deux maris, messeigneurs.
Tous deux se retournèrent.
[f° 486, N19]
— Barkilphedro, s’écria lord David!
C’était Barkilphedro, en effet.
Il saluait profondément les deux lords, avec un sourire.
Derrière lui, à quelques pas, on apercevait un gentilhomme au visage respectueux et sévère qui avait une baguette noire à la main.
Ce gentilhomme s’avança ["vers Gwynplaine" barré] , fit trois révérences [", et dit:" barré] à Gwynplaine, et lui dit : ["à Gwynplaine, ..." ajouté]
— Mylord, je suis l’huissier de la verge noire. Je viens chercher votre seigneurie, conformément aux ordres de sa majesté.
[f° 487, non paginé par VH, papier blanc]
2e [à la copie: "3e"] partie
_____
[copie: "26 doubles pages" rayé"]
_____
[f° 488, O19. Au coin supérieur droit, la date "30 mai 1868"]
La redoutable ascension, qui, depuis tant d'heures déjà, variait ses éblouissements sur Gwynplaine, ["continuait" barré en correction cursive] et qui l'avait [deux ou trois mots barrés en correction cursive] emporté à Windsor, le remporta à Londres.
Les réalités visionnaires se succédèrent devant lui, sans solution de continuité.
Nul moyen de s’y soustraire. Quand une le quittait, l’autre le reprenait.
Il n’avait pas le temps de respirer. [paragraphe ajouté]
Qui a vu un jongleur a vu le sort. Ces projectiles tombant [en sc. sur "remontant"(?)] , montant et retombant, ["Ces projectiles..." correction abandonnée: "Ces billes + + + + même temps que projectiles, tombant pour remonter et montant pour retomber,"] ce sont les hommes dans la main du destin.
Projectiles, et jouets. [paragraphe ajouté]
Le soir de ce même jour, Gwynplaine était dans un lieu extraordinaire. [Exécute peut-être la note de régie "Indiquer que les détails vont être très curieux." (24 747, f° 281)]
Il était assis sur un banc fleurdelysé ["d'or" corrigé "d'argent", le tout barré] . Il avait par-dessus ses habits de soie une robe de velours écarlate [corrige "pourpre"] doublée ["d'hermine" barré en correction cursive] de taffetas blanc avec rochet d’hermine et aux épaules deux bandes d’hermine bordées [en sc. sur "galonnées"] d’or. [ajouté] ["à galons d'or." barré; Hugo a écrit la correction avant de supprimer "galonnées", puis l'a rayée et remplacée par la surcharge et l'ajout]
Il avait autour de lui des hommes de tout âge, jeunes et vieux, [deux ou trois mots barrés, sans doute en correction cursive] assis comme lui sur les fleurs de lys et comme lui vêtus ["de pourpre" barré en correction cursive] d’hermine et de pourpre.
Devant lui, ["à ses pieds," addition abandonnée] il apercevait d’autres hommes, à genoux. Ces hommes avaient des robes de soie noire. [phrase ajoutée] Quelques-uns de ces hommes agenouillés écrivaient.
En face de lui, à quelque distance, il apercevait des marches, une estrade, un dais, un large écusson étincelant entre un lion et une licorne, et, sous ce dais, [", sous ce dais," ajouté] sur cette estrade, au haut de ces marches, adossé à cet écusson, un fauteuil doré et couronné. C’était un trône.
Le trône de la Grande Bretagne [corrige "d'Angleterre"] .
Gwynplaine était ["dans la chambre des" barré en correction cursive] , pair lui-même, dans la chambre des pairs d’Angleterre.
[f° 489, P19]
["Voici" barré] De [d'abord
minuscule] quelle façon avait eu lieu cette introduction [corrige "entrée"] de Gwynplaine à la
chambre des lords ? [corrige point]
Disons-le. [ajouté]
Toute la journée, depuis le matin jusqu’au soir, depuis Windsor jusqu’à Londres, ["depuis Windsor..." ajouté] depuis Corleone-lodge jusqu’à Westminster-Hall, avait été une montée d’échelon en échelon. A chaque échelon nouvel étourdissement. ["Un élargissement d'horizon indéfini.", encadré de barres verticales puis barré]
Il avait été emmené de Windsor dans les ["propres" rayé] voitures de la reine, [corrige immédiatement un point] avec l’escorte due à un ["lord" barré en correction cursive] pair. La garde qui honore ressemble beaucoup à la garde qui garde.
Ce jour-là, les riverains de la route de Windsor à Londres virent galoper [en sc. sur "parader"(?)] ["au grand trot" barré] une cavalcade de [oublié et ajouté] gentilshommes pensionnaires de sa majesté accompagnant deux [corrige "une"; les singuliers qui suivent sont aussi corrigés] chaises ["fermées" barré] menées grand train en poste royale. Dans la première [corrige "Sur le siège"] était assis l’huissier de la verge noire, sa baguette à la main ["sa baguette..." ajouté] . Dans la seconde on distinguait un large chapeau à plumes blanches couvrant [en sc. cursive sur "cachant"] d’ombre un visage qu’on ne voyait pas. ["Dans la seconde..." addition] [faux départ: "Etait-ce un prince"] Qui est-ce qui passait là ? était-ce un prince ? était-ce un prisonnier ?
C’était Gwynplaine.
Cela ["avait la" barré en correction cursive] avait l’air de quelqu’un qu’on mène à la tour de Londres, à moins que ce ne fût quelqu’un qu’on menât à la chambre des pairs [en sc. sur "lords"] .
La reine avait bien fait les choses. Comme il s’agissait du futur [ajouté] mari de sa sœur, elle avait donné une escorte de son propre service. [paragraphe en addition]
[La fin de la feuille est occupée par un texte encadré et barré à grands traits, qui est repris et augmenté au folio suivant:
"A Brentford, dernier relai avant Londres,
[quatre ou cinq mots barrés, peut-être en correction cursive] un
carrosse d'écaille à quatre chevaux attendait avec un cocher en
perruque et deux postillons en livrée ["auxquels + +" barré] ["avec un
cocher en perruque...": ajouté] . Sur l'invitation bien respectueuse
de l'huissier à la verge noire, Gwynplaine descendit de la chaise et
monta dans le carrosse.
Il était vêtu de soie sous une cape de voyage, et il avait sur la tête un large chapeau à plumes blanches dont l'ombre lui cachait le visage. [quatre ou cinq mots barrés] [paragraphe en addition]
L'huissier de la verge noire prit place dans le carrosse sur la banquette de devant. [paragraphe en addition, antérieur à l'addition qui précède]
Gwynplaine [corrige "Il"] remarqua la livrée des postillons du carrosse d'écaille, très différente du ["très différente..." corrige "qui n'était plus le"] hoqueton royal du postillon [corrige le pluriel] de la chaise.
Il demanda à l'huissier de la verge noire:
— Quelle est cette livrée ?"]
[f° 490, Q19; folio intercalé, réfection de la fin du folio précédent]
L’officier de l’huissier de la verge noire était à cheval en tête du cortége.
L’huissier de la verge noire avait dans sa chaise sur un strapontin ["dans sa chaise..." corrige "sur un strapontin dans sa chaise" qui lui-même corrige, en correction cursive, "dans sa chaise sur la banquette"] un coussin de drap d’argent. Sur ce coussin était posé un ["large" barré] portefeuille noir timbré d’une couronne royale.
A Brentford, dernier relai avant Londres, les deux chaises et l’escorte ["et l'escorte" corrige + +] firent halte.
Un carrosse d’écaille attelé de [addition abandonnée de deux ou trois mots] ["attelé de" corrige "à", correction antérieure à l'addition abandonnée qui précède] quatre chevaux attendait, avec quatre laquais derrière, deux postillons devant, et un cocher en perruque. Roues, marchepieds, soupentes, timon, [ajouté] tout le train de ce carrosse était doré. Les chevaux étaient harnachés d’argent. ["Roues...": addition, antérieure à l'addition qui suit]
Ce coche de gala était d’un dessin altier et surprenant, et eût magnifiquement figuré parmi les cinquante et un carrosses célèbres dont Roubo nous a laissé les portraits. [paragraphe en addition]
L’huissier de la verge noire ["descendit de sa chaise" barré en correction cursive] mit pied à terre, ainsi que son officier.
L’officier de l’huissier ["de l'huissier": addition, postérieure à la suivante] retira du ["retira du" corrige "prit sur le"] strapontin de la chaise de poste ["retira..." : addition, elle se substitue à "prit"] le coussin de drap d’argent sur lequel était le portefeuille à couronne, le prit sur ses deux mains, ["le prit..." ajouté] et se tint debout derrière l’huissier.
L’huissier de la verge noire ouvrit la portière du carrosse qui était vide ["qui était vide" ajouté] , puis la portière de la chaise où était Gwynplaine, et, baissant les yeux, [", baissant les yeux," ajouté; de même à la copie] invita respectueusement Gwynplaine prendre place dans le carrosse.
Gwynplaine descendit de la chaise et monta dans le carrosse.
L’huissier portant la verge ["portant..." ajouté] et l’officier portant le coussin y entrèrent [corrige "s'y placèrent"] après lui, et y occupèrent la banquette basse destinée aux pages dans les anciens coches [corrige "carrosses"] de cérémonie.
Le carrosse était tendu à l’intérieur de satin blanc garni [corrige "encadré"(?)] d’entoilage de Binche avec crêtes ["d'arg" barré en correction cursive] et glands d’argent. Le plafond était armorié.
Les postillons des deux chaises [un mot barré en correction cursive] qu’on venait de quitter ["qu'on venait..." ajouté; ajouté par la copiste] étaient vêtus du hoqueton royal. Le cocher, les postillons et les laquais du carrosse où l’on entrait ["où l'on entrait" ajouté] avaient une autre livrée, très magnifique.
Gwynplaine, à travers le somnambulisme où il était comme anéanti ["comme anéanti" ajouté] , ["demanda + + +" barré, peut-être en correction cursive] remarqua cette fastueuse valetaille et demanda [f° 491, R19] à l’huissier de la verge noire :
— Quelle est cette livrée ? ["à l'huissier...": ajouté pour le raccord avec le folio précédent, intercalé]
L’huissier de la verge noire répondit :
— La vôtre, mylord.
Ce jour-là, la chambre des lords devait siéger le soir. Curia erat serena, disent les vieux procès-verbaux. En Angleterre, la vie parlementaire est volontiers une vie nocturne. On sait qu’ ["On sait qu' " ajouté; de même à la copie] il [d'abord majuscule] arriva une fois à Sheridan de commencer a minuit un discours et de le terminer au lever du soleil.
Les deux chaises de poste ["de poste" ajouté] retournèrent à vide à Windsor ; le carrosse ou était Gwynplaine se dirigea vers Londres. [paragraphe ajouté]
["A Brentford le cérémonial commença." barré] Le carrosse d’écaille à quatre chevaux ["prit possession du nouveau lord." addition abandonnée] ["Le carrosse..." corrige "On" Soit: 1. "On alla au pas..." 2. Le carrosse d'écaille prit possession du nouveau lord. On alla au pas..."] alla au pas de Brentford à Londres. La dignité de la perruque du cocher l’exigeait.
Le cérémonial, sous la figure de ce cocher solennel, prenait possession de Gwynplaine. ["Le cérémonial..." corrige "Sous la figure du cocher solennel, le cérémonial..."] [paragraphe en addition]
Ces retards, du reste, étaient, selon toute apparence, calculés. On en verra plus loin le motif probable. ["On en verra..." ajouté] [en face de ces lignes un point d'interrogation barré]
Il n’était pas encore nuit, mais il s’en fallait de peu, ["Il n'était..." corrige "La nuit tombait"] quand le carrosse d’écaille s’arrêta devant la King’s Gate, lourde [réécrit ou en sc. sur +] porte surbaissée entre deux tourelles qui communiquait de White-Hall à Westminster.
La cavalcade des gentilshommes [ajouté] pensionnaires fit groupe [corrige "haie"(?)] autour du carrosse. [Ce paragraphe commence une addition dont la suite est abandonnée:] ["Un + + + était mêlé + + + + habit civil qui était différent de l'huissier de la verge noire.
Cet officier tira des fontes de sa selle un portefeuille maroquin noir timbré d'une + + + dorée, et mit + + +.
Puis, ayant ce portefeuille sous le bras, il vint ouvrir la porte du carrosse." Cette addition, avant d'être barrée à grands traits, se substituait à la rédaction initiale, également barrée à grands traits:
"Gwynplaine descendit du carrosse. ["Conduit par l'huissier de la verge noire" barré]
L'huissier de la verge noire lui dit ["lui dit" corrige "dit à Gwynplaine"] :
— Que votre seigneurie garde son chapeau sur la tête.
Puis il marcha devant Gwynplaine.
— Que votre seigneurie daigne me suivre." Ce texte est refait dans
les lignes qui suivent.]
Un des valets de pied de l’arrière sauta sur le pavé, et ["sauta...": ajouté] ouvrit la portière.
L’huissier de la verge noire, suivi de son officier portant le coussin, [", suivi de son...": ajouté] sortit du carrosse et dit à Gwynplaine :
— Mylord, daignez descendre. Que votre seigneurie garde son chapeau sur sa tête.
Gwynplaine était vêtu, sous son manteau de voyage, de l’habit de soie qu’il n’avait pas quitté depuis la veille [", sous son manteau..." corrige "d'un habit + + + +"] . Il n’avait pas d’épée.
Il laissa son manteau dans le carrosse. ["Gwynplaine était vêtu...": addition]
Sous la voute carrossière de la King’s Gate il y avait une porte latérale petite et exhaussée de quelques degrés.
Dans les choses d’apparat, le respect est de précéder.
L’huissier de la verge noire, ayant derrière lui son officier, ["toujours portant" barré en correction cursive] marchait devant ["marchait devant" est substitué à "passa le premier sous cette porte"] .
Gwynplaine suivait [en sc. sur "suivit"] .
Ils montèrent le degré, et entrèrent sous la porte latérale.
Quelques instants après, ils étaient dans une chambre ronde et large avec pilier au centre ["chambre ronde..." corrige "salle basse, ronde et large"] , un bas de tourelle, salle de rez-de chaussée ["de rez-de chaussée" remplace "très obscure"] , éclairée [+ barré] [f° 492, S19] d’ogives étroites comme des lancettes d’abside, et qui devait être obscure [corrige "crépusculaire"] même en plein midi. Peu de lumière fait parfois partie de la solennité. L’obscur est majestueux. ["Peu de lumière...": addition]
Dans cette chambre treize hommes se tenaient debout. Trois en avant, six au deuxième rang, quatre en arrière.
Des trois premiers un avait une cotte de velours incarnat [ajouté] , et les deux autres des cottes vermeilles aussi, mais ["vermeilles aussi...": addition] de satin. Tous trois ["Tous trois" corrige "Ils"] avaient les armes d’Angleterre brodées sur ["la poitrine." barré, peut-être en correction cursive] l’épaule.
Les six du second rang étaient vêtus de vestes dalmatiques en moire blanche ["en moire blanche" corrige "blanches"] ["vestes...": remplace "noir"] , chacun avec un blason différent sur la poitrine.
Les quatre derniers, tous en moire noire ["en moire noire" corrige "en noir"] , étaient distincts les uns des autres, le premier par une cape bleue, le deuxième par un Saint Georges écarlate sur l’estomac, le troisième par [oublié et ajouté] deux croix cramoisies brodées sur sa poitrine et sur son dos, le quatrième par un collet de fourrure noire appelée peau de sabelline. Tous étaient [au dessus de "se taisaient"(?) barré] en perruque, ["en perruque," ajouté] nu-tête et avaient [ajouté] l’épée au côté.
On distinguait à peine leurs visages dans la pénombre. Eux ne pouvaient voir la figure de Gwynplaine. [phrase ajoutée]
L’huissier de la verge noire éleva sa baguette et dit :
— Mylord Fermain Clancharlie, baron Clancharlie et Hunkerville, moi huissier de la verge noire, premier officier de la chambre de présence, je remets votre seigneurie à Jarretière, roi d’armes d’Angleterre. ["L’huissier de la verge noire éleva sa baguette...": addition]
Le personnage à cotte de velours ["fit un pas" barré] , laissant les autres derrière lui, salua Gwynplaine jusqu’à terre et dit :
— Mylord Fermain Clancharlie ["Fermain Clancharlie" ajouté] , je suis Jarretière, premier [ajouté] roi d’armes d’Angleterre. Je suis l’officier créé et couronné [", et baptisé d'un verre de vin sur la tête," barré et déplacé] par sa grâce le duc de Norfolk, comte-maréchal héréditaire ["d'Angleterre" barré] . J’ai juré obéissance au roi, aux pairs et aux chevaliers de la Jarretière. ["J'ai promis," barré en correction cursive] Le jour de mon couronnement, où le comte-maréchal d’Angleterre ["d’Angleterre" ajouté] m’a versé un gobelet de vin sur la tête, j’ai ["promis d" barré en correction cursive] solennellement promis d’être officieux à la noblesse, d’éviter la compagnie des personnes de mauvaise réputation, d’excuser plutôt que de blâmer les gens de qualité, et d’assister les veuves et les vierges. C’est moi qui ai charge de régler les cérémonies de l’enterrement des pairs et qui ai le soin et la garde de leurs armoiries. Je me mets aux ordres de votre seigneurie. [phrase ajoutée]
Le premier des deux autres en cottes de satin fit une révérence, et dit :
[f° 493, T19]
— Mylord, je suis Clarence [variante sans choix "Clarencieux" barrée à la copie] , deuxième roi d’armes d’Angleterre. Je suis l’officier qui règle ["Je suis..." corrige "Je règle"] l’enterrement des nobles au-dessous des pairs. Je me mets aux ordres de votre seigneurie. [phrase ajoutée]
L’autre homme à ["L'autre..." corrige "Le deuxième en"] cotte de satin salua ["à son tour" barré] , et dit :
— Mylord, je suis Norroy, troisième roi d’armes d’Angleterre. Je me mets aux ordres de votre seigneurie. [phrase ajoutée]
Les six du second rang, immobiles et sans saluer, firent un pas.
Le premier à la droite de Gwynplaine, dit :
— Mylord, nous sommes les six ducs [corrige "héraults"] d’armes d’Angleterre. Je suis York.
Puis chacun des héraults ou ducs d’armes ["des héraults...": addition en deux temps: "des héraults" d'abord] prit la parole à son tour, et se nomma.
— Je suis Lancastre.
— Je suis Richmond.
— Je suis Chester.
— Je suis Somerset.
— Je suis Windsor,
Les blasons qu’ils avaient sur la poitrine étaient ceux des comtés et des villes dont ils portaient les noms.
Les quatre, qui étaient habillés de noir, derrière les hérauts, gardaient le silence.
Le roi d’armes Jarretière les montra du doigt à Gwynplaine et dit :
— Mylord, voici les quatre poursuivants d’armes. — Manteau Bleu.
L’homme à la cape bleue salua de la tête.
— Dragon Rouge.
L’homme au Saint Georges salua.
— Rouge-Croix.
L’homme aux croix écarlates salua.
— Porte-coulisse.
L’homme à la fourrure ["noire" barré] de sabelline ["à la fourrure..." corrige "au collet de sabelline"] salua.
["L'homme à la verge noire +, et dit:
— Mylord
Fermain Clancharlie, baron Hunkerville, mon office est terminé. ["Je
ren" barré en correction cursive] + + + + + ["premiers officiers + + +
" addition] + + + je remets + + + + à Jarretière, roi d'armes." Ces
cinq lignes barrées]
Sur un signe du roi d’armes, le premier des poursuivants, Manteau Bleu, s’avança, et prit [corrige "reçut"] des mains de l’officier de l’huissier le coussin de drap d’argent [au-dessous, une correction abandonnée d'un ou deux mots] et le portefeuille à couronne. [ce paragraphe semble ajouté]
[f° 494, U19. Au coin supérieur droit, cette date: "28 mai"; cf. le folio 488 qui porte la date du "30 mai"]
Et le roi d’armes dit à l’huissier de la verge noire :
— Ainsi soit. Je donne à Votre Honneur réception de sa seigneurie ["Je donne..." corrige, sans doute en correction cursive: "Je vous donne réception"] . ["Et le roi d'armes dit...": réécrit en marge un texte de même contenu, plusieurs fois corrigé et barré. On distingue: "Et le roi d'armes dit à Gwynplaine / — Je donne à votre seign" / "Je donne réception à votre seigneurie."]
Ces pratiques d’étiquette et d’autres ["Ces pratiques..." réécrit en marge le même texte barré en même temps que les lignes qui précèdent] qui vont suivre [corrige + ou le réécrit] [un mot barré] étaient [mis au pluriel] le vieux cérémonial antérieur à Henri VIII, qu’Anne essaya, pendant un temps, de faire revivre. Rien de tout cela ne se fait plus aujourd’hui. Pourtant la chambre des lords se croit immuable ; et si l’immémorial existe quelque part, c’est là.
Elle change toutefois. E pur si muove. [depuis le début du folio: ensemble d'additions, selon l'ordre 1. "Ces pratiques d'étiquette et d'autres..."; 2. "Je donne réception à votre seigneurie" 3. "Et le roi d'armes dit à l'huissier de la verge noire...".]
Qu’est devenu, par exemple, [", par exemple," ajouté] le may pole, ce mât de mai que la ville de Londres plantait [corrige "dressait"] sur le passage des pairs [corrige "lords"] allant au parlement ? Le dernier qui ait fait figure a été arboré en 1713. Depuis, le « may pole » a disparu. Désuétude. [paragraphe en addition; elle est postérieure aux additions qui commencent le folio]
L’apparence, c’est l’immobilité ; la réalité, c’est le changement. Ainsi prenez ce titre: Albemarle. Il semble éternel. Sous ce titre ont passé six familles : Odo, Mandeville, Béthune, Plantagenet, Beauchamp, Monck. Sous ce titre, ["ce titre," ajouté] Leicester, se sont succédé cinq noms différents : Beaumont, Brewose, Dudley, Sidney, Coke. Sous Lincoln, six. Sous Pembroke, sept. Etc. Les familles changent sous les titres qui ne bougent pas. L’historien superficiel croit à l’immuabilité. Au fond, nulle durée. L’homme ne peut être que flot. L’onde, c’est l’humanité. ["L'apparence...": addition de second niveau, ajoutée à celle qui précède]
[la rédaction initiale du folio commence ici] Les aristocraties ont pour orgueil [corrige "gloire"] ce que les femmes ont pour humiliation: vieillir ; mais femmes et aristocraties ont la même illusion : se conserver.
["Si l'on présentait à la chambre des lords
d'aujourd'hui le miroir d'autrefois [correction: "son image de
jadis"], elle ne s'y reconnaîtrait point, bien qu'elle ne se sente(?)
pas changée." le tout rayé et réécrit dans l'addition qui suit.]
Il est probable que la chambre des lords ne se reconnaîtra point dans ce qu’on vient de lire et dans ["Il est probable..." corrige:
"Nous allons essayer de le faire ici.
Il est probable qu'elle trouvera inexact"]
ce qu’on va lire, un peu comme la jolie femme ["jolie femme" corrige "belle"] d’autrefois qui ne veut pas avoir de rides. Le miroir est un vieil accusé ; il en prend son parti.
Faire ressemblant, c’est là tout le devoir de l’historien. ["L'huissier de la verge noire se retira." paragraphe barré]
Le roi d’armes s’adressa ["de nouveau" barré] à Gwynplaine.
— Veuillez me suivre, mylord.
Il ajouta :
— On vous saluera. Votre seigneurie soulèvera seulement le bord de son chapeau. ["Il ajouta..." addition]
Et l’on se dirigea en cortège ["Et l'on..." corrige "Et il se mit en marche [corrigé "dirigea"] "] vers une porte qui était au fond de la salle ronde.
L’huissier de la verge noire ouvrait la marche. [paragraphe ajouté]
Puis [ajouté] Manteau Bleu [faux départ: "all"] , portant le coussin ; [corrige virgule] ["allait devant" barré] puis le roi d’armes ; derrière ["puis le roi..." ajouté] ["puis" barré] le roi d’armes était Gwynplaine ["était Gwynplaine" corrige "Gwynplaine derrière"] [soit: 1. "portant le coussin, allait devant; Gwynplaine derrière" 2. "portant le coussin, allait devant, puis le roi d'armes; Gwynplaine derrière" 3. "portant le coussin, allait devant le roi d'armes, Gwynplaine derrière" qui est le texte corrigé par Hugo à la copie] , le chapeau sur la tête [", le chapeau..." ajouté].
Les autres, ["restèrent dans la salle ronde." barré en correction cursive] rois d’armes, hérauts, poursuivants, restèrent dans la salle ronde.
Gwynplaine, précédé de l’huissier de la verge noire et ["précédé..." ajouté] sous la conduite du roi d’armes, suivit de salle en salle un itinéraire qu’il serait impossible de retrouver aujourd’hui, le vieux logis du parlement d’Angleterre ayant été démoli,
Il traversa entr'autres cette gothique [corrige "vieille"] chambre d’état où avait eu lieu la rencontre [corrige "l'entrevue"] suprême de Jacques II et de Monmouth, et qui avait vu l’agenouillement inutile du neveu lâche devant l’oncle féroce. Autour de cette chambre [corrige "salle"] étaient rangés sur le mur ["sur le mur ajouté], par ordre de dates, avec leurs noms et leurs blasons, ["avec leurs noms..." ajouté; de même à l'autographe de la copie] neuf portraits en pied d’anciens pairs : lord Nansladron, 1305. Lord Baliol, 1306. Lord Benestede, 1314. Lord Cantilupe, 1356. Lord Montbegon, 1357. Lord Tibotot, 1372. Lord Zouch of Codnor, 1615. Lord Bella-Aqua. Sans date. Lord Harren and Surrey, comte de Blois. Sans date. ["Il traversa...": paragraphe en addition de troisième niveau; ajout autographe à la copie recopié du manuscrit]
La nuit étant venue, il y avait ["il y avait" ajouté] des lampes ["étaient allumées" barré] de distance en distance dans les galeries. Des lustres de cuivre à chandelles [en sc. sur "bougies"] de cire étaient allumés dans les salles, éclairées à peu près comme des bas-côtés d’église. ["La nuit était venue...": addition de premier niveau]
On n’y rencontrait que les personnes nécessaires. [paragaraphe ajouté à l'addition précédente, second niveau]
Dans une chambre que le cortége ["que le cortége" corrige "qu'il"] traversa se tenaient debout, la tête respectueusement inclinée, les quatre clercs du signet, et le clerc des papiers d’état.
Dans une autre était l’honorable Philip Sydenham, chevalier banneret, seigneur de Brympton en Somerset. Le chevalier banneret ["Le chevalier...": pluriel corrigé en correction cursive] est le chevalier fait en guerre par le roi sous la bannière royale déployée. [paragraphe en addition]
Dans une autre était le plus ancien baronet d’Angleterre, sir [ajouté] Edmund [corrige un autre nom] Bacon de Suffolk, [faux départ: "quali"] héritier de sir Nicholas, et qualifié primus baronetorum Angliæ. Sir Edmund avait derrière lui ["son écuyer" barré en correction cursive] son arcifer portant son arquebuse et son écuyer [f° 495 blanc; f° 496, V19] portant les armes d’Ulster, les baronets étant les défenseurs nés du comté d’Ulster en Irlande.
Dans une autre était le chancelier de l’échiquier, accompagné de ses quatre maîtres des comptes et des deux députés du lord-chambellan chargés de fendre les tailles. ["Ces sept personnages firent la révérence au nouveau lord." barré] ["Dans une autre...": addition de premier niveau] Plus le maître des monnaies, ayant dans sa main ouverte une livre sterling, faite, comme c’est l’usage pour les pounds, au moulinet. Ces huit personnages firent la révérence au nouveau lord. ["Plus le maître...": addition de second niveau]
A l’entrée du corridor tapissé d’une natte qui était la communication de la chambre basse à la chambre haute, Gwynplaine fut salué par sir Thomas Mansell de Margam, controleur de la maison de la reine et membre du parlement pour Glamorgan ; et, à la sortie, par une députation « de un sur deux » des barons des Cinq-Ports, rangés à sa droite et à sa gauche ["à sa droite...": ajouté] quatre par quatre, les Cinq-Ports étant huit. William Ashburnham le salua pour Hastings, Matthew Aylmor pour Douvres, Josias Burchett pour Sandwich, sir Philip Boteler pour Hyeth, John Brewer pour New Rumney, Edward Southwell pour la ville de Rye, James Hayes pour la ville de Winchelsea, et Georges Nailor pour la ville de Seaford.
Le roi d’armes, comme Gwynplaine allait rendre le salut, lui rappela à voix basse le cérémonial.
— Seulement le bord du chapeau, mylord.
Gwynplaine fit comme il lui était indiqué. ["Le roi d’armes, comme...": addition]
Il arriva à la chambre peinte, où il n’y avait pas de peinture, si ce n’est quelques figures de saints, entr'autres saint Edouard, sous les voussures des longues fenêtres ogives coupées en deux par le plancher, desquelles ["par le plancher, desquelles" corrige ", dont"] Westminster-Hall avait [en sc. sur "a"] le bas et la chambre peinte, le haut.
En deçà de la barrière de bois qui [faux départ: "séparait en deux la"] traversait de part en part ["de part en part" ajouté] la chambre peinte, se tenaient les trois secrétaires d’état, hommes considérables [", hommes..." ajouté] . Le premier de ces officiers ["de ces..." ajouté corrige "dont"] avait [addition abandonnée d'un mot] dans ses attributions le sud de l’Angleterre, l’Irlande et les colonies, plus la France, la Suisse, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Turquie. Le deuxième dirigeait le nord de l’Angleterre, avec surveillance sur les Pays-Bas, l’Allemagne, le Danemark, la Suède, la Pologne et la Moscovie. Le troisième, écossais, avait l’Écosse. Les deux premiers étaient anglais. L’un d’eux était l’honorable Robert Harley, membre du parlement pour la ville de New-Radnor. Un député d’Écosse, Mungo Graham [corrige "Grahme"], esquire, parent du duc de Montrose, ["parent..." ajouté] était présent. Tous saluèrent ["le nouveau" barré en correction cursive] Gwynplaine en silence.
Gwynplaine toucha le bord de son chapeau. [paragraphe ajouté]
Le garde-barrière leva le bras de bois sur charnière qui donnait [corrige "donne"] entrée sur l’arrière de la chambre peinte où était [corrige "est"] la longue table verte [ajouté] drapée [en sc. sur +] , réservée aux seuls lords.
Il y avait sur la table un candélabre allumé. [paragraphe ajouté]
Gwynplaine, précédé de l’huissier de la verge noire, ["de l'huissier..." ajouté] de Manteau Bleu et de Jarretière, pénétra [corrige "entra"] dans ce compartiment [f° 497, X19] privilégié.
Le garde-barrière referma l’entrée derrière Gwynplaine [en sc. sur "lui"] . [paragraphe ajouté]
Le roi d’armes, sitôt la barrière franchie, s’arrêta. [", sitôt..." en sc. sur "dit à Gwynplaine:
— Votre seigneurie rendra le salut." qui est repris plus loin]
La chambre peinte était spacieuse. [paragraphe ajouté]
On apercevait au fond, debout au dessous de l’écusson royal qui était entre les deux fenêtres, deux vieillards [corrige "hommes"] vêtus de robes de velours rouge avec deux bandes d’hermine ourlées de galons d’or sur ["chaque" barré en correction cursive] l’épaule et des chapeaux à plumes blanches sur leurs perruques ["leurs..." corrige "la tête"] . Par la fente des robes on voyait leur habit ["leurs habits" mis au singulier] de soie et la [mis au singulier] poignée de [un mot barré en correction cursive] leur épée.
Derrière eux était immobile un homme habillé en moire noire, ["habillé en moire noire," corrige "en noir"] portant haute une grande masse d’or surmontée d’un lion couronné.
C’était le massier des pairs d’Angleterre.
Le lion est leur insigne. « Et les lions ce sont les Barons et li Per », dit la chronique manuscrite de Bertrand Duguesclin. [ces deux paragraphes sont en addition]
Le roi d’armes [faux départ: "parla bas à l'oreille de Gwynplaine, et lui"] montra à Gwynplaine les deux personnages ["s" final oublié, ajouté] en robes de velours, et lui dit à l’oreille :
— Mylord, ceux-ci sont vos égaux. Vous rendrez le salut exactement comme il vous sera fait. Ces deux seigneuries ici présentes sont deux barons ["sont deux barons" corrige "sont, comme vous, barons" qui corrige "sont les deux plus anciens barons + +"] et vos parrains désignés par le lord-chancelier. ["désignés...": ajout; il remplace "+ + et qui vont vous" barré, initalement, en correction cursive] ["Ils le sont par l'ancienneté de la pairie, ils le sont aussi par l'âge."] Ils sont très vieux, et presque aveugles. [faux départ: "Le premier"] Ce sont eux qui vous vont introduire dans la chambre des lords. Le premier est Charles Mildmay, lord Fitzwalter, sixième [corrige "cinquième"] seigneur [corrige "lord"] du banc des barons, le second est Augustus [corrige "John"] Arundel, lord Arundel de Trerice, trente-huitième seigneur [corrige "lord"] du banc des barons. ["Charles Midmay..." reprend et corrige en marge le texte initial: "+ +, baron Al+, le second est + [corrigé "Augustus"] Tonchet, baron Andley. L'homme derrière eux est le + + + d'Angleterre."]
Le roi d’armes, [un mot barré en correction cursive] faisant un pas vers les deux vieillards, éleva la voix :
— Fermain Clancharlie, baron Clancharlie, baron Hunkerville, marquis de Corleone en Sicile, pair du royaume, salue vos seigneuries.
Les deux lords soulevèrent leurs chapeaux au-dessus de leur [corrige "la"] tête de toute la longueur du bras, puis se recoiffèrent.
Gwynplaine leur rendit ce salut de la même manière ["de la même manière" ajouté] .
L’huissier de la verge noire avança, puis Manteau Bleu, puis Jarretière. ["L'huissier..." corrige "Manteau Bleu avança, puis Jarretière."]
Le massier vint se placer devant Gwynplaine, et les deux lords à ses côtés, lord ["Al+" barré] [f° 498, Y19] Fitzwalter à sa droite et lord Arundel de Trerice à sa gauche. ["Fitzwalter..." corrige, en marge, "à sa droite et lord Audley(?) à sa gauche." Cette correction est postérieure à l'addition qui suit.] Lord Arundel [corrige "Fitzwalter" qui corrige "+"] était fort cassé, et le plus vieux des deux. Il mourut l’année d’après, léguant ["sa pairie" barré en correction cursive] à son petit-fils John, mineur ["John, mineur" corrige "mineur James"] , [en réalité point, que VH oublie de corriger au ms mais qu'il corrige à la copie] sa pairie qui, du reste, devait s’éteindre en 1768 [en sc. sur "1756"(?)] . ["Lord Arundel...": addition]
Ce cortége ["se mit en marche" barré en correction cursive] sortit de la chambre peinte et s’engagea ["s’engagea" corrige "se mit en marche"] dans une galerie [deux ou trois mots barrés] à pilastres où alternaient, en sentinelle de pilastre en pilastre, des pertuisaniers [corrige "hallebardiers"; de même à la copie] d’Angleterre et des hallebardiers [corrige "pertuisaniers"; de même à la copie] d’Écosse.
Les hallebardiers écossais étaient cette magnifique troupe aux jambes nues digne de faire face, plus tard, à Fontenoy, à la cavalerie française et à ces [corrige "ce"] [un mot, "régiment"(?), barré en correction cursive] cuirassiers du roi auxquels leur colonel disait : Messieurs les maîtres, [un mot, non souligné, barré] assurez vos chapeaux, nous allons avoir l’honneur de charger [en sc. sur +] .
Le capitaine des pertuisaniers et le capitaine des hallebardiers firent à Gwynplaine et aux deux lords parrains ["et aux deux..." ajouté] le salut de l’épée. Les soldats saluèrent, les uns de la pertuisane, les autres de la hallebarde.["Les hallebardiers écossais...": addition; à la copie, elle est ajoutée de la main de la copiste.]
[Première rédaction, entièrement barrée et reprise tout de suite, pour partie, à la fin du chapitre, et pour le reste f° 500 :
"Quelques instants après, une grande [corrige "haute"] porte s'ouvrit à deux battants devant Gwynplaine. C'était la porte de la chambre haute.
Moins de trente-six [corrige "quarante"] heures s'étaient écoulées depuis qu'entouré d'un autre cortège, il avait vu s'ouvrir devant lui la porte de fer de la geôle de Southwark."]
Au fond de la galerie resplendissait [corrige "on apercevait"] une grande porte, si magnifique que les deux battants semblaient deux lames d’or.
Des deux côtés de la porte deux hommes ["en perruque et en livrée" barré] étaient immobiles. A leur livrée on pouvait reconnaître les door keepers, « garde-portes ».
Un peu avant d’arriver à cette porte, la galerie s’élargissait et il y avait un [un mot barré] rond-point vitré ["où s'arrêta la +" le dernier mot est inachevé, le tout barré] .
Dans ce rond-point ["Dans..." corrige "Là"] était assis sur [en sc. sur "dans"] un fauteuil à dossier démesuré [peut-être ajouté] un personnage [corrige "vieillard"] auguste par l’énormité de sa robe et de sa perruque. C’était William Cowper, lord-chancelier d’Angleterre. [point corrigé en virgule, puis rétabli] ["fameux pour sa myopie" ajouté puis rayé]
C’est une qualité d’être infirme plus que le roi. William Cowper était myope, Anne l’était aussi, mais moins. Cette vue basse de William Cowper plut à la myopie de sa majesté et le fit choisir par ["elle" barré en correction cursive] la reine pour chancelier et garde de la [en sc. sur "sa"] conscience royale.
William Cowper avait la lèvre supérieure mince et la lèvre inférieure épaisse, signe de demi-bonté. [paragraphe en addition de second niveau, insérée dans l'addition en cours; ajouté par VH à la copie]
Le rond-point vitré était éclairé d’une lampe au plafond.
Le lord-chancelier, grave dans son haut fauteuil, ["C'est une qualité...": addition. Elle se substitue à une addition antérieure:
"Lord William Cooper était célèbre + + + plus myope que la reine."]
"Ce personnage"]
avait à sa droite ["dans le rond-point vitré" addition abandonnée] une table où était assis le clerc de la couronne et à sa gauche une table où était assis le clerc du parlement.
Chacun des deux clercs avait devant soi un registre ouvert et une écritoire. [paragraphe en addition]
Derrière le fauteuil du lord-chancelier [corrige "Derrière son fauteuil"] se tenait son massier, portant la masse à couronne. Plus le portequeue et le portebourse, en grandes perruques. Toutes ces charges existent encore. ["Plus le portequeue...": ajouté; de même à la copie]
Sur une crédence près du fauteuil il y avait une épée à poignée d’or, avec fourreau et ceinturon de velours feu [corrige "rouge"] . [Ce paragraphe réécrit en marge une addition en interligne: "Sur cette crédence près du fauteuil il y avait une épée dont le ceinturon était + +"]
Derrière le clerc de la couronne était debout un officier [" + qui" barré en correction cursive] soutenant toute ouverte [ces deux mots ajoutés] de ses deux mains une robe ["de velours rouge" barré] , qui était la robe de [en sc. sur "du"] couronnement.
Derrière le clerc du parlement un autre officier tenait déployée une autre robe [+ barré] qui était la robe de parlement.
Ces ["deux" barré en correction immédiate] robes, toutes deux de velours cramoisi [corrige "rouge"] doublé de taffetas blanc avec deux [corrige "double"] bandes [mis au pluriel] d’hermine galonnées [mis au pluriel] d’or à l’épaule étaient pareilles, à cela près que la robe de couronnement avait ["de plus": addition abandonnée] un plus [ajouté] large rochet d’hermine.
Un troisième officier qui était le « librarian » portait sur un
carreau de cuir de Flandre le red-book, petit livre relié en maroquin
rouge, contenant la liste des pairs et des communes, plus des pages
blanches et un crayon, qu’il était d’usage de remettre à chaque nouveau
membre entrant au parlement. [Ce paragraphe
est en addition, programmée
par une instruction que VH se donne en 24 747, f° 254v; il prend la place d'un
alexandrin de première rédaction rayé: "Une lampe au plafond éclairait
le rond-point."]
La marche en procession que fermait Gwynplaine entre les deux pairs ses parrains s’arrêta devant le fauteuil du lord chancelier.
[f° 499, Z19]
Les deux lords [ajouté] parrains ["deux..." corrige "trois lords"] ôtèrent leurs chapeaux. Gwynplaine fit comme eux.
Le roi d’armes reçut [corrige "prit"] des mains de Manteau Bleu le coussin de drap ["de drap" ajouté] d’argent, se mit à genoux ["devant le fauteuil" barré] , et présenta le portefeuille noir sur le coussin au lord-chancelier.
Le lord-chancelier prit le portefeuille et le tendit [en sc. sur + qui corrige "passa"] au clerc du parlement. Le clerc ["Le clerc" corrige "qui" mais le point après "parlement" n'a pas été corrigé] vint le recevoir avec cérémonie, puis alla se rasseoir. [phrase ajoutée]
Le clerc du parlement ["du parlement" ajouté] ouvrit le portefeuille, et se leva [virgule corrige point; "et se leva" ajouté] .
Le portefeuille contenait les deux messages usités ; la patente royale adressée à la chambre des lords, et la sommation de siéger(1) [(1) Writ of summons] adressée au nouveau pair.
Le clerc, debout [", debout" remplace "se leva"] , lut tout haut les ["lut tout haut les" corrige "fit lecture des" qui corrige "donna lecture des"] deux messages avec une lenteur respectueuse.
La sommation de siéger intimée à lord Fermain Clancharlie se terminait par les formules accoutumées : « …Nous vous enjoignons étroitement(1) [(1)Strictly enjoin you.], sous la foi et l’allégeance que vous nous devez, de venir prendre en personne votre place parmi les prélats et les pairs siégeant en notre parlement à Westminster, afin de donner votre avis, en tout honneur et conscience, sur les affaires du royaume et de l’église. »
La lecture des messages terminée, ["La sommation...": addition] le [d'abord majuscule] lord-chancelier éleva [en sc. sur "haussa"] la voix.
— Acte est donné a la couronne. Lord Fermain Clancharlie, ["baron Clancharlie et Hunkerville," barré] votre seigneurie renonce à la transsubstantiation, à l’adoration des saints et à la messe ?
Gwynplaine s’inclina.
— Acte est donné, dit le lord-chancelier.
Et le clerc du parlement repartit [en sc. sur "ajouta"] :
— Sa seigneurie a pris le test [", et peut siéger" barré en correction immédiate] .
Le lord-chancelier ajouta [en sc. sur "se leva"] :
— Mylord Fermain Clancharlie, vous pouvez siéger [en sc. cursive sur un mot inachevé] .
— Ainsi soit, dirent les deux parrains. [paragraphe en addition de second niveau, ajoutée à celle qui suit]
Le roi d’armes se releva, prit l’épée sur la crédence, et en boucla le ceinturon autour de la taille de Gwynplaine.
« Ce faict, disent les vieilles chartes normandes, le pair prend son espée et monte aux hauts sièges et assiste à l’audience.» ["Le roi d'armes se releva...": addition]
Gwynplaine entendit derrière lui quelqu’un qui lui disait :
— Je revêts votre seigneurie de la robe de parlement.
Et en même temps l’officier qui lui parlait et qui portait cette robe la lui passa et lui noua au cou le ruban noir du rochet d’hermine.
Gwynplaine maintenant, la robe de pourpre sur le [en sc. cursive sur "l'"] dos et l’épée d’or au côté, était semblable aux deux lords [corrige "pairs"] qu’il avait à sa droite et à sa gauche.
Le librarian lui présenta le red-book et le lui mit dans la poche de
sa veste. [paragraphe ajouté à l'addition qui
suit]
Le roi d’armes lui murmura à l’oreille :
— Mylord, en entrant, vous saluerez la chaise royale [correction abandonnée: "le trône"] . ["Le roi d'armes lui murmura...": addition, premier niveau]
La chaise royale, c’est le trône. [paragraphe ajouté à l'addition qui précède, mais d'une plume différente des deux additions qui précèdent; ajouté par VH à la copie.]
Cependant les deux clercs écrivaient, [f° 500, A20] chacun à sa table, l’un sur le registre de la couronne, l’autre sur le registre du parlement.
Tous deux, l’un après l’autre, le clerc de la couronne le premier, apportèrent leur livre au lord-chancelier, qui signa.
Après avoir signé sur les deux registres, le lord-chancelier se leva :
— Lord Fermain Clancharlie, baron Clancharlie, baron Hunkerville, marquis de Corleone en Italie, soyez le bienvenu parmi vos pairs, les lords spirituels et temporels de la Grande Bretagne [corrige "d'Angleterre"].
[faux départ: "Les deux barons lui +"]
[faux départ: "Et à quelques pas la"]
Les deux parrains de Gwynplaine lui touchèrent l’épaule. Il se tourna.
Et la grande porte dorée du fond de la galerie s’ouvrit ["devant lui" barré] à deux battants.
C’était la porte de la chambre des pairs d’Angleterre.
Il ne s’était pas écoulé trente-six heures depuis que Gwynplaine, entouré d’un autre cortége, avait vu s’ouvrir devant lui la porte de fer de la geôle de Southwark.
Rapidité terrible de tous ces nuages sur sa tête ; nuages qui étaient des événements ; rapidité qui était une ["vertigi" barré en correction cursive] prise d’assaut.
[blanc jusqu'au bas de la feuille; de même pour la copie]
[f° 501, B20]
La création d’une égalité avec le roi, dite pairie, fut aux époques barbares une fiction utile. En France et en Angleterre cet expédient politique rudimentaire produisit des résultats différents. En France, le pair fut un faux roi ; en Angleterre, ce fut un vrai prince. Moins grand qu’en France, mais plus réel. On pourrait ["presque" mis entre barres verticales puis rayé] dire : moindre, mais pire.
La pairie est née en France. L’époque est incertaine ; sous Charlemagne, selon [corrige "dit"] la légende ; sous Robert le Sage, selon l’histoire. L’histoire n’est pas plus sûre de ce qu’elle dit que la légende. Favin écrit : « le Roy de France voulut attirer à lui les grands de son état par ce titre magnifique de Pairs, comme s’ils lui étaient égaux. »
La pairie se bifurqua très vite, et de France passa en Angleterre.
La pairie anglaise a été un grand fait, et presque une grande chose. Elle a eu pour précédent le Wittenagemot saxon. Le thane danois et le vavasseur normand se fondirent dans le baron. Baron est le même mot que vir, qui se traduit en espagnol par varon, et qui signifie, par excellence, homme. ["La pairie est née en France...": addition. Elle se substitue à la première rédaction:
[+ (peut-être "Cependant,") corrigé deux fois] la pairie anglaise [rétabli après avoir été corrigé en "d'Angleterre"] a été à tout prendre un grand fait; et presque une grande chose. Sa source est ["Sa source est" corrige + + +] le wittenagemot saxon."] Dès 1075 les barons se font sentir au roi. Et à quel roi ! [en sc. sur point d'interrogation] à Guillaume le Conquérant. En 1086 ils donnent une base à la féodalité; cette base est le Doomsday-book, « Livre du Jugement dernier ». Sous Jean-sans Terre, conflit ; ["conflit;" corrige "l'étranger pèse,"] la seigneurie française le prend de haut avec la Grande-Bretagne, et la pairie de France mande à sa ["mande..." en sc. cursive sur "met le roi"] barre le roi d’Angleterre. Indignation des barons anglais. [cette phrase remplace "Le roi d'Angleterre était en effet pair de France."] Au sacre de Philippe Auguste, le roi d’Angleterre portait, comme duc de Normandie, la première bannière carrée et le duc de Guyenne la seconde. Contre ce roi vassal de l’étranger « la guerre des seigneurs [corrige "barons"] » éclate. Les barons imposent au misérable ["Les barons imposent..." se substitue à une ligne du texte initial, augmenté d'une autre ligne. Au-dessus, notation employée dans l'addition précédente : "vir, qui se traduit en espagnol par varon, est le même mot que baron."] roi Jean la Grande Charte d’où sort la chambre des lords. Le pape prend fait et cause pour le roi, et ["prend fait et cause...": addition] excommunie les lords. La date, c’est 1215, et le pape, c’est Innocent III qui écrivait le Veni sancte Spiritus et qui envoyait à Jean sans Terre les quatre vertus cardinales sous la forme de quatre anneaux d’or. Les lords persistent. Long duel, qui durera plusieurs générations. ["Les lords persistent..." remplace "Les lords répliquent au pape ["au pape" ajouté] par la guerre au roi [addition de plusieurs mots] ."] Pembroke lutte. 1248 est l’année des ["1248 est..." corrige "En 1258 les"] « Provisions d’Oxford ». Vingt-quatre barons limitent le roi, le discutent ["le discutent" corrige "circonscrivent(?) le trône"] , et appellent, pour prendre part à la querelle élargie, un chevalier par comté. Aube des communes. [f° 502, C20] Plus tard, les lords s’adjoignent [corrige "appellent"] deux citoyens par chaque cité et deux bourgeois par chaque bourg. C’est ce qui fait que, jusqu’à Élisabeth, les pairs furent juges de la validité des élections des communes [corrige "députés"] . De leur juridiction naquit [corrige "date"] l’adage : « Les députés doivent être nommés sans les trois P. : sine Prece, sine Pretio, sine Poculo. Ce qui ["du reste" barré] n’empêcha pas les bourgs-pourris. ["De leur juridiction...": addition] En 1293, la cour des pairs de France avait encore le roi d’Angleterre pour justiciable, et Philippe le Bel citait devant lui ["devant lui" ajouté] Edouard Ier. Edouard Ier était ce roi qui ordonnait à son fils de le faire bouillir après sa mort et d’emporter ses os en guerre. Sous ces folies royales les lords [un mot barré en correction cursive] sentent le besoin de fortifier le parlement ; ils le divisent en deux chambres. [faux départ: Du reste,"] Chambre haute et chambre basse. Les lords gardent arrogamment la suprématie. « S’il arrive qu’un des communes soit si hardy que de parler désavantageusement de la chambre des lords, on l’appelle au barreau (à la barre) pour recevoir correction et quelquefois on l’envoie à la Tour(1)». [(1)Chamberlayne. État présent de l'Angleterre. Tome II. 2e partie. Chap. IV. p. 64. 1688] [note ajoutée, écrite à 90°; ajouté par VH à la copie] Même distinction dans le vote. Dans la chambre des lords on vote un à un, en commençant par le dernier baron qu’on nomme « le puîné ». Chaque pair appelé répond content ou non content. Dans les communes on vote tous ensemble, par Oui ou Non, en troupeau. ["Chambre haute et chambre basse...": addition de premier niveau] Les [en sc. sur +] communes accusent, les pairs jugent. [phrase ajoutée à l'addition qui précède: deuxième niveau] [phrase notée en 24 747, f° 108] Les pairs, par dédain des chiffres, délèguent aux communes, qui en tireront parti, la surveillance de l’échiquier, ainsi nommé, selon les uns, [", selon les uns," ajouté] du tapis de la table qui représentait un échiquier et selon les autres, des tiroirs de la vieille armoire où était, derrière une grille de fer, le trésor des rois d’Angleterre. ["Les pairs, par dédain...": addition de troisième niveau] De la fin du treizième siècle date le Registre Annuel, « Year-book ». Dans la guerre des deux roses on sent le poids des lords, tantôt du côté de John de Gaunt, duc de Lancastre, tantôt du côté d’Edmund, duc d’York ["d’York" en sc. sur "Leicester"(?)] . Wat-Tyler, les Lollards, Warwick, le faiseur de rois, toute cette anarchie-mère [corrige "anarchie +", de même à la copie] d’où sortira [corrige "naîtra" lui-même en sc. sur +] l’affranchissement [corrige "la liberté"] , a pour point d’appui, avoué ou secret, ["avoué..." ajouté] la féodalité anglaise ["la féodalité..." corrige "la pairie d'Angleterre"] . Les lords jalousent utilement le trône ["corrige "la couronne"] ; jalouser, c’est surveiller ; ils circonscrivent l’initiative royale ["; jalouser...": addition] , restreignent [correction abandonnée, antérieure à l'addition ci-dessus: "circonscrivent"] les cas de haute trahison, suscitent de faux Richards contre Henri IV, se font arbitres, ["se font..." ajouté] jugent la question des trois couronnes entre ["Richard" barré] le [ajouté] duc d’York et Marguerite d’Anjou, et, au besoin, lèvent des armées et ont [en sc. sur +] leurs batailles, Shrewsbury, Tewkesbury, Saint-Alban, tantôt perdues, tantôt gagnées. Déjà, au treizième siècle, ils avaient eu la victoire de Lewes, et ils avaient chassé du royaume les quatre frères du roi, bâtards d’Isabelle et du comte de la Marche, usuriers [corrige "maraudeurs" lui-même en sc. sur +; même correction à l'addition autographe de la copie] tous quatre, et exploitant les chrétiens par les juifs ; d’un côté princes, de l’autre escrocs, [corrige "usuriers."; de même à la copie autographe] ["Jusqu'au quinzième siècle" barré] ["Déjà au treizième siècle..." : addition de deuxième niveau; addition autographe à la copie] chose qu’on a revue plus tard, mais qui était peu estimée dans ce temps-là. ["escrocs...": addition de troisième niveau; addition prolongée à la copie] Jusqu’au quinzième siècle, le duc normand [deux ou trois mots barrés] reste [en sc. sur "est"(?)] visible dans le roi d’Angleterre, et les actes du parlement se font ["se font" corrige "sont"] en français. A partir de Henri VII, par la volonté des lords, ils se font [se font" en sc. cursive sur "sont écr"] en anglais. ["En 1567, la" barré: met fin à l'addition en la raccordant au texte initial. La rature est crusive: l'addition se poursuit de la même plume.] L’Angleterre, bretonne sous Uther Pendragon, romaine sous César, saxonne sous l’heptarchie, danoise sous Harold, normande après Guillaume, devient, grâce aux lords, anglaise. ["En 1567, la" barré: met fin à l'addition en la raccordant au texte initial. La rature est crusive: l'addition se poursuit de la même plume.] Puis elle devient anglicane. Avoir sa religion chez soi, c’est une grande force. Un pape extérieur soutire la vie nationale. Une mecque est une pieuvre. ["Jusqu'au quinzième siècle...": addition de premier niveau. Elle se raccorde alors au texte initial: "En 1567, la pairie adopte la réforme et les lords acceptent Luther. Réplique à l'excommunication de 1215."] En 1534 [en sc. sur "1567"] Londres congédie Rome, la pairie adopte la réforme et les lords acceptent Luther. Réplique à l’excommunication de 1215. Ceci convenait à Henri VIII, mais à d’autres égards les lords le gênaient. Un boule-dogue devant un ours, c’est la chambre des lords devant Henri VIII. ["Le roi usurpe, la pairie empiète." barré et déplacé] ["En 1534..." extension -second niveau- de l'addition qui précède. Cette extension, qui se poursuit au début du folio suivant, se substitue au texte de première rédaction: "Devant [corrrige "Sous"] Elisabeth même, les barons [corrige "pairs"] remuent; de là les supplices de Durham. Cette jupe tyrannique est teinte de sang. [phrase ajoutée] Elisabeth assemble le parlement le moins qu'elle peut; [point-virgule ajouté ou corrige virgule] sous Elisabeth [corrige "et réduit"] la chambre des lords n'a que ["n'a que" corrige "à"] soixante-cinq membres dont un seul marquis, Wetsminster, et pas un duc. Sous Anne il y aura vingt-cinq ducs. [phrase ajoutée] Les lords tiennent tête à Jacques Ier, puis à Charles Ier, qui a peut-être un peu tué son père comme Marie de Medicis a peut-être un peu tué son mari. Les lords condamnent Stafford. Ils prêtent main-forte au communes. Le roi convoque le parlement à Oxford, la révolution le convoque à Londres; quarante-trois" : texte de première rédaction, encadré et barré à grands traits. Il est réécrit au folio suivant qui se termine sur les mêmes mots que celui-ci et a donc été intercalé]
[f° 503, D20. Folio intercalé: suite de l'addition du folio précédent et réfection de la fin du folio.]
Quand [faux départ: "Henri VIII vole"] Wolsey vole White-Hall à la nation, et quand Henri VIII vole White-Hall à Wolsey, qui gronde ? quatre lords, Darcie de Chichester, St John de Bletso, et (deux noms normands) Mountjoye et Mountragle [corrigé "Mounteagle" à la copie] . Le roi usurpe. La pairie empiète. ["Quand Wolsey...": addition: fin de l'addition du folio précédent. Le texte qui suit est la réfection de la rédaction initiale à la fin du folio précédent.] L’hérédité contient de l’incorruptibilité ; de là l’insubordination des lords. Devant Élisabeth même, les barons remuent. Il en résulte les supplices de Durham. Cette jupe tyrannique est teinte de sang. Un vertugadin sous lequel il y a un billot, c’est là Élisabeth. Élisabeth assemble le parlement le moins qu’elle peut, et réduit la chambre des lords à soixante-cinq membres, dont un seul marquis, Westminster, et pas un duc. Du reste, les rois en France avaient la même jalousie et opéraient la même élimination. Sous Henri III, il n’y avait plus que huit duchés-pairies, et c’était au grand déplaisir du roi que le baron de Mantes, le baron de Coucy, le baron de Coulommiers, le baron de Châteauneuf-en-Timerais, le baron de la Fère-en-Lardenois, ["le baron de la Fère-en-Lardenois," ajouté; erreur probable pour Fère-en-Tardenois] le baron de Mortagne, et quelques autres encore, se [oublié et ajouté] maintenaient barons pairs de France. ["Du reste, les rois...": addition de premier niveau] En Angleterre, [faux départ: "l'hérédité que"] la couronne laissait volontiers les pairies s’amortir ; sous Anne, pour ne citer qu’un exemple, les extinctions depuis le douzième [en sc. sur "onzième"] siècle, avaient fini par faire un total de cinq [en sc. sur +] cent soixante-cinq pairies abolies. ["En Angleterre, la couronne...': addition de second niveau. A la copie, les deux additions sont ajoutées par la copiste.] La guerre des roses avait commencé l’extirpation [corrige + + qui corrige "l'extinction"; même correction par la copiste] des ducs que Marie Tudor, à coup de hache, avait achevée. C’était décapiter la noblesse. Couper le duc, c’est couper la tête. Bonne politique sans doute, mais corrompre vaut mieux que couper. C’est ce que sentit Jacques Ier. ["Il n'y avait plus de ducs," barré] Il [d'abord minuscule] restaura la duché ["comment? en l'avilissant" barré] . Il fit duc son favori Villiers, qui l’avait fait porc(1). [(1)Villiers appelait Jacques Ier Votre Cochonnerie. [note ajoutée; à la copie, ajoutée par la copiste]] Transformation du duc féodal en duc courtisan. Cela pullulera. Charles II fera duchesses deux de ses maîtresses, Barbe de Southampton et Louise de Quérouel. Sous Anne, il y aura vingt-cinq ducs, dont trois étrangers, Cumberland, Cambridge et Schonberg. Ces procédés de cour, inventés par Jacques Ier, réussissent-ils ? Non. La chambre des lords se sent maniée par l’intrigue et s’irrite. Elle s’irrite contre Jacques Ier; elle s’irrite contre Charles Ier, lequel, soit dit en passant, a peut-être un peu tué son père comme Marie de Médicis a peut-être un peu tué son mari. Rupture entre Charles Ier et la pairie. Les lords qui, sous Jacques Ier, avaient mandé à leur barre la corruption [variante sans choix: "concussion" qui, à la copie, est une correction de la main de VH] dans la personne de Bacon, font, sous Charles Ier, le procès à la trahison dans la personne de Stafford. Ils avaient condamné Bacon, ils condamnent Stafford. L’un avait perdu l’honneur, l’autre perd la vie. Charles Ier est décapité une première fois en [corrige "dans"] Stafford. ["Les lords qui, sous Jacques Ier...": addition; elle se substitue au texte initial: "Les lords condamnent Stafford."] Les lords [corrige "Ils"] prêtent main-forte aux communes. Le roi convoque le parlement à Oxford, la révolution le convoque à Londres ; quarante-trois [f° 504, E20] pairs vont avec le roi, vingt-deux avec la république. De cette acceptation du peuple par [en sc. sur "sort"= ajout de "par les lords"] les lords sort ["Ce cette acceptation..." corrige "De cette fusion sort"] le bill des droits, ébauche de nos Droits de l’homme, vague ombre projetée du fond de l’avenir par la révolution française [variante sans choix: "de France" préférée à la copie] sur la révolution anglaise [variante sans choix: "d’Angleterre" préférée à la copie] .
Tels sont les services. Involontaires, soit. Et payés cher, car cette pairie est un parasite énorme. [phrase ajoutée] Mais considérables. L’œuvre despotique [ajouté et en sc. sur +] de Louis XI, de Richelieu et de Louis XIV, [faux départ: "ce travail turc"] la construction d’un sultan, l’aplatissement pris pour l’égalité, la bastonnade donnée par le sceptre, les multitudes nivelées par l’abaissement [corrige "l'agenouillement"] , ce travail turc fait en France, les lords l’ont empêché en Angleterre. Ils ont fait de l’aristocratie un mur, endiguant le roi d’un côté, abritant le peuple de l’autre. [quatre ou cinq mots barrés, sans doute en correction cursive] Ils rachètent leur arrogance envers le peuple par de l’insolence envers le roi. Simon, comte de Leicester, disait à Henri III : Roi, tu as menti. ["Simon..."; addition insérée dans l'addition en cours, implantée par un filet à l'encre rouge; addition autographe à la copie] Ils [corrigé à la copie autographe en "Les lords"] imposent à la couronne des servitudes ; ils [addition abandonnée: "la"] froissent [corrige "atteignent"] le roi [corrige en correction cursive "la royauté"] à l’endroit sensible, à la vénerie. Tout lord [corrige "pair"] , passant [en sc. sur +] dans un parc royal, a le droit d’y tuer un daim. Chez le roi, le lord [corrige "pair"] est chez lui. ["Ils rachètent leur arrogance...": addition. Elle est postérieure à l'addition "Le cérémonial des lords..." et de même écriture] Le roi prévu à la tour de Londres, avec son tarif, pas plus qu’un pair [en sc. sur "lord"] , douze livres sterling par semaine, on doit cela à la chambre des lords. [faux départ: "On lui doit"] Plus encore. Le roi découronné, on le lui doit. Les lords ont destitué Jean sans Terre, dégradé [en sc. sur "déposé"] Edouard II, déposé Richard II, brisé Henri VI, et ont rendu Cromwell possible. Quel Louis XIV il y avait dans Charles Ier ! Grâce à Cromwell, il est resté latent. [phrase ajoutée, antérieurement à l'addition qui suit] Du reste, disons-le en passant, Cromwell lui-même, aucun historien n’a pris garde à ce fait, prétendait à la pairie ; c’est ce qui lui fit épouser Élisabeth Bourchier, descendante et héritière d’un Cromwell, lord Bourchier, dont la pairie s’était éteinte en 1471, et d’un Bourchier, lord Robesart, autre pairie éteinte en 1429. ["Bourchier, lord...": addition insérée dans l'addition; elle est écrite à l'encre rouge; même insertion dans l'ajout autographe de la copie, à l'encre noire avec filet de renvoi rouge] Partageant [d'abord minuscule. A la copie, "partageant..." est une extension de l'addition, antérieure à l'insertion.] la croissance redoutable des événements, il trouva plus court de dominer par le roi supprimé que par la pairie réclamée. ["Du reste, disons-le en passant...": addition de deuxième niveau, ajoutée à celle qui suit] Le cérémonial des lords, parfois sinistre, atteignait le roi. Les deux porte-glaives de la Tour, debout, la hache sur l’épaule, à droite et à gauche du pair accusé comparaissant à la barre, étaient ["pour" barré en correction cursive] aussi bien pour le roi que pour tout autre lord. [Le cérémonial...":addition -premier niveau] Pendant cinq siècles ["Pendant..." ajouté] l’antique chambre des lords ["l'antique..." corrige "L'aristocratie anglaise". L'ajout et la correction ne sont pas simultanés.] a eu un plan, et l’a suivi avec fixité. On compte ses jours de distraction et de faiblesse, comme par exemple ce moment étrange où elle se laissa séduire par la galéasse chargée de fromages, de jambons et de vins grecs que lui envoya Jules II. L’aristocratie anglaise était inquiète, hautaine, irréductible, attentive, patriotiquement défiante ["patriotiquement défiante" : l'addition corrige la rédaction initiale: "patriotique et soupçonneuse"] . C’est elle qui, à la fin du dix-septième siècle, ["ôtait au bourg de Stockbridge" barré en correction cursive] par l’acte dixième de l’an 1694, ôtait au bourg de Stockbridge en Southampton le droit de députer au parlement et forçait les communes à casser l’élection de ce bourg, entachée de fraude papiste. ["patriotiquement..." addition ajoutée à la suivante -cinquième niveau] [cinq ou six mots barrés au début de l'addition qui suit] Elle avait imposé [corrige "imposait"] le test à Jacques, duc d’York, et sur son refus l’avait exclu [corrige "excluait"] du trône. Il régna cependant, mais les lords finirent ["les lords finirent" corrige "elle finissait"] par le ressaisir et par le chasser. ["Elle avait imposé...":addition à l'addition qui suit -quatrième niveau] Cette aristocratie a eu dans sa longue durée quelque instinct de progrès. [phrase en addition; elle remplace plusieurs mots non lus] Une certaine quantité de lumière appréciable s’en est toujours dégagée, excepté vers la fin ["Cette aristocratie...": addition ajoutée à la première -deuxième niveau; elle s'achève alors par "vers la fin."] , qui est maintenant ["qui est maintenant" ajouté dans l'addition qui suit] . Sous Jacques II, elle maintenait dans la chambre basse ["la chambre basse" corrige "le parlement"] la proportion de trois cent quarante-six [corrige "trois cent trente deux"] bourgeois contre quatrevingt douze ["douze" ajouté] chevaliers ; les seize barons de courtoisie des Cinq-Ports étant plus que contrebalancés par les cinquante citoyens des vingt-cinq cités. [Tout en étant très corruptrice et très égoïste, cette aristocratie avait, en certains cas, une singulière impartialité. On la juge durement. ["qui est maintenant...": addition insérée entre la précédente et la suivante -troisième niveau] Les bons traitements de l’histoire sont pour les communes ; c’est à débattre. Nous croyons le rôle des lords très grand. L’oligarchie, c’est de l’indépendance à l’état barbare, mais c’est de l’indépendance. Voyez la Pologne; royaume nominal, république réelle. ["Les bons traitements...": addition de premierr niveau] Les pairs d’Angleterre tenaient ["Les pairs..." corrige "La chambre des lords tenait"] le trône en suspicion et en tutelle. [phrase ajoutée à l'addition qui précède -deuxième niveau; il y en a deux de ce niveau parce que leur ordre chronologique est indécidable.] Dans mainte occasion, mieux que les communes, les lords savaient déplaire. Ils faisaient échec au roi. Ainsi, en 1694, année remarquable, ["année remarquable," ajouté] les parlements triennaux, rejetés par les communes parce que Guillaume III n’en voulait pas, avaient été votés par les pairs. ["Dans mainte occasion..." addition à l'addition qui précède - troisième niveau] Guillaume III, irrité, ôta le château de Pendennis au comte de Bath, et toutes ses charges au vicomte Mordaunt. ["Guillaume III, irrité...": ajout à l'addition qui précède - quatrième niveau; fin de la cascade d'additions] La chambre des lords, c’était la république de Venise au cœur de la royauté d’Angleterre. Réduire le roi au doge, tel était son but, et elle a fait croître la nation de tout ce dont elle a fait décroître le roi.
La royauté le comprenait et haïssait la pairie. [Ici, une addition tardive, postérieure à celles qui précèdent, implantée par des filets à l'encre rouge mais rayée et non reportée à la copie: "Si l'on veut se rendre compte du peu de goût qu'avaient les rois pour la permanence des lords, hérédité gênante à côté de l'hérédité royale, on n'a qu'à se dire que sous Anne, par exemple, cinq cent soixante cinq pairies, successivement éteintes depuis cinq siècles, étaient « in abeyance », vacantes. Elles le sont encore, et le chiffre s'est accru. Royauté et pairie se jalousaient et, dans l'occasion, s'entremordaient."] Des deux côtés on cherchait à s’amoindrir. Ces diminutions profitaient au peuple en augmentation. Les deux puissances aveugles, monarchie et oligarchie, ne s’apercevaient pas qu’elles travaillaient pour un tiers, la démocratie. Quelle joie ce fut pour la cour, au siècle dernier, de pouvoir pendre un pair, lord Ferrers !
[f° 505, F20]
Du reste, on le pendit avec une corde de soie. Politesse. [paragraphe ajouté; de même à la copie]
On n’eût pas pendu un pair de France. Remarque altière que fit le duc de Richelieu. D’accord. On l’eût décapité. Politesse plus grande. [phrase ajoutée; de même à la copie] Montmorency-Tancarville signait : Pair de France et d’Angleterre, rejetant ainsi la pairie anglaise au second rang. ["D'accord...: addition; elle se substitue à la première rédaction: "["La pairie de" barré en correction cursive] Les pairs d'Angleterre avaient la proie, les pairs de France avaient l'ombre."] [faux départ: "Ils étaient plus"] Les pairs de France étaient plus hauts et moins [mot brouillé par une tache et réécrit à l'encre rouge] puissants, tenant au rang plus qu’à l’autorité et à la préséance plus qu’à la domination. Il y avait entre eux et les lords la nuance qui sépare la vanité de l’orgueil. Pour les pairs de France, avoir le pas sur les princes étrangers, précéder [corrige "éclipser"] les grands d’Espagne, primer les patrices de Venise, faire asseoir sur les bas sièges du parlement les maréchaux de France, le connétable, et l’amiral de France, fût-il comte de Toulouse et fils de Louis XIV, distinguer entre les duchés mâles et les duchés femelles, ["primer les patrices...": addition de second niveau; à la copie, elle est ajoutée de la main de la copiste] maintenir l’intervalle entre une comté simple comme Armagnac ou Albret et une comté-pairie comme Évreux, ["maintenir l'intervalle...": ajout à l'addition de premier niveau] porter de droit ["de droit": ajout immédiat] , dans certains cas, le cordon bleu ou la toison d’or à vingt-cinq ans, contrebalancer le duc de la Trémoille, le plus ancien pair chez le roi, par le duc d’Uzès, le plus ancien pair en parlement, prétendre à autant de pages et de chevaux au carrosse qu’un électeur, ["contrebalancer..." ajout à l'addition en cours] se faire dire Monseigneur par le premier président, discuter si le duc du Maine a rang de pair comme comte d’Eu, dès 1458, ["discuter si...": ajout à l'addition en cours] traverser ["diagonalement": barré en correction cursive] la grande chambre diagonalement ou par les côtés ["ou par les côtés": ajouté] , c’était la grosse affaire; la grosse affaire pour les lords, c’était ["la grande charte," barré] l’acte de navigation, le test, l’enrôlement de l’Europe au service de l’Angleterre, la domination des mers, ["la domination..." ajouté] l’expulsion des Stuarts, la guerre à la France. ["Pour les pairs de France, avoir le pas...": addition; elle comporte deux niveaux et des ajouts secondaires.] Ici, avant tout l’étiquette ; là, avant tout l’empire. Les pairs d’Angleterre avaient la proie, les pairs de France avaient l’ombre.
En somme, la chambre des lords d’Angleterre ["d’Angleterre" ajouté] a été ["le grande germe anglais" barré en correction cursive] un point de départ ; en civilisation, c’est immense. Elle a eu l’honneur de commencer une nation. Elle a été la première incarnation de l’unité d’un peuple. La résistance anglaise, cette obscure force toute-puissante, est née dans la chambre des lords. Les barons [corrige "L'aristocratie" qui corrige "La chambre des lords"] , par une série de voies de fait sur le prince, ont [en sc. sur "a"] ébauché le détrônement définitif. ["La résistance...": addition] La chambre des lords aujourd’hui est un peu étonnée et triste de ce qu’elle a fait sans le vouloir et sans le savoir. D’autant plus que c’est irrévocable. Que sont les concessions ? des restitutions. Et les nations ne l’ignorent point. J’octroie, dit le roi. Je récupère, dit le peuple. ["nations ne l'ignorent..." corrige "peuples ["le savent" barré en correction cursive] ne l'ignorent point."] La chambre des lords a cru créer le privilége des pairs, elle a produit le droit des citoyens. L’aristocratie, ce vautour, a couvé cet œuf d’aigle, la liberté.
Aujourd’hui l’œuf est cassé, l’aigle plane, le vautour meurt.
La pairie [variante sans choix, "L’aristocratie" préférée à la copie] agonise, l’Angleterre grandit.
Mais soyons justes envers la pairie [variante sans choix, "L’aristocratie" préférée à la copie] . Elle a fait équilibre à la royauté ; elle a été contrepoids. Elle a fait obstacle au despotisme ; elle a été barrière.
Remercions-la, et enterrons-la.
[blanc jusqu'au bas de la feuille]
[f° 506, G20]
Près de l’abbaye de Westminster il y avait un antique [corrige "vieux"] palais normand qui fut brulé sous Henri VIII. Il en resta deux aîles. ["Dans l'une" barré; de même à la copie] Edouard VI mit dans l’une ["dans l’une" ajouté; de même à la copie] la chambre des lords et dans l’autre la chambre des communes.
Ni les deux ailes, ni les deux salles n’existent maintenant , [corrige "aujourd'hui."] on a rebâti tout cela. ["Ni les deux ailes..." ajouté]
Nous l’avons dit et il faut y insister, nulle ressemblance entre la chambre des lords ["d’ " barré] aujourd’hui et la chambre des lords de jadis [corrige "d'autrefois"] . On a démoli l’ancien [corrige "le vieux"] palais, ce qui a un peu démoli les anciens [corrige "vieux"] usages. Les coups de pioche dans les monuments [corrige "édifices"; de même à la copie] ont leurs contre-coups dans les coutumes et les chartes ["coutumes..." corrige "institutions"; de même à la copie] . Une vieille pierre ne tombe pas sans entraîner une vieille loi. Installez [corrige "Mettez"] dans une salle ronde le sénat d’une salle carrée, il sera autre. Le coquillage changé déforme le mollusque.
Si vous voulez conserver une vieille chose, humaine ou divine, code ou dogme, patriciat ou sacerdoce, n’en refaites rien à neuf, pas même l’enveloppe. Mettez des pièces, tout au plus. Par exemple, le jésuitisme est une pièce mise au catholicisme. Traitez les édifices comme vous traitez les institutions. ["Par exemple...": addition; de même à la copie]
Les ombres [en sc. sur +] doivent habiter les ruines. [phrase en addition; elle se substitue à " ["Aux aristocraties souillons" barré en correction cursive] Aux lois haillons, il faut les palais [+ + barré] décrepits."; le tout barré et repris ci-après] Les puissances décrépites sont mal à l’aise dans les logis fraîchement décorés. Aux institutions haillons il faut les palais masures.
["Le sac de laine est célèbre. Il n'existait pas alors. Ou du moins il était quadruple. Il y avait au milieu de la salle ["où les lords" barré en correction cursive] où siégeaient les lords quatre sacs de laine.
Quel aspect présentait il y a moins de deux [une ligne non lue et sans doute barrée avant que tout le soit.]
La décroissance et l'obscurité s'emparent très vite des institutions." Ce faux départ de la description de la salle est encadré puis barré à grands traits.]
Montrer l’intérieur de la chambre des lords d’autrefois, c’est montrer de l’inconnu. ["Montrer..." corrige "Nous allons, dans les pages qui vont suivre, montrer de l'inconnu. Nous allons montrer l’intérieur de la chambre des lords d’autrefois."] L’histoire, c’est la nuit. En histoire il n’y a pas de second plan. La décroissance et l’obscurité s’emparent immédiatement de tout ce qui n’est plus sur le devant du théâtre. [f° 507, H20] Décor enlevé, effacement, oubli. Le passé [majuscule par Hugo à la copie] a un synonyme: l’Ignoré.
Les pairs d’Angleterre siégeaient, comme cour de justice, dans la grande salle de Westminster, et, comme haute [ajouté] chambre ["haute du parlement" barré en correction cursive] législative, dans une salle spéciale nommée [corrige "dite"] « Maison des Lords », House of the Lords.
Outre la cour des pairs d’Angleterre ["rarement assemblée" barré] , ["convoquée": faux départ de l'addition qui suit] qui ne s’assemble que convoquée par la couronne, ["qui ne s'assemble..." addition] les deux grands tribunaux anglais, inférieurs à la cour des pairs, mais supérieurs à toute autre juridiction, siègeaient [corrige "siègent"] ["l'un près de l'autre au haut bout" barré en correction cursive] dans [en sc. sur "de"] la grande salle de Westminster. Au haut bout de cette salle, ils habitaient [corrige "habitent"] deux compartiments qui se touchaient [corrige "touchent"] . Le premier tribunal était [corrige "est"] la cour du banc du roi, ["censée présidée" barré en correction cursive] que le roi était [corrige "est"] censé présider ; le deuxième était ["le deuxième était" ajouté, partiellement en sc. sur "le second"] la cour de chancellerie, que le chancelier présidait [corrige "préside"] . L’un était [corrige "est"] cour de justice, l’autre était [corrige "est"] cour de miséricorde. C’était [corrige "C'est"] le chancelier qui conseillait [corrige "conseille"] au roi les grâces, rarement. Ces deux cours, qui existent encore, [", qui existent encore," ajouté] interprétaient [corrige "interprètent"] la législation et la refaisaient [corrige "refont"] un peu ; l’art du juge est de menuiser le code en jurisprudence. Industrie d’où l’équité se tire comme elle peut. [phrase ajoutée] La législation se fabriquait [corrige le présent] et s’appliquait [corrige le présent] en ce lieu sévère, la grande salle de Westminster. Cette salle avait [corrige le présent] une voûte de châtaignier où ne pouvaient [corrigelep résent] se mettre les toiles d’araignée ; c’est bien assez qu’elles se mettent dans les lois.
[La suite de l'addition, encadrée et barrée à grands traits est réécrite au-dessous: "Siéger comme cour et siéger comme chambre, c’est deux, cette dualité constitue le pouvoir suprême. C'est afin d'avoir cette omnipotence, utile en révolution, que le long parlement, qui commença le 3 novembre 1640, se déclara, comme la chambre des pairs, pouvoir judiciaire en même temps que pouvoir législatif. ["Siéger comme...": addition; elle se substitue à deux lignes barrées] [signe d'alinéa à faire] Nous venons de le dire, juges, les lords occupaient Westminster-Hall [corrige "la grande salle de Westminster"] ; législateurs, ils avaient une autre salle.
Cette deuxième [corrige "autre"] salle, proprement dite Chambre des Lords, était oblongue et [ajouté] étroite. Elle avait pour tout éclairage, le jour, quatre fenêtres seulement, profondément entaillées dans le comble et recevant la lumière par le toit, plus, au dessus + +."]
Siéger comme cour et siéger comme chambre, c’est deux. Cette dualité constitue le pouvoir suprême. Le long parlement, qui commença le 3 novembre 1640, sentit le besoin révolutionnaire de ce double glaive. Aussi se déclara-t-il, comme une chambre des pairs, pouvoir judiciaire en même temps que pouvoir législatif.
Ce double pouvoir était immémorial dans la chambre des lords [correction abandonnée: "pairie"]. Nous venons de le dire, juges, les lords occupaient Westminster-Hall ; législateurs, ils avaient une autre salle.
Cette autre salle, proprement dite Chambre des Lords, était oblongue et étroite. Elle avait pour tout éclairage, quatre fenêtres profondément entaillées dans le comble et recevant le jour par le toit, plus, au-dessus du dais royal, un œil-de-bœuf à six vitres, avec rideaux ; le soir, pas d’autre lumière que douze demi-candélabres appliqués sur la muraille. ["Outre la cour des pairs d'Angleterre...": ensemble d'additions. Il se substitue à la rédaction initiale: " Cette salle était oblongue, étroite, peu éclairée. Le jour, quatre fenêtres seulement, profondément entaillées dans le + + + + dais royal un oeil de boeuf à six vitres avec ["deux" barré] rideaux; le soir, douze girandoles + + appliquées + sur la muraille." La salle du sénat de Venise était moins éclairée encore. Une certaine ombre plaît à ces ["puissants" barré en correction cursive] hiboux de la toute-puissance ["de la toute-puissance": ajout cursif]. Sur la ["longue" barré] salle où s’assemblaient les lords s’arrondissait avec des plans polyédriques une haute [corrige +] voute à caissons dorés [ajouté] . Les communes n’avaient qu’un plafond plat ; tout à [tel au ms: VH a une excellente orthographe mais n'est pas infaillible] un sens dans les constructions monarchiques. A une extrémité de la longue salle des lords était la porte ; à l’autre, en face, ["en face," est barré avant d'être réécrit] le trône. A quelques pas de la porte, ["la barrière" barré en correction cursive] la barre, coupure transversale, sorte de frontière, marquant l’endroit où finit le peuple et où commence la seigneurie ["coupure...": addition; de même à la copie; sans la copie, cette addition ne se distinguerait pas de celle qui suit.] . A droite du trône une ["haute" barré] cheminée, blasonnée au pinacle, offrait deux bas-reliefs de marbre, figurant, l'un, [corrige "l'un représentant"] la victoire de Cuthwolph sur les bretons en 572, l’autre, ["figurant" barré] le plan géométral du bourg de Dunstable, lequel n’a que quatre rues parallèles aux quatre parties du monde. ["A droite du trône...": addition.] [faux départ: "Deux marches exhaussaient le plancher des lords et même quelquefois"] Trois marches exhaussaient le trône. Le trône était dit « chaise royale ». Sur les deux murs se faisant vis-à-vis se déployait, en tableaux successifs, [", en tableaux successifs," ajouté] une vaste tapisserie donnée aux lords par Élisabeth et ["donnée aux lords..." ajouté] représentant toute l’aventure de l’Armada [addition déplacée avant d'être achevée: "les hauts accastillages des navires étaient tissus en fils d'or et d" "] depuis son départ d’Espagne jusqu’à son naufrage [corrige "sa dispersion" en correction cursive] devant l’Angleterre. Les hauts accastillages des navires étaient tissus en fils d’or et d’argent, qui, avec le temps, avaient noirci. [phrase ajoutée] A cette tapisserie, coupée de distance en distance par les [en sc. sur "des"] candélabres-appliques, étaient adossés à droite du trône trois rangs de bancs pour les évêques, à gauche trois rangs de bancs pour les ducs, les marquis et les comtes, sur gradins et [", sur gradins et" ajouté] séparés par des montoirs. Sur les trois bancs de ["Sur les trois..." corrige "Sur"] la première section s’asseyaient ["s’asseyaient" ajouté] les ducs ; sur les trois bancs de la deuxième, les marquis ["sur les trois..." corrige "sur la deuxième, les marquis"] ; [f° 508, I20] sur les trois bancs de la troisième, les comtes [corrige: "sur la troisième, les comtes"] . Le banc des vicomtes en équerre faisait face au trône, et derrière, entre les vicomtes et la barre, il y avait deux bancs pour les barons. Sur le haut banc à droite du trône étaient les deux archevêques, Canterbury et York, sur le banc intermédiaire, ["les" barré] trois évêques, Londres, Durham et Winchester, les autres évêques sur le banc d’en bas. Il y a entre l’archevêque de Canterbury et les autres évêques cette différence considérable qu’il est, lui, évêque « par la divine providence » tandis que les autres ne le sont que « par la divine permission .» ["Il y a entre...": addition] A droite du trône on voyait ["on voyait" corrige "il y avait"] une chaise ["une chaise" corrige "un fauteuil"] pour le prince de Galles, et à gauche des pliants [en sc. sur "chaises"(?)] pour les ducs royaux, [corrige point] et en arrière de ces pliants, un gradin [corrige "banc"] pour les jeunes pairs mineurs, n’ayant point encore séance à la chambre. ["et en arrière...": extension de l'addition qui suit] Force fleurs-de-lys partout ; et le vaste écusson d’Angleterre ["répercuté" barré] sur les quatre murs, au-dessus des pairs comme au-dessus du roi. ["Force fleurs-de-lys...": addition de premier niveau] Les fils de pairs et les héritiers de pairie assistaient aux délibérations [corrige "séances"(?)] , debout derrière le trône entre le dais et le mur. Le trône au fond, et, des trois côtés de la salle, les trois rangs des bancs des pairs laissaient libre un large espace carré. Dans ce carré, que recouvrait le tapis d’état ["d'état" réécrit après avoir été barré] , armorié d’Angleterre, [", que recouvrait..." ajouté] il y avait quatre sacs de laine, un devant le trône où siégeait le chancelier entre la masse et le sceau, un devant les évêques où siégeaient les juges conseillers d’état, ayant séance et non voix, un devant les ducs, marquis et comtes, où siégeaient les secrétaires d’état, un devant les vicomtes et barons où [corrige "sur lequel"] étaient assis le clerc de la couronne et le clerc du parlement, ["tous deux à genoux." barré en correction cursive] et sur lequel écrivaient les [ajouté] deux sous-clercs, à genoux. Au centre du carré, on voyait ["on voyait" ajouté] une large table drapée [ajouté] chargée de dossiers, de registres, de sommiers, avec de massifs encriers [corrige "écritoires"] ["d'or" barré en correction cursive] d’orfèvrerie et de hauts flambeaux aux quatre angles. ["Au centre du carré...": addition. Elle se substitue à la rédaction initiale, barrée et déplacée au folio 515: "Le maître des rôles, sacrorum scriniorum magister, lequel avait pour logis l’ancienne maison des juifs convertis, s'asseyait sur le deuxième sac de laine."] Les pairs prenaient séance ["prenaient séance" corrige "siégeaient sur leurs bancs"] en ordre chronologique, chacun suivant [corrige "selon"] la date de la création de sa pairie. Ils avaient rang selon le titre, et, dans le titre, selon l’ancienneté. [phrase ajoutée] [" Dans(?) les grandes [ajouté] séances [correction abandonnée: "cérémonies"] royales, ils avaient la couronne en tête." barré et déplacé plus bas] A la barre se tenait l’huissier de la verge noire, debout, sa baguette à la main. En dedans de la porte l’officier de l’huissier, et en dehors le crieur de la verge noire, [corrige point] ayant pour fonction d’ouvrir les séances de justice par le cri : Oyez ! ["poussé trois" barré en correction cursive] en français, poussé trois fois en appuyant solennellement sur la première syllabe [", ayant pour fonction...": addition] . Près du crieur, le sergent porte-masse du chancelier.
Dans les cérémonies royales, les pairs temporels avaient la couronne en tête, et les pairs spirituels la mitre. Les archevêques portaient la mitre à couronne ducale [virgule ajoutée à la copie] et les évêques, qui ont rang après les vicomtes, la mitre à tortil [en sc. sur "couronne"] de baron. [paragraphe en addition de second niveau]
Remarque étrange et qui est un enseignement [variante sans choix: "qu'il faut faire" barrée à la copie] , ce carré formé par le trône, les évêques et les barons, et dans lequel sont des magistrats à genoux, c’était l’ancien parlement de France sous les deux ["Remarque...": addition; elle se poursuit au folio suivant qui est intercalé] [f° 509, J20. Folio intercalé.] premières races. Même aspect de l'autorité en France et en Angleterre. Hincmar, ["en 853" barré en correction cursive] dans le de ordinatione sacri palatii, décrit en 853 la chambre ["décrit..." corrige "semble en 853 décrire la chambre" qui corrige "["semble" barré en correction cursive] donne en 853 un procès verbal"] des lords en séance à Westminster au dix-huitième siècle ["au dix-huitième siècle" ajouté] . Sorte de bizarre procès-verbal fait neuf cent ["neuf cent" corrige "sept cent" lui-même en sc. sur "huit cent" ou l'inverse] ans d'avance.
["Les lords délibéraient portes fermées. Les séances des communes étaient publiques. La popularité semblait diminution." barré et repris immédiatement plus bas]
Qu'est l'histoire ? Un écho du passé dans l'avenir. Un reflet de l'avenir sur le passé.
L'assemblée du parlement n'était obligatoire que tous les sept ans. [paragraphe ajouté]
Les lords délibéraient en secret, ["en secret," ajouté] portes fermées. Les séances des communes étaient publiques. La popularité semblait diminution.
Le nombre des lords était illimité. Nommer des lords c'était la menace de la royauté. Moyen de gouvernement.
Au commencement du dix-huitième siècle, la chambre des lords offrait déjà un très fort chiffre. [grand blanc jusqu'au bas du folio, garni d'un trait indiquant la continuité du texte] [f° 510, K20. Ce folio commence, en première rédaction, par une phrase barrée:
"La salle était pleine. La chambre des lords sous la reine Anne offrait déjà un très fort chiffre ["offrait déjà..." corrige plusieurs mots, peut-être "était déjà très nombreuse"] ."] Elle a grossi encore depuis. Délayer l'aristocratie est une politique. Élisabeth fit peut-être une faute en condensant la pairie dans soixante-cinq lords. La seigneurie moins nombreuse est plus intense. Dans les assemblées [correction abandonnée: "certains corps politiques"] , plus il y a de membres, moins il y a de têtes. Jacques II l'avait senti en portant la chambre haute [en sc. sur "des lords"] à cent quatrevingt huit lords; [point corrigé] cent quatre-vingt six, si l'on défalque de ces pairies les deux duchesses de l'alcôve royale, Portsmouth et Cleveland. ["cent quatre-vingt six...": addition] Sous Anne, le total des lords ["des lords" ajouté] , y compris les évêques, était de deux cent sept. Sans compter le duc de Cumberland, mari de la reine, il y avait vingt cinq ducs dont le premier, Norfolk, ne siégeait point, étant catholique, et dont le dernier, Cambridge, [faux départ: "siégeait quoique"] prince électoral de Hanovre, siégeait, quoique étranger. [faux départ: "Le premier des marquis"] Winchester, qualifié premier et seul marquis d'Angleterre, comme Astorga seul marquis d'Espagne, ["comme Astorga...": ajouté] étant absent, vu qu'il était [", vu qu'il était" corrige ", comme"] jacobite, il y avait cinq marquis, dont le premier était Lindsey et le dernier Lothian; soixante-dix- ["sept" barré en correction cursive] neuf comtes, dont le premier était Derby et le dernier Islay ; neuf vicomtes, dont le premier était Hereford et le dernier Lonsdale ; et soixante deux barons, dont le premier était Abergaveny et le dernier Hervey [en sc. sur +] . Lord Hervey [en sc. sur +] , étant le dernier baron, était ce qu'on appelait « le puîné » de la chambre. [phrase ajoutée] Derby, qui étant primé par Oxford, Shrewsbury et Kent, n'était que le troisième sous Jacques II, était devenu sous Anne le premier des comtes. Deux noms de chanceliers avaient disparu de la liste des barons, Verulam, sous lequel l'histoire retrouve Bacon, et Wem, sous lequel l'histoire retrouve Jefferies. Bacon, Jefferies, ["Bacon, Jefferies," remplace "Deux"] noms diversement sombres. En 1705, les vingt-six évêques n'étaient que vingt-cinq, le siège de Chester étant vacant. Parmi les évêques, quelques-uns étaient de très grands seigneurs ; ainsi William Talbot, évêque d'Oxford, chef de la branche protestante de sa maison; ["chef de la branche..." ajouté] d'autres étaient des docteurs éminents [corrige "considérables"] , comme John Sharp, archevêque d'York, ["l' " barré] ancien doyen de Norwick, ["et" barré] le poëte Thomas Spratt, évêque de Rochester, bonhomme apoplectique, et ["Wake" barré en correction cursive] cet évêque de Lincoln qui devait mourir archevêque de Canterbury, Wake, l'adversaire de Bossuet. ["Parmi les évêques...": addition de premier niveau] Dans [en sc. sur +] les occasions importantes, ["Dans les...": addition de deuxième niveau] et lorsqu'il y avait lieu de recevoir une communication de la couronne à la chambre haute, ["et lorsqu'il...": addition de troisème niveau] toute [d'abord majuscule] cette multitude auguste, en robes, en perruques, avec coiffes de prélature ou chapeaux à plumes, alignait et étageait ses rangées de têtes dans la salle de la pairie ["de la pairie" ajouté] , le long des murs ["le long..." corrige + + +; cette correction et l'ajout qui précède ne sont pas de la même plume] où l'on voyait vaguement la tempête exterminer l'Armada. Sous-entendu : ["Sous-entendu:": ajouté; de la même plume VH annule l'alinéa pour "Tempête aux ordres..."; mêmes corrections à la copie] Tempête aux ordres de l'Angleterre.
[f° 511, L20]
Toute la cérémonie de l’investiture de Gwynplaine, depuis l’entrée sous la King’s Gate jusqu’à la prise du test dans [réécrit] le rond-point vitré, ["Toute la cérémonie..." ajouté] ["Tout ceci": début de rédaction initiale, barré. Ceci laisse penser, mais il n'y en a pas d'autre indice, que, depuis le folio 501, toute l'évocation de la chambre des lords et de l'histoire de la pairie a été ajouté à la rédaction initiale.] s’était passée [mis au féminin] dans une sorte de pénombre.
Lord William Cowper [corrige "Le lord-chancelier"] n’avait point permis qu’on lui donnât, à lui [lord" barré] chancelier d’Angleterre, [", à lui..." ajouté] des détails trop circonstanciés ["trop circonstanciés" ajouté] sur la défiguration du jeune lord Fermain Clancharlie, [corrige "de Gwynplaine," qui corrige "du pair d'Angleterre retrouvé."] [faux départ: "Le lord chancelier". VH a d'abord écrit: "sur la défiguration du pair d'Angleterre retrouvé. Le Lord chancelier", puis barré et corrigé en "défiguration de Gynplaine, trouvant..." et, à un moment quelconque remplacé "Gwynplaine" par "le jeune lord Fermain Clancharlie".] trouvant au-dessous de sa dignité de savoir qu’un pair n’était pas beau ["n'était..." corrige "était difforme"] , et se sentant amoindri par la hardiesse qu’aurait un inférieur de lui apporter [corrige "donner"] des renseignements de cette nature. Il est certain qu’un homme du peuple dit avec plaisir : ce prince est bossu. Donc, [faux départ: "c'est offensant pour"] être difforme, pour un lord [en sc. sur + (peut-être "seign")] , c’est offensant. ["Il est certan...": addition] Aux quelques mots que lui en avait dits la reine, le lord chancelier ["le lord..." corrige "il"] s’était borné à répondre : Un seigneur a pour visage la seigneurie. Sommairement, et sur les procès-verbaux qu’il avait dû vérifier et certifier, [", et sur les procès-verbaux..." ajouté] il avait compris. De là des précautions.
Le visage du nouveau lord ["Le visage..." corrige "La figure de Gwynplaine"; une autre correction -ou une addition- abandonnée affecte le début de phrase] pouvait, à son entrée dans la chambre, faire une sensation quelconque. Il importait d’ ["Il importait d' " corrige "Il fallait"] obvier à cela. Le lord-chancelier avait pris ses mesures. [phrase ajoutée] Le moins d’événement possible, c’est l’idée fixe ["l'idée fixe" corrige "la loi"] et la règle de conduite ["et la règle..." ajouté -opération distincte de la précédente] des ["hommes"(?) barré en correction cursive.] personnages sérieux. La haîne des incidents fait partie de la gravité. Il importait de faire en sorte que l’admission de Gwynplaine [corrige "du nouveau lord"] passât sans encombre, comme celle de tout autre ["nouveau lord" barré, peut-être -mais pas certainement- en correction cursive] héritier de pairie.
C’est pourquoi ["C'est..." ajouté] le [d'abord majuscule] lord chancelier avait fixé la réception [corrige "l'introd" qui corrige "l'admission"] de lord Fermain Clancharlie à ["fixé la réception..." corrige "indiqué pour cette admission"] une séance du soir. Le chancelier étant portier, quodammodo ostiarius, disent les chartes normandes, januarum cancellorumque potestas, dit Tertullien, il peut officier en dehors de la chambre sur le seuil, et lord William Cowper avait usé de son droit en accomplissant dans le rond-point vitré les formalités d’investiture de lord Fermain Clancharlie. De plus, il avait avancé l’heure pour que le nouveau pair fit son entrée dans la chambre avant même que la séance fût commencée.
[f° 512, M20]
Quant à l’investiture d’un pair sur le seuil, et en dehors de la chambre même, ["elle n'était pas une première"(?), barré en correction cursive] il y avait des précédents. Le premier baron héréditaire créé par patente, John de Beauchamp, de Holtcastle, fait par Richard II, en 1387, baron de Kidderminster, fut reçu de cette façon.
Du reste, en renouvelant ce précédent, le lord-chancelier se créait à lui-même un embarras dont il vit l’inconvénient ["vit..." corrige "s'aperçut"; de même à la copie] moins de deux ans après lors de l’entrée du vicomte Newhaven à la chambre des lords. [paragraphe en addition; elle est postérieure à celle qui suit]
["Du reste," barré] Myope, comme nous l’avons dit, lord William Cowper s’était ["à peine" barré] aperçu à peine [ajouté] de la difformité de Gwynplaine ; les deux lords parrains, ["vieillards presque aveugles," barré] pas du tout. [Ebauche en 24 747, f° 20] C’étaient deux vieillards presque aveugles. [phrase ajoutée]
Le lord-chancelier les avait choisis exprès ["choisis exprès" corrige "ingénieusement choisis presque aveugles"] .
Il y a mieux, le lord-chancelier, n’ayant vu que la stature et la ["fière" barré] prestance de Gwynplaine, lui avait trouvé « fort bonne mine ». [Ces deux paragraphes sont en addition. L'addidtion est réécrite, corrigée, mais sans les guillemets à "fort bonne mine", sur le bécquet numéroté folio 513, une fois celui-ci collé au manuscrit.]
[f° 513, papier différent: bleu mais vergé] Ajoutons que Barkilphedro, renseigné à fond comme un espion qu’il était, et déterminé à réussir dans sa machination, avait dans ses dires officiels, ["soit en présence de la reine, soit" barré] en présence du lord-chancelier, atténué dans une certaine mesure la difformité de lord Fermain Clancharlie ["lord..." corrige "Barkilphedro"!] en insistant sur ce détail que Gwynplaine pouvait à volonté supprimer l’effet de rire et ramener ["sa face" barré en correction cursive] au sérieux sa face défigurée. Barkilphedro avait, probablement même, exagéré cette faculté. D’ailleurs, au grand point de vue aristocratique, qu’est-ce que cela faisait ? Lord William Cowper n’était-il pas le légiste auteur de la maxime : En Angleterre, ["En Angleterre," ajouté] la restauration d’un pair importe plus que la restauration d’un roi ? Sans doute la beauté et la dignité devraient être inséparables, il est fâcheux qu’un lord soit ["désagréable à voir" barré en correction cursive] contrefait, et c’est là un outrage du hasard, mais, insistons-y, en quoi cela diminue-t-il le droit ? Le lord-chancelier prenait des précautions et avait raison d’en prendre, mais en somme, avec ou sans précautions, qui donc pouvait empêcher un pair d’entrer à la chambre des pairs ? La seigneurie et la royauté ne sont-elles pas supérieures à la difformité et à l’infirmité ? ["Sa hideuse face sanglante avait-elle empêché César Borgia d'être duc de Valentinois?" barré] Un cri de bête fauve n’avait-il pas été héréditaire comme la pairie elle-même dans l’antique famille ["des Cumin, comtes de Buchan" barré en correction cursive] , éteinte en 1347, des Cumin, comtes de Buchan, au point que c’était au cri de tigre qu’on reconnaissait le pair d’Ecosse ? [f° 514] [faux départ: "La cécité avait-elle empêché"] [second faux départ: "Sa hideuse face"] Ses hideuses taches de sang au visage empêchèrent-elles César Borgia d’être duc de Valentinois ? La cécité empêcha-t-elle Jean de Luxembourg d’être roi de Bohême ? La gibbosité empêcha-t-elle Richard III d’être roi d’Angleterre ? A bien voir le fond des choses, l’infirmité et ["l'infirmité et" ajouté; correction consécutive du singulier "acceptée", "affirme", "prouve"] la laideur acceptées avec une hautaine indifférence, loin de contredire la grandeur, l’affirment et la prouvent. La seigneurie a une telle majesté que la difformité ne la trouble point. Ceci est l’autre aspect de la question, et n’est pas le moindre. Comme on le voit, rien ne pouvait faire obstacle à l’admission de Gwynplaine ["de Gwynplaine" corrige "du droit"] , et les précautions prudentes ["prises par" barré] du [corrige "le"] lord-chancelier, utiles au point de vue inférieur de la tactique, étaient de luxe ["de luxe" corrige "superflues"] au point de vue supérieur du principe aristocratique ["principe aristocratique" corrige "droit"] . ["Ajoutons que Barkilphedro...": addition très tardive, manquante à la copie et à l'EO de Bruxelles. Elle est écrite sur deux feuilles rapportées, collées au f° 512. L'EO de Paris place ce texte plus loin; les filets tracés par VH ne permettent pas de douter qu'elle doive être implantée ici.]
[retour au f° 512] Au moment où les ["deux" barré] doorkeepers avaient ouvert devant Gwynplaine la grande porte à deux battants, [deux ou trois mots barrés en correction cursive] il y avait à peine quelques lords dans la salle. Ces lords étaient presque tous vieux. Les vieux, dans les assemblées, sont les exacts, de même que, près des femmes, ils sont les assidus. ["Raphl + + [addition ou correction: "au banc des"] duc de Montagu était seul." phrase barré en correction cursive] On ne voyait ["On ne..." corrige "Il n'y avait"] au banc des ducs que deux ducs, l’un tout blanc, l’autre gris, Thomas Osborne, duc de Leeds ["Thomas..." corrige "Raphl, duc de Montagu"] , et Schonberg, fils de ce Schonberg, allemand par la naissance, français par le bâton de maréchal et anglais par la pairie, qui, chassé par l’édit de Nantes, après avoir fait la guerre à ["fait la guerre à" corrige "guerroyé"] l’Angleterre comme français, fit la guerre à ["fit la guerre à" corrige "avait guerroyé"] la France comme anglais. Au banc des lords spirituels, il n’y avait que l’archevêque de Cantorbery, primat d’Angleterre, tout en haut, et en bas le docteur [corrige cursivement "les trois docteurs"] ["Simon Patrick, Gilbert Brunet, évêque de Sarum," barré en correction cursive] Simon Patrick, évêque d’Ely, causant avec Evelyn Pierrepont, marquis de Dorchester, qui lui expliquait la différence entre un gabion et une courtine, et entre les palissades et les fraises, les palissades étant une rangée de poteaux [corrige "pieux"] devant les tentes destinée à protéger le campement, et les fraises étant une collerette de pieux pointus sous le parapet d’une forteresse empêchant l’escalade des assiégeants et la désertion des assiégés, et le marquis enseignait à l’évêque de quelle façon on fraise une redoute, en [oublié et ajouté] mettant les pieux moitié [f° 515, N20] dans la terre et moitié dehors. Thomas Thynne, vicomte Weymouth, s’était approché d’un candélabre et examinait un plan de son architecte pour faire à son jardin de Long Leate, en Wilt shire, une pelouse dite ["une pelouse dite" et les guillemets corrigent "un"] « gazon coupé », moyennant des carreaux de gazon, alternant avec des carreaux de sable jaune, de sable rouge, de coquilles de rivière et de fine poudre de charbon de terre. Au banc des vicomtes il y avait un pêle-mêle de ["lords" barré en correction cursive] vieux lords, Essex, Ossulstone, Peregrine Osborne, William Zulestein, comte de Rochford, parmi lesquels quelques jeunes, de la faction qui ne portait pas perruque, entourant Price Devereux, vicomte Hereford, et discutant la question de savoir si une infusion de houx des apalaches est du thé. — A peu près, disait Osborne. — Tout à fait, disait Essex. Ce qui était attentivement écouté par Pawlett de Saint-John, cousin du ["cousin du" corrige "comte de" mais VH oublie de barrer la virgule après Bolingbroke"] Bolingbroke, dont Voltaire plus tard a été un peu l’élève, car Voltaire, commencé par le Père Porée a été achevé par Bolingbroke. ["Ce qui était attentivement..." addition] Au banc des marquis, Thomas [", ma" barré en correction cursive] de Grey, marquis de Kent, ["chambellan" barré en correction cursive] lord-chambellan de la reine, affirmait à Robert Bertie, marquis de Lindsey, lord-chambellan d’Angleterre, que c’était par deux français réfugiés, monsieur Lecoq, autrefois conseiller au parlement de Paris, et monsieur Ravenel, gentilhomme breton, qu’avait été gagné le gros lot de la grande loterie anglaise en 1694. Le comte de Wymes lisait un livre intitulé : Pratique curieuse des oracles des sybilles. John Campbell, comte de Greenwich, fameux par son long menton, sa gaîté et ses quatrevingt-sept [corrige "quatre"] ans, écrivait à sa maîtresse. Lord Chandos se faisait les ongles. ["Le comte de Wymes...": addition] La séance qui allait suivre devant être une séance royale où la couronne serait représentée par commissaires, deux assistant-doorkeepers disposaient en avant du trône un banc de velours ["de velours" oublié et ajouté] couleur feu. Sur le deuxième sac de laine était assis le maître des rôles, ["magister" barré en correction cursive] sacrorum scriniorum magister, lequel avait alors pour logis l’ancienne maison des Juifs convertis. Sur le quatrième sac ["de laine" barré] , les deux sous-clercs à genoux feuilletaient des registres.
Cependant le lord [ajouté] chancelier [+ barré en correction cursive] prenait place sur le ["sac de laine" barré en correction cursive] premier sac de laine, les officiers de la chambre s’installaient, les uns assis, les autres debout, ["l'huissier de la verge noire disparaissait et la séance" barré en correction cursive] l’archevêque de Canterbury se levait et disait la prière, et la séance commençait. ["Cependant...": ébauche en 15 812, f° 107] [changement d'écriture et d'interligne; la suite du texte est probablement ajoutée et l'ajout se poursuit au haut du folio suivant] Gwynplaine était déjà entré depuis quelque temps, sans qu’on eût pris garde à lui ; le deuxième banc des barons, où était sa place, étant contigu à la barre, il n’avait eu que quelques pas à faire. Les deux lords ses parrains s’étaient assis à sa droite et à sa gauche, ce qui avait à peu près masqué la présence de ce nouveau venu. Personne n’étant averti, le clerc du parlement avait lu [f° 516, O20] ["lu" non barré: raccord négligé] à demi-voix et, pour ainsi dire, chuchoté ["à demi-voix...": ajouté] les diverses pièces concernant le nouveau lord, et le lord-chancelier avait proclamé son admission au milieu de ce qu’on appelle dans les comptes-rendus « l’inattention générale ». Chacun causait. Il y avait dans la chambre ce brouhaha pendant lequel les assemblées font toutes sortes de choses crépusculaires, qui, quelquefois, les étonnent plus tard. ["Gwynplaine était déjà entré...": addition]
["Donc c'était fini. Il était lord." première ligne barrée de la rédaction initiale du folio. Sa position dans la page, après un blanc important, suggère qu'elle devait commencer un chapitre.]
Gwynplaine s’était assis, silencieusement, tête nue, entre les deux vieux pairs, lord Fitz Walter et lord Arundel. [paragraphe en addition, d'une écriture différente de l'addition qui précède et de celle qui suit]
En entrant, selon la recommandation que lui avait faite le roi d’armes et que les deux lords parrains lui avaient renouvelée, il avait salué « la chaise royale ».
Donc c’était fini. Il était lord. [Ces deux paragraphes sont en addition. Ils se substituent à une ligne, elle-même en addition interlinéaire, corrigée et barrée; on y distingue: "Donc + + + + fini. Il était lord."]
Cette hauteur, sous le rayonnement de ["Cette hauteur..." corrige la rédaction initiale: "Cette + prodigieuse, + + sous les pieds de"] laquelle, toute sa vie, il avait vu son maître Ursus se courber avec épouvante, ce sommet prodigieux ["ce sommet..." corrige "cette + prodigieuse"] , il l’avait sous ses pieds.
Il était dans le lieu éclatant et sombre de l’Angleterre.
Vieille cime du mont féodal regardée depuis six siècles par l’Europe et l’histoire. ["l'Europe et l'histoire" corrige "l'histoire." et est écrit de manière que "Auréole effrayante..." achève le paragraphe; de même à la copie]
["Il y était, et rien désormais ne pouvait faire qu'il n'y fût pas.
Son entrée dans cette auréole" Ces deux paragraphes, le second inachevé, sont barrés en correction cursive et repris plus bas.]
[initialement, alinéa] Auréole effrayante d’un monde de ténèbres.
Son entrée dans cette auréole avait eu lieu. Entrée irrévocable.
Il était là chez lui.
Chez lui sur son siège comme le roi sur le sien.
Il y était, et rien désormais ne pouvait faire qu’il n’y fût pas.
Cette couronne royale qu’il voyait [corrige "apercevait"] sous ce dais, était sœur de sa couronne à lui. ["Ce trône qu" barré en correction cursive] Il était le pair de ce trône.
En face de la majesté, il était la seigneurie. Moindre, mais semblable.
Hier, qu’était-il ? histrion. Aujourd’hui, qu’était-il ? prince.
[Faux départ: un mot inachevé, peut-être "confr"(ontation)]
Hier, rien. Aujourd’hui tout.
Confrontation brusque [corrige "pathétique"] de la misère et de la puissance, s’abordant face à face dans une destinée ["une destinée" corrige "le même homme"] et devenant tout à coup au fond d'un esprit ["au fond..." ajouté] les deux moitiés d’une conscience. [A la copie, VH déplace l'addition "au fond d'un esprit" de manière à former: "face à face au fond d'un esprit dans une destinée et devenant tout à coup les deux moitiés...". La correction de "dans le même homme" par "dans une destinée" affaiblit la division intérieure; elle est restituée par l'ajout de "au fond d'un esprit"; la raison du déplacement de "au fond d'un esprit" est moins évidente.]
Deux spectres, l’adversité et la prospérité, ["le(?) fantôme(s?)" barré, sans doute en correction cursive] prenant possession de la même âme, et chacun la tirant à soi. Partage pathétique [corrige "terrible"; de même à la copie] d’une intelligence, d’une volonté, d’un cerveau, ["d'une volonté..." ajouté] entre ces deux frères ennemis, ["entre cet Abel et ce Caïn." barré et déplacé] le fantôme pauvre et le fantôme riche. Abel et Caïn dans le même homme.
[f° 517 blanc; f° 518, P20]
Peu à peu les bancs de la chambre se garnirent. Les lords commencèrent à arriver. [Faux départ: "La séance"] L’ordre du jour était le vote du bill augmentant de cent mille livres sterling la dotation annuelle de Georges de Danemark, duc de Cumberland, ["de Georges..." corrige et complète "du"] mari de la reine. En outre, il était annoncé que divers bills consentis par sa majesté ["consentis ..." corrige "revêtus de la sanction de sa majesté [corrige "la reine"] "] allaient être apportés à la chambre par ["comm" barré en corrections cursive] des commissaires de la couronne [corrige "de sa majesté"] ayant pouvoir et charge de les sanctionner ["les sanctionner" barré puis rétabli] ["ayant pouvoir...": ajouté] , ce qui érigeait la séance en séance royale. Les pairs [corrige "lords"] avaient tous leur robe de parlement par dessus leur habit de cour ou de ville. Cette robe, semblable à celle dont était revêtu Gwynplaine, était la même pour tous, sinon que les ducs avaient cinq bandes d’hermine avec bordure d’or, les marquis quatre, les comtes et les vicomtes trois, et les barons deux. ["Cette robe...": addition de premier niveau] Les lords entraient par groupes. [point corrige virgule; "causaient quelque temps" barré. Ce début barré de l'addition qui suit reprend le texte initial qu'elle remplace: "Ils entraient par groupes, causaient quelque temps + + + ["quelque temps...": addition]. Tous, en entrant, saluaient le trône."] On s’était rencontré dans les couloirs, on continuait les dialogues [corrige "la conversation"] commencés [mis au pluriel et au masculin] . Quelques-uns venaient seuls. Les costumes étaient solennels, les attitudes point ; ni les paroles. ["Chacun était là comme chez soi." barré; de même à la copie] Tous, en entrant, saluaient le trône. ["Les lords entraient...": addition de second niveau mais de la même plume que la première et écrite dans la foulée]
Les pairs affluaient. Ce défilé de noms majestueux ["de noms..." corrige "de grands noms"] se faisait à peu près sans cérémonial, le public étant absent. Leicester entrait et serrait la main de Lichfield ; puis Charles Mordaunt, comte de Peterborough et de Monmouth, l’ami de Locke, sur l’initiative duquel il avait proposé la refonte des monnaies ; ["l'ami de Locke...": addition de quatrième niveau, écrite à 270° et implantée par filet à l'encre rouge] puis Charles Campbell, comte de Loudoun, prêtant l’oreille à Fulke Greville, lord Brooke ; puis ["Charles" barré] Dorme, comte de Caërnarvon , [point-virgule au texte autographe de la copie] puis Robert Sutton, baron Lexington, fils du Lexington qui avait persuadé [en sc. sur "conseillé"] à Charles II de chasser Gregorio Leti, ["fils du Lexington...": addition] historiographe assez mal avisé pour ["assez mal avisé pour" corrige, dans une bulle entourée de rouge au bas de la page, "qui s'était avisé de" que donne également la copie autographe] vouloir être historien ; ["historiographe...": addition de quatrième niveau] puis ["ce beau vieux," barré et déplacé; de même à la copie autographe] Thomas Bellasyse, vicomte Falconberg, ce beau vieux ["ce beau vieux" ajouté; de même à la copie autographe] ; et ensemble ["; et ensemble" corrige ", précédant"] les trois cousins Howard, Howard, comte de Bindon, Bowes-Howard, comte de Berkshire, et Stafford-Howard, comte de Stafford ; puis John Lovelace, baron [en sc. sur "lord"] Lovelace, dont la pairie éteinte en 1736 permit ["plus tard" barré] à Richardson d’introduire Lovelace dans son livre et de créer sous ce nom un type. Tous ces personnages [corrige "Toutes ces figures"] diversement célèbres dans la politique ou la guerre et dont plusieurs honorent l’Angleterre, riaient et causaient. C’était comme l’histoire vue en négligé. ["Ce défilé...": addition de troisième niveau, postérieure aux deux qui précèdent et reportée par VH à la copie.]
[signe d'alinéa à faire] En moins d’une demi-heure la chambre se trouva presque au complet. C’était tout simple, la séance étant royale. Ce qui était moins simple, c’était la vivacité des conversations. La chambre, si assoupie tout à l’heure, était maintenant en rumeur comme une ruche inquiétée [corrige "réveillée"]. Ce qui l’avait réveillée, c’était l’arrivée des lords en retard. Ils apportaient du nouveau. Chose bizarre, les pairs qui, à l’ouverture de la séance, étaient dans la chambre, ne savaient point ce qui s’y était passé, et ceux qui [un mot ou une partie de mot barré en correction cursive] n’y étaient pas le savaient.
Plusieurs lords arrivaient de Windsor. [paragraphe en addition]
Depuis quelques heures, l’aventure de Gwynplaine s’était ébruitée. [phrase en addition, distincte de la précédente] Le [réécrit de manière à combler le retrait d'alinéa] secret est un filet ; qu’une maille se rompe, tout se déchire. Dès le matin, par suite des incidents racontés plus haut, toute cette histoire d’une pairie retrouvée sur un tréteau [" toute cette histoire..." corrige "l'aventure de Gwynplaine"] et d’un bateleur reconnu lord, ["et d'un bateleur...": addition] avait fait éclat à Windsor, [virgule corrige point] [faux départ: "Les princes"] ["Elle s'était ébruitée, d'abord" barré] dans les privés royaux. [point corrige point-virgule ou deux-points] Les princes en avaient parlé, puis les laquais. De la cour l’événement avait gagné la ville. Les événements ont une pesanteur, et la loi du carré des vitesses leur est applicable. Ils tombent dans le public, et s’y enfoncent avec une rapidité inouïe. A sept heures, [f° 519, Q20] on n’avait pas à Londres vent ["on n'avait pas..." corrige une ligne non lue s'achevant par "à Londres"] de ["toute" barré] cette histoire. A huit heures, Gwynplaine était le bruit de la ville. Seuls, les quelques lords exacts qui avaient devancé l’ouverture de la séance, ignoraient la chose ["la chose" corrige "tout"] , n’étant point dans la ville où l’on racontait tout, et étant dans la chambre où ils ne s’étaient aperçus de rien. Sur ce, ["des colloques dont (ou "dans") toute la ville" barré en correction cursive] tranquilles sur leurs [corrige cursivement "les"] bancs, ils étaient apostrophés par les arrivants, tout émus.
— Eh bien, disait Francis Brown, vicomte Mountacute, au marquis de Dorchester?
— Quoi ?
[" — + + qu'on a reçu un nouveau pair?
— Je crois que oui" ces deux paraghraphes barrés]
— Est-ce que c’est possible ?
— Quoi ?
— L’Homme qui Rit !
— Qu’est-ce que c’est que l’Homme qui Rit ?
— Vous ne connaissez pas l’Homme qui Rit ?
— Non.
— C’est un clown. Un boy de la foire. Un visage impossible qu’on allait voir pour deux sous. Un saltimbanque.
— Après ?
— Vous venez de le recevoir pair d’Angleterre.
— L’Homme qui rit, c’est vous, mylord Mountacute.
— Je ne [en sc. sur +] ris pas, mylord Dorchester.
Et le vicomte Mountacute faisait un signe au clerc du parlement qui se levait de son sac de laine et confirmait à leurs seigneuries le fait de l’admission du nouveau pair. Plus les détails.
— Tiens, tiens, tiens, disait lord Dorchester! je causais avec l’évêque d’Ély.
Le jeune comte d’ ["d' " ajouté] Annesley abordait le vieux lord Eure, lequel n’avait plus que deux ans à vivre, car il devait mourir ["devait mourir" corrige "est mort"] en 1707.
— Mylord Eure ?
— Mylord Annesley ?
[f° 520, R20]
— Avez-vous connu lord Linnœus Clancharlie ?
— Un homme d’autrefois. Oui.
— Qui est mort en Suisse ?
— Oui. Nous étions parents.
— Qui avait été républicain sous Cromwell, et qui était resté républicain sous Charles II ?
— Républicain ? pas du tout. Il boudait. C’était une querelle personnelle entre le roi et lui. [faux départ: "Lord Linnœus avait"] Je tiens de source certaine que lord Clancharlie ["avait" barré en correction cursive] se serait rallié si on lui avait donné la place de chancelier qu’a eue lord Hyde.
— Vous m’étonnez, mylord Eure [", mylord Eure" ajouté] . On m’avait dit que ["On..." corrige "Je croyais"] ce lord Clancharlie était un ["était un" ajouté] honnête homme.
— Un honnête homme ! Est-ce que cela [corrige "ça"] existe ? Jeune homme, il n’y a pas d’honnête homme. [phrase ajoutée]
— Mais Caton ?
— Vous croyez à Caton, vous!
— Mais Aristide ?
— On a bien fait de l’exiler.
— Mais Thomas Morus ?
— On a bien fait de lui couper le cou.
— Et à votre avis, ["mylord Eure," barré] lord Clancharlie …
— Était de cette espèce. D’ailleurs un homme qui reste en exil, c’est ridicule. ["Vous m'étonnez...": dialogue noté, mot pour mot, en 24 747, f° 289]
— Il y est mort.
— ["C'est bien fait." barré] Un ambitieux déçu. Oh ! [en sc. sur +] si je l’ai connu ! je crois bien. J’étais son meilleur ami.
— Savez [semble réécrit sur le même mot, ou sur "Saviez"]-vous, mylord Eure, qu’il s’était marié en Suisse ?
— Je le sais à peu près.
— Et qu’il a eu de ce mariage un fils légitime ?
— Oui. Qui est mort.
— Qui est vivant.
— Vivant !
— Vivant.
— Pas possible. [réplique en ajout]
["— Mais alors il hérite de cette pairie." barré et déplacé]
— Réel. Prouvé. Constaté. Homologué. Enregistré. [ces deux mots ajoutés]
— Mais alors ce fils va hériter ["ce fils..." corrige "il hérite"] de la pairie de Clancharlie ? [ces deux dernières répliques sont ajoutées]
[f° 521, S20]
— Il ne va pas en hériter. ["Il en a hérité. C'est fait." barré]
— Pourquoi ?
— Parce qu’il en a hérité. C’est fait. [ces deux répliques en addition; elles se substituent à la fin de la réplique précédente.]
— C’est fait ?
— Tournez la tête, mylord Eure. Il est assis derrière vous au banc des barons.
Lord Eure se retournait ; mais ["dans le peu de lumière qu'il y avait" barré] le visage de Gwynplaine se dérobait sous sa forêt de cheveux.
— Tiens ! disait le vieillard, ne voyant que ces cheveux, il a déjà adopté la nouvelle mode. Il ne porte pas perruque. [réplique en addition]
Grantham abordait [un nom, commençant par "G", barré] Colepepper.
— En voilà un qui est attrapé !
— Qui ça ?
— David Dirry-Moir.
— Pourquoi ça ?
— Il n’est plus pair.
— Comment ça ?
Et Henry Auverquerque, comte de Grantham, racontait à John, baron [corrige "lord John"] Colepepper, toute « l’anecdote »; la bouteille épave portée à l’amirauté, le parchemin des comprachicos, le jussu regis contresigné Jeffryes, la confrontation dans la cave pénale de Southwark, l’acceptation de tous ces faits par le lord chancelier et par la reine, la prise du test dans le rond point vitré, et enfin l’admission de lord Fermain Clancharlie ["de lord..." ajouté] au commencement de la séance, et tous deux faisaient effort pour distinguer entre lord Fitzwalter et lord Arundel la figure [en sc. sur "le visage"] ["du nouveau" barré en correction cursive] , dont on parlait tant, du nouveau lord, mais sans y mieux réussir que lord Eure et lord Annesley.
Gwynplaine, du reste, soit hasard, soit arrangement de ses parrains avertis par le lord-chancelier, était placé dans assez d’ombre pour échapper à la curiosité. ["Gwynplaine, du reste...": addition de second niveau]
— Où ça ? où est-il ?
C’était le cri de tous en arrivant, mais aucun ne parvenait à le bien voir. Quelques-uns, qui avaient vu Gwynplaine à la Green-Box, étaient passionnément [corrige "fiévreusement"] curieux, mais perdaient leur peine. Comme il arrive quelquefois qu’on embastille prudemment une jeune fille dans un groupe de ["dans un groupe de" corrige "parmi des"] douairières, Gwynplaine était comme enveloppé par plusieurs épaisseurs de vieux lords infirmes et indifférents. ["— Où ça ? où est-il ?...": addition de premier niveau] Des bonshommes qui ont la goutte sont peu sensibles aux histoires [variante sans choix: "aventures", rayée à la copie] d’autrui. [phrase ajoutée à l'addition qui précède] [L'ensemble des additions, d'abord inséré après le paragraphe "Et Henry Auverquerque...lord Eure et lord Annesley." se substitue ensuite aux paragraphes de première rédaction suivants:
"Dans le groupe des jeunes lords + + +, Charles de Okehampton, lord Mohum, triomphait. Après le fait raconté dans les moindres détails, il s'écriait:
— Mais le plus beau, c'est Josiane!
Et il tirait un papier de sa poche. Redoublement de curiosité."]
On se passait de main en main des copies de la lettre en trois lignes que la duchesse Josiane avait, affirmait-on, écrite à la reine sa sœur en réponse à l’injonction que lui avait faite sa majesté d’épouser le nouveau pair, ["le nouveau pair," ajouté] l’héritier légitime des Clancharlie, lord Fermain. Cette lettre était ainsi conçue :
[f° 522, T20]
« Madame.
« J’aime autant cela. Je pourrai avoir lord David pour amant ».
Signé Josiane. Ce billet, vrai ou faux, avait un succès d’enthousiasme.
Un jeune lord, Charles d’Okehampton, baron Mohun, dans la faction [corrige "le groupe"] qui ["Un jeune lord..." corrige "Deux jeunes lords dans le groupe qui"] ne portait pas perruque, le lisait [corrige "lisaient"] et le relisait [corrige "relisaient"] avec bonheur. Lewis de Duras, comte de Feversham, anglais qui avait de l’esprit français, ["Lewis...": addition; elle en remplace une autre: "Pawlett St John, comte de Bolingbroke"] ["le" barré] regardait Mohun [ajouté] et souriait. [phrase ajoutée]
— Eh bien, s’écriait ["Charles d’Okehampton," barré] lord Mohun, voilà la femme que je voudrais épouser.
Et les voisins des deux lords entendaient ce dialogue entre Duras [corrige "Bolingbroke"] et Mohun.
— Épouser la duchesse Josiane, lord Mohun ! [deux ou trois mots barrés, peut-être "ce serait amusant."]
— Pourquoi pas [", lord Bolingbroke" barré] ? [réplique ajoutée]
["— Ce serait amusant." : barré]
["— A plusieurs." barré]
— Peste !
["— On aurait une fière femme" barré]
— On serait heureux !
— On serait plusieurs. ["— Peste!..." ces répliques sont en addition; elles remplacent l'échange: "— Ce serait amusant. — A plusieurs."]
— Est-ce qu’on n’est pas toujours plusieurs ?
— ["Au fait," barré] Lord [d'abord minuscule] Mohun, vous avez raison. En fait de femmes, nous avons tous les restes les uns des autres. Qui est-ce qui a eu un commencement ?
— Adam, peut-être.
— Pas même.
— Au fait, Satan !
— Mon cher, concluait Lewis de Duras ["Lewis..." corrige "Bolingbroke"] , Adam n’est qu’un prête-nom. Pauvre dupe. Il a endossé le genre humain. L’homme a été fait à la femme par le diable.
Hugh Cholmley, comte de Cholmley, fort légiste, était interrogé [corrige "interpellé"] du [corrige "au"] banc des évêques par Nathanaël Crew, lequel était ["lequel était" ajouté] deux fois pair, pair temporel, étant ["pair temporel..." corrige cursivement "comme"] baron Crew, et pair spirituel, étant évêque de Durham.
— Est-ce possible, disait Crew?
— Est-ce régulier, disait Cholmley?
— L’investiture [faux départ: "s'est faite"] de ce nouveau venu s’est faite hors de la chambre, ["mais" barré en correction cursive] reprenait l’évêque, mais on affirme [corrige "dit"] qu’il y a des précédents.
— Oui. Lord Beauchamp sous Richard II. Lord Chenay sous Élisabeth.
— Et lord Broghill sous Cromwell.
[f° 523, U20]
— Cromwell ne compte pas.
— Que pensez-vous de tout cela ? [" + aventure + +": addition barrée]
— Des choses diverses [mis entre barres verticales, ensuite raturées] .
— Mylord comte de Chomley, quel sera le rang de ce jeune Fermain Clancharlie dans la chambre ?
— Mylord évêque, l’interruption républicaine ayant déplacé les anciens rangs, Clancharlie est aujourd’hui situé dans la pairie entre Barnard et Somers [en sc. sur un autre nom] , ce qui fait que, dans un cas de tour d’opinions, lord Fermain Clancharlie parlerait le ["septième" barré en correction cursive] huitième.
— En vérité ! un bateleur de place publique ! ["— Des choses diverses...": addition de premier niveau]
— L’incident en soi ne m’étonne point, mylord évêque. Ces choses là arrivent. Il en arrive de plus surprenantes. Est-ce que la guerre des deux roses n’a pas été annoncée par l’assèchement subit de la rivière Ouse en Bedford le Ier janvier 1399 ? Or, si une rivière peut tomber en sécheresse, un seigneur ["— L'incident en soi...": addition de second niveau, mais écrite dans la foulée et de la même plume. Elle se susbstitue à "— L'incident en soi ne m'étonne pas [en sc. sur "point" ou l'inverse]. + + + + [corrigé "seigneur"] "] peut tomber dans une condition servile. Ulysse, roi d’Ithaque, fit toutes sortes de métiers. Fermain Clancharlie est resté lord sous son enveloppe d’histrion. La bassesse de l’habit ne touche point la noblesse du sang. Mais la prise du test et l’investiture hors séance, quoique légale à la rigueur, peut soulever des objections. Je suis d’avis ["Je suis d'avis" corrige "Je pense"] qu’il faudra s’entendre sur la question de savoir s’il y aurait lieu plus tard à questionner en conversation d’état ["questionner..." corrige "interpeller"] le lord-chancelier. On verra dans quelques semaines ce qu’il y aura à faire.
Et l’évêque ajoutait :
— C’est égal. ["C’est égal." ajouté]
C’est une aventure [corrige "investiture"]
comme on n’en a pas vu depuis le comte Gesbodus. ["Et
l'évêque...": addition -postérieure à celle qui précède et à celle qui
suit]
Gwynplaine, l’Homme qui Rit, l’inn Tadcaster, la Green-Box, Chaos vaincu, ["+ + + qu'il y avait dans ce +" placé entre barres verticales puis barré] la Suisse, Chillon, les Comprachicos, l’exil, la mutilation, la république, ["l'exil...": ajouté à l'addition qui suit] Jeffryes, Jacques II, le jussu regis, ["le jussu regis," ajouté] la bouteille ouverte à l’amirauté, [le malfaiteur Hardquanonne sous la presse des juges, + + +, lord Fermain Clancharlie reconnu," barré] [["l'exil..."] ...": addition de premier niveau] le père, ["les fils," barré] lord Linnœus, le fils légitime, lord Fermain, le fils bâtard, lord David, les conflits probables, la duchesse Josiane, ["lord Linnœus...": addition de second niveau. Ces additions se substituent au texte initial; "les + + Clancharlie, lord David Dirry-Moir, la duchesse Josiane, lord Fermain Clancharlie"] le lord chancelier, la reine, tout cela courait de banc en banc. Une traînée de poudre, c’est le chuchottement. On s’en ressassait les détails. ["On se disait: c'est le commencement de quelque chose." phrase placée entre barres verticales sans être barrée, mais rayée à la copie] Toute cette aventure était l’immense murmure de la chambre. Gwynplaine, vaguement, [ajouté] au fond du puits de rêverie [corrige "songe"] où il était, entendait ce bourdonnement sans savoir que c’était pour lui.
Cependant il était étrangement [corrige "profondément"] attentif, mais attentif aux profondeurs ["aux profondeurs" corrige "au fond"] , non à la surface. L’excès d’attention se tourne en isolement. [paragraphe en addition]
Une rumeur dans une chambre n’empêche point la séance d’aller son train, pas plus qu’une poussière sur une troupe ne l’empêche de marcher. Les juges, qui ne sont [trois mots barrés, sans doute en correction cursive] a la chambre haute que de simples assistants ne pouvant parler qu’interrogés, avaient pris place sur le deuxième sac de laine, et [ajouté] les trois secrétaires d’état sur le troisième. [point corrige virgule] Les héritiers de pairie affluaient ["à la" barré en correction cursive] dans leur compartiment à la fois dehors et dedans, qui était [corrige "est"] en arrière du trône. Les pairs [réécrit après avoir été barré] mineurs étaient sur leur gradin [corrige "banc"] spécial. [La phrase a peut-être été ajoutée.] En 1705, ces petits lords ["ces petits lords" corrige "ils"] n’étaient pas moins de douze : Huntingdon, Lincoln, Dorset, Warwick, Bath, Burlington, Derwentwater, destiné à une mort tragique, ["destiné..." ajouté; de même à la copie] Longueville, Lonsdale, Dudley and Ward, et Carteret, ce qui faisait une marmaille de huit comtes, de deux vicomtes et de deux barons.
Dans l’enceinte, sur les trois étages de bancs, ["En 1705...": addition. Elle se substitue à la suite, sans alinea, du texte initial: "Sur les bancs hauts et bas,"] chaque lord [f° 524, V20] avait regagné son siége. Presque tous les évêques étaient là. Les ducs étaient nombreux, à commencer par [trois mots ou noms barrés] Charles Seymour, duc de Somerset, et à finir par Georges Augustus, prince électoral de Hanovre, duc de Cambridge, le dernier en date, et par conséquent le dernier en rang. Tous étaient en ordre, selon les préséances : Cavendish, duc de Devonshire, dont le grand-père avait abrité à Hardwick les quatrevingt-douze ans de Hobbes, [point-virgule à la copie autographe] ["dont le..." ajouté] Lennox, duc de Richmond, [point-virgule à la copie autographe] les trois Fitz-Roy, le duc de Southampton, le duc de Grafton et le duc de Northumberland, [point-virgule à la copie autographe] Butler, duc d’Ormond, [point-virgule à la copie autographe] Somerset, duc de Beaufort ["Somerset..." ajouté] [point-virgule à la copie autographe] Beauclerk, duc de Saint-Albans, [point-virgule à la copie autographe] Pawlett, duc de Bolton, [point-virgule à la copie autographe] ["Talbot, duc de Shrewsbury," barré] Osborne, duc de Leeds, [point-virgule à la copie autographe] Wriothesley Russell, duc de Bedford, ["Wriothesley..." ajouté] ["ayant pour cri d’armes et pour devise : Che sara sara, c’est-à-dire l’acceptation des événements ;" ajouté à la copie autographe] ["Churchill, duc de Marborough," barré; de même à la copie autographe] Sheffield, duc de Buckingham, Manners, duc de Rutland, et les autres. Ni ["Norfolk" barré en correction cursive] Howard, duc de Norfolk, ni Talbot, duc de Shrewsbury, ne siégeaient, étant catholiques ; ["tous étaient en ordre...": addition] ni Churchill, duc de Marborough, — notre Malbrouck — qui était en guerre et battait la France en ce moment-là. ["ni Churchill...": extension de l'addition, de la même écriture, en deux temps: d'abord jusqu'à "était en guerre."] Il n’y avait point alors de ducs écossais, Queensberry, Montrose et Roxburghe n’ayant été admis qu’en 1707. [faux départ d'un mot]
Tout à coup, il y eut dans la chambre une vive clarté [corrige
"lumière"] . Quatre doorkeepers [corrige
"garde-portes"] apportèrent et placèrent des deux côtés du
trone quatre hautes [ajouté]
torchères-candélabres chargées de bougies. Le trône ["apparut"
barré en correction cursive] , ainsi éclairé, apparut dans une
sorte de pourpre lumineuse. Vide, mais auguste. La reine dedans n’y eût
pas ajouté grand chose. [Les deux phrases sont
successivement ajoutées]
L’huissier de la verge noire entra, la baguette levée [corrige "haute"] , et dit :
— Leurs seigneuries les commissaires de sa majesté.
Toutes les rumeurs tombèrent. ["On fit silence." barré]
Un clerc en perruque et en simarre, ["en perruque.." ajouté] parut à la grande porte tenant un coussin fleurdelysé sur lequel on voyait ["on voyait" corrige "étaient"] des parchemins. Ces parchemins étaient des bills. A chacun pendait à une tresse de soie la bille ou bulle, d’or quelquefois, qui fait qu’on appelle les lois bills en Angleterre et bulles à Rome.
A la suite du clerc marchaient trois hommes en robes de pairs, le chapeau à plumes ["à plumes" ajouté] sur la tête.
Ces hommes étaient les commissaires royaux. Le premier était le lord haut-trésorier ["haut-" ajouté] d’Angleterre, ["Sydney, comte de" barré] Godolphin, le second était le lord président du conseil, ["Thomas Herbert, comte de" barré] Pembroke, ["et de Montgomery," barré] le troisième était le lord du sceau privé, ["John Hollis, comte de" barré] Newcastle.
Ils marchaient l’un derrière l’autre, selon la préséance, non de leur titre, mais de leur charge, Godolphin en tête, Newcastle le dernier, quoique duc [", quoique duc" ajouté] .
Ils vinrent [" + + la table" barré, sans doute en correction cursive] au banc [f° 525, X20] devant le trône, firent la révérence à ["firent..." corrige "saluèrent"] la chaise royale, ôtèrent et ["ôtèrent et" ajouté] remirent leurs chapeaux ["sur leur tête" barré] , et s’assirent sur le banc.
Le lord chancelier regarda l’huissier de la verge noire et dit :
— Mandez [corrige "Appelez"] à la barre les Communes.
L’huissier de la verge noire sortit.
Le clerc, qui était un clerc de la chambre ["haute" barré en correction cursive] des lords, posa sur la table, dans le carré des sacs de laine, le coussin où étaient les bills.
Il y eut une interruption [corrige "attente"] qui dura quelques minutes. Deux doorkeepers posèrent [corrige "apportèrent"] devant la barre un escabeau de trois degrés. [phrase ajoutée] [marches à monter notées en 24 747, f° 108] Cet escabeau était de velours incarnat sur lequel des clous dorés dessinaient des fleurs-de-lys. [phrase en addition de second degré; ajout autographe à la copie]
La grande porte, qui s’était refermée, se rouvrit, et une voix cria :
— Les fidèles communes d’Angleterre.
C’était l’huissier de la verge noire qui annonçait l’autre moitié du parlement ["l'autre moitié du parlement" corrige " la chambre basse à la chambre haute"].
["Les lords qui étaient découverts" addition inachevée et barrée]
Les lords mirent leurs chapeaux ["mirent..." corrige "se couvrirent"] . [paragraphe ajouté]
Les membres des ["membres des" ajouté] communes entrèrent, ["le speaker en tête" barré en correction cursive] précédés [corrige le féminin] du speaker, tous tête nue [", tous..." ajouté].
Ils s’arrêtèrent à la barre. Ils étaient en habit de ville, la plupart en noir, avec l’épée.
Le speaker, très honorable John Smyth, écuyer, membre pour le bourg d’Andover, ["Le speaker..." corrige et complète "L'orateur des communes"] monta sur l’escabeau qui était au milieu ["au milieu" corrige "devant" qui corrige "au centre"] de la barre. L’orateur des communes ["des communes" ajouté] avait une longue simarre de satin noir ["à fentes galonnées" barré en correction cursive] à larges manches et à fentes galonnées de brandebourgs d’or par derrière et par devant, et moins de perruque que le lord-chancelier. Il était majestueux, mais inférieur. [phrase ajoutée]
Tous ceux des communes, orateur et membres, demeurèrent en attente [corrige "silence"] , debout et nu-tête, devant les pairs assis et couverts.
On remarquait dans les communes le chef-justice de Chester, Joseph Jekyll, plus trois sergents en loi de sa majesté, Hooper, Powys et Parker, et James Montagu, solliciteur général, et l’attorney-général, Simon Harcourt [", et l'attorney-général..." ajouté] . A part quelques baronnets et chevaliers, et ["A part..." semble avoir été barré, puis réécrit en marge] neuf [corrige "huit"] lords de courtoisie, Hartington, Windsor, Woodstock, Mordaunt, Granby [copie fautive: "Gramby"], Scudamore, Fitzharding, Hyde, [", Hyde," ajouté] et Burkeley, fils de pairs et héritiers de pairies, tout le reste était du peuple. Sorte de sombre foule silencieuse.
Quand le bruit de pas de toute cette entrée eut cessé, le crieur de la verge noire, à la porte, dit :
— Oyez !
Le clerc de la couronne se leva. Il prit, déploya et lut ["à haute voix" barré] le premier des parchemins [f° 526, Y20] posés sur le coussin. C’était un message de la reine nommant, pour la représenter en son parlement, avec pouvoir de sanctionner les bills, trois commissaires, savoir : … — Ici le clerc haussa la voix.
— Sydney, comte de Godolphin.
Le clerc salua lord Godolphin ["lord Godolphin" remplace "profondément"] . Lord [ajouté] Godolphin souleva [corrige "toucha"] son chapeau. Le clerc continua :
— … Thomas Herbert, comte de Pembroke et de Montgomery.
Le clerc salua lord Pembroke ["lord Pembroke" ajouté] . Lord [ajouté] Pembroke toucha son chapeau. Le clerc reprit :
— … John Hollis, duc de Newcastle.
Le clerc salua lord Newcastle ["lord Newcastle" ajouté] . Lord [ajouté] Newcastle fit un signe de tête.
Le clerc de la couronne se rassit. Le clerc du parlement se leva. Son sous-clerc, qui était à genoux, se leva en arrière de lui. Tous deux faisant face au trône, et ["dos" barré en correction cursive] tournant le dos aux communes. [phrase ajoutée]
Il y avait sur le coussin cinq [corrige "quatre"] bills. Ces cinq [corrige "quatre"] bills, votés par les communes et consentis par les lords, attendaient la sanction royale.
Le clerc du parlement lut le premier bill.
C’était un acte ["gracieux" barré] des communes, qui mettait [", qui mettait" corrige "mettant"] à la charge de l’état les embellissements faits par la reine à sa résidence de Hampton-court, se montant à un million sterling.
Lecture faite, le clerc salua profondément le trône. Le sous-clerc répéta le salut plus profondément encore, puis tournant à demi la tête vers ["les membres des" barré] les [ajouté] communes, dit: [deux ou trois mots, encadrés de barres verticales, et barrés]
— La Reine accepte vos bénévolences et ainsi le veut.
Le clerc lut le deuxième bill.
C’était une loi ["une loi" corrige "un acte"] condamnant à la prison et à l’amende quiconque se soustrairait au service des trainbands. Les trainbands (troupe qu’on traîne où l’on veut), sont cette milice bourgeoise qui sert gratis et ["qui sert..." ajouté] qui, sous Élisabeth, à l’approche de l’armada, avait donné cent quatre vingt cinq ["cinq" ajouté cursivement] mille fantassins et quarante mille cavaliers.
Les deux clercs firent ["+ révérence" barré en correction cursive] à la chaise royale une nouvelle révérence ; [f° 527, Z20] après quoi le sous-clerc, de profil ["de profil" corrige "par dessus son épaule"] , dit à la chambre des communes :
— La Reine le veut.
Le troisième bill accroissait [corrige "augmentait"] les dîmes et prébendes ["les dîmes..." corrige "le montant des +"] de l’évêché de Lichfield et de [ajouté] Coventry, qui est une [corrige "un"] des plus riches prélatures [ajouté] d’Angleterre, [un mot barré en correction cursive] faisait une rente à ["faisait..." corrige "dotait"] la cathédrale, augmentait le nombre des chanoines, et [", augmentait le nombre..." ajouté] ["et en" barré] grossissait le doyenné et les bénéfices, « afin de pourvoir, disait le préambule, aux nécessités de notre sainte religion ». Le quatrième bill ajoutait au budget de nouveaux impôts, un sur le papier marbré, ["Le troisième bill...": addition de second niveau; elle se substitue au texte initial: "Le troisième bill ajoutait au budget de nouveaux impôts, un sur le papier marbré ["et les jeux de cartes" barré] ,"] un sur les carrosses de louage fixés au nombre de huit cents dans Londres et taxés cinquante-deux livres ["sterling" ajouté et barré] par an chaque, un sur les avocats, procureurs et solliciteurs, de quarante-huit livres ["sterling" ajouté et barré] par tête par an, ["un sur les carrosses...": addition de premier niveau] un sur les peaux tannées, « nonobstant, disait le préambule, les doléances des artisans en cuir », un sur le savon, « nonobstant les réclamations [guillemets fermants raturés] de la ville d’Exeter et du Devonshire où l’on fabrique quantité de serge et de drap », un sur le vin, de quatre schellings par barrique, un sur la farine, un sur l’orge et le houblon, ["un sur la farine..." ajouté] et renouvelait pour quatre ans, les besoins de l’état, disait le préambule, devant passer avant les remontrances du commerce, [", les besoins...": ajouté] l’impôt du tonnage variant de six livres tournois par tonneau pour les vaisseaux venant d’occident à dix-huit livres pour ceux venant d’orient. Enfin le bill, déclarant insuffisante la capitation ordinaire déjà levée [corrige "payée"] pour l’année courante, s’achevait par ["Enfin le bill, déclarant..." corrige "Enfin le bill se terminait par"] une surtaxe [corrige "taxe"] générale sur tout le royaume de ["quarante sh" barré en correction cursive] quatre schellings ou quarante-huit sous tournois par tête de sujet, avec mention que ["mention que" corrige "avis à"] ceux qui refuseraient de prêter les nouveaux serments au gouvernement, paieraient [corrige "acquitteraient" qui corrige "de payer"] le double de la taxe. ["Enfin le bill, déclarant...": addition] Le cinquième [corrige "dernier"] bill faisait défense d’admettre à l’hôpital aucun malade s’il ne déposait en entrant une livre sterling pour payer, en cas de mort, son enterrement. Les trois [corrige "deux"] derniers bills, comme les deux premiers, furent, l’un après l’autre, sanctionnés et faits lois par une salutation [corrige "profonde révérence"] au trone et par les quatre mots du sous-clerc « la reine le veut » dits, par-dessus l’épaule, aux communes.
Puis le sous-clerc se remit à genoux devant le quatrième sac de laine, et ["le sous-clerc..." ajouté] le lord-chancelier dit :
— Soit fait comme il est désiré.
Ceci terminait la séance royale. [paragraphe ajouté]
Le speaker, courbé en deux devant le chancelier, descendit à reculons de l’escabeau, en rangeant sa robe derrière lui ; ["en rangeant..." ajouté] ceux des communes s’inclinèrent jusqu’à terre, [une demi-ligne s'achevant par "les regardassent" barrée] et pendant que la chambre haute reprenait, sans faire attention à toutes ces révérences, [", sans faire attention..." ajouté] son ordre du jour interrompu ["son ordre..." corrige "sa séance interrompue"] , la chambre basse s’en alla.
Les portes se refermèrent ; l’huissier de la verge noire rentra ; les lords commissaires [deux ou trois mots barrés, sans doute en correction cursive] quittèrent le banc ["royal" barré en correction cursive] d’état et ["prirent les" barré en correction cursive] vinrent s’asseoir en tête du banc des ducs, aux places de leurs charges, ["aux places..." ajouté] et le lord-chancelier prit la parole :
— Mylords, la délibération de la chambre étant depuis plusieurs jours ["étant depuis..." corrige "est"] sur le bill qui propose d’augmenter de cent mille livres sterling la provision annuelle de son altesse royale le prince mari de sa majesté, [corrige point] le débat ayant été épuisé et clos, ["le débat..." ajouté] il va être procédé au vote. Le vote sera pris, [f° 528, A21] selon l’usage, à partir du puîné du banc des barons. Chaque lord, à l’appel de son nom, se lèvera et [", à l'appel..." ajouté] répondra content ou non content, et sera libre d’exposer ses motifs de ["sera libre..." corrige "motivera son"] vote, s’il le juge à propos ["juge..." corrige "désire"] . Clerc, appelez le vote.
Le clerc du parlement [corrige "de la chambre"] debout, ouvrit ["debout..." corrige "se leva et posa devant lui"] un large [corrige "grand"] in-folio exhaussé sur un pupitre doré, ["exhaussé..." remplace "ouvert"] qui était le Livre de la Pairie.
Le puiné de la chambre à cette époque était lord John Hervey, créé baron et pair en 1703, duquel sont issus [corrige "sortis"] les marquis de Bristol.
Le clerc appela :
— Mylord John, baron Hervey.
Un vieillard en perruque blonde se leva et dit :
— Content.
Puis se rassit.
Le sous-clerc enregistra le vote. [paragraphe ajouté]
Le clerc continua :
— Mylord Francis Seymour, baron Conway de Killultagh.
— Content, murmura en se soulevant à demi un élégant jeune homme à figure de page ["à figure de page" ajouté] , qui ne se doutait point qu’il était le grand père [corrige "l'ancêtre"] des marquis d’Hertford.
— Mylord John Leveson, baron Gower, reprit le clerc.
Ce baron, d’où devaient sortir les ducs de Sutherland, se leva et dit en se rasseyant :
— Content.
Le clerc poursuivit :
— Mylord Heneage Finch, baron Guernesey.
L’aïeul des comtes d’Aylesford, non moins jeune et non moins élégant que l’ancêtre [corrige "aïeul"] des marquis d’Hertford, justifia sa devise Aperto vivere voto, par la hauteur de son consentement.
— Content, cria-t-il.
Pendant qu’il se rasseyait, le clerc appelait le cinquième baron :
— Mylord John, baron Granville.
— Content, répondit, tout de suite levé et rassis, lord Granville de Potheridge, dont la pairie sans avenir devait s’éteindre en 1709.
[f° 529, B21]
Le clerc passa au sixième.
— Mylord Charles Mountague [correction immédiate de "Montague"] , baron Halifax.
— Content, dit lord Halifax, porteur d’un titre sous lequel s’était éteint le nom de Saville et devait s’éteindre le nom de Mountague [correction immédiate de "Montague"] . Mountague est distinct de Montagu et de Mountacute. [Il est probable que VH a procédé à ces corrections après une vérification qu'enregistre cette phrase.]
Et lord Halifax ajouta :
— Le prince Georges ["Le prince..." corrige "Son altesse royale"] a une dotation comme mari de sa majesté ; [addition abandonnée de trois ou quatre mots] il [rétabli après correction en "elle"] en a une autre comme prince de Danemark, ["et" barré] une autre comme duc de Cumberland, et une autre comme lord-haut-amiral d’Angleterre et d’Irlande, mais il [rétabli après correction en "elle"] n’en a point comme généralissime. C’est là une injustice. Il faut faire cesser ce désordre, ["Il faut faire..." corrige "C'est un désordre qu'il faut faire cesser"] dans l’intérêt du peuple anglais. ["Et lord Halifax ajouta...": addition]
Puis lord Halifax fit l’éloge de la religion chrétienne, ["et vota le subside" barré en correction cursive] blâma le papisme [on ne comprend pas pourquoi "blâma le papisme" est barré avant d'être réécrit] et vota le subside. ["Puis lord Halifax fit..." addition de second niveau]
Lord Halifax rassis, le clerc repartit :
— Mylord Christophe, baron Barnard.
Lord Barnard, de qui devaient naître les ducs de Cleveland, se leva à l’appel de son nom.
— Content [", dit-il" barré] .
Et il mit quelque lenteur à se rasseoir, ayant [entre la ligne qui suit et celle qui précède, cette note au crayon: "ici Gwynplaine". Elle ne s'explique guère que par une interruption, plus ou moins longue, de la rédaction, dont il n'y a pas d'autre trace.] un rabat de dentelle qui valait la peine d’être remarqué. C’était du reste un digne gentilhomme et un vaillant officier que lord Barnard.
Tandis que lord Barnard se rasseyait, le clerc, qui lisait de routine, eut quelque hésitation. Il raffermit ses lunettes et se pencha sur le registre avec un redoublement d’attention, puis redressant la tête, il dit ["d'une voix hésitante" plusieurs fois corrigé, le tout barré] :
— Mylord Fermain Clancharlie, baron Clancharlie et Hunkerville.
Gwynplaine se leva :
— Non content, dit-il.
[Jusqu'à la fin du folio le texte est écrit, à l'encre, sur un texte préparatoire au crayon, presque identique dans les premières lignes. On distingue: "Toutes les têtes se tournèrent. Gwynplaine debout. Les gerbes des chandelles placées des deux côtés du trône éclairaient vivement sa face et la faisaient saillir sur le fond sombre avec le relief d'un masque lumineux. Il y eut un frémissement indescriptible. + + + + oui! c'est moi, c'est le nouveau, c'est l'inconnu, my lords..."] Toutes les têtes se tournèrent. Gwynplaine était debout. Les gerbes de chandelles placées des deux côtés du trône éclairaient vivement sa face, et la faisaient saillir dans la vaste salle obscure ["dans la vaste..." corrige "sur le fond sombre"] avec le relief qu’aurait un ["qu'aurait un" corrige "d'un"] masque sur un fond de fumée ["sur un fond..." corrige "dans de la nuit"] . ["Il y eut un frémissement indescriptible." barré et repris au folio suivant]
Gwynplaine avait fait sur lui cet effort qui, on s’en souvient, lui était, à la rigueur, possible. Par une concentration de volonté égale à celle qu’il faudrait pour dompter un tigre, ["à lui + sur + +," barré] il avait réussi à ramener pour un moment au sérieux le fatal ["le fatal" corrige trois qualifications, dont "l'effrayant"] rictus de son visage. Pour [f° 530, C21] [Les premières lignes sont écrites sur un texte préparatoire au crayon. On distingue "l'archevêque le + / — D'où sortez-vous? / — Du gouffre et je viens vous en parler"] l’instant, il ne riait pas. Cela ne pouvait durer longtemps ; les désobéissances à ce qui est notre loi, ou notre fatalité, sont courtes ; parfois l’eau de la mer résiste à la gravitation ["résiste..." corrige "brise l'ordre du globe"] , s’enfle en trombe et fait une montagne, mais à la condition de retomber. Cette lutte était celle de Gwynplaine. Pour une minute qu’il sentait solennelle, ["mais" barré en correction cursive] par une prodigieuse intensité de volonté, mais [en sc. cursive sur "il"] pour pas beaucoup plus de temps qu’un éclair, il avait jeté sur son front [corrige "sa face"] le sombre voile de son âme ; il tenait en suspens son incurable rire ; de cette face qu’on lui avait sculptée, il avait retiré la joie. Il n’était plus qu’effrayant.
— Qu’est cet homme ? ce fut le cri. [paragraphe ajouté]
[cinq lignes de la rédaction iniitale, barrées sur toute leur longueur, seront reprises plus bas: "Les assemblées sont comme les enfants ; les incidents sont leur boîte à surprises, et elles en ont le goût et la peur. Il semble parfois qu’un ressort joue, et il sort du trou un diable. Ainsi en France Mirabeau."]
["Il y eût sur tous les bancs ["sur tous..." corrige "dans toute la salle"] " barré] Un [d'abord minuscule] frémissement indescriptible courut sur tous les bancs ["courut..." ajouté] . Ces cheveux en forêt, ces ["profonds" barré] enfoncements noirs [ajouté] sous les sourcils, ce regard ["perdu dans la" barré en correction cursive] profond d’un œil qu’on ne voyait pas, le modelé farouche de cette tête [corrige "face"] ["prométhéenne" barré] mêlant hideusement l’ombre et la lumière, ce fut surprenant. Cela dépassait tout. [faux départ: "Ceux même"] On avait eu beau parler de Gwynplaine, le voir fut formidable. Ceux même qui s’y attendaient ne s’y attendaient pas. Qu’on s’imagine [corrige "se figure"] , sur la montagne réservée aux dieux [", sur la montagne..." corrige "sur l'Olympe" correction distincte de la précédente] , dans la fête d’une soirée sereine, toute la troupe des tout-puissants [variante sans choix préférée à la copie à "immortels" en sc. sur "dieux" qui corrige "immortels"] réunie, et la face de Prométhée, ["toute" barré] ravagée par les coups de bec du vautour, apparaissant tout à coup comme une lune sanglante à l’horizon. L’Olympe apercevant le Caucase, quelle vision ! ["L'Olympe..." : addition] Vieux et jeunes, béants, regardèrent Gwynplaine.
[f° 531, D21]
Un vieillard vénéré de toute la chambre, qui avait vu beaucoup d’hommes [corrige "de choses"] ["et beaucoup" barré. VH a écrit "beaucoup de choses et beaucoup" barré le tout, corrigé "choses" et réécrit "et beaucoup"] et beaucoup de choses, et qui était désigné pour être duc, ["et qui était désigné..." ajouté] Thomas, comte de Warton, ["qui devait mourir peu après" barré] se leva effrayé [corrige cinq autres qualifications dont "indigné", "effaré" et, texte initial, "épouvanté"] .
— Qu’est-ce que cela veut dire, cria-t-il? qui a introduit cet homme dans la chambre ? Qu’on mette cet homme dehors.
Et apostrophant Gwynplaine avec hauteur [corrige "une hauteur vêtue d'hermine"] :
— Qui êtes-vous ? d’où sortez-vous ?
Gwynplaine répondit :
— Du gouffre.
Et, croisant les bras, il regarda les lords [un mot barré, sans doute "fixement"] .
— Qui je suis ? je suis la misère. Mylords, j’ai à vous parler.
II y eut un frisson, et un silence. Gwynplaine continua. [Ces
deux phrases sont d'abord barrées et intégrées à la grande addition
"Gwynplaine en ce moment sentait en lui...." implantée alors à cet
endroit; elles sont rétablies lorsque cette addition est reportée
après "Ainsi en France Mirabeau, difforme lui aussi."]
— Mylords, vous êtes en haut. [deux mots barrés en correction cursive] C’est bien. Il faut croire que Dieu a [en sc. sur "à"] ses raisons pour cela. Vous avez ["les privilèges," qui corrige "la jouissance," le tout barré] le pouvoir, [ajouté] l’opulence, la joie, le soleil immobile à votre zénith, l’autorité sans borne [mis au singulier] , la jouissance sans partage, [corrige point] l’immense oubli des autres. Soit. Mais il y a ["quelque chose" barré en correction cursive] au [oublié et ajouté] dessous de vous quelque chose. Au dessus peut-être. Mylords, je viens vous apprendre une nouvelle. Le genre humain existe.
Les assemblées sont comme les enfants ; les incidents sont leur boîte à surprises, et elles en ont la peur, et le goût. Il semble parfois qu’un ressort joue, et l’on voit jaillir du trou un diable. Ainsi en France Mirabeau, [virgule corrige point] difforme lui aussi ["difforme lui aussi" corrige lui aussi difforme" le tout ajouté; de même à la copie pour l'ajout et pour sa correction] .
["Il y eut un frisson et un silence." première phrase de l'addition qui suit. Elle intègre le texte initial et est barrée lorsque l'addition est déplacée et vient ici au lieu de suivre "j'ai à vous parler".]
Gwynplaine en ce moment sentait en lui un grandissement étrange. Un
groupe d’hommes ["d’hommes" est barré puis
rétabli] à qui l’on parle, c’est un trépied. On est, pour ainsi
dire, debout sur une cîme d’âmes. On a sous son talon [corrige
"pied"] un tressaillement d’entrailles humaines [ajouté]
. Gwynplaine n’était plus l’homme qui, la nuit précédente, avait été, un
instant, presque petit. Les fumées de cette élévation [corrige
"grandeur"] subite, qui l’avaient troublé [corrige
"enlevé"(?)] , s’étaient allégées [corrige
"dissipées"] et avaient pris de la transparence ["et
avaient pris..." ajouté] , et là où [faux
départ: "il y avait eu une séduction et une vanité"] Gwynplaine
[corrige "il"] avait été séduit par une
vanité, il voyait maintenant une fonction. Ce qui l’avait d’abord
amoindri, à présent le rehaussait. ["Le
seigneur s'effaçait |corrige +] le législateur commençait." phrase
placée entre barres verticales puis barrée] Il était illuminé
d’un de ces grands éclairs qui viennent du devoir. [phrase
ajoutée]
["Gwynplaine continua:" cette fin de l'addition, qui intègre le texte initial, est barrée lorsque l'addition est déplacée et le texte initial rétabli.]
On cria de toutes parts autour de Gwynplaine : ["Ecou" barré en correction cursive pour placer le tiret de dialogue] — Écoutez ! Écoutez !
Lui cependant, crispé et surhumain, réussissait à maintenir sur son visage la contraction sévère et lugubre, sous laquelle se cabrait le rictus, comme un cheval [f° 532, E21] sauvage prêt à s’échapper. Il reprit : [Le développement qui suit emprunte plusieurs éléments à une rédaction antérieure (24 747, f° 181v), vraisemblablement destinée d'abord au chapitre II, 5, 5 et qu'une note de régie prévoit de réserver pour le discours à la chambre des lords et pour le dénouement.]
— Je suis celui qui vient des profondeurs. Mylords. [point corrigé en virgule à la copie] ["Je suis celui..." barré plus bas et ajouté ici] vous [d'abord majuscule] êtes ["les puissants," barré] les grands et les riches. C’est périlleux. [phrase placée entre barres verticales, ensuite raturées] ["Je viens vous avertir." déplacé à la fin de l'addition qui suit] Vous profitez de la nuit. Mais prenez garde, il y a une grande puissance, l’aurore. L’aube ne peut être vaincue. Elle arrivera. Elle arrive. Elle a en elle le jet du jour irrésistible. Et qui empêchera cette fronde de jeter le soleil dans le ciel ? Le soleil, c’est le droit. Vous, vous êtes le privilége.
["Ecoutez-moi, réfléchissez" barré] ["Vous profitez..." addition de premier niveau]
Ayez peur. Le vrai maître de la maison va ["arriver" barré en correction cursive] frapper à la porte. Quel est le père du privilége ? le hasard. Et quel est son fils ? l’abus. Ni le hasard ni l’abus ne sont solides. Ils ont l’un et l’autre un mauvais lendemain. ["Ayez peur..." addition de second niveau] Je viens vous avertir. Je viens vous dénoncer votre bonheur. Il est fait du malheur d’autrui. Vous avez tout, et ce tout se compose du rien des autres. Mylords, je suis l’avocat désespéré [corrige "sinistre" qui corrige "lugubre"] , et je plaide la cause perdue. Cette cause, Dieu la regagnera. Moi, je ne suis rien, qu’une voix. Le genre humain est une bouche, et j’en suis le cri. Vous m’entendrez. Je viens ouvrir devant vous, pairs d’Angleterre, les grandes assises du peuple, ce souverain, qui est le patient, ce condamné, qui est le juge. [faux départ: "Par où"] Je plie sous ce que j’ai à dire. Par où commencer ? Je ne sais. J’ai ramassé dans la vaste diffusion des souffrances mon énorme plaidoirie éparse. Qu’en faire maintenant ? elle m’accable, et je la jette pêle-mêle devant moi ["pêle-mêle devant moi" corrige "devant vous"] . Avais-je prévu ceci ? non. Vous êtes étonnés, moi aussi. Hier j’étais un bateleur, aujourd’hui je suis un lord. Jeux profonds. De qui ? de l’inconnu. Tremblons tous. Mylords, tout l’azur est de votre côté. De cet immense univers, ["tout l'azur..." addition] vous ne voyez que la fête ["voyez que..." corrige "connaissez que la lumière"] ; sachez qu’il y a de l’ombre. ["Je suis celui qui vient des profondeurs." barré et déplacé plus haut] Parmi vous je m’appelle lord Fermain Clancharlie, mais mon vrai nom est un nom de pauvre, Gwynplaine. [phrase ajoutée en interligne, puis réécrite en tête de l'addition qui suit] Je suis un misérable taillé dans l’étoffe des grands [corrige "heureux"] par un roi, dont ce fut le bon plaisir. Voilà mon histoire. ["Je suis un misérable...": addition de second niveau] Plusieurs d’entre vous ont connu mon père, je ne l’ai pas connu. C’est par son côté féodal qu’il vous touche, et moi je lui adhère par son côté proscrit. Ce que Dieu a fait est bien. J’ai été jeté au gouffre. Dans quel but ? pour que j’en visse ["Dans quel but..." corrige "Pourquoi? pour en voir"] le fond. Je suis un plongeur, et je rapporte la perle, la vérité. Je parle, parce que je sais. ["Ah" ou "Oh" ou "Mais" ou "Et" barré] Vous m’entendrez, mylords. [" + vous m'entendrez...": ajouté] J’ai éprouvé. J’ai vu. La souffrance, non, [ajouté] ce n’est pas un mot, messieurs les heureux. [phrase en addition] ["L'hiv" barré en correction cursive] La pauvreté, j’y ai grandi , l’hiver, j’y ai grelotté, la famine, j’en [corrige "y"] ai goûté, le mépris, je l’ai subi, la peste, je l’ai eue, la honte, je l’ai bue. Et je la revomirai [f° 533, F21] devant vous, ["cette honte,"; addition abandonnée; intégrée à la copie, elle y est barrée] et ce vomissement de toutes les misères éclaboussera vos pieds et flamboiera. ["Mylords, je suis la vérité, et vous êtes la chimère." barré et repris, sous une forme légèrement différente au f° 540] J’ai hésité avant de me laisser amener à cette place où je suis [à cette place..." corrige "au milieu de vous" qui corrige "ici"] , car j’ai ailleurs d’autres devoirs; et ce n’est pas ici qu’est mon cœur. Ce qui s’est passé en moi ne vous regarde pas ; [faux départ: "j'ai eu un moment l'idée de refuser"] quand l’homme que vous nommez [corrige "appelez"] l’huissier de la verge noire est venu me chercher de la part de la femme que vous nommez [corrige "appelez"] la reine, j’ai eu un moment l’idée de refuser. ["et ce n'est pas ici...": addition] Mais [d'abord minuscule] il m’a semblé que l’obscure main de Dieu me poussait de ce côté, et j’ai obéi. ["Me voici." barré] J’ai senti qu’il fallait que je vinsse parmi vous. Pourquoi ? à cause de mes haillons d’hier. C’est pour prendre la parole parmi les rassasiés [en sc. sur "élus" et corrige "heureux"] que Dieu m’avait mêlé aux affamés [corrige "déshérités", qui corrige "affamés", qui corrige "damnés", qui corrige "malheureux"; cet ordre n'est pas certain.] . Oh ! ayez pitié ! ["Oh ! ayez pitié !" ajouté] Oh ! ce fatal monde dont vous croyez être ["vous croyez être" corrige "vous êtes"] , vous ne le connaissez point [en sc. sur "pas"] . Si haut, vous êtes dehors. Je vous dirai moi, ["Je vous dirai..." corrige "Je vais vous dire"] ce que c’est. De l’expérience, j’en ai. J’arrive de dessous la pression. Je puis vous dire ce que vous pesez. O vous les maîtres [corrige "Mylords"] , ce que vous êtes, le savez-vous ? Ce que vous faites, le voyez-vous ? Non. Ah ! tout est terrible [corrige "sinistre" qui corrige "horrible"] . ["De l'expérience...": addition] Une nuit, une nuit de tempête, tout petit, abandonné, orphelin, seul dans la création [corrige "l'univers"] démesurée [mis au féminin] , ["+," mis entre barres verticales et rayé] j’ai fait mon entrée dans cette obscurité que vous appelez la société. La première chose que j’ai vue, c’est la loi, sous la forme d’un gibet ; la deuxième, c’est la richesse, c’est votre richesse ["c'est la richesse..." corrige "c'est la prospérité pour les +" qui corrige ["c'est + + + +"] , sous la forme d’une femme morte de froid et de faim ; la troisième, c’est l’avenir, sous la forme d’un enfant agonisant ; la quatrième, c’est le bon, le vrai, et le juste sous la figure d’un vagabond n’ayant pour compagnon et pour ami ["et pour ami" ajouté] qu’un loup.
[faux départ: "Pour Gwynplaine l'effort [barré] la tension où"]
[second faux départ: "Pour Gwynplaine, l'émotion c'était l'écueil. Ici il sentit lui monter à la gorge les sanglots"]
En ce moment, Gwynplaine, pris d’une émotion poignante, sentit lui monter à la gorge les sanglots, ce qui fit, chose sinistre [corrige "terrible" qui est abandonné après avoir été rétabli (1. "terrible" inscrit; 2. "sinistre" inscrit et "terrible" barré; 3. "terrible" rétabli, mais sans que "sinistre" soit barré; 4. "terrible" barré)] , qu’il éclata de rire.
[Le texte qui suit jusqu'à la fin du folio
est écrit par dessus un texte préparatoire au crayon. On distingue:
"contagion immédiate. Il y avait une ombre sur l'assemblée un nuage de
rire creva + + +] La contagion fut immédiate. Il y avait sur
l’assemblée un nuage ; il pouvait crever en épouvante, il creva en joie.
Le ["fou" barré] rire, cette démence
épanouie [corrige "gaie"] , prit toute
la chambre. [faux départ: "Les foules"]
Les cénacles d’hommes souverains ne demandent pas mieux que de
bouffonner. [f° 534, G21] Ils se vengent
ainsi de leur sérieux. [signe d'aliéa à faire
ajouté]
Un rire de rois ressemble à un rire de dieux ; cela a toujours une pointe cruelle. Les lords se mirent à jouer. [phrase ajoutée] Le ricanement aiguisa le rire ["des lords" barré] . On battit des mains autour de celui qui parlait, et on l’outragea [corrige "insulta"] . Un pêle-mêle d’interjections joyeuses ["d'interjections..." corrige "de cris joyeux"] l’assaillit, grêle gaie et meurtrissante.
— Bravo, Gwynplaine ! — Bravo, l’Homme qui Rit ! — Bravo, le museau [corrige "pantin"] de la Green-Box !
— Bravo, la hure du Tarrinzeau-field ! ["Bravo,
la hure..." ajouté; de même à la copie] — [tiret
manquant au ms, présent à la copie autographe] Tu viens nous
donner une représentation [", merci" barré]
. [corrige virgule] C’est bon !
bavarde ! ["C’est bon ! bavarde !" ajouté]
— En voilà un qui m’amuse ! ["— Bonjour,
muffle +!" barré] — Mais rit-il bien, cet animal-là !
— Bonjour, pantin ! — Salut à lord Clown ! — Harangue, va ! ["— En
voilà un qui...": addition; elle se substitue à "lord clown!"]
— C’est un pair d’Angleterre, ça ! — Continue ! — Non ! non ! — Si !
si ! ["— C'est un pair d'Angleterre..."
addition de second niveau. Elle se substitue à " — Continue! — Bravo!
Encore! — C'est un lord, un pair d'Angleterre, ["un pair..." ajouté]
ça! — Hep! Hep! Hep!"]
Le lord-chancelier était assez mal à son aise. [paragraphe ajouté, antérieurement aux additions qui précèdent]
["Un vieillard + + + + + + se réveilla." barré] Un lord sourd, ["Un lord sourd," ajouté] James Butler, duc d’Ormond, faisant de sa main à son oreille un cornet acoustique, ["faisant de sa main..." ajouté; de même à la copie] demandait à Charles Beauclerk, duc de Saint-Albans :
— Comment a-t-il voté ?
St Albans répondait :
— Non content.
— Parbleu, disait [corrige "s'écriait"] Ormond [corrige "Lewis [rétabli après surcharge en +] de Duras"; à la copie, même correction de "Lewis de Duras" par "Ormond"] , je le crois bien. ["je le crois bien." ajouté] Avec [d'abord minuscule] ce visage-là !
["Et les rires redoublaient." barré]
[le paragraphe qui suit est écrit au-dessus d'un texte préparatoire au crayon; on distingue: "Il se roidit. Fait effort pour ressaisir l'auditoire + + + + + + + + sont un écueil + + + + "] Une foule échappée, — ["et" ajouté à la copie] les assemblées sont des foules — ressaisissez-la donc. L’éloquence est un mors, si le mors casse, l’auditoire s’emporte [corrige "se dérobe"] et rue jusqu’à ce qu’il ait désarçonné l’orateur. L’auditoire hait l’orateur. [Phrase notée en 15 812, f° reconstitué 75-122v] On ne sait pas assez cela. ["L'auditoire hait..." ajouté] Se raidir sur la bride semble une ressource, et n’en est pas une. Tout orateur l’essaie. C’est l’instinct. Gwynplaine l’essaya.
Il considéra un moment ces hommes qui riaient. [paragraphe ajouté]
— Alors, cria-t-il, vous insultez la misère. Silence, pairs
d’Angleterre ! juges, écoutez la plaidoirie. ["Silence..."
ajouté] ["Vous riez!" barré]
Oh ! je vous en conjure, ayez pitié ! Pitié pour qui ? Pitié pour vous.
Qui est en danger ? C’est vous. ["Qui est en
danger..." ajouté et se substitue à "N'abusez pas." barré] Est-ce
que vous ne voyez pas que vous êtes dans une balance et qu’il y a dans
un plateau votre puissance et dans l’autre votre responsabilité ? ["Est-ce que vous ne sentez pas que" barré]
Dieu vous pèse. [point corrige point
d'interrogation] Oh ! ne riez pas. Méditez. Cette oscillation
de la balance de Dieu, c’est le tremblement de la conscience. Vous
n’êtes pas méchants. Vous êtes des [f° 535, H21]
hommes comme les autres, ni meilleurs ni pires. Vous vous croyez des
dieux, soyez malades demain, et regardez frissonner [ajouté,
corrige "trembler", lui-même ajouté] dans la fièvre votre
divinité. Nous nous valons tous. Je m’adresse aux esprits honnêtes, il y
en a ["parmi vous," barré, peut-être en
correction cursive] ici, je m’adresse aux intelligences
élevées, il y en a ; ["je m’adresse aux
intelligences..." ajouté] je m’adresse aux âmes généreuses [corrige deux mots non lus dont le deuxième est
l'objet d'une correction en "nobles", également barrée] , il y
en a. Vous êtes pères, fils et frères, donc vous êtes souvent attendris
["souvent attendris" corrige "bons"] .
Celui de vous qui a regardé ce matin le réveil de son petit enfant est
bon ["est bon" corrige "me comprendra"]
. ["Celui de vous..." phrase ajoutée]
Les cœurs sont les mêmes. ["Et" barré]
L [d'abord minuscule] ’humanité n’est
pas autre chose qu’un cœur. Entre ceux qui oppriment et ceux qui sont
opprimés, il n’y a de [omis et ajouté]
différence que l’endroit où ils sont situés. Vos [en
sc. cursive sur "Vous"] pieds marchent sur des têtes, ce n’est
pas votre faute. C’est la faute de la Babel sociale. Construction
manquée, toute en surplombs. [phrase ajoutée]
Un étage accable l’autre. Écoutez-moi, je vais vous dire. Oh ! puisque
vous êtes puissants, soyez fraternels [corrige
"tendres"(?)] , puisque vous êtes grands, soyez doux. Si vous
saviez ce que j’ai vu ! Hélas, en bas, quel tourment ! Le genre humain
est au cachot. Que de damnés, qui sont des innocents ! Le jour manque,
l’air manque, la vertu manque ; on n’espère pas, et, ce qui est
redoutable [corrige "terrible"] , on
attend. Rendez-vous compte de ces détresses. Il y a des êtres qui vivent
dans la mort. Il y a des petites filles qui commencent à huit ans par la
prostitution et qui finissent à vingt ans par la vieillesse. Quant aux
sévérités pénales, elles sont épouvantables. [faux
départ: "Pas plus tard qu'hier"] Je parle un peu au hasard, et
je ne choisis pas. Je dis ce qui me vient à l’esprit. Pas plus tard
qu’hier, moi qui suis ici ["suis ici" corrige
"vous parle"] , j’ai vu un homme enchaîné et nu, avec des
pierres sur le ventre, expirer dans la torture. Savez-vous cela ? non. [faux départ: "Aucun de vous si"] Si vous
saviez ce qui se passe ["en bas" barré]
, aucun de vous n’oserait être heureux. ["Quant
aux sévérités...": addition] [faux
départ: "Il y a dans les mines"] Qui est-ce qui est allé à
Newcastle-on-Tyne ? Il y a dans les mines des hommes ["sous
la terre" barré] qui mâchent du charbon ["de
terre" barré] pour s’emplir l’estomac et tromper la faim.
Tenez, dans le comté de Lancastre, Ribblechester, à force d’indigence,
de ville est devenue village. [phrase ajoutée]
Je ne trouve pas que le prince George de Danemark ait besoin de cent
mille guinées de plus. J’aimerais mieux recevoir à l’hôpital l’indigent
malade sans lui faire payer d’avance son enterrement. En Caërnarvon, à
Traith-maur comme à Traith-bichan, l’épuisement des pauvres est
horrible. A Strafford, on ne peut dessécher le marais, faute d’argent.
Les fabriques de draperie sont fermées dans tout le Lancashire. Chômage
partout. ["En Caërnarvon..." ajout à
l'addition qui suit] Savez-vous que les pêcheurs de hareng de
Harlech mangent de l’herbe quand la pêche manque ? [Cette
phrase qui est le début de l'addition de premier niveau est barrée,
puis rétablie.] Savez-vous qu’à Burton-Lazers il y a encore des
lépreux traqués, et auxquels on tire des coups de fusil s’ils sortent de
leurs tanières ? A Ailesbury, ville [ajouté]
dont un de vous est lord, la disette est en permanence. A Penck-ridge en
Coventry, dont vous venez de doter la cathédrale et d’enrichir l’évêque,
["la disette est en permanence...": addition]
on n’a pas de lits dans les cabanes, et l’on creuse des trous dans la
terre pour y coucher les petits enfants, de sorte qu’au lieu de
commencer par le berceau, ils commencent par la tombe. J’ai vu ces
choses-là ["ces choses-là" corrige "cela"]
. ["Savez-vous que les pêcheurs...": addition
de premier niveau] Mylords, les impôts que vous votez,
savez-vous ["Mylords, les impôts..." corrige
"Prenez garde aux impôts que vous votez. Savez-vous"] qui les
paie ? Ceux qui meurent [variante sans choix:
"expirent"; à la copie, VH écrit "expirent" en sc. sur "meurent"]
. [f° 536, I21] Hélas ! vous vous
trompez. Vous faites [en sc., peut-être
cursive, sur +] fausse route. [phrase
ajoutée] Vous augmentez la pauvreté du pauvre pour augmenter la
richesse du riche. C’est le contraire qu’il faudrait faire. Quoi,
prendre au travailleur pour donner à l’oisif, prendre au déguenillé [corrige "misérable" qui corrige "malheureux"]
pour donner au repu [corrige "à l'heureux"(?)]
, prendre à l’indigent [corrige "au
meurt-de-faim" qui corrige "au déguenillé"] pour donner au
prince ! Oh oui, j’ai du vieux sang républicain dans les veines. J’ai
horreur de cela. [phrase ajoutée] Ces
rois, je les exècre [en sc. sur + qui corrige
"hais"] ! Et [en sc. sur "et"]
que les femmes sont effrontées ! On m’a conté une triste histoire. Oh !
je hais Charles II ! Une femme que mon père avait aimée, s’est donnée à
ce roi, pendant que mon père mourait en exil, la prostituée [corrige
"misérable"] ! Charles II, Jacques II ; après un vaurien [corrige "faquin"] , un scélérat ! ["Charles
II..." ajouté] Qu’y a-t-il dans le roi ? un homme, [corrige
point] un faible et chétif sujet des besoins et ["des
besoins et" ajouté] des infirmités ["universelles
et des besoins" barré] . ["un
faible..." ajouté] ["Qu'y a-t-il dans
le roi...": addition de second niveau ajoutée à la suivante] A
quoi bon le roi ? [phrase en addition -premier
niveau] Cette royauté parasite, vous la gavez. Ce ver de terre,
vous le faites boa. Ce ténia, vous le faites dragon. Grâce pour les
pauvres ! [Ce ténia...": ajouté] Vous
alourdissez l’impôt au profit du trône. Prenez garde aux lois que vous
décrétez [corrige + qui corrige "faites"]
. Prenez garde au fourmillement douloureux que vous écrasez. Baissez les
yeux. Regardez à vos pieds. O grands, il y a des petits ! ayez pitié.
Oui ! pitié de vous ! car les multitudes agonisent, et ["les
multitudes..." corrige plusieurs mots, non lus] le bas en
mourant fait mourir le haut. La mort est une cessation qui n’excepte
aucun membre. Quand la nuit vient, personne ne garde son coin de jour. [phrase ajoutée] Êtes-vous égoïstes ? sauvez
les autres. ["Êtes-vous égoïstes...":
addition] La perdition du navire n’est indifférente à aucun
passager. Il n’y a pas naufrage de [en sc. sur
"pour"] ceux-ci sans qu’il y ait engloutissement de [en
sc. sur "pour"] ceux-là. Oh ! sachez-le, l’abîme est pour tous.
["Tous" barré en correction cursive]
["Ici" barré] Le rire redoubla [en sc. sur "recommença"] , irrésistible. Du reste, pour égayer une assemblée ["égayer..." correction abandonnée: "faire éclater l'hilarité générale"] , il suffisait de ce que ces paroles avaient d’extravagant.
Être comique au dehors, et tragique au dedans, pas de souffrance plus humiliante, pas de colère plus profonde. Gwynplaine avait cela en lui. Ses paroles voulaient agir dans un sens, son visage agissait dans l’autre ; situation affreuse. ["Ses paroles...": addition; elle est d'abord implantée après "pas de colère plus profonde."] Sa voix eut tout à coup des éclats stridents:
— Ils sont joyeux ["sont joyeux" corrige "rient"] , ces hommes ! C’est bon. [faux départ: on lit "La droite" et c'est peut-être cela.] L’ironie fait face à ["fait face à" corrige "se dresse devant"] l’agonie. Le ricanement outrage [corrige "insulte"] le râle. ["Ah!" ou "Oh!" barré] Ils sont [f° 537, J21] tout-puissants ! C’est possible. Soit. On verra. Ah ! [en sc. sur "En attendant,"] je suis un des leurs. Je suis aussi un des vôtres, ô vous les pauvres ! Un roi m’a vendu, un pauvre m’a recueilli. Qui m’a mutilé ? un prince [corrige "le roi"] . Qui m’a guéri et nourri [corrige +] [", moi misérable" barré] ? un meurt-de-faim [corrige "misérable"(?)] . Je suis lord Clancharlie, mais je reste Gwynplaine. [phrase ajoutée] Je tiens aux grands, et j’appartiens aux petits. Je suis parmi ceux qui jouissent et avec ceux qui souffrent. Ah ! cette société est fausse. Un jour viendra la société vraie. Alors il n’y aura plus de seigneurs, il y aura des vivants libres ["vivants libres" corrige "citoyens"] . Il n’y aura plus de maîtres, il y aura des pères. Ceci est l’avenir. Plus de prosternement, plus de bassesse, plus d’ignorance, plus d’hommes bêtes de somme, ["plus d'ignorance..." ajouté] plus de courtisans, plus de valets, plus de rois ["plus de rois" remplace "plus d' +"] , ["rien que la lumière et la liberté!" barré -correction cursive?] la lumière ! [Ebauche pour l'énulération en 15 812, f° 59] En attendant, ["oui," barré] me voici. J’ai un droit, j’en use. Est-ce un droit ? non, si j’en use pour moi. [point corrige virgule et majuscule en sc.] Oui, si j’en use pour tous. Je parlerai aux lords, en étant un. Ô mes frères d’en bas, je leur dirai votre dénuement [corrige "infortune"]. Je me dresserai avec la poignée des haillons du peuple [correction abandonnée: "des misérables"] dans la main, et je secouerai sur les maîtres la misère des esclaves, et ils ne pourront plus, eux les favorisés et les arrogants ["les favorisés..." corrige "les heureux et les redoutables"] , se débarrasser du souvenir des infortunés, et se délivrer, eux les princes [corrige "riches"] , de la cuisson des pauvres, et tant pis si c’est de la vermine, et tant mieux si elle tombe sur des lions !
Ici Gwynplaine se tourna vers les sous-clercs agenouillés qui écrivaient sur le quatrième sac de laine. — [phrase et tiret en addition] Qu’est-ce que c’est que ces gens qui sont ["là" barré] à genoux ? qu’est-ce que vous faites là ? Levez-vous, ["debout," barré] vous êtes des hommes.
Cette brusque apostrophe à des subalternes qu’un lord ne doit pas même
apercevoir, ["à des subalternes..." corrige
"aux sous-clercs agenouillés devant les sacs de laine"] mit le
comble aux joies. On avait crié bravo, on cria hurrah ! du battement des
mains on passa au trépignement. On eût pu se croire à la Green-Box.
Seulement à la Green-Box le rire fêtait Gwynplaine, ici il
l’exterminait. Tuer, c’est l’effort ["honteux"(?)
barré] du ridicule. Le rire des hommes fait quelquefois tout ce
qu’il peut pour assassiner. [phrase de quatre
ou cinq mots barrée] ["Tuer, c'est l'effort..." probablement ajouté]
[f° 538 blanc; f° 539, K21]
Le rire était devenu une voie de fait. [la phrase corrige "C'était un assassinat(?)"] Les quolibets ["et les +" barré] pleuvaient. C’est la bêtise des assemblées d’avoir de l’esprit. Leur ricanement ingénieux et imbécile écarte les faits au lieu de les étudier [corrige "scruter"] et condamne les questions au lieu de les résoudre. Un incident est un point d’interrogation. En rire, c’est rire de l’énigme. Le sphynx, qui ne rit pas, ["lui," barré] est derrière.
On entendait des clameurs contradictoires : — Assez ! assez ! — Encore ! encore ! [Ce paragraphe est une addition. Elle se substitue à une réplique réduite à un mot "— +" barré sans doute en correction cursive.]
William Farmer, baron [corrige + qui corrige "lord"] Leimpster, jetait à Gwynplaine l’affront de Ryc-Quiney à Shakespeare :
— Histrio ! mima !
Lord [rétabli après avoir été barré] Vaughan, homme sentencieux, le vingt-neuvième du banc des barons, s’écriait :
— Nous revoici au temps où les animaux [corrige "bêtes"; de même à la copie] péroraient [corrige "parlaient"; ces deux corrections ne sont pas simultanées]. Au milieu des bouches humaines, une mâchoire bestiale ["mâchoire bestiale" corrige "gueule"; de même à la copie] a la parole. ["Lord Vaugham...": addition de deuxième niveau]
— Écoutons l’âne de Balaam, ajoutait lord Yarmouth. [réplique intercalée; addition de troisième niveau] Lord Yarmouth avait l’air sagace que donne un nez rond et une bouche de travers. [phrase ajoutée -quatrième niveau- à l'addition qui précède; ajout autographe à la copie]
— Le rebelle Linnœus est châtié dans son tombeau. [corrige virgule] Le fils est la punition du père, ["Le fils...": déplacé et ajouté] disait John Hough, évêque de Lichfield et de Coventry, dont Gwynplaine avait effleuré la prébende. ["Le fiils est la punition du père..." corrige la rédaction initiale: "disait l'évêque de Londres, Henri + + du comté de Southampton. Le fils est la punition du père." ] ["— Le rebelle Linnœus...": addition de premier niveau. Elle développe une addition interlinéaire inachevée: "— Digne héritier" et se substitue à la rédaction initiale, reprise au f° 540 :
— "Que vient faire ce monstre parmi nous? s'écriait en joignant les mains Henri + évêque de Londres ? [virgule corrige point d'interrogation, "le + du comté de Southampton." ajouté ]]
— Il ment, affirmait [corrige "observait" qui corrige +] lord Cholmley, le législateur légiste. Ce qu’il appelle la torture, c’est la peine forte et dure, très bonne peine. La torture n’existe pas en Angleterre. ["Il ment...": addition de deuxième niveau, ajoutée à la suite de la précédente. Elle se poursuit par:
"— Hep! Hep! Hep! — Bravo! — Hurrah!" barré et déplacé
"— Mylords" barré en correction cursive]
Thomas Wentworth [au-dessus, faux départ: "Lord P"] , baron Raby, apostrophait le chancelier.
— Mylord chancelier, levez la séance !
— Non ! non ! non ! qu’il continue ! il nous amuse ! hurrah ! Hep ! Hep ! Hep !
Ainsi criaient les jeunes lords ; leur gaieté était de la fureur. ["Thomas Wentwoth...": addition de troisième niveau. Elle remplace le texte initial: "La gaîté des jeunes lords [ajouté] était de l'exaspération."] Quatre [corrige immédiatement "Trois"] surtout étaient en pleine exaspération ["pleine exaspération" corrige "plein épanouissement mêlé"] d’hilarité et de haine [corrige "colère"] . C’étaient Laurence Hyde, comte de Rochester, Thomas Tufton [corrige un autre nom] , comte de Thanet [corrige "Nothingham"] , [trois mots ou noms barrés, dont le dernier est corrigé en "Rochester"] et le vicomte de Hatton, et le duc de Montagu.
— A la niche, Gwynplaine, disait [en sc. sur "criait"] Rochester!
— A bas ! à bas ! à bas ! criait Thanet [en sc. sur "Nothingham"] .
[faux départ: "William"] Le vicomte Hatton, [la virgule préparait une incise à laquelle Hugo renonce en oubliant de la barrer, la copie la reproduit docilement] tirait de sa poche un penny, et le jetait à Gwynplaine.
[faux départ: "Ralph duc de Montagu"]
Et John Campbell, comte de Greenwich, ["John Campbell..." ajouté] Savage, comte Rivers, Thompson, baron Haversham, Warrington, Escrik, Rolleston, Rockingham, Carteret, Langdale, ["Warrington...": ajouté] ["+well, Lexington, Banester [en sc. sur "Banaster"] rayé] Banester [rétabli, mais mal orthographié, en sc. sur "Elneck"(?)] Maynard, ["+," nom rayé] Hunsdon, Caërnarvon, Cavendish, Burlington, [["+," rayé] Hunsdon..." ajouté] Robert Darcy, comte de Holderness, Other Windsor, comte de Plymouth, applaudissaient.
Tumulte ["d'Olympe ou" barré] de pandemonium ou de panthéon ["ou de Panthéon": ajouté] ["Tumulte..." corrige " Tumulte funèbre(?) et joyeux"] dans lequel se perdaient les paroles de Gwynplaine. On n’y distinguait que ce mot : Prenez garde ! ["On n'y distinguait..." ajouté]
Ralph, duc de Montagu, récemment [corrige "tout frais"] sorti d’Oxford et ayant encore sa première moustache, descendit du banc des ducs où il siégeait dix-neuvième ["où il siégeait..." ajouté] , et alla se poser les bras croisés en face de Gwynplaine. Il y a dans une lame l’endroit qui coupe le plus et dans une voix l’accent qui insulte le mieux. Montagu prit cet accent là, et, ricanant au nez de Gwynplaine, lui cria :
— Qu’est-ce que tu dis ?
[f° 540, L21]
— Je prédis, répondit Gwynplaine.
Le rire fit explosion de nouveau. Et sous ce rire grondait la colère [corrige "l'indignation"] en basse continue. Un des pairs mineurs, Lionel Cranseild Sackville, comte de Dorset et de Middlesex, se leva debout sur son banc, ne riant pas, grave comme il sied à un futur législateur, et, sans dire un mot, [", sans dire..." ajouté] regarda Gwynplaine avec son frais visage de douze ans en haussant les épaules. ["Lionel...": addition marginale ajoutée à l'addition qui suit; elle reprend et complète une addition interlinéaire de premier niveau: "Un des pairs mineurs, Téophilus Hartings, comte Huntingdon, se leva debout sur son banc, et regarda Gwynplaine avec son + + de + + en haussant les épaules."] Ce qui fit que l’évêque de St Asaph se pencha à l’oreille ["se pencha..." corrige "poussa l'épaule"] de l’évêque de St David assis à côté de lui, et lui dit, en montrant Gwynplaine : — Voilà le fou. Et en montrant l’enfant : — Voilà le sage.
Du chaos des ricanements se dégageaient des exclamations confuses. — Face de gorgone ! ["Face de..." corrige "Monstre."] — Que signifie cette aventure ? ["— Que signifie..." ajouté] — Insulte à la Chambre. — Quelle exception qu’un tel homme ! — Honte ! honte ! — Qu’on lève la séance ! — Non ! ["Non!" en sc. sur +] qu’il achève [corrige "continue"] ! — Parle, bouffon ! ["— Parle, bouffon !" ajouté; l'ajout se poursuit par une réplique barrée: "— Que signifie(?) + +"]
Lord Lewis de Duras, les mains sur ["les mains sur" en sc. peut-être cursive sur + +] les hanches, criait :
— Ah ! que c’est bon de rire ! ma rate est heureuse. ["ma rate..." ajouté] Je propose un vote d’actions de grâces ["d'actions..." corrige "de remerciement"] ainsi conçu : La Chambre des lords remercie la Green-Box.
Gwynplaine, on s’en souvient, avait rêvé un autre accueil. ["Ce qui fit...": addition de deuxième niveau complétant l'addition interlinéaire initiale. Elle se substitue au texte de première rédaction:
"Gwynplaine, on s'en souvient, avait rêvé d'un autre accueil. Il sentit un froid sombre entrer en lui." ["Il senti..." repris plus loin]]
Qui a gravi dans le sable une pente à pic toute friable au dessus d’une profondeur vertigineuse [corrige +] , qui a senti sous ses mains, sous ses ongles, sous ses coudes, sous ses genoux, sous ses pieds, fuir et se dérober ["se dérober" corrige "céder"] le point d’appui, qui, reculant au lieu d’avancer sur cet escarpement réfractaire [corrige "qui se dérobe" qui corrige "qui s'écroule"] , en proie à l’angoisse du glissement, ["en proie...": ajouté] s’enfonçant au lieu de gravir, descendant au lieu de monter, augmentant la certitude du naufrage par l’effort vers le sommet, et se perdant un peu plus à chaque mouvement pour se tirer de péril, a senti ["au dessous de soi" barré] l’approche formidable de l’abîme, et a eu dans les os le froid sombre de la chute, gueule ouverte au dessous de vous, celui là a éprouvé ce qu’éprouvait Gwynplaine.
Il sentait son ascension crouler sous lui, et son auditoire était un précipice.
["Il se dressa, éperdu et indigné, dans une
sorte de convulsion suprême." barré et repris au-dessous]
Il y a toujours quelqu’un qui dit le mot où tout se résume. [phrase ajoutée] ["Un pair," barré] Lord [d'abord minuscule] Scarsdale traduisit en un cri l’impression de l’assemblée ["traduisit..." corrige "traduisit l'impression de l'assemblée" qui corrige "traduisit tout(?)"] :
— Qu’est-ce que ce monstre vient faire ici [corrige "parmi nous"] ?
Gwynplaine bondit [variante sans choix: "se dressa" préfére à la copie] , éperdu et indigné, dans une sorte de convulsion suprême. Il les regarda tous fixement [corrige +] . ["Il les regarda..." ajouté]
— Ce que je viens faire ici ? [point d'interrogation corrige virgule] Je viens être terrible. Je suis un monstre, dites-vous. Non, je suis le peuple. Je suis une exception ? Non, je suis tout le monde. L’exception, c’est vous. ["Je suis une exception..." noté en 15 812, f° 57 et 85] ["Je suis la réalité" barré en correction cursive] Vous êtes la chimère, et je suis la réalité. Je suis l’Homme. ["Vous avez peur? Vous avez raison." : addition; elle est placée entre barres verticales puis rayée] Je suis l’effrayant Homme qui Rit [les deux majuscules soulignées trois fois]. Qui rit de quoi ? De vous. De lui. De tout. Qu’est-ce que son rire ? Votre crime, et son supplice. Ce crime, il vous le jette à la face . Ce supplice, il vous le crache au visage. Je ris, cela veut dire Je pleure!
[f° 541, M21]
Il s’arrêta. On se taisait. Les rires continuaient, mais bas. [phrase ajoutée] Il put croire à une certaine reprise d’attention. Il respira, et poursuivit :
— Ce rire qui est sur mon front, c’est un roi qui l’y a mis. Ce rire exprime la désolation universelle. Ce rire veut dire haine, silence contraint, rage, désespoir. Ce rire est un produit des tortures. Ce rire est un rire de force. Si Satan avait ce rire, ce rire condamnerait Dieu. Mais l’éternel ne ressemble point aux périssables ; étant l’absolu, il est le juste ; ["l'éternel ne ressemble...": addition; elle corrige "nul ne peut rire(?) hors de cette terre,"] et Dieu hait ce que font les rois. Ah ! vous me prenez pour une exception ! ["Je suis" barré en correction cursive, puis repris] Je suis un symbole. O tout-puissants [virgule barrée] imbéciles que vous êtes, ["que vous êtes," ajouté] ouvrez les yeux. J’incarne Tout. Je représente l’humanité telle que ses maîtres l’ont faite. L’homme est un mutilé. Ce qu’on m’a fait, on l’a fait au genre humain. On lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l’intelligence, ["l'intelligence," ajouté] comme à moi les yeux, les narines et les oreilles ; comme à moi, ["comme à moi," ajouté] on lui a mis au cœur un cloaque de colère et ["cloaque..." ajouté, corrige "abîme"] de douleur et sur la face un masque de contentement. Où s’était posé le doigt de Dieu s’est appuyée la griffe du roi. Monstrueuse superposition. Évêques, pairs et princes, le peuple, c’est le souffrant profond qui rit à la surface. [faux départ: "Le peuple, c'est"] Mylords, [ajouté et remplace le faux départ: "Le peuple, c'est"] je [d'abord majuscule] vous le dis, le peuple, c’est moi. Aujourd’hui vous l’opprimez, aujourd’hui vous me huez. Mais l’avenir, c’est le dégel sombre. Ce qui était pierre devient flot. L’apparence solide se change en submersion ["L'apparence solide..." corrige "L'impossible + +"] . [", c'est le dégel..." addition; elle se substitue à "promet, et cette promesse menace."] Un craquement, et tout est dit. [phrase en addition] Il viendra une heure où une convulsion brisera votre oppression, où un rugissement répliquera à vos huées. Cette heure est déjà venue, — tu en étais, ô mon père ! — cette heure de Dieu est venue et s’est appelée République, on l’a chassée, elle reviendra. En attendant, souvenez-vous que la série des rois armés de l’épée est interrompue par Cromwell armé de la hache. Tremblez. Les incorruptibles [corrige "profondes"(?)] [f° 542, N21] solutions approchent [corrige "murissent" qui corrige "s'approchent"] , les ongles coupés repoussent, les langues arrachées s’envolent, et deviennent des langues de feu éparses au vent des ténèbres, et hurlent dans l’infini ; ceux qui ont faim montrent leurs dents oisives, les paradis bâtis sur les enfers chancellent, on souffre, on souffre, on souffre, et ce qui est en haut penche, et ce qui est en bas s’entrouvre, l’ombre demande à devenir lumière, le damné discute l’élu, c’est le peuple qui vient, vous dis-je, c’est l’homme qui monte [corrige "approche"] , c’est la fin qui commence, c’est la rouge aurore de la catastrophe, et voilà ce qu’il y a dans ce rire, dont vous riez ! Londres est une fête perpétuelle. Soit. L’Angleterre est d’un bout à l’autre une acclamation. Oui. Mais écoutez : Tout ce que vous voyez, c’est moi. Vous avez des fêtes, c’est mon rire. Vous avez des joies publiques, c’est mon rire. Vous avez des mariages, des sacres et des couronnements, c’est mon rire. Vous avez des naissances de princes, c’est mon rire. Vous avez au dessus de vous le tonnerre, c’est mon rire.
Le moyen de tenir à de telles choses ! le rire recommença, cette fois ["irrépressible et" barré] accablant. De toutes les laves que jette la bouche humaine, ce cratère, la plus corrosive, c’est la joie. Faire du mal joyeusement, aucune foule ne résiste à cette contagion. ["+ + d'exécutions" : faux départ] Toutes les exécutions ne se font pas sur des échafauds, et les hommes, dès qu’ils sont réunis, qu’ils soient multitude ou assemblée, ont toujours au milieu d’eux, un bourreau tout prêt, qui est le sarcasme. Pas de supplice comparable à celui du misérable risible. Ce supplice, Gwynplaine le subissait. L’allégresse [corrige "Le rire(?)"] , sur lui, était ["mitraille" barré en correction cursive] lapidation et mitraille. Il était hochet et mannequin, tête de turc, cible. [phrase ajoutée à l'addition en cours] On bondissait, on criait bis, on se roulait. ["De toutes les laves...": addition -premier niveau] On battait du pied. On s’empoignait au rabat ["au rabat" corrige "la perruque"; de même à la copie] . ["On bondissait...": extension de l'addition qui précède -deuxième niveau] La majesté du lieu, la pourpre des robes, la pudeur des hermines, l’infolio ["in-folio" à l'autographe de la copie] des perruques, n’y faisait rien. ["La majesté...": addition de troisième niveau; ajout autographe à la copie. L'ensemble de ces additions remplace une rédaction initiale réduite à une phrase: "Gwynplaine sentait qu'il se décontenançait." au-dessus de laquelle une phrase en addition s'achève par "mitraille".] Les lords riaient, les évêques riaient, les juges riaient. Le banc des vieillards se déridait ["se déridait" corrige "ricanait"] , le banc des enfants se tordait. L’archevêque de Cantorbery poussait du coude l’archevêque d’York. [phrase ajoutée] [Phrase notée en 15 812, f° 58] Henry Compton, évêque de Londres, frère du comte de Northampton [virgule ajoutée à la copie] se tenait les côtes. [Ebauche de ce rire général, mais peut-être dans un autre contexte en 15812, f° 1v°] [phrase ajoutée, d'une autre plume que la précédente] Le lord chancelier baissait les yeux pour cacher son rire probable. Et à la barre, la statue du respect, l’huissier de la verge noire, riait.
Gwynplaine, pâle, avait croisé les bras ; ["il ne pouvait plus maîtriser ni sa face qui riait, ni son auditoire qui l'insultait [corrige "ricanait"]. Il était debout, impassible en apparence ["impassible..." corrige "passif et immobile"] ," : ces trois lignes sont barrées et reprise plus loin en addition] et, entouré de toutes ces figures, jeunes et vieilles, où rayonnait ["une inexprimable"(?) barré en correction cursive] [f° 543, O21] la grande jubilation [corrige "joie"] homérique, dans ce tourbillon de battements de mains, de trépignements et de hourras, dans cette frénésie bouffonne dont il était le centre, dans ce splendide épanouissement [copie fautive: "épanchement"] d’hilarité, au milieu de cette gaieté énorme, [un mot ou deux, d'abord encadré de barres verticales puis rayé] il avait [correction abandonnée: "sentait"] en lui le sépulcre. C’était fini. ["C'était fini.": ajouté. Cet ajout comble le retrait de début de paragaphe que Hugo avait ménagé avant "Il ne pouvait plus". La copiste le rétablit, mais VH l'efface.] Il ne pouvait plus maîtriser ni sa face qui le trahissait [variante sans choix, "riait", rayée à la copie] , ni son auditoire qui l’insultait. ["C'était fini. Il ne pouvait...": addition de deuxième niveau; la seconde phrase est déplacée du folio précédent.]
Jamais l’éternelle loi fatale [corrige "humaine"] , le grotesque cramponné au sublime, le rire répercutant le rugissement, la parodie en croupe du désespoir, le contre-sens entre ce qu’on semble et ce qu’on est, n’avait éclaté avec plus d’horreur. Jamais lueur plus sinistre n’avait éclairé la profonde nuit humaine. [paragraphe en addition -de premier niveau; elle développe un texte de première rédaction, peut-être inachevé et barré, plus bas.]
Gwynplaine [corrige "Il"] assistait à l’effraction définitive de sa destinée par un éclat de rire. L’ [en sc. cursive sur "On"] irrémédiable était là. On se relève tombé, on ne se relève pas pulvérisé. Cette moquerie inepte et souveraine le mettait en poussière. Rien de possible désormais. Tout est selon le milieu. Ce qui était triomphe à la Green-Box était chute et catastrophe à la chambre des lords. L’applaudissement là bas était ici imprécation [corrige "huée"] . Il sentait quelque chose comme le revers de son masque. D’un côté de ce masque, il y avait la sympathie du peuple acceptant Gwynplaine, de l’autre la haine des grands rejetant lord [en sc. cursive sur "Ferm"] Fermain Clancharlie. D’un côté l’attraction, de l’autre la répulsion, toutes deux le ramenant [en sc sur "poussant"] vers [corrige "dans"] l’ombre. Il se sentait comme frappé par derrière. Le sort a des coups de trahison. Tout s’expliquera plus tard, mais, en attendant, la destinée est piége et l’homme tombe dans des chausse-trappes. Il avait cru monter, ce rire l’accueillait , [virgule corrigée en point-virgule à la copie] les apothéoses ont des aboutissements lugubres [en sc. sur "sinistres"(?)] . Il y a un mot sombre, être dégrisé. ["Gwynplaine, enveloppé de cette tempête gaie et féroce, songeait." barré et repris] Sagesse tragique, ["que celle" barré en correction cursive] celle qui naît de l’ivresse. Gwynplaine, enveloppé de cette tempête gaie et féroce, songeait. ["Il avait cru monter...": addition; elle se substitue au texte peut-être inachevé de première rédaction, dont la substance est distribuée entre cette addition et celle qui précède: "Gwynplaine, enveloppé de tous ces rires, songeait. Après + l'écroulement. [phrase ajoutée] Un orateur vulgaire eût été décontenancé; lui, il était pétrifié. Le côté symbolique de son sort lui apparaissait désormais, et l'effarait. Jamais l'éternelle fatalité humaine, le grotesque cramponné au sublime, le rire répercutant + + +]
A vau l’eau, c’est le fou rire. Une assemblée en gaîté, c’est la boussole perdue. On ne savait plus où l’on allait, ni ce qu’on faisait ["l'on allait..." corrige "l'on en était"] . Il fallut lever la séance.
[f° 544, P21]
[signe d'alinéa à faire ajouté] Le lord chancelier, « attendu l’incident », ajourna la suite du vote au lendemain. La chambre se sépara [", + et stupéfaite [corrige +] comme elle n'avait jamais été" le tout barré] . Les lords firent la révérence à la chaise royale et s’en allèrent ["firent la révérence..." corrige "sortirent"] . On entendit les rires se prolonger et se perdre dans les couloirs. Les assemblées, outre leurs portes officielles, ont dans les tapisseries, dans les reliefs [", dans les reliefs" ajouté; de même à la copie] et dans les moulures, toutes sortes de portes dérobées par où elles se vident comme un vase par des fêlures. En peu de temps, la salle fut déserte. Cela se fait très vite, et presque [un mot barré en correction cursive] sans transition. Ces lieux de tumulte sont tout de suite repris par le silence.
L’enfoncement dans la rêverie mène loin, et l’on finit, à force de songer, par être comme dans une autre planète. Gwynplaine tout à coup eut [réécrit; ou corrige +] une sorte de réveil. Il était seul. La salle était vide. Il n’avait pas même vu [en sc. sur +] que la séance avait été ["n'avait pas même..." corrige "s'était à peine aperçu de la séance"] levée. Tous les pairs avaient disparu [corrige "étaient partis"(?)] , même ses deux parrains. Il n’y avait plus ça et là que quelques bas officiers de la chambre attendant pour mettre les housses et éteindre les lampes que « sa seigneurie » fut partie. Il mit machinalement son chapeau sur sa tête, ["mit machinalement..." ajouté] sortit de son banc, et se dirigea vers la grande porte [". Au moment" barré en correction cursive] ouverte sur la galerie. Au moment où il franchit la coupure de la barre, un doorkeeper le débarrassa de sa robe de pair. Il s’en aperçut à peine. [Cette phrase ajoutée en remplace une autre, non lue.] Un instant après il était dans la galerie.
Les hommes de service qui étaient là remarquèrent avec étonnement que ce lord était sorti sans saluer le trône.
[blanc au bas de la page; de même pour la copie]
[f° 545, Q21. Au coin supérieur droit: "29 juin 1868. J'ai vu hier soir à huit et demie, cinq minutes après le coucher du soleil, à l'occident, une grande lueur droite et debout sur l'horizon, qui m'a paru être une comète se couchant. Si c'est une comète, elle est inattendue. La lueur que le crépuscule n'éteignait pas, et, au contraire, avivait, sous-tendait un arc d'environ trois degrés."]
Il n’y avait plus personne dans la galerie. Gwynplaine traversa le rond-point ["vitré" barré] [virgule ajoutée à la copie] d’où l’on avait enlevé le fauteuil et les tables, et où il ne restait plus trace de son investiture. Des candélabres et des lustres de distance [un mot barré en correction cursive] en distance indiquaient ["et éclairaient" barré] l’itinéraire de sortie. Grâce à ce cordon de lumière, ["Grâce ... ajouté, corrige une addition antérieure: "Guidé par ce cordon de lumière"] il put aisément retrouver, dans l’enchaînement [", dans l'enchaînement" corrige cursivement "les enchaînements" rayé et remplacé par "les méandres"] des salons [corrige "salles"] et des galeries [corrige "couloirs"] , la route qu’il avait suivie en arrivant avec le roi d’armes et l’huissier de la verge noire ["qu'il avait suivie..." corrige "qu'on lui avait fait suivre en arrivant"] . Il ne faisait aucune rencontre, si ce n’est ça et là [addition abandonnée: ", le dos de"] quelque vieux lord tardigrade s’en allant pesamment, et tournant le dos [", et tournant le dos" ajouté] . Tout à coup, dans le silence de toutes ces grandes salles désertes, des éclats de parole indistincts arrivèrent jusqu’à lui, sorte de tapage nocturne singulier [corrige "étrange"] en un tel lieu [", sorte de tapage..." ajouté] . Il se dirigea du côté où il entendait ce bruit, et brusquement il se trouva dans ["Tout à coup..." addition; elle se substitue au texte initial: "Il rencontra(? ou "Il y eut"?) tout à coup"] un spacieux vestibule faiblement éclairé qui était une des issues de la chambre. On apercevait [corrige "Il y avait"] une large porte vitrée ouverte, un perron, ["+ +,": ajout abandonné] des laquais, [virgule manquante à la copie] et des flambeaux [", et des flambeaux" ajouté] ; on voyait dehors une place ; [trois ou quatre mots barrés, sans doute en correction cursive] quelques carrosses attendaient au bas du perron.
C’est de là que venait le bruit qu’il avait entendu. [paragraphe en addition; cette addition se substitue à deux autres: "Cependant il entendait là un grand bruit." et "C'est là que se faisait le vacarme entendu par lui."]
En dedans de la porte, sous le réverbère du vestibule, il y avait un groupe tumultueux et un orage de gestes et de voix. ["Quelques hommes ["se querellaient" barré en correction cursive] se querellant."] Gwynplaine, dans la pénombre, approcha. [sept lignes corrigées, barrées; les lignes 3 à 5 sont encadrées de barres verticales assorties d'un point d'interrogation; de même pour la sixième. On distingue: "+ le cliquetis des paroles irritées lui arrivait comme une rumeur confuse. + + il y entendait son nom et d'autres noms, Gwynplaine, lord Fermain Clancharlie. Il + + comprendre. Du + + où il était il écouta. Il regarda.
C'était"]
["La que"[relle] barré en correction cursive] C’était une querelle. [point ajouté; "en effet" barré] . ["Une querelle entre un et plusieurs." barré] D’un côté il y avait dix ou douze [corrige "huit ou dix"] jeunes lords voulant sortir, de l’autre un homme, le chapeau [f° 546, R21] sur la tête comme eux, droit et le front haut, et leur barrant le passage.
Qui était cet homme ? Tom-Jim-Jack.
Quelques-uns de ces lords étaient encore en robe de pair ; d’autres avaient quitté l’habit de parlement et étaient en habit de ville.
Tom-Jim-Jack avait [rétabli après correction en "portait"] un chapeau à plumes, non blanches comme les pairs, mais vertes et frisées d’orange ; ["vertes..." corrige "+, et"] il était brodé et galonné de la tête aux pieds, avec des flots de rubans et de dentelles aux manches et au cou, ["avec des flots..." ajouté] et il ["appuyait" barré en correction cursive] maniait fiévreusement [ajouté] de son poing gauche la poignée d’une épée qu’il portait en civadière et dont le baudrier et le fourreau ["et le fourreau" ajouté] étaient passementés [ces deux mots mis au pluriel] d’ancres d’amiral [corrige "amirales"] . C’était lui qui parlait, il apostrophait tous ces ["le groupe des": correction abandonnée de "tous ces"] jeunes lords, et voici ce que Gwynplaine entendit :
— Je vous ai dit que vous étiez des lâches. Vous voulez que je retire mes paroles. Soit. Vous n’êtes pas des lâches. Vous êtes des imbéciles [correction autographe à la copie, non reportée au ms: "idiots"] . Vous vous êtes mis tous contre un. Ce n’est pas couardise [corrige "lâcheté"] . Bon. Alors c’est ineptie. On vous a parlé, vous n’avez pas compris. Ici, les vieux sont sourds de l’oreille, et les jeunes, de l’intelligence. Je suis assez un des vôtres pour vous dire vos vérités. [phrase ajoutée] Ce nouveau venu est étrange, et ["Ce nouveau...": ajouté] il [d'abord majuscule] a débité un tas de ["débité..." corrige "+ [peut-être barré en correction cursive] dit des"] folies. J’en conviens, mais dans ces folies ["dans ces folies" ajouté] il y avait des choses vraies. C’était confus, indigeste, ["confus, indigeste," ajouté] mal dit ; soit ; il a répété trop souvent savez-vous, savez-vous ; ["il a répété..." ajouté] mais un homme qui était hier grimacier de la foire n’est pas forcé de parler comme Aristote et comme le docteur Gilbert Burnet évêque de Sarum. La vermine, les lions, l’apostrophe au sous-clerc, tout cela était de mauvais goût. Parbleu ! qui vous dit le contraire ? ["La vermine...": addition] C’était une harangue ["C'était une harangue" corrige "Sa harangue était"] insensée et décousue et qui [ajouté] allait tout de travers, mais il en sortait ["en sortait" corrige "y avait"] ça et là des faits réels. C’est déjà beaucoup de parler comme cela quand on n’en fait pas son métier, je voudrais vous y voir, vous ! Ce qu’il a raconté [corrige "dit"] des lépreux de Burton-Lazers est incontestable, d’ailleurs il ne serait pas le premier qui aurait dit des sottises, ["C'est déjà beaucoup...": ajouté] enfin, moi, mylords, [ajouté] je n’aime pas qu’on s’acharne plusieurs sur un seul, telle est mon humeur, [", telle est..." ajouté] et je demande à vos seigneuries la permission d’être offensé. ["J'en suis fâché," barré en correction immédiate] Vous [d'abord minuscule] m’avez déplu, [virgule corrige point] j’en suis fâché. Moi, je ne crois pas beaucoup en Dieu, mais ce qui m’y ferait croire, c’est quand il fait de bonnes actions, ce qui ne lui arrive pas tous les jours [", ce qui ne lui..." ajouté] . Ainsi je lui sais gré, à ce bon Dieu, s’il existe, d’avoir tiré du fond de cette existence basse ce pair d’Angleterre, et d’avoir rendu son héritage [corrige "patrimoine"(?)] à cet héritier, et, sans m’inquiéter si cela arrange ou non mes affaires, [", sans m'inquiéter..." ajouté] je trouve beau de voir subitement le cloporte se changer en aigle et Gwynplaine en Clancharlie. Mylords, [ajouté] je [d'abord majuscule] vous défends d’être d’un autre avis que moi. Je regrette que Lewis de Duras ne soit pas là. Je l’insulterais avec plaisir. Mylords, Fermain Clancharlie a été le lord, et vous avez été les [f° 547, S21] saltimbanques. ["Je regrette que...": addition] Quant à son rire, ce n’est pas sa faute. Vous avez ri de ce rire. On ne rit pas d’un malheur. [phrase ajoutée] Vous êtes des idiots [corrigé par VH à la copie en "niais"] . Et des idiots [corrigé par VH à la copie en "niais"] cruels. [phrase ajoutée] [début d'une cascade d'additions] Si vous croyez qu’on ne peut pas rire de vous aussi, vous vous trompez ; vous êtes laids, et vous vous habillez mal. Mylord [ajouté] Haversham, j’ai vu l’autre jour ta maîtresse [addition abandonnée: peut-être "la duchesse"] , elle est hideuse. Duchesse, mais guenon. Messieurs les rieurs, je répète que ["Messieurs les rieurs..." remplace "Parce que vous avez traîné vos grègues fainéantes à Oxford ou à Cambridge" barré et repris plus bas] je voudrais bien vous voir essayer de dire quatre mots de suite. Beaucoup d’hommes jasent; très peu parlent. [phrase ajoutée] ["Vous + + et" barré] Vous [d'abord minuscule] vous imaginez savoir quelque chose parce que vous avez traîné vos grègues fainéantes à Oxford ou à Cambridge, et parce que, avant d’être pairs d’Angleterre sur les bancs de Westminster-Hall, vous avez été ânes sur les bancs du collége de Gonewill et de Caïus ! Moi, je suis ici, et je tiens à vous regarder en face. [phrase ajoutée] Vous venez d’être [corrige "avez été"] impudents avec ce nouveau lord. Un monstre, soit. Mais livré aux bêtes. J’aimerais mieux être lui que vous. ["Un monstre..." ajouté] J’assistais à la séance, à ma place, ["J'assistais..." corrige "J'étais là". Les quatre dernières opérations sont faites de la même plume.] comme héritier possible de pairie, j’ai tout entendu. Je n’avais pas le droit de parler, mais j’ai le droit d’être un gentilhomme. Vos airs joyeux [corrige "supérieurs" qui corrige "insolents"] m’ont ennuyé. [retour ébauché à la rédaction initiale et fin provisoire de l'addition: "J'ai le ferme dessin de tuer", barré en correction cursive] Quand je ne suis pas content, j’irais sur le Mont Pendlehill cueillir l’herbe des nuées, le clowdesbery, qui fait tomber la foudre sur qui l’arrache. C’est pourquoi je suis venu vous attendre à la sortie ["à la sortie" corrige "ici"]. Causer est utile, et nous avons des arrangements à prendre. [addition abandonnée d'un ou deux mots] ["J'ai le ferme dessein de tuer" barré de la même manière que précédemment] ["Si vous croyez qu'on ne peut pas rire...": addition de premier niveau] ["Vous rendiez-vo" barré avant d'être rétabli] Vous rendiez-vous compte que vous me manquiez un peu à moi-même ? Mylords, ["Vous rendiez-vous...": addition de second niveau] j’[d'abord majuscule] ai le ferme dessein de tuer quelques-uns d’entre vous. Vous tous qui êtes ici, Thomas Tufton, comte de Thanet, Savage, comte Rivers, ["Savage..." ajouté] Charles Spencer, comte de [un nom, celui qui suit, sans doute mal orthographié et barré en correction cursive] Sunderland, Laurence Hyde, comte de Rochester, ["Laurence..." se substitue à ""Hugues Campbell, comte de Loudoun,"] vous, barons, Gray de Rolleston, Cary Hunsdon, [un nom barré] Escrick, [un nom barré] Rockingham, toi, petit Carteret, toi, Robert Darcy ["Robert Darcy" se substitue à +] , comte de Holderness [substitué à "Berkshire"] , toi William [remplace un autre prénom] , vicomte Hatton [substitué à "W+"] , et toi, Ralph, duc de Montagu, et tous les autres qui voudront, moi David Dirry-Moir, un des soldats de la flotte, ["un des soldats..." ajouté] je vous somme et je vous appelle, et je vous commande de vous pourvoir en diligence ["en diligence" ajouté] de seconds et de parrains, et je vous attends face contre face et poitrine contre poitrine, ce soir, tout de suite, demain, le jour, la nuit, en plein soleil, aux flambeaux, où, quand et ["le jour, la nuit..." ajouté; remplace "+ +" (peut-être "où, quand")] comme bon vous semblera, partout où il y a assez de place pour deux longueurs d’épées, ["partout où..." ajouté] et vous ferez bien de visiter les batteries de vos pistolets et le tranchant de vos estocs [corrige "espadons"] , attendu que j’ai ["la ferme" barré en correction cursive] l’intention de faire vos pairies vacantes. Ogle Cavendish, prends tes précautions, et songe à ta devise : Cavendo tutus. Marmaduke Langdale, tu feras bien, [un mot barré en correction cursive] comme ton ancêtre Gundold, de te faire suivre d’un cercueil. Georges Booth, comte de Warington, tu ne reverras pas le comté palatin de Chester, et ton labyrinthe à la façon ["à la façon" ajouté] de Crète et les hautes tourelles de Dunham Massie. Quant à lord Vaughan, il est assez jeune ["assez jeune" corrige "trop vieux"] pour dire des impertinences [corrige "sottises"] et trop vieux pour en répondre ; je demanderai compte de ses paroles à son neveu [corrige "fils"] Richard Vaughan, membre des communes pour ["Merio" barré en correction cursive] le bourg de Merioneth. Toi, ["Edward Villiers, comte de Jersey" barré en correction cursive] John Campbell, comte de Greenwich, je te tuerai comme Achon tua Matas, mais d’un coup franc, et non par derrière, ayant coutume de montrer mon cœur et non mon dos à la pointe de l’espadon ["montrer mon coeur..." corrige "faire bon visage à l'estoc"] . Et c’est dit, mylords. Sur ce, usez de maléfices, si bon vous semble, ["consultez des + de sorts. Je ne vous ferai point tâter pour savoir si vous avez sur vous des sorcelleries." barré, repris et développé au folio suivant] [f° 548, T21] consultez des tireuses de cartes, ["consultez..." ajouté] graissez-vous la peau ["la peau" ajouté] avec les onguents et les [un mot ("drogues"?) barré en correction cursive] drogues qui font invulnérable, pendez-vous au cou des sachets du diable ou de la vierge ["du diable..." substitué immédiatement à "bénis ou maudits"] , je vous combattrai [corrige "empoignerai tels quels,"] bénis ou maudits, et je ne vous ferai point tâter pour savoir si vous avez sur vous des sorcelleries. A pied ou à cheval. [phrase ajoutée] En plein carrefour, si vous voulez, à Piccadily ou à Charing-Cross, et l’on dépavera la rue pour notre rencontre comme on a dépavé la cour du Louvre pour le duel de Guise avec Bassompierre. Tous, entendez-vous ? [corrigé à la copie par VH: "Tous. Entendez-vous?] je vous veux tous. ["Lord" barré] Dorme, comte de Caernarvon, je te ferai avaler ma lame jusqu’à la coquille comme fit Marolles à Lisle-Marivaux; et nous verrons ensuite [correction abandonnée: "après"(?)] , mylord, si tu riras. Toi, Burlington, qui as l’air d’une fille avec tes dix-sept ans, tu auras le choix entre les pelouses de ta maison de Middlesex, et ["les grands arbres" barré en correction cursive] ton beau jardin ["beau jardin" corrige "grand parc"] de Londesburg en Yorkshire pour te faire enterrer. [Trois ou quatre mots barrés, peut-être en correction cursive] J’informe vos seigneuries qu’il ne me convient pas qu’on soit insolent devant moi. Et je vous châtierai, mylords. Je trouve mauvais que vous ayez bafoué lord Fermain Clancharlie. Il vaut mieux que vous. Comme Clancharlie, il a la noblesse, que vous avez, et comme Gwynplaine, il a l’esprit, [virgule ajoutée] que vous n’avez pas. Je fais de sa cause ma cause, de son injure mon injure, et de vos ricanements ma colère. Nous verrons qui sortira de cette affaire vivant, car je vous provoque à outrance ["provoque à outrance" se substitue à "défie tous"(?)] , entendez-vous bien ? [corrige virgule] [" [et" ajouté] à outrance," barré] et à toute arme et de toute façon, et choisissez la mort qui vous plaira, et puisque vous êtes des manants en même temps que des gentilshommes, je proportionne le défi à vos qualités, et je vous offre toutes les manières qu’ont les hommes de se tuer, depuis l’épée comme les princes jusqu’à la boxe comme les goujats !
A ce jet [variante sans choix: "flux" barrée à la copie] furieux de paroles tout le groupe hautain des jeunes lords répondit par un sourire. — Convenu, dirent-ils.
— Je choisis le pistolet [en sc. sur "poignard"] , dit Burlington.
[f° 549, U21]
— Moi, dit Escrick, l’ancien combat de champ-clos à la masse d’armes et au poignard. [Cette réplique, en addition, corrige sa version précédente, déjà en addition: "— Moi le pistolet, dit Escrick."]
— Moi, dit Holderness [substitué à "Berkshire"] , le duel aux deux couteaux, le long et le court ["couteaux..." corrige "dagues, la longue et la courte"] , [corrige point] torses nus, ["torses nus," ajouté, ajout postérieur au suivant] et corps à corps. ["["et" corrige "en"] corps à corps." ajouté. Ajout 1: "en corps à corps"; 2: "torses nus, et corps à corps".]
— Lord [ajouté] David, dit le comte de ["le comte de" corrige "lord"] Thanet, tu es écossais. Je prends la claymore.
— Moi, l’épée, dit Rockingham. [réplique ajoutée]
— Moi, dit le duc Ralph, je préfère la boxe. C’est plus noble.
Gwynplaine ["fit un pas" barré, peut-être en correction cursive] sortit de l’ombre.
Il se dirigea [corrige "tourna"] vers celui qu’il avait jusque là nommé Tom-Jim-Jack, et en qui maintenant il commençait à entrevoir autre chose.
— Je vous remercie, dit-il. Mais ceci me regarde.
Toutes les tètes se tournèrent. [La phrase se substitue à la rédaction initiale: "Et il [un mot barré] avança. [faux départ d'un mot]", elle-même complétée, ou corrigée, par une addition inachevée: "Il y + + + +. Tous les lords le"]
[signe ajouté d'alinéa à faire] Gwynplaine avança. [phrase en addition] Il se sentait poussé vers cet homme [un mot barré en correction cursive] qu’il entendait appeler lord David, et qui était son défenseur, et plus encore peut-être. Lord David recula.
— Tiens , dit lord David ["lord David" en sc. sur +] ! c’est vous ! vous voilà ! ["— Tiens ! dit lord...": corrige "Tiens, dit-il, vous voilà."] ["Je choisis le pisolet...": ébauche en 15 812, f° 68] Cela se trouve bien. J’avais aussi un mot à vous dire. ["Cela se trouve...": addition; elle se substitue à "Alors, un mot."] Vous avez tout l’heure parlé d’une femme qui, après avoir aimé lord Linnœus Clancharlie, a aimé le roi Charles II
— C’est vrai.
— Monsieur, [ajouté] vous [d'abord majuscule] avez insulté ma mère.
— Votre mère, s’écria Gwynplaine! En ce cas, je le devinais, nous sommes…
— Frères, répondit lord David.
Et il donna un soufflet à Gwynplaine.
— Nous sommes ["Nous sommes" corrige "Oui,"] frères, reprit-il. ["— Nous sommes..." ajouté] Ce qui fait [addition abandonnée: ", ajouta-t-il,"] que nous pouvons nous battre. On ne se bat qu’entre égaux. Qui est plus notre égal que notre frère ? Je vous enverrai mes parrains. Demain, ["monsieur," encadré de barres verticales avant d'être rayé] nous nous couperons la gorge.
[blanc jusqu'au bas de la feuille]
[f° 550, pas de numérotation par VH, papier blanc]
_____
[La feuille correspondante de la copie offre d'intéressantes informations:
Copie
___
2e partie
Dossiers provisoire [barré]
_____
[compte barré sous le titre "+ pages]
Livre Ier ---------- 14
Livre II ------------14
Livre III -----------11
Livre IV -----------26
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65
[f° 551, V21. Au coin supérieur droit, cette date: "3 juillet"]
[Deux rédactions du début du chapitre, antérieures puisque datées toutes deux "1er juillet 1868", se trouvent au manuscrit 24 747, f° 103-104 pour l'une et 105 pour l'autre.]
[La page commence par quatre lignes de rédaction initiale, remplacées par une longue addition. Toutes deux sont encadrées et barrées à grands traits, mais aussi signalées par une accolade à l'encre rouge, signe d'une intervention tardive. Texte initial:
"Fuir, dans la vie, c'est la ressource. Ressource des méchants et des lâches; ressource des bons aussi(?). On fuit devant le mal à faire, on fuit vers [en sc. sur +] le bien à retrouver."
Addition donnant une autre suite à la deuxième phrase du texte initial: "Ressource des poltrons; ressource des vaillants aussi. Etéocle fuyant devant Polynice, et, ["affrontant le risque du fratricide, +" barré en correction cursive] ne craignant pas d'avoir l'air d'un lâche, ferait un acte de bravoure. On fuit de deux façons: devant quelque chose, et vers quelque chose; devant le mal qu'on ne veut pas faire, et vers le bien qu'on veut retrouver. Dans le premier cas on s'échappe, dans le sexcond, on se réfugie." Ces dernières formules sont préparées, ou corrigées, dans cinq courtes lignes, dont on ne lit que " + + + échappe + + + est autre + + + se réfugie"]
Comme minuit [corrige "une heure du matin"; correction absente de la copie] sonnait à Saint Paul, un homme, qui venait de traverser le pont de Londres, entrait [un mot ou deux barré peut-être en correction cursive] dans les ruelles [corrige "petites rues"] de Southwark. [Deux lignes barrées: "Les rues, complètement obscures et désertes, n'avaient / ["point" barré] pas de réverbères + passants" barré] Il n’y avait ["Il n'y avait" ajouté. Soit "Il n'y avait" remplace les deux lignes barrées qui précèdent, soit il ne remplace d'abord que la seconde et il y a eu une rédaction intermédiaire avant la supression de la première: "Les rues, complètement obscures et désertes, n'avaient point de réverbères."] point de réverbères allumés [ajouté] , l’usage étant alors, à Londres comme à Paris, d’éteindre l’éclairage public ["l'éclairage public" corrige "les lumières"] à onze heures [onze heures" corrige "minuit"; les deux corrections ne sont pas simultanées; la première est antérieure à la seconde. On a donc eu 1. "d'éteindre les lumières à minuit"; 2. "d'éteindre l'éclairage public à minuit"] , c’est à dire de supprimer les lanternes au moment où elles deviennent nécessaires. Les rues, obscures, étaient désertes. Point de réverbères, cela fait peu de passants. L’homme marchait à grands pas. ["Les rues, obscures...": addition correctrice; elle remplace "L'homme marchait à grands pas et, par instants, courait."] Il était étrangement vêtu pour aller dans la rue à pareille heure. Il avait un habit de soie brodé, l’épée au côté, [", l'épée..." ajouté; de même à la copie sans virgule] et un chapeau à plumes blanches, et point de manteau [", et point de manteau" ajouté]. Les watchmen qui le voyaient passer, disaient : « C’est un seigneur qui a fait un [corrige +] pari. » Et ils s’écartaient avec le respect dû à un lord et à une gageure.
Cet homme était Gwynplaine.
["Souffleté, —souffleté [addition ou correction de "souffleté": "—et par qui!—"] par son frère, — [tiret ajouté]" le tout barré. Soit 1 "Souffeté, souffleté par son frère, il avait..." 2 "Souffleté, —souffleté par son frère,— il avait..." 3 "Souffleté, —et par qui!— par son frère, il avait..." ou 3bis "Souffleté, —et par qui!— souffleté par son frère, il avait...". A la copie, "Souffleté, —souffleté par son frère," est barré] [signe ajouté d'alinéa] Il [d'abord minuscule] avait pris la fuite.
Où en était-il ? il ne le savait pas. L’âme, nous l’avons dit, [", nous l’avons dit," ajouté] a ses cyclônes, tournoiements épouvantables où tout se mêle, le ciel, la mer, le jour, la nuit, la vie, la mort, dans une sorte d’horreur inintelligible. Le réel cesse d’être respirable. On est écrasé par des choses auxquelles on ne croit pas. Le néant s’est fait ouragan. Le firmament ["Le néant s'est fait...": corrige l'addition: "On est ballotté dans le néant. Le monde"] a blêmi. L’infini est vide. [phrase ajoutée de la même plume que "On est ballotté..." Soit: 1 "...auxquelles on ne croit pas. On est dans l'absence." 2. "...auxquelles on ne croit pas. On est ballotté dans le néant. Le monde a blêmi. L'infini est vide. On est dans l'absence."] On est dans l’absence. On se sent mourir. On désire un astre. Qu’éprouvait Gwynplaine ? une soif, voir Dea.
Il ne sentait plus que cela. ["Retrouver" barré; la rédaction initiale du folio suivant prend la suite.] Regagner la Green-Box, et l’inn Tadcaster, sonore, lumineux, plein de ce bon rire cordial du peuple ; ["Regagner la Green-Box...": addition correctrice du texte initial qui suit] [f° 552, X21] [rédaction initiale corrigée par l'addition qui précède: "l'inn Tadcaster, ses fenêtres éclairées, sa salle basse pleine de bruit, le bon rire cordial et + du peuple, et la Green-Box,"] retrouver Ursus et Homo, revoir Dea, rentrer au paradis [variante sans choix: "dans la vie"; elle n'est pas portée à la copie] !
Les désillusions se détendent comme l’arc, avec une force sinistre [", et salutaire" barré] , ["avec une force..." ajouté] et jettent l’homme, cette flèche, vers le vrai. Gwynplaine avait hâte. Il approchait du Tarrinzeau-field [corrige "Bowling-Green"; de même à la copie] . Il ne marchait plus, il courait. ["Il se faisait précéder par son regard.": addition barrée et reprise plus bas] ["Quel moment que celui où il allait apercevoir les fenêtres éclairées de l'inn + + + + + +": barré en correction cursive et immédiatement réécrit] Ses yeux plongeaient dans l’obscurité en avant. Il se faisait ["presque"(?) barré] précéder par son regard. Recherche avide du port à l’horizon. Quel moment que celui où il allait [en sc. cursive sur "aper"] apercevoir les fenêtres éclairées de l’inn Tadcaster !
Il déboucha sur le Bowling-Green. Il tourna un coin de mur, et eut, en face de lui, à l’autre bout du pré, à quelque distance, l’inn, qui était, on s’en souvient, la seule maison du champ de foire. Il regarda. Pas de lumière. Une masse noire. ["Il déboucha...": mise au net, en marge, du texte initial abondamment corrigé dont nous renonçons à transcrire les trop rares mots que nous y déchiffrons. Texte initial: "Il déboucha sur le Bowling-Green et ragarda du côté de l'inn. Pas de lumière. Une masse noire."]
Il frissonna. Puis il se dit qu’il était tard, ["que la représentation était finie s'il y avait eu une représentation," barré] que la taverne était fermée, que c’était tout simple, qu’on dormait, ["que c'était tout si" redite barrée en correction cursive] qu’il n’y avait qu’à réveiller Nicless ou Govicum, qu’il fallait aller à l’inn et frapper à la porte. Et il y alla. Il n’y courut pas. Il s’y précipita [corrige "rua"] .
[changement d'écriture]
Il arriva à l’inn, ne respirant plus. On est en plein tourment, on se débat dans les invisibles convulsions de l’âme, on ne sait plus si l’on est mort ou vivant, et l’on a pour ceux qu’on aime toutes sortes de délicatesses ; c’est à cela que se reconnaissent les vrais cœurs. [faux départ: "Ne pas réveiller brusquement Dea, dans"] Dans l’engloutissement de tout, la tendresse surnage. Ne pas réveiller brusquement Dea, ce fut tout de suite ["ce fut tout..." corrige "c'était"] la préoccupation de Gwynplaine.
Il approcha de l’inn en faisant le moins de bruit possible [", comme on approcherait d'une chambre de malade" barré] . Il connaissait le réduit, ancienne niche de chien de garde, où couchait Govicum. Ce réduit, contigu à la salle basse, [", contigu à..." ajouté] avait une lucarne sur la place, Gwynplaine gratta doucement la vitre. Réveiller [f° 553, Y21] Govicum suffisait.
Il ne se fit aucun mouvement dans le « bed-room » de Govicum ["le « bed-room » de Govicum" corrige "le réduit"] . [faux départ: "A cet âge + +"] A cet âge, se dit [corrige "pensa"] Gwynplaine, on a le sommeil dur. Il frappa du revers de sa main un petit coup sur la lucarne. Rien ne remua.
Il frappa plus vivement ["plus vivement" corrige "fort", peut-être en deux temps: "vivement" d'abord] , et deux coups. ["et deux coups." ajouté; addition distincte de la précédente] On ne bougea pas dans le réduit. ["On ne bougea..." corrige "on ne répondit pas."] Alors, [barré puis rétabli] avec quelque frémissement, il alla à la porte de l’inn, et cogna.
Personne ne répondit.
Il pensa, non sans ressentir [rétabli après correction en "éprouver"] le commencement d’un froid profond ["et funèbre [corrige "lugubre"] ": mis entre barres verticales puis rayé; à la copie, "funèbre", entre barres verticales, est rayé] : [corrige virgule] — Maître Nicless est vieux, les enfants dorment durement et les vieillards lourdement. Allons ! plus fort !
Il avait ["frappé" barré en correction
cursive] gratté, il avait frappé, il avait cogné. Il heurta.
Ceci lui rappela un lointain souvenir, Weymouth, quand il avait, tout
petit, Dea, toute petite, dans ses bras. ["Ceci
lui rappela...": addition; de même à la copie]
Il heurta violemment, comme un lord. Qu’il était, hélas !
La maison demeura silencieuse.
Il sentit qu’il devenait éperdu.
Il ne garda plus de ménagement. [phrase ajoutée] Il appela [en sc. cursive sur "cria"] : Nicless ! Govicum !
En [en sc. sur faux départ: "Ri"(en)] même temps il regardait aux fenêtres pour voir [oublié et ajouté] si quelque chandelle s’allumait.
Rien dans l’inn. Pas une voix. Pas un bruit. Pas une lueur.
Il alla à la porte cochère et la heurta, et la poussa, et la secoua [", et la poussa..." ajouté] frénétiquement, en criant : Ursus ! Homo !
Le loup n’aboya [variante sans choix à "ne gronda", barré à la copie, qui corrige "ne hurla" qui corrige "n'aboya"] pas. ["Il alla à la porte...": addition]
Une sueur glacée perla sur son front.
Il jeta les yeux autour de lui. La nuit était épaisse [corrige "noire"] , mais il y avait assez d’étoiles pour ["assez d'étoiles pour" corrige "des étoiles assez pour"; de même à la copie] que le champ de foire fût distinct ["fût distinct" corrige "lui apparût"] . Il vit une chose lugubre, l’évanouissement de tout. Il ["lugubre..." corrige "sinistre, il"] n’y avait plus une seule baraque sur le bowling-green. Le circus n’y était plus. Pas une tente. Pas un tréteau. Pas un chariot. [Tout" barré] Ce [d'abord minuscule] vagabondage aux mille vacarmes ["["Tout" barré] Ce vagabondage...": addition; elle corrige "Cette vie"] qui avait fourmillé là avait fait place à on ne sait quelle farouche [corrige "sombre"] noirceur vide. Tout ["s'était évanoui" barré en correction cursive] s’en était allé [en sc. sur +] . Disparition. [ajouté et barré à la copie] [en face des dernières lignes de ce paragrape et des premières du suivant, cette note au crayon, barrée à l'encre: "Qu'est-ce que cela voulait dire?"]
La folie de l’anxiété [corrige "l'horreur"] [au-dessus, une addition abandonnée de quelques mots] le prit. Qu’est-ce que cela voulait dire ? [faux départ: "Est-ce qu’il n’y avait"] Qu’était-il donc arrivé ? Est-ce qu’il n’y avait [f° 554, Z21] plus personne ? Est-ce que sa vie se serait écroulée derrière lui ? Qu’est-ce qu’on leur avait fait, à tous ? Ah ! mon Dieu ! ["Est-ce que sa vie...": addition] Il se rua comme une tempête sur la maison. Il frappa [en sc. cursive sur "cogna"] à la porte bâtarde, à la porte cochère, aux fenêtres, aux volets, aux murs [en sc. sur "vîtres"] , des poings et des pieds, furieux d’effroi [corrige "épouvante"] et d’angoisse. Il appela Nicless, Govicum, Fibi, Vinos, Ursus, Homo. Toutes les clameurs ["Toutes..." corrige "Tous les cris"] , tous les bruits, il les jeta sur cette muraille. Par instants il s’interrompait et écoutait, la maison restait muette et comme morte, [virgule corrigée en point par VH à la copie] alors, exaspéré, il recommençait. Coups, frappements, cris. [phrase ajoutée; l'EO, mais pas la copie, lui substitue : "Chocs, frappements, cris, roulements de coups faisant écho partout."] On eût dit le tonnerre essayant de réveiller le sépulcre.
A un certain degré d’épouvante, on devient terrible. Qui craint tout, ne craint plus rien. On donne des coups de pied au sphinx. On rudoie l’inconnu. ["A un certain degré...": addition; elle se substitue à la première rédaction: "Qui dit désespoir, dit acharnement. Plus l'espérance s'efface, plus la ténacité augmente. Qui ne s'est cramponné à la dernière branche?"] Il renouvela le tumulte sous toutes les formes possibles, s’arrêtant, reprenant, inépuisable en cris et en appels, donnant l’assaut à ce tragique [corrige "sombre"] silence.
Il appela cent fois ["cent fois" ajouté] tous ceux qui pouvaient être là; il cria tous les noms, excepté Dea. Précaution, obscure pour lui-même, dont il avait encore l’instinct dans son égarement.
Une idée lui vint. Entrer ["Une idée..." corrigé à la copie en "Les cris et les appels épuisés, restait l’escalade. Il se dit : Il faut entrer"] dans la maison. Mais comment ? Il cassa une vitre du réduit ["du réduit" corrige "de la lucarne"] de Govicum, y fourra son poing en se déchirant la chair, tira le verrou du châssis, et [ajouté] ouvrit la lucarne. Il s’aperçut que son épée allait le gêner ; il l’arracha avec colère, fourreau, lame et ceinturon, et la jeta sur le pavé. Puis il se hissa aux reliefs de la muraille, et, bien que la lucarne fût étroite, il put y passer. Il pénétra dans l’inn. ["Il s'aperçut que son épée...": addition -second niveau. Elle corrige la première rédaction: "Bien ["qu'étroite" barré en correction cursive] qu'elle fût étroite, il put y passer en se hissant aux reliefs de la muraille. Il prénétra dans l'inn. / Le lit de Govicum, vaguement visible, était dans le réduit; mais point défait." [au-dessus de cette phrase, une addition abandonnée d'une ligne]]
Le lit de Govicum, vaguement visible, était dans le réduit, mais point défait ["point défait" est corrigé à la copie en "Govicum n'y était pas"] . Pour que Govicum ne fût pas dans son lit, il fallait évidemment que Nicless ne fût pas dans le sien. Toute la maison était noire. On sentait dans cet intérieur ténébreux l’immobilité mystérieuse [corrige + qui corrige "lugubre"] du vide, et cette vague horreur qui signifie : Il n’y a personne. [Ebauche, pour le sens, en 15 812, f° 80] Gwynplaine, convulsif [en sc. sur + qui corrige "éperdu"] , traversa la salle basse, se cogna aux tables, piétina sur les vaisselles, ["piétina..." ajouté] renversa les bancs, culbuta les brocs, ["culbuta..." ajouté, d'une autre écriture que l'ajout précédent] enjamba les meubles, alla à la porte donnant [corrige "qui donnait"] sur la cour, et la défonça d’un coup de genou [corrige "pied"] qui fit sauter le loquet. La porte ["s'ouvrit. Il regarda" barré en correction cursive] tourna sur ses gonds. Il ["Pour que Govicum...": addition -premirer niveau. Elle se substitue au texte initial: "Gwynplaine + + traversa la salle basse, alla à la porte, leva le loquet, entrebailla la porte et"] regarda dans la cour. La Green Box n’y était plus.
[f° 555, A22]
Gwynplaine sortit de la maison, et se mit à explorer [corrige "fouiller"] dans tous les sens le Tarrinzeau-field [corrige "bowling-green"; de même à la copie] ; il alla partout où, la veille, on voyait un tréteau, une tente, [", une tente," ajouté] ou une cahute. Il n’y avait plus rien. [addition abandonnée: "Lâcher prise + + + +"] Il frappa aux échoppes, quoique [rétabli après une correction ébauchée] sachant très bien qu’elles étaient inhabitées. Il cogna à tout ce qui ressemblait à un volet [correction autographe à la copie: "fenêtre"] , ou à une porte. Pas une voix ne sortit de cette obscurité. Quelque chose comme la mort était venu [corrige "avait passé"; de même à la copie] là. ["Gwynplaine sortit...": addition. Les dernières lignes du texte sont écrites au-dessus -ou dans les interlignes- de la rédaction initiale, à laquelle elles ajoutent la fouille du Tarrinzeau-field. ]
La fourmilière avait été écrasée. [phrase ajoutée -deuxième niveau d'addition; ajout autographe à la copie] Visiblement une mesure de police avait été prise. Il y avait eu ce qu’on appellerait de nos jours une razzia. Le Tarrinzeau-field [corrige "champ de foire"; de même à la copie] était plus que désert, il était désolé, et l’on y sentait ["le passage d'une griffe féroce [corrige +] ["d'une griffe féroce" corrige "d'un balai sinistre"] . Gwynplaine, après avoir tout fouillé et, pour ainsi dire, retourné les poches de cette solitude, ["baissa la tête," barré en correction cursive] quitta le champ de foire et entra" : addition. Ce texte se rattache à la rédaction initiale: "et entra dans les petites ruelles...]. Il est barré et réécrit dans le lignes qui suivent. La copiste enregistre ce texte.] dans tous les recoins le grattement d’une griffe féroce. On avait, pour ainsi dire, retourné les poches de ce misérable champ de foire, et tout vidé. Gwynplaine, après avoir tout fouillé, quitta le bowling-green, entra dans les rues tortueuses de l’extrémité appelée l’East-point, et ["dans tous les recoins": addition -deuxième niveau; addition autographe à la copie, qui se substitue au texte de la copiste: "le passage d'une griffe féroce...". L'ensemble des additions, depuis "La fourmilière avait été écrasée" remplace la rédaction initiale du début du folio:
"Gwynplaine sortit de la maison. Il quitta(?) le bowling-green [correction: "champ de foire"] désert, entra dans les petites ruelles [correction: "rues tortueuses"] de l'extrémité est ["appelée l'East-point": addition barrée et remplacée par une autre, en interligne: "du bowling-green appelée l'East-point"] et"] se dirigea vers la Tamise. [signe ajouté d'alinéa à faire]
Il franchit [corrige "Après avoir franchi"] quelques zigzags [corrige "coudes"] de ce réseau de ruelles ["tortueuses" barré] où il n’y avait que des murs et des haies ["[tortueuses" barré] où il n'y avait...": addition] , puis [ajouté en concurrence avec "et" ajouté aussi et qui n'est pas barré, mais ne figure pas à la copie] il [le mot est barré au ms; la copiste le restitue] sentit [il n'est pas exclu que "sentit" corrige "senti"; la rédaction initiale corrigée serait alors: "Après avoir franchi quelques coudes de ce réseau de ruelles et senti dans l'air..."] dans l’air le frais de l’eau, il entendit le glissement sourd du fleuve, et brusquement il se trouva devant un parapet. C’était le parapet de l’Effroc-stone.
Ce parapet bordait un tronçon de quai ["d'arrivage" corrigé +, le tout barré] très court et très étroit [en sc. sur +] . Sous le parapet la haute muraille Effroc-stone s’enfonçait à pic dans une eau ["profonde" barré; la correction en "obscure" n'est sans doute pas immédiate] obscure.
Gwynplaine s’arrêta à ce parapet, s’y accouda [deux ou trois mots barrés, peut-être en correction cursive] , prit sa tête dans ses ["deux" barré] mains, et se mit à penser ["et se mit..." corrige "commença de songer"] , ayant cette eau au dessous de lui.
Regardait-il l’eau ? non. Que regardait-il ? l’ombre. Non pas l’ombre hors de lui, mais l’ombre au dedans de lui.
Dans le mélancolique paysage de nuit auquel il ne faisait pas attention, ["Dans le mélancolique...": addition] dans [d'abord majuscule] cette profondeur extérieure [ajouté] où son regard n’entrait point [en sc. sur "pas"] , on pouvait distinguer ["on pouvait..." corrige "il percevait"] des silhouettes de vergues et de mâts. ["C'était livide et confus. Cà et là un falot rouge piquait la brume. ["Cà et là..." ajouté] Plusieurs bateaux, les uns en arrivage, les autres en partance, attendant l'heure de la marée, étaient à quai le long de l'Effroc-stone. A quelques pas de Gwynplaine, une coupure du parapet donnait passage sur un étroit escalier de muraille à hautes" première rédaction inachevée, barrée et immédiatement reprise à la suite] Sous l’Effroc-stone, il n’y avait que le flot, mais le quai en aval ["en aval" ajouté] s’abaissait en rampe insensible [corrige "douce"] et aboutissait, à quelque distance, à une berge que longeaient [un ou deux mots barrés] ["que longeaient..." corrige "où étaient amarrés"] plusieurs bateaux, les uns en arrivage, les autres en partance, ["attendant l'heure de la [f° 556, B22] marée et" barré] communiquant avec la terre par de petits promontoires d’amarrage, construits exprès, en pierre ou en bois, ou par ["de petits promontoires...": ajouté] des passerelles en planches. Ces navires, les uns amarrés, les autres à l’ancre [corrige "amarrés ou à l'ancre"] , [", les uns amarrés...": addition] étaient ["à l'ancre" addition abandonnée] immobiles. On n’y entendait ni marcher ni parler, la bonne habitude des matelots étant de dormir le plus qu’ils peuvent, et de ne se lever que pour la besogne. S’il y avait quelqu’un de ces bâtiments qui dût partir dans la nuit à l’heure de la marée, on n’y était pas encore réveillé. On voyait [corrige "apercevait"] à peine les coques, grosses ampoules noires, et les cordages [correction autographe à la copie: "agrès"] , fils mêlés d’échelles. C’était livide et confus. Ça et là un falot rouge piquait la brume. [En marge, à la hauteur de la fin de ce paragraphe, un texte encadré et barré qu'aucun filet n'implante comme addition et qui est utilisé dans l'addition qui suit:
"Il + + +
Il entendait derrière lui comme un tonnerre. C'était le rire des lords.
Ce rire, il en sortait.
Il en sortait souffleté.
Souffleté par qui!
Il avait fui [en sc. sur "fuyait"] . Il s'était réfugié dans tout ce qu'il avait aimé.
Il venait de trouver. Quoi? les ténèbres.
Quel écroulement!"]
Gwynplaine ne percevait rien de tout cela. Ce qu’il considérait [corrige "regardait"] , c’était la destinée. ["Ce qu'il considérait..." se substitue à trois ou quatre mots barrés]
Il songeait, visionnaire éperdu devant la réalité inexorable.
Il entendait [E.O.: "lui semblait entendre"] derrière lui quelque chose comme un tremblement de terre. C’était le rire des lords.
Ce rire, il venait d’en sortir. Il en était sorti souffleté.
Souffleté par qui ?
Par son frère. [paragraphe ajouté; de même à la copie]
Et en sortant de ce rire, avec ce soufflet, ["fuyant vers ce qu'il aimait," barré en correction cursive] se réfugiant [en sc. sur "qu'avait". VH écrit "fuyant vers ce qu'il aimait," le raye et reprend avec "qu'avait"(-t-il trouvé), se ravise et repart, en surcharge cette fois sur "qu'avait".] , oiseau blessé, dans son nid, fuyant [en sc. sur +] la haine et cherchant l’amour, qu’avait-il trouvé ?
Les ténèbres.
Personne.
Tout disparu. ["Personne...": addition de troisième niveau]
Ces ténèbres, il les comparait au songe qu’il avait fait. [paragraphe en addition de deuxième niveau]
Quel écroulement ! ["Gwynplaine ne percevait rien...": addition de premier niveau, ajouts exceptés. Elle se substitue au texte de première rédaction:
"Gwynplaine maintenant n'avait plus rien sur la terre. ["maintenant...": addition ou correction] ne percevait rien de ces linéaments , et si des bruissements et des murmures y étaient mêlés, il ne les entendait point. Gwynplaine maintenant était face à face du vide. [phrase ajoutée] La fermeture de son âme venait de se faire; la Green-Box disparue [corrigé "partie"], c'était l'univers évanoui." Ce texte est récupéré dans les ajouts qui suivent.]
Gwynplaine venait d’arriver à ce bord sinistre, le vide. La Green-Box partie [corrige "disparue"] , ["Gwynplaine venait d'arriver...": ajouté] c’était l’univers évanoui.
La fermeture de son âme venait de se faire. [paragraphe ajouté]
Il songeait. ["Qu'était-il donc arrivé?" barré]
["Il songeait." barré. On avoue ne pas comprendre ce qui s'est passé. Peut-être VH, voulant corriger "Qu'était-il donc arrivé" a-t-il par mégarde répété "Il songeait.".] Qu’avait-il pu se passer ? Où étaient-ils ? On les avait enlevés évidemment. Sa destinée avait été sur lui Gwynplaine un coup, la grandeur, et sur eux un contrecoup, l’anéantissement [corrige "la persécution"] . Il était clair qu’il ne les reverrait jamais. On avait pris des précautions pour cela. Et l’on avait fait en même temps main basse sur tout ce qui habitait le champ de foire, à commencer par Nicless et Govicum, afin qu’aucun renseignement ne pût lui être donné. Dispersion inexorable [corrige "irrémédiable"] . Cette redoutable force sociale, en même temps qu’elle le pulvérisait, lui, à la chambre des lords, les avait broyés [corrige "écrasés"] , eux, dans leur pauvre cabane. ["Cette redoutable..." ajouté] Ils étaient perdus. Dea était perdue. Perdue pour lui. A jamais. Puissances du ciel ! où était-elle ? Et il n’avait pas été là pour la défendre ! [phrase ajoutée] [copie: pas d'alinéa; au ms, un signe bizarre qui n'est pas celui ordinairement employé par VH pour indiquer un alinéa à faire.]
Faire des conjectures sur des absents qu’on aime, c’est se mettre à la question. Il s’infligeait cette torture. A chaque coin qu’il s’enfonçait, à chaque supposition qu’il faisait, il avait un sombre rugissement intérieur. ["Faire des conjecture..." corrige en addition et complète "Les conjectures sont des tortures. Il s'infligeait cette question. + + + + + +" : cette dernière phrase surchargée par "Il avait un sombre rugissement intérieur."]
A travers une succession d’idées poignantes, il se souvenait [corrige "souvint"] de l’homme évidemment funeste qui lui avait dit se nommer Barkilphedro. Cet homme lui avait écrit dans le cerveau quelque chose d’obscur qui à présent [corrige "maintenant"] reparaissait, et cela avait été écrit d’une encre si horrible [en sc. sur + qui corrige +] que c’était maintenant des lettres de feu, et Gwynplaine voyait flamboyer au fond de sa pensée ces paroles ["fatales" barré en correction cursive] énigmatiques, aujourd’hui expliquées : Le destin n’ouvre pas une porte sans en fermer une autre. ["A travers...": paragraphe en addition]
["Donc" barré] Tout [d'abord minuscule] était consommé. Les dernières ombres étaient ["ombres étaient" corrige "ténèbres étaient [corrige "avançaient"(?)]"] sur lui. Tout homme peut avoir dans sa destinée une fin du monde pour lui seul. Cela s’appelle le désespoir. L’âme est pleine d’étoiles tombantes.
[Au crayon, une note préparatoire de trois lignes: "Il s'enfonce dans le remords(?) . Il récapitule au fond de l'abime comme au sommet de la montagne on regarde."]
[f° 557, C22]
Voilà donc où il en était !
Une fumée avait passé. Il avait été mêlé à cette fumée. Elle s’était épaissie sur ses yeux ; elle était entrée dans son cerveau. Il avait été, au dehors, aveuglé ; au dedans, enivré. Cela avait duré le temps qu’une fumée passe. Puis tout s’était dissipé, la fumée, et sa vie. Réveillé de ce rêve, il se retrouvait seul.
Tout évanoui. Tout en allé ["en allé" corrige "disparu"] . Tout perdu. La nuit. Rien. C’était là son horizon.
Il était seul.
Seul a un synonyme : mort.
Le désespoir est un compteur. Il tient à faire son total. Rien ne lui échappe. [trois phrases notées en 15 812, f° 123] Il additionne tout, il ne fait pas grâce des centimes. Il reproche à Dieu les coups de tonnerre et les coups d’épingle. Il veut savoir à quoi s’en tenir sur le destin. Il raisonne, pèse, ["+" barré] et calcule [", il ne fait pas grâce...": addition] .
["Gwynplaine s'examina." barré en correction cursive. La reprise presque immédiate de la formule implique que cette suppression est cursive, mais pas nécessairement l'addition qui prend sa place matérielle, et qui a pu être faite plus tard.]
[signe rappelant l'alinéa à faire] Sombre refroidissement extérieur sous lequel continue de couler la lave ardente.
Gwynplaine s’examina, et examina le sort.
Le coup d’œil en arrière ; résumé redoutable.
Quand on est au haut de la montagne, on regarde le précipice. Quand on est au fond de la chute [correction abandonnée: "l'abîme"] , on regarde le ciel.
Et l’on se dit : J’étais là !
["Quel + + que la douleur! La conscience + +
[peut-être suppression cursive] instruit inexorablement son propre
procès. Gwynplaine se faisait [corrige "fit"] des demandes et des
réponses." paragraphe barré; la suite en reprend des éléments]
Gwynplaine était tout en bas du malheur. Et comme cela était venu vite ! Promptitude hideuse de l’infortune. Elle ["de l'infortune. Elle" corrige "du malheur. Il"] est si lourde [mis au féminin] qu’on la [en sc. sur "le"] croirait lente [mis au feminin]. Point. [ajouté] Il semble que ["Il semble que" ajouté] la [d'abord majuscule] neige [", étant froide," barré en correction cursive] doit avoir, étant froide, la paralysie de l’hiver, et, étant blanche, l’immobilité du linceul. Tout cela est démenti par ["démenti par" semble rétabli après surcharge] l’avalanche.
L’avalanche, c’est la neige devenue fournaise. Elle reste glacée, et dévore. L’avalanche avait enveloppé Gwynplaine. ["L'avalanche, c'est...": addition; elle est précédée du signe d'alinéa à faire] Il [corrige "Gwynplaine"] avait été arraché comme un haillon [correction abandonnée: "une poignée d'herbe"] , déraciné comme un arbre, précipité comme une pierre.
Il récapitula sa chute. Il se fit des demandes et des réponses. La douleur est un interrogatoire. ["La conscience instruit son propre procès." barré en correction cursive] Aucun [f° 558, D22] juge n’est minutieux [corrige "inexorable"] comme la conscience instruisant son propre procès.
Quelle quantité de remords y avait-il dans son désespoir ?
Il voulut s’en rendre compte ["Il voulut..." en sc. sur "Il s'interrogea"], et disséqua sa conscience ; vivisection douloureuse. ["Il voulut..." paragraphe ajouté à l'addition qui suit. A la copie, il corrige par surcharge autographe "Il s'interrogea."]
Son absence avait produit une catastrophe. Cette absence avait-elle dépendu de lui ? Dans tout ce qui venait de se passer, avait-il été libre ? Point. Il s’était senti captif. [faux départ: "Captif d'une chaîne"] Ce qui l’avait arrêté et retenu, qu’était-ce ? une prison ? non. Une chaîne ? non. Qu’était-ce donc ? une glu. [ébauche en 15 812, f° 9] Il avait été embourbé dans de la grandeur. [phrase d'une autre plume: ajoutée]
A qui cela n’est-il pas arrivé, d’être libre en apparence, et de se sentir les ailes empêtrées ?
Il y avait eu quelque chose comme un panneau tendu. Ce qui est d’abord tentation finit par être captivité. [Ce paragraphe corrige
"Pourtant avait-il été passif et inerte ["avait-il été..." corrige "était-il donc responsable"] ? non. Il avait accepté ce qui s'offrait."]
Toutefois [en sc. sur +] , et sur ce point ["sur ce point" corrige "ici"] sa conscience le pressait, ce qui s’était offert, l’avait-il simplement subi ? non [copie: majuscule]. Il l’avait accepté. ["Son absence avait produit une catastrophe...": addition; à la copie, addition de la main de la copiste. Elle se substitue en deux temps -d'abord la première phrase puis la seconde- au texte de première rédaction:
"Ce malheur, au fond duquel il était, ["au fond...": ajouté] + + + [sans doute barré en correction cursive] l'avait-il mérité?
Il s'interrogea."]
Qu’il lui eût [en sc. sur "ait"(?)]
été fait violence et surprise dans une certaine mesure, cela était ["certain" barré en correction cursive]
vrai ; mais lui, de son côté, dans une certaine mesure, il s’était
laissé faire. S’être laissé enlever, ce n’était pas sa faute ; s’être
laissé enivrer, ["c'était son crime" barré en
correction cursive] ç’avait été sa défaillance. Il y avait eu
un moment, moment décisif, [", moment
décisif," ajouté] où la question avait été ["nettement"
corrigé en +, barré] posée ; ce Barkilphedro l’avait mis en
face d’un dilemme, et avait nettement [ajouté]
donné à Gwynplaine l’occasion de résoudre son sort ["résoudre
son sort" corrige "tout résoudre"] d’un mot. Gwynplaine pouvait
["Gwynplaine pouvait" corrige "Il fallait"]
dire non. Il [corrige "Gwynplaine"]
avait dit oui.
De ce oui, prononcé dans l’étourdissement, ["De ce oui..." corrige "De ce fatal oui"] tout avait découlé.
[A la copie, VH ajoute "Gwynplaine le comprenait." mais ne marque pas d'alinéa à faire] [marque d'alinéa à faire] Arrière-goût amer du consentement. ["Arrière-goût...": paragraphe ajouté]
Cependant, car il se débattait, était-ce ["-ce" oublié et ajouté] donc un si grand tort de rentrer dans son droit, dans son patrimoine, dans son héritage, dans sa maison, et, [virgule ajoutée; de même à la copie] patricien, dans le rang de ses aïeux, et orphelin, dans le nom de son père ? Qu’avait-il accepté ? une restitution. Faite par qui ? par la providence.
Alors il sentait [en sc. sur "sentit"] une révolte. Acceptation stupide ! quel marché il avait fait ! quel échange inepte ! Il avait traité à perte avec cette providence! Quoi donc ! pour avoir deux millions de rente, pour avoir sept ou huit seigneuries, ["pour avoir sept ou huit seigneuries," ajouté] pour avoir dix ou douze palais, pour avoir des hôtels à la ville et des chateaux à la campagne, pour avoir cent laquais, et des meutes, et des carrosses et des armoiries, pour être juge souverain [en sc. sur "suprême"; VH barre les deux qualificatifs à la copie] et législateur suprême [corrige "souverain"; VH barre les deux qualificatifs à la copie] , ["pour être juge...": ajouté] pour être couronné et en robe de pourpre comme un roi, pour être ["pair d'Angleterre" barré en correction cursive] baron et marquis, pour être pair d’Angleterre, il avait donné la baraque d’Ursus et le sourire de Dea ! Pour une immensité mouvante où l’on s’engloutit et où l’on naufrage, il avait donné le [correction abandonnée: "son"] bonheur ! Pour l’océan, il avait donné la perle. O insensé ! ["o dupe!" barré et déplacé] o imbécile [en sc. sur "misérable"] ! o dupe ! [ajouté. A la copie, VH corrige le texte de la copiste qui était "O insensé! o dupe! o imbécile!"]
[f° 559 blanc; f° 560, E22. Ce folio est très
vraisemblablement intercalé voir le suivant.]
Mais pourtant, et ici l’objection renaissait sur un terrain solide, dans cette fièvre de la haute fortune qui l’avait saisi, tout n’avait pas été malsain. Peut-être y aurait-il eu égoïsme dans la renonciation, peut-être y avait-il devoir dans l’acceptation. ["Mais pourtant...": addition; elle récupère en partie la rédaction initiale barrée du début du folio suivant] Brusquement transformé en lord, que devait-il faire ? ["Brusquement...": addition de second niveau; elle se substitue à une autre: "Que faire?"] La complication de l’événement produit [corrige "engendre"] la perplexité de l’esprit. [Phrase notée, presque telle quelle, en 15 812, f° 85] C’est ce qui lui était arrivé. [phrase ajoutée] Le devoir donnant des ordres en sens inverse, le devoir de tous les côtés à la fois, le devoir multiple, et presque contradictoire, il avait eu cet effarement. C’était cet effarement qui l’avait ["plusieurs fois" barré] paralysé, notamment dans ce trajet de Corleone-lodge à la chambre des lords, auquel il n’avait pas résisté. Ce que, dans la vie, on appelle monter, c’est passer de l’itinéraire simple à l’itinéraire [correction ou ajout abandonné d'un mot] inquiétant. Où est désormais la ligne droite ? Envers qui est le premier devoir ? Est-ce envers ses proches ? Est-ce envers le genre humain ? Ne passe-t-on pas de la petite famille à la grande ? [phrase ajoutée] [L'addition se poursuit par un texte inachevé de trois lignes barrées. On distingue: "+ + + + + contient cette idée, quand + + + + d'un fait"] ["Le devoir donnant des ordres...": additions; elles se substituent au texte initial: "Quelquefois dans la vie on a l'effarement du devoir multiple et presque contradictoire."] On monte, et l’on sent sur son honnêteté un poids qui s’accroît. Plus haut, on se sent plus obligé [corrige "lié"] . L’élargissement du droit agrandit le devoir. On a l’obsession [en sc. cursive sur "illusion"] , l’illusion peut-être, de plusieurs routes s’offrant en même temps ["en même temps" corrige "à la fois"] et à l’entrée de chacune d’elles on croit voir le doigt indicateur de la conscience. Où aller ? sortir ? rester ? [ajout autographe à la copie: "avancer ? reculer ?"] que faire ? Que le devoir ait des carrefours, c’est étrange. La responsabilité peut être un labyrinthe.
["Gwynplaine était profondément [en sc. sur +]
pensif." paragraphe barré]
Et quand un homme contient une idée, quand il est l’incarnation d’un fait ["significatif" placé entre barres verticales puis rayé] , quand il est homme symbole en même temps qu’homme en chair et en os, la responsabilité n’est-elle pas plus troublante encore ? De là la soucieuse docilité ["la soucieuse..." corrige "le profond [correction :+ +] souci"] et l’anxiété muette ["et l'anxiété muette" ajouté; cet ajout est antérieur à la correction qui précède] de Gwynplaine ["quand l'huissier à la verge noire était venu le chercher" barré] ; de là son obéissance à la sommation de siéger. L’homme pensif est souvent homme passif. Il lui avait semblé entendre le commandement même du devoir. Cette entrée dans un lieu où l’on peut discuter l’oppression et la combattre, ["Cette entrée...": ajouté] n’ [d'abord majuscule] était-ce point la réalisation d’une de ses aspirations les plus profondes [rétabli après correction en "ardentes"] ? Quand la parole lui était donnée, à lui formidable échantillon social, à lui spécimen vivant du bon plaisir sous lequel depuis six mille ans râle le genre humain, avait-il le droit de la refuser ? avait-il le droit d’ôter sa tête de dessous la langue de feu tombant d’en haut et venant se poser sur lui ? [ces dernières lignes récupèrent le texte de la rédaction initiale barrée du folio suivant]
[f° 561, F22] [Ce folio emprunte plusieurs éléments importants à une rédaction antérieure, en 24 747, f° 181v, où l'intention est dite au présent et non comme l'objet d'une rétrospection de sorte que ce monologue intérieur prenait vraisemblablement place en II, 5, 5; une note de régie indique d'ailleurs la réorientation du texte vers le discours à la chambre des lords et vers le dénouement]
[Le premier paragraphe est encadré et barré à
grands traits. Son contenu a été distribué entre l'addition au haut du
folio précédent pour les premières lignes et la fin de ce folio pour les
dernières. Il faut donc penser que le folio 560 a été intercalé. On lit:
"Mais pourtant, et ici l'objection renaissait sur un terrain solide, dans cette fièvre de la haute fortune ["de la haute..." corrige "de grandeur"] qui l'avait saisi, tout n'avait pas été malsain. Il avait accepté [" ["son élévation qui l'éblouissait" barré en correction cursive] son élévation" le tout barré] ce qui lui était offert. Peut-être y aurait-il eu égoïsme dans la renonciation [corrige "le refus"]; peut-être y avait-il devoir dans l'acceptation. Quand la parole lui était donnée, à lui formidable échantillon social [correction abandonnée: "humain"], ["avait-il le droit" barré en correction cursive] à lui spécimen vivant du bon plaisir sous lequel depuis six mille ans râle le genre humain, avait-il le droit de la refuser?"]
Dans l’obscur et vertigineux [corrige "profond"] débat de la conscience, que s’était-il dit ? ceci ["que s'était-il dit, ceci" ajouté, soit avant, soit après le début de la phrase] ["Dans l'obscur...": addition; elle corrige "Il s'était dit"] : — Le peuple est un silence. Je serai l’immense avocat de ce silence. Je parlerai pour les muets. Je parlerai des petits aux grands et des faibles aux puissants. [deux ou trois mots barrés suivis d'une virgule, peut-être "Je comprends,"] C’ [d'abord minuscule] est là le but de mon sort. Dieu veut ce qu’il veut, et il le fait. Certes, cette gourde de ce Hardquanonne où était la métamorphose de Gwynplaine [correction abandonnée: "du saltimbanque Gwynplaine"] en lord Clancharlie, il est surprenant qu’elle ait flotté quinze ans sur la mer, dans les houles, dans les ressacs, dans les tourmentes [corrigé par VH à la copie en "rafales"] , et que toute cette colère ne lui ait fait aucun mal. Je vois pourquoi. Il y a des destinées à secrets [le "s" est ajouté] ; moi, j’ai la clef de la mienne, et j’ouvre mon énigme. ["Oh! ce sera grand [corrige +] !" barré et déplacé] Je suis prédestiné ! j’ai une mission. Je serai le lord des pauvres. [phrase ajoutée] Je parlerai pour tous les taciturnes désespérés ["tous les taciturnes..." corrige "ceux qui se taisent [correction abandonnée +]"] . Je traduirai les bégaiements. Je traduirai les grondements, les hurlements, les murmures, ["les murmures," ajouté] la rumeur ["inarticulée" barré] des foules, les plaintes mal prononcées, les voix inintelligibles, et tous ces cris de bêtes qu’à force d’ignorance et de souffrance on fait pousser aux hommes. Le bruit des hommes est inarticulé comme le bruit du vent ; ils crient; mais on ne les comprend pas, crier [en sc. sur "et crier"] ainsi équivaut à se taire, et se taire est leur désarmement [en sc. sur +] . ["Le bruit des hommes...": addition. Elle se substitue à "+ + + + se taire, et se taire est leur condamnation."] Désarmement forcé qui réclame le secours. Moi, je serai le secours. Moi, je serai la dénonciation [corrige + qui corrige "révélation"] . Je serai le Verbe du Peuple. [phrase de même écriture que le texte initial; antérieure aux additions de cette fin de paragraphe, elle corrige une phrase barrée, non lue, achavée par ""Je dirai tout."] Grâce à moi, on comprendra. Je serai la bouche sanglante dont le bâillon est arraché. Je dirai tout. Ce sera grand. — ["Grâce à moi, on comprendra...": addition. Elle est de la même écriture que "Moi, je serai le secours...". Ces lignes sont l'objet de transformations succesives imbriquées dont on renonce à deviner la succession. La première rédaction est "...on fait pousser aux hommes. + + + + se taire, et se taire est leur condamnation. Moi, je serai la bouche sanglante dont le bâillon est arraché. Je serai le Verbe du peuple. Je dirai tout. Ce sera grand."]
Oui, parler pour les muets, c’est beau ; mais parler aux sourds, c’est triste. C’était là la seconde partie de ["C'était là..." corrige "Cela avait été"] son aventure. ["Il avait avorté." barré]
Hélas ! il avait avorté. [paragraphe ajouté]
Il avait avorté irrémédiablement. [paragraphe
peut-être ajouté; mais s'il l'est, c'est avant l'ajout qui précède.]
[f° 562, G22]
Cette élévation à laquelle il avait cru, cette haute fortune, cette apparence, ["cette apparence" ajouté au-dessus de "La destinée"] ["Cette élévation..." ajouté remplace "La destinée". Le filet implante l'addition entre "La destinée" et "s'était effondrée..."; une virgule ajoutée après "La destinée" et juste avant le filet laisse reconstituer une rédaction intermédiaire, avant que "La destinée" soit barré: "La destiné, cette apparence, s'était effondrée sous lui."] s’était effondrée sous lui.
["Et" barré] Quelle [d'abord minuscule] chute ! tomber dans l’ ["épouvantable" barré en correction cursive] écume du rire [corrige "ricanement"(?)] .
Il se croyait fort, lui qui, pendant tant d’années avait flotté, âme attentive, dans la vaste diffusion des souffrances, lui qui rapportait de toute cette ombre un cri lamentable [corrige "terrible"] . Il était venu s’échouer ["à l'impossible" barré] à ce colossal écueil, la frivolité des heureux. [Il était venu...": addition] Il se croyait un vengeur, il était un clown. [phrase ajoutée de la même plume que l'addition qui précède] Il croyait foudroyer, il avait chatouillé. Au lieu de l’émotion, il avait recueilli la moquerie [corrige "la haine"] . Il avait sangloté, on était entré en joie [corrige "allégresse"] . ["Il était venu s'échouer...": le texte initial est: " ["Au lieu de l'émotion," barré en correction cursive] Il se croyait pathétique, il était risible. ["Il se croyait...": ajouté] Il avait recueilli, au lieu de l'émotion, la huée. Il croyait foudroyer, il avait chatouillé. Il avait sanglotté, on avait ri." [corrigé "on était entré en allégresse."]] Sous cette joie [corrige "cette allégresse" qui corrige "ce rire"] , il avait sombré. Engloutissement ["hideux" barré] funèbre [copie: correction autographe de "hideux" en "funèbre"] .
Et de quoi avait-on ri ? De son rire.
Ainsi, cette voie de fait exécrable [corrige "horrible"] dont il gardait à jamais la trace, cette mutilation devenue ["mutilation devenue": ajouté] gaieté à perpétuité, ce [corrige "cet effrayant"] rictus stigmate, image du contentement supposé des nations sous les oppresseurs, ce masque de joie fait par la torture, ["ce masque..." ajouté] cet abîme du ricanement [corrige "rire"] ["porté" barré en correction cursive] qu’il portait sur la face, ["cette + barré en correction cursive] cette cicatrice signifiant jussu regis, cette attestation du crime commis par le roi sur lui, symbole du crime commis par la royauté sur le peuple entier, c’était cela qui triomphait de lui, c’était cela qui l’accablait, c’était l’accusation contre le bourreau qui se tournait en sentence [corrige "condamnation"] contre la victime ! Prodigieux déni de justice. ["Prodigieux..." corrige "Déni de justice odieux." qui corrige "+(peut-être "Dérision") légale."] La royauté, après avoir eu raison de son père, avait raison de lui. Le mal qu’on avait fait servait de prétexte et de motif au mal qui restait à faire. Contre qui les lords s’indignaient-ils ? contre le tortureur ? non. Contre le torturé. Ici le trône, là le peuple ; ici Jacques II, là Gwynplaine. Certes, cette confrontation mettait en lumière ["un tort," barré] un attentat, et [", et" en sc. sur une virgule] un crime. ["Quel était le tort? parler." barré] Quel était l’attentat ? se plaindre. Quel était le crime ? souffrir. Que la misère se cache et se taise; sinon, elle est lèse-majesté. ["Il s'était ouvert le ventre, il avait montré" barré; fin de la phrase en rédaction initiale du folio suivant] Et ces hommes qui avaient traîné Gwynplaine sur la claie du sarcasme, étaient-ils méchants ? non, mais ils avaient, eux aussi, leur fatalité ; ils étaient heureux. Ils étaient bourreaux sans [f° 563, H22] le savoir. Ils étaient de bonne humeur. Ils avaient trouvé Gwynplaine inutile. ["Voilà tout." barré] Il s’était ouvert le ventre, il s’était arraché le foie et le cœur, il avait montré ["Et ces hommes...": addition. La fin de l'addition réécrit la dernière ligne, barrée, de la rédaction initiale au folio précédent: "Il s'était ouvert le ventre, il avait"] montré ses entrailles, et on lui avait crié : Joue ta comédie ! Chose nâvrante [corrige "épouvantable"] , lui-même il riait. L’affreuse chaîne lui liait l’âme ["lui liait l'âme" corrige "liait jusqu'à son âme"] , et empêchait sa pensée de monter jusqu’à son visage. La défiguration allait jusqu’à son esprit, et pendant que sa conscience [un ou deux mots, peut-être inachevés, barrés en correction cursive] s’indignait, sa face lui donnait un démenti et ricanait. ["La défiguration...": addition de premier niveau; elle s'insère après "...jusqu'à son visage." sans se substituer au texte initial.] C’était fini. Il était l’Homme qui Rit, cariatide du monde qui pleure. Il était une angoisse [corrige "détresse"] pétrifiée en hilarité ["en hilarité" en sc. sur "en joie"] , portant le poids ["C'était fini...: addition de second niveau, mais de même écriture. Elle se substitue au texte initial: "C'était fini. Plus rien à faire. ["Plus rien...": ajouté] Il était la cariatide de l'éclat de rire portant le poids"] d’un univers [corrige "monde"] de calamité, et muré à jamais dans la jovialité ["la jovialité" en sc. sur "la joie" corrige + + qui corrige "la parodie"] , dans l’ironie, dans l’amusement d’autrui ; il partageait, avec tous les opprimés dont il était l’incarnation, cette fatalité abominable [corrige "inexprimable"] d’être une désolation pas prise au sérieux ; on badinait avec sa détresse ; ["on badinait..." ajouté] il était on ne sait quel bouffon énorme sorti d’une effroyable [en sc. sur + et corrige "hideuse" qui corrige "épouvantable"] condensation d’infortune, évadé de son bagne, passé Dieu, monté du fond des populaces au pied du trône, mêlé aux constellations [en sc. sur "étoiles"] , ["mêlé aux constellations," ajouté] et après avoir égayé les damnés [corrige "l'enfer"] , il égayait les élus [corrige "le ciel" qui corrige "l'olympe"] ! Tout ce qu’il y avait en lui de générosité, d’enthousiasme, d’éloquence, de cœur, d’âme, de fureur, de colère, d’amour, d’inexprimable douleur, aboutissait à ceci, un éclat de rire ! Et il constatait, comme il l’avait dit aux lords, que ce n’était point là une exception, que c’était le fait normal, ordinaire, universel, le vaste fait souverain tellement amalgamé [corrige "mêlé"] à la routine de vivre qu’on ne s’en apercevait plus. Le meurt-de-faim [corrige "misérable"] rit, ["le forçat" corrigé en +, barré en correction cursive] le mendiant rit, le forçat rit, la prostituée rit, l’orphelin, [virgule ajoutée] pour gagner sa vie, rit, l’esclave rit, le soldat rit, le peuple rit ; la société humaine est faite de telle façon que toutes les perditions [corrige "déroutes"] , toutes les indigences, toutes les catastrophes, ["toutes les +, toutes les perditions," barré] toutes les fièvres, tous les ulcères, toutes les agonies, se résolvent au dessus du gouffre en une épouvantable grimace de joie. Cette grimace totale, il était cela. Elle était lui. La loi d’en haut, la force inconnue ["la force inconnue" corrige "l'Inconnu"] qui gouverne, ["La loi d'en haut..." corrige "+ + inconnue qui gouverne d'en haut" qui corrige "La fatalité"] avait voulu qu’un spectre visible et palpable, un spectre en chair et en os, résumât la monstrueuse parodie que nous appelons le monde ; il était ce spectre.
[+ + que faire? Rien. Rester, c'est à dire +, ou +, c'est à dire +.
Accablement." Ces deux paragraphes sont placés entre barres verticales avant d'être rayés.]
Destinée incurable. [paragraphe ajouté pour se substituer aux deux qui précèdent]
[f° 564, I22]
Il avait crié : Grâce pour les souffrants [corrige "le peuple"] ! En vain. [paragraphe ajouté]
Il avait voulu éveiller la pitié ; il avait éveillé l’horreur. C’est la loi d’apparition des spectres. [phrase ajoutée]
En même temps que spectre, il était homme. C’était là sa complication poignante [corrige "terrible"] . Spectre extérieur, homme intérieur. Homme, plus qu’aucun peut-être, car son double sort résumait toute l’humanité. Et en même temps qu’il avait l’humanité en lui, il la sentait hors de lui.
Il y avait dans son existence [corrige "sa destinée"] de l’infranchissable. Qu’était-il ? un déshérité ? non, car il était un lord. Qu’était-il ? un lord ? non, car il était un révolté. Il était l’apporte-lumière, trouble-fête effrayant. Il n’était pas Satan, certes, mais il était Lucifer. Il arrivait sinistre, un flambeau à la main.
Sinistre pour qui ? pour les sinistres. Redoutable à qui ? aux redoutés. Aussi ils le rejetaient. Entrer parmi eux ? Être accepté ? ["Être accepté ?" ajouté] Jamais. [corrige "Impossible."] L’obstacle qu’il avait sur la face était [faux départ: "évidemment insurmontable"] affreux, mais l’obstacle qu’il avait dans les idées était plus insurmontable encore. Sa parole avait paru plus difforme que sa figure ["que sa figure" corrige "encore que son visage"] . Il ne pensait pas une pensée possible en [corrige "au milieu de"(?)] ce monde des grands et des puissants dans lequel une fatalité l’avait fait naître et dont une autre fatalité l’avait fait sortir. Il y avait entre les hommes et son visage, un masque, et entre la société et son esprit, une muraille. En se mêlant, dès l’enfance, ["dès l’enfance," ajouté] bateleur nomade, à ce vaste milieu ["humain" corrigé en "populaire", le tout barré] vivace et robuste ["vivace..." ajouté] qu’on ["app" barré en correction cursive] nomme la foule, en se saturant de l’aimantation des multitudes, en s’imprégnant de l’immense âme humaine, il avait perdu, dans le sens commun de [f° 565, J22] tout le monde, le sens spécial des classes reines. En haut, il était impossible. [phrase ajoutée] Il arrivait [addition supprimée: "en haut"] tout mouillé de l’eau du puits Vérité, il avait la fétidité de l’abîme. Il répugnait à ces princes, parfumés de mensonges. [phrase ajoutée] A qui vit de fiction, la vérité est infecte. Qui a soif de flatterie revomit le réel, bu par surprise. [faux départ: "Fermain Clancharlie, qui était Gwynplaine, avait"] Ce qu’il apportait, lui Gwynplaine, n’était pas présentable ; c’était, quoi ? ["c'était, quoi?" corrige "c'était"] la raison, la sagesse, la justice ["la raison..." corrige "la réalité"] . On le rejetait [corrige "repoussait"; de même à la copie] ["On le..." corrige "Il avait été repoussé"] avec dégoût.
Il y avait là des évêques. Il leur apportait Dieu. Qu’était-ce que cet intrus ? [paragraphe en addition; elle est antérieure à la suivante]
Les pôles extrêmes se repoussent. Nul amalgame possible. La transition
manque. On avait vu, sans qu’il y eût eu d’autre résultat qu’un cri de
colère, ce vis-à-vis ["ce vis-à-vis" en sc.
sur + +] formidable : toute la misère concentrée dans un homme
face à face avec tout l’orgueil concentré dans une caste. [paragraphe
ajouté; à la copie, ajout de la main de la copiste]
Accuser est inutile. Constater suffit. Gwynplaine [en sc. sur "Il"] constatait [faux départ: "la surdité des hauts"] , dans cette méditation ["suprême" barré] au bord de son destin [corrige "sa destinée"] , l’immensité inutile [en sc. sur "vaine"(?)] de son effort. Il constatait la surdité des hauts lieux. Les privilégiés n’ont pas d’oreille du côté des déshérités. Est-ce la faute des privilégiés ? non. C’est leur loi, hélas ! Pardonnez-leur. [phrase ajoutée] S’émouvoir, ce serait abdiquer. ["L'impossible est là." barré] Où sont les seigneurs et les princes, il ne faut rien attendre. Le satisfait [corrige "L'heureux"] , c’est l’inexorable. Pour l’assouvi, l’affamé n’existe point. Les heureux ignorent, et s’isolent. ["Pour l'assouvi...": addition. Elle commence par un faux départ: "L'affamé".] Au seuil de leur paradis comme au seuil de l’enfer, il faut écrire : « laissez toute espérance. »
Gwynplaine venait d’avoir la réception d’un spectre entrant chez les dieux.
Ici tout ce qu’il avait en lui se soulevait. Non, il n’était pas un spectre, il était un homme. Il le [ajouté] leur avait dit, il le leur avait crié, il était l’Homme.
Il n’était pas un fantôme. Il était une chair palpitante. Il avait un cerveau, et il pensait ; il avait un cœur, et il aimait ; il avait une âme, et il espérait. Avoir trop espéré, c’était même là toute sa faute.
Hélas ! il avait exagéré l’espérance jusqu’à croire en cette chose éclatante et obscure, la société. Lui qui ["Lui qui" corrige "Il"] était dehors, il y était rentré.
La société lui avait tout de suite, d’emblée, à la fois, fait ses trois offres et donné ses trois dons ["et donné ses trois dons" est encadré de barres verticales; la copiste les reproduit et VH les raye] , le mariage, la famille, la caste. Le mariage ? il avait vu sur le seuil la prostitution. La famille ? son [f° 566, K22. Le début du folio 569 contient la suite du texte dans sa rédaction initiale. Les folios 566, 567 et 568 sont intercalés.] frère l’avait souffleté, et l’attendait le lendemain, l’épée à la main. La caste ? elle venait de lui éclater de rire à la face, à lui patricien, à lui misérable. Il était rejeté presque avant même d’avoir été admis, Et ses trois premiers pas dans cette profonde ombre sociale avaient ouvert sous lui trois gouffres.
Et c’était par une transfiguration traître que son désastre avait débuté [correction cursive de "commencé"] ! ["Et c'était...": addition de second niveau] [initialement, alinéa] Et cette catastrophe s’était approchée de [corrige "avancée sur"(?)] lui avec le [en sc. cursive sur "un"] visage de l’apothéose ! Monte ! avait signifié : Descends ! ["Et cette catastrophe...": addition -premier niveau]
Il était une sorte de contraire de Job. C’est par la prospérité [corrige "richesse"] que l’adversité [corrige "la misère"] lui était venue. [paragraphe en addition -second niveau]
O tragique énigme humaine ! Voilà donc les embûches ! Enfant, il avait
lutté contre la nuit, et il avait été plus fort qu’elle. Homme, il avait
lutté contre le destin, et il l’avait terrassé. De défiguré, il s’était
fait rayonnant, et de malheureux, heureux. De son exil il avait fait un
asile. Vagabond, il avait lutté contre l’espace, et comme les oiseaux du
ciel, il y avait trouvé sa miette de pain. Sauvage et solitaire, il
avait lutté contre la foule, et [ajouté]
il s’en était fait une amie. [phrase en
addition] Athlète, il avait lutté contre ce [en
sc. sur "le"] lion, le peuple, ["le
peuple," oublié et ajouté] et il l’avait apprivoisé. ["Athlète...":
phrase ajoutée à l'addition précédente] Indigent [corrige
"Pauvre"] , il avait lutté contre la détresse, il avait fait
face à la sombre nécessité de vivre, et, à force d’amalgamer à la misère
toutes les joies du cœur, il s’était fait de la pauvreté une richesse.
Il avait pu se croire le vainqueur de la vie ["le
vainqueur..." corrige "vainqueur"] . ["Mais
il faut être renversé, sans quoi la destinée n'est pas complète." mis
entre barres verticales, barré et déplacé au folio suivant en
addition] Tout à coup de nouvelles forces étaient arrivées
contre lui du fond de l’inconnu, non plus avec des menaces, mais avec
des caresses et des sourires ; à lui, tout pénétré d’amour angélique,
l’amour draconien [correction abandonnée:
"infernal"] ["était apparu" barré en
correction cursive] et matériel était apparu ; la chair l’avait
saisi, lui qui vivait d’idéal ["qui vivait..."
corrige " qui avait si longtemps déifié [corrige +] l'extase"] ;
il avait entendu des paroles de volupté semblables à des cris de rage ;
["il avait entendu...": ajouté] il avait
senti des étreintes de bras de femme faisant l’effet de nœuds de ["serpent" barré en correction cursive]
couleuvre ; à l’illumination [corrige
"éblouissement"; de même à la copie] du vrai avait succédé la
fascination du faux ; car ce n’est pas la chair qui est le réel, c’est
l’âme. La chair est cendre, l’âme est flamme. A ce groupe lié à lui par
la parenté de la pauvreté et du travail, et qui était sa véritable
famille naturelle, s’était substituée la famille sociale, famille [f°
567, L22. Suite de l'intercalation.] du sang,
mais du sang mêlé, et, avant même d’y être entré, il se trouvait face à
face avec un fratricide ébauché. Hélas, il s’était laissé reclasser dans
[correction abandonnée: "incorporer à"]
cette société dont Brantôme, qu’il n’avait pas lu, a dit [correction
abandonnée: "écrit"] : Le fils peut justement appeler le
père en duel. La fortune fatale lui avait crié [corrige
"dit"] : Tu n’es pas de la foule, tu es de l’élite ! [corrige
virgule] et ["brusquement" barré]
avait ouvert au dessus de sa tête, comme une trappe ["une
trappe" corrige "un trou"; de même à la copie] dans le ciel, [", comme une trappe..." ajouté] le plafond
social, et l’avait lancé par cette ouverture, ["et
l'avait lancé...": ajouté; de même à la copie] et l’avait fait
surgir, inattendu et farouche, au milieu des princes et des maîtres.
Subitement, autour de lui, au [en sc. sur +]
lieu du peuple qui l’applaudissait, il avait vu les seigneurs qui le
maudissaient ["seigneurs..." corrige "grands
qui le huaient"] . Métamorphose lugubre. Grandissement
ignominieux. Brusque spoliation de tout ce qui avait été sa félicité !
Pillage de sa vie par la huée ! [phrase
ajoutée; impossible de préciser si cette addition est antérieure ou
postérieure à la correction qui suit] arrachement de
Gwynplaine, de Clancharlie, du lord, du bateleur, de son sort antérieur,
de son sort nouveau, à coups de bec de tous ces aigles ! ["arrachement..."
se substitue au texte initial: "Sur son tréteau de la Green-Box, +,
acclamé, radieux, il était dans les nuées; à la chambre des lords, il
était (?) au pilori."]
A quoi bon avoir commencé tout de suite la vie par la victoire sur l’obstacle ? A quoi bon avoir triomphé d’abord ? Hélas ! il faut être précipité [corrige "renversé"; de même à la copie] , sans quoi la destinée n’est pas complète. [paragraphe en addition]
Ainsi, moitié de force, moitié de gré, car après le wapentake, il avait eu affaire à Barkilphedro, et ["après le wapentake...": ajouté] dans son rapt il y avait eu du consentement, il avait quitté le réel pour le chimérique, le vrai pour le faux, Dea pour Josiane, l’amour pour l’orgueil, la liberté pour la puissance, le travail fier et pauvre pour l’opulence pleine de responsabilités obscures, l’ombre où est Dieu pour le flamboiement où sont les démons, le paradis pour l’olympe ! ["L'infortuné!": mis entre barres verticales et barré]
["Hélas!" barré] Il [d'abord minuscule] avait mordu dans le fruit d’or. Il recrachait la bouchée de cendre. [paragraphe en addition de second niveau. Elle se poursuit par deux paragraphes barrés:
"Dire ce qui se passait en Gwynplaine est impossible. On ne rend pas compte d'un tourbillon.
Et que faire désormais? Quel lendemain"]
Résultat lamentable [corrige "sépulcral"(?)]
. Déroute, faillite, ["désastre," ajout
abandonné] chute en ruine, expulsion insolente [correction
abandonnée: "lamentable"] de toutes ses espérances fustigées
par le ricanement, désillusion démesurée. Et que faire désormais ? ["sans Dea. Rien" barré] ["Et"
barré] S’ [d'abord minuscule]
il regardait le lendemain, qu’apercevait-il [corrige
"que voyait-il"] ? une épée nue dont la pointe était devant sa
poitrine et dont la poignée était dans la main de son frère. Il ne
voyait que l’éclair hideux de cette épée. Le reste, Josiane, la chambre
des lords, était derrière, dans un monstrueux clair obscur ["clair
obscur" corrige "chaos"] plein de silhouettes tragiques ["silhouettes tragiques" corrige "clartés
terribles"] . [paragraphe en addition
-premier niveau]
Et ce frère, il [faux départ: "il se souv"]
lui apparaissait comme chevaleresque et vaillant ! Hélas ! ce
Tom-Jim-Jack qui avait défendu Gwynplaine, ce lord David qui avait
défendu lord Clancharlie, il l’avait entrevu à peine, il n’avait eu que
le temps d’en être souffleté, et de l’aimer! ["Et
ce frère..." prolongation (deuxième niveau) de l'addition qui précède]
[La fin du folio, encadrée et barrée à grands traits, est reprise au folio suivant:
"Les foudroyés s’agitent peu. Gwynplaine était immobile. Qui l’eût aperçu de loin dans cette ombre [corrige "obscurité"] , droit et sans mouvement au bord du parapet, eût cru voir une pierre debout.
Il continuait de songer. Quand on a commencé ces méditations là, il faut les finir. Aller jusqu'au bout de son désespoir, c'est la loi."]
[f° 568, M22. Suite et fin de
l'intercalation.]
Que d’accablements !
Maintenant, aller plus loin. Impossible. L’écroulement était de tous les côtés. D’ailleurs à quoi bon ? [point d'interrogation ajouté] Toutes les fatigues sont au fond du désespoir. ["Que d’accablements !...": addition -premier niveau]
L’épreuve était faite, et n’était plus à recommencer. [paragraphe
en addition de deuxième niveau]
Un joueur qui a joué l’un après l’autre tous ses atouts, ["et qui a perdu," barré] c’était Gwynplaine. Il s’était laissé entraîner au tripot formidable [corrige "sinistre"] . Sans se rendre exactement compte de ce qu’il faisait, car tel est le subtil empoisonnement de l’illusion, il avait joué Dea contre Josiane ; il avait eu un monstre. Il avait joué Ursus contre une famille, il avait eu l’affront [corrige "un soufflet"] . Il avait joué son tréteau de saltimbanque contre un siége de lord ; il avait l’acclamation, il avait eu l’imprécation. Sa dernière carte venait de tomber sur ce fatal tapis vert du bowling-green désert. Gwynplaine avait perdu. Il n’avait plus qu’à payer. Paie, misérable !
Les foudroyés s’agitent peu. Gwynplaine était immobile. Qui l’eût aperçu de loin dans cette ombre, droit et sans mouvement au bord du parapet, eût cru voir une pierre debout. [Ce paragraphe déplace ici un texte du folio précédent.]
L’enfer, le serpent et la rêverie s’enroulent sur eux-mêmes. Gwynplaine descendait les spirales sépulcrales de l’approfondissement pensif. [Ce paragraphe ainsi que le suivant sont la mise au net du texte du folio suivant.]
Ce monde qu’il venait d’entrevoir, il le considérait, avec ce regard froid, qui est le regard définitif [en sc. sur +] . Le mariage, mais pas d’amour ; la famille, mais pas de fraternité ; la richesse, mais pas de conscience ; la beauté, mais pas de pudeur ; la justice, mais pas d’équité ; l’ordre, mais pas d’équilibre ; la puissance, mais pas d’intelligence ; l’autorité, mais pas de droit ; la splendeur, mais pas de lumière. [Un trait en diagonale, lui-même raturé, barre le texte depuis "Le mariage...". En marge, cette note: "rayé à tort".]
[f° 569, N22. Le texte est encadré et barré jusqu'aux trois quarts du folio: c'est la suite, en rédaction initiale du folio 565.]
"frère l'avait souffleté, et l'attendait le lendemain, l'épée à la main. La caste? elle venait de lui éclater de rire à la face, à lui patricien, à lui misérable. Il était rejeté presque avant même d'avoir été admis, et ses trois premiers pas dans cette profonde ombre sociale avaient ouvert sous lui trois gouffres.
Et c'était pour cela, c'était pour ce résultat hideux, c'était pour cette déroute, pour cette faillite, pour cette chute en ruine, pour cette expulsion lamentable [corrige +] de toutes ses espérances fustigées par le ricanement, c'était pour cette désillusion démesurée, qu'il avait quitté Dea! Quitté, non! Il ne se faisait pas ce reproche, car, à travers tout, il se rendait cette justice, c'était toujours vers elle qu'il se tournait.
L'enfer, le serpent et la rêverie ["L'enfer..." corrige "La rêverie, l'enfer et le serpent"] s'enroulent sur eux-mêmes ["en spirales" barré] . Gwynplaine [", pensif," barré] descendait les spirales sombres de l'approfondissement pensif. [signe d'alinéa à faire]
Ce monde ["supérieur" barré] ["Ce monde..."
corrige "Cette société"] qu'il venait d'entrevoir, il le [corrige
"la"] considérait ["effaré" ajouté et barré] à travers le
grossissement visionnaire et l'effarement, non telle [variante :
"tel"] qu'elle [variante: "il"] était absolument sans doute, mais
telle [variante: "tel"] qu'elle [variante: "il"] + + + + ["à travers
le grossissement...": addition] . Le mariage, mais pas d'amour, la
famille, mais pas de fraternité, la richesse mais pas de conscience,
la beauté, mais pas de pudeur, ["la beauté...": addition] la justice,
mais pas d'équité, l'ordre, mais pas d'équilibre, |"l'ordre...":
ajouté] la puissance, mais pas d'intelligence, l'autorité, mais pas de
droit, la splendeur, mais pas de lumière, et il se [ajouté] disait"
Bilan [un mot barré en correction cursive] inexorable. [phrase ajoutée à l'addition qui suit] Il fit le tour de cette vision suprême où s’était enfoncée sa pensée [corrige "conscience"] . Il examina successivement [entouré de virgules rayées] la destinée, la situation, la société, et lui-même. Qu’était la destinée ? un piège. La situation ? un désespoir. La société ? une haine, et lui-même ? un vaincu. Et au fond de son âme, il s’écria ["Bilan inexorable...": addition. "Et au fond de son âme, il s'écria" corrige la rédaction initiale: "et il se [ajouté] dit"] : La société est la marâtre. La nature est la mère. La société, c’est le monde du corps ; la nature, c’est le monde de l’âme. L’une aboutit au cercueil, à la boîte de sapin [corrige "planches"] [addition abandonnée: "ou de chêne"] dans la fosse, aux vers de terre, et finit là. L’autre aboutit aux aîles ouvertes, à la transfiguration dans l’aurore [corrige "les rayons"] , à l’ascension dans les firmaments [corrige "étoiles"] , et recommence là. [Suivent trois lignes barrées, réécrites en addition au folio suivant : "["Il songeait + + + Il comparait ce que" barré en correction cursive] La comparaison fait partie du jugement. Et en jugeant la société, il la comparait. Il mettait en"]
[f° 570, O22]
Peu à peu le paroxisme s’emparait de lui. Tourbillonnement funeste. Les choses qui finissent ont un dernier éclair où l’on [un mot barré en correction cursive] revoit tout. [paragraphe en addition de second niveau, reprise d'une addition faite plus bas]
Qui juge, confronte. Gwynplaine mit [corrige "mettait"] en ["Qui juge...": addition; elle refait le raccord avec le folio précédent.] regard ce que la société lui avait fait et ce que lui avait fait la nature. Comme la nature avait été bonne pour lui ! comme elle l’avait secouru, elle qui est l’âme ! ["comme elle l'avait..." ajouté] Tout lui avait été pris, tout, jusqu’au visage ,
[La suite du texte en première rédaction est barrée : "l'âme lui avait tout rendu. La nature pour un être divin, cru exprès, lui avait ôté ["un être divin...": au-dessus une addition ou une correction de même longueur] son masque, et elle [ajouté] lui avait fait faire, à lui Gwynplaine, la rencontre d'une éblouissante aveugle qui ne voyait pas sa laideur et qui voyait sa beauté."]
[Seconde rédaction, également barrée, écrite par dessus un texte préparatoire au crayon: "(l'âme lui avait tout rendu.) Son masque lui avait été ôté pour un seul être sur la terre, pour un être céleste créé exprès, et la nature lui avait fait faire, à lui Gwynplaine, la rencontre d'une éblouissante aveugle qui ne voyait pas sa laideur et qui voyait sa beauté."]
l’âme lui avait tout rendu. Tout, même le visage ; car il y avait ici bas [corrige "sur la terre"] une céleste aveugle, faite exprès pour lui, qui ne voyait pas sa laideur et qui voyait sa beauté.
["Le paroxysme s'empara de lui. Troubillonnement funeste [en sc. sur +] . paragraphe ajouté, barré et déplacé au début du folio]
Et c’est de cela qu’il s’était laissé séparer ! c’est de cet être adorable, c’est de ce [en sc. sur +] cœur, c’est de cette adoption, ["c’est de cette adoption," ajouté] c’est de cette tendresse [corrige "âme"] , c’est de ce divin [ajouté] regard aveugle, le seul qui le vît sur la terre, qu’il s’était éloigné ! Dea, c’était sa sœur ; car il sentait d’elle à lui la grande fraternité de l’azur, ce mystère qui contient tout ["qui contient tout" corrige "qui est"] le ciel. Dea, quand il était petit, c’était sa vierge ; car tout enfant a une vierge, et la vie a toujours pour commencement un mariage d’âmes consommé, en pleine innocence, par deux petites virginités ignorantes. Dea, c’était son épouse, car ils avaient le même nid sur la plus haute branche du profond arbre Hymen. Dea, c’était plus encore, c’était sa clarté ; sans elle tout était le néant et le vide ["le néant..." corrige "ténébres"] , et il lui voyait une chevelure de rayons. ["Hélas! et comment avait-il pu la perdre de vue un moment! O infortuné!" barré et déplacé] Que devenir sans Dea [corrige "elle"] ? que faire de tout ce qui était lui ? rien de lui ne vivait sans elle. Comment donc avait-il pu la perdre de vue un moment ! ô infortuné ! ["Dea, c'était sa soeur...": addition] Entre son astre et lui il avait laissé se faire l’écart, et, dans ces redoutables [en sc. sur + qui corrige "sombres"] gravitations ignorées [corrige "inconnues"] , l’écart est tout de suite l’abîme ! Où était-elle, l’étoile ? Dea ! Dea ! Dea ! Dea ! [deux "Dea" en ajout] Hélas ! [corrige "O misérable!"] il avait perdu sa lumière. Otez l’astre, qu’est le ciel ? une noirceur. Mais pourquoi donc tout cela s’était-il en allé [corrige "évanoui"] ? O [correction à la copie: "Oh!"] comme il avait été heureux ! Dieu pour lui avait refait l’éden ; — trop, hélas ! — ["— trop, hélas ! —" corrige "hélas!"] jusqu’à y laisser rentrer le serpent ! mais cette fois ce qui avait été tenté, c’était l’homme. ["Infortuné!" barré] Il [corrige "il"] avait été attiré au dehors, et là, piège affreux [en sc. sur "horrible"] , ["piège ..." corrige "tout de suite,"] il était tombé [", piège horrible," barré et déplacé"] dans ce chaos des rires noirs qui est l’enfer ! Oh! [correction à la copie: "Malheur ! malheur !"] que tout [f° 571, P22] ce qui l’avait fasciné était effroyable [corrige "horrible"] ! Cette Josiane, qu’était-ce ? [ajout à la copie: "oh !"] l’horrible femme, ["Cette Josiane...": addition; elle se substitue à "L'épouvantable monstre que cette femme,"] presque bête, ["presque bête," ajouté, indépendamment de l'ajout qui précède] presque déesse ! [une phrase, corrigée, s'achevant par "sans coeur!" et barrée] Gwynplaine [corrige "Il"] était à présent [corrige "maintenant"] sur le revers de son élévation ["fatale" barré] , et il voyait l’autre côté de son éblouissement. C’était ["hideux" barré en correction cursive] funèbre. Cette seigneurie était difforme, cette couronne était hideuse, cette robe de pourpre était lugubre, ces palais étaient vénéneux, ces trophées, ces statues, ces armoiries étaient louches, l’air malsain et traître ["malsain et traître" corrige "malsain" qui corrige "traître"] qu’on respirait là vous rendait fou. Oh ! les haillons du saltimbanque Gwynplaine étaient ["même" barré] des resplendissements ! [" Oh ! les haillons...": addition] Oh ! où étaient la Green-Box, la pauvreté, la joie, la douce vie errante ensemble comme des hirondelles ! On ne se quittait pas, on se voyait à toute minute, le soir, le matin, à table on se poussait du coude, on se touchait du genou, on buvait au même verre ["au même verre" corrige "+ même +"] , ["on buvait...": ajouté] le soleil entrait par la lucarne, mais il n’était que le soleil, et Dea était l’amour. La nuit, on se sentait endormis pas loin les uns des autres, et le rêve de Dea venait se poser sur Gwynplaine, et le rêve [en sc. sur "songe"] de Gwynplaine allait mystérieusement [corrige +] s’épanouir [en sc. sur "voler"(?)] ["allait mystérieusement..." corrige "s'en allait battre des aîles"] au-dessus de Dea ! On n’était pas bien sûr, au réveil, de n’avoir pas échangé des baisers dans la nuée bleue du songe. ["On était des anges vagabonds." barré et déplacé] Toute l’innocence était dans Dea, toute la sagesse [corrige "bonté"] était dans Ursus. On rôdait de ville en ville ; on avait pour viatique et pour cordial la franche gaîté aimante du peuple. On était des anges vagabonds, ayant assez d’humanité pour marcher ici bas, et pas tout à fait assez d’ailes pour s’envoler. Et maintenant, disparition [corrige "ténèbres"; à la copie, "disparition" corrige "solitude" qui corrige "veuvage" qui corrige "ténèbres"] ! [On n'était pas bien sûr...": addition]
[Toute la fin du folio est encadrée et barrée à grands traits. Le texte, réécrit dans l'addition qui précède et dans le folio suivant, se poursuivait: "on vagabondait ["+ +..." modifié et peut-être rayé] de ville en ville, on avait pour viatique et pour cordial la franche gaîté aimante du peuple, et dans ce vagabondage on emportait le paradis! Où était tout cela? ["+ +?" rayé] Quel vent de la tombe [corrige "du sépulcre"] avait passé! C'était donc fini! C'était donc perdu! Hélas! la sourde toute-puissance qui pèse sur les petits ["et pour qui les hommes sont +," barré] est capable de tout. Et il n'avait pas été là, lui, pour les protéger [en sc. sur défendre"], pour se mettre en travers, pour les défendre, comme lord, avec son titre et sa seigneurie, comme bateleur, avec ses poings et ses ongles! Oh! cuisson [corrige "pointe"] cruelle du regret! son absence avait laissé le champ libre à la catastrophe! Il eût partagé leur sort. Ou il les eût enlevés avec lui, ou il se fût englouti avec eux! Où étaient-ils? [une ligne et demie barré; on y distingue "impossible! + + + +la profondeur de son désespoir."] ["Et il n'avait pas été là: addition] C'était fini! [phrase ajoutée] Tout ce groupe bien-aimé était [corrige "est"] à jamais enfoui dans l'irréparable [corrige +] évanouissement. ["Dea! Dea! où est Dea! Perdue! Qui a perdu son âme n'a plus pour la retrouver qu'un lieu ["pour la retrouver..." corrige " qu'un lieu où il puisse la retrouver"] , la mort." barré]
["Hélas! tout était épuisé. Il n'y avait plus rien à attendre ni du ciel, ni des hommes. Dea! Dea! où est Dea! Perdue! qui a perdu son âme n'a plus, pour la retrouver, qu'un lieu, la mort.": addition qui réécrit ce qui précède]
[f° 572, Q22]
["Gwynplaine fit une dernière fois le tour de cette vision suprême où s'était enfoncée sa conscience [corrige "enfoncé son désespoir"] . Il considéra [corrige "regarda" qui corrige +] successivement, et du regard définitif ["et du regard..." placé entre barres verticales] la destinée, la situation, la société, la nature, et lui-même, la destinée, un piége, la situation, un désespoir, la société, une haîne, la nature, une [mis au féminin, de même pour "devenue"] oasis devenue un désert, lui-même, un vaincu. Et il se dit: Soit [ajouté] ["Il n'y a plus rien à attendre ni des hommes, ni du ciel. Soit." barré et déplacé au folio suivant]" : paragraphe de rédaction initiale, encadré et barré à grands traits]
Où était tout cela ? Était-ce possible que tout se fût effacé ["se
fût..." corrige "eût disparu"; de même à la copie] ! Quel vent
de la tombe avait soufflé [corrige "passé] ?
C’était donc éclipsé [corrige "fini" de même à
la copie] ! c’était donc perdu ! Hélas, la sourde
toute-puissance qui pèse sur les petits, dispose de toute l’ombre, et
est capable de tout ! Qu’est-ce qu’on leur avait fait ? Et il n’avait
pas été là, lui, pour les protéger, pour se mettre au travers, pour les
défendre, comme lord, avec son titre, ["et"
barré; de même à la copie] sa seigneurie et son épée ["et
son épée" ajouté; de même à la copie] , comme bateleur, avec
ses poings et ses ongles ! Et ici survenait une réflexion amère, la plus
amère de toutes peut-être. Eh bien, non, il n’eût pas pu les défendre.
C’était lui précisément qui les perdait. C’était pour isoler sa pairie ["pour isoler sa pairie" corrigé à l'EO en "pour le
préserver d’eux, lui lord Clancharlie, c’était pour isoler sa
dignité"] de leur contact, que l’infâme [corrige
"la hideuse"] omnipotence sociale s’était appesantie sur eux.
La meilleure façon pour lui de les protéger, ce serait de disparaître.
On n’aurait plus de raison de les persécuter. Lui de moins, on les
laisserait tranquilles. Glaçante [corrige
"Sépulcrale"] ouverture où sa pensée entrait. Ah ! pourquoi
s’était-il laissé séparer de Dea ? ["Et ici
survenait...": addition de second niveau insérée dans l'addition en
cours. Elle ne figure pas à la copie. Au-dessous, de la même écriture
et barré d'un trait à l'encre rouge: "C'était là le dernier service
qu'il pût leur rendre."] Est-ce que son premier devoir n’était
pas envers Dea ? Servir et défendre ["et
défendre" ajouté] le peuple ? mais Dea, c’était le peuple !
Dea, c’était l’orpheline, c’était l’aveugle, c’était l’humanité ! Oh !
que leur avait-on fait ? cuisson cruelle du regret ! son absence avait
laissé le champ libre à la catastrophe. Il eût partagé leur sort. Ou il
les eût enlevés [correction à la copie: "pris
et emportés"] avec lui, ou il se fût englouti avec eux. Que
devenir sans eux maintenant ? Gwynplaine sans Dea, était-ce possible ? [faux départ: "Ah! c'était fini"] Dea de
moins, c’est tout de moins ! Ah ! c’était fini. Ce groupe bien-aimé
était à jamais enfoui dans l’irréparable évanouissement. Tout était
épuisé. [faux départ: "Il n'y avait plus"]
D’ailleurs, condamné et damné comme l’était Gwynplaine, à quoi bon
lutter plus longtemps ? ["Le désespoir, c'est
la fatigue.": addition abandonnée] Il n’y avait plus rien à
attendre, ni des hommes, ni du ciel. Dea ! Dea ! où est Dea ? Perdue !
Quoi. [corrigé en virgule à la copie, mais la
majuscule qui suit est oubliée] Perdue ! ["Soit.
+." barré] Qui a perdu son âme n’a plus, pour la retrouver,
qu’un lieu, la mort. ["Où était tout cela?
Etait-ce possible...": addition de premier niveau, l'addition
intercalée exceptée.]
Gwynplaine [en sc. sur "Alors"] , égaré et ["égaré et" ajouté] tragique, ["il" barré] posa fermement sa main sur le parapet comme sur une solution ["; et, se penchant, il regarda l'eau. Elle était profonde. ["l'eau..." corrigé "le fleuve." le tout barré] , et regarda le fleuve.
C’était la troisième nuit qu’il ne dormait pas. Il avait la fièvre. Ses idées, qu’il croyait claires, étaient troubles. Il sentait un impérieux besoin de sommeil. Il demeura ainsi quelques instants penché sur cette eau ["penché...": ajouté] [", l'oeil attaché [corrige "fixé"] sur le fleuve" barré] . L’ombre lui offrait le grand lit tranquille [corrige "terrible"; en face VH a tracé un petit point d'interrogation; même correction à la copie] , l’infini des ténèbres. Tentation sinistre.
Il ôta son habit, le plia et le posa sur le parapet. Puis il déboutonna son gilet. Comme il allait l’ôter [corrige "le retirer"] , sa main heurta ["sa main..." corrige "il sentit"] dans la poche quelque chose. C’était le red-book que lui avait remis le librarian de la chambre des lords. Il retira ce carnet de cette poche, l’examina dans la lueur diffuse de la nuit, y vit un crayon, prit ce crayon, et écrivit sur la première page blanche qui s’ouvrit, ces deux lignes :
« Je m’en vais. Que mon [en sc. sur +] frère David me remplace et soit heureux. »
Et il signa : FERMAIN CLANCHARLIE, pair d’Angleterre [", pair..." ajouté] .
Puis il ôta le gilet et le posa sur l’habit. Il ôta son chapeau, et le posa sur le gilet. Il ["plaça" barré en correction cursive] mit dans le chapeau le red-book ouvert à la page où il avait écrit. Il [f° 573, R22] aperçut à terre une pierre, la prit, et la mit dans le chapeau.
Cela fait, il regarda l’ombre infinie au-dessus de son front ["son front" corrige "lui"] .
Puis, sa tête s’abaissa lentement, comme tirée par le fil invisible des gouffres.
[faux départ: "Il mit sa main droite sur le"]
Il y avait un trou dans les pierres du soubassement ["du soubassement" ajouté] du parapet, il y mit le pied, de telle sorte que son genou dépassait le haut [corrige "bord"] du parapet, et ["qu'il +" barré en correction cursive] qu’il n’avait presque plus rien à faire pour l’enjamber.
Il croisa ses mains derrière son dos et se pencha.
— Soit, dit-il.
Et il fixa ses yeux sur l'eau profonde. ["Cela fait, il regarda...": addition; elle reprend et corrige la rédaction initiale:
"Cela fait, il ["regarda au dessous" barré en correction cursive] croisa ses mains derrière son dos, regarda l'ombre au dessus de sa tête, et dit à voix haute:
— Soit. [ajouté en correction de la réplique supprimée ci-après]
["— Il n'y a plus rien à attendre ici bas ni des hommes ni du ciel. Allons." barré]
Puis, sa tête s'abaissant lentement comme
tirée par le fil invisible des gouffres, il fixa ses yeux sur l'eau
profonde."
La copiste écrit ce texte et VH le modifie avant de tout réécrire au-dessous depuis "Il y avait un trou dans les pierres...". Mais, auparavant, il avait écrit une première version de cette fin, employée dans l'addition qui précède:
"Il mit sa main droite sur le parapet, puis son genou. Il se pencha au delà du parapet à demi enjambé ["et fixa ses yeux sur l'eau profonde" barré].
— Soit, dit-il, et il fixa les yeux sur l'eau profonde. ["— Soit..." ajouté]
Une de ses mains pendait, la main gauche.
En ce moment, il sentit une langue qui ["lui" barré] léchait cette main.
Il tressaillit et se retourna.
C'était Homo qui était derrière lui."
On a donc, pour simplifier, trois versions de
cette fin du chapitre: la première en partie droite du manuscrit; la
seconde à la copie telle que corrigée de la main de VH; la troisième
dans l'addition du ms recopiée à la copie.]
En ce moment il sentit ["derrière lui" barré] une langue qui lui léchait les mains.
Il tressaillit et se retourna.
C’était Homo qui était derrière lui.
[au crayon, rayé à l'encre rouge: "16 juillet"]
[écrit, à l'encre rouge, au dessus d'un texte au crayon, sans doute pas tout à fait identique:
"J'interromps ici le travail, aujourd'hui
21 juillet, afin de préparer mon départ
pour Bruxelles. Il y a deux
ans, à pareil
jour j'ai commencé à écrire ce livre. C'était
le jour de ma fête. Il n'y a pas de fête,
pour moi cette année. Ma fête ce sera le retour
de mon Georges. [tiret à l'encre noire] 21
juillet 1868 [point et tiret à l'encre noire]."
[On est conduit à penser que la rédaction initiale de cette fin de la seconde partie a été achevée le 16 juillet, mais que le travail de correction s'est poursuivi jusqu'au 20 ou 21 juillet. A moins que Hugo ne force un peu les dates pour les faire coïncider.]
[à l'encre noire tout au bas du folio: "21 [en sc. sur "16"(?)] juillet 1868"]
[f° 574, non paginé par VH, papier blanc]
_____
[A la copie, deux folios correspondants. Le premier porte, de la main de VH: "L'Homme qui Rit / Tome IV // Deuxième Partie/ Par ordre du Roi // Conclusion /La mer et la nuit // copie / Ce volume contient 74 feuilles doubles" Le second : "Conclusion ( en même caractère que 1re Partie. 2e Partie)" [parenthèse ajoutée à l'encre rouge] / La mer et la nuit".]
[f° 575, S22. Au coin supérieur droit: "Repris à Bruxelles / 4, place des Barricades / le 1er août." Au centre: "4e partie. Livre dernier. / Conclusion.]
Gwynplaine poussa un cri :
— C’est toi, loup !
Homo remua la queue. Ses yeux brillaient dans l’ombre. Il regardait Gwynplaine.
Puis il se remit à lui lécher les mains. [phrase ajoutée] [La rédaction initiale se poursuit sur une dizaine de lignes encadrées et barrées, et réemployées ensuite: "La rentrée immense de l'espérance, la certitude, ["la réapparition de la vie au plus noir de la tombe [corrigé +]" ajouté et barré] ["la joie," corrigé "le salut" le tout barré] quelque chose comme le point d'appui retrouvé au moment le plus farouche [corrige "critique" qui corrige "tragique"] de l'écroulement, Gwynplaine eut [variante sans choix: "avait"] cette secousse. Gwynplaine avait épuisé ce qu'on pourrait nommer ["ce qu'on..." ajout susceptible de corriger "toutes"] toutes les variétés du coup de foudre; il lui restait à recevoir le coup de foudre de la joie. C'était celui là qui venait de tomber sur lui. Il demeura un moment comme ivre [corrige "pétrifié"] . Il n'attendait plus rien, il revoyait brusquement la lumière."]
Gwynplaine demeura un moment comme ivre. [phrase ajoutée] La rentrée immense de l’espérance, il [corrige "Gwynplaine"] avait cette secousse. ["Il demeura un moment comme ivre" barré et déplacé] Homo, quelle apparition ! Depuis quarante-huit heures, ["Homo...": addition] il [corrige "Il"] avait épuisé ["toutes les varié" barré en correction cursive] ce qu’on pourrait nommer toutes les variétés du coup de foudre ; il lui restait à recevoir le coup de foudre de la joie. C’était celui-là qui venait de tomber sur lui. La certitude ressaisie [ajouté] , ou du moins la clarté [corrige "le fil"] qui y mène, ["ressaisie," qui corrige "retrouvée(?)," le tout barré] ["quelque chose comme le point d'appui," barré et déplacé] la soudaine ["la soudaine" corrige "la subite"] intervention d’on ne sait quelle clémence mystérieuse qui est peut-être dans le destin, la vie disant : me voilà ! ["disant..." corrige "reprenant figure"] au plus noir de la tombe, la minute où l’on n’attend plus rien ébauchant brusquement la guérison et la délivrance ["ébauchant..." corrige "s'achevant en guérison et en délivrance"] , ["la minute où...": addition] quelque chose comme le point d’appui retrouvé à l’instant le plus critique [variante sans choix à "déclive" qui corrige "farouche"; à la copie, VH barre "déclive"] de l’écroulement, Homo pour Gwynplaine ["pour Gwynplaine" est placé entre barres verticales et rayé à la copie] était tout cela. Gwynplaine voyait le loup ["Gwynplaine voyait..." se substitue à : ["Le loup lui + + + l'attendait plus" barré] "Le loup lui apparaissait"] dans de la lumière.
Cependant Homo s’était retourné. Il fit quelques pas, et regarda en arrière comme [ajouté] pour voir si Gwynplaine le suivait.
Gwynplaine s’était mis en marche à sa suite. Homo remua la queue, et continua son chemin.
Ce chemin, où le loup s’était engagé, c’était la pente du quai [+ corrige "décrépit" qui corrige +, le tout barré] de l’Effroc-Stone. Cette pente aboutissait à la berge de la Tamise. Gwynplaine, conduit par Homo, descendit cette pente.
De temps en temps Homo tournait la tête pour s’assurer que Gwynplaine était derrière lui.
[f° 576, T22]
Dans de certaines situations suprêmes, rien ne ressemble à une intelligence comprenant tout comme le simple instinct de la bête aimante. L’animal [corrige "La bête"] est un somnambule lucide. [paragraphe ajouté. Il est suivi d'une addition interlinéaire de second niveau barrée et reprise dans l'addition marginale qui suit: "Il y a des cas où le chien sent le besoin de suivre son maître d'autres où il sent le besoin de le précéder."]
[deux lignes au-dessus de l'addition qui suit, un faux départ pour une addition avortée: "Le flair est"]
Il y a des cas où le chien sent le besoin de suivre son maître, d’autres où il sent le besoin de le précéder. Alors la bête prend la direction de l’esprit. Le flair imperturbable voit clair confusément dans notre crépuscule. ["Il y a des cas...": addition -troisième niveau] Se faire guide apparaît vaguement à la bête [corrige "l'animal"] comme une nécessité. ["Se faire..." prolongation de l'addition -quatrième niveau] Sait-elle qu’il y a un mauvais pas, et qu’il faut aider l’ [en sc. sur "son"] homme à le passer [corrige "franchir"] ? non probablement. Oui, peut-être. Dans tous les cas, quelqu’un le sait pour elle . Nous l’avons dit déjà, ["Nous l'avons..." ajouté; de même à la copie] bien [d'abord majuscule] souvent dans la vie d’augustes secours qu’on croit venir d’en bas viennent d’en haut. ["["On peut dire:" ajouté] Quelle est cette bête? La providence." barré et remplacé par l'addition qui suit] ["Sait-elle qu'il y a un mauvais pas...": prolongation de l'addition -cinquième niveau] On ne sait pas toutes les figures que peut prendre Dieu. Quelle est cette bête ? la Providence. ["On ne sait pas..." dernier ajout à l'addition en cours -sixième niveau]
[début de la rédaction initiale du folio] Parvenu sur la berge, le loup s’avança ["dans l'extrémité" barré en correction cursive] en aval [corrige "amont"] sur l’étroite langue de terre qui longeait ["le fleuve." barré, peut-être en correction cursive] la Tamise.
Il ne poussait aucun cri, il n’aboyait pas, il cheminait muet. Homo, en toute occasion suivait son instinct et ["suivait son..." ajouté] faisait son devoir, mais avait la réserve pensive du proscrit. [paragraphe en addition]
Après une cinquantaine de pas, ["Après..." corrige cursivement "Tout à coup"] il s’arrêta. Une estacade s’offrait à droite. A l’extrémité de cette estacade, ["qui était" barré en correction cursive] espèce d’embarcadère sur pilotis ["sur pilotis" corrige "en poutres et en planches"] , on entrevoyait une masse obscure [corrige "confuse"] qui était un assez gros navire. Sur le pont de ce navire, vers la proue, il y avait une clarté presque indistincte, qui ressemblait à une veilleuse prête à s’éteindre. [phrase ajoutée]
Le loup s’assura une dernière fois que Gwynplaine était là, puis ["entra" barré en correction cursive] bondit sur l’estacade, long corridor [corrige "couloir"] plancheyé et goudronné, porté par une claire-voie de madriers, et ["porté par..." ajouté] sous lequel coulait ["sous lequel..." corrige "ayant à droite et à gauche"] l’eau du fleuve [addition abandonnée: "qui poussait ses flots +"] . En [corrige "Au bout de"] quelques instants, Homo et Gwynplaine arrivèrent [corrige "furent"] à la pointe.
Le bâtiment [corrige "navire"] amarré au bout de ["au bout de" corrige "à" lui-même en correction cursive de "là"] l’estacade était une de ces panses ["de ces panses" corrige "panse"] de Hollande à double tillac rasé, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière, ayant ["au milieu" barré en correction cursive] , à la mode japonaise, [", à la mode aponaise," ajouté] entre les deux tillacs, un compartiment profond à ciel ouvert ["à ciel..." ajouté] [+: addition abandonnée] où l’on descendait par une échelle droite [ajouté] et qu’on emplissait de tous les colis de la cargaison ["tous les colis..." corrige "ballots et de caisses"] . Cela faisait deux gaillards [corrige "ponts"; de même à la copie] , l’un à la proue, l’autre à la poupe, comme à nos vieilles pataches [en sc. sur +] de rivière, avec un creux au milieu. ["Cela faisait...": addition de premier niveau] Le chargement lestait ce creux. [phrase en addition de deuxième niveau] Les galiotes [faux départ: "que font"] de papier que font les enfants ont à peu près cette forme. [phrase en addition de troisième niveau] [une ligne et demie barrée s'achevant par "compartiment creux d'un prélart.": addition de quatrième niveau] Sous les tillacs étaient les cabines communiquant par des portes avec ce compartiment central [corrige "creux"] et éclairées de hublots percés dans le bordage. En arrimant la cargaison, on ménageait des passages entre les colis. [phrase ajoutée] Les deux mâts de ces panses étaient plantés dans les deux tillacs. Le mât ["d'avant" barré en correction cursive] de proue s’appelait le Paul, le mât de poupe s’appelait le Pierre, le navire [correction ébauchée et abandonnée: "le vaiss"] étant conduit par ses deux mâts comme l’église par ses deux apôtres. Une passerelle, faisant passavent, allait, comme un pont chinois, d’un tillac à l’autre, par-dessus le compartiment du centre. ["du centre.": VH écrit "central.", corrige en "creux", corrige en "du centre.", corrige en "central." et rétablit "du centre."] Dans les mauvais [corrige "gros"] temps, les deux ["par"(apets) barré en correction cursive] gardefous de la passerelle s’abaissaient à droite et à gauche, au moyen d’un mécanisme, ce qui faisait un toit sur le compartiment creux, de sorte que le navire dans les grosses mers, était hermétiquement fermé. ["Dans les mauvais temps...": addition; tardive, elle est postérieure à la précédente et à la suivante] Ces barques [corrige "navires"] , très massives [corrige le masculin] , avaient pour barre une ["grosse" barré] poutre, la force du gouvernail devant se proportionner à la lourdeur du gabarit [corrige "de la coque"] . Trois [en sc. sur "Quatre"] hommes, le patron avec deux matelots, plus un enfant, le mousse, suffisaient à manœuvrer ces pesantes machines de mer. [phrase en addition] Les tillacs [corrige "ponts"] d’avant et d’arrière de ces panses étaient, nous l’avons dit déjà, sans parapet. Cette panse-ci ["Cette..." corrige "Celle-ci"] était une large [corrige "grosse"] coque ventrue [ajouté] toute noire sur laquelle on lisait en lettres blanches, visibles [corrige "distinctes"] dans la nuit : Vograat. Rotterdam. [addition en interligne, antérieure à la suivante et barrée: "Nos vieilles + de rivière étaient + + + panses."]
A cette époque, ["tout récemment," barré et déplacé] divers événements de mer, et ["en particulier" barré] , tout récemment, [", tout récemment," ajouté] la catastrophe des huit vaisseaux du baron de Pointi(1) [(1)21 avril 1705. [note ajoutée; la copiste la reproduit]] au cap Carnero, en forçant toute la flotte française de refluer sur Gibraltar, avaient balayé la Manche et nettoyé de tout navire de guerre le passage entre Londres et Rotterdam, ce qui permettait aux bâtiments marchands d’aller et venir sans escorte.
Le bateau sur lequel on lisait Vograat et près duquel Gwynplaine était parvenu ["était parvenu" en sc. sur "venait d'arriver"] , ["A cette époque...": addition; elle se substitue à "Ce bateau" corrige "Le navire"] touchait l’estacade par le bâbord de son tillac d’arrière presque à niveau. C’était comme une marche à descendre ; Homo ["la franchit" barré] d’un saut [corrige "bond"] , et Gwynplaine d’une enjambée, furent dans le navire [", furent dans le navire" ajouté] . Tous deux se trouvèrent sur le pont d’arrière. Le pont était désert et l’on n’y voyait aucun mouvement ["l'on n'y voyait..." corrige "+ + + personne"] . [Le pont était..." se substitue à "Il n'y avait personne."] Les passagers, s’il y en avait, et c’était probable, étaient à bord, vu que le bâtiment était prêt à partir, et que ["le bâtiment était prêt..." addition] l’arrimage était terminé, ce qu’indiquait la plénitude du compartiment creux, encombré de balles [corrige "ballots"] et de caisses. [virgule corrigée en point] Mais ils étaient sans doute couchés [f° 577, U22] et probablement endormis, dans les chambres de l’entrepont sous les tillacs, la traversée devant se faire la nuit. En pareil cas, les passagers n’apparaissent sur le pont que le lendemain matin, au réveil. [phrase en addition] Quant à l’équipage, il soupait vraisemblablement, en attendant l’instant très prochain du départ, dans le réduit qu’on appelait alors « la cabine matelote ». De là la solitude des deux ponts de poupe et de proue reliés par la passerelle.
Le loup [faux départ: "avait presque"] sur l’estacade avait presque couru ; sur le navire il se mit à marcher lentement, comme avec discrétion [corrige "anxiété" qui corrige "précaution"] . Il remuait la queue, non plus joyeusement, mais avec l’oscillation faible [corrige "douce"] et triste du chien inquiet. Il franchit [corrige "traversa"] , précédant toujours Gwynplaine, le tillac d’arrière, et ["s'engagea sur la passerelle" barré en correction cursive; "il + sur la passerelle." barré en correction cursive] il traversa [corrige "s'engagea sur"] le passavent.
Gwynplaine, en entrant sur la passerelle, aperçut devant lui une lueur. C’était la clarté qu’il avait vue de la berge. Une lanterne était ["la clarté qu'il..." se susbsitue à "une lanterne"] posée à terre au pied du mât d’avant ; la réverbération [corrige "clarté"] ["très pâle [corrige "faible"]" le tout barré] de cette lanterne découpait en noir ["et faisait saillir" barré] sur l’obscur fond de nuit [", qui emplissait l'horizon," barré] une silhouette qui avait quatre roues. Gwynplaine reconnut l’antique ["pauvre" barré, sans doute immédiatement] cahute d’Ursus.
Cette pauvre masure de bois, charrette et cabane, ["masure..." remplace "baraque"] où avait roulé son enfance, était amarrée au pied du mât par de grosses cordes dont on voyait les nœuds dans les roues. Après avoir été si longtemps hors de service, elle était absolument ["absolument caduque" : correction, antérieure aux additions, de "toute disloquée"] caduque ; rien ne délabre les hommes et les choses comme l’oisiveté ; elle avait un penchement misérable. [faux départ: "La vieillesse"] La désuétude la faisait toute paralytique, et de plus, elle avait cette [corrige "la"] maladie irrémédiable, la vieillesse. ["caduque; rien...": addition -troisième niveau. Elle réécrit la rédaction initiale: "disloquée. ["Rien ne détruit les hommes et les choses comme l'oisiveté." ajouté et barré pour déplacement] Elle avait un penchement décrépit et misérable. Rien ne détruit les choses et les hommes comme l'oisiveté."] Son profil informe et vermoulu fléchissait avec une attitude de ruine. Tout ce dont elle était faite offrait un aspect d’avarie, les fers étaient rouillés, les cuirs étaient gercés, les bois étaient cariés. Les fêlures rayaient le vitrage de l’avant que traversait un rayon de la lanterne. ["Son profil...": addition de deuxième niveau. Elle se rattachait au texte initial en commençant par "un penchement misérable."] [Trois ou quatre lignes barrées, non lues, sont le début de l'addition de premier niveau qui continue dans ce qui suit.] Les roues étaient cagneuses. Les parois, le plancher et les essieux semblaient épuisés de fatigue. [point corrige virgule] ["et se disloquaient." barré] L’ensemble avait on ne sait quoi d’accablé et de suppliant. [phrase ajoutée] [depuis les lignes barrées: addition de premier niveau. Elle s'achevait par "Toute la baraque était disloquée.", qui est barré, et prenait place avant "Rien ne détruit les choses... comme l'oisiveté."] Les deux pointes dressées du brancard avaient l’air de deux bras levés au ciel. Toute la baraque était disloquée. Dessous, on distinguait la chaîne d’Homo, pendante. ["Les deux pointes..." : addition de deuxième niveau. Les deux additions de deuxième niveau sont écrites de la même plume de part et d'autre de l'addition de premier niveau.]
Retrouver sa vie, sa félicité, son amour ["sa félicité..." corrige "son bonheur, sa joie"] , et y courir éperdûment, et se précipiter dessus, il semble que ce soit la loi et que la nature le veuille ainsi. Oui, excepté dans les cas de tremblement profond. Qui sort, tout [ajouté] ébranlé [virgule raturée] et tout désorienté ["et tout désorienté" corrige "et chancelant" et est mis entre barres verticales, rayées à la copie] , [f° 578, V22] d’une série de catastrophes pareilles à des trahisons, devient prudent, même dans la joie, redoute d’apporter sa fatalité à ceux qu’il aime, se sent lugubrement contagieux, ["se sent..." ajouté] et n’avance dans le bonheur qu’avec précaution. Le paradis se rouvre ; avant d’y rentrer, on l’observe [variante sans choix: "l'explusé, avant d'y rentrer, l'observe" barrée à la copie] .
Gwynplaine, chancelant sous les émotions, regardait.
["Cependant" mis entre barres verticales puis barré] Le [d'abord minuscule] loup était allé silencieusement [corrige "doucement"] se coucher près de sa chaîne. [paragraphe en addition, déplacé deplus bas]
Le marchepied [correction immédiate de "La porte"] de la cahute était abaissé ; la porte était entrebâillée [corrige "ouverte"] ; il n’y avait personne dedans ; le [en sc. sur "un"] peu de lumière qui entrait par la vitre du devant modelait vaguement ["modelait vaguement" corrige "faisait vaguement(?) distinct"] l’intérieur de la baraque. Clair-obscur mélancolique. ["le peu de lumière...": addition de premier niveau; elle se substitue à la rédaction initiale: "on distinguait [correction: "apercevait"] l'intérieur, vaguement éclairé par la vître du devant."] Les inscriptions [corrige "panneaux"(?)] d’Ursus glorifiant la grandeur des lords étaient ["à leur place." barré] [Cette phrase est ajoutée -deuxième niveau- à l'addition précédente.] distinctes sur les planches décrépites qui étaient tout à la fois la muraille au dehors et le lambris au dedans. ["distinctes sur les planches...": addition de troisième niveau; elle est écrite de part et d'autre d'une addition antérieure, destinée à se placer après "...les vêtements d'un mort", déplacée plus haut et suivie d'un petit point d'interrogation: "Cependant le loup était allé doucement se coucher près de sa chaîne."] A un clou près de la porte, Gwynplaine vit son esclavine et son capingot, accrochés. [point en sc. sur virgule] Comme dans une morgue les vêtements d’un mort.
["Il n’avait, lui, en ce moment-là, ni gilet, ni habit." Cette phrase des EO ne figure ni au ms ni à la copie.]
La cahute masquait ["à ses" barré en correction cursive] quelque chose qui était étendu sur le pont ["sur le pont" ajouté] au pied du mât et que la lanterne éclairait. C’était un matelas dont [en sc. sur "il"] on apercevait un coin ["un coin" corrige "l'extrémité"] ["dont on apercevait...": ajouté] . Sur le matelas quelqu’un était probablement couché. On y voyait de l’ombre se mouvoir.
On parlait. Gwynplaine, ["retenant son haleine" barré] caché par l’interposition de la cahute ["retenant son haleine" déplacé et barré] ["caché par..." ajouté] , écouta.
C’était la voix d’Ursus.
Cette voix, si dure en dessus, si tendre en dessous, qui avait tant ["de fois" barré] malmené et si bien conduit Gwynplaine depuis son enfance, n’avait plus son timbre sagace [en sc. sur "ferme"] et vivant. Elle était vague et basse et se dissipait [un ou deux mots barrés, peut-être en correction cursive] en soupirs à la fin de chaque phrase [en sc. sur "mot"] . Elle ne ressemblait que confusément à l’ancienne voix souple et ferme d’Ursus. C’était comme la parole de quelqu’un dont le bonheur est mort. La voix peut devenir ombre. [paragraphe en addition]
Ursus semblait monologuer plutôt que dialoguer. Du reste le soliloque était, on le sait, son habitude. Il passait pour maniaque à cause de cela. [Ce paragraphe ajouté, d'une autre écriture, à l'addition qui précède lui est en réalité antérieur puisqu'il recopie une addition interlinéaire.]
[Toute la fin du folio, rédaction initiale et additions, est encadrée, barrée à grands traits et réécrite au folio suivant qui est intercalé.
Pour la clarté de la transcription, on s'affranchit de la règle mettant en bleu tout ce qui n'appartient pas au dernier état du manuscrit et on traite ce texte supprimé comme s'il ne l'avait pas été.
Les premières lignes de la rédaction initiale, abondamment corrigées et barrées, sont peu accessibles. On distingue:
["Il semblait monologuer plutôt que dialoguer. Du reste le soliloque était, on le sait, son habitude." ajouté]
Gwynplaine + + + + + + +
— Dort-elle? oui. Elle dort. Je crois bien [ajouté] qu'elle dort. Serait-elle sans connaissance? [trois lignes de texte initial, d'additions et de corrections, le tout barré, non lu] Oh, non! elle a le pouls assez fort ["trop fort peut-être." barré] Certainement elle dort. [ces trois phrases ajoutées ou corrigeant le texte initial] Messieurs, je vous en prie, s'il y a là quelqu'un sur le pont, ne faites pas de bruit. Vous savez, une personne d'une santé délicate, il faut des ménagements. Elle a de la fièvre, voyez-vous. Je lui ai mis ["le" barré] ce matelas, dehors, pour qu'elle ait un peu d'air. Elle est tombée dessus, comme si elle perdait connaissance ["perdait..." corrige "s'évanouissait"] . Mais elle dort. Je voudrais bien qu'on ne la réveillât pas. ["Elle a de la fièvre...": addition -second niveau] Nous ne sommes que de pauvres bateleurs, je demande qu'on ait un peu de bonté, ["elle dort voyez-vous,": addition abandonnée] et puis s'il y a quelque chose à payer pour qu'on ne fasse pas de bruit, je paierai. Je vous remercie bien [ajouté] , messieurs. Y a-t-il quelqu'un là? Non. ["Nous ne sommes...": addition -premier niveau; elle se substitue au texte initial: "Je demande qu'on ait un peu de bonté. Le moins de bruit possible, je vous en conjure. Mais"] Je [d'abord minuscule] crois qu'il n'y a personne. Tant mieux. Ah mon Dieu, qu'est-ce que nous allons devenir? Elle a tout le front en sueur. ["Elle a de la fièvre." barré] Pourvu qu'on ne la réveille pas brusquement. [fin du texte entièrement barré et réécrit au folio suivant]
[f° 579, X [en sc. sur "Y"(?)] 22. Ce folio est intercalé.]
Gwynplaine retint son haleine pour ne pas perdre un mot de ce que disait Ursus, et voici ce qu’il entendit : ["Gwynplaine...": addition marginale de niveau 5; elle reprend une ligne barrée du folio précédent.]
— C’est très dangereux, cette espèce de bateau. Ça n’a pas de rebord. Si on roule à la mer, rien ne vous arrête. S’il y avait du gros temps, il faudrait la descendre sous le tillac, ce qui serait terrible. ["Ah mon Dieu, qu'est-ce que nous allons devenir?" barré] ["— C’est très dangereux..." addition marginale de troisième niveau; elle rééécrit et achève celle de second niveau, ajoutée à droite tout au haut du folio: "— C’est très dangereux cette espèce de bateau. Ca n'a pas de rebord. Si on roule à la"] Un mouvement maladroit, une peur, et voilà une rupture d’anévrisme. J’en ai vu des exemples. Ah ! mon Dieu, qu’est-ce que nous allons devenir ? ["Un mouvement maladroit...": addition marginale de quatrième niveau: elle prolonge celle du niveau 3] ["— Messieurs, s'il y a là quelqu'un sur le pont, je vous en conjure, ne faites pas de bruit. + + vous arrête. Ah mon Dieu! qu'est-ce que nous allons devenir?" : addition en partie droite, de premier niveau, barrée] [La rédaction initiale du folio commence ici; elle reprend et développe le texte barré du folio précédent.] Dort [en sc. sur "— Dort"] -elle ? oui. Elle dort. Je crois bien qu’elle dort. Est-elle sans connaissance ? [+ barré] non. Elle [corrige "non, elle"] a le pouls assez fort. Certainement elle dort. ["Mon Dieu, faites que ce soit du sommeil et pas autre chose." barré] Le sommeil, c’est un sursis. C’est le bon aveuglement. [phrase ajoutée] ["Par pitié!" barré] Comment [d'abord minuscule] faire pour qu’on ne vienne pas piétiner par ici ? Messieurs ["les voyageurs" ajout abandonné], s’il y a là quelqu’un sur le pont, je vous en prie, ne faites ["s'il y a là..." barré puis rétabli] pas de bruit. N’approchez pas, si cela vous est égal [", s'il vous plaît" barré]. ["N'approchez pas..." ajouté] Vous savez, une personne d’une santé délicate, il faut des ménagements. Elle a de la fièvre, voyez-vous. C’est tout jeune. C’est une petite qui a de la fièvre. Je lui ai mis ce matelas dehors, pour qu’elle ait un peu d’air. J’explique cela afin qu’on ait égard. [phrase ajoutée] Elle ["y" barré] est tombée de lassitude sur ce matelas ["sur ce matelas" ajouté] , comme si elle perdait connaissance. Mais elle dort. Je voudrais bien qu’on ne la réveillât pas. Je m’adresse aux femmes, s’il y a là des ladies. [trois ou quatre mots barrés] Une jeune fille, c’est une pitié. Nous ne sommes que de pauvres bateleurs, je demande qu’on ait un peu de bonté, et puis, s’il y a quelque chose à payer pour qu’on ne fasse pas de bruit, je paierai. Je vous remercie ["bien" barré] , mesdames et messieurs. Y a-t-il quelqu’un là ? Non. Je crois qu’il n’y a personne. Je parle en pure perte. [phrase ajoutée] Tant mieux. Messieurs, je vous remercie si vous y êtes, et je vous remercie bien [ajouté] si vous n’y êtes pas. — Elle a le front tout en sueur. — ["Messieurs, je vous remercie...": addition -premier niveau] Allons, rentrons au bagne, ["rentrons..." ajouté] reprenons le collier. La misère est revenue. ["Allons, rentrons...": addition de second niveau. Ces deux additions se substituent à la rédaction initiale: "+ + + +allez devenir? Elle a tout le front en sueur. Pourvu qu'on ne me la réveille pas brusquement. S'il vous plaît, tous ici, ["tous ici," ajouté] faites silence."] Nous revoilà à vau l’eau. Une main, l’affreuse main qu’on ne voit pas, mais qu’on sent toujours sur soi, ["l'affreuse main..." corrige "la main de l'invisible,"] ["Nous revoilà...": addition; elle se substitue à la rédaction initiale: "Nous revoilà à vau l'eau. Une main + + +"] nous a subitement [corrige "brusquement"] retournés vers le côté noir de la destinée. Soit. [corrige "Allons," lui-même en sc. sur +] On aura du courage. Seulement, il ne faut pas qu’elle soit malade. J’ai l’air bête de parler haut tout seul comme cela, mais il faut bien qu’elle sente qu’elle a quelqu’un près d’elle si elle vient à se réveiller. Pourvu qu’on ne me [ajouté] la réveille pas brusquement ! [f° 580, blanc; f° 581, Y[en sc. sur "Z"] 22] Pas de bruit, au nom du ciel ! [phrase ajoutée] Une secousse qui la ferait lever en sursaut ne vaudrait rien. Il serait fâcheux qu’on vînt marcher de ce côté-ci. Je crois que les gens dorment dans le bateau. Je rends grâce à la providence de cette concession. Hé bien ! ["Il serait fâcheux...": corrige deux lignes, probablement en plusieurs temps dont la chronologie demanderait la lecture des deux lignes barrées] et [d'abord majuscule] Homo; où est-il donc ? Dans tout ce bouleversement là, j’ai oublié de l’attacher; ["au fait," barré] je ne sais plus ce que je fais. [corrige virgule] Voilà plus d’une heure que je ne l’ai vu, ["Voilà plus..." ajouté] il [d'abord majuscule] aura été chercher son souper dehors. Pourvu qu’il ne lui arrive pas malheur ! Homo ! Homo !
Homo ["[frappa" corrige "cogna"] doucement" le tout barré] cogna doucement ["cogna doucement" au-dessus de "le plancher du pont" barré en correction cursive] de sa queue le plancher du pont. [Un léger décalage de niveau entre "de sa queue" et "le plancher" confirme que VH a écrit la phrase jusqu'à "sa queue" ("cogna/frappe doucement le plancher du pont de sa queue") avant d'inverser l'ordre des compléments en déplaçant "le plancher du pont".]
— Tu es là ! Ah ! tu es là. Dieu soit béni ! Homo perdu, c’eût été
trop. ["Allons," barré et majuscule à "Elle"
en sc. sur "elle"] Elle dérange son bras. [une
addition de plusieurs mots en interligne, barrée] Elle va
peut-être se réveiller. [phrase ajoutée]
Tais-toi, Homo. La marée descend. ["Bon."
barré] On partira tout à l’heure. ["Tais-toi,
Homo." barré et déplacé] ["Tais-toi,
Homo. La marée...: addition -d'une plume différente de la précédente]
Je pense qu’il fera beau cette nuit. Il n’y a pas de bise [corrige
"vent"] . [corrige virgule] ["et il y a des nuages." barré] La banderole
pend le long du mât, nous aurons une bonne traversée. Je ne sais plus où
nous en sommes de la lune. Mais c’est à peine si les nuages remuent. Il
n’y aura pas de mer. [phrase ajoutée]
Nous aurons beau temps. Elle est pâle. C’est la faiblesse. Mais non,
elle est rouge. C’est la fièvre. Mais non, elle est rose [en
sc. sur +] . Elle se porte bien. Je n’y vois plus clair. Mon
pauvre Homo, je n’y vois plus clair. [phrase
ajoutée] Donc [corrige "Homo", qui
corrige "Vois-tu"] , il faut recommencer la vie. Nous allons
nous remettre à travailler. Il n’y a plus que nous deux, vois-tu. [phrase ajoutée] Nous travaillerons pour
elle, toi et moi. C’est notre enfant. ["Donc,
il faut...": addition de second niveau] Ah ! le bateau bouge.
On part. ["+ Homo." barré] Adieu,
Londres ! bonsoir, bonne nuit, au diable ! Ah ! l’horrible Londres ! ["Ce pays-ci + + + + pays. Que voulez-vous que j'y
fasse? Je suis content de m'en aller." : addition de second niveau,
barrée]
Le navire en effet ["venait d' " barré en correction cursive] avait la commotion sourde du dérapement. L’écart se faisait [corrige "s'était fait"] entre l’estacade et l’arrière. On apercevait à l’autre bout du bâtiment, à la poupe, ["à l'autre bout..." corrige "à la proue"] un homme debout, le patron sans doute qui venait de sortir de l’intérieur du navire et ["venait de sortir..." corrige "manoeuvrait le gouvernail." barré et déplacé] avait délié [en sc. sur "défait"; correction à la copie] l’amarre, et qui manœuvrait le gouvernail ["avait délié...": addition]. Cet homme, attentif seulement au chenal, comme il convient lorsqu’on est composé du double flegme du hollandais et du matelot, ["comme il convient...": ajouté] n’entendant rien et ne voyant rien que l’eau et le vent, courbé sous l’extrémité [corrige "la pointe"] de la barre, mêlé à l’obscurité ["comme les fantômes" barré], ["mêlé à..." ajouté] marchait lentement sur le tillac d’arrière ["d'arrière" ajouté; de même à la copie] , allant et revenant de tribord à bâbord, espèce de fantôme [corrige "d'ombre] ayant une poutre sur l’épaule. ["dans la nuit." barré] Il était seul ["de l'équipage" barré] sur le pont. Tant qu’on serait en ["Tant qu'on serait..." corrige "En"] rivière, aucun autre marin n’était nécessaire. En quelques minutes le bâtiment [corrige "la panse" [surchargé en +] qui corrige "le navire"] fut au fil du fleuve. Il descendait sans tangage ni roulis. ["tangage ni roulis." corrige "secousses"] La Tamise, peu troublée par le reflux, ["La Tamise..." corrige "tellement [ajouté] l'eau, très profonde au milieu de la Tamise,"] était calme. La marée l’entraînant, le navire s’éloignait [corrige "fuyait"] rapidement [en sc. sur "très vite"(??)] . Derrière lui, le noir décor de Londres décroissait dans la brume.
Ursus poursuivit : ["Ah ! le bateau bouge. On part....": addition. Elle se substitue à deux lignes de la rédaction initiale, barrées par le filet qui implante l'addition; la seconde est: "+. C'est égal, je lui ferai prendre de la digitale." Le texte se poursuit, addition et rédaction initiale, jusqu'au bas du folio, encadré et barré à grands traits, et mis au net au folio suivant qui est intercalé. Nous le reproduisons à nouveau, sans le mettre en bleu ni en petit caractère, comme s'il était n'était pas barré:
C'est égal, je lui ferai prendre de la digitaline. J’ai peur qu’il ne survienne du délire. [phrase ajoutée, rayée ou prise, comme la précédente, dans l'encadrement du texte] Nous serons ["à Rotterdam" barré] demain [+ + vent arrière" barré] à Rotterdam [ajouté] . Etre parti, cela soulage. ["Ah! l'horrible Londres." barré] Elle a de la sueur dans la paume de la main. [Quelle affaire!" ajouté et barré] Mais qu'est-ce que nous avons donc fait au bon Dieu? Enfin, nous voilà hors de Londres. Nous serons au petit jour à Gravesend. + + + + + dans la cahute. Nous la traînerons, n'est-ce pas, Homo? Toujours le front en sueur! [ces quatre dernières phrases barrées ou prises dans le trait qui encadre le texte] ["C'est égal, je lui ferai..." addition.] Ma fille, mon enfant, je t'en conjure, ne sois pas malade! ["Ah! le bateau bouge. On part. Tais-toi, Homo!": addition barrée]
Ici [en sc. sur "Alors"] une voix s'éleva. Voix ineffable, qui semblait lointaine, qui paraissait venir à la fois [en sc. sur "voix" tracé par inadvertance] des hauteurs et des profondeurs, doucement sinistre, la voix de Dea. Tout ce que Gwynplaine avait éprouvé jusqu'à ce moment ne fut plus rien. Son ange parlait. Il lui semblait entendre des paroles dites hors de la vie dans un évanouissement plein de ciel ["un évanouissement..." reçoit une correction barrée: "l'évanouissement de tout ce qui n'est pas le ciel"] .
["— Père, disait la voix, je ne suis plus malade.
Et elle" barré]
["Ma fille, mon enfant, je t'en conjure..." paragraphes barrés à grands traits, comme ce qui suit mais d'une autre graphie et antérieurement. Avant même la grande addition "Donc il faut recommencer la vie..." Hugo a décidé de compléter le monologue d'Ursus et de reporter l'entrée en scène de Dea.] Parbleu, je recommencerai la vie d'autrefois, dans la cahute. Nous la traînerons, n'est-ce pas Homo? Les quatre pointes de la Tour de Londres s'effacent. Les voilà effacées. Elles m'ennuyaient. C'est déjà cela de moins à l'horizon. ["Les quatre pointes...": addition; elle se substitue à la première rédaction: "On ne voit plus du tout le dôme de Saint-Paul."] Si l'on pouvait sortir d'une douleur comme on sort d'une ville! Homo, nous pourrions encore être heureux. Hélas! il y aurait ["Homo, nous pourrions..." remplace "Homo, nous serions heureux! Toujours le front en sueur. [phrase barrée et déplacée] Hélas! il y aurait": barré] [le texte se poursuivait, en rédaction initiale, au folio 583.]
[f° 582, Z22 [en sc. sur "A23"].
Ce folio de mise au net est intercalé. Il reprend les parties barrées
à grands traits du folio précédent et le début du suivant.]
— C’est égal, je lui ferai prendre de la digitale. J’ai peur qu’il ne survienne du délire. Elle a de la sueur dans la paume de la main. Mais qu’est-ce que nous avons donc fait au bon Dieu ? Comme c’est venu vite tout ce malheur là ! Rapidité hideuse du mal. Une pierre tombe, elle a des griffes, c’est l’épervier sur l’alouette. C’est la destinée. Et te voilà gisante, ma douce enfant ! On vient à Londres, on dit : c’est une grande ville qui a de beaux monuments. Southwark, c’est un superbe faubourg. On s’y établit. Maintenant, ce sont d’abominables pays. Que voulez-vous que j’y fasse ? Je suis content de m’en aller. Nous sommes ["je crois": addition abandonnée] le 30 avril. Je me suis toujours défié du mois d’avril ; il [correction à la copie: "le mois d’avril"] n’a que deux jours heureux, le 5 et le 27, et quatre jours malheureux, le 10, le 20, le 29 et le 30. Cela a été mis hors de doute par les calculs de ["les calculs de" ajouté] Cardan. Je voudrais que ce jour-ci soit passé. ["Nous sommes le 30...": addition] Être parti, cela soulage. Nous serons au petit jour à Gravesend et demain soir à Rotterdam. Parbleu, je recommencerai la vie d’autrefois dans la cahute, ["n'est-ce pas, Homo?" barré en correction cursive et déplacé] nous la traînerons, n’est-ce pas, Homo ?
Un léger frappement annonça le consentement du loup.
Ursus continua ;
— Si l’on pouvait sortir d’une douleur comme on sort d’une ville ! Homo, nous pourrions encore être heureux. Hélas ! Il y aurait toujours celui qui n’y est plus. Une ombre, cela reste sur ceux qui survivent. Tu sais qui je veux dire, Homo. Nous étions quatre, nous ne sommes plus que trois. La vie n’est qu’une longue perte de tout ce qu’on aime. On laisse derrière soi une traînée de douleurs. Le destin nous ahurit par une prolixité de souffrances insupportable. Après cela on s’étonne que les vieilles gens [corrige "vieillards"] rabâchent. C’est le désespoir qui fait les ganaches. [phrase en addition et en sc. sur "On était un jouvenceau, le désespoir passe, on est une ganache."] Mon brave Homo, ["le beau temps" barré en correction cursive] le vent arrière persiste. On ne voit plus du tout le dôme de Saint Paul. Nous passerons tout à l’heure devant Greenwich. Ce sera six bons milles de faits. Ah ! je leur tourne le dos pour jamais à ces odieuses capitales, pleines de prêtres, de magistrats, de populaces. J’aime mieux voir remuer les feuilles dans les bois. — Toujours le front en sueur !
[f° 583, A23 [en sc. sur X22]. Le début du folio est barré: il prenait la suite du folio 581 avant l'intercalation du f° 582 où ce texte a été repris.]
["toujours celui qui n'y est plus. Une ombre, cela reste sur ceux qui survivent. Tu sais qui je veux dire, Homo. Nous étions quatre, nous ne sommes plus que trois. [phrase ajoutée] Elle a de grosses veines bleues que je n'aime pas ["que je n'aime pas" ajouté] sur les avant-bras [corrige "mains"]. C'est de la fièvre qui est là-dedans. [phrase ajoutée] Et toujours le front en sueur. ["On ne voit plus du tout le dôme de Saint-Paul." ajouté, barré et déplacé] Ma fille, mon enfant, ["ne sois pa s malade" barré en correction cursive] je t'en conjure, ne sois pas malade!" [Elle a de grosses veines..." barré et repris dans l'addition qui suit] On ne voit plus du tout le dôme de Saint Paul. Nous passerons tout à l'heure devant Greenwich. Ce sera six bons milles de faits. Ah! je leur dis adieu pour jamais à toutes ces hideuses capitales ["hideuses capitales": ajout ou variante sans choix à "ces granes villes"] ces grandes villes pleines de prêtres, de magistrats, de populaces! J’aime mieux voir remuer les feuilles dans les bois. Je voudrais que ce jour-ci fut passé. Je me suis toujours défié du mois d’avril ; il n’a que deux jours heureux, le 5 et le 27; et quatre jours malheureux, le 10, le 20, le 29 et le 30. Cela résulte des calculs de Cardan. Nous sommes le 30. En mai tout sera mieux ["En mai..." corrige "Demain + + plus librement. Cette nuit, + + + +"] ["Ah! je leur dis adieu..." addition de second niveau] — Toujours le front en sueur." ["On ne voit plus le dôme...": addition. Elle se poursuit dans les lignes qui suivent.] ]
Elle a de grosses veines violettes [corrige "bleues"] que je n’aime pas sur l’avant-bras. C’est de la fièvre qui est là-dedans. Ah ! tout cela me tue. ["Ma fille, mon enfant, je t'en conjure, ne sois pas malade." barré] ["Elle a de grosses veines...": suite, non barrée, de l'addition commençant à "On ne voit pas le dôme..."] Dors, mon enfant. ["Et, je t'en conjure, ne sois pas malade." barré; de même à la copie] Oh oui, elle dort ["bien" barré; de même à la copie] . ["Dors, mon enfant...": addition de deuxième niveau; ajouté à la copie]
Ici une voix s’éleva, voix ineffable, qui semblait lointaine, qui paraissait venir à la fois des hauteurs et des profondeurs, divinement [en sc. sur +] sinistre, la voix de Dea. ["Tout ce que Gwynplaine avait" barré et réécrit au-dessous, sans doute pour l'alinéa]
Tout ce que Gwynplaine avait éprouvé jusqu’à ce moment ne fut plus rien. Son ange parlait. Il lui semblait entendre des paroles dites hors de la vie dans un évanouissement plein de ciel.
La voix disait . [un seul point par inadvertance]
— Il a bien fait de s’en aller. Ce monde [variante sans choix: "Cette terre" barrée à la copie] -ci n’est pas une terre heureuse ["une terre heureuse": barré à la copie; variantes restées sans choix par oubli: "la vraie et la bonne patrie" barrée à la copie et "celui qu’il lui faut": correction à la copie en même temps qu'ajouté ici] . Seulement il faut que j’aille avec lui. Père, je ne suis pas malade, je vous entendais parler tout à l’heure, je suis très bien, je me porte bien, je dormais. Père, je vais être heureuse.
— Mon enfant, demanda Ursus avec l’accent [en sc. sur "l'intonation"] de l’angoisse, qu’entends-tu par là ?
La réponse fut :
— Père, ne vous faites pas de peine.
Il y eut une pause, ["— Mon enfant, demanda..." substitué à "Vous nous rejoindrez plus tard. Ne vous faites pas de peine.
La voix s'interrompit,"] comme pour une reprise d’haleine [corrige "de respiration"] ; ["+ + il y eut un silence," barré] puis ces quelques mots, prononcés lentement, arrivèrent à Gwynplaine :
— Gwynplaine n’est plus là. C’est à présent que je suis aveugle. Je ne
connaissais pas la nuit. [corrige virgule]
La nuit, ["La nuit," ajouté; de même à la
copie] c’est l’absence. ["Je ne
connaissais..." corrige "["L'absence" barré en correction cursive]
c'est l'absence qui est la nuit."] [On aurait: 1. "C'est l'absence qui
est la nuit." 2. "C'est l'absence qui est la nuit. Je ne connaissais
pas la nuit." 3. "Je ne connaissais pas la nuit, c'est l'absence."]
La voix s’arrêta encore, puis poursuivit [en sc. sur "continua"] :
— J’avais toujours l’anxiété qu’il ne s’envolât, je le sentais céleste. ["Il s'est envolé." barré] ["C'était impossible autrement." barré] Il a tout à coup pris son vol. Cela devait finir par là. ["— J’avais toujours l’anxiété..." substitué à "— Je savais bien qu'il avait des aîles et qu'il finirait par s'envoler."] Une âme, cela s’en va comme un oiseau. Mais le nid de l’âme est dans une profondeur où [corrige ". Dans cette profondeur-là,"] il y a le grand aimant qui attire tout, et je sais bien où retrouver Gwynplaine. Je ne suis pas embarrassée de mon chemin, allez. [f° 584, B23] Père, c’est là-bas. Plus tard, vous nous rejoindrez. Et ["Plus tard..." corrige "Plus tard, [variante ou correction: "Un jour, à votre heure," où "à votre heure," est encadré de barres verticales] vous y viendrez, et"] Homo aussi.
Homo, entendant prononcer son nom, frappa un petit coup ["frappa..." corrige [" ["remua la queue", barré en correction cursive] fit un petit frappement"] sur le pont.
— Père, reprit la voix, vous comprenez bien que, du moment où Gwynplaine n’est plus là, c’est une chose finie. [corrige virgule et "j" minuscule retracé en majuscule] Je voudrais rester que je ne pourrais pas, parce qu’on est bien forcé de respirer. Il ne faut pas demander ce qui n’est pas possible ["ce qui n'est..." corrige "des choses qui ne sont pas possibles"] . ["Mourir, c'est bien bon. Ce n'est pas difficile du tout de mourir." barré et déplacé] J’étais avec Gwynplaine, c’était tout simple, je vivais. Maintenant Gwynplaine n’y est plus ["n'y est plus" corrige "n'est plus là"] , je meurs. C’est la même chose. ["C'est comme une chandelle qu'on souffle." barré. La phrase est ensuite déplacée au bas de l'addition qui suit.] Il faut ou qu’il revienne, ou que je m’en aille. Puisqu’il ne peut pas [virgule par inadvertance, reproduite par la copiste, mais toute petite] revenir, je m’en vais. Mourir c’est bien bon. Ce n’est pas difficile du tout. ["Il faut ou qu'il revienne...": addition, d'abord implantée après "C'est comme une chandelle qu'on souffle", puis avant; cette phrase est alors biffée, puis réécrite à la fin de l'addition, puis mise en barres verticales assorties d'un point d'interrogation, finalement barrée] Père, ce qui s’éteint ici se rallume ailleurs. Vivre sur cette terre où nous sommes, c’est un [un mot, ébauchant sans doute une addition ou une correction barré] serrement de cœur [quatre ou cinq mots barrés : "J'étais sans cesse inquiète."] . Il ne se peut pas qu’on soit toujours malheureux. [corrige virgule] Alors on s’en va dans ce que vous appelez les étoiles, on se marie là, on ne se quitte plus [en sc. cursive sur "pas"] jamais, on s’aime, on s’aime, on s’aime, et c’est cela qui est le bon Dieu.
— Là, ne te fâche pas, dit Ursus.
La voix continua.
— Par exemple, eh bien, l’an passé, au printemps de l’an passé, on était ensemble, on était heureux, il y a [à] [oublié et restitué par la copiste] présent bien de la différence. Je ne me souviens ["me souviens" corrige "sais"] plus dans quelle petite ville nous étions, il y avait des arbres, j’entendais chanter des fauvettes. Nous sommes venus à Londres, cela a changé. Ce n’est pas un reproche que je fais. On vient dans un pays, on ne peut pas savoir. Père, vous rappelez-vous, un soir il y a eu dans la grande loge ["la grande loge" corrige + + qui corrige + +] une femme, vous avez dit : c’est une duchesse ! ["je n'ai rien dit, mais": addition abandonnée] j’ai été triste. Je crois qu’il aurait mieux valu rester dans les petites villes. Après cela, Gwynplaine a bien fait. Maintenant c’est mon tour ["de partir" rayé] . Puisque c’est vous-même qui m’avez raconté que j’étais toute petite, [f° 585, C23] que ma mère était morte, que j’étais par terre dans la nuit avec de [ajouté] la neige qui tombait sur moi, et que lui, qui était petit aussi, et tout seul aussi, il m’avait ramassée, et que c’était comme cela que j’étais en vie, vous ne pouvez pas vous étonner que j’aie aujourd’hui [ajouté] absolument besoin de partir [corrige "mourir"] , et que je veuille [en sc. sur +] aller voir dans la tombe si Gwynplaine y est. Parce que la seule chose qui existe, [virgule ajoutée] dans la vie, c’est le cœur, et après la vie, c’est l’âme. Vous vous rendez bien compte de ce que je dis, n’est-ce pas, Père ? Qu’est-ce qui remue donc ? il me semble que nous sommes dans une maison qui remue. Pourtant je n’entends pas le bruit des roues. [début de phrase en deux ou trois mots, barrés en correction cursive]
["Ursus répondit:
— C'est une barque. Nous sommes sans un barque." barré et remplacé par l'addition qui suit.]
Après une interruption [corrige "une pause" et variante sans choix, préférée à la copie, à "un silence"] , la voix ajouta :
— Je ne distingue pas beaucoup entre hier et aujourd’hui. [faux départ: "J'ign"] Je ne me plains pas. J’ignore ce qui s’est passé, mais il doit y avoir eu des choses. ["Après une interruption...": addition de second niveau.]
Ces paroles étaient dites avec une profonde douceur inconsolable, et un soupir, que Gwynplaine entendit, s’acheva ainsi : ["Ces paroles étaient dites...": corrige, en troisième niveau d'addition, l'addition de premier niveau: "Et un profond soupir que Gwynplaine entendit s'acheva ainsi:" qui avait reçu une correction, rayée d'emblée ou avec le reste: "Après ces paroles, la voix ajouta:"]
— ["Ce n'est pas ma faute, mais" barré] Il [d'abord minuscule] faut que je m’en aille, à moins qu’il ne revienne.
Ursus, sombre, ["murmura en aparte" barré en correction cursive] grommela à demi-voix :
— Je ne crois pas aux revenants.
Il reprit : ["Il reprit:" corrige "Et continua en parlant haut:"]
— C’est une barque. Tu demandes pourquoi la maison ["la maison" corrige "tout"] remue, c’est que nous sommes dans [ depuis "Et un profond soupir que Gwynplaine entendit": addition de premier niveau. Elle se substitue à la rédaction initiale: "C'est une barque. Nous sommes dans"] une barque. Calme-toi. Il ne faut pas trop parler. ["Tâche de te rendormir." barré] Ma fille, si tu as un peu d’amitié pour moi, ne t’agite pas, ne te donne pas de fièvre. Vieux comme je suis, je ne pourrais pas supporter une maladie que tu aurais [une maladie..." corrige "que tu sois malade"] . Épargne-moi, ne sois pas malade. ["Epargne-moi..." addition substituée à "Vois-tu, je n'ai plus beaucoup de force."]
La voix recommença :
— Chercher sur la terre, à quoi bon ? puisqu’on ne trouve qu’au ciel.
Ursus répliqua, presque avec un essai d’autorité. [corrigé en deux-points à la copie]
— Calme-toi. Il y a des moments où tu n’as pas d’intelligence du tout. Je te recommande de rester en repos ["en repos" corrige "tranquille"] . Après ça, tu [corrige "elle"] n’est [correction oubliée] pas forcée de savoir ce que c’est que la veine cave. Je serais tranquille si tu étais tranquille. Mon enfant ["Mon...": en sc. cursive sur "Fais au"] , fais aussi quelque chose pour moi. Il t’a ramassée, mais je t’ai recueillie. Tu te rends malade. C’est mal. ["La voix recommença...": addition] [+ + + disparaître. Alors," (il faut) addition abandonnée; elle prend la suite de "Vois-tu, je n'ai plus beaucoup de force."] Il faut te calmer, et dormir ["et dormir" rétabli après correction en "tâche de te rendormir"] . Tout ira bien. Je te jure ma parole d’honneur que tout ira bien. Nous avons un [Nous avons un" corrige "Il fait"; de même à la copie] très beau temps d’ailleurs. C’est comme une nuit faite exprès. Nous serons demain à Rotterdam qui est une ville en Hollande, à l’embouchure de la Meuse.
— Père, dit la voix, voyez-vous, quand c’est depuis l’enfance et qu’on a toujours été l’un avec l’autre, il ne faudrait pas que cela se dérangeât, parce qu’alors il faut mourir et qu’il n’y a même [ajouté] pas moyen de faire autrement. Je vous aime bien tout de même, mais je sens bien que je ne suis plus tout à fait avec vous, quoique je ne sois pas encore avec lui. ["Voyez-vous(?) je vais mourir.
— Ne vas pas t'aviser d'une chose pareille" : addition abandonnée, déplacée au folio suivant]
— Allons, insista Ursus, tâche de te rendormir.
La voix répondit :
— Ce n’est pas cela qui me manquera.
Ursus repartit [corrige "reprit"] , avec une intonation toute tremblante :
[f° 586, D23]
— Je te dis que nous allons en Hollande, à Rotterdam, qui est une ville ["en Hollande..." corrige "à Rotterdam en Hollande, qui est une ville"] .
— Père, continua la voix, je ne suis pas malade, si c’est cela qui vous inquiète, vous pouvez vous rassurer ["vous rassurer" corrige "être tranquille"] , je [en sc. sur +] n’ai pas de fièvre, j’ai un peu chaud, voilà tout.
Ursus balbutia [en sc. sur +] : [paragraphe en addition; VH a d'abord pensé que le lecteur saurait maintenir le fil.]
— A l’embouchure de la Meuse [", bégaya-t-il" barré] .
— Je me porte bien, père, mais voyez-vous, je me sens mourir. ["Je meurs." barré: addition abandonnée ou correction inachevée]
— Ne va pas t’aviser d’une chose pareille, dit Ursus. [ces deux répliques sont en addition]
Et il ajouta :
— Surtout qu’elle n’ait pas de secousse, mon Dieu ! ["Et il ajouta...": addition de second niveau]
Il y eut un silence.
Tout à coup Ursus cria :
— Qu’est-ce que tu fais ["Qu'est-ce..." en sc. sur + + + +] ? Pourquoi te lèves-tu ? je t’en supplie, reste couchée !
Gwynplaine tressaillit, et avança la tête.
Il aperçut Dea. Elle venait de se dresser toute droite ["toute droite" corrige "debout"] sur le matelas. Elle avait une longue robe chaste, soigneusement ["soigneuse" est écrit au-dessus de "chaste"; "chaste" manque à la copie: quoique "chaste" ne soit pas barré, la copiste comprend que Hugo a d'abord corrigé "chaste" en "chastement" avant d'ajouter "soigneuse" devant le "ment". Rien n'est moins sûr. D'autant plus que la fin de "soigneusement" est écrite en surcharge sur un autre mot qui pourrait être "bien"] fermée ["et nouée +" barré] , ["soigneusement...": addition] [un mot de première rédaction, peut-être "toute", barré] blanche, qui ne laissait voir que la naissance des épaules et l’attache délicate de son cou. Les manches cachaient ses bras, les plis couvraient ses pieds. On voyait [corrige "apercevait"] ses mains où se gonflait en embranchements bleuâtres le réseau des veines chaudes de fièvre. Elle était frissonnante, et oscillait plutôt qu’elle ne chancelait, comme un roseau. La lanterne l’éclairait d’en bas. Son beau visage était indicible. Ses cheveux dénoués flottaient. [phrase ajoutée] [faux départ: "Ses prunelles n'avaient pas"] Aucune larme ne coulait sur ses joues. Il y avait dans ses prunelles du feu, et de la nuit. ["voir que la naissance...": addition. Elle se substitue au texte initial qu'elle reprend partiellement: "voir que la naissance des épaules et l'attache délicate de son cou. Les manches couvraient ses bras. [phrase ajoutée] La lanterne l'éclairait d'en bas. Son beau visage était inexprimable." [Cette phrase en corrige une autre, de même longueur] Avant d'être réécrites et complétées dans l'addition ci-dessus, ces lignes sont l'objet d'une réécriture ou d'une correction marginale, barrée et où l'on ne lit que "cachaient ses bras"] Elle était pâle de cette pâleur qui ressemble à la transparence de la vie divine sur une figure [en sc. sur "un visage"] terrestre. Son corps exquis et frêle était comme mêlé et fondu dans le plissement ["et fondu..." corrige "aux plis"] de sa robe . Elle ondoyait tout entière avec le tremblement d’une flamme. Et en même temps on sentait qu’elle commençait à n’être plus que de l’ombre. Ses yeux ["fixes" barré en correction cursive] , ["brillants, fixes, sans larmes," : addition abandonnée] tout grands ouverts, resplendissaient [variante sans choix à "cherchaient" barré à la copie. Les deux variantes corrigent " [+ barré en correction cursive] étaient fixes"] . On eût dit une sortie de sépulcre et une âme ["s'envolant" barré en correction cursive] debout dans une aurore.
Ursus, dont Gwynplaine ne voyait que le dos, levait des bras effarés.
— Ma fille [en sc. sur "Dea, Dea"] ! ["recouche-toi!" barré] Ah [majuscule préférable] mon Dieu, voilà le délire qui la prend ! le délire ! c’est ce que je craignais. Il ne faudrait pas de secousse, car cela pourrait la tuer, et il en faudrait une, pour l’empêcher de devenir folle. Morte, ou folle ! quelle situation ! que faire, mon Dieu ! Ma fille, recouche-toi ! ["le délire! c'est ce que...": addition]
Cependant Dea parlait. Sa voix était presque indistincte, comme si une épaisseur céleste était déjà interposée entre elle et la terre [corrige "vie"] .
— Père, vous vous trompez. Je n’ai aucun délire. J’entends très bien tout ce que vous me dites. Vous me dites qu’il y a beaucoup de monde, qu’on attend, et qu’il faut que je joue ce soir, je veux bien, vous voyez ["bien" rayé] que j’ai ma raison, mais je ne sais pas comment faire, puisque ["Gwynplaine est mort" barré en correction cursive] je suis morte et puisque Gwynplaine [f° 587, E23] est mort. Moi, je viens tout de même. Je consens à jouer. Me voici, mais Gwynplaine n’y est plus.
["Ursus l'implorait": addition abandonnée]
— Mon enfant, répéta [en sc. sur + qui corrige "cria"] Ursus, allons, obéis-moi. Remets-toi sur ton lit.
Dea murmura:
— Il n’y est plus ! il n’y est plus ! ["Si celui qui est mort vivait, je vivrais." barré] Oh ! comme il fait noir !
— Noir, balbutia Ursus! voilà la première fois qu’elle dit ce mot. [réplique en addition]
Gwynplaine, sans plus de bruit qu’un glissement, monta le marchepied de la baraque [en sc. sur "cahute"] , y entra, décrocha son capingot et son esclavine, endossa le capingot, mit l’esclavine à son cou, et redescendit de la cahute ["de la cahute" corrige "sur le pont"] , toujours caché par l’espèce d’encombrement ["l'espèce d'encombrement" corrige "la masse d'ombre"] que faisaient la cabane, les agrès et le mât ["que faisaient..." corrige "où il était". Les deux corrections ne sont pas de la même encre; celle-ci est antérieure à la précédente] .
Dea continuait de murmurer, elle remuait les lèvres, et peu à peu ce murmure devint une mélodie [corrige "un chant"] . Elle [un mot barré en correction cursive] ébaucha, avec les intermittences [corrige "interruptions"] et les lacunes du délire, le mystérieux appel ["de Chaos vaincu" barré en correction cursive] qu’elle avait tant de fois adressé à Gwynplaine ["adressé..." corrige "chanté"] dans Chaos vaincu. [corrige deux-points] Elle se mit à chanter, et ce chant était vague et faible comme un bourdonnement d’abeille. [phrase ajoutée]
Noche, quita te de alli.
La [au f° 266, "El" corrige "La"] alba canta…(1)
[(1) Nuit, va-t’en.
L’aube chante.]
Elle s’interrompit :
— Non, ce n’est pas vrai, je ne suis pas morte. Qu’est-ce que je disais donc ? Hélas ! je suis vivante. Je suis vivante, et il est mort. Je suis en bas, et il est en haut. Il est parti, et moi je reste. ["C'est fini. Je ne le sentirai plus près de moi." barré et déplacé] Je ne l’entendrai plus parler et marcher. Dieu nous avait donné un peu de paradis sur la terre, il nous l’a retiré. Gwynplaine ! ["Gwynplaine !" barré] C’est fini. Je ne le sentirai plus près de moi. Jamais! ["Jamais!" barré] Sa voix ! je n’entendrai plus sa voix.
Et elle chanta [", égarée" barré et déplacé au folio suivant] :
Es menester a cielos ir…(2)
… Dexa [corrige "Quita"; correction non faite à la copie] , quiero,
A tu negro
Caparazon.
[(2)Il faut aller au ciel…
…Quitte, je le veux,
Ta noire enveloppe.]
[f° 588, F23. En marge, au milieu de la feuille et vraisemblablement écrite sur le champ, cette note: "16 aout 1868. / Aujourd'hui, comme je venais d'écrire cet appel à un absent, Petit Georges est revenu. A 4 h. 5 minutes de l'après midi, Alice l'a remis au monde. / - Bruxelles. -"]
Et elle étendit la main comme si elle cherchait où s’appuyer [variante sans choix barrée à la copie: "son point d'appui"] dans les ténèbres [variante sans choix: "l’infini". La copiste recopie les deux variantes et VH n'en a rayé aucune.] .
Gwynplaine, surgissant à côté d’ [corrige "devant"] Ursus brusquement [ajouté] pétrifié, s’agenouilla devant elle.
— Jamais, dit Dea! [corrige virgule] Jamais ! [ajouté] je ne l’entendrai plus !
Et elle se remit à chanter, égarée ["se remit..." corrige "répéta, égarée"] :
Dexa [corrige "Quita" correction non faite à la copie] , quiero,
A tu negro
Caparazon !
Alors elle entendit une voix, la voix bien-aimée, qui répondait ["Alors..." corrige "La voix de Gwynplaine répondit"] :
O ven ! ama !(3)
Eres alma,
Soy corazon.
[(3)Oh ! viens ! aime !
Tu es âme,
Je suis cœur. ["Tu es âme...": correction immédiate de "Je suis âme, / tu es coeur."]
Et en même temps Dea sentit sous sa main la tête de Gwynplaine. Elle jeta un cri inexprimable :
— Gwynplaine !
Une clarté d’astre apparut sur sa figure [corrige "son visage"] pâle, et elle chancela [corrige "s'affaissa" qui corrige "retomba"] .
Gwynplaine la reçut dans ses bras.
— Vivant, cria Ursus!
Dea répéta :
— Gwynplaine !
Et sa tête se ploya contre la joue ["sa tête..." corrige "son front s'affaissa sur l'épaule"] de Gwynplaine. Elle dit, tout bas ["dit..." corrige "bégaya"] :
— Tu redescends ! merci.
Et, relevant le front [corrige "la tête"] , assise sur le genou de Gwynplaine, enlacée dans son étreinte [corrige "ses bras"] , elle tourna vers lui son doux visage, et fixa sur les yeux de Gwynplaine ses yeux pleins de ténèbres et de rayons, comme si elle le regardait.
— C’est toi [en sc. sur "lui" qui est réécrit au-dessous en variante sans choix, barrée à la copie] , dit-elle!
Gwynplaine couvrait sa robe de baisers. Il y a des paroles qui sont à la fois des mots, des cris et des sanglots. Toute l’extase [corrige "la joie"] et toute la douleur s’y fondent [corrige "amalgament"] et éclatent pêle-mêle. Cela n’a aucun sens, et cela dit tout.
[f° 589, G23. Mise au net.]
— Oui, moi ! c’est moi ! ["c’est moi !" ajouté] moi Gwynplaine ! ["c'est moi!" rayé et déplacé] celui dont tu es l’âme, entends-tu ? moi dont tu es l’enfant, l’épouse ["l'enfant...": addition; elle se substitue à "l'ange"] , l’étoile, le souffle ! moi dont tu es la vie, moi dont tu es l’éternité ! C’est moi ! je suis là. Je te tiens dans mes bras. Je suis vivant. Je suis à toi. Ah ! quand je pense que j’étais au moment d’en finir ! Une minute de plus ! Sans Homo ! Je te dirai cela. Comme c’est près de la joie le désespoir ! Dea, vivons ! Dea, pardonne-moi ! ["Dea, pardonne-moi!" ajouté, après l'ajout qui suit] Oui ! [ajouté] a toi a jamais ! Tu as raison, touche mon front, assure-toi que c’est moi. Si tu savais ! mais rien ne peut plus nous séparer. Je sors de l’enfer et je remonte [correction abandonnée: "reviens"] au ciel. Tu dis que je redescends, non, je remonte. [phrase ajoutée] Me revoici avec toi. A [corrige la minuscule] jamais, te dis-je ! Ensemble ! nous sommes ensemble ! qui aurait dit cela ? Nous nous retrouvons. Tout le mal est fini. Il n’y a plus devant nous que de l’enchantement [corrige "du paradis"] . Nous recommencerons notre vie heureuse, et nous en fermerons si bien la porte que le mauvais sort n’y pourra plus rentrer. Je te conterai tout. Tu seras étonnée. ["Mais" barré] Le [d'abord minuscule] bateau est parti. Personne ne peut faire que le bateau ne soit pas parti. Nous sommes en route, et en liberté. Nous allons en Hollande, ["nous serons là-bas vite riches," barré] nous nous marierons, je ne suis pas embarrassé pour gagner ma vie, qui est-ce qui pourrait empêcher cela ? Il n’y a plus rien à craindre. Je t’adore.
— Pas si vite, balbutia Ursus!
Dea, tremblante, et avec le frémissement d’un toucher céleste, promenait sa main sur le profil de Gwynplaine. Il l’entendit qui se disait à elle-même ["Il l'entendit..." corrige "Elle se dit en elle-m" qui corrige ": "Elle dit tout bas" qui corrige "Elle murmura"] :
— C’est comme cela que Dieu est fait.
[f° 590, H23]
Puis elle toucha ses vêtements.
— L’esclavine, dit-elle. Le capingot. Il n’y a rien de changé. Tout est comme auparavant [corrige "autrefois"] .
Ursus, stupéfait [en sc. cursive sur "épan"] , épanoui, riant, inondé de larmes, les regardait, et se balbutiait [corrigé à la copie en "s’adressait"] à lui-même un aparté [corrige + qui corrige +] .
— Je ne comprends pas du tout. Je suis un absurde [en sc. sur "vieil"] idiot. Gwynplaine vivant! Moi qui l’ai vu porter [en sc. sur "mettre"] en terre ! ["Gwynplaine vivant...": addition] Je pleure et je ris, voilà tout ce que je sais. Je suis aussi bête que si, moi aussi, j’étais amoureux. Mais c’est que je le suis. Je suis amoureux des deux. Vieille brute, va ! [Mais c'est que je...": addition] Trop d’émotions. Trop d’émotions. ["Gwynplaine, ménage-la [corrige + +]!" le tout barré et déplacé] C’est ce que je craignais. Non, c’est ce que je voulais. Gwynplaine, ménage-la. ["C’est ce que je craignais...": addition] Au fait, qu’ils s’embrassent. Cela ne me regarde pas. J’assiste à l’incident. [faux départ: "Je suis"] Ce que j’éprouve est drôle. Je suis le parasite de leur bonheur et j’en prends ma part. Je n’y suis pour rien et il me semble que j’y suis pour quelque chose. Mes enfants, je vous bénis. [phrase ajoutée. Elle se substitue à trois lignes barrées de la rédaction initiale: "+ + + + + entre deux baisers de Dea et de Gwynplaine, il ajouta.
— J'ai une joie de grand'père.", réplique déplacée plus bas (f° 592)]
Et pendant qu’Ursus monologuait, Gwynplaine s’écriait :
— Dea, tu es trop belle. Je ne sais pas où j’avais l’esprit ces jours-ci. [phrase ajoutée; elle se substitue à une phrase sensiblement plus courte où se trouve peut-être le mot "pardon".] Il n’y a absolument que toi sur la terre. Je te revois, et je n’y crois pas encore. Sur cette barque ! Mais, dis-moi, que s’est-il donc passé ? [phrase ajoutée; elle se substitue à "en fuite!"] Et voilà l’état où l’on vous a mis ! Où donc est la Green-Box ? ["Que s'est-il donc passé?" barré et déplacé] On vous a volés, on vous a chassés. C’est infâme. Ah [on peut aussi lire "Oh"] ! je vous vengerai ! je te vengerai, Dea ! [faux départ: "Je suis pair"] on aura affaire à moi. Je suis pair d’Angleterre.
Ursus, comme heurté par une planète ["heurté..." corrige "frappé d'un coup de poing" où "d'un coup de poing" a été mis entre barres verticales avant la correction] en pleine poitrine, recula [rétabli après avoir surchargé en + et été corrigé en "s'effaça"(?)] et considéra [f° 591, I23] Gwynplaine [en sc. sur "Dea"] attentivement.
— Il n’est pas mort, c’est clair, mais serait-il fou ?
Et il tendit l’oreille avec défiance. [paragraphe ajouté, encadré de barres verticales assorties d'un point d'interrogation, barrées à la copie]
Gwynplaine reprit :
— Sois tranquille, Dea. Je porterai ma plainte à la chambre des lords.
Ursus l’examina encore, et se frappa le milieu du front avec le petit bout de son doigt.
Puis, prenant son parti :
— Ça m’est égal, murmura-t-il. Cela ira tout de même. [faux départ: "Je suis heureux." barré et déplacé une première fois] Sois fou, si tu veux, mon Gwynplaine. ["Je suis heureux." barré et déplacé] C’est le droit de l’homme. Moi, je suis heureux. ["C'est le droit...": addition de premier niveau] Mais qu’est-ce que c’est que tout cela ? [phrase en addition de second niveau]
[faux départ, repris plus bas: "Gwynplaine et
Dea se tenaient embrassés. Ils + +, s'écriaient, chuchotaient"]
[marque ajoutée d'alinéa à faire] Le navire continuait de fuir mollement et vite, la nuit [", très calme," corrigé en ", assoupie et paisible," le tout barré] était de plus en plus obscure, des brumes ["des brumes" corrige "de grandes brumes"] qui venaient de l’océan [corrige "la mer"] envahissaient le zénith d’où aucun vent ne les balayait, quelques grosses étoiles à peine étaient visibles, et s’estompaient l’une après l’autre, et au bout de quelque temps il n’y en eut plus du tout, et tout le ciel fut noir, infini et doux; le fleuve s’élargissait, et ses deux rives à droite et à gauche, n’étaient plus que deux minces lignes brunes [corrige "noires"; de même à la copie] presque amalgamées à la nuit. De toute cette ombre sortait un profond apaisement. [la phrase corrige "Toute cette ombre était douce."] Gwynplaine [faux départ: "et Dea + + + +"] s’était assis à demi, tenant Dea embrassée. Ils ["s'embrassaient" barré en correction cursive] parlaient, s’écriaient, jasaient, [ajouté] chuchotaient. Dialogue éperdu. [phrase ajoutée] Comment vous peindre, ô joie [correction abandonnée: +] ? [en sc. sur "!" ou l'inverse]
— Ma vie !
— Mon ciel !
— Mon amour !
— Tout mon bonheur !
— Gwynplaine !
["— Dea!
— Je + +" barré]
[f° 592, J23]
— Dea ! [ajouté] je suis ivre. ["Je ne sais plus que dire." barré] ["Dea +" barré en correction cursive] Laisse-moi baiser tes pieds.
— C’est toi donc !
— En ce moment-ci, j’ai trop à dire à la fois. Je ne sais par où commencer.
— Un baiser !
— O ma femme !
— Gwynplaine, ne me dis pas que je suis belle. C’est toi qui es beau. ["En ce moment...": addition]
— Je te retrouve. [ms: VH a d'abord écrit: "Je te retrouve. Je te serre dans mes bras." Bizarrement, en corrigeant par "Je t'ai sur ma poitrine.", il place un point avant "Je t'ai" et la copiste interprète à tort ces deux points superposés comme un deux-points.] Je t’ai sur mon cœur [corrige "ma poitrine"] . ["Je t'ai sur..." corrige "Je te serre dans mes bras."] Cela est. Tu es à moi. Je ne rêve pas. C’est bien toi. Est-ce possible ? oui. Je reprends possession de la vie. [la phrase corrige "+ + + je rentre au ciel."] Si tu savais, il y a eu toutes sortes d’événements. [", il y a eu..." corrige "ce que je viens de traverser!"] Dea !
— Gwynplaine !
— Je t’aime !
Et Ursus murmurait :
— J’ai une joie de grand-père. [déplacé du f° 590]
[Le paragraphe qui suit est écrit, d'une écriture différente de ce qui précéde, au-dessus d'un texte préparatoire au crayon. On en distingue le début: "Ici Dea mit la main sur son coeur + + + Elle s'affaissa..." qui reçoit exécution au chapitre suivant.] Homo était sorti de dessous la cahute ["Homo était sorti..." corrige "Homo s'était levé] , et, allant de l’un l’autre, discrètement, n’exigeant pas qu’on fit attention à lui, il [ajouté] donnait des coups de langue à tort et à travers, tantôt aux gros souliers d’Ursus ["tantôt aux..." corrige en correction immédiate "tantôt à la robe de Dea] , tantôt au capingot de Gwynplaine, tantôt à la robe de Dea, tantôt au matelas [", tantôt au matelas" ajouté] . C’était sa façon à lui de bénir.
On avait dépassé [faux départ: "l'embouchure de la"] Chatham et l’embouchure de la Medway. On approchait de la mer. ["Mais" barré] La [d'abord en minuscule] sérénité ténébreuse de l’étendue était telle que la descente de la Tamise se faisait sans complication ; aucune manœuvre n’était nécessaire, et aucun matelot n’avait été appelé sur le pont. A l’autre extrémité du navire, le patron, toujours seul à la barre, gouvernait ["et aucun matelot..." corrige "et il n'y avait sur le pont aucun homme de l'équipage autre que le patron, toujours seul à la barre, à l'autre extrémité du navire"] . A l’arrière, il n’y avait que cet homme, à l’avant, la lanterne éclairait l’heureux groupe de ces êtres qui venaient de faire, au fond du malheur subitement changé en félicité, cette jonction inespérée ["faire, au fond du malheur..." complète et corrige "se retrouver" qui avait été développé ou corrigé d'abord par une autre addition abandonnée]
Tout à coup, Dea, se dégageant de" [ligne barrée et ajoutée au début du folio suivant]]
[f° 593, K23. La disposition des titres prouve que toute la conclusion forme initialement un texte continu. ]
Tout à coup, Dea, se dégageant de ["Tout à coup..." ajouté] l’embrassement [corrige "l'étreinte"] de Gwynplaine, se souleva [corrige "dressa"] . Elle appuyait ses deux mains sur son cœur, comme pour l’empêcher de se déranger ["de se déranger" corrige "d'éclater"; de même à la copie] .
— Qu’est-ce que j’ai, dit-elle? J’ai quelque chose. ["Cela doit être bon, mais j'étouffe." barré, peut-être en correction cursive] La joie, cela étouffe. Ce n’est rien. C’est bon. ["Gwynplaine," barré en correction immédiate] En [corrige minuscule] reparaissant, o mon Gwynplaine, tu m’as donné un coup. Un coup de bonheur. Tout le ciel qui vous entre dans le cœur, c’est un enivrement [corrige "une secousse"; de même à la copie] . ["Sans toi" barré en correction cursive] Toi absent, je me sentais expirer. La vraie vie qui s’en allait, tu me l’as rendue. J’ai eu en moi comme un déchirement, le déchirement des ténèbres, et j’ai senti monter ["comme un flot," barré] la vie, une vie ardente, une vie ["d'+ +" barré] de fièvre et de délices. ["senti monter..." corrige "senti la vie, une vie ardente, monter dans ma poitrine comme un flot."] C’est extraordinaire, cette vie-là, que tu viens de me donner. Elle est si céleste qu’on souffre un peu. C’est comme si l’âme grandissait et avait de la peine à tenir dans notre corps [corrige "poitrine"] . ["C'est extraordinaire...": addition] Cette vie des séraphins [corrige "anges"] , cette plénitude [en sc. sur + qui corrige "extase"] , elle reflue jusqu’à ma tête, et me pénètre. J’ai comme un battement d’aîles dans la poitrine. [phrase en addition; elle corrige une addition antérieure: "J'ai comme des aîles qui battent dans la poitrine."] ["Gwynplaine," barré] Je [d'abord minuscule] me sens étrange, mais bien heureuse. Gwynplaine, tu m’as ressuscitée.
Elle rougit [en sc. sursive sur "p"(âlit)] , puis pâlit, puis rougit encore, ["puis rougit encore, ajouté] et tomba.
— Hélas ! dit Ursus ["bas": addition abandonnée] , tu l’as tuée.
Gwynplaine [plusieurs mots barrés] étendit [en sc. sur "étendant"] les bras vers Dea. [corrige "vers Dea, frémit." barré. On regrette de ne pouvoir reconstituer la première rédaction de la phrase] ["La suprême extase" barré en correction cursive] L’angoisse suprême survenant dans la suprême extase, quel choc ! il fût lui-même tombé, s’il n’eût eu à la soutenir.
[faux départ: "Il étendit D"]
— Dea, cria-t-il ! [à l'ajout de "frémissant", VH a oublié de barrer ce point d'interrogation, la copie le reproduit] frémissant, [ajouté en sc. sur "tremblant"] qu’est-ce que tu as ?
— Rien, dit-elle. Je t’aime.
Elle était dans les bras de Gwynplaine comme un linge qu’on a ramassé. Ses mains pendaient. [paragraphe ajouté]
["Ursus et" barré en correction cursive] Gwynplaine et Ursus couchèrent Dea sur le matelas. Elle dit faiblement :
— Je ne respire pas couchée.
Ils la mirent sur son séant.
[f° 594, L23]
Ursus dit :
— Un oreiller !
Elle répondit. [ms & copie: point]
— Pourquoi ? j’ai Gwynplaine.
Et elle posa sa tête sur l’épaule de Gwynplaine, assis derrière elle et la [en sc. sur "le"(?!)] soutenant, l’œil plein d’un égarement infortuné [", l'oeil plein..." ajouté] .
— Ah ! dit [en sc. sur "murmura-t"]-elle, comme je suis bien !
Ursus lui avait saisi le poignet [en sc. sur "la main" qui corrige "le bras"] , et comptait les pulsations de l’artère. Il ne hochait pas le front [addition correctrice abandonnée: "son front + + +"] , il ne disait rien, et l’on ne pouvait deviner ce qu’il pensait qu’aux rapides mouvements de ses paupières, s’ouvrant et se refermant convulsivement, comme [corrige +] pour empêcher un flot de larmes de sortir.
— Qu’a-t-elle, demanda [corrige "cria"] Gwynplaine?
Ursus appuya son oreille contre le flanc gauche de Dea. [Ces deux paragraphes sont écrit au-dessus d'un texte préparatoire au crayon. On distingue: "Gwynplaine et Ursus + + + + + + + Ursus colla son oreille au torse [variante: "flanc"] de Dea + + + + +"]
Gwynplaine répéta ardemment sa question, en tremblant qu’Ursus ne lui répondit.
Ursus regarda Gwynplaine, puis Dea. Il était livide. Il dit :
— Nous devons être à la hauteur de Cantorbery. La distance d’ici à Gravesend n’est pas très grande. Nous aurons beau temps toute la nuit. Il n’y a pas à craindre d’attaque en mer, parce que les flottes de guerre sont sur la côte d’Espagne. Nous aurons un bon passage.
Dea, ployée et de plus en plus pâle, pétrissait dans ses doigts convulsifs l’étoffe de sa robe. Elle eut un ["profond" corrigé en +, le tout barré] soupir inexprimablement pensif, ["inexprimablement pensif,": ajouté] et murmura : ["Ursus regarda Gwynplaine..." addition. Elle se substitue à une ligne: "Il + + de Dea. Elle murmura:" elle-même corrigée ou complétée en interlignes par trois ou quatre mots.]
— Je comprends [correction abandonnée: "sais"] ce que c’est. Je meurs.
Gwynplaine se leva [en sc. sur "dressa"] terrible. Ursus ["la" barré] soutint Dea [ajouté] .
— Mourir ! Toi mourir ! non, cela ne sera pas. Tu ne peux pas mourir. Mourir à présent ! mourir tout de suite ! ["comme cela!" barré; de même à la copie] c’est impossible. Dieu [en sc. sur "Le" ou "La"] n’est pas féroce. Te rendre et te reprendre dans la même minute ! Non. Ces choses-là ne se font pas. Alors c’est que Dieu voudrait qu’on doute de lui. Alors c’est que tout serait un piége, la terre, le ciel, ["l'amour, le coeur," barré en correction cursive ou immédiate] le berceau des enfants, l’allaitement des mères, le cœur humain, l’amour, les étoiles ! [f° 595, M [corrige "N"] 23] c’est que Dieu serait un traître et l’homme une dupe ! [phrase ajoutée] c’est qu’il n’y aurait rien ! c’est qu’il faudrait insulter la création ! c’est que tout serait un abîme ! Tu ne sais ce que tu dis, Dea ! tu vivras. J’exige que tu vives. Tu dois m’obéir. Je suis ton mari et ton maître. Je te défends de me quitter. Ah ciel ! Ah misérables hommes ! Non, cela ne se peut pas. Et je resterais sur cette terre après toi ! Cela est tellement monstrueux qu’il n’y aurait plus de soleil. Dea, Dea, remets-toi ["remets-toi" remplace une ligne: "ce n'est rien, cela va s'arranger(?), ce n'est rien"] . C’est un petit moment d’angoisse qui va passer. On a quelquefois des frissons, et puis on n’y pense plus. [phrase ajoutée] J’ai absolument besoin que tu te portes bien et que tu ne souffres plus. Toi mourir ! qu’est-ce que je t’ai fait ? D’y penser, ma raison s’en va. Nous ["Toi mourir..." Rédaction initiale: "+ + + nous sommes heureux,". Puis, "nous sommes heureux," est corrigé, en interligne, en "Je ne t'ai rien fait.", lui-même corrigé en marge par "Qu'est-ce que je t'ai fait?" D'une autre graphie, VH ajoute dans les espaces libres en interligne: "Toi mourir! d'y penser, ma raison s'en va." La lecture de la copiste est guidée par la disposition des lignes, mais les graphies font lire: "Toi mourir! d'y penser, ma raison s'en va. Qu'est-ce que je t'ai fait?"] sommes l’un à l’autre, nous nous aimons. Tu n’as pas de motif [corrige "raison"] de t’en aller. Ce serait injuste. Ai-je commis des crimes ? ["Ce serait injuste..." se substitue à "Je ne t'ai rien fait." déplacé en addition plus haut] Tu m’as pardonné d’ailleurs. Oh ! tu ne veux pas que je devienne un désespéré, un scélérat, un furieux, un damné ! ["un désespéré..." corrige "fou."] Dea ! [ajouté d'une encre différente de l'ajout qui précède] je [d'abord majuscule] t’en prie, je t’en conjure, je t’en supplie à mains jointes, ne meurs pas.
Et crispant ses poings dans ses cheveux, agonisant d’épouvante, étouffé de pleurs [corrige "sanglots"] , ["crispant ses poings...": ajouté] il se jeta à ses pieds.
— Mon Gwynplaine, dit [corrige "soupira"] Dea, ce n’est pas ma faute.
Il [en sc. sur +] lui vint aux lèvres un peu d’écume rose qu’Ursus essuya d’un pan de la [en sc. sur "sa"] robe sans que Gwynplaine prosterné [ajouté] le vît. Gwynplaine tenait les pieds de Dea embrassés et l’implorait ["l'implorait" corrige "sanglottait"] avec toutes sortes [oublié et ajouté; de même à la copie] de mots ["+ et confus" barré en correction cursive] confus.
[f° 596, N23]
— Je te dis que je ne veux pas. ["Je ne veux pas que tu" barré en correction cursive] Toi mourir ! je n’en ai pas la force. Mourir oui, mais ensemble. Pas autrement. Toi mourir, Dea ! Il n’y a pas moyen que j’y consente. ["Toi mourir...": addition] Ma divinité ! mon amour ! comprends donc que je suis là. ["Ma divinité...": addition de second niveau. Ces deux addition, ou la première seulement, se substituent à "Tu vas voir que tu vas mieux respirer tout à l'heure." barré et déplacé plus bas] Je te jure que tu vivras. Mourir ! mais c’est qu’alors tu ne te figures pas ce que je deviendrais après ta mort. Si tu avais l’idée du besoin que j’ai de ne pas te perdre, ["Si tu avais..." ajouté] tu [d'abord majuscule] verrais que c’est positivement impossible. ["Puisque tu m'aimes, vis! Aie pitié de moi. Je viens de te retrouver, c'est pour te garder. Ne me mets pas au désespoir." ces trois lignes barrées sont reprises plus loin] Dea ! [ajouté] Je n’ai ["plus rien," barré] que toi, ["que toi," ajouté; les deux corrections ne sont pas nécessairement simultanées] vois-tu. Ce qui m’est arrivé est extraordinaire. Tu ne t’imagines pas que je viens de traverser toute la vie en quelques heures. J’ai reconnu une chose, c’est qu’il n’y avait rien du tout. Toi, tu existes. Si tu n’y es pas, l’univers n’a plus de sens. Reste. [ajouté] Aie pitié de moi. Puisque tu m’aimes, vis. Je viens de te retrouver, c’est pour te garder. Attends un peu. On ne s’en va pas comme cela quand on est à peine ensemble depuis quelques instants. [phrase en addition de second niveau] Ne t’impatiente pas. Ah mon Dieu, que je souffre ! ["Ne t'impatiente..."; addition -premier niveau. En marge, un trait vertical et un point d'interrogation rayés] Tu ne m’en veux pas, n’est-ce pas ? Tu comprends bien que je n’ai pas pu faire autrement puisque c’est le wapentake qui est venu me chercher. ["Tu ne m'en veux...": addition -second niveau et même écriture que la précédente de même niveau] Tu vas voir que tu vas respirer mieux tout à l’heure. Dea, tout vient de s’arranger. Nous allons être heureux. Ne me mets pas au désespoir. Dea ! je ne t’ai rien fait ! ["Dea! je ne t'ai rien fait!" ajouté]
Ces paroles n’étaient pas dites, mais sanglotées. On [trois mots barrés sans doute en correction cursive] y sentait un mélange d’accablement, [virgule oubliée lors de la suppression qui suit] ["de la +" barré] et de révolte. Il sortait de la poitrine de Gwynplaine un gémissement qui eût attiré [rétabli après correction en "attendri"; mêmes corrections à la copie, ce qui implique que VH a corrigé "attiré" en "attendri" à la copie, puis au ms, puis renouvelé l'opération, dans le même sens ou en sens inverse, pour rétablir "attirer"] des colombes et un rugissement qui eût ["f" barré en correction cursive] fait reculer [corrige "terrifié"; de même à la copie] des lions.
[faux départ d'une ligne et demie: " + + + + de Dea s'arrêtant presque à cha"]
Dea lui répondit, d’une voix ["faible et" barré] de moins en moins distincte, ["d'une voix..." se substitue à "de plus en plus pâle, et"] s’arrêtant presque à chaque mot :
[f° 597, O23. Mise au net.]
— Hélas ! c’est inutile. Mon bien-aimé, je vois bien que tu fais ce que tu peux. Il y a une heure, je voulais mourir, à présent je ne voudrais plus. Gwynplaine, mon Gwynplaine adoré, comme nous avons été heureux ! Dieu t’avait mis dans ma vie, il me retire de la tienne. Voilà que je m’en vais. Tu te souviendras de la Green-Box, n’est-ce pas ? et de ta pauvre petite Dea aveugle ? Tu te souviendras de ma chanson. N’oublie pas mon son de voix, et la manière dont [je] ["et la manière..." corrige "et comme je"; en effectuant la correction, VH barre le "je" et oublie de le retracer] te disais ["bien" barré] : je t’aime ! Je reviendrai te le dire, la nuit, quand tu dormiras ["quand tu dormiras" corrige "dans tes songes"] . [phrase ajoutée] Nous nous étions retrouvés, mais c’était trop de joie. Cela devait finir tout de suite. C’est décidément moi qui pars la première. J’aime bien mon père Ursus, et notre frère Homo. Vous êtes bons. ["Couvrez-moi les bras, j'ai un peu froid.": addition rayée et reprise plus bas] L’air manque ici. Ouvrez la fenêtre. Mon Gwynplaine, je ne te l’ai pas dit, mais parce qu’il y a eu une fois une femme qui est venue, j’ai été jalouse. Tu ne sais ["peut-être" barré] même pas de qui je veux parler. Pas vrai ? ["L'air manque...": addition de second niveau; il n'est pas exclu que "Pas vrai?" y soit un ajout] Couvrez-moi les bras. J’ai un peu froid. Et Fibi ? et Vinos ? où sont-elles ? On finit par aimer tout le monde. On prend en amitié les personnes qui vous ont vu être heureux. On leur sait gré d’avoir été là, [virgule corrige point] pendant qu’on était content ["pendant qu’on était content" ajouté] . Pourquoi tout cela est-il passé ? Je n’ai pas bien compris ce qui est arrivé depuis deux jours. Maintenant je meurs. ["Couvrez-moi les bras...": addition -premier niveau] Vous me laisserez dans ma robe [en sc. sur +, peut-être le même mot mal tracé] . Tantôt en la mettant je pensais bien que ce serait mon suaire. Je veux la garder. Il y a des baisers de Gwynplaine dessus. Oh ! j’aurais pourtant bien voulu vivre encore. Quelle vie charmante nous avions dans notre pauvre cabane qui roulait ! On chantait. J’écoutais les battements de mains ! ["On chantait...": addition] Comme c’était bon, ["Comme c’était bon,": addition; elle n'est probablement pas effectuée en même temps que la précédente et il n'est pas exclu que la phrase ait été oubliée dans cette mise au net.] n’ [initialement, majuscule possible] être jamais séparés ! [point d'exclamation en sc. sur virgule; il est tracé après l'addition "On chantait..."] Il me semblait que j’étais dans un nuage avec vous, je me rendais bien compte de tout, je distinguais un jour de l’autre, quoique aveugle, ["parce que vous étiez là" barré] ["je me rendais bien...": addition] je reconnaissais que c’était le matin, parce que j’entendais Gwynplaine, je reconnaissais que c’était la nuit parce que je rêvais de Gwynplaine. Je sentais autour de moi une enveloppe qui était son âme. Nous nous sommes doucement adorés. ["Hélas," barré et déplacé] Tout [d'abord minuscule] cela s’en va, et il n’y aura plus de chansons. ["Tu penseras à moi, mon bien-aimé." barré en correction cursive pour déplacement : "Hélas" est écrit en sc. sur le point] Hélas ! ce n’est donc pas possible de vivre encore ! ["C'est donc fini!" addition abandonnée] Tu penseras à moi, mon bien-aimé.
[f° 598, P23]
Sa voix allait s’affaiblissant [correction abandonnée: "décroissant"] . La décroissance lugubre de l’agonie lui ôtait l’haleine. Elle repliait son pouce sous ses doigts, signe que la dernière minute approche. [phrase en addition de second niveau, postérieure à la correction qui suit; ajoutée à la copie] Le bégaiement de l’ange commençant semblait s’ébaucher dans le doux râle de la vierge. [cette phrase remplace l'addition de premier niveau déplacée plus bas: "Ses paroles haletaient et s'éteignaient l'une après l'autre comme si l'on eût soufflé dessus. On ne l'entendait presque plus."] ["La décroissance lugubre...": addition -premier niveau. Elle se substitue au texte initial: "Ces dernières paroles n'étaient plus qu'un souffle."
Elle murmura :
— Vous vous souviendrez, n’est-ce pas, parce que ce serait bien triste que je sois morte si l’on ne se souvenait pas de moi. J’ai quelquefois été méchante. Je vous demande à tous pardon. Je suis bien certaine que si le bon Dieu avait voulu, comme nous ne tenons pas beaucoup de place, nous aurions encore été [en sc. cursive sur "pu"] heureux, mon Gwynplaine, puisqu’on aurait gagné sa vie et qu’on aurait été ensemble dans un ["pays" barré en correction cursive] autre pays, mais le bon Dieu n’a pas voulu. Je ne sais pas du tout pourquoi je meurs. Puisque je ne me plaignais pas d’être aveugle, je n’offensais personne. Je n’aurais pas mieux demandé que de rester toujours aveugle à côté de toi. Oh ! comme c’est triste de s’en aller !
Ses paroles haletaient, et s’éteignaient l’une après l’autre, comme si l’on eût soufflé dessus. On ne l’entendait presque plus. ["Elle murmura:...": addition de second niveau; elle est postérieure à l'addition, plus bas, de "mon bien-aimé, "]
— Gwynplaine, reprit-elle! n’est-ce pas ? ["Gwynplaine, reprit-elle..." corrige "N'est-ce pas, reprit-elle?"] tu penseras à moi. J’en aurai besoin, quand je serai morte. [phrase ajoutée]
Et elle ajouta.
— Oh, retenez-moi !
Puis, après un silence, elle dit :
— Viens me rejoindre le plus tôt que tu pourras. Je vais être bien malheureuse sans toi, [corrige point] [faux départ: "Adieu, mon doux"] même avec Dieu. Ne me laisse pas trop longtemps seule [le "e" final est ajouté!] [un mot barré] , mon doux Gwynplaine ! [point d'exclamation ajouté, "adoré." barré] ["Adieu, je" barré en correction cursive] C’est ici qu’était le paradis. Là-haut, ce n’est que le ciel. ["Adieu." barré] Ah ! j’étouffe ! Mon [en sc. sur "Adieu."] bien-aimé, mon bien-aimé, mon bien-aimé ! ["Mon bien aimé... ajouté; d'abord seulement deux "mon bien-aimé" et "Adieu." à la fin, également barré par VH à la copie]
— Grâce, cria Gwynplaine!
— Adieu, dit-elle.
— Grâce, répéta Gwynplaine! [ces deux répliques sont en ajout; de même à la copie]
Et il colla sa bouche aux belles [corrige "douces"] mains glacées de Dea.
Elle fut un moment comme si elle ne respirait plus.
Puis elle se haussa sur ses coudes ["elle se haussa..." corrige " [+ barré en correction cursive] elle leva la tête"] , un profond éclair traversa ses yeux, et [", et" ajouté] elle eut un ineffable sourire. Sa voix éclata, vivante.
— Lumière, cria-t-elle! Je vois.
Et elle expira.
Elle retomba, étendue et immobile, sur le matelas. [paragraphe en addition immédiate: il se substitue à "— Morte, dit Ursus." barré avant d'être réécrit au-dessous.]
— Morte, dit Ursus!
Et le pauvre vieux bonhomme, comme ["s'affaissant" barré en correction cursive] s’écroulant sous le désespoir, prosterna sa tête chauve et enfouit son visage sanglottant dans les plis de la robe aux pieds de Dea. Il demeura là, évanoui. [phrase ajoutée]
Alors Gwynplaine fut effrayant.
Il se dressa debout, leva le front, [f° 599, Q23] et considéra [corrige "regarda"] au dessus de sa tête l’immense nuit.
Puis, vu de personne, regardé pourtant peut-être ["par quel" barré en correction cursive] dans ces ténèbres par quelqu’un d’invisible, ["il se mit à marcher devant lui, comme si une vision l'attirait." barré et déplacé immédiatement] il étendit les bras vers la profondeur d’en haut ["la profondeur..." corrige "le zénith"; de même à la copie] , et dit : ["Je viens." barré pour être réécrit en forme de dialogue]
— Je viens.
Et il se mit à marcher, dans la direction du bord, sur ["il se mit à marcher..." : VH a d'abord écrit "il se marcher devant lui sur" puis ajouté "dans la direction du bord," et "mit", oublié, en oubliant encore le "à"; il a enfin rayé "marcher devant lui" et récrit "mit à marcher,"] le pont du navire, comme si une vision l’attirait.
A quelques pas c’était l’abîme.
Il marchait lentement. [virgule corrigée en point] ["avec une régularité de spectre." barré] Il ne regardait pas à ses pieds. [phrase ajoutée]
Il avait le sourire que Dea venait d’avoir.
["Ses yeux [en sc. cursive sur "Son regard fixe"] ne quittaient pas un point du ciel." barré et déplacé au folio suivant] Il allait droit [ajouté] devant lui. [phrase ajoutée] Il semblait voir ["là" barré] quelque chose. [faux départ: "La lueur de sa prunelle + q"] Il avait dans la prunelle une lueur ["qui semblait [variante: "paraissait"] un reflet, et" le tout barré] qui était comme la réverbération d’une âme aperçue au loin.
Il cria [corrige "Il disait"] : — Oui ! ["— Et il marchait." barré]
A chaque pas il se rapprochait du bord.
Il marchait [en sc. sur "avançait"] tout d’une pièce, les bras levés, la tête renversée en arrière, l’œil fixe, avec un mouvement de fantôme.
Il avançait sans hâte et ["sans hâte et" corrige "droit et calme,"] sans hésitation, avec une précision fatale, comme s’il n’eût pas eu tout près le gouffre béant ["le gouffre..." corrige "la mer béante"] et la tombe ouverte.
[f° 600 blanc; f° 601, R23]
["Il traversa [en sc. sur "traversait"] le tillac. Il allait vers la proue," addition abandonnée] Il [majuscule rétablie] murmurait : — Sois tranquille. Je te suis. Je distingue très-bien le signe que tu me fais. ["Me voilà." barré]
[faux départ: "Il +"]
Il ne quittait pas des yeux un point du ciel, au plus haut de l’ombre. Il souriait.
["Il traversa le tillac.": addition barrée, reprise à la fin de celle qui suit]
Le ciel était absolument noir, [point corrigé en virgule, ou l'inverse] il n’y avait plus d’étoiles, mais évidemment il en voyait une.
Il traversa le tillac. [Ces deux paragraphes sont en addition.]
[faux départ: "Il parvint"] Après quelques pas rigides et sinistres, il parvint à l’extrême bord. [point corrige virgule] [ ["le vide était(?) devant lui": addition] "aucun parapet n'arrêta ["ne séparait de l'abîme" addition] son pied. Il avança son pied." le tout barré. La lecture de ces lignes est très conjecturale. VH a d'abord écrit: "aucun parapet n'arrêta son pied.", mais la chronologie des opérations suivantes ne peut être reconstituée.]
— J’arrive [virgule oubliée] dit-il. Dea [en sc. cursive sur "Me"] , me voilà.
Et il [en sc. cursive sur "con"] continua de marcher. Il n’y avait pas de parapet. Le vide était devant lui. Il y mit le pied. ["Il n'y avait...": addition]
Il tomba.
La nuit était épaisse [corrige "obscure"] et sourde, l’eau était profonde. Il s’engloutit. Ce fut une disparition calme et sombre. Personne ne vit ni n’entendit rien. Le navire continua de voguer et le fleuve de couler.
Peu après le navire [variante sans choix: "la Vograat" barrée à la copie] entra dans l’océan.
Quand Ursus revint à lui, il ne vit plus Gwynplaine, et il aperçut près du bord Homo qui hurlait dans l’ombre en regardant la mer.
FIN.
[Au coin inférieur droit, deux notes, dont la seconde est encadrée d'un trait:
"Terminé le 23 août 1868, à
dix heures et demie du matin.
Bruxelles, 4, place des Barricades."
et
"Ce livre, dont la plus grande
partie a été écrite à Guernesey,
a été commencé à Bruxelles
le 21 juillet 1866, et fini à
Bruxelles le 23 août 1868."]